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QUATORZIÈME ENTRETIENSUR LES RÈGLES
Cest une chose très difficile que celle que vous demandez : quel est lesprit de vos Règles et comment vous le pourrez bien prendre? Or, premier que de 1 parler de cet esprit, il faut que nous sachions que veut dire cela, avoir lesprit dune Règle; car nous entendons dire communément un tel Religieux n le vrai esprit de sa Règle. Nous tirerons du saint Evangile deux exemples qui sont tout propres pour nous faire comprendre ceci. Il est dit que saint Jean-Baptiste était venu en lesprit et en la vertu dElie a, et pour cela quil reprenait hardiment et rigoureusement les pécheurs, les appelant engeance de vipères b. Mais quelle était cette vertu dElie ? Cétait la force qui procédait de son esprit pour anéantir et punir les pécheurs, faisant tomber le feu du ciel pour perdre et confondre ceux qui voulaient résister à la majesté de son Maître c: cétait donc un esprit de rigueur quavait Elie. Lautre exemple que nous trouvons au saint Evangile d, qui sert à notre propos, est que Notre-Seigneur voulant aller en Jérusalem, ses disciples len dissuadaient parce que les uns avaient de
a. Luc., I, 17. b. Matt., III, 7 ; Luc., in, 7. c. IV Reg., I. d. Luc., IX, 51-56.
1. avant de
laffection daller en Capharnaüm, les autres en Béthanie, ainsi ils tâchaient de conduire Notre-Seigneur au lieu où ils voulaient aller; car ce nest pas dès à cette heure 2 que les inférieurs veulent conduire leurs maîtres selon leur volonté. Mais Notre-Seigneur, qui était très facile à condescendre, affermit 3 son visage (lEvangéliste use de ces mêmes mots) pour aller en Jérusalem, afin que les Apôtres ne le pressassent plus de ny pas aller. Allant donc en Jérusalem, il voulut passer par une ville de Samarie, mais les Samaritains ne le lui voulurent pas permettre; lors saint Jacques et saint Jean entrèrent en zèle, ou bien en colère (car le zèle est souventes fois pris pour colère, comme aussi la colère pour le zèle); et il ne sen faut pas étonner, car ils nétaient pas encore confirmés en grâce. Ils furent donc irrités contre les Samaritains de linhospitalité quils faisaient à leur Maître, et lui dirent: Maître, veux-tu que nous fassions tomber le feu du ciel pour les abîmer, et châtier de loutrage quils te font? Et Notre-Seigneur leur répondit : Vous ne savez de quel esprit vous êtes, voulant dire : Ne savez-vous pas que nous ne sommes plus au temps dElie qui avait lesprit de rigueur? Et bien quElie fût un très grand serviteur de Dieu, et quil fît bien en faisant ce que vous voulez faire, néanmoins vous autres ne feriez pas bien en limitant, dautant que je ne suis pas venu pour confondre et punir les pécheurs, ains pour répandre des parfums, et par ces odeurs les attirer à pénitence c et à ma suite.
e. Luc., V, 32.
2. daujourdhui 3. raffermit
Voilà donc quel est lesprit particulier dune chose : ce que, pour mieux entendre, il nous faut donner des exemples qui sont hors de nous, et après, nous reviendrons à nous-mêmes. Toutes les Religions et toutes les assemblées de dévotion ont un esprit qui leur est général, et chacune en a un qui lui est particulier. Le général est la prétention quelles ont toutes de prétendre à la perfection de la charité : ceci a été déterminé et tenu pour une chose très certaine, même par les Conciles. Mais lesprit particulier sont les moyens de parvenir à cette perfection de la charité, cest-à-dire à lunion de notre âme avec Dieu et avec le prochain pour lamour de Dieu; ce qui se fait, avec Dieu par lunion de notre volonté à la sienne, et avec le prochain par la douceur, qui est une vertu dépendante immédiatement de la charité. Venons à cet esprit particulier : ils sont certes très différents les uns des autres. Par exemple les Chartreux ont un esprit tout à fait différent de celui des Jésuites, et celui des Capucins tout différent à 4 ceux-ci. Lesprit des Chartreux est le moyen quils prennent pour sunir à Dieu et au prochain selon la prétention générale : la prétention particulière est de sunir à Dieu par la contemplation; et pour cela, ils ont une très grande solitude, et conversent le moins quils peuvent parmi le monde, non pas même les uns avec les autres, si ce nest en certains jours de la semaine. Ils sunissent aussi avec le prochain par le moyen de loraison, en priant Dieu pour lui. Au contraire, lesprit particulier des Pères Jésuites est
4. de celui de
