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RECUEIL DES QUESTIONSQUI ONT ÉTÉ FAITES A NOTRE BIENHEUREUX PÈRE EN NOTRE MONASTÈRE DE LYON 1
La première fois qu'il arriva, il nous entretint environ une heure et demie de la tranquillité d'esprit, avec ressentiment 2 de dévotion, et nous dit plusieurs fois qu'il ne fallait jamais se mettre en peine de rien, ni perdre la paix du coeur pour chose qui nous pût arriver; que pour lui, il choisirait plutôt d'être logé au coin d'une chambre, avec repos, que d'être dans 3 la Cour parmi le tracas des honneurs et richesses; et pour cela il témoigna de désirer d'être logé dans la chambre de monsieur Brun, notre confesseur. Nous lui dîmes plusieurs fois qu'il en recevrait beaucoup d'incommodités; il dit toujours que non, et qu'il serait mieux qu'il ne méritait, et de plus, qu'il serait proche de ses chères Filles. Et comme nous persistions à lui dire qu'il en serait incommodé, il nous dit: « Je suis trop bien, ne vous mettez pas en peine, conservez la paix du coeur. » Et nous dit avec une façon si pleine d'humilité et
1. Ce Recueil est composé de divers entretiens, faits, soit à la Communauté en général, soit en particulier à la Supérieure ou à quelque autre Religieuse. C'est ce qui explique que les questions soient formulées tantôt au singulier, tantôt au pluriel, et que les réponses du Saint s'adressent tour à tour ou à une seule personne ou à plu- sieurs. 2. sentiment - 3. à
de douceur: « Je vois bien que vous avez envie de vous défaire de moi ; mais, je vous prie, permettez que je loge là, et ne vous mettez nullement en peine que je ne sois pas bien; car en vérité, je couche à Nessy dans une chambre qui est dix fois plus froide que celle-là. » Et comme il continuait toujours à nous parler de la tranquillité desprit, nous lui dîmes : « Monseigneur, nous vous supplions très humblement de nous en faire un Entretien, et comme il se faut comporter en la déposition des Supérieures. » « Je le veux bien, » dit-il, « mais il faut attendre que notre Mère y soit. » Il sétendit fort à parler du dénûment quil faut avoir en ces changements-là : « Bien des larmes, » dit-il, « qui se jettent en ce temps-là, ne proviennent que damour-propre, de flatterie et de la crainte que lon a quon ne pense que lon nest pas de bon naturel et que lon naime pas assez; et tout cela ne sont que des petites dissimulations, où il y peut avoir du mensonge aussi bien quen nos paroles. Les filles sont grandement sujettes à telles imperfections, surtout quand elles reconnaissent que les Supérieures sont tendres et quelles prennent plaisir quon leur témoigne ces petites affections. De mille larmes que lon jette en ces occasions-là, il y en a bien peu de véritables, et cela se fait fort souvent par imitation ; enfin cela sent la fille. Il est très vrai que ces pleurs et larmes sont fort suspectes. Il faut avoir un amour solide qui ne dépende point de ces tendretés ; le vrai amour aime autant loin que 4 près et ne
4. de loin que de
sattache pas à ce qui est dhumain; enfin la grâce ne produit point tout cela. Que les filles regardent leurs Supérieures, tandis quelles les ont, comme tenant la place de Dieu, sans samuser à tant dinclinations humaines qui ne sont rien moins que la vraie vertu. Si bien il est dit que sainte Thérèse pleurait beaucoup à la mort de quelque serviteur de Dieu, elle ne doit pas être imitée en cela, car il faut seulement imiter les vertus des Saints. » Nous lui demandâmes sil navait point quelque prétention 5 afin que lesprit de douceur et de simplicité qui se pratique parmi nous y fût conservé et quil y eût quelque liaison entre nos Maisons; que plusieurs personnes avaient pensé quune Générale servirait grandement à cela. Il répondit avec une fermeté desprit extraordinaire: « Ma fille, cette pensée ne fut jamais quhumaine; jai passé deux jours et deux nuits à y penser, parce que notre Mère mavait écrit quon lui en avait parlé, mais je ne vois aucune apparence à cela. » Et nous lui dîmes : « Quelle est donc votre intention, Monseigneur? » « Cest quon laisse tout à la Providence divine. » Il nous a dit cette parole plusieurs fois, et nous a fait connaître apertement 6 quil navait autre dessein. Nous savons quil a traité de cette affaire avec les Révérends Pères Jésuites, qui ont été de même sentiment; de quoi il témoigna dêtre fort aise, disant que les affaires de Dieu se font toujours avec difficulté. Il nous dit encore ensuite : s Le
5. but où tendent les désirs de quelquun 6. ouvertement
bonheur dun Ordre ne dépend nullement dun chef, cela se voit tous les jours par expérience; et ceux qui en ont eu, et de si excellents, nont pas délaissé 7 de se relâcher. Tout dépend de la fidélité que lon a de sunir à Dieu par la fidélité à lobservance des Règles et Constitutions ; et on a beau rechercher 8 des moyens, rien ne maintiendra la compagnie que la fidélité dune chacune 9 à garder ses Règles. » Et il dit encore quil navait rien à désirer, sinon que Dieu donnât à nos Monastères lesprit dunion et dhumilité. Celui dunion se doit conserver par la parfaite observance, afin quelle persévère selon le bon plaisir de Dieu. Nous lui demandâmes comme il se fallait comporter pour les affaires temporelles, vu que tout le monde nous portait à nous y affectionner et attacher; et que si nous voulions nous en déprendre, tous nous contrariaient en cela, et que lon me mettait au-devant 10 les monastères bien bâtis et rentés, que le nôtre ne létait pas : « Il est vrai, ma fille, que le monde craint la pauvreté, mais que faire à cela ? Il faut témoigner simplement que nous ne voulons point nous y attacher, ni perdre la tranquillité de lesprit pour les biens de ce monde. » A ce propos on lui dit que le logis de notre Prince Cardinal avait été brûlé et quil avait perdu six mille écus de vaisselle dargent; et je lui dis que cétait grand dommage, que cela nous ferait grand bien 11 pour bâtir notre église. Il me témoigna den être fâché, et me dit : « Mon Dieu, ma fille, nayez point ces désirs
