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LIVRE DIX-HUITIÈME : HISTOIRE DES DEUX CITÉS 1 .
Saint Augustin expose. le développement des deux cités depuis lépoque dAbraham jusquà la fin du monde; il signale en même temps les oracles qui ont annoncé Jésus-Christ, soit chez les sibylles, soit principalement chez les prophètes qui ont écrit depuis la naissance de lempire romain, tels quOsée, Amos, Isaïe, Michée et les suivants.
LIVRE DIX-HUITIÈME : HISTOIRE DES DEUX CITÉS .
RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ TRAITÉ DANS LES LIVRES PRÉCÉDENTS.
DES TEMPS DE JACOB ET DE SON FILS JOSEPH.
SOUS QUELS ROIS ARGIENS ET ASSYRIENS JACOB MOURUT EN ÉGYPTE.
SOUS QUELS ROIS MOURUT JOSEPH EN ÉGYPTE.
ORIGINE DU NOM DE LA VILLE DATHÈNES, FONDÉE OU REBÂTIE SOUS CÉCROPS.
ORIGINE DU NOM DE LARÉOPAGE SELON VARRON, ET DÉLUGE DE DEUCALION SOUS CÉCROPS.
DES SUPERSTITIONS RÉPANDUES PARMI LES GENTILS A LÉPOQUE DES JUGES.
FIN DU ROYAUME DES ARGIENS ET NAISSANCE DE CELUI DES LAURENTINS.
DE DIOMÈDE ET DE SES COMPAGNONS, CHANGÉS EN OISEAUX APRÈS LA RUINE DE TROIE.
SENTIMENT DE VARRON SUR CERTAINES MÉTAMORPHOSES.
CE QUIL FAUT CROIRE DES MÉTAMORPHOSES.
ÉNÉE EST VENU EN ITALlE AU TEMPS OU LABDON ÉTAIT JUGE DES HÉBREUX.
SUCCESSION DES ROIS DES JUIFS APRÈS LE TEMPS DES JUGES.
FONDATION DE ROME A LÉPOQUE OU LEMPIRE DASSYRIE PRIT FIN ET OU ÉZÉCHIAS ÉTAIT ROI DE JUDA.
FIN DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RÈGNE DES ROIS DE ROME.
DES PROPHÈTES QUI SÉLEVÈRENT PARMI LES JUIFS AU COMMENCEMENT DE LEMPIRE ROMAIN.
VOCATION DES GENTILS PRÉDITE PAR OSÉE ET PAR AMOS.
PROPHÉTIES DISAÏE TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
PROPHÉTIES DE MICHÉE, JONAS ET JOEL QUI REGARDENT JÉSUS-CHRIST.
SALUT DU MONDE PAR JÉSUS-CHRIST PRÉDIT PAR ABDIAS, NAHUM ET HABACUC.
PROPHÉTIES DU CANTIQUE DHABACUC.
PROPHÉTIES DE JÉRÉMIE ET DE SOPHONIAS TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET LA VOCATION DES GENTILS.
PRÉDICTIONS DE DANIEL ET DÉZÉCHIEL SUR LE MÊME SUJET.
PRÉDICTIONS DAGGÉE, DE ZACHARIE ET DE MALACHIE TOUCHANT JÉSUS-CHRIST.
DESDRAS ET DES LIVRES DES MACHABÉES.
NOS PROPHÈTES SONT PLUS ANCIENS QUE LES PHILOSOPHES.
POURQUOI LÉGLISE REJETTE LES ÉCRITS DE QUELQUES PROPHÈTES.
LA LANGUE HÉBRAÏQUE A TOUJOURS EU DES CARACTÈRES.
FOLIE ET VANITÉ DES ÉGYPTIENS, QUI FONT LEUR SCIENCE ANCIENNE DE CENT MILLE ANS.
LES ÉCRIVAINS CANONIQUES SONT AUTANT DACCORD ENTRE EUX QUE LES PHILOSOPHES LE SONT PEU.
PRÉÉMINENCE DE LA VERSION DES SEPTANTE SUR TOUTES LES AUTRES.
CONFORMITÉ DE LA VERSION DES SEPTANTE ET DE LHÉBREU.
DÉCADENCE DES JUIFS DEPUIS LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE.
NAISSANCE DU SAUVEUR ET DISPERSION DES JUIFS PAR TOUTE LA TERRE.
SI, AVANT LINCARNATION DE JÉSUS-CHRIST DAUTRES QUE LES JUIFS ONT APPARTENU A LA JÉRUSALEM CÉLESTE.
LES ÉLUS ET LES RÉPROUVÉS SONT MÊLÉS EN SEMBLE ICI-BAS.
LES HÉRÉTIQUES SONT UTILES A LÉGLISE.
SIL NY AURA POINT DE PERSÉCUTION CONTRE LÉGLISE JUSQUÀ LANTECHRIST.
ON NE SAIT POINT QUAND LA DERNIÈRE PERSÉCUTION DU MONDE ARRIVERA.
DE CE MENSONGE DES PAÏENS, QUE LE CHRISTIANISME NE DEVAIT DURER QUE TROIS CENT SOIXANTE-CINQ ANS.
CHAPITRE PREMIER.RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ TRAITÉ DANS LES LIVRES PRÉCÉDENTS.
Jai promis de parler de la naissance, du progrès et de la fin des deux cités, après avoir réfuté, dans les dix premiers livres de cet ouvrage, les ennemis de la Cité de Dieu, qui préfèrent leurs dieux à Jésus-Christ, et dont lâme dévorée dune pernicieuse envie a conçu contre les chrétiens la plus implacable inimitié. Jai fait voir en quatre livres, depuis le onzième jusquau quatorzième, la naissance des deux cités. Le quinzième en a montré le progrès, depuis le premier homme jusquau déluge, et depuis le déluge jusquà Abraham. Mais depuis Abraham jusquaux rois des Juifs, période exposée dans le seizième livre, et depuis ces rois jusquà la naissance du Sauveur, où nous conduit le dix-septième, il semble que la seule Cité de Dieu se soit montrée dans notre récit, quoique celle du inonde nait pas laissé de continuer son cours. Jai procédé de la sorte, afin que le progrès de la Cité de Dieu parût plus distinctement, depuis que les promesses de lavènement du Messie ont commencé à être plus claires; et toutefois il est vrai de dire que, jusquà la publication du Nouveau Testament, cette cité ne sest montrée quà travers des ombres. Il faut donc reprendre maintenant le cours de la cité du monde depuis Abraham, afin quon puisse comparer ensemble le développement des deux cités.
CHAPITRE II.QUELS ONT ÉTÉ LES ROIS DE LA CITÉ DE LA TERRE PENDANT QUE SE DÉVELOPPAIT LA SUITE DES SAINTSDEPUIS ABRAHAM.