voirement bien de sunir à Dieu et au prochain, mais cest par le moyen de laction, quoique spirituelle. Ils sunissent à Dieu, mais cest en lui réunissant le prochain, tant par études que prédications, confessions, conférences et autres telles actions de piété; et pour mieux faire cette union avec le prochain, ils conversent avec le monde, et nont point pris dhabit qui soit trop différent ni sévère. Ils sunissent encore à Dieu par loraison; néanmoins leur fin principale est celle que nous venons de dire, de tâcher à convertir les âmes et les réunir à Dieu. Les Capucins ont un esprit sévère et rigoureux. Pour bien dire quel est leur esprit, cest un parfait mépris, quant à lextérieur, du monde et de toutes ses vanités et sensualités. Je dis quant à lextérieur, dautant que toutes les Religions lont ou le doivent avoir en lintérieur. Ils veulent par leurs exemples induire les hommes au mépris des choses de la terre, à quoi sert la pauvreté de leurs habits; et par ce moyen, convertir les âmes à Dieu. Ils sunissent ainsi avec sa divine Majesté, et encore avec le prochain pour lamour de Dieu. Cet esprit de sévérité leur est tellement propre pour ce qui regarde lextérieur, que si lon en voit un qui ait quelque sorte daffectation ou qui la témoigne en son habit, ou bien à vouloir être traité un peu plus délicatement que les autres, pour peu que ce soit, lon dit tout aussitôt quil na plus lesprit de saint François. De même si lon voit un Chartreux qui témoigne tant soit peu de se plaire à converser avec le prochain, pour parfaite que soit son intention, fût-elle même de le convertir, il perd tout incontinent lesprit de sa Religion. Comme aussi un Jésuite, sil voulait se retirer en la solitude et vaquer à la contemplation comme les Chartreux, si ce nest au temps qui leur est marqué dans leurs exercices et la nécessité dun chacun, à quoi est pourvu selon la prudence des Supérieurs. Cest donc une chose fort nécessaire que de savoir quel est lesprit particulier de chaque Religion ou assemblée pieuse; ce que pour bien connaître, il faut considérer la fin pour laquelle elle a été commencée et les divers moyens pour parvenir à cette fin. Il y a la générale pour toutes les Religions, comme nous avons dit; mais cest de la particulière de laquelle je parle, dautant quil lui faut avoir un amour si grand quil ny ait chose aucune que nous puissions connaître qui soit conforme à cette fin, que nous nembrassions de tout notre coeur. Avoir lamour de la fin de notre Institut, savez-vous que cest ? Cest être exactes à lobservance des moyens de parvenir à cette fin, qui sont nos Règles et Constitutions; et être pointilleux 5 à faire tout ce qui en dépend et qui sert à les observer plus parfaitement, cest avoir lesprit de notre Religion. Mais remarquez quil faut que cette exacte et pointilleuse 6 observance soit entreprise en simplicité de coeur; je veux dire quil ne faut pas vouloir aller au-delà, par des prétentions de faire plus quil ne nous est marqué dedans nos Règles, car ce nest pas par la multiplicité des choses que nous faisons que nous parvenons à la perfection, ains cest par la perfection et pureté
5. exact, ponctuel 6. ponctuelle
dintention avec laquelle nous les faisons. Il faut donc regarder quelle est la fin de notre Institut et lintention de lInstituteur, et nous arrêter aux moyens qui sont marqués pour y correspondre. Quant à la fin de votre Institut, il ne la faut pas rechercher en lintention quavaient les trois premières Soeurs qui commencèrent, non plus que celle des Pères Jésuites au premier dessein quavait le bienheureux Père Ignace; car il ne pensait rien moins quà faire ce quil fit par après, comme de même saint François, saint Dominique et les autres qui ont commencé des Religions. Mais Dieu, à qui seul appartient de faire ces assemblées de piété, les n fait réussir de la façon que nous voyons quelles sont. Il ne faut jamais penser, encore moins le croire puisquil nest pas vrai aussi, que ce soient les hommes qui par leurs inventions aient commencé cette façon de vivre si parfaite comme est celle de la Religion : cest Dieu, par linspiration duquel ont été composées les Règles, qui sont les moyens propres pour parvenir à cette fin générale à tous les Religieux, de sunir à Dieu, et au prochain pour lamour de Dieu. Mais chaque Religion a sa fin particulière, comme aussi les moyens particuliers pour parvenir à cette union; et tous ont un moyen général pour sunir à Dieu, qui est par les voeux. Chacun sait que les richesses et les biens de la terre sont de puissants attraits et dissipent lâme, tant par la trop grande affection quelle y met, comme aussi par la sollicitude quil faut avoir pour les garder, voire même pour les accroître, dautant que lhomme nen a jamais assez selon quil désire : les Religieux, donc, coupent court à tout cela par le voeu de pauvreté. Ils en font de même à la chair et à toutes ses sensualités et plaisirs tant licites quillicites, par le voeu de chasteté qui est un très grand moyen pour sunir à Dieu très particulièrement; dautant que ces plaisirs sensuels alentissent et affaiblissent grandement les forces de lesprit, dissipent le coeur et lamour que nous devons tout à Dieu, et que nous lui donnons entièrement, ne nous contentant pas de sortir de la terre de ce monde, mais sortant encore de la terre de nous-mêmes, cest-à-dire renonçant aux plaisirs terrestres de notre chair. Mais beaucoup plus parfaitement nous nous unissons à Dieu par le voeu dobéissance, dautant que cest ramasser 8 toute notre âme avec toutes ses puissances, ses volontés et ses affections pour nous soumettre et assujettir, non seulement à la volonté de Dieu, mais à celle de nos Supérieurs que lon doit toujours regarder comme étant celle de Dieu même; et ceci est un très grand renoncement, à cause des continuelles productions de petites volontés que fait notre amour-propre. Etant donc ainsi séquestrés de toutes choses, nous nous retirons en lintime de nos coeurs, pour nous plus absolument et parfaitement unir à sa divine Majesté. Il faut remarquer la fin pour laquelle la Congrégation de la Visitation a été érigée : elle est assez bien exprimée au commencement de vos Règles; la connaissance de la fin vous fera assez aisément comprendre quel est lesprit particulier de la Visitation. Jai toujours jugé que cétait un esprit