7. laissé 8. chercher 9. chacune 10. devant moi 11. nous rendrait bien service
il y a peu de personnes qui sachent trouver la veine de la vraie pauvreté, laquelle consiste à ne rien désirer, mais se contenter de ce peu que Dieu veut que nous ayons. Que nos Soeurs seraient bien heureuses si elles étaient pauvres et avaient besoin de quelque chose ! » « Le soin des Supérieures, leur dévotion et leur esprit doit suppléer à tout ce qui nest pas écrit. Lexclusion des malades est tout à fait contre mon esprit et sentiment: qui laissera gouverner la prudence humaine et naturelle gâtera la charité. » Il dit encore : « Si lon venait un jour à faire difficulté de recevoir les infirmes en nos Maisons, je 12 retournerais et ferais tant de bruit par vos dortoirs, que je ferais savoir que lon fait 13 contre mon intention. » Nous lui dîmes si cétait son intention que les filles demandassent à leurs parents, quand ils sont riches et que les Maisons étaient incommodées 14 . Il nous dit que non, et quil aimait mieux que la Maison fût incommodée et eût besoin de quelque chose, que de permettre aux filles ces affections qui ne nourrissent que trop leur amour-propre; non pas même pour la sacristie, quoiquelle fût pauvre. Que sils donnaient, il fallait recevoir humblement, et ne rien demander, non pas même désirer, si ce nest en quelque occasion rare et particulière; il est toujours mieux de se tenir en la pauvreté. Nous lui dîmes si une Supérieure pourrait donner à une sienne parente qui serait à Sainte Claire, qui lui demanderait laumône. Il dit que oui,
12. jy 13. agit 14. dans la gêne
tout de même quelle le permettrait à une Soeur. Et je lui dis que javais souvent du scrupule et remords de conscience de ce que je nétais pas assez ferme pour les choses temporelles, craignant que les parents ne donnassent pas assez à leurs filles par ma faute et que la Maison ne fût pauvre. Il me dit: « Ne vous mettez pas en peine pour cela. Il se faut priver des biens, non pas par dédain ni mépris, mais par abnégation. » Il me dit après : « Notre Mère désire que jécrive sur les maximes du Fils de Dieu ; je les honore, je les révère et les respecte de tout mon coeur, mais je ne les pratique pas. Le Fils de Dieu a dit : Ne plaidez point; si je ne le fais, tout le monde est contre moi. Le Fils de Dieu a dit : Si on vous demande votre manteau, donnez encore votre robe a; si je le veux faire, on me dit que jai grand tort, que je ne me laisserai rien, que je suis déjà assez pauvre. Le Fils de Dieu n dit: Si on vous donne un soufflet, tendez lautre joue b; le monde ne veut point cela, ni ne veut supporter la moindre injure. Le Fils de Dieu a dit: Soyez débonnaires c; et lon veut que je me fâche; si je ne le fais, on lattribue à bêtise. » Nous lui demandâmes si cétait son intention quen toutes nos Maisons on donnât laumône. Il dit que oui, « selon les maximes du Fils de Dieu. » Mais si lon nest pas assuré si ceux à qui on la fait sont de vrais pauvres ? Il est toujours bon toutefois de donner laumône. Lui parlant sil trouvait bon quen nos Maisons
a. Matt., V, 40; Luc., VI, 29. b. Matt., V, 39; Luc., VI, 29. c. Matt., V, 4.
on nourrît les confesseurs, il répondit: « Pour moi, si jétais confesseur de Sainte-Marie, ce que je ne mérite pas (il est vrai que je ne le mérite pas ; ce bien serait le plus grand bonheur pour moi que je puisse jamais espérer, que de me voir confesseur de la Visitation et déchargé de toute autre chose), mais si cela était, jaimerais mieux me nourrir comme je pourrais, que de donner lincommodité aux Religieuses de mapprêter mes repas, et leur donner connaissance de mes imperfections quand je serais ennuyé, dégoûté et un peu difficile aux viandes. Et quont à faire les servantes de Dieu dêtre importunées de mes infirmités ? Nest-il pas mieux cent fois quelles demeurent en leur quiétude et repos, que dêtre employées dans le tracas ? Voyez-vous, ma fille, il est grandement important de ne point donner cette ouverture aux confesseurs. Je ne voudrais pas pourtant que vous commençassiez par celui que vous avez maintenant ; il est si bon et facile, quà mon avis il ny n point de difficulté avec lui. Puisque vous avez commencé à le nourrir, continuez, mais prenez garde pour les autres. Jaimerais mieux quon crût 15 leur pension. « Il est vrai, ma fille, que je ne trouve jamais à redire aux viandes, tant que je puis, sinon quelquefois quelles sont trop bonnes : ne faut-il pas faire ainsi, ma fille? Vous craignez quil ne fasse mal au coeur de nos Soeurs de manger des entrées de table faites des restes ; il me fait mal à moi den entendre parler, mais den manger, jamais.
