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LIVRE ONZIÈME : ORIGINE DES DEUX CITÉS.
Ici commence la seconde partie de louvrage, celle qui a pour objet propre dexposer lorigine, le progrès et le terme des deux Cités. Saint Augustin montre en premier lieu la lutte de la Cité céleste et de la Cité terrestre préexistant déjà dans la séparation des bons anges et des mauvais anges, et à cette occasion, il traite de la formation du monde, telle quelle est décrite par les saintes Ecritures au commencement de la Genèse.
LIVRE ONZIÈME : ORIGINE DES DEUX CITÉS.
DE LAUTORITÉ DE LÉCRITURE CANONIQUE, OU VISAGE DE LESPRIT DIVIN.
LE MONDE ET LE TEMPS ONT ÉTÉ CRÉÉS ENSEMBLE.
DE LA NATURE DE CES PREMIERS JOURS QUI ONT EU UN SOIR ET UN MATIN AVANT LA CRÉATION DU SOLEIL.
CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR LE REPOS DE DIEU APRÈS LOEUVRE DES SIX JOURS.
CE QUE LON DOIT PENSER DE LA CRÉATION DES ANGES, DAPRÈS LES TÉMOIGNAGES DE LÉCRITURE SAINTE.
CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR CES PAROLES DE LÉCRITURE : « DIEU SÉPARA LA LUMIÈRE DES TÉNÈBRES ».
EXPLICATION DE CE PASSAGE : « ET DIEU VIT QUE LA LUMIÈRE ÉTAIT BONNE ».
DE LERREUR REPROCHÉE A LA DOCTRINE DORIGÈNE.
DE LA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE EN TROIS PARTIES.
DE LA PERFECTION DU NOMBRE SENAIRE, QUI, LE PREMIER DE TOUS LES NOMBRES, SE COMPOSE DE SES PARTIES.
DU SEPTIÈME JOUR, QUI EST CELUI OU DIEU SE REPOSE APRÈS LACCOMPLISSEMENT DE SES OUVRAGES.
DE CEUX QUI CROIENT QUE LA CRÉATION DES ANGES A PRÉCÉDÉ CELLE DU MONDE.
CHAPITRE PREMIER.OBJET DE CETTE PARTIE DE NOTRE OUVRAGE OU NOUS COMMENÇONS DEXPOSER LORIGINE ET LA FIN DES DEUX CITÉS.
Nous appelons Cité de Dieu celle à qui rend témoignage cette Ecriture dont lautorité divine sest assujétie toutes sortes desprits, non par le caprice des volontés humaines, mais par la disposition souveraine de la providence de Dieu. « On a dit de toi des choses glorieuses, Ô Cité de Dieu1! » Et dans un autre psaume: « Le Seigneur est grand et digne des plus hautes louanges dans la Cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte, doù il accroît les allégresses de toute la terre 2 ». Et un peu après: « Ce que nous avions entendu, nous lavons vu dans la Cité du Seigneur des armées, dans la Cité de notre Dieu; Dieu la fondée pour léternité 3 ». Et encore dans un autre psaume: « Un torrent de joie inonde la Cité de Dieu; le Très-Haut a sanctifié son tabernacle; Dieu est au milieu delle, elle ne sera point ébranlée4 ». Ces témoignages, et dautres semblables quil serait trop long de rapporter, nous apprennent quil existe une Cité de Dieu dont nous désirons être citoyens par lamour que son fondateur nous a inspiré. Les citoyens de la Cité de la terre préfèrent leurs divinités à ce fondateur de la Cité sainte, faute de savoir quil est le Dieu des dieux, non des faux dieux, cest-à-dire des dieux impies et superbes, qui, privés de la lumière immuable et commune à tous, et réduits à une puissance stérile , sattachent avec fureur à leurs misérables priviléges pour obtenir des honneurs divins de ceux quils ont trompés et assujétis, mais des dieux saints et pieux qui aiment mieux rester soumis à un seul que de se soumettre aux autres et adorer Dieu que dêtre adorés en sa place. Jai répondu aux ennemis de cette sainte Cité dans les livres
1. Ps. LXXXV, 3.- 2. Ibid. XLVII .- 3. Ibid. 9.- 4. Ibid.- XLV, 5, 6.
précédents, selon les forces que ma données le Seigneur; je dois maintenant, avec son secours, exposer, ainsi que je lai promis, la naissance, le progrès et la fin des deux Cités, de celle de la terre et de celle du ciel, toujours mêlées ici-bas. Voyons dabord comment elles ont préexisté dans la diversité des anges.
CHAPITRE II.PERSONNE NE PEUT ARRIVER A LA CONNAISSANCE DE DIEU QUE PAR JÉSUS-CHRIST HOMME, MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES.
Cest chose difficile et fort rare, après avoir considéré toutes les créatures corporelles et incorporelles, et reconnu leur instabilité, de sélever au-dessus delles pour contempler la substance immuable de Dieu et apprendre de lui-même que nul autre que lui na créé tous les êtres qui diffèrent de lui. Car pour cela Dieu ne parle pas à lhomme par le moyen de quelque créature corporelle, comme une voix qui. se fait entendre aux oreilles en frappant lair interposé entre celui qui parle et celui qui écoute, ni par quelque image spirituelle, telle que celles qui se présentent à nous dans nos songes et qui ont beaucoup de ressemblance avec les corps, mais il parle par la vérité même, dont lesprit seul peut entendre ce langage. Il sadresse à ce que lhomme a de plus excellent et en quoi il ne reconnaît que Dieu qui lui soit supérieur. Lhomme, en effet, ainsi que lenseigne la saine raison, ou à défaut delle, la foi, ayant été créé à limage de Dieu, il est hors de doute quil approche dautant plus de Dieu quil sélève davantage au-dessus des bêtes par cette partie de lui. même supérieure à celles qui sont communes à la bête et à lhomme. Mais comme ce même esprit, naturellement doué de raison et dintelligence, se trouve incapable, au milieu des vices invétérés qui loffusquent, non- seulement de jouir de cette lumière immuable, mais même den soutenir léclat, jusquà ce (224) que sa lente et successive guérison le renouvelle et le rende capable dune si grande félicite, ii fallait quau préalable il fût pénétré et purifié par la foi. Et afin que par elle il marchât dun pas plus ferme vers la vérité, la Vérité même, cest-à-dire Dieu, Fils de Dieu, fait homme sans cesser dêtre Dieu, a fondé et établi cette foi qui ouvre à lhomme la voie du Dieu de lhomme par lhomme-Dieu; car cest Jésus-Christ homme qui est médiateur entre Dieu et les hommes, et cest comme homme quil est notre médiateur aussi bien que notre voie. En effet, quand il y a une voie entre celui qui marche et le lieu où il veut aller, il peut espérer daboutir; mais quand il ny en a point ou quand il lignore, à quoi lui sert de savoir où il faut aller? Or, pour que lhomme ait une voie assurée vers le salut, il faut que le même principe soit Dieu et homme tout ensemble; on va à lui comme Dieu, et comme homme, on va par lui.
CHAPITRE III.DE LAUTORITÉ DE LÉCRITURE CANONIQUE, OU VISAGE DE LESPRIT DIVIN.
Ce Dieu, après avoir parlé autant quil la jugé à propos, dabord par les Prophètes, ensuite par lui-même et en dernier lieu par les Apôtres, a fondé en outre 1Ecriture, dite canonique, laquelle a une autorité si haute et simpose à notre foi pour toutes les choses quil ne nous est pas bon dignorer et que nous sommes incapables de savoir par nous-mêmes. Aussi bien, sil nous est donné de connaître directement les objets qui tombent sous nos sens, il nen est pas de même pour ceux qui sont placés au-delà de leur portée, et alors il nous faut bien recourir à dautres moyens dinformation et nous en rapporter aux témoins. Hé bien! ce que nous faisons pour les objets des semis, nous devons aussi le faire pour les objets de lintelligence ou du sens intellectuel. Et par conséquent, nous ne saurions nous empêcher dajouter foi, pour les choses invisibles qui ne tombent point sous les sens extérieurs, aux saints qui les ont vues ou aux anges qui les voient sans cesse dans la lumière immuable et incorporelle.
CHAPITRE IV.LE MONDE NA PAS ÉTÉ CRÉÉ DE TOUTE ÉTERNITÉ , SANS QUON PUISSE DIRE QUEN LE CRÉANT DIEU AIT FAIT SUCCÉDER UNE VOLONTÉ NOUVELLE A UNE AUTRE VOLONTÉ ANTÉRIEURE.
Le monde est le plus grand de tous les êtres visibles, comme le plus grand de tous les invisibles est Dieu; mais nous voyons le monde et nous croyons que Dieu est. Or, que Dieu ait créé le monde, nous nen pouvons croire personne plus sûrement que Dieu même, qui dit dans les Ecritures saintes par la bouche du Prophète : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre 1 ». Il est incontestable que le Prophète nassistait pas à cette création mais la sagesse de Dieu, par qui toutes choses ont été faites 2, était présente ; et cest elle qui pénètre les âmes des saints, les fait amis et prophètes de Dieu3, et leur raconte ses oeuvres intérieurement et sans bruit. Ils conversent aussi avec les anges de Dieu, qui voient toujours la face du Père et qui annoncent sa volonté à ceux qui leur sont désignés. Du nombre de ces prophètes était celui qui a écrit : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre » , et nous devons dautant plus len croire que le même Esprit qui lui a révélé cela lui a fait prédire aussi, tant de siècles à lavance, que nous y ajouterions foi. Mais pourquoi à-t-il plu au Dieu éternel de faire alors le ciel et la terre que jusqualors il navait pas faits 4 ? Si ceux qui élèvent cette objection veulent prétendre que le monde est éternel et sans commencement, et quainsi Dieu ne la point créé, ils sabusent étrangement et tombent dans une erreur mortelle. Sans parler des témoignages des Prophètes, le monde même proclame en silence, par ses révolutions si régulières et par la beauté de toutes les choses visibles, quil a été créé , et quil na pu lêtre que par un Dieu dont la grandeur et la beauté sont invisibles et ineffables. Quant à ceux 5 qui, tout en avouant quil est louvrage de Dieu, ne veulent pas lui reconnaître un commencement de durée, mais un simple commencement de création, ce qui se terminerait à dire dune
1. Gen. I, 1. 2. Sag. VII, 27. 3. Matt. XVIII, 10. 4. Cette objection était familière aux Epicuriens, comme nous lapprend Cicéron (De nat. Deor., lib. I, cap. 9); reprise par les Manichéens, elle a été combattue plusieurs fois par saint Augustin. Voyez De Gen. contra Man., lib. I, n. 3. 5. Saint Augustin sadresse ici, non plus aux Epicuriens, ou aux Manichéens, mais aux néo-platoniciens dAlexandrie.
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façon presque inintelligible que le monde a toujours été fait, ils semblent, il est vrai, mettre par là Dieu à couvert dune témérité fortuite, et empêcher quon ne croie quil ne lui soit venu tout dun coup quelque chose en lesprit quil navait pas auparavant, cest-à-dire une volonté nouvelle de créer le monde, à lui qui est incapable de tout changement ; mais je ne vois pas comment cette opinion peut subsister à dautres égards et surtout à légard de lâme. Soutiendront-ils quelle est coéternelle à Dieu? mais comment expliquer alors doù lui est survenue une nouvelle misère quelle navait point eue pendant toute léternité ? En effet, sils disent quelle a toujours été dans une vicissitude de félicité et de misère, il faut nécessairement quils disent quelle sera toujours dans cet état; doù sensuivra cette absurdité quelle est heureuse sans lêtre, puisquelle prévoit sa misère et sa difformité à venir. Et si elle ne la prévoit pas, si elle croit devoir être toujours heureuse, elle nest donc heureuse que parce quelle se trompe, ce que lon ne peut avancer sans extravagance. Sils disent que dans linfinité des siècles passés elle a parcouru une continuelle alternative de félicité et de misère, mais quimmédiatement après sa délivrance elle ne sera plus sujette à cette vicissitude, il faut donc toujours quils tombent daccord quelle na jamais été vraiment heureuse, quelle commencera à lêtre dans la suite, et quainsi il lui surviendra quelque chose de nouveau et une chose extrêmement importante qui ne lui était jamais arrivée dans toute léternité. Nier que la cause de cette nouveauté nait toujours été dans les desseins éternels de Dieu, cest nier que Dieu soit lauteur de sa béatitude : sentiment qui serait dune horrible impiété. Sils prétendent dun autre côté que Dieu a voulu, par un nouveau dessein, que lâme soit désormais éternellement bienheureuse, comment le défendront-ils de cette mutabilité dont ils avouent eux-mêmes quil est exempt? Enfin, sils confessent quelle a été créée dans le temps, mais quelle subsistera éternellement, comme les nombres qui ont un commencement et point de fin 1, et quainsi, après avoir éprouvé la misère, elle
1. Les nombres, dit fort bien un savant commentateur de la Cité de Dieu, L. Vivès, les nombres ont un commencement, savoir lunité; ils nont point de fin, en ce sens que la suite des nombres est indéfinie, nul nombre, si grand quil soit, nétant le plus grand possible.
ny retombera plus, lorsquelle sera une fois délivrée, ils avoueront sans doute aussi que cela se fait sans quil arrive aucun changement dans les desseins immuables de Dieu. Quils croient donc de même que le monde a pu être créé dans le temps, sans que Dieu en le créant ait changé de dessein et de volonté.
CHAPITRE V.IL NE FAUT PAS PLUS SE FIGURER DES TEMPS INFINIS AVANT LE MONDE QUE DES LIEUX INFINIS AU-DELA DU MONDE.