7. ralentissent 8. concentrer
dune profonde humilité envers Dieu, et de douceur envers le prochain; dautant quil y a moins de rigueur pour le corps, il faut quil y ait plus de douceur de coeur. Tous les anciens Pères ont déterminé que, où la rigueur des mortifications corporelles manque, il doit y avoir plus de perfection desprit. Il faut donc que lhumilité envers Dieu et la douceur envers le prochain suppléent en cette Maison à laustérité des Soeurs Carmélites, des Soeurs de Sainte-Claire, des Chartreuses et ainsi des autres. Et si bien les austérités sont bonnes en elles-mêmes et sont des moyens pour parvenir à la perfection, elles ne seraient pas néanmoins bonnes en la Maison de céans, dautant que ce serait contre la fin des Règles. Lesprit de douceur est tellement le propre esprit de la Visitation, que quiconque y voudrait introduire des austérités, soit plus de jeûnes, plus de disciplines, plus de haires quil ny a pas maintenant, détruirait incontinent la Visitation; dautant que ce serait faire contre la fin pour laquelle elle a été dressée, qui est pour recevoir les filles infirmes, qui nont pas des corps assez forts pour entreprendre de sunir à Dieu par la voie des austérités que lon fait aux autres Religions, ou bien qui ny sont pas inspirées. De même, les Capucins décherraient de leur premier esprit sils voulaient quitter cette extrême pauvreté dont saint François n fait profession, que même en lornement de leurs églises ils ne veulent rien de superflu, non pas seulement des ornements de soie; et sil arrive que lon en reçoive en quelques-uns de leurs couvents, on dit aussitôt quils perdent lesprit de leur Ordre. Mais vous me dites : Sil arrive quune Soeur ait une complexion robuste, ne peut-elle pas bien faire des austérités plus que les autres, pourvu quelles ne sen aperçoivent pas? Je réponds à cela quil ny a point de secret qui ne passe secrètement à une autre; et ainsi de lune à lautre lon vient par après à faire des Religions dans la Religion et des petites ligues, et puis tout se dissipe. La bienheureuse Mère Thérèse dit admirablement bien le mal quapportent ces petites entreprises de vouloir faire plus que la Règle nordonne et que la Communauté ne fait; et tout particulièrement si cest une Supérieure, le mal en sera dautant plus grand; car, dit-elle, tout aussitôt que ses filles sen apercevront, elles voudront incontinent faire comme elle, et ne manqueront pas de raisons pour se persuader quelles le feront bien, les unes poussées de zèle, les autres pour lui complaire, et tout cela servira de tentation à celles qui nen pourront ou voudront pas faire de même. O Dieu, il ne faut jamais souffrir ces particularités en Religion. Lon excepte néanmoins certaines nécessités particulières, comme sil arrivait quune Soeur fût pressée de quelque grande vexation ou tentation, alors ce ne serait pas un extraordinaire de demander à la Supérieure de faire quelque petite pénitence de plus que les autres; car il faut user de la même simplicité que font les malades, qui doivent demander les remèdes qui leur semblent les pouvoir soulager. Sil y avait une Soeur qui fût si généreuse et si courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart dheure, faisant plus que la Communauté, je lui conseillerais quelle shumiliât et se soumît à ne vouloir être parfaite que dans trois j ours, allant le train des autres. Sil se rencontre des Soeurs qui aient des corps forts et robustes, à la bonne heure; il ne faut pas néanmoins quelles veuillent aller plus vite que celles qui en ont des faibles. Voici un exemple en Jacob f qui est très admirable et fort propre pour montrer comme il se faut accommoder aux faibles et arrêter notre force pour aller de pair avec eux, principalement quand nous y avons de lobligation comme ont les Religieux à suivre la Communauté en tout ce qui est de la parfaite observance. Jacob donc, sortant de la maison de son beau-père Laban avec toutes ses femmes, ses enfants, ses serviteurs et ses troupeaux pour sen retourner chez lui, craignait extrêmement de rencontrer son frère Esaü, dautant quil pensait quil fût toujours irrité contre lui, ce qui nétait néanmoins plus. Etant donc en chemin, il rencontra Esaü. Lors le pauvre Jacob eut bien peur le voyant, à cause quil était fort bien accompagné dune grande troupe de soldats. Layant salué, il le trouva tout doux en son endroit. Esaü dit à Jacob : Mon frère, puisque nous nous sommes ainsi rencontrés, allons de compagnie et achevons le voyage ensemble; à quoi répondit le bon Jacob : Mon seigneur et mon frère (il use du mot de seigneur à cause quil était son aîné), il nen sera pas ainsi, sil vous plaît, dautant que je mène mes enfants, et leurs petits pas exerceraient ou abuseraient de votre
f. Gen., XXXIII, 1-14.
