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PREMIER ENTRETIENAUQUEL EST DÉCLARÉE LOBLIGATION DES CONSTITUTIONS DE LA VISITATION DE SAINTE-MARIE ET LES QUALITÉS DE LA DÉVOTION QUE LES RELIGIEUSES DUDIT ORDRE DOIVENT AVOIR
Ces Règles et Constitutions nobligent aucunement delles-mêmes à aucun péché, ni mortel ni véniel, ains seulement sont données pour la direction et conduite des personnes de la Congrégation. Mais pourtant, si quelquune les violait volontairement, destinément 1, avec mépris, ou bien avec scandale tant des Soeurs que des étrangers, elle commettrait sans doute une grande offense; car on ne saurait exempter de coulpe 2 celle qui arrive à déshonorer les choses de Dieu, dément sa profession, renverse la Congrégation, nie et dissipe les fleurs de bon exemple et de bonne odeur quelle doit produire envers le prochain : si bien quun tel mépris volontaire serait enfin suivi de quelque grand châtiment du Ciel, et spécialement de la privation des grâces et dons du Saint-Esprit, qui sont ordinairement ôtés à ceux qui abandonnent leurs bons desseins et quittent le chemin auquel Dieu les a mis. Or le contemnement 3 et mépris des Règles et Constitutions, comme aussi de toutes
1. délibérément, à dessein 2. faute 3. dédain, mépris
bonnes oeuvres, se connaît par les considérations suivantes. Celui qui viole par mépris, viole ou laisse à faire quelque ordonnance non seulement volontairement, mais destinément; car sil la viole par inadvertance, oubli, ou surprise de quelque passion, cest autre chose. Comme par exemple, il est défendu de sortir hors de la porte sans congé: si, sans y penser, par une habitude, la portière en ouvrant aux étrangers, par inadvertance, ne pensant pas bonnement à ce quelle fait, ou bien par quelque surprise de passion, parce quelle voit son père ou sa mère à quatre ou cinq pas de la porte, elle sortait pour lapprocher, ce ne serait pas violer la Règle par mépris, car le mépris enclot en soi une volonté délibérée et qui se détermine destinément à faire ce quelle fait. De là il sensuit 4 que celui qui viole lordonnance ou désobéit par mépris, non seulement il désobéit, mais il veut désobéir; non seulement il fait la désobéissance, mais il la fait par désobéissance et avec intention de désobéir. Il est défendu de manger hors du repas : une fille mange des poires, des abricots, ou autres fruits; elle viole la Règle et fait une désobéissance. Or, si elle mange attirée de la délectation quelle en pense recevoir, alors elle désobéit non pas par désobéissance, mais par friandise; ou bien elle mange parce quelle nestime point la Règle et nen veut tenir compte ni se soumettre à icelle, et alors elle désobéit par mépris et pure désobéissance. Il sensuit encore, que celui qui désobéit par
4. il suit
quelque attachement ou surprise de passion voudrait bien pouvoir contenter sa passion sans désobéir, et à même temps quil prend plaisir, par exemple, à manger, il est marri que ce soit avec désobéissance ; mais celui qui désobéit par désobéissance et mépris nest pas marri de désobéir, ains au contraire il prend son plaisir à désobéir de manière quen lun la désobéissance suit ou accompagne loeuvre, mais en lautre la désobéissance précède loeuvre et lui sert de cause et de motif, quoique par friandise. Car qui mange contre le commandement, conséquemment ou ensemblement, il commet désobéissance, quoique sil la pouvait éviter en mangeant il ne la voudrait pas commettre; comme celui qui en buvant trop voudrait bien ne senivrer pas, quoique néanmoins en buvant il senivre : mais celui qui mange par mépris de la Règle et par désobéissance, veut la désobéissance même, en sorte quil ne ferait pas loeuvre ni ne la voudrait pas sil nétait ému 5 à ce faire par la volonté quil a de désobéir. Lun donc désobéit voulant une chose à laquelle la désobéissance est attachée, et lautre désobéit voulant la même chose parce que la désobéissance y est attachée. Lun rencontre la désobéissance en la chose quil veut, et voudrait bien ne la rencontrer pas; et lautre ly recherche, et ne veut la chose quavec intention de ly trouver. Lun dit : Je désobéis parce que je veux manger ces abricots que je ne puis manger sans désobéir; et lautre dit: Je les mange parce que je veux désobéir, ce que je ferai en les mangeant.