Dailleurs, que ceux qui, admettant avec nous un Dieu créateur, ne laissent pas de nous faire des difficultés sur le moment où a commencé la création, voient comment ils nous satisferont eux-mêmes touchant le lieu où le monde a été créé. De même quils veulent que nous leur disions pourquoi il a été créé à un certain moment plutôt quauparavant, nous pouvons leur demander pourquoi il a été créé où il est plutôt quautre part. En effet, sils simaginent avant le monde des espaces infinis de temps, où il ne leur semble pas possible que Dieu soit demeuré sans rien faire, quils simaginent donc aussi hors du monde des espaces infinis de lieux; et si quelquun juge impossible que le Tout-Puissant soit resté oisif au milieu de tous ces espaces sans bornes, ne sera-t-il pas obligé dimaginer, comme Epicure, une infinité de mondes, avec cette seule différence quEpicure veut quils soient formés et détruits par le concours fortuit des atomes, au lieu que ceux-ci diront, selon leurs principes, que tous ces mondes sont louvrage de Dieu et ne peuvent être détruits. Car il ne faut pas oublier que nous discutons ici avec des philosophes persuadés comme nous que Dieu est incorporel et quil a créé tout ce qui nest pas lui. Quant aux autres, ils ne méritent pas davoir part à une discussion religieuse, et si les adversaires que nous avons choisis ont surpassé tous les autres en gloire et en autorité, cest uniquement pour avoir approché de plus près de la vérité, quoiquils en soient encore fort éloignés. Diront-ils donc que la substance divine, quils ne limitent à aucun lieu, mais quils reconnaissent être tout entière partout (sentiment bien digne de la divinité), est absente de ces grands espaces qui sont hors du monde, et noccupe que le petit espace où le monde est (226) placé? Je ne pense pas quils soutiennent une opinion aussi absurde. Puis donc quils disent quil ny a quun seul monde, grand à la vérité, mais fini néanmoins et compris dans un certain espace, et que cest Dieu qui la créé, quils se fassent à eux-mêmes touchant les temps infinis qui ont précédé le monde, quand ils demandent pourquoi Dieu y est demeuré sans rien faire, la réponse quils font aux autres touchant les lieux infinis qui sont hors du monde, quand on leur demande pourquoi Dieu ny fait rien. De même, en effet, quil ne sensuit pas, de ce que Dieu a choisi pour créer le monde un lieu que rien ne rendait plus digne de ce choix que tant dautres espaces en nombre infinis, que cela soit arrivé par hasard, quoique nous nen puissions pénétrer la raison, de même on ne peut pas dire quil soit arrivé quelque chose de fortuit en Dieu, parce quil a fixé à la création un temps plutôt quun autre. Que sils disent que cest une rêverie de simaginer quil y ait hors du monde des lieux infinis , ny ayant point dautre lieu que le monde, nous disons de même que cest une chimère de simaginer quil y ait eu avant le monde des temps infinis où Dieu soit demeuré sans rien faire, puisquil ny a point de temps avant le monde 1.
CHAPITRE VI.LE MONDE ET LE TEMPS ONT ÉTÉ CRÉÉS ENSEMBLE.
Si la véritable différence du temps et de léternité consiste en ce que le temps nest pas sans quelque changement et quil ny a point de changement dans léternité 2, qui ne voit quil ny aurait point de temps, sil ny avait quelque créature dont les mouvements successifs, qui ne peuvent exister simultanément, fissent des intervalles plus longs ou plus courts, ce qui constitue le temps? Et dès lors je ne conçois pas comment on peut dire que Dieu, être éternel et immuable, qui est le créateur et lordonnateur des temps, a créé le monde après de longs espaces de temps, à
1. Pour bien entendre ce chapitre, il faut se souvenir quil est écrit contre des philosophes qui se déclaraient disciples de Platon, et qui eu même temps soutenaient léternité du monde. Saint Augustin se fait une arme contre eux de la cosmologie du Timée, où Platon conçoit le monde comme fini en étendue et ayant une forme précise, la forme sphérique. (Voyez tome XII de la trad. fr., p. 123). si votre monde, dit saint Augustin aux disciples de Platon, est fini dans lespace, pourquoi ne le serait-il pas dans le temps? 2. Sur le temps et léternité, voyez les amples développements où est entré saint Augustin dans les Confessions (livre XI, chap. 13 et suiv.) Voyez aussi son De Gen. ad litt. XV, n. 12.
moins quon ne veuille dire aussi quavant le monde il y avait déjà quelque créature dont les mouvements mesuraient le temps. Mais puisque 1Ecriture sainte, dont lautorité est incontestable, nous assure que « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre 1 » ce qui fait bien voir quil navait rien créé auparavant, il est indubitable que le monde na pas été créé dans le temps, mais avec le temps : car ce qui se fait dans le temps se fait après et avant quelque temps, après le temps passé et avant le temps à venir. Or, avant le monde, il ne pouvait y avoir aucun temps passé, puisquil ny avait point de créature dont les mouvements pussent mesurer le temps. Le monde a donc été créé avec le temps, puisque le mouvement a été créé avec le monde, comme cela est visible par lordre même des six ou sept premiers jours, pour lesquels le soir et le matin sont marqués, jusquà ce que loeuvre des six jours fût accomplie et que le septième jour fût marqué par le grand mystère du repos de Dieu. Maintenant quels sont ces jours ? cest ce qui nous est très-difficile ou même impossible dentendre; combien plus de lexpliquer !
CHAPITRE VII.DE LA NATURE DE CES PREMIERS JOURS QUI ONT EU UN SOIR ET UN MATIN AVANT LA CRÉATION DU SOLEIL.
Nos jours ordinaires nont leur soir que par le coucher du soleil et leur matin que par son lever. Or, ces trois premiers jours se sont écoulés sans soleil, puisque cet astre ne fut
1. Gen. 1, I 2. Cest la doctrine du Timée : « Le temps, dit Platon, a donc été fait avec le monde, afin que, nés ensemble, ils finissent aussi ensemble, si jamais leur destruction doit arriver (tome XII de la trad. fr., p. 131) ». Voici encore un admirable passage du Timée, dont saint Augustin sest visiblement inspiré dans toute la suite des livres XI et XII de la Cité de Dieu, aussi bien que dans les chapitre, déjà cités des Confessions: « Dieu résolut de faire une image mobile de léternité, et par la disposition quil mit entre toutes le, parties de lunivers, il fit de léternité qui repose dans lunité. Cette image éternelle, mais divisible, que nous appelons le temps. Avec le monde naquirent les jours, les nuits; les mois et les année qui nexistaient point auparavant. Ce ne sont là que des partie, du temps; le passé, le futur en sont des forme, passagères que, dans notre ignorance, nous transportons mal à propos à la substance éternelle; car noua avons lhabitude de dire : elle fut, elle est et sera; elle est, voilà ce quil faut dire en vérité. Le passé et le futur ne conviennent quà la génération qui se succède dans le temps, car ce sont-là des mouvements. Mais la substance éternelle, toujours la même et immuable, ne peut devenir ni plus vieille ni plus jeune, de même quelle nest, ni ne fut, ni ne sera jamais dans le temps. Elle nest sujette à aucun des accidents que la génération s impose aux choses sensibles, à ces formes du temps qui imite léternité et se meut dans un cercle mesuré par le nombre (Ibid., page 130).
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créé que le quatrième jour 1. LEcriture nous dit bien que Dieu créa dabord la lumière 2, et la sépara des ténèbres 3, quil appela la lumière jour, et les ténèbres nuit 4 mais quelle était cette lumière et par quel mouvement périodique se faisait le soir et le matin, voilà ce qui échappe à nos sens et ce que nous devons pourtant croire sans hésiter, malgré limpossibilité de le comprendre. En effet, ou bien il sagit dune lumière corporelle, soit quelle réside loin de nos regards, dans les parties supérieures du monde, soit quelle ait servi plus tard à allumer le soleil; ou bien ce mot de lumière signifie la sainte Cité composée des anges et des esprits bienheureux dont lApôtre parle ainsi : « La Jérusalem den haut, notre mère éternelle dans les cieux 5 ». Il dit, en effet, ailleurs: « Vous êtes tous enfants de lumière et enfants du jour; nous ne sommes point les fils de la nuit ni des ténèbres 6». Peut-être aussi pourrait-on dire, en quelque façon, que ce jour a son soir et son matin, dans ce sens que la science des créatures est comme un soir en comparaison de celle du Créateur, mais quelle devient un jour et un matin, lorsquon la rapporte à sa gloire et à son amour, et, pareillement, quelle ne penche point vers la nuit, quand on nabandonne point le Créateur pour sattacher à la créature. Remarquez enfin que lEcriture, comptant par ordre ces premiers jours, ne se sert jamais du mot de nuit; car elle ne dit nulle part: Il y eut nuit, mais : « Du soir et du matin se fit un jour 7 »; et ainsi du second et du suivant. Aussi bien, la connaissance des choses créées, quand on les regarde en elles-mêmes, a moins déclat que si on les contemple dans la sagesse de Dieu comme dans lart qui les a produites, de sorte quon peut lappeler plus convenablement un soir quune nuit; et néanmoins, comme je lai dit, si on la rapporte à la gloire et à lamour du Créateur, elle devient en quelque façon un matin. Ainsi envisagée, la connaissance des choses créées constitue le premier jour en tant quelle se connaît elle-même; en tant quelle a pour objet le firmament, qui a été placé entre les eaux inférieures et supérieures et a été appelé le ciel, cest le second jour; appliquée à la terre, à la mer et à toutes les plantes qui tiennent à la terre par leurs
1. Gen. I, 14 et seq. 2. Ibid. 3.- 3. Ibid. 4. 4.- Gen. 1,5 .- 5.- Galat. IV, 26 .- 6. I Thess. V, 5.- 7.- Gen. I, 5.
racines, cest le troisième jour; aux deux grands astres et aux étoiles, cest le quatrième jour; à tous les animaux engendrés des eaux, soit quils nagent, soit quils volent, cest le cinquième jour ; enfin, le sixième jour est constitué par la connaissance de tous les animaux terrestres et de lhomme même 1.
CHAPITRE VIII.CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR LE REPOS DE DIEU APRÈS LOEUVRE DES SIX JOURS.
Quand 1Ecriture dit que Dieu se reposa le septième jour et le sanctifia 2, il ne faut pas entendre cela dune manière puérile, comme si Dieu sétait lassé à force de travail; Dieu a parlé et lunivers a été fait 3, et cette parole nest pas sensible et passagère, mais intelligible et éternelle. Le repos de Dieu, cest le repos de ceux qui se reposent en lui, comme la joie dune maison, cest la joie de ceux qui se réjouissent dans la maison, bien que ce ne soit pas la maison même qui cause leur joie. Combien donc sera-t-il plus raisonnable dappeler cette maison joyeuse, si par sa beauté elle inspire de la joie à ceux qui lhabitent? En sorte quon lappelle joyeuse, non-seulement par cette façon de parler qui substitue le contenant au contenu (comme quand on dit que les théâtres applaudissent, que les prés mugissent, parce que les hommes applaudissent sur les théâtres et que les boeufs mugissent dans les prés), mais encore par cette figure qui exprime leffet par la cause, comme quand on dit quune lettre est joyeuse, pour marquer la joie quelle donne à ceux qui la lisent. Ainsi, lorsque le prophète dit que Dieu sest reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en Dieu et dont Dieu même fait le repos; et cette parole regarde aussi les hommes pour qui les saintes Ecritures ont été composées; elle leur promet un repos éternel à la suite des bonnes oeuvres que Dieu opère en eux et par eux, sils sapprochent dabord de lui par la foi. Cest ce qui a été pareillement figuré par le repos du sabbat que la loi prescrivait à lancien peuple de Dieu, et dont je me propose de parler ailleurs plus au long 4.
1. Ce système dinterprétation est plus amplement développé dans un traité spécial de saint Augustin, le De Genesi ad litteram. Voyez surtout les livres III et IV. 2. Gen. II, 2 et.3. 3. Gen. I, 5. 3. Sur le sens symbolique du repos de Dieu, voyez le De Gen. ad litt., n. 15 et seq.
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CHAPITRE IX.CE QUE LON DOIT PENSER DE LA CRÉATION DES ANGES, DAPRÈS LES TÉMOIGNAGES DE LÉCRITURE SAINTE.