patience; mais moi qui y suis obligé, mesure volontiers mes pas aux leurs, auxquels aussi jassujettis ceux de mes serviteurs. Et même quil ny a pas longtemps que mes brebis ont agnelé; les agnelets 9 étant encore si tendres ne pourraient pas aller si vite; à quoi il faut aussi que nous nous accommodions, et tout cela vous arrêterait trop en chemin. Remarquez, je vous prie, la débonnaireté de ce saint Patriarche; je laimais déjà bien, mais je le veux encore plus aimer désormais, à cause de cet acte de débonnaireté. Il saccommode volontiers aux pas, non seulement de ses petits enfants, mais aussi de ses agnelets. Il était à pied, car il nallait jamais à cheval. Ce voyage lui fut heureux, comme il se voit assez par les bénédictions quil reçut de Dieu tout au long du chemin; car il vit et parla plusieurs fois avec les Anges, et à la fin au Seigneur des Anges et des hommes; et enfin il fut mieux partagé que son frère qui était si bien accompagné et auquel tous saccommodaient à marcher selon ses pas. Si nous voulons que notre voyage soit béni de la divine Bonté, assujettissons-nous volontiers à lexacte et ponctuelle observance de nos Règles, et cela en simplicité de coeur, sans vouloir doubler les exercices; qui serait aller contre lintention de lInstituteur et de la fin pour laquelle la Congrégation a été érigée. Accommodons-nous volontiers avec les infirmes qui y peuvent être reçues, et je vous assure que nous narriverons pas plus tard pour cela à la perfection, ains au contraire ce sera cela même qui nous y conduira plus tôt, parce
9. petits agneaux
que, nayant pas beaucoup à faire, nous nous appliquerons à le faire avec le plus de perfection quil nous sera possible. Et cest en quoi nos oeuvres sont plus agréables à Dieu, dautant quil na pas égard à la multiplicité des choses que nous faisons pour son amour, ains seulement à la ferveur de la charité avec laquelle nous les faisons. Je trouve, si je ne me trompe, que si nous nous déterminons à vouloir parfaitement observer nos Règles, nous aurons assez de besogne sans nous charger davantage, dautant que toute la perfection y est comprise. La bienheureuse Mère Thérèse dit que ses filles étaient tellement exactes, quil fallait que les Supérieures eussent un très grand soin de ne rien dire qui ne fût très bon à faire, parce quelles se portaient, sans autre semonce 10, incontinent à le faire, et pour plus parfaitement observer leur Règle elles étaient pointilleuses à la moindre petite dépendance. Elle rapporte quune fois il y eut une de ses filles qui, nayant pas bien entendu quelque chose quune Supérieure avait commandé, elle lui dit quelle nentendait pas bien cela. Et la Supérieure, à laquelle il prit une petite fantaisie (car il nest pas merveille quelles en aient quelques-unes), lui répondit : Allez mettre la tête dans un puits et vous lentendrez. La fille fut si prompte à partir de la main 11, que la Mère Thérèse dit que, si on ne leût arrêtée, elle sallait jeter dans un puits. Il y n certes moins à faire à être exacte en lobservance des Règles, que non pas de
10. invitation 11. terme de manège employé au figuré, pour obéir sans délai
les vouloir observer en partie. Par exemple : la Règle ordonne quen certains temps lon ne parle point; il est beaucoup plus facile de sen abstenir tout à fait que sil y avait des exceptions, parce quil ne faudrait pas seulement être attentive à faire 12 le silence, mais aussi pour parler aux occasions qui y seraient exceptées. La charité pourtant montre assez quand cest quon le peut faire sans enfreindre le commandement de ne point parler. Je ne puis assez dire de quelle importance est ce point ici, dêtre ponctuelle à la moindre petite chose qui sert à plus parfaitement observer la Règle, voire même aux moindres petites cérémonies; comme aussi de ne vouloir rien entreprendre davantage, sous quelque prétexte que ce soit, parce que cest le moyen de conserver la Religion en son entier et en sa première ferveur; et le contraire est ce qui la détruit et fait déchoir de sa première perfection. Voyez-vous, ce qui maintient les Pères Jésuites en la perfection de leur Institut, ce nest autre chose que la fermeté quils ont à recevoir toutes sortes dobéissances sans aucune réplique. Mais vous me dites sil y aurait plus de perfection à se conformer tellement à la Communauté, que même lon ne demandât point à faire des Communions extraordinaires? Qui en doute, mes chères Filles, quil ny ait plus de perfection ? Si ce nest en certains cas, comme serait la fête de notre Patron ou dun Saint auquel nous aurions eu dévotion toute notre vie; ou quelques nécessités fort pressantes. Mais quant à certaines petites ferveurs que nous avons aucunes
12. observer