La société des hommes répandue par toute la terre, dans les lieux et les climats les plus différents, ne cherchant quà satisfaire ses besoins
1. Ce livre a été écrit vers lan 426.
ou ses convoitises, et lobjet de ses désirs nétant capable de suffire ni à tous, ni à personne, parce que ce nest pas le bien véritable, il arrive dordinaire quelle se divise contre elle-même et que le plus faible est opprimé par le plus fort. Accablé par le vainqueur, le vaincu achète la paix aux dépens de lempire, et même de la liberté, et cest un rare et admirable spectacle que celui dun peuple qui aime mieux périr que de se soumettre. En effet, la nature crie en quelque sorte à lhomme quil vaut mieux subir le joug du vainqueur que de sexposer aux dernières fureurs de la guerre. Et cest ainsi que dans la suite des temps, non sans un conseil de la providence de Dieu, qui règle le sort des batailles, quelques peuples ont été les maîtres des autres. Or, entre tous les empires que les divers intérêts de la cité de la terre ont établis, il en est deux singulièrement puissants, celui des Assyriens et celui des Romains, distincts lun de lautre par les lieux comme par les temps. Celui des Assyriens, situé en Orient, a fleuri le premier; et celui des Romains, qui nest venu quaprès, sest étendu en Occident: la fin de lun a été le commencement de lautre. On peut dire que les autres royaumes nont été que des rejetons de ceux-là. Ninus, second roi des Assyriens, qui avait succédé à son père Bélus 1, tenait lempire, quand Abraham naquit en Chaldée. En ce temps-là florissait aussi le petit royaume des Sicyoniens, par lequel le docte Varron commei1ce son histoire romaine 2 . Des rois des Sicyoniens, il descend aux Athéniens, de ceux-ci aux Latins, et des Latins aux Romains. Mais, comme je lai
1. Sur Bélus, voyez Hérodote, lib. I, cap. 181 et seq. La plupart des historiens font commencer lempire dAssyrie à Nions. Bélus a été ajouté par les historiens postérieurs, notamment par Eusèbe dans sa Chronique. 2. Voyez plus haut (livre VI, ch. 2) le témoignage éclatant que rend saint Augustin à la science de Varron. Lhistoire romaine don il est question ici et qui est entièrement perdue, est mentionnée par les grammairiens Charisius et Servius et par Arnobe (Adv. Gent., lib. V, p. 143 de lédition de Stewech ).
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dit, tous ces empires qui ont précédé la fondation de Borne étaient peu de chose en comparaison de celui des Assyriens; et Salluste, tout en reconnaissant que les Athéniens ont été célèbres dans la Grèce, croit pourtant que la renommée a exagéré leur puissance. « Les faits darmes dAthènes, dit-il, ont été grands et glorieux, je nen disconviens pas ; mais toutefois je les crois un peu au-dessous de ce quon en publie. Léloquence des historiens a beaucoup contribué à leur éclat, et la vertu de ses héros a été rehaussée de toute la grandeur de ses beaux génies 1 ». Ajoutez à cela quAthènes a été lécole des lettres et de la philosophie, ce qui na pas peu contribué à sa gloire. Mais à ne considérer que la puissance matérielle, il ny avait point en ce temps-là dempire plus fort ni plus étendu que celui dAssyrie, En effet, on dit que Ninus subjugua toute lAsie, cest-à-dire la moitié du monde, et porta ses conquêtes jusques aux confins de la Libye. Les Indiens furent les seuls de tous les peuples dOrient qui demeurèrent libres de sa domination; encore, après sa mort, furent-ils soumis par sa femme Sémiramis 2. Ce fut donc alors, sous le règne de Ninus 3, quAbraham naquit chez les Chaldéens; mais, comme lhistoire des Grecs nous est bien plus connue que celle des Assyriens, ayant passé jusquà nous par les Latins, et, après ceux-ci, par les Romains, qui en sont descendus, jestime quil ne sera pas hors de propos de rappeler à loccasion les rois des Assyriens, afin quon voie comment Babylone, ainsi que lancienne Home, savance dans le cours des siècles avec la Cité de Dieu, étrangère ici-bas. Quant aux faits qui doivent nous servir à mettre en parallèle les deux cités, il vaut mieux les emprunter aux Grecs et aux Latins, parmi lesquels je comprends Rome, comme une seconde Babylone. Or, à la naissance dAbraham, Ninus était le second roi des Assyriens, et Europs le second roi des Sicyoniens; lun avait succédé à Bélus, et lautre à Aegialeus 4. Quand Dieu promit à Abraham une postérité nombreuse, après quil fut sorti de Babylone, les Assyriens en étaient à leur quatrième roi, et les Sicyoniens à leur cinquième: Alors le fils de Ninus régnait chez les
1. Catil. ch. 8. 2. Voyez Diodore de Sicile, daprès Ctésias (lib. u, cap. 15 et seq.) 3. Saint Augustin suit la Chronique dEusèbe; dautres font naître Abraham la vingtième année du règne de Sémiramis. 4. Ces synchronismes sont établis daprès Eusèbe.
Assyriens après sa mère Sémiramis, quil tua, dit-on, parce quelle voulait former avec lui une union incestueuse1. Quelques-uns croient quelle fonda Babylone, peut-être parce quelle la rebâtit 2 ; car nous avons montré au seizième livre quand et comment Babylone fut fondée. Pour ce fils de Sémiramis, les uns le nomment Ninus comme son père, les autres Ninyas. Telxion tenait alors le sceptre des Sicyoniens, et son règne fut si tranquille que ses sujets, après sa mort, firent de lui un dieu et lui décernèrent des jeux et des sacrifices.
CHAPITRE III.SOUS QUELS ROIS DES ASSYRIENS ET DES SICYONIENS NAQUIT ISAAC, ABRAHAM ÉTANT ALORS ÂGÉ DE CENT ANS, ET A QUELLE ÉPOQUE DE CES MÊMES EMPIRES ISÂAC, ÂGÉ DE SOIXANTE ANS, EUT DE RÉBECCA DEUX FILS, ÊSAÜ ET JACOB.
Ce fut sous le règne de Teixion que naquit Isaac, selon la promesse que Dieu en avait faite à son père Abraham, qui leut à lâge de cent ans de sa femme Sarra, à qui la stérilité et le grand âge avaient ôté lespérance davoir des enfants: Arrius 3, cinquième roi des Assyriens, régnait alors. Isaac, âgé de soixante ans, eut de sa femme Rébecca deux 1enfants jumeaux, Esaü et Jacob, Abraham étant encore vivant et âgé de cent soixante ans; mais il mourut quinze ans après, sous le règne de lancien Xerxès, roi des Assyriens, surnommé Baléus, et de Thuriacus ou Thurimachus, roi des Sicyoniens, tous deux septièmes souverains de leurs peuples. Le royaume des Argiens prit naissance sous les petits-fils dAbraham, et Inachus en fut le premier roi. Il ne faut pas oublier, quau rapport de Varron, les Sicyoniens avaient coutume de sacrifier sur le sépulcre de Thurimachus. Sous les règnes dArmamitres et de Leucippus, huitièmes rois des Assyriens et des Sicyoniens, et sous celui dInachus, premier roi des Argiens, Dieu parla à lsaac et lui promit, comme il avait fait à son père, quil donnerait la terre de Chanaan à sa
1. Cest le récit de Justin, abréviateur de Trogne-Pompée, qui écrivait probablement daprès Ctésias. Comp. Agathias, Hist., lib. II, cap.24. 2. Diodore de Sicile et Justin, daprès Ctésias (page 396 et seq. de lédition de Baehr), font bâtir Babylone par Sémiramis. Suivant Josèphe et Eusèbe, Bélus serait le fondateur de Babylone, et Sémiramis naurait fait que la restaurer et la fortifier. 3. Lédition bénédictine donnait Arabius, auquel la nouvelle édition de 1838 substitue Arrius. Voyez la note du savant éditeur, tome VII, page 776.
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postérité, et quen elle toutes les nations seraient bénies. Il promit la même chose à son fils Jacob, appelé depuis Israël, sous le règne de Bélocus, neuvième roi des Assyriens, et de Phoronée, fils dInachus, deuxième roi des Argiens; car Leucippus, huitième roi des Sicyoniens, vivait encore. Ce fut sous ce Phoronée 1, roi dArgos, que la Grèce commença à devenir célèbre par ses lois et ses institutions. Phegoiis, cadet de Phoronée, fut honoré comme un dieu après sa mort, et on lui bâtit un temple sur son tombeau. Jestime quon lui déféra cet honneur, parce que, dans la partie du royaume que son père lui avait laissée, il avait élevé des chapelles aux dieux, et divisé les temps par mois et par années. Surpris de ces nouveautés, les hommes encore grossiers crurent quil était devenu dieu après sa mort, ou le voulurent croire. On dit quIo, fille dInachus, appelée depuis Isis, fut honorée en Egypte comme une grande déesse; dautres pourtant la font venir dEthiopie en Egypte, où elle gouverna avec tant de sagesse et de justice que les Egyptiens, qui lui devaient en outre linvention des lettres et beaucoup dautres choses utiles, la révérèrent comme une divinité, et défendirent, sous peine de la vie, de dire quelle avait été une simple mortelle.