Puisque jai entrepris dexposer la naissance de la sainte Cité en commençant par les saints anges, qui en sont la partie la plus considérable, élite glorieuse qui na jamais connu les épreuves du pèlerinage dici-bas, je vais avec laide de Dieu expliquer, autant quil me paraîtra convenable, les témoignages divins qui se rapportent à cet objet. Lorsque lEcriture parle de la création du monde, elle nénonce pas positivement si les anges ont été créés, ni quand ils lont été; mais à moins quils naient été passés sous silence, ils sont indiqués, soit par le ciel, quand il est dit « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre »; soit par la lumière dont je viens de parler. Ce qui me persuade quils nont pas été omis dans le divin livre, cest quil est écrit dune part que Dieu se reposa le septième jour de tous les ouvrages quil avait faits, et que, dautre part, la Genèse commence ainsi : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre » , ce qui semble dire que Dieu navait rien fait auparavant. Puis donc quil a commencé par le ciel et la terre, et que la terre, ajoute lEcriture, était dabord invisible et désordonnée, la lumière nétant pas encore faite et les ténèbres couvrant la face de labîme, cest-à-dire le mélange confus des éléments, puisque enfin toutes choses ont été successivement ordonnées par une opération qui a duré six jours, comment les anges auraient-ils été omis, eux qui font une partie si considérable de ces ouvrages dont Dieu se reposa le septième jour? Et cependant il faut convenir que, sans avoir été omis, ils ne sont pas marqués dune manière claire dans ce passage; aussi lEcriture sen explique-t-elle ailleurs en termes de la plus grande clarté. Dans le cantique des trois jeunes hommes dans la fournaise qui commence ainsi : «Ouvrages du Seigneur, bénissez tous le Seigneur 1», les anges sont nommés immédiatement après, dans le dénombrement de ces ouvrages. Et dans les Psaumes : « Louez le Seigneur dans les cieux; louez-le du haut des lieux sublimes. Louez-le, vous tous qui êtes ses anges; louez-le, vous qui êtes ses
1. Dan. III, 57 et58.
Vertus! Soleil et Lune, louez le Seigneur; étoiles et lumière, louez-le toutes ensemble. Cieux des cieux, louez le Seigneur, et que toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux louent son saint nom; car il a dit, et toutes choses ont été faites : il a commandé, et elles ont été créées 1 ». Les anges sont donc évidemment un des ouvrages de Dieu. Le texte divin le déclare, quand après avoir énuméré toutes les choses célestes, il est dit de lensemble: Dieu a parlé, et tout a été fait. Osera-t-on prétendre maintenant que la création des anges est postérieure à loeuvre des six jours? Cette folle hypothèse est confondue par lEcriture, où Dieu dit: « Quand les astres ont été créés, tous mes anges mont béni à haute voix 2 ». Les anges étaient donc déjà, quand furent faits les astres. Les astres, il est vrai, nont été créés que le quatrième jour: en conclurons-nous que les anges ont été créés le troisième ? nullement; car lemploi de jour est connu : les eaux furent séparées la terre; ces deux éléments reçurent les espèces danimaux qui leur conviennent, et la terre produisit tout ce qui lient à elle par des racines. Remonterons-nous au second jour? pas davantage; car en ce jour le firmament fut créé entre les eaux supérieures et inférieures; il reçut le nom de ciel, et ce fut dans son enceinte que les astres furent créés le quatrième jour. Si donc les anges doivent être comptés parmi les ouvrages des six jours, ils sont certainement cette lumière qui est appelée jour et dont lEcriture marque lunité 3 en ne lappelant pas le premier jour (dies primus), mais un jour (dies unus). Car le second jour, le troisième et les suivants ne sont pas dautres jours, mais ce jour unique 4, qui a été ainsi répété pour accomplir le nombre six ou le nombre sept, dont lun figure la connaissance des oeuvres de Dieu, et lautre celle de son repos. En effet, quand Dieu a dit: Que la lumière soit et la lumière fut, sil est
1.Ps. CXLVIII, 1-5. 2. Job, XXXVIII, 7. 2. Voyez le texte de la Vulgate. 3. La plupart des théologiens grecs, daccord sur ce point avec les philosophes platoniciens, pensent, dit Vivès, que les êtres spirituels ont été créés avant les êtres corporels et quils ont même servi au créateur, comme ministres, à composer le reste de lunivers. Telle nest point la doctrine des Pères latins; saint Jérôme est le seul peut-être qui fasse exception; tous le, autres, notamment saint Ambroise, Bède, Cassiodore, enseignent, comme saint Augustin, que tous les êtres ont été produits à la fois par le Créateur, sentiment qui parait autorisé avec une force singulière par ce mot de lEcclésiastique : « Celui qui vit dans léternité a créé à la fois toutes choses (XVIII, 31) ». Sain Basile sest rangé, en cette occasion, du côté des Pères latins.
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raisonnable dentendre par là la création des anges, ils ont été certainement créés participants de la lumière éternelle, qui est la sagesse immuable de Dieu, par qui toutes choses ont été faites, et que nous appelons son Fils unique; et sils ont été éclairés de cette lumière qui les avait créés, ça été pour devenir eux-mêmes lumière et être appelés jour par la participation de cette lumière et de ce jour immuable qui est le Verbe de Dieu, par qui eux et toutes choses ont été créés. La vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde 1 éclaire pareillement tout ange pur, afin quil soit lumière, non en soi, mais en Dieu; aussi tout ange qui séloigne de Dieu devient-il impur, comme sont tous ceux quon nomine esprits immondes, lorsquils ne sont plus lumière dans le Seigneur, mais ténèbres en eux-mêmes, parce quils sont privés de la participation de la lumière éternelle. En effet, le mal nest point une substance, mais on a appelé mal la privation du bien 2.
CHAPITRE X.DE LIMMUABLE ET INDIVISIBLE TRINITÉ, OU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT NE FONT QUUN SEUL DIEU, EN QUI LA QUALITÉ ET LA SUBSTANCE SIDENTIFIENT.
Il existe un bien, seul simple, seul immuable, qui est Dieu. Par ce bien, tous les autres biens ont été créés; mais ils ne sont point simples, et partant ils sont muables. Quand je dis, en effet, quils ont été créés, jentends quils ont été faits et non pas engendrés 3, attendu que ce qui est engendré du bien simple est simple comme lui, est la même chose que lui. Tel est le rapport de Dieu le Père avec Dieu le Fils, qui tous deux ensemble, avec le Saint-Esprit, ne font quun seul Dieu; et cet Esprit du Père et du Fils est appelé le Saint-Esprit dans lEcriture, par appropriation particulière de ce nom. Or, il est autre que le Père et le Fils, parce quil nest ni le Père ni le Fils; je dis autre, et non autre chose, parce quil est, lui
1. Jean, I, 9. 2. Cest la théorie de toute lécole platonicienne, formulée avec une précision parfaite par Plotin au livre II de la 3e Ennéade, ch. 5. 3. La théologie chrétienne distingue sévèrement deux sortes dopérations : faire et engendrer. Faire, cest proprement créer, faire de rien, produire une chose qui auparavant nexistait absolument pas, engendrer, cest tirer quelque chose de soi-même. Cela posé, il ne faut pas dire que le monde est engendré de Dieu, mais quil est créé par lui; il ne faut pas dire que le Verbe, le Fils, est créé ou fait par le Père, mais quil est engendré de lui (genitum, non factum, consubstantialem Patri).
aussi, le bien simple, immuable et éternel. Cette Trinité nest quun seul Dieu, qui nen est pas moins simple pour être une Trinité; car nous ne faisons pas consister la simplicité du bien en ce quil serait dans le Père seulement, ou seulement dans le Fils, ou enfin dans le seul Saint-Esprit 1 et nous ne disons pas non plus, comme les Sabelliens, que cette Trinité nest quun nom, qui nimplique aucune subsistance des personnes; mais nous disons que ce bien est simple, parce quil est ce quil a, sauf la seule réserve de ce qui appartient à chaque personne de la Trinité relativement aux autres. En effet, le Père a un Fils et nest pourtant pas Fils, le Fils a un Père sans être Père lui-même. Le bien est donc ce quil a, dans tout ce qui le constitue en soi-même, sans rapport à un autre que soi. Ainsi, comme il est vivant en soi-même et sans relation, il est la vie même quil a. La nature de la Trinité est donc appelée une nature simple, par cette raison quelle na rien quelle puisse perdre et quelle nest autre chose que ce quelle a. Un vase nest pas leau quil contient, ni un corps la couleur qui le colore, ni lair la lumière ou la chaleur qui léchauffe ou léclaire, ni lâme la sagesse qui la rend sage. Ces êtres ne sont donc pas simples, puisquils peuvent être privés de ce quils ont, et recevoir dautres qualités ou habitudes. Il est vrai quun corps incorruptible, tel que celui qui est promis aux saints dans la résurrection, ne peut perdre cette qualité ; mais cette qualité nest pas sa substance même. Lincorruptibilité réside tout entière dans chaque partie du corps, sans être plus. grande ou plus petite dans lune que dans lautre, une partie nétant pas plus incorruptible que lautre, au lieu que le corps même est plus grand dans son tout que dans une de ses parties. Le corps nest pas partout tout entier, taudis que lincorruptibilité est tout entière partout; elle est dans le doigt, par exemple, comme dans le reste de la main, malgré la différence quil y a entre létendue de toute la main et celle dun seul doigt. Ainsi, quoique lincorruptibilité soit inséparable dun corps incorruptible, elle nest pas néanmoins
1. Il sagit ici de tous les systèmes qui anéantissent légalité des personnes. Nous avons traduit ce passage de saint Augustin autrement que la plupart des interprètes. Suivant eux, il serait uniquement dirigé contre les Sabelliens. Suivant nous, saint Augustin écarte tour à cour la théologie arienne et celle de Sabellius, pour se placer avec lEglise à égale distance de lune et de lautre.
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la substance même du corps, et par conséquent le corps nest pas ce quil a. Il en est de même de lâme. Encore quelle doive être un jour éternellement sage, elle ne le sera que par la participation de la sagesse immuable, qui nest pas elle. En effet, quand même lair ne perdrait jamais la lumière qui est répandue dans toutes ses parties, il ne sensuivrait pas pour cela quil fût la lumière même; et ici je nentends pas dire que lâme soit un air subtil, ainsi que lont cru quelques philosophes, qui nont pas pu sélever à lidée dune nature incorporelle 1. Mais ces choses, dans leur extrême différence, ne laissent pas davoir assez de rapport pour quil soit permis de dire que lâme incorporelle est éclairée de la lumière incorporelle de la sagesse de Dieu, qui est parfaitement simple, de la même manière lair corporel est éclairé par la lumière corporelle, et que, comme lair sobscurcit quand la lumière vient à se retirer (car ce quon appelle ténèbres 2 nest autre chose que lair privé de lumière), lâme sobscurcit pareillement, lorsquelle est privée de la lumière de la sagesse. Si donc on appelle simple -la nature divine, cest quen elle la qualité nest autre chose que la substance, en sorte que sa divinité, sa béatitude et sa sagesse ne sont point différentes delle-même. LEcriture, il est vrai, appelle multiple lesprit de sagesse 3, mais cest à cause de la multiplicité des choses quil renferme en soi, lesquelles néanmoins ne sont que lui-même, et lui seul est toutes ces choses. Il ny a pas, en effet, plusieurs sagesses, mais une seule, en qui se trouvent ces trésors immenses et infinis où sont les raisons invisibles et immuables de toutes les choses muables et visibles quelle a créées; car Dieu na rien fait sans connaissance, ce qui ne pourrait se dire avec justice du moindre artisan. Or, sil a fait tout avec connaissance, il est hors de doute quil na fait que ce quil avait premièrement connu: doù lon peut tirer cette conclusion merveilleuse, mais véritable, que nous
1. Anaximène de Milet, disciple de Thalès, et Diogène dApollonie , disciple dAnaximène, soutenaient que lair est te principe unique de toutes choses et faisaient de lâme une des transformations infinies de lair. Voyez Aristote, Metaphys., lib.I, cap. 4, et De anim., lib. I, cap. 2. Camp. Tertullien, De anim., cap. 3. 2. Ceci est dirigé contre les Manichéens, qui soutenaient que le principe ténébreux est aussi réel et aussi positif que le principe lumineux. Voyez lécrit de saint Augustin : De Gen. Contr. Manich., lib. 2, n.7 . Comp. Aristote, De anim.-, lib. II, cap. 7. 3. Sag. VII, 22.
ne connaîtrions point ce monde, sil nétait, au lieu quil ne pourrait être, si Dieu ne le connaissait 1.
CHAPITRE XI.SI LES ANGES PRÉVARICATEURS ONT PARTICIPÉ A LA BÉATITUDE DONT LES ANGES FIDÈLES ONT JOUI SANS INTERRUPTION DEPUIS QUILS ONT ÉTÉ CRÉÉS?
Il suit de là quen aucun temps ni daucune manière les anges nont commencé par être des esprits de ténèbres 2; dès quils ont été, ils ont été lumière 3, nayant pas été créés pour être ou pour vivre dune manière quelconque, mais pour vivre sages et heureux. Quelques-uns, il est vrai, sétant éloignés de la lumière, nont point possédé la vie parfaite, la vie sage et heureuse, qui est essentiellement une vie éternelle accompagnée dune confiance parfaite en sa propre éternité; mais ils ont encore la vie raisonnable, tout en layant pleine de folie, et ils ne sauraient la perdre, quand ils le voudraient. Au surplus, qui pourrait déterminer à quel degré ils ont participé à la sagesse avant leur chute, et comment croire quils y aient participé autant que les anges fidèles qui trouvent la perfection de leur bonheur dans la certitude de sa durée? Sil en était de la sorte, les mauvais anges seraient demeurés, eux aussi, éternellement heureux, étant également assurés de leur bonheur. Mais si longue quon suppose une vie, elle ne peut être appelée éternelle, si elle doit avoir une fin. Par conséquent, bien que léternité ne suppose pas nécessairement la félicité (témoin le feu denfer qui, selon lEcriture, sera éternel), si une vie ne peut être pleinement et véritablement heureuse quelle ne soit éternelle, la vie de ces mauvais anges nétait pas bienheureuse, puisquelle devait cesser de lêtre, soit quils laient su, soit quils laient ignoré. Dans lun ou lautre cas, la crainte ou lerreur sopposait à leur parfaite félicité. Et si lon suppose que, sans être ignorants ou trompés, ils étaient seulement dans le doute sur lavenir, cela même. était incompatible avec la béatitude parfaite que
1. Cette belle et profonde métaphysique, toute pénétrée de Platon, se retrouve dans les Confessions. Saint Augustin dit à Dieu : « Cest parce que les choses que tu as faites existent que nous les voyons; mais cest parce que tu les vois quelles existent. (Confess., ad calc.) ». - 2. Contre le dualisme des Manichéens. 3. Voyez plus bas, livre XII, ch. 9. Comp. De Gen. ad litt., n. 32.
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nous attribuons aux bons anges. Quand nous parlons de béatitude, en effet, nous ne restreignons pas tellement létendue de ce mol quil ne puisse convenir quà Dieu seul; et toutefois Dieu seul est heureux en ce sens quil ne peut y avoir de béatitude plus grande que la sienne, et celle des anges, appropriée à leur nature, quest-elle en comparaison?
CHAPITRE XII.COMPARAISON DE LA FÉLICITÉ DES JUSTES SUR LA TERRE ET DE CELLE DE NOS PREMIERS PARENTS AVANT LE PÉCHÉ.