fois, qui sont passagères et qui, pour lordinaire, sont des effets de notre nature, lesquelles nous font désirer la Communion, il ne faut point avoir égard à cela; non plus que les mariniers en ont pour un certain petit vent qui se fait à la pointe du jour, lequel est produit des vapeurs qui sélèvent de la terre et partant nest pas de durée, ains cesse dès aussitôt que les vapeurs sont un peu surélevées 13 et dissipées; le patron du navire, qui le connaît, ne crie point au vent, ni ne déplie point les voiles pour voguer à la faveur de ce vent qui nest que de la terre. De même nous autres, il ne faut pas que nous tenions pour un bon vent, cest-à-dire pour inspirations, tant de petites volontés qui nous viennent, ores 14 de demander à communier, tantôt de faire loraison et par après une autre chose; car notre amour-propre, qui recherche toujours sa satisfaction, demeurerait grandement content de tout cela et principalement de ses petites inventions, et ne cesserait de nous en fournir toujours de nouvelles. Aujourdhui que la Communauté communie, il vous suggèrera quil faut que par humilité vous demandiez de vous en abstenir, parce que cest la fête dun tel Saint qui apportait tant de préparation pour recevoir le très Saint Sacrement; et vous, qui êtes si peu préparée il nest pas raisonnable que vous le receviez, et choses semblables. Et lorsque le temps de shumilier sera venu, il vous persuadera de vous réjouir et de demander la Communion pour cet effet: et ainsi il ne serait jamais fait. Il ne faut point tenir pour inspiration les choses qui sont
13. élevées au-dessus 14. maintenant
hors de la Règle, si ce nest en cas si extraordinaire, que la persévérance nous fasse connaître que cest la volonté de Dieu, comme il sest trouvé, pour ce qui est de la Communion, en deux ou trois grandes Saintes, lesquelles il voulait quelles communiassent tous les jours. Les Chartreux tiendraient pour une très grande tentation de désirer dêtre employés au salut des âmes par le moyen de la prédication. Il ne faudrait pas quun dentre eux pensât faire un grand service à Dieu de vouloir aller, sous le prétexte que les autres Pères nen sauraient rien hormis le Supérieur, prêcher en quelque village où il penserait faire beaucoup de fruit et accroître la gloire de Dieu par le salut de ces âmes; voire même quand il serait fort capable et aurait pour prétexte de ne vouloir pas enfouir le talent que Dieu lui a donné pour la prédication: car nonobstant que toutes ses intentions fussent très bonnes et pieuses, lacte ne serait pourtant pas bon en lexécution, dautant que cela serait contre leur coutume et le train ordinaire de leur Communauté. Je trouve que cest un très grand acte de perfection de se conformer en toutes choses à la Communauté et de ne sen départir jamais par notre propre choix; car outre que cest un très bon moyen pour nous unir avec le prochain, cest encore nous cacher à nous-mêmes notre propre perfection. Il y a une certaine simplicité de coeur en laquelle consiste la perfection de toutes les perfections, et cest cette simplicité qui fait que notre âme ne regarde quà Dieu et se tient toute ramassée 15 et resserrée en elle-même pour
15. recueillie
sappliquer, avec toute la fidélité et perfection qui lui est possible, à lobservance de sa Règle, sans sépancher à désirer ni vouloir entreprendre de faire plus que cela. Elle ne veut point faire des choses excellentes ni extraordinaires qui la pourraient faire estimer des créatures; et ainsi elle se tient fort basse en elle-même et na pas de grandes satisfactions, car, ne faisant rien de sa propre volonté ni rien de plus que les autres et que toute la Communauté, il semble quelle ne fait rien : toute sa sainteté est cachée à ses yeux, Dieu seulement la voit, qui se délecte en sa simplicité par laquelle elle ravit son g en sunissant à lui. Cette âme na pas beaucoup de satisfaction en ce quelle fait, dautant quelle tranche court à toutes les inventions de son amour-propre, lequel prend une souveraine délectation à faire des entreprises de choses grandes et excellentes et qui nous font surestimer 16 au-dessus des autres. Elle jouit pourtant dune grande paix et tranquillité desprit. Jamais il ne faut penser ni croire que pour ne faire rien de plus que les autres et suivre la Communauté nous ayons moins de mérite. Oh non, car nous ne devenons pas parfaits et ne sommes pas plus agréables à Dieu pour la multiplicité des exercices, des pénitences et austérités, mais oui bien par la pureté damour avec laquelle nous les faisons. La perfection ne consiste pas aux 17 austérités, encore que ce soient de bons moyens dy parvenir et quelles soient bonnes en elles-mêmes;
g. Cant., IV, 9. 16. estismer 17. dans les
néanmoins pour nous elles ne sont pas bonnes, parce quelles ne sont pas de nos Règles, ni conformes à lesprit dicelles, étant de plus grande perfection de se tenir dans leur simple observance et suivre la Communauté. Celle qui se tiendra dans ces limites, je vous assure quelle fera un très grand chemin en peu de temps, et rapportera 18 beaucoup de profit à ses Soeurs par son bon exemple. Jai vu lexpérience de ceci en deux Généraux des Chartreux, dont lun est encore en vie et lautre est mort; celui-ci je le vis à Paris lorsque jy étais. Il était grandement austère, et ne mangeait ordinairement que du pain et ne buvait que de leau. Celui au contraire qui est aujourdhui, nest point singulier en aucune chose, et ne fait que ce que leur Communauté fait. Tous deux sont très grands serviteurs de Dieu, mais jai été assuré que celui-ci est beaucoup plus aimé et estimé de ses Frères que non pas lautre, et son exemple de douceur et conformité de vie les édifie beaucoup plus que non pas la rigueur quavait lautre envers soi-même. Quand nous sommes à ramer, il le faut faire par mesure; ceux qui rament sur mer ne sont pas battus pour ramer un peu lâchement, mais oui bien sils ne donnent pas les coups de rame par mesure. De même lon doit tâcher délever et enseigner les Novices toutes également, faisant les mêmes choses, afin que lon rame justement; et si bien toutes ne le font pas avec tant de perfection, nous ne saurions quy faire. Vous me dites maintenant que cest par mortification que vous demeurez un peu plus dans le