CHAPITRE IV.DES TEMPS DE JACOB ET DE SON FILS JOSEPH.
Pendant que Baléus, dixième roi des Assyriens, occupait le trône sous le règne de Mes-sapas, surnommé Céphisus, neuvième roi des Sicyoniens (si toutefois ce ne sont point là deux noms différents), et sous celui dApis, troisième roi des Argiens, Isaac mourut âgé de cent quatre-vingts ans, et laissa ses deux jumeaux qui en avaient cent vingt. Le plus jeune des deux, Jacob, qui appartenait à la Cité de Dieu, à lexclusion de laîné, avait douze fils. Joseph, lun deux, ayant été vendu par ses frères du vivant dIsaac, leur aïeul, à des marchands qui trafiquaient en Egypte, fut tiré de la prison où lavait fait mettre sa chasteté, courageusement défendue contre la passion dune femme adultère, et présenté à lâge de trente ans à Pharaon, roi dEgypte. Ce
1. Pausanias fait honneur à Phoronée davoir initié son peuple à lusage du feu (lib. II, cap. 15); ce que saint Augustin dit de ce personnage et de son frère Phegoüs est très-probablement emprunté à Vairon. Comp. Platon, Timée, init.
prince le combla dhonneurs et de biens, parce quil lui avait expliqué ses songes et prédit les sept années dabondance, qui devaient être suivies des sept autres années de stérilité. Cc fut à la seconde de ces années stériles que Jacob vint en Egypte avec toute sa famille, âgé de cent trente ans, comme il le dit lui-même au roi Pharaon. Joseph en avait alors trente-neuf, attendu que les sept années dabondance et les deux de stérilité sétaient écoulées, depuis quil avait commencé à être en faveur.
CHAPITRE V. DAPIS, TROISIÉME ROI DES ARGIENS, DONT LES ÉGYPTIENS FIRENT LEUR DIEU SÉRÂPIS.
En ce temps, Apis, roi des Argiens, qui était venu par mer en Egypte et qui y était mort, devint ce fameux Sérapis, le plus grand de tous les dieux des Egyptiens. Pourquoi ne fut-il pas nommé Apis après sa mort, mais Sérapis? Varron en rend une raison fort claire, qui est que les Grecs appelant un cercueil soros 1, et celui dApis ayant été honoré avant quon lui eût bâti un temple, on le nomma dabord Sorosapis ou Sorapis, et puis, en changeant une lettre, comme cela arrive souvent, Sérapis. Il fut ordonné que quiconque lappellerait homme serait puni du dernier supplice; et Varron dit que cétait pour signifier cette défense que les statues dIsis et de Sérapis avaient toutes un doigt sur les lèvres. Quant à ce boeuf que lEgypte, par une merveilleuse superstition, nourrissait si délicatement 2 en lhonneur du dieu, comme ils ladoraient vivant et non pas dans le cercueil, ils lappelèrent Apis et non Sérapis. A la mort de ce boeuf, on en mettait un autre à sa place, marqué pareillement de certaines taches blanches, où le peuple voyait une grande merveille et un don de la divinité; mais, en vérité, il nétait pas difficile aux démons, qui prenaient plaisir à tromper ces peuples, de représenter à une vache pleine un taureau pareil à Apis, comme fit Jacob 3, qui obtint des chèvres et des brebis de la même couleur que les baguettes bigarrées quil mettait devant les yeux de leurs mères. Ce que les hommes font avec des couleurs véritables, les
1. Zorós, cercueil, urne funéraire, sarcophage. 2. Sur la nourriture du boeuf Apis, voyez Strabon, lib. XVII, cap. 1. § 31. 3. Gen. XXX, 39.
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démons le peuvent faire très-aisément par le moyen de couleurs fausses et fantastiques.
CHAPITRE VI.SOUS QUELS ROIS ARGIENS ET ASSYRIENS JACOB MOURUT EN ÉGYPTE.
Apis, roi des Argiens et non des Egyptiens, mourut donc en Egypte, et son fils Argus lui succéda. Cest de lui que les Argiens prirent leur nom, car on ne les appelait pas ainsi auparavant. Sous son règne, Eratus gouvernant les Sicyoniens, et Baléus, qui vivait encore, les Assyriens, Jacob mourut en Egypte, âgé de cent quarante-sept ans, après avoir béni ses enfants et les enfants de son fils Joseph, et annoncé clairement le Messie, lorsque, bénissant Juda, il dit : « Il ne manquera ni prince de la race de Juda, ni chef de son sang, jusquau jour où ce qui lui a été promis sera accompli; et il sera lattente des nations 1 ». Sous le règne dArgus, la Grèce commença à cultiver son sol et à semer du blé. Argus, après sa mort, fut adoré comme un dieu, et on lui décerna des temples et des sacrifices: honneur suprême déjà rendu avant lui sous son propre règne à un particulier nommé Homogyrus, qui fut tué dun coup de foudre, et qui le premier avait attelé des boeufs à la charrue,
CHAPITRE VII.SOUS QUELS ROIS MOURUT JOSEPH EN ÉGYPTE.
Sous le règne de Mamitus, douzième roi des Assyriens, et de Plemnaeus, le onzième des Sicyoniens, temps où Argus était encore roi des Argiens, Joseph mourut en Egypte, âgé de cent dix ans. Après sa mort, le peuple de Dieu, qui saccroissait dune façon prodigieuse, demeura en Egypte lespace de cent quarante-cinq ans , assez tranquillement dabord, tant que vécurent ceux qui avaient vu Joseph; mais depuis, le grand nombre des Hébreux étant devenu suspect aux Egyptiens, ils persécutèrent cruellement cette race et lui firent souffrir mille maux; ce qui nen diminua pas la fécondité. Pendant ce temps, nul changement de règne en Assyrie ni en Grèce.
1. Gen. XLIX, 10.
CHAPITRE VIII.DES ROIS SOUS LESQUELS NAQUIT MOÏSE, ET DES DIEUX DONT LE CULTE COMMENÇA A SINTRODUIRE EN CE MÊME TEMPS.
Ainsi, au temps de Saphrus 1, quatorzième roi des Assyriens, et dOrthopolis, le douzième des Sicyoniens, lorsque les Argiens comptaient Criasus pour leur cinquième roi, naquit en Egypte 2 ce Moïse qui délivra le peuple de Dieu de la captivité sous laquelle il gémissait et où Dieu le laissait languir pour lui faire désirer lassistance de son Créateur. Quelques-uns croient que Prométhée vivait alors; et comme il faisait profession de sagesse, on dit quil avait formé des hommes avec de largile. On ne sait pas néanmoins quels étaient les sages de son temps. Son frère Atlas fut, dit-on, un grand astrologue; ce qui adonné lieu de dire quil portait le ciel sur ses épaules, quoiquil existe une haute montagne du nom dAtlas, doù ce conte a bien pu tirer son origine. En ce temps-là beaucoup de fables commencèrent à avoir cours dans la Grèce; et sous le règne de Cécrops, roi des Athéniens, la superstition des Grecs mit plusieurs morts au rang des dieux: Mélantomice, femme de Criasus, et Phorbas, leur fils, sixième roi des Argiens, furent de ce nombre, aussi bien que Jasus et Sthénélas, Sthénéléus ou Sthénélus (car les historiens ne saccordent pas sur son nom), lun fils de Triopas, septième roi, et lautre de Jasus, neuvième roi des Argiens. Alors vivait Mercure, petit-fils dAtlas par Maïa, suivant le témoignage de presque tous les historiens. Il apprit aux hommes beaucoup darts utiles à la vie, ce qui fut cause quils en firent un Dieu après sa mort. Vers le même temps, mais après lui, vint Hercule, que quelques-uns néanmoins mettent auparavant, en quoi je pense quils se trompent. Mais quoi quil en soit de lépoque de ces deux personnages , les plus graves historiens tombent daccord que tous deux furent des hommes qui reçurent les honneurs divins pour avoir trouvé quantité de choses propres au soulage. ment de la condition humaine. Pour Minerve, elle est bien plus ancienne queux, puisquon la vit, dit-on, jeune fille du temps dOgygès auprès du lac Triton, doù elle fut surnommée
1. Les manuscrits et les éditions donnent Saphrus; cest probablement une erreur. Julius Africanus, Eusèbe et le Syncelle saccordent à donner Sphaerus, Sphairos. 2. Exod. 2.