Nous ne bornons même pas la béatitude aux bons anges. Et qui oserait nier que nos premiers parents, avant la chute, naient été heureux dans le paradis terrestre 1, tout en étant incertains de la durée de leur béatitude, qui aurait été éternelle, sils neussent point péchés 2 ? Aujourdhui même, nous nhésitons point à appeler heureux les bons chrétiens qui, pleins de lespérance de limmortalité future, vivent exempts de crimes et de remords, et obtiennent aisément de la miséricorde de Dieu le pardon des fautes attachées à lhumaine fragilité. Et cependant, quelque assurés quils soient du prix de leur persévérance, ils ne le sont pas de leur persévérance même. Qui peut, en effet, se promettre de persévérer jusquà la fin, à moins que den être assuré par quelque révélation de celui qui, par un juste et mystérieux conseil, ne découvre pas lavenir à tous, mais qui ne trompe jamais personne? Pour ce qui regarde la satisfaction présente, le premier homme était donc plus heureux dans le paradis que quelque homme de bien que ce soit en cette vie mortelle; mais quant à lespérance du bien avenir, quiconque est assuré de jouir un jour de Dieu en la compagnie des anges, est plus heureux, quoiquil souffre, que ne létait le premier homme, incertain de sa chute; dans toute la félicité du paradis 3.
1. Comp. De corrept. et grat., lib. X, n. 26. 2. Comp. De Gen. ad litt., lib. XI, n. 24, 25. 3. Le sentiment de saint Augustin sur cette matière est plus développé dans un traité exprès, le De dono perseverantiae , ainsi que dans le De corrept. et grat., passim.
CHAPITRE XIIITOUS LES ANGES ONT ÉTÉ CRÉÉS DANS UN MÊME ÉTAT DE FÉLICITÉ, DE TELLE SORTE QUE CEUX QUI DEVAIENT DÉCHOIR IGNORAIENT LEUR CHUTE FUTURE, ET QUE LES BONS NONT EU LA PRESCIENCE DE LEUR PERSÉVÉRANCE QUAPRÈS LA CHUTE DES MAUVAIS.
Dès lors, il est aisé de Voir que lunion de deux choses constitue la béatitude, objet légitime des désirs de tout être intelligent : premièrement, jouir sans trouble du bien immuable, qui est Dieu même; secondement, être pleinement assuré den jouir toujours. La foi nous apprend que les anges de lumière possèdent cette béatitude, et la raison nous fait conclure que les anges prévaricateurs ne la possédaient pas, même avant leur chute. Cependant on ne peut leur refuser quelque félicité, je veux dire une félicité sans prescience, sils ont vécu quelque temps avant leur péché 1. Semble-t-il trop dur de penser que, parmi les anges, les uns ont été créés dais lignorance de leur persévérance future ou de leur chute, tandis que les autres ont su de science certaine léternité de leur béatitude, et veut-on que tous aient été créés dans une égale félicité, y étant demeurés jusquau moment mi quelques-uns ont quitté volontairement la source de leur bonheur? mais il est certes beaucoup plus dur de croire que les bons anges soient encore, à cette heure, incertains de leur béatitude, et quils ignorent sur eux-mêmes ce que nous avons pu, nous, en apprendre par le témoignage des saintes Ecritures. Car quel chrétien catholique ne sait quil ne se fera plus de démons daucun des bons anges, comme il ne se fera point de bons anges daucun des démons? En effet, la Vérité promet dans lEvangile aux fidèles chrétiens, quils seront semblables aux anges de Dieu 2, et elle dit en même temps quils jouiront de la vie éternelle 3. Or, si nous devons être un jour certains de ne jamais déchoir de la félicité immortelle, supposez que les anges ne le fussent pas, nous ne serions plus leurs égaux, nous serions leurs supérieurs. Mais la Vérité ne trompe jamais, et puisque nous devons être leurs égaux, il sensuit quils sont certains de
1. Cette question est traitée dans le De Gen. ad litt., lib. XI, n. 2124. Voyez aussi le De corrept. et grat., n. 10. 2. Matt. XXII, 30. 3. Matt. XXV, 46.
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léternité de leur bonheur. Et comme dailleurs les autres anges nen pouvaient pas être certains, il faut conclure ou que la félicité nétait pas pareille, ou que, si elle létait, les bons nont été assurés de leur bonheur quaprès la chute des autres. Mais, dira-t-on peut-être, est-ce que cette parole de Notre-Seigneur dans lEvangile touchant le diable « Quil était homicide dès le commencement et quil nest point demeuré dans la vérité», ne doit pas sentendre du commencement de la création? et à ce compte, le diable naurait jamais été heureux avec les saints anges, parce que, dès le moment de sa création, il aurait refusé de se soumettre à son Créateur, et cest aussi dans ce sens quil faudrait entendre le mot de lapôtre saint Jean : « Le diable pèche dès le commencement 2», cest-à-dire que, dès linstant de sa création, il aurait rejeté la justice, quon ne peut conserver, si lon ne soumet sa volonté à celle de Dieu. En tout cas, ce sentiment est bien éloigné de lhérésie des Manichéens et autres fléaux de la vérité, qui prétendent que le diable possède en propre- une nature mauvaise quil a reçue dun principe contraire à Dieu 3 : esprits extravagants, qui ne prennent pas garde que dans cet Evangile dont ils admettent lautorité aussi bien que nous, Notre-Seigneur ne dit pas : Le diable a été étranger à la vérité, mais: Il nest point demeuré dans la vérité, ce qui veut dire quil est déchu, et certes, sil y était demeuré, il en participerait encore et serait bienheureux avec les saints anges.
CHAPITRE XIV.EXPLICATION DE CETTE PAROLE DE LÉVANGILE : « LE DIABLE NEST POINT DEMEURÉ DANS LA VÉRITÉ, PARCE QUE LA VÉRITÉ NEST POINT EN LUI».
Notre-Seigneur semble avoir voulu répondre à cette question : Pourquoi le diable nest-il point demeuré dans la vérité? quand il ajoute : « Car la vérité nest point eu lui 4 ». Or, elle serait en lui , sil fût demeuré en elle. Cette parole est donc assez extraordinaire, puisquelle paraît dire que si le diable nest point demeuré dans la vérité, cest que la vérité nest point en lui; tandis quau
1. Jean, VIII, 44. 2. I Jean, III, 8. 3. Comp. De Gen. ad litt., n. 27 et seq. 4. Jean, VIII, 44.
contraire, ce qui fait que la vérité nest point en lui, cest quil nest point demeuré dans la vérité. Cette même façon de parler se retrouve aussi dans un psaume : « Jai crié, mon Dieu », dit le Prophète, « parce que vous mavez exaucé 1», au lieu quil semble quil devait dire : Vous mavez exaucé, mon Dieu, parce que jai crié. Mais il faut entendre que le Prophète, après avoir dit : « Jai crié », prouve la réalité de son invocation par leffet quelle a obtenu : la preuve que jai crié, cest que vous mavez exaucé.
CHAPITRE XV. COMMENT IL FAUT ENTENDRE CETTE PAROLE: « LE DIABLE PÈCHE DÉS LE COMMENCEMENT ».
Quant à cette parole de saint Jean : « Le diable pèche dès le commencement 2 », les hérétiques 3 ne comprennent pas que si le péché est naturel, il cesse dêtre. Mais que peuvent-ils répondre à ce témoignage dIsaïe qui , désignant le diable sous la figure du prince de Babylone, sécrie : « Comment est tombé Lucifer, qui se levait brillant au matin 4 ? » et ce passage dÉzéchiel 5 : « Tu as joui des délices du paradis, orné de toutes sortes de pierres précieuses 6 ? » Le diable a donc été quelque temps sans péché ; et cest ce que le prophète lui dit un peu après en termes plus formels: « Tu as marché pur de souillure en tes jours 7». Que si lon ne peut donner un sens plus naturel à ces paroles, il faut donc entendre par celle-ci : « Il nest point demeuré dans la vérité», que le diable a été dans la vérité, mais quil ny est pas demeuré ; et quant à cette autre, « que le diable pèche dès le commencement », il ne faut pas entendre quil a péché dès le commencement de sa création, mais dès celui de son orgueil. De même, quand nous lisons dans Job, à propos du diable : « Il est le commencement de louvrage de Dieu, qui la fait pour le livrer aux railleries de ses anges 8 » ; et ce passage analogue du psaume: « Ce dragon que vous avez formé pour servir de jouet »; nous ne devons pas croire que le diable ait été créé primitivement pour être
1. Ps. XVI, 7. 2. I Jean, III, 8. 3. Ces hérétiques sont évidemment les Manichéens. 4. Isaïe, XIV, 12. 5. Sur ce même passage dEzéchiel, comp. saint Augustin, De Gen. ad litt., n. 32. 6. Ezech. XXVIII, 13, 14. 7. Ibid. 15.
8. Job, XI, 14. 8. Ps. CIII, 28.
moqué des anges, mais bien que leurs railleries sont la peine de son péché 1. Il est donc louvrage du Seigneur ; car il ny a pas de nature si vile et si infime quon voudra, même parmi les plus petits insectes, qui ne soit louvrage de celui doù vient toute mesure, toute beauté, tout ordre, cest-à-dire ce qui fait lêtre et lintelligibilité de toute chose. A plus forte raison est-il le principe de la créature angélique, qui surpasse par son excellence tous les autres ouvrages de Dieu.
CHAPITRE XVI.DES DEGRÉS ET DES DIFFÉRENCES QUI SONT ENTRE LES CRÉATURES SELON QUON ENVISAGE LEUR UTILITÉ RELATIVE OU LORDRE ABSOLU DE LA RAISON.
Parmi les êtres que Dieu a créés, on préfère ceux qui ont la vie à ceux qui ne lont pas, ceux qui ont la puissance de la génération ou seulement lappétit à ceux qui en sont privés. Parmi les vivants, on préfère ceux qui ont du sentiment, comme les animaux, aux plantes, qui sont insensibles; et entre les êtres doués de sentiment, les êtres intelligents, comme les hommes, à ceux qui sont dépourvus dintelligence, comme les bêtes; et entre les êtres intelligents, les immortels, comme les anges, aux mortels, comme les hommes. Cet ordre de préférence est celui de la nature. Il en est un autre qui dépend de lestime que chacun fait des choses, selon lutilité quil en tire ; par où il arrive que nous préférons quelquefois certains objets insensibles à des êtres doués de sentiment, et cela à tel point que, sil ne dépendait que de nous, nous retrancherions ceux-ci de la nature, soit par ignorance du rang quils y tiennent, soit par amour pour notre avantage personnel que nous mettons au-dessus de tout. Qui naimerait mieux, par exemple, avoir chez soi du pain que des souris, et des écus que des puces? Et il ny a pas lieu de sen étonner, quand on voit tes hommes, dont la nature est si noble, acheter souvent plus cher un cheval ou une pierre précieuse quun esclave ou une servante. Ainsi les jugements de la-raison sont bien différents de ceux de la nécessité ou de la volupté : la raison juge des choses en elles-mêmes et selon la vérité, au lieu que la nécessité nen juge que selon les besoins, et la
1. Comp. De Gen. ad litt., n. 29, 30, 34,35.
volupté selon les plaisirs. Mais la volonté et lamour sont dun tel prix dans les êtres raisonnables que , malgré la supériorité des anges sur les hommes selon lordre de la nature, lordre de la justice veut que les hommes bons soient mis au-dessus des mauvais anges.
CHAPITRE XVII.LA MALICE NEST PAS DANS LA NATURE, MAIS CONTRE LA NATURE, ET ELLE A POUR PRINCIPE, NON LE CRÉATEUR, MAIS LA VOLONTE.
Cest donc de la nature du diable et non de sa malice quil est question dans ce passage « Il est le commencement de louvrage de Dieu 1 » ; car la malice, qui est un vice, ne peut se rencontrer que dans une nature auparavant non viciée, et tout vice est tellement contre la nature quil en est par essence la corruption. Ainsi, séloigner de Dieu ne serait pas un vice, sil nétait naturel dêtre avec Dieu. Cest pourquoi la mauvaise volonté même est une grande preuve de la bonté de la nature. Mais comme Dieu est le créateur parfaitement bon des natures, il est le régulateur parfaitement juste des mauvaises volontés, et il se fait bien servir delles, quand elles se servent mal de la bonté naturelle de ses dons. Cest ainsi quil a voulu que le diable, qui était bon par sa nature et qui est devenu mauvais par sa volonté, servît de jouet à ses anges, ce qui veut dire que les tentations dont le diable se sert pour nuire aux saints tournent à leur profit. En créant Satan, Dieu nignorait pas sa malignité future, et comme il savait dune manière certaine le bien quil devait tirer de ce mal, il a dit par lorgane du Psalmiste : « Ce dragon que vous avez formé pour servir de jouet a vos anges » , cela signifie que tout en le créant bon, sa providence disposait déjà les moyens de se servir utilement de lui, quand il serait devenu mauvais.
CHAPITRE XVIII.DE LA BEAUTÉ DE LUNIVERS QUI, PAR LART DE LA PROVIDENCE, TIRE UNE SPLENDEUR NOUVELLE DE LOPPOSITION DES CONTRAIRES.