15. augmentât
« La pauvreté et la simplicité vous sont grandement recommandées ; néanmoins, vous dites quil y a des Soeurs qui, sur ce que je dis aux Constitutions, que la Congrégation a un intérêt nonpareil que la charge de la sacristie soit passionnément bien exercée, entendent quil faille avoir des grandes sollicitudes afin que rien ny manque et quil y ait quantité de belles besognes. O Dieu, est-il possible quon prenne si mal les choses, et quon suive si fort ses inclinations Nont-elles point remarqué, en tant dendroits des Constitutions, la tranquillité qui leur est tant recommandée, laquelle ne se doit jamais perdre pour chose que ce soit ? Jai remarqué ces affections à nos Soeurs dAnnecy; quand elles ont des charges, elles ne voudraient pas que rien leur manquât, et quand elles ne les ont plus, elles ne sen soucient pas. Il y a deux choses à corriger en votre sacristie, car ceci 16 étant la seconde Maison, je désire que tout y aille bien comme en la nôtre dAnnecy. La première, cest que votre cingule est trop beau, il nest pas assez simple; il suffit quil y ait deux rubans avec le grand cordon, les autres sont superflus. Votre aube est trop passementée; il ne faut point de passementerie dessus ni dessous les manches ; suffit que ce soit aux coutures, et encore, quelle soit bien petite. Ce que je dis aux Constitutions de ne point mettre de poupées sur lautel, est parce que pour lordinaire elles sont mal faites et cest une grande perte de temps, et que les filles naturellement se plaisent à cela ; mais pour des anges et
16. celle-ci
chérubins vous en pouvez mettre sans scrupule. » Nous lui dîmes un jour que nous craignions quil y eût bien du danger quand des Supérieures nauraient pas lesprit de la Règle. « Que feriez-vous là ? si elles sont fidèles à les observer, Dieu le leur donnera avec le temps. » Il nous dit quil s serait toujours mieux de faire élection dune fille qui serait dune grande vertu, quoi quelle fût jeune. Dieu aide aux 17 âmes qui vont en simplicité et confiance. s Il dit encore quil lui fâchait grandement quand on faisait élection dune Supérieure qui navait pas la vertu et capacité requise pour sa charge. « Il y a peu de Supérieures qui se mêlent des affaires temporelles. Il nest nullement nécessaire pour leur charge ; il leur faut donner une bonne Econome pour les soulager. » Nous lui dîmes : « Monseigneur, il me semble quayant confiance en Dieu, il ne manque pas de donner la lumière pour les charges, et que la charité est toute chose. » Il répondit : « Il est vrai, vous avez raison; quand les Supérieures se tiennent bien unies avec Dieu, il ne manque pas de les enseigner. » Parlant des Supérieures qui demeurent trop longtemps au parloir, il dit: « Je ne lapprouve nullement; mais que faire à cela ? » Parlant de la déposition dune Supérieure de laquelle les Soeurs avaient été grandement touchées, et ne pouvaient saccoutumer de 18 lappeler ma Soeur, ains toujours Mère, il répondit dune face tout à fait aimable: « Quelles lappellent ma grandMère, si elles veulent, je ne saurais
17. les 18. à quy faire ; mais cependant je vois que ces filles nhonorent ni nobservent leurs Règles et Constitutions. » Nous lui dîmes: « Monseigneur, quand vous aurez fait lEntretien comme il se faut comporter ès dépositions et élections des Supérieures, nous ferons des merveilles à le bien pratiquer. » Il répondit : « Nos paroles ne font pas des miracles il faut sadonner à la pratique que les Constitutions nous enseignent : elles disent prou comme il faut faire, mais les filles ont tant de petites volontés quelles aiment mieux suivre quobéir ! Et que faire là ? Il faut laisser pleurer les filles et témoigner les affections quelles ont, car elles penseraient quon croirait quelles nont point damour si elles ne témoignaient tout cela, qui nest que faiblesse de filles. « Il ne faut rien dire ni faire pour être aimés ni estimés des créatures, ni pour être méprisés, et faut croire que si les créatures ne nous aiment pas ici-bas, elles nous aimeront au Ciel où nous nous verrons tous. Et puis, de quoi nous mettons-nous tant en peine dêtre aimés des créatures, pourvu que lon le soit du Créateur? Comme cela nous est très assuré, cela nous doit suffire. Quand on vous demande si vous direz toujours le petit Office, dites que oui, parce que vous espérez den obtenir la permission du Pape, et que vous lavez déjà pour dix ou douze ans; et cest mon intention et mon désir que vous le disiez toujours ; mais si on me contrariait, je laisserais faire. » On lui demanda sil se fallait confesser des imperfections, sil était mal de le faire. Il dit quil apprenait en la théologie quil ne le fallait pas faire, mais que nous le pouvons sans quil y eût de mal; que la méthode quon nous avait donnée nous le permet parce que nous ne savons pas discerner quand il y n du péché, cest pourquoi nous donnons une généralité 19 Mais que pour les confessions ordinaires il nen faut pas beaucoup dire; le plus, deux ou trois. « Cela est bon den dire ès confessions extraordinaires et annuelles; et quand nous navons rien à dire pour nous confesser, il faut dire un péché du monde 20 .» « Nous pouvons bien nous confesser quand nous avons du sentiment 21 de quelque chose et quand nous avons fait quelque action en suite, quoique légère, comme de dire quelque parole, car il y peut avoir du péché. Il ne se faut pas mettre en peine de cela, car nous navons pas une perfection qui soit exempte damour-propre qui ne nous fasse faire au moins quelque faute par ci par là; il ne sen faut nullement étonner. Lon sen peut accuser ainsi : Je maccuse davoir fait quelque action par le mouvement du sentiment que javais à quelque chose que lon faisait contre mon inclination, ou par impatience. Mais quand nous ne faisons rien par ce mouvement, il ny a point de mal, mais du mérite.» Et quant à lacte de contrition, il dit que pour le bien faire il faut avoir un regret du mal passé et une résolution de ne le plus commettre, et le détester de tout son coeur. « Il ne faut pas avoir
19. nous nous expliquons dune manière générale 20. commis étant dans le monde 21. mouvement dimpatience , humeur
un sentiment qui nous fasse jeter des larmes, mais un déplaisir davoir offensé Dieu. Ce nest pas chose contraire à la bonne volonté de retourner toujours aux mêmes fautes, pourvu que ce ne soit pas volontairement. Le bon acte de contrition consiste à avoir une ferme résolution de ne vouloir plus offenser Dieu. » « Pour les paroles inutiles, à la récréation il ne sen dit pas; tout ce qui se dit par récréation nest pas inutile. Il se faut bien récréer, et ne pas toujours tenir lesprit bandé, car il serait dangereux 22 de devenir triste et mélancolique. Il ny aurait point de mal quand bien 23 on aurait passé toute une récréation à parler de choses indifférentes, les paroles nen seraient pas inutiles ; il ne faut pas toujours parler de choses bonnes. Les propos saintement joyeux sont quand il ny n point de mal en ce que lon dit, et qui ne regarde point limperfection dautrui, car cela il ne le faut pas faire, ni parler du monde et de choses messéantes. De se rire un peu dune Soeur, de dire quelque parole qui la mortifie un peu, il ny a point de mal, pourvu que cela ne lattriste pas, car il ne le faudrait pas faire; mais si cela arrivait, il ne sen faut pas confesser, quand on laurait fait par simple récréation. Quand nous tendons à la perfection, il faut tendre au blanc, et ne se pas mettre en peine quand nous ne rencontrons pas 24 . Il faut aller fort simplement, à la franche marguerite, et bien faire la récréation ; que si notre attention était en quelque chose, il len