5. mû, poussé
La désobéissance et mépris suit lun, et elle conduit lautre. Or, cette désobéissance formelle et ce mépris des choses bonnes et saintes nest jamais sans quelque péché, pour le moins véniel, non pas même ès choses qui ne sont que conseillées : car bien quon puisse ne point suivre les conseils des choses saintes par lélection dautres choses, sans aucunement offenser, si est-ce quon ne peut pourtant les laisser par mépris et contemnement sans offense; dautant que tout bien ne nous oblige pas à le suivre, mais oui bien à lhonorer et estimer, et par conséquent, à plus forte raison, à ne le point mépriser et vilipender. Davantage, il sensuit que celui qui viole la Règle par mépris, il lestime vile et inutile, qui est une très grande présomption et outrecuidance 6: ou bien, sil lestime utile et ne veut pas pourtant se soumettre à icelle, alors il rompt son dessein avec grand intérêt 7 du prochain, auquel il donne scandale et mauvais exemple, il contrevient à la société et promesse faite à la compagnie, et met en désordre une maison dévote, qui sont des très grandes fautes. Mais afin que lon puisse aucunement discerner quand une personne viole les Règles ou lobéissance par mépris et contemnement, en voici quelques signes : 1. Quand la personne étant corrigée, elle se moque et na nul repentir. 2. Quand elle persévère sans témoigner aucun amendement.
6. arrogance 7. dommage, préjudice
3. Quand elle conteste que la Règle ou commandement nest pas à propos. 4. Quand elle tâche dattirer les autres au même violement et leur ôter la crainte dicelui : comme disant que ce nest rien, quil ny a point de danger. Ces signes, pourtant, ne sont pas si certains que quelquefois ils narrivent pour dautres causes que pour celle du mépris : car il peut arriver quune personne se moque de celui qui la reprend, pour le peu destime quelle fait de lui, et quelle persévère par infirmité, et quelle conteste par dépit et colère, et quelle débauche 9 les autres, pour avoir des compagnes et des excuses en son mal. Néanmoins, il est aisé à juger par les circonstances quand tout cela se fait par mépris; car, enfin, leffronterie et manifeste libertinage 10 suit ordinairement le mépris, et ceux qui lont au coeur, enfin le poussent jusques à la bouche, et ils disent, comme David le remarque : Qui est notre maître a ? Si faut-il que jajoute un mot dune tentation qui peut arriver sur ce point : cest que quelquefois une personne nestimera pas dêtre désobéissante et libertine 11 quand elle ne méprise quune ou deux règles, lesquelles lui semblent de peu dimportance, pourvu quelle observe toutes les autres. Mais, mon Dieu, qui ne voit la tromperie? car ce que lun estimera peu, lautre lestimera beaucoup, et réciproquement; de manière quen
a. Ps. xi, 5. 8. infraction 9. provoque les autres, les détourne de leur devoir 10. insubordination 11. insubordonnée
une compagnie, lun ne tiendra compte dune règle et le second en méprisera une autre, le troisième une autre : ainsi tout sera en désordre, Car lorsque lesprit de lhomme ne se conduit que selon ses inclinations et aversions, quarrive-t-il quune perpétuelle inconstance et variété de fautes ? Hier que jétais joyeux le silence me désagréait, et la tentation me suggérait quil était oiseux 12 aujourdhui que je serai mélancolique elle me dira que la récréation et entretien est encore plus inutile : hier, que jétais en consolation le chanter me plaisait; aujourdhui que je suis en sécheresse il me déplaira, et ainsi des autres. De sorte que, qui veut vivre heureusement et parfaitement il faut quil saccoutume à vivre selon la raison, les Règles et lobéissance, et non selon ses inclinations ou aversions; et quil estime toutes les Règles, quil les honore et quil les chérisse, au moins par la volonté supérieure car sil en méprise une maintenant, demain il en méprisera une autre, et lautre jour 13 encore une autre, et dès quune fois le lien du devoir est rompu, tout ce qui était lié, petit à petit séparpille et dissipe. Ne plaise pas à Dieu 14 que jamais aucune des Filles de la Visitation ségare si fort du chemin de lamour de Dieu quelle saille perdre dedans ce mépris des Règles par désobéissance, dureté et obstination de coeur; car, que lui pourrait-il arriver de pis 15 ni de plus malheureux? attendu même quil y a si peu de règles particulières et