En effet, Dieu naurait pas créé un seul ange, que dis-je? un seul homme dont il aurait prévu la corruption , sil navait su en même temps comment il ferait tourner ce
1. Job, XI., 14.
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mal à lavantage des justes et relèverait la beauté de lunivers par lopposition des contraires, comme on embellit un poème par les antithèses. Cest, en effet, une des plus brillantes parures du discours que lantithèse, et si ce mot nest pas encore passé dans la langue latine, la figure elle-même, je veux dire lopposition ou le contraste, nen fait pas moins lornement de cette langue ou plutôt de toutes les langues du monde 1. Saint Paul sen est servi dans ce bel endroit de la seconde épître aux Corinthiens: « Nous agissons en toutes choses comme de fidèles serviteurs de Dieu, par les armes de justice pour combattre à droite et à gauche, parmi la gloire et linfamie, parmi les calomnies et les louanges, semblables à des séducteurs et sincères, à des inconnus et connus de tous, toujours près de subir la mort et toujours vivants, sans cesse frappés, mais non exterminés , tristes et toujours dans la joie, pauvres et enrichissant nos frères, nayant rien et possédant tout 2 » Comme lopposition de ces contraires fait ici la beauté du langage, de même la beauté du monde résulte dune opposition, mais léloquence nest plus seulement dans les mots, elle est dans les choses. Cest ce qui est clairement exprimé dans ce passage de lEcclésiastique : « Le bien est contraire au mal, et la mort à la vie ainsi le pécheur à lhomme pieux; regarde toutes les oeuvres du Très-Haut : elles vont ainsi deux à deux, et lune contraire à lautre 3 »
CHAPITRE XIX.CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR CES PAROLES DE LÉCRITURE : « DIEU SÉPARA LA LUMIÈRE DES TÉNÈBRES ».
Lobscurité même de lEcriture a cet avantage, que lon peut dun passage tirer divers sens, tous conformes à la vérité, tous confirmés par le témoignage de choses manifestes ou par dautres passages très-clairs, de sorte que, dans le cours dun long travail, si on ne parvient pas à découvrir le véritable sens du texte, on a du moins loccasion de proclamer dautres vérités. Cest pourquoi je crois pouvoir proposer dentendre par la création de la première lumière la création des anges, et de voir la distinction des bons et des mauvais
1. Comp. Quintilien, Instit. , lib. IX, cap. I, § 81.
2. II Cor. VI, 4, 7, 9 et 10 .- 3. Eccli. XXXIII, I, 15
dans ces paroles : « Dieu sépara la lumière des ténèbres, et nomma la lumière jour et les ténèbres nuit 1 » En effet, celui-là seul a pu les séparer qui a pu prévoir leur chute et connaître quils demeureraient obstinés dans leur présomptueux aveuglement. Quant au jour proprement dit et à la nuit, Dieu les sépara par ces deux grands astres qui frappent nos sens : « Que les astres, dit-il, soient faits dans le firmament du ciel pour luire sur la terre et séparer le jour de la nuit 2 ». Et un peu après : « Dieu fit deux grands astres, lun plus grand pour présider au jour, et lautre moindre pour présider à la nuit avec les étoiles; Dieu les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre, et présider au jour et à la nuit, et séparer la lumière des ténèbres 3 ». Mais cette lumière, qui est la sainte société des anges, toute éclatante des splendeurs de la vérité intelligible, et ces ténèbres qui lui sont contraires, cest-à-dire ces esprits corrompus, ces mauvais anges éloignés par leur faute de la lumière de la justice, je répète que celui-là seul pouvait opérer leur séparation, à qui le mal à venir (mal de la volonté, non de la nature) na pu être, avant de se produire, douteux ou caché.
CHAPITRE XX.EXPLICATION DE CE PASSAGE : « ET DIEU VIT QUE LA LUMIÈRE ÉTAIT BONNE ».
Il importe de remarquer aussi quaprès cette parole : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite 4 », lEcriture ajoute aussitôt : « Et Dieu vit que la lumière était bonne 5 ». Or, elle najoute pas cela après que Dieu eût séparé la lumière des ténèbres et appelé la lumière jour et les ténèbres nuit. Pourquoi? cest que Dieu aurait paru donner également son approbation à ces ténèbres et à cette lumière. Quant aux ténèbres matérielles, incapables par conséquent de faillir, qui, à laide des astres, sont séparées de cette lumière sensible qui éclaire nos yeux, lEcriture ne rapporte le témoignage de lapprobation de Dieu quaprès la séparation accomplie : « Et Dieu plaça ces astres dans le firmament du ciel pour luire sur la terre, présider au jour et à la nuit, et séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était
1. Gen. I, 4 et 5 .- 2. Ibid. 14.- 3. Ibid. 16, 17 et 18.- 4. Gen. I, 3 .- Ibid. 4.
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bon 1 ». Lun et lautre lui plut, parce que lun et lautre est sans péché. Mais lorsque Dieu eut dit : « Que la lumière soit faite, et la « lumière fut faite : et Dieu vit que la lumière était bonne »; lEcriture ajoute aussitôt: « Et Dieu sépara la lumière des ténèbres, et appela la lumière jour et les ténèbres nuit». Elle najoute pas : Et Dieu vit que cela était bon, de peur que lun et lautre ne fut nommé bon, tandis que lun des deux était mauvais, non par nature, mais par son propre vice. Cest pourquoi, en cet endroit, la seule lumière plut au Créateur, et quant aux ténèbres, cest-à-dire aux mauvais anges, tout en les faisant servir à lordre de ses desseins, il ne devait pas les approuver.
CHAPITRE XXI.DE LA SCIENCE ÉTERNELLE ET IMMUABLE DE DIEU ET DE SA VOLONTÉ, PAR QUI TOUTES SES UVRES LUI ONT TOUJOURS PLU, AVANT DÊTRE CRÉÉES, TELLES QUIL LES A CRÉÉES EN EFFET.
En quel sens entendre ces paroles qui sont répétées après chaque création nouvelle « Dieu vit que cela était bon », sinon comme une approbation que Dieu donne à son ouvrage fait selon les règles dun art qui nest autre que sa sagesse? En effet, Dieu napprit pas que son ouvrage était bon, après lavoir fait, puisquil ne laurait pas fait sil ne lavait connu bon avant de le faire. Lors donc quil dit : Cela était bon, il ne lapprend pas, il lenseigne. Platon est allé plus loin, quand il dit que Dieu fut transporté de joie après avoir achevé le monde 2. Certes, Platon était trop sage pour croire que la nouveauté de la création eût ajouté à la félicité divine; mais il a voulu faire entendre que louvrage qui avait plu à Dieu avant que de le faire, lui avait plu aussi lorsquil fut fait. Ce nest pas que la science de Dieu éprouve aucune variation et quil connaisse de plusieurs façons diverses ce qui est, ce qui a été et ce qui sera. La connaissance quil a du présent, du passé et de lavenir na rien de commun avec la nôtre. Prévoir, voir, revoir, pour lui cest tout un. Il ne passe pas comme nous dune chose à
1. Gen. I, 17, 18. 2. Allusion à ce sublime passage du Timée : « Lauteur et le père du monde voyant cette image des dieux éternel, en mouvement et vivante, se réjouit, et dans sa joie il pensa à la rendre encore plus semblable à son modèle... » (Trad. franç., tome XI, p. 129 et 130).
une autre en changeant de pensée, mais il contemple toutes choses dun regard immuable 1. Ce qui est actuellement, ce qui nest pas encore, ce qui nest plus, sa présence stable et éternelle embrasse tout. Et il ne voit pas autrement des yeux, autrement de lesprit, parce quil nest pas composé de corps et dâme; il ne voit pas aujourdhui autrement quil ne faisait hier ou quil ne fera demain, parce que sa connaissance ne change pas, comme la nôtre , selon les différences du temps. Cest de lui quil est dit : « Quil ne reçoit de changement ni dombre par aucune révolution 2 ». Car il ne passe point dune pensée à une autre, lui dont le regard incorporel embrasse tous les objets comme simultanés. Il connaît le temps dune connaissance indépendante, du temps, comme il meut les choses temporelles sans subir aucun mouvement temporel. Il a donc vu que ce quil avait fait était bon là même où il avait vu quil était bon de le faire, et, en regardant son ouvrage accompli, il na pas doublé ou accru sa connaissance, comme si elle eût été moindre auparavant, lui dont louvrage naurait pas toute sa perfection, si laccomplissement de sa volonté pouvait ajouter quelque chose à la perfection de sa connaissance. Cest pourquoi, sil neût été question que de nous apprendre quel est lauteur de la lumière, il aurait suffi de dire : Dieu fit la lumière ; ou si lEcriture eût voulu nous faire savoir en outre par quel moyen il la faite, ceût été assez de ces paroles : « Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite », car nous aurions su de la sorte que non-seulement Dieu a fait la lumière, mais quil la faite par sa parole. Mais comme il était important de nous apprendre trois choses touchant la créature qui la faite, par quel moyen, et pourquoi elle a été faite, lEcriture a marqué tout cela en disant: « Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite, et Dieu vit que la « lumière était bonne ». Ainsi, cest Dieu qui a fait toutes choses ; cest par sa parole quil les a faites, et il les a faites parce quelles sont bonnes. Il ny a point de plus excellent ouvrier que Dieu, ni dart plus efficace que sa parole, ni de meilleure raison de la création que celle-ci: une oeuvre bonne a été produite
1. Voyez le Timée, p. 130 et 131. Comp. Plotin, Ennéades, V, lib.VIII,cap.8. 2. Jacob, I,17.
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par un bon ouvrier. Platon apporte aussi cette même raison de la création du monde, et dit quil était juste quune oeuvre bonne fût produite par un Dieu bon 1; soit quil ait lu cela dans nos livres, soit quil lait appris de ceux qui ly avaient lu, soit que la force de son génie lait élevé de la connaissance des ouvrages visibles de Dieu à celle de ses grandeurs invisibles, soit enfin quil ait été instruit par ceux qui étaient parvenus à ces hautes vérité 2.
CHAPITRE XXII.DE CEUX QUI TROUVENT PLUSIEURS CIÏOSES A REPRENDRE DANS CET UNIVERS, OUVRAGE EXCELLENT DUN EXCELLENT CRÉATEUR, ET QUI CROIENT A LEXISTENCE DUNE MAUVAISE NATURE.
Cependant quelques hérétiques 3 nont pas su reconnaître cette raison suprême de la création, savoir, la bonté de Dieu, raison si juste et si convenable quil suffit de la considérer avec attention et de la méditer avec piété pour mettre fin à toutes les difficultés quon peut élever sur lorigine des choses. Mais on ne veut considérer que les misères de notre corps, devenu mortel et fragile en punition du péché, et exposé ici-bas à une foule daccidents contraires, comme le feu, le froid, les bêtes farouches et- autres choses semblables. On ne remarque pas combien ces choses sont excellentes dans leur essence, et dans la place quelles occupent avec quel art admirable elles sont ordonnées, à quel point elles contribuent chacune en particulier à la beauté de lunivers, et quels avantages elles nous apportent quand nous savons en bien user, en sorte que les poisons mêmes deviennent des remèdes, étant employés à propos, et quau contraire les choses qui nous flattent le plus, comme la lumière, le boire et le manger, sont nuisibles par labus que lon en fait. La divine Providence nous avertit par là de ne pas blâmer témérairement
1. Voici les passages du Timée auxquels saint Augustin fait allusion: « Disons la cause qui a porté le suprême Ordonnateur à produire et à composer cet univers. Il était bon, et celui qui est bon na aucune espèce denvie. Exempt denvie, il a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui-même. Quiconque, instruit par des hommes sages, admettra ceci comme la raison principale de lorigine et de la formation du monde, sera dans le vrai... » Et plus bas : « ... Celui qui est parfait en bonté na pu et ne peut rien faire qui ne soit très-bon (Trad. franç., tome XI, page 110) ». 2.Voyez, sur ces différente, hypothèses, le livre VIII, chap. 11. et 12. 3. Evidemment, les Manichéens. Comparez le traité De Genesi contra Manichos, lib. I, n. 25, 26.
Ses ouvrages, mais den rechercher soigneusement lutilité, et, lorsque notre intelligence se trouve en défaut, de croire que ces choses sont cachées comme létaient plusieurs autres que nous avons eu peine à découvrir. Si Dieu permet quelles soient cachées, cest pour exercer notre humilité ou pour abaisser notre orgueil. En effet, il ny a aucune nature mauvaise, et le mal nest quune privation du bien; mais depuis les choses de la terre jusquà celles du ciel, depuis les visibles jusquaux invisibles, il en est qui sont meilleures les unes que les autres, et leur existence à toutes tient essentiellement à leur inégalité. Or, Dieu nest pas moins grand dans les petites choses que dans les grandes; car il ne faut pas mesurer les petites par leur grandeur naturelle, qui est presque nulle, mais par la sagesse de leur auteur. Cest ainsi quen rasant un sourcil à un homme on ôterait fort peu de son corps, mais on ôterait beaucoup de sa beauté, parce que la beauté du corps ne consiste pas dans la grandeur de ses membres, mais dans leur proportion. Au reste, il ne faut pas trop sétonner de ce que ceux qui croient à lexistence dune nature mauvaise, engendrée dun mauvais principe, ne veulent pas reconnaître la bonté de Dieu comme la raison de la création du monde, puisquils simaginent au contraire que Dieu na créé cette machine de lunivers que dans la dernière nécessité, et pour se défendre du mal qui se révoltait contre lui; quainsi il a mêlé sa nature qui est bonne avec celle du mal, afin de le réprimer et de le vaincre; quil a bien de la peine à la purifier et à la délivrer, parce que le mal la étrangement corrompue, et quil ne la purifie pas même tout entière, si bien que cette partie non purifiée servira de prison et de chaîne à son ennemi vaincu. Les Manichéens ne donneraient pas dans de telles extravagances, sils étaient convaincus de ces deux vérités: lune, que la nature de Dieu est immuable, incorruptible, inaltérable; lautre, que lâme qui a pu déchoir par sa volonté et ainsi être corrompue par le péché et privée de la lumière de la vérité immuable, lâme, dis-je, nest pas une partie de Dieu ni de même nature que la sienne, mais une créature infiniment éloignée de la perfection de son Créateur. (237)
CHAPITRE XXIII.DE LERREUR REPROCHÉE A LA DOCTRINE DORIGÈNE.