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Tritonienne. On lui doit beaucoup dinventions rares et utiles, et lon inclina dautant plus à la croire une déesse que son origine nétait pas connue. Car ce que lon raconte, quelle sortit de la tête de Jupiter, est plutôt une fiction de poëte quune vérité historique. Toutefois, les historiens ne sont pas daccord sur lépoque où vivait Ogygès, qui a donné son nom à un grand déluge, non pas à celui qui submergea tout le genre humain, à lexception du petit nombre sauvé dans larche, car lhistoire grecque ni lhistoire latine nont point connu celui-là 1, mais à un autre, plus grand que celui de Deucalion 2 . Varron na rien trouvé de plus ancien dans lhistoire que le déluge dOgygès, et cest à ce temps quil commence son livre des Antiquités romaines. Mais nos chronologistes, Eusèbe, et Jérôme après lui, qui sans doute ici sappuient sur le témoignage dhistoriens antérieurs, reculent le déluge dOgygès de plus de trois cents ans, jusque sous Phoronée, second roi des Argiens. Quoi quil en soit, Minerve était déjà adorée comme une déesse du temps de Cécrops, roi des Athéniens, sous le règne duquel Athènes fut fondée ou rebâtie.
CHAPITRE IX.ORIGINE DU NOM DE LA VILLE DATHÈNES, FONDÉE OU REBÂTIE SOUS CÉCROPS.
Voici, selon Varron, la raison pour laquelle cette ville fut nommée Ahènes, qui est un nom tiré de celui de Minerve, que les Grecs appellent Athena. Un olivier étant tout à coup sorti de terre, en même temps quune source deau jaillissait en un autre endroit, ces prodiges étonnèrent le roi , qui députa vers Apollon de Delphes pour savoir ce que cela signifiait et ce quil fallait faire. Loracle répondit que lolivier signifiait Minerve, et leau Neptune, et que cétait aux habitants de voir à laquelle de ces deux divinités ils emprunteraient son nom pour le donner à leur ville. Là-dessus Cécrops assemble tous les citoyens, tant hommes que femmes, car les femmes parmi eux avaient leur voix alors dans les délibérations. Quand il eut pris les suffrages, il
1. Platon dans le Timée (trad. Franç., tom. XII, page 109,) fait dire à Solon par un prêtre égyptien quil y a eu, non pas un déluge, mais plusieurs. 2. Eusèbe (Chron., p. 273, Proep. Evang., lib. X, Cap. 10, p. 488 et seq.) et Orose (Hist., lib. I, cap. 7) placent entre le déluge dOgygès et celui de Deucalion un intervalle de deux siècles.
se trouva que tous les hommes étaient pour Neptune, et toutes les femmes pour Minerve mais comme il y avait une femme de plus, Minerve lemporta. Alors Neptune irrité ravagea de ses flots les terres des Athéniens; et, en effet, il nest pas difficile aux démons de répandre telle masse deaux quil leur plaît. Pour apaiser le dieu, les femmes, à ce que dit le même auteur, furent frappées de trois sortes de peines : la première, que désormais elles nauraient plus voix dans les assemblées; la seconde , quaucun de leurs enfants ne porterait leur nom; et la troisième enfin, quon ne les appellerait point Athéniennes. Ainsi, cette cité, mère et nourrice des arts libéraux et de tant dillustres philosophes, à qui la Grèce na jamais rien eu de comparable, fut appelée Athènes par un jeu des démons qui se moquèrent de sa crédulité , obligée de punir le vainqueur pour calmer le vaincu et redoutant plus les eaux de Neptune que les armes de Minerve. Cependant Minerve, qui était demeurée victorieuse, fut vaincue dans ces femmes ainsi châtiées, et elle neut pas seulement le pouvoir de faire porte-r son nom à celles qui lui avaient donné la victoire. On voit assez tout ce que je pourrais dire là-dessus, sil ne valait mieux passer à dautres objets.
CHAPITRE X.ORIGINE DU NOM DE LARÉOPAGE SELON VARRON, ET DÉLUGE DE DEUCALION SOUS CÉCROPS.
Cependant Varron refuse dajouter foi aux fables qui sont au désavantage des dieux, de peur dadopter quelque sentiment indigne de leur majesté. Cest pour cela quil ne veut pas que lAréopage, où lapôtre saint Paul discuta avec les Athéniens 1 et dont les juges son appelés Aréopagites, ait été ainsi nommé de ce que Mars, que les Grecs appellent Arès, accusé dhomicide devant douze dieux qui le jugèrent au lieu où le célèbre tribunal est aujourdhui placé, fut renvoyé absous, ayant eu six voix pour lui, et le partage alors étant toujours favorable à laccusé. Il rejette donc cette opinion commune et tâche détablir une autre origine quil va déterrer dans de vieilles histoires surannées, sous prétexte quil est injurieux aux divinités de leur attribuer des querelles ou des procès; et il soutient que cette histoire de Mars nest pas moins
1. Act. XVII, 19 et seq.
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fabuleuse que ce quon dit de ces trois déesses, Junon, Minerve et Vénus, qui disputèrent devant Pâris le prix de la beauté, et ainsi de tous les mensonges semblables qui se débitent sur la scène au détriment de la majesté des dieux. Mais ce même Varron, qui se montre si scrupuleux à cet égard, ayant à donner une raison historique et non fabuleuse du nom dAthènes, nous raconte quil survint un si grand différend entre Neptune et Minerve au sujet de ce nom, quApollon nosa sen rendre larbitre, mais en remit la décision au jugement des hommes, à lexemple de Jupiter, qui renvoya les trois déesses à la décision de Pâris; et Varron ajoute que Minerve lemporta par le nombre des suffrages, mais quelle fut vaincue en la personne de celles qui lavaient fait vaincre, et neut pas le pouvoir de leur faire porter son nom ! En ce temps-là, sous le règne de Cranaüs, successeur de Cécrops, selon Varron, ou, selon Eusèbe et Jérôme, sous celui de Cécrops même, arriva le déluge de Deucalion, appelé ainsi parce que le pays où Deucalion commandait fut principalement inondé ; mais ce déluge ne sétendit point Jusquen Egypte, ni jusquaux lieux circonvoisins.
CHAPITRE XI.SOUS QUELS ROIS ARRIVÈRENT LA SORTIE DÉGYPTE DIRIGÉE PAR MOÏSE ET LA MORT DE JÉSUS NAVÉ, SON SUCCESSEUR.
Moïse tira dEgypte le peuple de Dieu sur la fin du règne de Cécrops, roi dAthènes, Ascatadès étant roi des Assyriens, Marathus des Sicyoniens, et Triopas des Argiens. li donna ensuite aux Israélites la loi quil avait reçue de Dieu sur le mont Sinaï et qui sappelle lAncien Testament, parce quil ne contient que des promesses temporelles, au lieu que Jésus-Christ promet le royaume des cieux dans le Nouveau. Il était nécessaire de garder cet ordre qui, selon lApôtre, sobserve en tout homme qui savance dans la vertu, et qui consiste en ce que la partie corporelle précède la spirituelle: « Le premier homme, dit-il avec raison, le premier homme est le terrestre formé de la terre, et le second « homme est le céleste descendu du ciel 1 ». Or, Moïse gouverna le peuple dans le désert lespace de quarante années, et mourut âgé
1. I Cor. XV, 47.
de cent vingt ans, après avoir aussi prophétisé le Messie par les figures des observations légales, par le tabernacle, le sacerdoce, les sacrifices et autres cérémonies mystérieuses. A Moïse succéda Jésus, fils de Navé, qui établit le peuple dans la terre promise, après avoir exterminé, par lordre de Dieu, les peuples qui habitaient ces contrées. Il mourut après vingt-sept années de commandement, sous les règnes dAmnyntas, dix-huitième roi des Assyriens, de Corax, le seizième des Sicyoniens, de Danaüs, le dixième des Argiens, et dErichthon, le quatrième des Athéniens.