18. apportera
choeur aux jours de fête que les autres, parce que le temps vous y a déjà bien duré deux ou trois heures de suite que toutes y ont demeuré. A cela je vous réponds que ce nest pas une règle générale quil faille faire tout ce à quoi lon a de la répugnance, non plus que de sabstenir des choses auxquelles on a de linclination; car si une Soeur en n à dire lOffice divin, il ne faut pas quelle laisse dy assister sous le prétexte de se vouloir mortifier. Au demeurant, le temps des fêtes qui est laissé en liberté pour faire ce que lon veut, on le peut employer selon la dévotion dune chacune; mais il est vrai pourtant que, ayant demeuré trois heures, voire plus dans le choeur selon la Communauté, il y a beaucoup à craindre que le quart dheure que vous y demeurez davantage ne soit un petit morceau que vous donnerez à votre amour-propre. Il est vrai que, ne pouvant pas le faire mourir, il semble quil faut bien lui bailler quelque petite chose. Vous voulez savoir maintenant si vous ne feriez pas mieux de vous conformer à la Communauté, faisant lExercice de la Messe en disant votre chapelet, que non pas à faire une autre sorte doraison durant le temps quon la dit. Outre le bien que vous ferez en vous assujettissant à lentendre comme les autres, puisque tout doit aller dun même air 19 la Visitation, vous observerez de plus le conseil du grand saint Bernard, lequel dit quil faut, aux prières communes, joindre notre attention à lintention pour laquelle elles sont faites ; et lui étant demandé sil était mieux pour
19. dune même manière
nous autres qui entendons ce que nous disons aux Offices, dappliquer notre attention simplement à Dieu, ou bien de suivre le sens des paroles que nous prononçons, il répondit quil aimait mieux que lon sappliquât à suivre le sens de ce que lon dit, dautant que cest se conformer à lintention de celui qui, par inspiration de la divine Majesté, les a composées. Je suis fort volontiers lopinion de ce grand Saint, et ai toujours été de cet avis, quil faut nous appliquer durant le saint Sacrifice de la Messe à la considération des mystères qui y sont compris, selon quils sont marqués en lExercice de la Messe. Et si bien jai laissé la liberté à Philothée de le faire ou de ne le pas faire, selon quelle jugera lui être convenable, soccupant durant icelle à des autres prières, soit mentales, soit vocales, je lai fait parce que je ne la connais pas toujours cette Philothée; mais cet Exercice me semble être meilleur, pour être plus conforme à lintention de la sainte Eglise. Enfin, mes chères Filles, il faut beaucoup aimer nos Règles, puisquelles sont les moyens par lesquels nous parvenons à leur fin, qui est de nous conduire facilement à la perfection de la charité, qui est lunion de nos âmes avec Dieu et avec le prochain. Et non seulement cela, mais encore de réunir le prochain avec Dieu, ce que nous faisons par la voie que nous lui présentons, laquelle est toute douce et facile, nulle fille nétant rejetée faute de force corporelle, pourvu quelle ait la volonté de vivre selon lesprit de la Visitation, qui est un esprit dhumilité envers Dieu et de douceur envers le prochain : et cest cet esprit qui fait notre union tant avec Dieu quavec le prochain. Par lhumilité, nous nous unissons à Dieu, nous soumettant à lexacte observance de ses volontés qui nous sont signifiées dans nos Règles; car nous devons pieusement croire quelles ont été dressées par son inspiration, étant reçues de la sainte Eglise et approuvées par Sa Sainteté, qui en sont des signes très évidents; et partant, nous les devons aimer dautant plus tendrement et les serrer sur nos poitrines tous les jours trois fois, par forme de reconnaissance envers Dieu qui nous les a données. Par la vertu de douceur de coeur, nous nous unissons avec notre prochain par une exacte et pointilleuse conformité de vie, de moeurs et dexercices, sans vouloir entreprendre de faire ni plus ni moins queux et que ce qui nous est marqué en la voie en laquelle Dieu nous n mises, ains employant et arrêtant toutes les forces de notre âme à les faire avec toute la perfection qui nous est possible. Mais remarquez que ce que jai dit plusieurs fois quil faut être non seulement ponctuelle à lobservance des Règles, mais aussi à la moindre petite dépendance, ne se doit pas entendre dune pointillerie 20 de scrupules. Oh! non, car ce na pas été mon intention, mais dune ponctualité de chastes épouses qui ne se contentent pas déviter de déplaire à leur céleste Epoux, ains veulent faire tout ce quelles peuvent pour lui être un tant soit peu 21 plus agréables. Il sera fort à propos que je vous présente quelques exemples remarquables pour vous faire comprendre combien cest une chose agréable à Dieu
20. ponctualité 21. tant soit peu