Mais voici qui est beaucoup plus surprenant: cest que des esprits persuadés comme nous quil ny a quun seul principe de toutes choses, et que toute nature qui nest pas Dieu ne peut avoir dautre créateur que Dieu, ne veuillent pas admettre dun coeur simple et bon cette explication si simple et si bonne de la création, savoir quun Dieu bon a fait de bonnes choses, lesquelles, étant autres que Dieu, sont inférieures à Dieu, sans pouvoir provenir toutefois dun autre principe quun Dieu bon. Ils prétendent que les âmes, dont ils ne font pas à la vérité les parties de Dieu, mais ses créatures, ont péché en séloignant de leur Créateur; quelles ont mérité par la suite dêtre enfermées, depuis le ciel jusquà la terre, dans divers corps, comme dans une prison, suivant la diversité de leurs fautes; que cest là le monde, et quainsi la cause de sa création na pas été de faire de bonnes choses mais den réprimer de mauvaises. Tel est le sentiment dOrigène 1, quil a consigné dans son livre Des principes. Je ne saurais assez métonner quun si docte personnage et si versé dans les lettres sacrées nait pas vu combien cette opinion est contraire à lEcriture sainte, qui, après avoir mentionné chaque ouvrage de Dieu, ajoute: « Et Dieu vit que cela était bon » ; et qui, après les avoir dénombrés tous, sexprime ainsi: « Et Dieu vit toutes les choses quil avait faites, et elles étaient très-bonnes », pour montrer quil ny a point eu dautre raison de créer le monde, sinon la nécessité que des choses parfaitement bonnes fussent créées par un Dieu tout bon, de sorte que si personne neût péché, le monde ne serait rempli et orné que de bonnes natures. Mais, de ce que le péché a été commis, il ne sensuit pas que tout soit plein de souillures, puisque dans le ciel le nombre des créatures angéliques qui gardent lordre de leur nature est le plus grand. Dailleurs, la .mauvaise volonté, pour sêtre écartée de cet ordre, ne sest pas soustraite aux lois de la justice de Dieu, qui dispose bien de toutes choses. De même quun tableau plaît avec ses
1. Il sagit ici dOrigène le chrétien, qui ne doit pas être confondu avec un philosophe païen du même nom, disciple dAmmonius Saccas. Le théologien savant et téméraire que combat saint Augustin a été condamné par lEglise. Voyez Nicéphore Caliste, Hist. eccles. lib. XVI, cap. 27.
ombres, quand elles sont bien distribuées, ainsi lunivers est beau, même avec les pécheurs, quoique ceux-ci, pris en eux-mêmes, soient laids et difformes. Origène devait en outre considérer que si le monde avait été créé afin que les âmes, en punition de leurs péchés, fussent enfermées dans des corps comme dans une prison, en sorte que celles qui, sont moins coupables eussent des corps plus légers, et les autres de plus pesants, il faudrait que les démons, qui sont les plus perverses de toutes les créatures, eussent des corps terrestres plutôt que les hommes. Cependant, pour quil soit manifeste que ce nest point par là quon doit juger du mérite des âmes, les démons ont des corps aériens, et lhomme, méchant, il est vrai, mais dune malice beaucoup moins profonde, que dis-je? lhomme, avant son péché, a reçu un corps de terre. Quy a-t-il, au reste, de plus impertinent que de dire que, sil ny a quun soleil dans le monde, cela ne vient pas de la sagesse admirable de Dieu qui la voulu ainsi et pour la beauté et pour lutilité de lunivers, mais parce quil est arrivé quune âme a commis un péché qui méritait quon lenfermât dans un tel corps? De sorte que sil fût arrivé, non pas quune âme, mais que deux, dix ou cent eussent commis le même péché, il y aurait cent soleils dans le monde. Voilà une étrange chute des âmes, et ceux qui imaginent ces belles choses, sans trop savoir ce quils disent, font assez voir que leurs propres âmes ont fait de lourdes chutes sur le chemin de la vérité. Maintenant, pour revenir à la triple question posée plus haut: Qui a fait le monde? par quel moyen? pour quelle fin? et la triple réponse : Dieu, par son Verbe, pour le bien, on peut se demander sil ny a pas dans les mystiques profondeurs de ces vérités une manifestation de la Trinité divine, Père, Fils et Saint-Esprit, ou bien sil y a quelque inconvénient à interpréter ainsi lEcriture sainte? Cest une question qui demanderait un long discours, et rien ne nous oblige à tout expliquer dans un seul livre.
CHAPITRE XXIV. DE LA TRINITÉ DIVINE,QUI A RÉPANDU EN TOUTES SES OEUVRES DES TRACES DE SA PRÉSENCE.
Nous croyons, nous maintenons, nous enseignons comme un dogme de notre foi, que (238) le Père a engendré le Verbe (cest-à-dire la sagesse, par qui toutes choses ont été faites), Fils unique du Père, un comme lui, éternel comme lui, et souverainement bon comme lui; que le Saint-Esprit est ensemble lesprit du Père et du Fils, consubstantiel et coéternel à tous deux; et que tout cela est Trinité, à cause de la propriété des personnes, et un seul Dieu, à cause de la divinité inséparable, comme un seul tout-puissant, à cause de la toute-puissance inséparable; de telle sorte que chaque personne est Dieu et tout-puissant, et que toutes les trois ensemble ne sont point trois dieux, ni trois tout-puissants, mais un seul Dieu tout-puissant; tant lunité de ces trois personnes divines est inséparable Or, le Saint-Esprit du Père, qui est bon, et du Fils, qui est bon aussi, peut-il avec raison sappeler la bonté des deux, parce quil est commun aux deux? Je nai pas la témérité de lassurer. Je dirais plutôt quil est la sainteté des deux, en ne prenant pas ce mot pour une qualité, mais pour une substance et pour la troisième personne de la Trinité 1. Ce qui me déterminerait à hasarder cette réponse, cest quencore que le Père soit esprit et soit saint, et le Fils de même, la troisième personne divine ne laisse pas toutefois de sappeler proprement lEsprit-Saint, comme la sainteté substantielle et consubstantielle de tous deux. Cependant, si la bonté divine nest autre-chose que la sainteté divine, ce nest plus une témérité de lorgueil, mais un exercice légitime (le la raison, de chercher sous le voile dune expression mystérieuse le dogme de la Trinité manifestée dans ces trois conditions, dont on peut senquérir en chaque créature: qui la faite, par quel moyen a-t-elle été faite et pour quelle fin? Car cest le Père du Verbe qui a dit : « Que cela soit fait »; ce qui a été fait à sa parole, la sans doute été par le Verbe; et lorsque lEcriture ajoute : « Dieu vit que cela était bon », ces paroles nous montrent assez que ce na point été par nécessité, ni par indigence, mais par bonté, que Dieu a fait ce quil a fait, cest-à-dire parce que cela est bon. Et cest pourquoi la créature na été appelée bonne quaprès sa création, afin de marquer quelle est conforme â cette bonté, qui est la raison finale de son existence. Or,
1. Saint Augustin se sépare ici des hérétiques macédoniens, pour qui le Saint-Esprit navait pas une réalité propre et substantielle. Voyez son traité De haeres., haer. 52.
si par cette bonté on peut fort bien entendre le Saint-Esprit, voilà la Trinité tout entière manifestée dans tous ses ouvrages. Cest en elle que la Cité sainte, la Cité den haut et des saints anges trouve son origine, sa forme et sa félicité. Si lon demande quel est lauteur de son être, cest Dieu qui la créée; pourquoi elle est sage, cest que Dieu léclaire; doù vient quelle est heureuse, cest quelle jouit de Dieu. Ainsi Dieu est le principe de son être, de sa lumière et de sa joie; elle est, elle voit, elle aime; elle est dans léternité de Dieu, elle brille dans sa vérité, elle jouit dans sa bonté.
CHAPITRE XXV.DE LA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE EN TROIS PARTIES.
Tel est aussi, autant quon en peut juger, le principe de cette division de la philosophie en trois parties, établie ou, pour mieux dire, reconnue par les sages; car si la philosophie se partage en physique, logique et éthique, ou, pour employer des mots également usités, en science naturelle, science rationnelle et science morale 1, ce ne sont pas les philosophes qui ont fait ces distinctions, ils nont eu quà les découvrir. Par où je nentends pas dire quils aient pensé à Dieu et à la Trinité, quoique Platon, à qui on rapporte lhonneur de la découverte 2, ait reconnu Dieu comme lunique auteur de toute la nature, le dispensateur de lintelligence et linspirateur de cet amour qui est la source dune bonne et heureuse vie; je remarque seulement que les philosophes, tout en ayant des opinions différentes sur la nature des choses, sur la voie qui mène à la vérité et sur le bien final auquel nous devons rapporter toutes nos actions, saccordent tous à reconnaître cette division générale, et nul dentre eux, de quelque secte quil soit, ne révoque en doute que la nature nait une cause, la science une méthode et la vie une loi. De même chez tout artisan, trois choses concourent à la production de ses ouvrages, la nature, lart et lusage. La nature se fait reconnaître par le génie, lart par linstruction et lusage par le fruit. Je sais bien
1. Saint Augustin renvoie ici à son huitième livre, ou il sest déjà expliqué sur cette division de la philosophie, au chap. 4 et suiv. 2. Saint Augustin sexprime en cet endroit avec plus de réserve quau livre VIII, et il a raison; car si la tradition rapporte en effet à Platon la première division de la philosophie, il nen est pas moins vrai que cette division ne se rencontre pas dans les Dialogues.
(239)
quà proprement parler, le fruit concerne la jouissance et lusage lutilité, et quil y a cette différence entre jouir dune chose et sen servir, quen jouir, cest laimer pour elle-même, et sen servir, cest laimer pour une autre fin 1, doù vient que nous ne devons quuser des choses passagères, afin de mériter de jouir des éternelles, et ne pas faire comme ces misérables qui veulent jouir de largent et se servir de Dieu, nemployant pas largent pour Dieu, mais adorant Dieu pour largent. Toutefois, à prendre ces mots dans lacception la plus ordinaire, nous usons des fruits de la terre, quoique nous ne fassions que nous en servir. Cest donc en ce sens que jemploie le nom dusage en parlant des trois choses propres à lartisan, savoir la nature, lart ou la science, et lusage. Les philosophes ont tiré de là leur division de la science qui sert à acquérir la vie bienheureuse, en naturelle, à cause de la nature, rationnelle à cause de la science, et morale à cause de lusage. Si nous étions les auteurs de notre nature, nous serions aussi les auteurs de notre science et nous naurions que faire des leçons dautrui ; il suffirait pareillement, pour être heureux, de rapporter notre amour à nous-mêmes et de jouir de nous; mais puisque Dieu est lauteur de notre nature, il faut, si nous voulons connaître le vrai et posséder le bien, quil soit notre maître de vérité et notre source de béatitude.
CHAPITRE XXVI.LIMAGE DE LA TRINITÉ EST EN QUELQUE SORTE EMPREINTE DANS LHOMME, AVANT MÊME QUIL NE SOIT DEVENU BIENHEUREUX.
Nous trouvons en nous une image de Dieu, cest-à-dire de cette souveraine Trinité, et, bien que la copie ne soit pas égale au modèle, ou, pour mieux dire, quelle en soit infiniment éloignée, puisquelle ne lui est ni coéternelle ni consubstantielle, et quelle a même besoin dêtre réformée pour lui ressembler en quelque sorte, il nest rien néanmoins, entre tous les ouvrages de Dieu, qui approche de plus près de sa nature. En effet, nous sommes, nous connaissons que nous sommes, et nous aimons notre être et la connaissance que nous en avons. Aucune illusion nest possible sur ces trois objets; car nous navons pas besoin
1. Comp. saint Augustin, De doctr. chris., lib. I, n. 3-5, et De Trinit., lib. X, n.13
pour les connaître de lintermédiaire dun sens corporel, ainsi quil arrive des objets qui sont hors de nous, comme la couleur qui nest pas saisie sans la vue, le son sans louïe, les senteurs sans lodorat, les saveurs sans le goût, le dur et le mou sans le toucher, toutes choses sensibles dont nous avons aussi dans lesprit et dans la mémoire des images très-ressemblantes et cependant incorporelles, lesquelles suffisent pour exciter nos désirs; mais je suis très-certain, sans fantôme et sans illusion de limaginative, que jexiste pour moi-même, que je connais et que jaime mon être. Et je ne redoute point ici les arguments des académiciens ; je ne crains pas quils me disent: Mais si vous vous trompez? Si je me trompe, je suis; car celui qui nest pas ne peut être trompé, et de cela même que je suis trompé, il résulte que je suis. Comment donc me puis-je tromper, en croyant que je suis, du moment quil est certain que je suis, si je suis trompé? Ainsi, puisque je serais toujours, moi qui serais trompé, quand il serait vrai que je me tromperais, il est indubitable que je ne puis me tromper, lorsque je crois que je suis 1. Il suit de là que, quand je connais que je connais, je ne me trompe pas non plus; car je connais que jai cette connaissance de la même manière que je connais que je suis. Lorsque jaime ces deux choses, jy en ajoute une troisième qui est mon amour, dont je ne suis pas moins assuré que des deux autres. Je ne me trompe pas, lorsque je pense aimer, ne pouvant pas me tromper touchant les choses que jaime: car alors même que ce que jaime serait faux, il serait toujours vrai que jaime une chose fausse. Et comment serait-on fondé à me blâmer daimer une chose fausse, sil était faux que je laimasse? Mais lobjet de mon amour étant certain et véritable, qui peut douter de la certitude et de la vérité de mon amour? Aussi bien, vouloir ne pas être, cest aussi impossible que vouloir ne pas être heureux; car comment être heureux, si lon nest pas?