12. inutile 13. le surlendemain 14. à Dieu ne plaise 15. pire
propres de la Congrégation; la plupart et quasi 16 toutes étant, ou bien des règles générales quil faudrait quelles observassent en leurs maisons du monde si elles voulaient vivre tant soit peu avec honneur, réputation et crainte de Dieu, ou bien des règles qui regardent les officières et la manifeste bienséance dune maison dévote. Que si quelquefois il leur arrive quelque dégoût ou aversion des Constitutions et règlements de la Congrégation, elles se comporteront en même sorte qui1 se faut comporter envers les autres tentations, corrigeant laversion par la raison, considération et résolution de la partie supérieure de lâme, attendant que Dieu leur envoie de la consolation en leur chemin, et leur fasse voir (comme à Jacob lorsquil était las et recru 17 en son voyage b) que les Règles et méthode de vie quelles ont embrassées sont la vraie échelle par laquelle elles doivent, à guise dAnges, monter à Dieu par charité, et descendre en elles-mêmes par humilité. Mais si, sans aversion, il leur arrivait de violer la Règle par infirmité, alors elles shumilieront soudain devant Notre-Seigneur, lui demanderont pardon, renouvelleront leur résolution dobserver cette même Règle, et prendront garde surtout de ne point entrer en découragement et inquiétude desprit; ains. avec nouvelle confiance en Dieu, recourront à son saint amour. Et quant aux violements de la Règle qui ne se font point par pure désobéissance ni par mépris,
b. Gen., XXVIII, 11, 12
16. presque 17. fatigué, lassé
s'ils se font par nonchalance, infirmité, tentation ou négligence, on s'en pourra et devra confesser comme de péché véniel, ou bien comme de chose où il y peut avoir péché véniel: car, bien qu'il n'y ait aucune sorte de péché en vertu de l'obligation de la Règle, il yen peut néanmoins avoir à raison de la négligence, nonchalance, précipitation ou autres tels défauts, puisqu'il arrive rarement que voyant un bien propre à notre avancement, et notamment étant invitées et appelées à le faire, nous le laissions volontairement sans offenser; car ce délaissement 18, d'où peut-il procéder que de négligence, affection dépravée, ou manquement de ferveur ? Et s'il nous faut rendre compte des paroles qui sont vraiment oiseuses c, combien plus d'avoir rendu oiseuse et inutile la semonce 19 que la Règle nous fait à son exercice ! J'ai pourtant dit qu'il arrive rarement de n'offenser pas Dieu quand nous laissons volontairement de faire un bien propre à notre avancement, parce qu'il se peut faire qu'on ne le laisse pas volontairement, ains par oubli, inadvertance, surreption 21) ; et lors il n 'y aurait nul péché ni petit ni grand, sinon que la chose que nous oublions ou à laquelle nous avons inadvertance ou pour laquelle nous sommes surpris, fût de si grande importance que nous fussions obligés de nous tenir attentifs pour ne point tomber dans l'oubliance 21 et inadvertance. Comme, par exemple :
c. Matt., XII, 36. 18. abandon d'un bien, renoncement à un bien proposé 19. invitation 20. surprise, inconsidération 21. oubli