de se conformer à la Communauté en toutes choses: écoutez donc ce que je men vais vous dire. Pourquoi pensez-vous, mes très chères Filles, que Notre-Seigneur et sa très sainte Mère se soient soumis à la loi de la présentation et purification, sinon à cause de lamour quils portaient à la communauté ? Certes, cet exemple devrait suffire pour émouvoir les Religieux à suivre exactement la Communauté, sans jamais sen départir; car ni lEnfant ni la Mère ny étaient nullement obligés: non lEnfant, parce quil était Dieu, non plus la Mère, parce quelle était toute pure, ains elle était la pureté même. Ils pouvaient facilement sen exempter sans que personne sen aperçût. La très Sainte Vierge ne pouvait-elle pas sen aller en Nazareth au lieu daller en Jérusalem, et donner à quelque pauvre largent de quoi 22 elle voulait acheter les tourterelles quelle offrit? Ne vous semble-t-il pas quelle eût beaucoup mieux fait? O Dieu, elle ne fit rien de tout cela, ains tout simplement elle suivit la communauté. Elle pouvait bien dire : La loi nest point faite pour mon très cher Fils ni pour moi, ni elle ne nous oblige nullement; mais puisque le reste des hommes y sont obligés et lobservent, nous nous y soumettons très volontiers pour nous conformer à un chacun deux, et nêtre singuliers en aucune chose. Lapôtre saint Paul na-t-il pas dit quil fallait que Notre-Seigneur fût semblable en toutes choses à ses frères, hormis le péché h ? Mais dites-moi, est-ce la crainte de la prévarication qui les rendait si exacts à
h. Heb., II, 17; IV, 15.
22. dont
lobservance de la Loi ? Non certes, ce nétait pas cela, car il ny avait point de prévarication pour eux; ains ils étaient attirés par lamour quils portaient à leur Père éternel. Lon ne saurait aimer le commandement si lon naime celui qui commande; à mesure que nous aimons et estimons celui qui fait la loi, à mesure nous nous rendons exacts à lobserver. Les uns sont attachés à la loi par des chaînes de fer, et les autres par des chaînes dor; je veux dire, les séculiers qui observent les Commandements de Dieu de crainte dêtre damnés, les observent par force et non par amour; mais les Religieux et ceux qui ont soin de la perfection de leur âme, y sont attachés par des chaînes dor, cest-à-dire par amour; ils aiment les Commandements et les observent amoureusement, et pour les mieux observer, ils embrassent lobservance des conseils. David dit i que Dieu a commandé que ses commandements fussent trop bien 22 gardés par ceux qui laiment. Voyez comme il désire que lon soit ponctuel à lobservance. Ainsi sont certes tous les vrais amants, car ils névitent pas seulement la prévarication de la loi, mais ils évitent aussi lombre de la prévarication; cest pourquoi lEpoux au Cantique des Cantiques j dit que son Epouse ressemble à une colombe qui se promène le long dun fleuve qui coule doucement et dont les eaux sont cristallines. Vous savez peut-être que la colombe se tient en assurance auprès de ces eaux, parce quelle y voit les ombres des oiseaux quelle
i. Ps. CXVIII, 4. j. Cf. V, 12. 23. extrêmement bien
redoute, et soudain quelle voit ces ombres elle prend la fuite, et ainsi elle ne peut être surprise. De même, veut dire le sacré Epoux, est ma bien-aimée, car tandis quelle échappe de devant 24 lombre de la prévarication de mes commandements, elle ne craint point de tomber entre les mains de la désobéissance. Certes, celui qui se prive volontairement par le voeu dobéissance de faire sa volonté ès choses indifférentes, montre assez quil aime dêtre soumis ès nécessaires et qui sont dobligation; celui qui se prive volontairement des richesses licites, montre quil ne veut pas de leurs taches illicites. Les Apôtres, pour mieux observer le commandement que Notre-Seigneur leur avait fait de renoncer à tous les biens de la terre, se privèrent volontiers de ce qui leur était non seulement licite, mais nécessaire. Il faudrait être extrêmement ponctuel en lobservance des lois et des Règles qui nous sont données par Notre-Seigneur même, surtout en ce point de suivre en toutes choses la Communauté; et se faut bien garder de dire que nous ne sommes pas tenus dobserver cette Règle ou commandement particulier des Supérieurs, dautant quil est fait pour les faibles, et que nous sommes forts et robustes; ou au contraire, que le commandement est fait pour les forts, et que nous ny sommes pas obligés parce que nous sommes faibles et infirmes. O Dieu ! il ne faut rien moins que cela en une Communauté. Je vous conjure, si vous êtes fortes, que vous vous affaiblissiez pour vous rendre conformes aux infirmes; et si vous êtes faibles, je vous
24. fuit devant
dis : Efforcez-vous pour vous ajuster avec les fortes. Le grand Apôtre saint Paul dit quil sest fait tout à tous pour les gagner tous k. Qui est infirme avec lequel je ne le sois aussi ? Avec les forts, je suis fort. Lequel de mes frères est scandalisé avec lequel je ne le sois l ? Quand je suis avec les infirmes je prends volontiers les commodités nécessaires à leurs infirmités pour leur bailler confiance den faire de même; si je me trouve auprès des malades, lors je me tiens auprès deux tout ainsi comme la nourrice tendre et amoureuse de son enfant malade, duquel elle frotte la tête afin de lendormir. Mais quand je me trouve avec les forts, je suis comme un géant pour leur donner le courage m ; et si je puis apercevoir que mon prochain soit scandalisé de quelque chose que je fais, si bien il mest licite de la faire et quen la faisant je ne fasse nul péché, néanmoins jai un tel zèle de la paix et tranquillité de son coeur, que je mabstiens volontiers et de bon coeur de la faire n. Cest donc lamour quil portait à Dieu qui lincitait à se rendre ainsi conforme à un chacun pour les lui gagner tous. Mais, me direz-vous, maintenant que cest lheure de la récréation, jai un grand désir daller faire loraison pour munir plus immédiatement avec la souveraine Bonté. Mon Dieu, jai un si grand désir daller dire mon chapelet à lhonneur de Notre-Dame ! ne puis-je pas bien penser que la loi qui ordonne de faire la récréation ne moblige
k. I Cor., IX, 22. l. II Cor., XI, 29. m. Galat., II. 11. n. I Cor., VIII, 13.