22. il y aurait du danger, on risquerait 23. quand même 24. nous ne latteignons pas
faudrait ôter, si elle nous empêchait de la faire. «Et quand bien même on naurait pas pensé de la faire pour Dieu, il nen faudrait point recevoir de scrupule, car lintention générale suffit, quoique pourtant au commencement il faut tâcher de la dresser 25, Il la faut bien. faire faire aux Novices, et il est de très grande importance que les filles la fassent bien. « Quand nous avons des pensées de mésestime contre le prochain, il ny a point de mal quand nous ne les rejetons pas faute dattention; suffit 26 que nous les rejetions quand nous nous en apercevons. Et quant à ce que vous me demandez, sil faut laisser de dire ses peines ou quelque chose qui ferait voir du bien en nous, crainte 27 que vous avez de ne le pas savoir dire, et que vous donnez plutôt sujet de vous faire estimer que de vous accuser: ô ma fille, il se faut toujours découvrir naïvement et simplement, tant du bien que du mal, pourvu que vous nayez pas intention de vous faire estimer. Si on le fait, ne vous en mettez pas en peine, non plus 28 que si on vous méprisait, et namusez point votre esprit à tout cela. « Il nest pas mal de revenir quelquefois sur soi-même, pourvu que ce soit pour nous humilier, comme de penser en notre ingratitude, mais il faut toujours se tourner 29 Dieu ; car, comme je dis en quelque lieu, ce nest pas proprement faire oraison que de toujours réfléchir sur soi, puisque loraison est une élévation de notre esprit en Dieu pour sunir à lui. Il faut suivre les discours 30
25. diriger 26. il suffit 27. par la crainte 28. pas plus 29. vers 30. réflexions, raisonnements
quand Notre-Seigneur nous y attire, mais il faut tâcher de nous avancer à la perfection par la voie la plus simple et nêtre pas si fine 31 . Nous ne pouvons pas avoir une continuelle présence de Dieu, cela nappartient quaux Anges; il suffit de nous y tenir tant quil nous sera possible, et délever souvent notre esprit en Dieu; je nentends pas davoir toujours lesprit bandé. Que si ce que nous faisons nous tire hors 32 de notre attention à Dieu, et quil soit nécessaire, il ne sen faut pas mettre en peine. Il suffit de faire toutes vos actions pour Dieu tout simplement; et quand même vous nauriez pas pensé de dresser votre intention avant que de faire et commencer votre action, il suffit de le faire après, et nen recevez aucun scrupule: lintention générale que nous faisons 33 le matin suffit. Quand nous faisons quelque chose pour Dieu, cest être en sa présence; le désir que nous avons de nous tenir en sa présence nous sert dattention à la présence de sa Bonté. Il ne faut point sétonner quand nous ne nous tenons pas en cette sainte présence comme nous désirerions. On est bien heureux davoir cette sainte affection 34 de servir à Dieu 35, et ne faut point faire détat 36 de navoir pas le sentiment que nous désirerions en son service. Et sil vous semble que vous vous amendez de vos imperfections plutôt pour la répugnance que vous avez de ce quon vous reprend, que pour Dieu, ne faites nul état de cela; dressez votre intention, et il ny aura point de mal. Si bien vous faites des
31. subtile 32. retire 33. prenons 34. désir, volonté 35. servir Dieu 36. faire attention, attacher de limportance .
fautes par le mouvement de votre sentiment, ny regardez pas de si près, et vous détournez de toutes ces réflexions; il faut tendre au blanc de la perfection, et ne pas sétonner si nous ne rencontrons pas selon notre désir. Ma chère fille, le désir des choses éternelles doit accoiser 37 votre esprit, sans vous soucier davoir du sentiment; et même lon doit croire quon nest pas digne de lavoir. « Encore quil semble quon aie de la sensualité à manger, il nest pas mal de le faire. Ne recevez point ces scrupules; mangez pour Dieu et vous tenez en repos. Allez tout simplement, sans croire que vous vous servez du prétexte de lobéissance pour vous satisfaire; quand votre volonté ny est pas il ny a nul danger, cest trop subtiliser. « Il ne me fâche pas que lon dorme à loraison, pourvu que lon fasse ce que lon peut pour se réveiller. Il faut souffrir humblement cela, et demeurer devant Dieu comme une statue, pour recevoir tout ce quil nous enverra ; Notre-Seigneur se plaît quelquefois de nous voir combattre tout le temps de loraison le sommeil, sans nous en vouloir délivrer; il faut souffrir patiemment et en aimer notre abjection. Et ne dites jamais que vous ne pouvez pas faire quelque chose, car nous pouvons toujours quand nous voulons: ce serait dire que Notre-Seigneur eût mis quelque impossibilité, ce qui nest pas. Nous pouvons tout en sa grâce d qui ne nous manque jamais. « Pour nous disposer à la sainte Communion,
d. Cf. Philip., IV, 13. 37. rendre coi, tranquille, tranquilliser
il nous faut bien tenir proches de Notre-Seigneur, et lui dire des paroles selon notre affection, et quil nous suggérera, considérant ou regardant quil se fait chair de notre chair, afin de sunir à nous ; et lui faut dire comme lEpouse au Cantique, quil nous baise dun baiser de sa bouche e ; et il le fait quand il vient dedans nous, et alors lâme peut dire : Mon Bien-Aimé est à moi et je suis toute sienne f. « Nous ne serons jamais exempts de péchés véniels. « Laccusation de nous-même ne nous sert de rien quand nous ne pouvons pas supporter dêtre reprise; et si volontairement nous naimons pas quon voie nos défauts, ce nest quamour-propre. Ce nest rien du sentiment 38 qui nous vient dêtre accusée, pourvu que notre volonté soit ferme à aimer son abjection. Il est toujours mieux de tenir notre âme en confiance en Dieu quen crainte, quoique nous le fassions pour nous humilier. Lamour nous fait assez humilier. « Ma fille, ne vous privez pas de la Communion par amertume de coeur, mais quand vous sentez cela, il sen faut approcher pour se fortifier, et sunir à Dieu par lesprit de douceur. Il y a des défauts pour lesquels on sen doit priver quelquefois, comme une action ou parole dimpatience ou soudaineté qui aurait mal édifié le prochain. « La fidélité de lâme envers Dieu consiste à être parfaitement résignée à sa sainte volonté, à endurer patiemment tout ce que sa Bonté permet
e. Cap. I, 1. f. Cant., II, 16, VI, 2.