si une fille rompt le silence parce qu'elle n'est pas attentive pendant qu'elle est en silence, et partant elle ne s'en ressouvenait pas, d'autant qu'elle pensait à d'autres choses, ou bien elle est surprise de quelque émotion de parler, laquelle devant qu'elle ait bien pensé de réprimer elle aura dit quelque chose, sans doute elle ne pèche point ; car l'observance du silence n'est pas de si grande importance qu'on soit obligé d'avoir une telle attention qu'on ne puisse pas l'oublier; ains au contraire, étant chose très bonne pendant le silence de s'occuper en d'autres saintes et pieuses pensées, si étant attentive à icelles on s'oublie d'être 22 en silence, cet oubli provenant d'une si bonne cause ne peut être mauvais, ni par conséquent le manquement de silence qui provient d'icelui. Mais si elle oubliait de servir une malade, qui faute de service fût en danger, et qu'on lui eût enjoint ce service pour lequel on se reposerait sur elle, l'excuse ne serait pas bonne de dire: Je n'y ai pas pensé, je ne m'en suis pas ressouvenue. Non, car la chose était de si grande importance qu'il fallait se tenir en attention pour ne point y manquer, et le manquement de cette attention ne peut être excusable, eu égard à la qualité de la chose qui méritait qu'on fût attentive. Il faut croire qu'à mesure que le divin amour fera progrès ès âmes des Filles de la Congrégation, il les rendra toujours plus exactes et soigneuses à l'observation de leurs Constitutions, quoique d'elles-mêmes elles n'obligent point sous peine de
22. on oublie qu'on doit être
péché mortel ni véniel ; car si elles obligeaient sous peine de la mort, combien étroitement les observerait-on ? Or, lamour est fort comme la mort d; donc les attraits de lamour seront aussi puissants à faire exécuter une résolution comme les menaces de la mort. Le zèle, dit le sacré Cantique e, est dur et ferme comme lenfer; les âmes, donc, qui ont le zèle, feront autant et plus en vertu dicelui, quelles ne feraient pour la crainte de lenfer : si bien que les Filles de la Congrégation, par la suave violence de lamour, observeront autant 23 exactement leurs Règles, Dieu aidant, que si elles y étaient obligées sous peine de damnation éternelle. En somme, elles auront perpétuelle mémoire de ce que dit Salomon aux Proverbes, XIX f: Qui garde le commandement garde son âme, et qui néglige sa voie il mourra : or votre voie cest la sorte de vie en laquelle Dieu vous a mises. Que les Soeurs fassent profession particulière de nourrir leurs coeurs en une 24 dévotion intime, forte et généreuse. Je dis intime, en sorte quelles aient la volonté conforme aux bonnes actions extérieures quelles feront, soit petites ou grandes; que rien ne se fasse par coutume, mais par élection et application de volonté; et si quelquefois laction extérieure prévient laction intérieure, à cause de laccoutumance 25, quau moins laffection la suive de près. Si avant que 26 mincliner corporellement devant mon Supérieur je nai pas fait linclination
d. Cant., VIII, 6. e. Ibid. f. Vers. 16. 23. aussi 24. dune 25. habitude26, de
intérieure, par une humble élection 27 de lui être soumis, quau moins cette élection accompagne ou suive de près linclination extérieure. Les Filles de la Visitation ont fort peu de règles pour lextérieur, peu daustérités, peu de cérémonie peu dOffices : que donc elles y accommodent y volontiers et amoureusement leurs coeurs, faisant naître lextérieur de lintérieur et nourrissant lintérieur par lextérieur; car ainsi le feu produit la cendre et la cendre nourrit le feu. Il faut encore que cette dévotion soit forte 1. à supporter les tentations qui ne manquent jamais à ceux qui veulent tout de bon coeur servir Dieu. 2. Forte à supporter la variété des esprits qui se trouveront en la Congrégation, qui est un essai 28 aussi grand pour les esprits faibles quon en puisse rencontrer. 3. Forte à supporter une chacune ses propres imperfections pour ne point sétonner de sy voir sujette. 4. Forte à combattre ses imperfections. Ca autant quil faut avoir une humilité forte pour ne point perdre courage, ains relever notre confiance en Dieu parmi nos imbécillités 29, autant faut-il avoir de courage puissant pour entreprendre la correction et amendement parfait. 5. Forte à mépriser les paroles et jugements du monde, qui ne manque jamais de contre-roller 30 les instituts pieux, surtout au commencement.