25. ainsi que, comme
pas, puisque jai lesprit assez jovial de moi-même? Non, il ne faut non plus le penser que le dire; si vous navez pas besoin de vous récréer, il faut néanmoins faire la récréation pour celles qui en ont besoin. Ny a-t-il donc point dexception en Religion? les Règles obligent-elles également? Sans doute. Certes, il y a des lois qui sont justement injustes. Par exemple, le jeûne du Carême est commandé pour un chacun : ne vous semble-t-il pas que cette loi soit injuste, puisquon modère cette injuste justice donnant des permissions et des dispenses à ceux qui ne la peuvent pas observer? De même en Religion : le commandement est également pour tous et nul de soi-même ne sen peut dispenser, mais les Supérieurs modèrent la rigueur selon la nécessité dun chacun. Il se faut bien garder de penser que les infirmes soient plus inutiles en Religion que les forts et robustes, quils fassent moins ou aient moins de mérite, et par conséquent soient moins récompensés de Notre-Seigneur, parce que tous font également la volonté de Dieu. Les mouches à miel nous montrent lexemple de ce que nous disons, car les unes sont employées à la garde de la ruche et à la nettoyer, et les autres sont perpétuellement au travail de la cueillette; celles qui demeurent dedans la ruche ne mangent pas moins de miel que celles qui ont la peine de laller picorant sur les fleurs, et cela avec beaucoup de raison, parce que celles qui demeurent dedans et presque sans rien faire empêchent que les araignes 26
26. araignées
ne viennent embarrasser les rayons de celles qui vont à la cueillette. Ne vous semble-t-il pas aussi que David o fit une loi injuste lorsquil commanda que les soldats qui garderaient les hardes eussent également part au butin de ceux qui iraient à la bataille et en reviendraient tout chargés de coups? Non certes, elle nétait point injuste, dautant que ceux qui gardaient les hardes les gardaient pour ceux qui combattaient, et ceux qui étaient à la bataille combattaient pour ceux qui gardaient les hardes: ainsi ils méritaient tous une même récompense, puisquils obéissaient tous également à la volonté du Roi. Ce nest pas loeuvre qui nous fait mériter, ains lamour et la charité avec laquelle nous la faisons. Disons encore ce mot sur le sujet de la Présentation de Notre-Seigneur au Temple et de la Purification de sa très sainte Mère. Regardez, je vous prie, comme ce très saint et glorieux Enfant se laisse porter, tout simplement mais amoureusement, entre les bras du bienheureux saint Siméon: car il ne pleure point ni ne témoigne nulle répugnance dêtre tiré des 27 bras de sa très chère Mère, bras esquels il ressentait tant de suavités quil ne se peut dire. Quelle suavité, je vous prie, lorsque la très Sainte Vierge distillait dans la sacrée bouche de son Enfançon 28 les gouttes de son très pur et céleste lait, faisant quant et quant de sa bouche des soupirs enflammés quelle lançait dans le coeur du Sauveur, lequel, en échange, ouvrait
o. I Reg., XXX, 23-25.
27. oté dentre les 28. petit enfant
ses petits yeux pour la regarder; et par le moyen de ces regards, le coeur de la très glorieuse Vierge demeurait presque pâmé des flammes de son amour. Que personne donc ne sexcuse plus daller à la sainte Communion sur son indignité : O mon Dieu, comment oserai-je aller recevoir Notre-Seigneur si souvent comme les autres, vu que je suis si misérable ? O Dieu, je noserais mapprocher de Dieu par le moyen de loraison ! Hé, quelle tromperie! ne voyez-vous pas que Notre-Seigneur va tout simplement entre les bras de saint Siméon, et quitte sa très chère Mère qui était toute pure et sans macule 29?
29. tache
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