38. ressentiment
nous arriver, faire tous nos exercices en lamour et pour lamour, et surtout loraison, en laquelle il se faut entretenir avec Notre-Seigneur fort familièrement de nos petites nécessités, les lui représenter et lui demeurer soumise en tout ce qui lui plaira faire de nous; être bien obéissante, faire tout ce que lon nous commande, de bon coeur, encore que nous y sentions de la répugnance; être fidèle à partir sitôt 39 que la cloche nous appelle et rejeter les distractions qui nous arrivent en loraison et à lOffice ; conserver une grande pureté de coeur, car cest là où Dieu habite, et non pas dans les coeurs pleins de vanité et de présomption deux-mêmes; au contraire, il les châtie et punit rigoureusement. Dieu vous n fait une grande grâce de vous avoir appelée en son service dès votre jeune âge; remerciez-len bien de toutes les forces de votre âme. « Quand nous regardons à escient les imperfections des autres, ô Dieu, ma chère fille, cela est bien mal, il ne le faut pas faire; mais quand quelquefois nous les voyons, il sen faut détourner et penser tout doucement au Paradis et aux perfections de Dieu et de Notre-Seigneur, de Notre-Dame et des Saints et Saintes et des Anges, et quelquefois nous regarder nous-même, notre indignité et notre bassesse ; et quand ces pensées nous viennent, nous nous devons humilier et anéantir jusques au centre de la terre, voyant que nous ne sommes que des petits vermisseaux, et nous voulons éplucher les actions des autres qui sont les épouses de Notre-Seigneur! Nous
39. aussitôt
devons bien faire voir à notre coeur sa faiblesse, nous faisant à nous-même une petite réprimande afin dêtre sur nos gardes à lavenir. O Dieu, ne faites pas cette faute de regarder les imperfections des Soeurs, car cela retarderait beaucoup votre perfection et ferait beaucoup de dommage à votre âme. « Quand on a de la peine de ne pas parler assez à la Supérieure ou à la Maîtresse, je conseille de le dire, et voudrais quon men donnât une bonne pénitence; mais le vrai moyen dempêcher tout cela est de sattacher au Créateur et non pas à la créature. « Pour nous bien préparer pour loraison il faut y aller avec une grande humilité et reconnaissance 40 de notre néant, invoquant lassistance du Saint-Esprit et celle de notre bon Ange, et se tenir bien coi durant ce temps-là, en la présence de Dieu, croyant quil est plus en nous que nous-même; et, bien que notre oraison soit privée de discours et considération, il ny a nul danger, car elle ne dépend point du discours ni de la considération. Loraison est une pure attention de notre esprit en Dieu; tant plus elle est simple et dénuée de sentiment, et plus elle est oraison. Peu de personnes entendent cette vérité, principalement les femmes, auxquelles le discours est grandement nuisible à cause de leur ignorance. « Toutefois je conseille de ramener son esprit par considérations parmi la journée, si lon peut, mais de penser à ses péchés pendant le temps de
40. connaissance, aveu
loraison, il ne le faut pas faire. Quand ces pensées vous arrivent, il faut faire un simple abaissement de votre esprit devant Dieu, de tous vos péchés, sans les particulariser, car ce seul acte suffit; pour lordinaire ces pensées ne nous servent que de distraction. « Vous serez en toutes vos actions en la présence de Dieu si vous les faites toutes pour Dieu. Mangez, dormez, travaillez pour lui, cest être en sa présence. Il nest pas en notre pouvoir de lavoir actuellement, si ce nest par une grâce particulière. Faisant quelques oeuvres où il y faut mettre son attention, il faut de temps en temps remettre son esprit en Dieu ; et quand nous y avons manqué, il sen faut humilier, et de lhumilité aller à Dieu, et de Dieu à lhumilité, avec confiance, lui parlant comme lenfant fait k sa mère, car il sait bien ce que nous sommes. « Ce serait mal faire de parler du monde et de soi toute une récréation ; pour une fois ou deux, un mot ou deux pour divertir une Soeur, il ny a point de mal, il ne sen faut pas confesser. Ayez un grand soin de pratiquer la simplicité et de rabaisser votre esprit; quittez la sagesse et prudence humaine et prenez celle de la Croix. « Ne vous étonnez point des tentations; tenez-vous comme un vrai néant; videz votre coeur de toutes les affections mondaines et y gravez Notre-Seigneur crucifié; rendez-lui grâce de votre vocation et résolvez-vous dobéir, car possible 41 ne commanderez-vous jamais; et ne faites pas comme plusieurs qui disent: Je ne voudrais pas
41. peut-être
être Supérieure, mais tenez-vous toujours en la sainte indifférence: ni rien désirer, ni rien refuser. « Oh! quil est bien raisonnable que nous nous privions des contentements du monde pour Dieu, puisquil se prive de sa gloire pour nous. Vous avez assez la lumière pour voir en quoi consiste le bonheur de votre vocation. Il ne faut jamais dire que nous ne pouvons pas faire quelque chose, mais vous faites bien de dire quil vous semble, car on peut tout en la grâce de Dieu, lequel ne nous laisse pas en nos nécessités. « Pour loraison, il ny a aucun danger de sasseoir pour quelque temps quand la nécessité le requiert, mais il ny faudrait pas demeurer tout le temps de loraison; il ne faut pas avoir tant de tendretés, lesquelles sont dangereuses et nous nuisent bien en la voie de notre salut. Les maladies du corps nempêchent pas la dévotion, au contraire elles nous aident, si nous les prenons de la main de Dieu. Lon peut toujours porter 42 son visage gai parmi les Soeurs; le mal quon sent ne lempêche pas, si ce nest quelquefois que lon a les yeux abattus. « Oh! ma chère fille, gardez-vous de ces réflexions, car il est impossible que lEsprit de Dieu demeure en un esprit qui veut savoir tout ce qui se passe en lui. Bon courage; dune petite fille faible, faites-en une toute généreuse qui surmonte toute difficulté. « Il ne faut pas pleurer inutilement, car si nous devons rendre compte des paroles inutiles g,
g. Cf. Matt., XII, 36.