1. Ce raisonnement, très-familier à saint Augustin et quil a reproduit dans plusieurs de ses ouvrages (notamment dans le De Trinitate, lib. X, cap. 10, dans le De lib. arb., lib. II, cap. 3, et dans les Soliloques, livre I, cap. 3), contient le germe doù devait sortir, douze siècles plus tard, le Cogito, ergo sum et toute la philosophie moderne. Voyez Descartes, Discours de la méthode, 4e partie; Méditations , I et II; Lettres, tome VIII de lédition de M. Cousin, p. 421; comp. Pascal, Pensées, p. 469 de lédition de M. Havet.
(240)
CHAPITRE XXVII. DE LÊTRE ET DE LA SCIENCE, ET DE LAMOUR DE LUN ET DE LAUTRE.
Être, cest naturellement une chose si douce que les misérables mêmes ne veulent pas mourir, et quand ils se sentent misérables, ce nest pas de leur être, mais de leur misère quils souhaitent lanéantissement. Voici des hommes qui se croient au comble du malheur, et qui sont en effet très-malheureux, je ne dis pas au jugement des sages qui les estiment tels à cause de leur folies mais dans lopinion de ceux qui se trouvent heureux et qui font consister le malheur des autres dans lindigence et la pauvreté; donnez à ces hommes le choix ou de demeurer toujours dans cet état de misère sans mourir, ou dêtre anéantis, vous les verrez bondir de joie et sarrêter au premier parti. Jen atteste leur propre sentiment. Pourquoi craignent-ils de mourir et aiment-ils mieux vivre misérablement que de voir finir leur misère par la mort, sinon parce que la nature abhorre le néant? Aussi, lorsquils sont près de mourir, ils regardent comme une grande faveur tout ce quon fait pour leur conserver la vie, cest-à-dire pour prolonger leur misère. Par où ils montrent bien avec quelle allégresse ils recevraient limmortalité, alors même quils seraient certains dêtre toujours malheureux. Mais quoi! les animaux mêmes privés de raison, à qui ces pensées sont inconnues, tous depuis les immenses reptiles jusquaux plus petits vermisseaux, ne témoignent-ils pas, par tous les mouvements dont ils sont capables, quils veulent être et quils fuient le néant? Les arbres et les plantes, quoique privés de sentiment, ne jettent-ils pas des racines en terre à proportion quils sélèvent dans lair, afin dassurer leur nourriture et de conserver leur être? Enfin, les corps bruts, tout privés quils sont et de sentiment et même de vie, tantôt sélancent vers les régions den haut, tantôt descendent vers celles den bas, tantôt enfin se balancent dans une région intermédiaire, pour se maintenir dans leur être et dans les conditions de leur nature. Pour ce qui est maintenant de lamour que nous avons pour connaître et de la crainte qui nous est naturelle dêtre trompés, jen donnerai pour preuve quil nest personne qui naime mieux laffliction avec un esprit sain que la joie avec la démence. Lhomme est le seul de tous les êtres mortels qui soit capable dun sentiment si grand et si noble. Plusieurs animaux ont les yeux meilleurs que nous pour voir la lumière dici-bas; mais ils ne peuvent atteindre à cette lumière spirituelle qui éclaire notre âme et nous fait juger sainement de toutes choses; car nous nen saurions juger quà proportion quelle nous éclaire. Remarquons toutefois que sil ny a point de science dans les bêtes, elles en ont du moins quelque reflet, au lieu que, pour le reste des êtres corporels, on ne les appelle pas sensibles parce quils sentent, mais parce quon les sent, encore que les plantes, par la faculté de se nourrir et dengendrer, se rapprochent quelque peu des créatures douées de sentiment. En définitive, toutes ces choses corporelles ont leurs causes secrètes dans la nature, et quant à leurs formes, qui servent à lembellissement de ce monde visible, elles font paraître ces objets à nos sens, afin que sils ne peuvent connaître, ils soient du moins connus. Mais, quoique nos sens corporels en soient frappés, ce ne sont pas eux toutefois qui en jugent. Nous avons un sens intérieur beaucoup plus excellent, qui connaît ce (lui est juste et ce qui ne lest pas, lun par une idée intelligible, et lautre par la privation de cette idée. Ce sens na besoin pour sexercer ni de pupille, ni doreille, ni de narines, ni de palais, ni daucun toucher corporel. Par lui, je suis certain que je suis, que je connais que je suis, et que jaime mon être et ma connaissance.
CHAPITRE XXVII.SI NOUS DEVONS AIMER LAMOUR MÊME PAR LEQUEL NOUS AIMONS NOTRE ÊTRE ET NOTRE CONNAISSANCE, POUR MIEUX RESSEMBLER A LA TRINITÉ.
Mais cen est assez sur notre être, notre connaissance, et lamour que nous avons pour lun et pour lautre, aussi bien que sur la ressemblance qui se trouve à cet égard entre lhomme et les créatures inférieures. Quant à savoir si nous aimons lamour même que nous avons pour notre être et notre connaissance, cest ce dont je nai encore rien dit. Mais il est aisé de montrer que nous laimons en effet, puisquen ceux que nous aimons dun amour plus pur et plus parfait, nous aimons cet amour-là encore plus que nous (241) ne les aimons eux-mêmes. Car on nappelle pas homme de bien celui qui sait ce qui est bon, mais celui qui laime. Comment donc naimerions-nous pas en nous lamour même qui nous fait aimer tout ce que nous aimons de bon? En effet, il y a un autre amour par lequel on aime ce quil ne faut pas aimer, et celui qui aime cet amour par lequel on aime ce quon doit aimer, hait cet autre amour-là. Le même homme peut les réunir tous les deux, et cette réunion luit est profitable lorsque lamour qui fait que nous vivons bien augmente, et que lautre diminue, jusquà ce quil soit entièrement détruit et que tout ce quil y a de vie en nous soit purifié. Si nous étions brutes, nous aimerions la vie de la chair et des sens, et ce bien suffirait pour nous rendre contents, sans que nous eussions la peine den chercher dautres. Si nous étions arbres, quoique nous ne puissions rien aimer de ce qui flatte les sens, toutefois nous semblerions comme désirer tout ce qui pourrait nous rendre plus fertiles. De même encore, si nous étions pierres, flots, vent ou flamme, ou quelque autre chose semblable, nous serions privés à la vérité de vie et de sentiment, mais nous ne laisserions pas déprouver comme un certain désir de conserver le lieu et lordre où la nature nous aurait mis. Le poids des corps est comme leur amour, quil les fasse tendre en haut ou en bas; et cest ainsi que le corps, partout où il va, est entraîné par son poids comme lesprit par son amour 1. Puis donc que nous sommes hommes, faits à limage de notre Créateur, dont léternité est véritable, la vérité éternelle, et la charité éternelle et véritable, et qui est lui-même laimable, léternelle et la véritable Trinité, sans confusion ni division, parcourons tous ses ouvrages dun regard pour ainsi dire immobile, et recueillons des traces plus ou moins profondes de sa divinité dans les choses qui sont au-dessous de nous et qui ne seraient en aucune façon, ni nauraient aucune beauté, ni ne demanderaient et ne garderaient aucun ordre, si elles navaient été créées par celui qui possède un être souverain, une sagesse souveraine et une souveraine bonté. Quant à nous, après avoir contemplé son image en nous-mêmes, levons-nous et rentrons dans notre coeur, à lexemple
1. Cette théorie de lamour est plus développée dans les Confessions, au livre XIII, chap. 9 et ailleurs.
de lenfant prodigue de lEvangile 1 ou pour retourner vers celui de qui nous nous étions éloignés par nos péchés. Là, notre être ne sera point sujet à la mort, ni notre connaissance à lerreur, ni notre amour au déréglement. Et maintenant, bien que nous soyons assurés que ces trois choses sont en nous et que nous nayons pas besoin de nous en rapporter à dautres, parce que nous les sentons et que nous en avons une évidence intérieure, toutefois, comme nous ne pouvons savoir par nous-mêmes combien de temps elles dureront, si elles ne finiront jamais et où elles doivent aller, selon le bon et le mauvais usage que nous en aurons fait, il y a lieu de chercher à cet égard (et nous en avons déjà trouvé) dautres témoignages dont lautorité ne souffre aucun doute, comme je le prouverai en son lieu. Ne fermons donc pas le présent livre sans achever ce que nous avions commencé dexpliquer touchant cette Cité de Dieu, qui nest point sujette au pèlerinage de la vie mortelle, mais qui est toujours immortelle dans les cieux: parlons des saints anges demeurés pour jamais fidèles à Dieu et que Dieu sépara des anges prévaricateurs, devenus ténèbres pour sêtre éloignés de la lumière éternelle.
CHAPITRE XXIX.DE LA SCIENCE DES ANGES QUI ONT CONNU LA TRINITÉ DANS LESSENCE MÊME DE DIEU ET LES CAUSES DES OEUVRES DIVINES DANS LART DU DIVIN OUVRIER.
Ces saints anges napprennent pas à connaître Dieu par des paroles sensibles, mais par la présence même de la parole immuable de la vérité, cest-à-dire par le Verbe, Fils unique de Dieu, et ils connaissent le Verbe, et son Père, et leur Esprit, et cette Trinité inséparable où trois personnes distinctes ne font quune seule et même substance, de sorte quil ny a pas trois dieux, mais un seul, ils connaissent cela plus clairement que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Cest encore ainsi quils connaissent les créatures, non en elles-mêmes, mais dans la sagesse de Dieu comme dans lart qui les a produites; par conséquent, ils se connaissent mieux en Dieu quen eux-mêmes, quoiquils se
1. Luc, XV, 18.
connaissent aussi en eux-mêmes. Mais comme ils ont été créés, ils sont autre chose que celui qui les a créés; ainsi ils se connaissent en lui comme dans la lumière du jour, et en eux-mêmes comme dans celle du soir, ainsi que nous lavons dit ci-dessus 1. Or, il y a une grande différence entre connaître une chose dans la raison qui est la cause de son être, ou la connaître en elle-même; comme on connaît autrement les figures de mathématiques en les contemplant par lesprit quen les voyant tracées sur le sable, ou comme la justice est autrement représentée dans la vérité immuable que dans lâme du juste. Il en est ainsi de tous les objets de la connaissance: du firmament, que Dieu a étendu entre les eaux supérieures et les inférieures, et quil a nommé ciel, de la mer et de la terre, des herbes et des arbres, du soleil, de la lune et des étoiles, des animaux sortis des eaux, oiseaux, poissons et monstres marins, des animaux terrestres, tant quadrupèdes que reptiles, de lhomme même, qui surpasse en excellence toutes les créatures de la terre et de tout le reste. Toutes ces merveilles de la création sont autrement connues des anges dans le Verbe de Dieu, où elles ont leurs causes et leurs raisons éternellement subsistantes et selon lesquelles elles ont été faites quelles ne peuvent être connues en elles-mêmes 2. Ici, connaissance obscure qui natteint que les ouvrages de lart; là, connaissance claire qui atteint lart lui-même; et cependant ces ouvrages où sarrête le regard de lhomme, quand on les rapporte à la louange et à la gloire du Créateur, il semble que, dans lesprit qui les contemple, brille la lumière du matin.
CHAPITRE XXX.DE LA PERFECTION DU NOMBRE SENAIRE, QUI, LE PREMIER DE TOUS LES NOMBRES, SE COMPOSE DE SES PARTIES.
Or, lEcriture dit que la création fut achevée en six jours 3, non que Dieu ait eu besoin de ce temps, comme sil neût pu créer tous les êtres à la fois et leur faire ensuite marquer le cours du temps par des mouvements convenables ;
1. Au chap. 7. 2. Toute cette doctrine psychologique et métaphysique de la connaissance est parfaitement conforme à la théorie des Idées, telle quon la trouve exposée dans le Timée. Voyez surtout au tome XI de la traduction française les pages 120 et suiv. 3. Gen. I, 31.
mais le nombre senaire exprime ici la perfection de louvrage divin. Il est parmi tous les nombres le premier qui se compose de ses parties, je veux dire du sixième, du tiers et de la moitié de lui-même; en effet, le sixième de six est un, le tiers est deux et la moitié est trois, or, un, deux et trois font six. Les parties dont je parle ici sont celles dont on peut préciser le rapport exact avec le nombre entier, comme la moitié, le tiers, le quart ou telle autre fraction semblable. Quatre, par exemple, nest point partie aliquote de neuf, comme un, qui en est le neuvième, ou trois, qui en est le tiers; dun autre côté, le neuvième de neuf qui est un, et le tiers de neuf qui est trois, ajoutés ensemble, ne font pas neuf. Quatre est encore partie de dix, mais non partie aliquote, comme un qui en est le dixième. Deux en est le cinquième, cinq la moitié; ajoutez maintenant ces trois parties, un, deux et cinq, vous formez non le total dix, mais le total huit. Au contraire, les parties additionnées du nombre douze le surpassent;. car, prenez le douzième de douze qui est un, le sixième qui est deux, le tiers qui est trois, le quart qui est quatre, et la moitié qui est six, vous obtenez, en ajoutant tout cela, non pas douze, mais seize. Jai cru devoir toucher en passant cette question, afin de montrer la perfection du nombre senaire, qui est, je le répète, le premier de tous qui se compose de la somme de ses parties 1. Cest dans ce nombre parfait que Dieu acheva ses ouvrages 2. On aurait donc tort de mépriser les explications quon peut tirer des nombres, et ceux qui y regardent de près reconnaissent combien elles sont considérables en plusieurs endroits de lEcriture. Ce nest pas en vain quelle a donné à Dieu cette louange: « Vous avez ordonné toutes choses avec poids, nombre et mesure 3 »
CHAPITRE XXXI.DU SEPTIÈME JOUR, QUI EST CELUI OU DIEU SE REPOSE APRÈS LACCOMPLISSEMENT DE SES OUVRAGES.