CHAPITRE XII.DU CULTE DES FAUX DIEUX ÉTABLI PAR LES ROIS DE LA GRÈCE, DEPUIS LÉPOQUE DE LA SORTIE DÉGYPTE JUSQUA LA MORT DE JÉSUS NAVÉ.
Durant ce temps, cest-à-dire depuis que le peuple juif fut sorti dEgypte jusquà la mort de Jésus Navé, les rois de la Grèce instituèrent en lhonneur des faux dieux plusieurs solennités qui rappelaient le souvenir du déluge et de ces temps misérables où les hommes tour à tour gravissaient le sommet des montagnes et descendaient dans les plaines. Telle est lexplication que lon donne de ces courses fameuses des prêtres Luperques 1, montant et descendant tour à tour la Voie sacrée 2. Cest en ce temps que Dionysius, quon nomme aussi Liber, se trouvant dans lAttique, apprit, dit-on, à son hôte lart de planter la vigne, et fut honoré comme un dieu après sa mort. Alors aussi des jeux de musique furent dédiés à Apollon de Deiphes, suivant son ordre, pour lapaiser, parce quon attribuait la stérilité de la Grèce à ce quon navait pas garanti son temple du feu, lorsque Danaüs fit irruption dans leur pays. Erichthon fut le premier qui institua en Attique des jeux en son honneur et en lhonneur de Minerve. Le prix en était une branche dolivier, parce que Minerve avait enseigné la culture de cet arbre, comme Bacchus celle de la vigne. Xanthus, roi de Crète, que dautres nomment autrement 3, enleva en ce temps-là Europe, dont il eut Rhadamante, Sarpédon et Minos, que lon fait
1. Sur les Lupercales et les Luperques, voyez Ovide, Fastes, lib. II, v. 267 et seq. 2. La Voie sacrée conduisait de larc de Fabius au Capitole en passant par le Forum. 3. Il est nommé Astérius par Apollodore (lib. III, cap. I, secl. 2), Diodore de Sicile (lib. IV, cap. 60) et Eusèbe (p. 286).
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communément fils de Jupiter. Mais les adorateurs de ces dieux prennent ce que nous avons rapporté du roi de Crète pour historique, et ce quon dit de Jupiter et ce quon en représente sur les théâtres comme fabuleux, de sorte quil ne faudrait voir dans ces aventures que des fictions dont on se sert pour apaiser les dieux, qui se plaisent à la représentation de leurs faux crimes. Cétait aussi alors quHercule florissait à Tyrinthe 1, mais un autre Hercule que celui dont nous avons parlé plus haut. Les plus savants dans lhistoire comptent en effet plusieurs Bacchus et plusieurs Hercules. Cet Hercule dont nous parlons, et à qui lon attribue les douze fameux travaux, nest pas celui qui tua Antée, mais celui qui se brûla lui-même sur le mont OEta, lorsque cette vertu, qui lui avait fait dompter tant de monstres, succomba sous leffort dune légère douleur. Cest vers ce temps que le roi, ou plutôt le tyran Busiris, immolait ses hôtes à ses dieux. Il était fils de Neptune, qui lavait eu de Lybia, fille dEpaphus; mais je veux que ce soit une fable inventée pour apaiser les dieux, et que Neptune nait pas cette séduction à se reprocher. On dit quErichthon, roi dAthènes, était fils de Vulcain et de Minerve. Toutefois, comme on veut que Minerve soit vierge, on raconte que Vulcain, la voulant posséder en dépit delle, répandit sa semence sur la terre, doù naquit un enfant qui, à cause de cela, fut nommé Erichthon 2. Il est vrai que les plus savants rejettent ce récit et expliquent autrement la naissance dErichthon. Ils disent que dans le temple de Vulcain et de Minerve (car il ny en avait quun pour tous deux à Athènes), on trouva un enfant entouré dun serpent, et que, ne sachant à qui il était, on lattribua à Vulcain et à Minerve. Sur quoi je trouve que la fable rend mieux raison de la chose que lhistoire. Mais que nous importe? lhistoire est pour linstruction des hommes religieux, et la fable pour le plaisir des démons impurs, que toutefois ces hommes religieux adorent comme des divinités. Aussi, encore quils ne veuillent pas tout avouer de leurs dieux, ils ne les justifient pas tout à fait, puisque cest par leur ordre quils célèbrent des jeux où on représente leurs crimes, et que ces dieux,
1. Tyrinthe, ville du Péloponèse, près dArgos. 2. Erichthon, dit saint Augustin, vient de eris, lutte, et de Xton, terre.
disent-ils, sapaisent par de telles infamies. Les crimes ont beau être faux, les dieux païens nen sont guère moins coupables, puisque prendre plaisir à des crimes faux est un crime très-véritable.
CHAPITRE XIII.DES SUPERSTITIONS RÉPANDUES PARMI LES GENTILS A LÉPOQUE DES JUGES.
Après la mort de Jésus Navé, le peuple de Dieu fut gouverné par des Juges, et éprouva tour à tour la bonne et la mauvaise fortune, selon quil était digne de grâces ou de châtiments. Il faut rapporter à cette époque linvention dun grand nombre de fables célèbres: Triptolème, porté sur des serpents ailés et distribuant du blé, par ordre de Cérès, dans les pays affligés de la famine; le Minotaure et ce labyrinthe inextricable doù il était impossible de sortir; les Centaures, moitié hommes et moitié chevaux; Cerbère, chien à trois têtes, qui gardait lentrée des enfers; Phryxus et Hellé, sa soeur, senvolant sur un bélier ; la Gorgone, à la chevelure de serpents, qui changeait en pierres ceux qui la regardaient; Bellérophon, porté sur un cheval ailé; Amphion, qui attirait les arbres et les rochers au son de sa lyre; Dédale et son fils, qui se firent des ailes pour traverser les airs ; OEdipe, qui résolut lénigme de Sphinx, monstre à quatre pieds et à visage humain, et le força de se jeter dans son propre abîme; Antée enfin, quHercule étouffa en le soulevant de terre, parce que ce fils de la terre se relevait plus fort toutes les fois quil la touchait. Ces fables et autres semblables, jusquà la guerre de Troie, où Varron finit son second livre des Antiquités romaines, ont été inventées à loccasion de quelques événements véritables, et ne sont point honteuses aux dieux. Mais quant à ceux qui ont imaginé que Jupiter enleva Ganymède (crime qui fut commis en effet par le roi Tantalus) et quil abusa de Danaé en se changeant en pluie dor, par où lon a voulu figurer la séduction dune femme intéressée, il faut quils aient eu bien mauvaise opinion des hommes pour les avoir crus capables dajouter foi à ces rêveries. Cependant ceux qui honorent le plus Jupiter sont les premiers à les soutenir ; et, bien loin de sindigner contre des inventions pareilles, ils appréhenderaient la colère des dieux, si lon ne les représentait (393) sur le théâtre. En ce même temps, Latone accoucha dApollon, non de celui dont on consultait les oracles, mais dun autre 1 qui fut berger dAdmète du temps dHercule, et qui néanmoins a tellement passé pour un dieu que presque tout le monde le confond avec lautre. Ce fut aussi alors que Bacchus fil la guerre aux Indiens, accompagné dune troupe de femmes appelées Bacchantes, plus célèbres par leur fureur que par leur courage. Quelques-uns écrivent quil fut vaincu et fait prisonnier; et dautres, quil fut même tué dans le combat par Persée, sans oublier le lieu où il fut enseveli ; et toutefois les démons ont fait instituer des fêtes en son honneur, quon appelle Bacchanales, dont le sénat a eu tant de honte après plusieurs siècles, quil les a bannies de Rome 2. Persée et sa femme Andromède vivaient vers le même temps, et, après leur mort, ils furent si constamment réputés pour dieux quon ne rougit point dappeler quelques étoiles de leur nom.