42. avoir
à plus forte raison des larmes jetées sans sujet. Il se faut aussi garder de dire des paroles inutiles, et quand on y n manqué deux ou trois fois il sen faut confesser. « Quand on fait ses voeux selon les Règles, on les fait en sorte quelles nobligent point à péché; cest pourquoi la Règle ni les Constitutions ne sont point la cause de nos péchés. « Il faut avoir un grand courage, car, ma chère fille, vous êtes fille de Jésus-Christ crucifié, vous ne devez donc avoir prétention en cette vie que celle de lunion de votre âme avec Dieu. Vous êtes bien heureuses vous autres, vos Règles et tous vos exercices vous portent à cette union. « Il faut avoir une grande constance en nos ennuis, car, pendant que nous serons en cette vie nous ne serons pas toujours en même état, cela ne se peut. « La vertu de notre première offrande que nous avons faite en nous sacrifiant à Notre-Seigneur, suffit, encore que nous nayons pas cette attention à lui offrir tout ce que nous faisons. Les sentiments ne sont point nécessaires pour la perfection que nous désirons, car Notre-Seigneur étant au Jardin, délaissé de toute consolation, ne laissa pas pour cela daccomplir la volonté de son Père h. « Quant au bon et vrai gouvernement, il ne dépend point des talents naturels, mais de la grâce surnaturelle, laquelle donne beaucoup plus parfaitement lexpérience qui est nécessaire, que ne fait toute la sagesse et prudence humaine, quoique
h. Matt., XXVI, 37-46.
avec moins déclat, en quoi consiste son excellence. « Il faut prendre les commodités nécessaires à votre corps, comme le chauffer, manger et vêtir, avec actions de grâces et humilité, et non pas avec ennui desprit, et ne désirer point dêtre plainte en vos incommodités. Cela est bon pour des filles faibles; les filles de Dieu ne doivent point samuser à ces tendretés. Les Constitutions vous enseignent ce que vous devez faire: demandez tout simplement, sans scrupule, ce qui vous est nécessaire. « Conservez bien le désir que vous avez dobserver vos Règles, car elles sont toutes damour ressouvenez-vous que vous ne manquerez pas de difficultés, mais ne perdez pas courage, espérez en Dieu et vous jetez entre les bras de sa divine Providence. Il ny a chemin plus assuré que celui de la souffrance, pourvu quon souffre avec amour, douceur et patience, et par là on pourra imiter Notre-Seigneur et tous les Saints. Il faut croire que tout ce que nous souffrons est peu devant Dieu ; il faut penser le moins que nous pouvons à ce que nous souffrons. « Vous vous pouvez bien détourner du sentiment de la délectation qui vous vient en prenant les choses qui vous sont nécessaires; comme qui passerait par une rue et rencontrerait beaucoup de boue, il ne ferait rien autre que prendre un autre chemin: et ainsi devons-nous faire, sans y penser davantage. « Il est vrai quil est bon de couper court à toute sorte de devis 43, si ce nest en ceux qui
43. entretiens
regardent le bien spirituel; si est-ce quil ne faut pas interrompre le père ni la mère quand ils commencent un discours, mais lorsquils lont parachevé 44 il leur faut parler de choses bonnes pour leur consolation, sans toutefois faire la suffisante. Ecoutez-les doucement sans les interrompre, car ce nest pas mon intention, sinon, à des personnes qui apportent beaucoup de nouvelles du monde, desquelles vous ne vous devez pas enquérir. Mettez votre confiance en Dieu, car les parents oublient bientôt leurs enfants. « Lhumilité est une vertu si excellente quil faut être bien saint pour lavoir parfaitement; cest elle qui amène toutes les autres. Or, faire ses actions avec esprit dhumilité, cest les faire avec intention de les faire avec humilité. Ainsi devez-vous faire en toutes vos actions et oeuvres, afin dimiter Notre-Seigneur qui sest humilié jusques à la mort de la croix i. « Nous devons être bien aises davoir quelques choses qui peuvent servir aux autres, comme de prêter les besognes de la sacristie. O mon Dieu, baillez-les de bon coeur; si Dieu permet quelles se gâtent, il vous donnera de quoi pour en acheter dautres. Et puis, cela est si peu de chose, quil ne faut pas y amuser son esprit, mais loccuper à la vie éternelle. s Il est vrai que la charité donne le prix à nos oeuvres, et ny n que Dieu qui la puisse donner; attendez-la plus de lui que de vous-même. « Il est bon que vous naimiez guère à parler
i. Philip., II, 8. 44. achevé
de vous-même; le moins quon le peut faire, soit en bien soit en mal, cest le meilleur. « Larticle de la chasteté consiste principalement à avoir une grande simplicité et pureté de coeur, et navoir point de pensées contraires, je dis volontairement. « Il importe peu que la parole de Dieu soit dite dun style haut 45 ou bas ; ce nest quune recherche humaine, qui ne veut en tout que lexcellence. « Il faut sabandonner entre les bras de Dieu, et le servir à la façon qui lui plaira. Le vrai zèle consiste à se laisser conduire à Dieu et à nos Supérieurs. « Il importe grandement de nourrir 46 les filles aux 47 vérités et clartés de la foi ; encore quelles aient de la peine, il ne faut pas laisser de les élever à cela, et ne leur pas permettre de samuser à ces tendretés et sentiments qui ne sont rien moins que la vraie vertu. Beaucoup parler ne sert de rien, limportance 48 cest quil faut faire. « Votre entrée en Religion est pour lamour de Dieu; soyez indifférente par quelles voies il plaira à sa Bonté vous conduire, soit par la consolation, affliction ou abjection ; vous méritez autant dun côté que de lautre. Ma fille, sainte Blandine, quand les païens la martyrisaient, elle disait : « Je suis chrétienne; » de même, quand nous avons quelques douleurs et ennuis, il faut dire : « Je suis chrétienne. » « La peine que nous avons de souffrir labjection, la crainte dêtre humiliée, sont des imperfections auxquelles nous sommes tous sujets ; il