Quant au septième jour, cest-à-dire au
1. Ces idée, étranges sur la vertu des nombres étaient alors fort répandues, et lécole dAlexandrie, qui les empruntait en les exagérant à la tradition pythagoricienne, avait singulièrement contribué à les mettre en honneur. 2. Comp. saint Augustin, De Gen. ad litt., n. 2-7, et De Trin., lib. IV, n. 31.37.
3. Sag. XI, 21.
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même jour répété sept fois, nombre qui est également parfait, quoique pour une autre raison, il marque le repos de Dieu 1 , et il est le premier que Dieu ait sanctifié 2. Ainsi, Dieu na pas voulu sanctifier ce jour par ses ouvrages, mais par son repos, qui na point de soir, car il ny a plus dès lors de créature, qui, étant connue dans le Verbe de Dieu autrement quen elle-même, constitue la distinction du jour en matin et en soir 3. Il y aurait beaucoup de choses à dire touchant la perfection du nombre sept; mais ce livre est déjà long, et je crains que lon ne maccuse de vouloir faire un vain étalage de ma faible science. Je dois donc imposer une règle à mes discours, de peur que, parlant du nombre avec excès, il ne semble que je manque moi-même à la loi du nombre et de la mesure. Quil me suffise davertir ici que trois est le premier nombre impair, et quatre le premier pair, et que ces deux nombres pris ensemble font celui de sept. On lemploie souvent par cette raison, pour marquer indéfiniment tous les nombres, comme quand il est dit: « Sept fois le juste tombera, et il se relèvera 4 », cest-à-dire, il ne périra point, quel que soit le nombre de ses chutes. Par où il ne faut pas entendre des péchés, mais des afflictions qui conduisent à lhumilité. Le Psalmiste dit aussi : « Je vous louerai sept fois le jour 5 » ; ce qui est exprimé ailleurs ainsi: « Les louanges seront toujours en ma bouche 6». Il y a beaucoup dautres endroits semblables dans lEcriture, où le nombre sept marque une généralité indéfinie. Il est encore souvent employé pour signifier le Saint-Esprit, dont Notre-Seigneur dit : « Il vous enseignera toute vérité 7 » En ce nombre est le repos de Dieu, je veux dire le repos quon goûte en Dieu; car le repos se trouve dans le tout, cest à savoir dans le plein accomplissement, et le travail dans la partie. Aussi la vie présente est-elle le temps du travail, parce que nous navons que des connaissances partielles 8; mais lorsque ce qui est parfait sera arrivé, ce qui nest que partiellement sévanouira. De là vient encore que nous avons ici-bas de là peiné à découvrir le sens de lEcriture ; mais il en est tout autrement des saints anges, dont la société
1. Gen. II, 1 2. Comp. De Gen. ad litt., lib. V, n. 1-3, et lib. IV, n. 7-9; Gen. I,3.
3. Voyez plus haut, ch. 7. 4. Prov. XXIV, 16. 5. Ps. CXVIII, 164. 6. Ps. XXXIII, 1. Jean, xvi, 13. 7. I Cor. XIII, 9.
glorieuse fait lobjet de nos désirs dans ce laborieux pèlerinage: comme ils jouissent dun état permanent et immuable, ils ont une facilité pour comprendre égale à la félicité de leur repos. Cest sans peine quils nous aident, et leurs mouvements spirituels, libres et purs, ne leur coûtent aucun effort.
CHAPITRE XXXII.DE CEUX QUI CROIENT QUE LA CRÉATION DES ANGES A PRÉCÉDÉ CELLE DU MONDE.
Quelquun prétendra-t-il que ces paroles de la Genèse : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite », ne doivent point sentendre de la création des anges, mais dune lumière corporelle, quelle quelle soit; et que les anges ont été créés, non-seulement avant le firmament, mais aussi avant toute autre créature ? alléguera-t-il , à lappui de cette opinion, que le premier verset de la Genèse ne signifie pas que le ciel et la terre furent les premières choses que Dieu créa, puisquil avait déjà créé les anges, mais que toutes choses furent créées dans sa sagesse, cest-à-dire dans son Verbe, que lEcriture nomme ici Principe 1, nom quil prend lui-même dans lEvangile 2, lorsquil répond aux Juifs qui lui demandaient qui il était 3. Je ne combattrai point cette interprétation, à cause de la vive satisfaction que jéprouve à voir la Trinité marquée dès le commencement du saint livre de la Genèse. On y lit, en effet: « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre », ce qui peut signifier que le Père a créé le monde dans son Fils, suivant ce témoignage du psaume : « Que vos oeuvres, Seigneur, sont magnifiques ! Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse 4 ». Aussi bien lEcriture ne tarde pas à faire mention du Saint-Esprit. Après avoir décrit la terre, telle que Dieu la créée primitivement, cest-à-dire cette masse ou matière que Dieu avait préparée sous le nom du ciel et de la terre pour la structure de lunivers, après avoir dit : « Or, la terre était invisible et informe, et les ténèbres étaient répandues sur labîme » ; elle ajoute aussitôt, comme pour compléter le nombre des personnes de la Trinité : « Et lEsprit de Dieu
1. Dans le principe, dit la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre. 2. Jean, VIII, 25. 3. Voici le passage de saint Jean : « Ils lui dirent : Qui êtes-vous donc? Jésus leur répondit : Je suis le principe ». 4. Ps. CIII, 25.
était porté sur les eaux». Chacun, au reste, est libre dentendre comme il le voudra ces paroles si obscures et si profondes quon en peut faire sortir beaucoup dopinions différentes toutes conformes à la foi, pourvu cependant quil soit bien entendu que les saints anges, sans être coéternels à Dieu, sont certains de leur véritable et éternelle félicité. Cest à la société bienheureuse de ces anges quappartiennent les petits enfants dont parle le Seigneur, quand il dit « Ils seront les égaux des anges du ciel 1 ». Il nous apprend encore de quelle félicité les anges jouissent au ciel, par ces paroles : « Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits ; car je vous déclare que leurs anges voient sans cesse la face de mon Père, qui est dans les cieux 2 ».
CHAPITRE XXXIII.ON PEUT ENTENDRE PAR LA LUMIÈRE ET LES TÉNÈBRES LES DEUX SOCIÉTÉS CONTRAIRES DES BONS ET DES MAUVAIS ANGES.
Que certains anges aient péché et quils aient été précipités dans la plus basse partie du monde, où ils sont comme en prison jusquà la condamnation suprême, cest ce que lapôtre saint Pierre montre clairement lorsquil dit que Dieu na point épargné les anges prévaricateurs, mais quil les a précipités dans les prisons obscures de lenfer, en attendant quil les punisse au jour du jugement 3. Qui doutera dès lors que Dieu, soit dans sa prescience, soit dans le fait, nait séparé les mauvais anges davec les bons? et qui niera que ces derniers ne soient fort bien appelés lumière, alors que lApôtre nous donne ce nom, à nous qui ne vivons encore que par la foi et qui espérons, il est vrai, devenir les égaux des anges, mais ne le sommes pas encore? « Autrefois, dit-il, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre-Seigneur 4 ». A légard des mauvais anges, quiconque sait quils sont au-dessous des hommes infidèles, reconnaîtra que lEcriture les a pu nommer très-justement ténèbres. Ainsi, quand on devrait prendre lumière et ténèbres au sens littéral dans ces passages de la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite ». « Dieu sépara la lumière des ténèbres, on ne saurait toutefois
1. Matt. XIX, 14 .- 2. Ibid. XVIII, 10 .- 3. II Pierre, II, 4 .- 4. Ephés. V, 8.
nous blâmer de reconnaître ici les deux sociétés des anges : lune qui jouit de Dieu, et lautre qui est enflée dorgueil ; lune à qui lon dit : « Vous tous qui êtes ses anges, adorez-le 1 » ; et lautre qui ose dire par la bouche de son prince: « Je vous donnerai « tout cela, si vous voulez vous prosterner « devant moi et madorer 2 »; lune embrasée du saint amour de Dieu, et lautre consumée de lamour impur de sa propre grandeur; lune habitant dans les cieux des cieux, et lautre précipitée de ce bienheureux séjour et reléguée dans les plus basses régions de lair, suivant ce qui est écrit que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles 3 »; lune tranquille et doucement animée dune piété lumineuse, lautre turbulente et agitée daveugles convoitises; lune qui secourt avec bonté et punit avec justice, selon le bon plaisir de Dieu, et lautre à qui son orgueil inspire une passion furieuse de nuire et de dominer; lune ministre de la bonté de Dieu pour faire du bien autant quil lui plaît, et lautre liée par la puissance de Dieu pour ne pas nuire autant quelle voudrait ; la première enfin se riant de la seconde. et de ses vains efforts pour entraver son glorieux progrès à travers les persécutions , et celle-ci consumée denvie quand elle voit sa rivale recueillir partout des pèlerins. Et maintenant que, daprès dautres passages de lEcriture qui nous représentent plus clairement ces deux sociétés contraires, lune bonne par sa nature et par sa volonté, et lautre mauvaise par sa volonté, quelque bonne par sa nature, nous avons cru les voir marquées dans ce premier chapitre de la Genèse sous les noms de lumière et de ténèbres, si nous supposons que telle nait pas été la pensée de lécrivain sacré, il nen résulte pas que nous ayons perdu le temps en paroles inutiles ; car enfin, bien que le texte reste obscur, la règle de la foi na pas été atteinte et elle est assez claire aux fidèles par dautres endroits. Si en effet le livre de la Genèse ne fait mention que des ouvrages corporels de Dieu, ces ouvrages-mêmes ne laissent pas davoir quelque rapport avec les spirituels, suivant cette parole de saint Paul: « Vous êtes tous enfants de lumière et enfants du jour; nous ne sommes pas enfants de la nuit ni des ténèbres 4 ». Et si, au contraire, 1. Ps. XCVI, 8. 2. Matt. IV, 9. 3. Jacob, IV, 6. 4. I Thess. V, 5.
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lécrivain sacré a eu les pensées que nous lui supposons, alors le commentaire auquel nous nous sommes livré en tire une nouvelle force, et il faut conclure que cet homme de Dieu, tout pénétré dune sagesse divine, ou plutôt que lesprit de Dieu qui parlait en lui na pas oublié les anges dans lénumération des ouvrages de Dieu, soit que par ces mots : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre », on entende que Dieu créa les anges dès le principe, cest-à-dire dès le commencement, soit, ce qui me paraît plus raisonnable, quon entende quil les créa dans le Verbe de Dieu, son Fils unique, en qui il a créé toutes choses. De même, par le ciel et la terre, on peut entendre toutes les créatures, tant spirituelles que corporelles, explication la plus vraisemblable, ou ces deux grandes parties du monde corporel qui contiennent tout le reste des êtres, et que Moïse mentionne dabord en général, pour en faire ensuite une description détaillée selon le nombre mystique des six jours.
CHAPITRE XXXIV.DE CEUX QUI CROIENT QUE PAR LES EAUX QUE SÉPARA LE FIRMAMENT IL FAUT ENTENDRE LES ANGES, ET DE QUELQUES AUTRES QUI PENSENT QUE LES EAUX NONT POINT ÉTÉ CRÉÉES.
Quelques-uns ont cru que les eaux, dans la Genèse, désignent la légion des anges, et que cest ce quon doit entendre par ces paroles : « Que le firmament soit fait entre leau et leau 2 »; en sorte que les eaux supérieures seraient les bons anges, et que par les eaux inférieures il faudrait entendre, soit les eaux visibles, soit les mauvais anges, soit toutes les nations de la terre. A ce compte, la Genèse ne nous dirait pas quand les anges ont été créés, mais quand ils ont été séparés. Mais croira-t-on quil se soit trouvé des esprits
1. Ce système dinterprétation est celui dOrigène, et saint Augustin y incline dans les Confessions (lib. XIII, chap. 15 et chap. 32); plus tard il labandonna complétement. Voyez ses Rétractations (livre II, ch. 6, n. 2). 2. Gen., I, 6.
assez frivoles et assez impies pour nier que Dieu ait créé les eaux, sous prétexte quil nest écrit nulle part: Dieu dit: Que les eaux soient faites? Par la même raison, ils pourraient en dire autant de la terre, puisquon ne lit nulle part : Dieu dit : Que la terre soit faite. Mais, objectent ces téméraires, il est écrit: « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre ». Que conclure de là ? que leau est ici sous-entendue, et quelle est comprise avec la terre sous un même nom. Car « la mer est à lui » dit le Psalmiste, « et cest lui qui la faite; et ses mains ont formé la terre 1 ». Pour revenir à ceux qui veulent que, par les eaux qui sont au-dessus des cieux, on entende les anges, ils nadoptent cette opinion quà cause de la nature à la fois pesante et liquide de cet élément, quils ne croient pas pouvoir demeurer ainsi suspendu. Mais cela prouve simplement que sils pouvaient faire un homme, ils ne mettraient pas dans sa tête le flegme ou la pituite, laquelle joue le rôle de leau dans les quatre éléments dont notre corps est composé. Cependant, la tête nen reste pas moins le siége de la pituite, et cela est fort bien ordonné. Quant au raisonnement de ces esprits hasardeux, il est tellement absurde que si nous ignorions ce qui en est et quil fût écrit de même dans le livre de la Genèse que Dieu a mis un liquide froid et par conséquent pesant dans la plus haute partie du corps de lhomme, ces peseurs déléments ne le croiraient pas et diraient que cest une expression allégorique. Mais si nous voulions examiner en particulier tout ce qui est contenu dans ce récit divin de la création du monde, lentreprise demanderait trop de temps et nous mènerait trop loin. Comme il nous semble avoir assez parlé de ces deux sociétés contraires des anges, où se trouvent quelques commencements des deux cités dont nous avons dessein de traiter dans la suite, il est à propos de terminer ici ce livre.
1. Ps. XCIV, 5. |