CHAPITRE XIV.DES POËTES THÉOLOGIENS.
A la même époque, il y eut des poètes quon appelait aussi théologiens, parce quils faisaient des vers en lhonneur des dieux ; mais quels dieux ? des dieux qui, tout grands hommes quils pussent avoir été, nen étaient pas moins des hommes, ou qui même nétaient autre chose que les éléments du monde, ouvrage du seul vrai Dieu ; ou enfin, si cétaient des anges, ils devaient ce haut rang moins à leurs mérites quà la volonté du Créateur. Que si, parmi tant de fables, ces poètes ont dit quelque chose du vrai Dieu, comme ils en adoraient dautres avec lui, ils ne lui ont pas rendu le culte qui nest dû quà lui seul; outre quils nont pu se défendre de déshonorer ces dieux mêmes par des contes ridicules, comme ont fait Orphée, Musée et Linus. Du moins, si ces théologiens ont adoré les dieux, ils nont pas été adorés comme des dieux, quoique la cité des impies fasse présider Orphée aux sacrifices infernaux. Ce fut le temps où Ino, femme du roi Athamas, se jeta dans la muer avec son fils Mélicerte, et où ils furent
1. Sur les divers Apollons, voyez Cicéron, De Nat. Deor., lib. III, cap.23. 2. Tite-Live rapporte en effet que Liber et ses mystères furent bannis, non-seulement de Rome, mais de tonte lItalie (lab. XXXIX, cap. 18). Comp. Tertullien, Apolog., cep. 6. -
tous deux mis au rang des dieux, comme beaucoup dautres hommes de ce temps-là, et entre autres Castor et Pollux. Les Grecs donnent à la mère de Mélicerte le nom de Leucothée, et les Latins celui de Matuta; mais les uns et les autres la prennent pour une déesse 1.
CHAPITRE XV.FIN DU ROYAUME DES ARGIENS ET NAISSANCE DE CELUI DES LAURENTINS.
Vers ce temps, le royaume des Argiens prit fin et fut transféré à Mycènes, dont Agamemnon fut roi, et celui des Laurentins commença à sétablir : ils eurent pour premier roi Picus, fils de Saturne. Debbora était alors juge des Hébreux. Cette femme fut élevée à cet honneur par un ordre exprès de Dieu, car elle était prophétesse ; mais comme ses prophéties sont obscures, il faudrait trop nous étendre pour faire voir le rapport quelles ont à Jésus-Christ. Les Laurentins régnaient donc déjà en Italie, et ce peuple est, après les Grecs, lorigine la plus certaine de Rome 2. Cependant la monarchie des Assyriens subsistait toujours, et ils comptaient Lamparès pour leur vingt-troisième roi, quand Picus fut le premier des Laurentins. Cest aux adorateurs de ces dieux à voir ce quils veulent quait été Saturne, père de ce Picus ; car ils disent que ce nétait pas un homme. Dautres ont écrit quil avait régné en Italie avant Picus, et Virgile la célébré dans ces vers bien connus :
« Cest lui qui rassembla ces hommes indociles errant sur les hautes montagnes; il leur donna des lois et voulut que cette contrée sappelât Latium, parce quil sy était caché pour éviter la fureur de son fils 3. Cest sous son règne que lon place lâge dor 4 »
Mais quils traitent ceci de fiction poétique, et quils disent, sils veulent, que le Père de Picus sappelait Stercé, et quil fut ainsi nommé à cause quétant fort bon laboureur, il apprit aux hommes à amender la terre avec du fumier a, doù vient que quelques auteurs lappellent Stercutius. Quoi quil en soit, ils en ont fait pour cette raison le Dieu de lagriculture. Ils ont mis aussi Picus parmi les
1. Comp. Ovide, Metam., lib. IV , v. 416-540, et Fast., lib. VI, v. 475-550. 2. La ville de Laurentum, doù saint Augustin veut, daprès Eusèbe, que les Romains tirent en partie leur origine, était située entre Ardéa et les bouches du Tibre. 3. Latium, de latere, se cacher. 4. Enéide, livre VIII, v. 521-525. 5. Fumier, en latin, se dit stercus.
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dieux, en qualité dexcellent augure et de grand capitaine. Picus engendra Faunus, second roi des Laurentins, quils ont aussi déifié. Avant la guerre de Troie, ces apothéoses étaient fréquentes.
CHAPITRE XVI.DE DIOMÈDE ET DE SES COMPAGNONS, CHANGÉS EN OISEAUX APRÈS LA RUINE DE TROIE.
Après la ruine de Troie, ce grand désastre illustré par les poëtes et connu même des petits enfants, qui arriva sous le règne de Latinus, fils de Faunus (ce Latinus qui donna aux Laurentins leur nom nouveau de Latins quils portèrent depuis ce moment), les Grecs victorieux regagnèrent leur pays et souffrirent pendant ce retour une infinité de maux. Ils en prirent sujet daugmenter le nombre de leurs divinités. En effet, ils firent un dieu de Diomède; ce qui ne les empêcha pas de raconter, non comme une fable, mais comme une vérité historique, que les dieux sopposèrent au retour de ce personnage pour le châtier de ses crimes, et que ses compagnons furent changés en oiseaux 1, sans que Diomède, devenu dieu, leur pût rendre leur première forme, ni obtenir cette grâce de Jupiter pour sa bienvenue. Ils assurent même que Diomède a un temple dans lîle Diomédéa, non loin du mont Garganus en Apulie 2, et quautour du lieu sacré volent ces oiseaux, jadis compagnons du héros divinisé, qui remplissent leur bec deau et arrosent son temple pour lui faire honneur. Ils ajoutent que lorsque des Grecs viennent en cette île, non-seulement les oiseaux ne seffarouchent point, mais ils caressent les visiteurs, au lieu que, quand ils voient des étrangers, ils volent contre eux en furie, et souvent les tuent avec leur bec, qui est dune longueur et dune force extraordinaires.
CHAPITRE XVII.SENTIMENT DE VARRON SUR CERTAINES MÉTAMORPHOSES.
Varron, à lappui de cette tradition, en rapporte dautres qui ne sont pas moins incroyables : celle de Circé, par exemple, la fameuse magicienne, qui changea en bêtes les
1. Voyez Servius, ad Aeneid., lib. XI, v. 247. 2. Voyez Strabon. Lib. VI, cap. 3, § 9.
compagnons dUlysse; et encore, celle de ces Arcadiens, désignés par le sort pour passer à la nage un certain étang où ils se transformaient en loups, vivant ensuite dans les forêts avec les animaux de leur espèce. Varron ajoute que si ces loups sabstenaient de chair humaine, ils repassaient létang au bout de neuf ans, et reprenaient leur première forme. Il parle en outre dun certain Demaenetus qui, ayant goûté du sacrifice dun petit enfant que les Arcadiens font à leur dieu Lycaeus, fut changé en loup; dix ans après, il. redevint homme et remporta le prix aux jeux olympiens. Le même auteur estime quen Arcadie on ne donne le nom de Lycaeus à Pan et à Jupiter quà cause de ces changements dhommes en loups, attribués par le peuple à un miracle de la volonté divine ; car les Grecs appellent un loup lycos 1, doù le nom de Lycaeus est dérivé. Enfin, selon Varron, cest de là que les Luperques de Rome tirent leur origine.
CHAPITRE XVIII.CE QUIL FAUT CROIRE DES MÉTAMORPHOSES.