27. choix, volonté28. épreuve 29. faiblesse, incapacité 30. contrôler
6. Forte à se tenir indépendante des affections, amitiés ou inclinations particulières, afin de ne point Vivre selon icelles, mais selon la lumière de la vraie piété. 7. Forte à se tenir indépendante des tendretés de coeur et consolations qui nous proviennent tant de Dieu que des créatures, pour ne point nous laisser engager par icelles. 8. Forte pour entreprendre une guerre continuelle contre nos mauvaises inclinations, humeurs, habitudes et propensions. Il faut enfin quelle soit généreuse : généreuse pour ne point sétonner des difficultés, ains au contraire agrandir son courage par icelles; car, comme dit saint Bernard, celui-là nest pas bien vaillant auquel le coeur ne croît pas entre les épines et contradictions. Généreuse pour prétendre au plus haut point de la perfection chrétienne, nonobstant toutes imperfections et faiblesses présentes, en sappuyant, par une parfaite confiance, sur la miséricorde divine, à lexemple de celle qui disait à son Bien-Aimé g : Tirez-moi, nous courrons après vous en lodeur de vos onguents ; comme si elle eût voulu dire : De moi-même je suis immobile, mais quand vous me tirerez, je courrai. Le divin Ami de nos âmes nous laisse souvent comme englués dans nos misères, afin que nous sachions que notre délivrance vient de lui, et que, quand nous laurons, nous la tenions bien chère, comme un don précieux de sa bonté. Cest pourquoi, comme la dévotion généreuse ne cesse jamais de crier à Dieu : Tirez-moi,
g. Cant., 1, 3.
aussi ne cesse-t-elle jamais daspirer, despérer et de se promettre courageusement de courir, et de dire : Nous courrons après vous. Et ne faut pas se fâcher si dabord on ne court pas après le Sauveur, pourvu que lon die toujours : Tirez-moi, et que lon ait le courage bon pour dire : Nous courrons. Car encore que nous ne courions pas, il suffit que, Dieu aidant, nous courrons : cette Congrégation, non plus 31 que les autres Religions, nétant pas une assemblée de personnes parfaites, mais de personnes qui prétendent de se perfectionner; non point de personnes courantes 32, mais de personnes qui. prétendent courir, et lesquelles pour cela apprennent premièrement à marcher le petit pas, puis à se hâter, puis à cheminer à demi-course, puis enfin à courir. Cette dévotion généreuse ne méprise rien, et fait que, sans trouble ni inquiétude, nous voyons un chacun sacheminer, courir et voler diversement, selon la diversité des inspirations et variété (les mesures de la grâce divine quun chacun reçoit. Cest un avertissement que le grand Apôtre saint Pan! fait aux Romains, XIV i : Lun, dit-il, croit de pouvoir manger de tout ; lautre, qui est infirme, mange des herbes. Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange. Que chacun abonde en son sens celui qui mange, mange en Notre-Seigneur, et celui qui ne mange pas, ne mange pas en Notre-Seigneur; et tant lun que lautre rendent grâces à Dieu.
h.Vers. 2, 3, 5, 6. 31. pas plus 32. qui courent
Les Règles nordonnent point quon die ses coulpes si on ne veut : or il se pourra faire que quelques Soeurs se trouveront bien de les dire et les autres de ne les dire pas. Que celles qui les diront ne méprisent point celles qui ne les diront pas, et celles qui ne les diront point ne méprisent pas celles qui les diront. De même il nest point ordonné de faire la discipline : il se pourra faire néanmoins que quelques-unes des Soeurs trouveront du profit de la faire, et les autres ny seront point portées. Il ny a pas beaucoup de jeûnes commandés : il se pourra faire que quelques-unes obtiendront lobédience 35 den faire davantage que celles qui jeûneront ne méprisent point celles qui mangent, ni celles qui mangent celles qui jeûneront. Et ainsi en toutes autres choses qui ne sont ni commandées ni défendues, quune chacune abonde en son sens : cest-à-dire, quune chacune jouisse et use de sa liberté, sans juger ni contreroller les autres qui ne feront point comme elle, voulant faire trouver sa façon meilleure; puisque même il se peut faire quune personne mange avec le même ou plus grand renoncement de sa propre volonté que si elle jeûnait, et quune personne ne die pas ses coulpes par le même renoncement par lequel lautre les dira. La généreuse dévotion ne veut pas avoir des compagnons en tout ce quelle fait, ains seulement en sa prétention, qui est la gloire de Dieu et lavancement du prochain en lamour divin; et pourvu quon sachemine droitement à ce but-là, elle ne se met pas en peine par quel chemin cest. Pourvu
