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VINGT-DEUXIÈME ENTRETIENDES CINQ DEGRÉS DHUMILITÉ
Le premier degré de lhumilité cest la connaissance de soi-même, cest-à-dire lorsque, par le témoignage de notre propre conscience et par la lumière que Dieu répand dans notre esprit, nous connaissons que nous ne sommes rien que pauvreté, que misère et abjection. Cette humilité ici, si elle ne passe pas plus avant, elle nest pas grande chose, et en effet elle est fort commune; car il se trouve peu de personnes qui vivent avec tant daveuglement quils ne connaissent assez clairement leur vileté, pour peu de considération quils fassent; mais néanmoins, si bien ils sont contraints de se voir pour ce quils sont, ils seraient extrêmement marris si quelque autre les tenait pour tels. Cest pourquoi il ne faut pas sarrêter là, ains passer au second degré, qui est la reconnaissance; car il y a différence entre connaître une chose et la reconnaître. La reconnaissance donc, cest de dire et publier, quand il en est besoin, ce que nous connaissons de nous; mais cela sentend de le dire avec un vrai sentiment de notre néant, car il sen trouve une infinité qui ne font autre chose que shumilier en paroles. Parlez à une femme la plus vaine du monde, à un courtisan de même humeur, dites-leur voir 1 : Mon Dieu, que vous êtes brave 2
1. dites-leur 2. accompli, parfait
que vous avez de mérites! je ne vois rien qui approche de votre perfection. O Jésus, vous répondront-ils, excusez-moi, je ne vaux rien et ne suis que la misère même et imperfection; mais cependant ils sont extrêmement aises de sentendre louer, et encore plus si vous le croyez comme vous le dites. Voilà donc comme ces termes dhumilité ne sont que sur le bout des lèvres et ne partent nullement de lintime du coeur; car si vous les preniez au mot sur leurs fausses humiliations, ils sen offenseraient et voudraient que tout sur-le-champ on leur fît réparation dhonneur. Or, de tels humbles Dieu nous en défende. Le troisième degré est davouer et confesser notre vileté et abjection quand les autres la découvrent : car souventes fois nous disons bien nous-mêmes que nous sommes pervers et misérables, mais nous ne voudrions pas quun autre nous devançât en cette déclaration ; et si on le fait, non seulement nous ny prenons pas plaisir, mais de plus nous nous en piquons, ce qui est une vraie marque que notre humilité nest pas parfaite ni de la fine 3. Il faut donc avouer franchement et dire : Vous avez raison, vous me connaissez extrêmement bien. Et ce degré ici est déjà fort bon. Le quatrième cest daimer le mépris et se réjouir quand on nous déprime et avilit; car, quelle apparence de tromper lesprit dautrui ? il nest pas raisonnable. Puisque nous avouons que nous ne sommes rien, il faut être bien aises
3. plus délicate
que lon le croie, que lon le dise et que lon nous traite comme vils et misérables. Le cinquième, qui est le dernier et le plus parfait de tous les degrés dhumilité, cest non seulement daimer le mépris, mais de le désirer, de le rechercher et sy complaire pour lamour de Dieu: et ceux qui parviennent ici sont bien heureux, mais le nombre en est fort petit. Notre-Seigneur le veuille accroître de vingt-cinq ou trente filles qui lui soient dédiées en cette petite Congrégation. Ainsi soit-il.
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