Ceux qui lisent ces pages attendent peut-être que je donne mon sentiment; mais que pourrais-je dire , sinon quil faut fuir du milieu de Babylone, cest-à-dire sortir de la cité du monde, qui est la société des anges et des hommes impies, et nous retirer vers le Dieu vivant, sur les pas de la foi -rendue féconde par la charité? Plus nous voyons que la puissance des démons est grande ici-bas, plus nous devons nous attacher au Médiateur, qui nous retire des choses basses pour nous élever aux objets sublimes. En effet, si nous disons quil ne faut point ajouter foi à ces sortes de phénomènes, il ne manquera pas, même aujourdhui, de gens qui assureront en avoir appris ou expérimenté de semblables. Comme nous étions en Italie, on nous assura que certaines hôtelières de notre voisinage, initiées aux arts sacriléges, se vantaient de donner aux passants dun certain fromage qui les changeait sur-le-champ en bêtes de somme dont elles se servaient pour transporter leurs bagages, après quoi elles leur rendaient leur première forme. Pendant la métamorphose, ils conservaient toujours leur raison, comme Apulée le raconte de lui-même dans son récit ou son roman de lAne dor.
1. Lukos.
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Je tiens tout cela pour faux, ou du moins ce sont là des phénomènes si rares quon a raison de ny pas ajouter foi. Ce quil faut croire fermement, cest que Dieu, lêtre tout-puissant, peut faire tout ce quil veut, soit pour répandre ses grâces, soit pour punir, et que les démons, qui sont des anges, mais corrompus, ne peuvent rien au-delà de ce que leur permet celui dont les jugements sont quelquefois secrets, jamais injustes. Quand donc ils opèrent de semblables phénomènes, ils ne créent pas de nouvelles natures, mais se bornent à changer celles que le vrai Dieu a créées et à les faire paraître autres quelles ne sont. Ainsi, non-seulement je ne crois pas que les démons puissent changer lâme dun homme en celle dune bête, mais, à mon avis, ils ne peuvent pas même produire dans leurs corps cette métamorphose. Ce quils peuvent, cest de frapper limagination, qui tout incorporelle quelle soit, est susceptible de mille représentations corporelles ; appelant dailleurs à leur aide lassoupissement ou la léthargie, ils parviennent, je ne sais comment, à imprimer dans les âmes une forme toute fantastique, assez fortement pour quelle semble réelle à nos faibles yeux. Il peut même arriver que celui dont ils se jouent de la sorte se croie tel quil paraît, tout comme il lui semble en dormant quil est un cheval et quil porte quelque fardeau. Si ces fardeaux sont de vrais corps, ce sont les démons qui les portent, afin de surprendre les hommes par cette illusion et de leur faire croire que la bête quils voient est aussi réelle que le fardeau dont elle est chargée. Un certain Praestantius racontait que son père, ayant par hasard mangé de ce singulier fromage dont nous parlions tout à lheure; demeura comme endormi sur son lit sans quon le pût éveiller; quelques jours après, il revint à lui comme dun profond sommeil, disant quil était devenu cheval et quil avait porté à larmée de ces vivres quon appelle retica à cause des filets qui les enveloppent; or, le fait sétait passé, dit-on, comme il le décrivait, bien quil prît tout cela pour un songe. Un autre rapportait quune nuit, avant de sendormir, il avait vu venir à lui un philosophe platonicien de sa connaissance, qui lui avait expliqué certains sentiments de Platon quil avait refusé auparavant de lui éclaircir. Comme on demandait à ce
1. Retia, filets.
philosophe pourquoi il avait accordé hors de chez lui ce que chez lui il avait refusé : « Je nai pas fait cela, dit-il, mais jai songé que je le faisais ». Et ainsi, lun vit en veillant, par le moyen dune image fantastique, ce que lautre avait rêvé. Ces faits nous ont été rapportés, non par des témoins quelconques, mais par des personnes dignes de foi. Si donc ce que lon dit des Arcadiens et de ces compagnons dUlysse dont parle Virgile1 :
« Transformés par les enchantements de Circé »;
si tout cela est vrai, jestime que les choses se sont passées comme je viens de lexpliquer. Quant aux oiseaux de Diomède, comme on dit que la race en subsiste encore, je pense que les compagnons du héros grec ne furent pas métamorphosés en oiseaux, mais que ces oiseaux furent mis à leur place, comme la biche à celle dIphigénie. Il était facile aux démons, avec la permission de Dieu, dopérer de semblables prestiges. Mais, comme Iphigénie fut trouvée vivante après le sacrifice, on jugea aisément que la biche avait été supposée en sa place; tandis que les compagnons de Diomède nayant point été trouvés depuis, parce que les mauvais anges les exterminèrent par lordre de Dieu, on a cru quils avaient été changés en ces oiseaux que les démons eurent lart de leur substituer. Maintenant, que ces oiseaux arrosent deau le temple de Diomède, quils caressent les Grecs et déchirent les étrangers, cest un stratagème des mêmes démons, auxquels il importe de faire croire que Diomède est devenu dieu, afin de tromper les simples, et dobtenir pour des hommes morts, qui nont pas même vécu en hommes, ces temples, ces autels, ces sacrifices, ces prêtres, tout ce culte enfin qui nest dû quau Dieu de vie et de vérité.
CHAPITRE XIX.ÉNÉE EST VENU EN ITALlE AU TEMPS OU LABDON ÉTAIT JUGE DES HÉBREUX.
Après la ruine de Troie, Enée aborda en Italie avec vingt navires qui portaient les restes des Trôyens. Latinus était roi de cette contrée, comme Mnesthéus létait des Athéniens, Polyphidès des Sicyoniens, Tantanès des Assyriens; Labdon était juge des Hébreux.
1. Eclog. VIII, v. 70.
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Après la mort de Latinus, Enée régna trois ans en Italie, tous les rois dont nous venons de parler étant encore vivants, à la réserve de Polyphidès, roi des Sicyoniens, à qui Pélasgus avait succédé. Samson était juge des Hébreux à la place de Labdon, et comme il était extraordinairement fort, on le prit pour Hercule. Enée ayant disparu après sa mort, les Latins en firent un dieu. Les Sabins mirent aussi au rang des dieux Sancus ou Sanctus, leur premier roi. Environ vers le même temps, Codrus, roi des Athéniens, se fit tuer volontairement par les Péloponésiens, et ce dévouement sauva son pays. Ceux du Péloponèse avaient reçu de loracle cette réponse, quils vaincraient les Athéniens sils ne tuaient point leur roi. Codrus les trompa en changeant dhabit et leur disant des injures pour les provoquer à le tuer; cest cette querelle de Codrus à laquelle Virgile fait quelque part allusion 1. Des Athéniens honorèrent ce roi comme un dieu. Sous le règne de Sylvius, quatrième roi des Latins et fils dEnée (non de Créusa, de laquelle naquit Ascanius, troisième roi de ces peuples, mais de Lavinia, fille de Latinus, qui accoucha de Sylvius après la mort dEnée), Onéus étant le vingt-neuvième roi des Assyriens, Mélanthus le seizième dAthènes, et le grand prêtre Héli jugeant le peuple hébreu, la monarchie des Sicyoniens fut éteinte, après avoir duré lespace de neuf cent cinquante-neuf ans.
CHAPITRE XX.SUCCESSION DES ROIS DES JUIFS APRÈS LE TEMPS DES JUGES.
Ce fut vers ce temps-là que le gouvernement des Juges étant fini parmi les Juifs, ils élurent pour leur premier roi Saül, sous lequel vivait le prophète Samuel. Les rois latins commencèrent alors à sappeler Sylviens, de Sylvius fils dEnée, comme depuis on appela Césars tous les empereurs romains qui succédèrent à Auguste. Après la mort de Saiil, qui régna quarante ans, David fut le second roi des Juifs. Depuis la mort de Codrus, les Athéniens neurent plus de rois, et confièrent à des magistrats le soin de gouverner leur république. A David, dont le règne dura aussi quarante ans, succéda son fils Salomon, qui bâtit ce fameux temple de Jérusalem. De son temps, les
1. Eclog. V, v. 11.
Latins fondèrent Albe, qui donna son nom à leurs rois. Salomon laissa son royaume à son fils Roboam, sous qui la Judée fut divisée en deux royaumes.