33. obéissance
que celui qui jeûne, jeûne pour Dieu, et que celui qui ne jeûne pas que ce soit aussi pour Dieu, elle est toute satisfaite tant de lun que de lautre. Elle ne veut donc pas tirer les autres à son train 34, ains suit simplement, humblement et tranquillement son chemin. Que si même il arrivait quune personne mangeât, non pas pour Dieu, mais par inclination, ou quelle ne fît pas la discipline, non pas pour Dieu, mais par naturelle aversion, encore faudrait-il que celles qui font les exercices contraires ne la jugeassent point; ains que, sans la censurer, elles suivissent leur chemin doucement et suavement, sans mépriser ni juger au préjudice des infirmes, se ressouvenant que si en ces occasions les unes secondent peut-être trop mollement leurs inclinations et aversions, en des autres occurrences les autres en font bien de même. Mais aussi, celles qui ont telles inclinations et aversions se doivent bien garder de dire des paroles, ni donner aucune sorte de signe 35 davoir à dégoût que les autres fassent mieux, car elles feraient une grande impertinence 36 : ains, considérant leur faiblesse, elles doivent regarder les mieux faisantes 37 avec une sainte douceur et cordiale révérence; car ainsi elles pourront tirer autant de profit de leur imbécillité par lhumilité qui en naîtra, que les autres en tirent par leurs exercices. Que si ce point est bien entendu et bien observé, il conservera une merveilleuse tranquillité et suavité en la Congrégation. Que Marthe soit active, mais quelle ne contrerolle pas Madeleine;
34. sa manière dêtre, de faire 35. témoignage 36. chose déplacée, déraisonnable 37. celles qui font mieux
que Madeleine contemple, mais quelle ne méprise point Marthe, car Notre-Seigneur prendra la cause de celle qui sera censurée. Si les Soeurs qui ont des aversions aux choses pieuses et bonnes et approuvées, ou qui ont des inclinations aux choses moins pieuses me croient, elles useront de violence et contreviendront 38 le plus quelles pourront à leurs aversions et inclinations, pour se rendre vraiment maîtresses delles-mêmes et servir Dieu par une excellente mortification : répugnant ainsi à leurs répugnances, contredisant à leurs contradictions, déclinant de leurs inclinations, divertissant 39 de leurs aversions, et en tout et partout faisant régner lautorité de la raison, principalement ès choses esquelles 40 on a du loisir pour prendre résolution. Et pour conclusion, elles sessayeront davoir un coeur souple et maniable, soumis et aisé à condescendre en toutes choses loisibles, et à montrer en toute entreprise lobéissance et la charité, pour ressembler à la colombe qui reçoit toutes les lueurs que le soleil lui donne. Bienheureux sont les coeurs pliables, car ils ne se rompent jamais! Les Filles de la Visitation parleront toujours très humblement de leur petite Congrégation, et préfèreront toutes les autres à icelle quant à lhonneur et estime; et néanmoins la préfèreront aussi à toute autre quant à lamour, témoignant volontiers, quand il se présentera loccasion, combien agréablement elles vivent en cette vocation. Ainsi les femmes doivent préférer leurs maris à
38. agiront dans le sens contraire de 39. se détournant 40. pour lesquelles
tout autre, non en honneur, mais en affection; ainsi chacun préfère son pays aux autres, en amour non en estime, et chaque nocher chérit plus le vaisseau dans lequel il vogue que les autres, quoique plus riches et mieux fournis. Avouons franchement que les autres Congrégations sont meilleures, plus riches et plus excellentes, mais non pas pourtant plus aimables ni désirables pour nous, puisque Notre-Seigneur n voulu que ce fût notre patrie et notre barque, et que notre coeur fût marié à cet Institut; suivant le dire de celui auquel, quand on demanda quel était le plus agréable séjour et le meilleur aliment pour lenfant : Le sein, dit-il, et le lait de sa mère; car bien quil y ait de plus beaux seins et de meilleurs laits, si est-ce que pour lui il ny en a point de plus propre ni de plus aimable. Le nid de larondelle 41 lui est meilleur que celui du cinamologue.
41. hirondelle
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