45. élevé 46. élever 47. dans les 48. limportant
ne faut point sen étonner, mais prendre bon courage et mettre son coeur en Dieu, ne désirant autre chose que de lui plaire. Lhumiliation nest pas si mauvaise que nous pensons, elle ne nous fera pas tant de mal que nous pensons et quil nous semble; ne la craignons pas tant. Voyez Notre-Seigneur qui sest tant humilié, jusques à la mort j, et tous les Saints qui ont recherché avec tant daffection 49 les occasions de pratiquer cette vertu. Soyez bien aise de celles qui se présentent à vous, recevez-les de bon coeur, avec amour; recevez, aimez et embrassez lanéantissement et abjection ; que vos affections soient en Jésus-Christ crucifié. Ne vous étonnez pas de la vanité, combattez-la fidèlement ; pourvu que vous ne fassiez rien ensuite, il ny a point de mal. « Vous désirez savoir comme il sentend quil faut méditer jour et nuit en la loi de Dieu k. Cest de faire toutes nos actions pour sa plus grande gloire, et avoir son coeur attentif à lui; et ne pensez pas pour cela quil faille être toujours à genoux. « Vous demandez comme je fais de voir empresser 50 un chacun, sans me mettre en peine de rien. Je ne suis pas venu au 51 monde pour y apporter du tracas, jy en trouve assez. Je suis si aise, quand on me demande où je suis logé, de dire que cest chez le jardinier de nos Filles de Sainte-Marie. « Il se trouve peu de filles qui ne soient opiniâtres ; quand on fait rencontre dune 52 qui ne
j. Ubi supra, p. 507. k. Ps. I, 2. 49. ardeur 50. sempresser 51. dans le 52. on en rencontre une
lest pas, il la faut tenir bien chère. Et quand les tentations denvie viennent de ce que nos Soeurs font mieux, ou sont plus aimées que nous, il faut tordre son coeur comme une serviette pour le faire venir à la raison. « Non, ma fille, il ne faut point samuser à des petits désirs qui tiendraient votre coeur trop bas 53 et lempêcheraient de sappliquer aux solides vertus. Or, pour le froid, savez-vous quand il le faut souffrir? cest quand la Supérieure vous envoie au jardin cueillir des herbes et que vous fussiez en danger que les mains vous gelassent sur la plante; il ne faudrait pas laisser de le faire, parce que cest lobéissance. « Il faut avoir un grand support de nos Soeurs et les aider et soulager en tout ce que nous pouvons, et ne pas croire quelles aient peu de mal, car ce nest pas à nous à faire ce discernement. « Nous nirons pas au Ciel pour avoir bien chanté, mais si ferons bien pour avoir obéi. Dieu ne nous demandera pas compte si nous avons dit beaucoup dOffices, mais oui bien si nous avons été bien soumis à sa volonté. « Vous mavez dit encore, comme sentend ce que disent les Constitutions : de ne se servir de notre coeur, ni de nos yeux, ni de nos paroles, que pour le service de lEpoux céleste, et non pour le service des humeurs et inclinations humaines ? O ma fille, que vous me parlez dune perfection que bien peu de gens pratiquent, bien quils le doivent tous faire. Voyez-vous, ma fille,
53. ravalé
par exemple, voilà deux de nos Soeurs : lune que vous aimerez bien, et lautre à laquelle vous naurez pas tant dinclination à laimer, et par ce moyen 54 vous ne la regarderez pas de si 55 bon coeur que lautre que vous aimez bien; au contraire, si vous laimiez bien purement pour Dieu, vous regarderiez daussi bon coeur celle que vous naimez pas comme celle que vous aimez bien, et lui souhaiteriez autant de bien quà lautre. « Il est vrai que jaime grandement tout le monde, notamment les âmes simples. Pour ce qui est de lhonneur quil vous semble que je porte à un chacun, la civilité nous apprend cela, et puis jy suis porté naturellement ; je nai jamais su faire comme plusieurs personnes font, auxquelles il semble, quand elles sont élevées en quelque dignité, quelles se doivent faire honorer de tout le monde; et quand elles écrivent elles ne veulent mettre, sinon aux personnes de grand respect, « très humble » et « bien humble. » Et moi je le mets à tout le monde, sinon que jécrive à Pierre ou à François mes laquais, qui penseraient que je me moquerais deux, si je leur mettais « très humble serviteur ». Je ne fais pas grande différence dune personne à une autre. » Lui parlant de la condescendance, comme il faisait pour se rendre si facile à tout le monde, il nous dit: « Je nai pas grand peine à cela, il ne me fâche jamais de le faire, oui bien quand je ne le fais pas; naturellement, je nai pas mes volontés fortes, et puis, ne faut-il pas être ainsi condescendant au prochain? Je ne sais point
54. à cause de cela 55. daussi
contraindre les inclinations; quand je vois quon désire quelque chose, je laisse faire. »
Lui témoignant que je désirais bien fort de prendre son esprit de condescendance à son imitation, je lui dis quil se rencontrait souventes fois que lOffice sonnait et quil fallait aller au parloir, et que même le jour de Noël javais perdu Complies pour une chose légère et de peu dimportance. Il me dit : « Cela cest une vraie condescendance, ma fille, comme à cette heure vous en faites une dêtre avec moi. » Cela cétait le jour de saint Etienne, pendant None, quil nous parla avec suavité de cette sainte vertu. Il nous dit : « Il faut accoutumer les séculiers à venir hors le temps des Offices, tant quil se peut. » Lui parlant des prédications et confessions : « Jaime grandement entendre la parole de Dieu; je nai rien de bon en moi que cela. Je fais plusieurs manquements en la confession, mais pourtant je ny en fais pas deux: je ny suis point curieux 56 et je ne dissimule point. » Il nous témoigna une fois quil désirait que la fondation de Besançon se fit, et il nous dit quil était bien aise que nos Soeurs sétendissent 57 parce quelles vivent avec beaucoup de paix et douceur. Lui disant une fois que nous désirions grandement en cette Maison de prendre son esprit, il nous répondit : « Dieu vous en garde ! prenez celui de Dieu et de saint Augustin. » Après avoir confessé une de nos Soeurs, laquelle
56. scrupuleux, minutieux 57. se propageassent, sétablissent dans plusieurs villes
il avait entretenue environ une heure et demie, nous lui dîmes quil était admirable en sa douceur davoir pris la peine et la patience de lécouter si longtemps, et lors il nous dit: « Tout beau! Tout beau! il faut traiter les malades comme malades. Quand elles rendent compte il est bon de leur retrancher les discours tant quil se peut. » Nous lui demandâmes si cétait lintention des Constitutions de dire à la Supérieure ce que lon pense delle, parce quelles nous envoient à lAide de la Supérieure. Il nous dit que ce quil avait mis dans les Constitutions ce nétait pour autre cause 58 que pour celles qui nont pas la confiance de le dire à elle-même, mais que les plus confidentes 59 sont les meilleures. « Oui, ma fille, vous pouvez recevoir les filles qui ne sont pas légitimes, et encore celles desquelles les parents ont été exécutés pour quelque grand mal, car les filles nen peuvent mais. » Je lui dis que je navais jamais osé en recevoir une en cette ville, à cause quon ne lapprouvait pas. Il nous dit: « Que ne nous lavez-vous envoyée à Nessy ! » « Non, il ne faut jamais permettre à nos Soeurs de quitter les Offices pour les ouvrages, non pas même pour la sacristie; lon peut bien quelquefois leur faire quitter la lecture, mais rarement. Oh! que celles qui ont une grande affection de suivre en tout et partout la Communauté sont heureuses ! Dieu leur n fait une grande grâce. Je vous raconterai ce qui marriva une fois avec un bon Religieux, lequel désirait fort de faire des
58. raison 59. confiantes
pénitences et mortifications au-dessus de la Communauté ; je lui parlai tout au long du bonheur de la suivre en tout, et le priai de se mettre en la pratique, ce quil fit; et à quelque temps de là, il me vint trouver et me remercia de grande affection, et me dit que jétais cause de son bien. » Lui parlant 60 quil y a quelquefois des filles naturellement sobres et qui, pour lordinaire, ne mangent que le tiers de leurs portions, sil fallait leur dire résolument de manger davantage, il nous répondit quil serait mieux de souffrir quelque temps un peu de peine à saccoutumer, parce quil le fallait ainsi à cause quil 61 leur pourrait nuire avec le temps. « Non, il ny a point de péché véniel de manger avec goût, ce sont des imperfections de notre nature. Il faut modérer lavidité, et corriger les paroles âpres; pour moi, je ne suis pas grand censureur 63. Saint Bernard dit quil y a peu de personnes qui se rencontrent semblables à la conduite 63, mais pourtant que celle de la douceur et suavité est la plus utile; quon avait beau faire et regarder de quel côté que lon voudrait, il faut toujours venir là. « Je vois que toutes les Supérieures désirent de voir les filles maussades et fantasques éloignées de leurs monastères: car cest la condition de lesprit humain de ne se délecter quaux choses plaisantes 64. Mais je suis tout à fait davis quon nouvre point la porte au changement de monastère aux filles qui le désireront, ains seulement pour celles qui, sans le désirer, seront pour quelque
60. disant 61. que cela 62. censeur 63. qui se ressemblent dans la direction, dans la manière de gouverner 64. agréables
autre raison légitime envoyées par les Supérieurs; car autrement, le moindre déplaisir qui arriverait à une fille serait capable de linquiéter et -~ lui faire prendre le change, et au lieu de se changer, elle penserait davoir suffisamment remédié à son mal que davoir changé de monastère. Jai aussi presque une même aversion au désir que les Supérieures ont de décharger leur Maison par le moyen des fondations; car tout cela dépend du sens humain et de la peine que chacune a à porter son fardeau. « Ce sera éternellement mon sentiment quon ne laisse jamais de recevoir les filles infirmes en la Congrégation, sinon que ce fussent des infirmités marquées aux Règles et Constitutions. Recevez les infirmes; croyez-moi, la prudence humaine est ennemie de la bonté du Crucifix. Recevez charitablement les boiteuses, les bossues, les borgnes et même les aveugles, pourvu quelles soient droites dintention, car elles ne laisseront pas dêtre belles et parfaites au Ciel. Et si on persévère à faire la charité à celles qui ont ces imperfections corporelles, Dieu en fera venir, contre la prudence humaine, une quantité de belles et agréables, même aux yeux du monde. »
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