CHAPITRE XXI.DES ROIS DU LATIUM, DONT LE PREMIER ET LE DOUZIÈME, CEST-A-DIRE ÉNÉE ET AVENTINUS, FURENT MIS AU RANG DES DIEUX.
Les Latins eurent après Enée onze rois quils ne mirent point comme lui au nombre des dieux; mais Aventinus, qui fut le douzième, ayant été tué dans un combat et enseveli sur le mont qui porte encore aujourdhui son nom, eut rang parmi ces étranges divinités. Selon dautres historiens, il ne serait pas mort dans la bataille, mais il naurait plus reparu depuis, et ce nest pas de lui que le mont Aventin aurait pris son nom, mais des oiseaux qui venaient sy reposer 1 .Après Aventinus, les Latins ne firent plus dautre dieu que Romulus, fondateur de Rome. Mais entre ces deux rois, il sen trouve deux autres, dont le premier est, pour parler avec Virgile :
« Procas, la gloire de la nation troyenne 2 »
Ce fut sous le règne de celui-ci, tandis que se faisait lenfantement de Rome, que la grande monarchie des Assyriens termina sa longue carrière. Elle passa aux Mèdes après avoir duré plus de treize cents ans, en la faisant commencer à Bélus, père de Ninus. Amulius succéda à Procas. On dit que Rhéa ou Ilia, fille de son frère Numitor, et mère de Romulus, quil avait faite vestale, conçut deux jumeaux du dieu Mars; la preuve quil donne de cette paternité divine imaginée pour la gloire ou lexcuse de la vestale, cest que, les deux enfants ayant été exposés par ordre dAmnulius, une louve les allaita. Or, la louve est consacrée au dieu Mars, et on veut quelle ait reconnu les enfants de son maître; mais il ne manque pas de gens pour soutenir que les deux jumeaux furent recueillis par une femme publique (on appelait cette sorte de femmes louves, lupae doù est venu lupanar), laquelle les allaita et les mit ensuite entre les mains de Faustulus, lun des bergers du roi, qui les fit soigner par
1. Oiseaux, en latin Aves, doù Aventinus. Voyez les diverses étymologies que donne Varron, De lingua lat., lib. V, § 43. 2. Enéide, livre VI, v. 767.
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sa femme Acca. Mais quand Dieu aurait permis que des bêtes farouches eussent nourri ces enfants qui devaient fonder un si grand empire, pour faire plus de honte à ce roi cruel qui les avait fait jeter dans la rivière, quy aurait-il en cela de si merveilleux? Numitor, grand-père de Romulus, succéda à son frère Amulius, et Rome fut bâtie la première année de son règne. Ainsi il gouverna conjointement avec son petit-fils Romulus.
CHAPITRE XXII.FONDATION DE ROME A LÉPOQUE OU LEMPIRE DASSYRIE PRIT FIN ET OU ÉZÉCHIAS ÉTAIT ROI DE JUDA.
Pour abréger le plus possible, je dirai que Rome fut bâtie comme une autre Babylone, ou comme la fille de la première, et quil a plu à Dieu de sen servir pour dompter lunivers et réduire toutes les nations à lunité de la même république et des mêmes lois. Il y avait alors des peuples puissants et aguerris, qui ne se soumettaient pas aisément, et ne pouvaient être vaincus sans quil en coûtât beaucoup de peine et de sang aux vainqueurs. En effet, lorsque les Assyriens conquirent presque toute lAsie, les peuples nétaient ni en si grand nombre ni si exercés aux armes, de sorte quils en eurent bien meilleur marché. Depuis ce grand déluge, dont il ne se sauva que huit personnes, jusquà Ninus qui se rendit maître de toute lAsie, il ne sétait écoulé quenviron mille ans. Mais Rome ne vint pas si aisément à bout de lOrient et de lOccident et de tant de nations que nous voyons aujourdhui soumises à son empire, iarce quelle trouva de toutes parts des ennemis puissants et belliqueux. Lors donc quelle fut fondée, il y avait déjà sept cent dix-huit ans que les Juifs dominaient dans la terre promise, Jésus Navé ayant gouverné ce peuple vingt-sept ans, les Juges trois cent vingt-neuf ans, et les Rois trois cent soixante-deux. Achaz régnait alors en Juda, ou, selon dautres, son successeur Ezéchias , prince excellent en vertu et en piété, qui vivait du temps de Romulus; Osée tenait le sceptre dIsraël.
CHAPiTRE XXIII.DE LA SIBYLLE DÉRYTHRA, BIEN CONNUE ENTRE TOUTES LES AUTRES SIBYLLES POUR AVOIR FAIT LES PROPHÉTIES LES PLUS CLAIRES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST.
Plusieurs historiens estiment que ce fut en ce temps que parut la sibylle dErythra. On sait quil y a eu plusieurs sibylles, selon Varron. Celle-ci a fait sur Jésus-Christ des prédictions très-claires que nous avons dabord lues en vers dune mauvaise latinité et se tenant à peine sur leurs pieds, ouvrage de je ne sais quel traducteur maladroit, ainsi que nous lavons appris depuis. Car le proconsul Flaccianus 1, homme éminent par létendue de son savoir et la facilité de son éloquence, nous montra, un jour que nous nous entretenions ensemble de Jésus-Christ, lexemplaire grec qui a servi à cette mauvaise traduction. Or, il nous fit en même temps remarquer un certain passage, où en réunissant les premières lettres de chaque vers, on forme ces mots : Iesous Kreistos Theou Uios Soter, cest-à-dire Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur 2. Or, voici le sens de ces vers, daprès une autre traduction latine, meilleure et plus régulière :
« Aux approches du jugement, la terre se couvrira dune sueur glacée. Le roi immortel viendra du ciel et paraîtra revêtu dune chair pour juger le monde, et alors les bons et les méchants verront le Dieu tout-puissant accompagné de ses saints. Il jugera les âmes aussi revêtues de leurs corps, et la terre naura plus ni beauté ni verdure. Les hommes effrayés laisseront à labandon leurs trésors et ce quils avaient de plus précieux. Le feu brûlera la terre, la mer et le ciel, et ouvrira les portes de lenfer. Les bienheureux jouiront dune lumière pure et brillante, et les coupables seront la proie des flammes éternelles. Les crimes les plus cachés seront découverts et les consciences mises à nu. Alors il y aura des pleurs et des grincements de dents. Le soleil perdra sa lumière et les étoiles seront éteintes. La lune sobscurcira, les cieux seront ébranlés sur leurs pôles, et les plus hautes montagnes abattues et égalées aux vallons. Plus rien dans les choses humaines de sublime ni de grand. Toute la machine de lunivers sera détruite, et le feu consumera leau des fleuves et des fontaines. Alors on entendra sonner la trompette, et tout retentira de cris et de plaintes. La terre souvrira jusque dans ses abîmes; les rois paraîtront tous devant le tribunal du souverain Juge, et les cieux verseront un fleuve de feu et de soufre 3 ».
Ce passage comprend en grec vingt-sept vers, nombre qui compose le cube de trois.
1. Saint Augustin a parlé de ce Flaccianus dans son livre Contre les Académiciens, livre I, n. 18-21. 2. On attribuait déjà aux sibylles de ces vers en acrostiches au temps de Cicéron, qui fit remarquer avec une justesse parfaits combien cette forme régulière et travaillée a peu le caractère de linspiration. Ce sont là, dit-il, les jeux desprit dun homme de lettres et non les accents dune âme en délire. Voyez le De divinat., lib. II, cap. 54. 3. On trouvera le texte grec de ces vers sibyllins dans la dernière édition de saint Augustin, tome VII, p. 807.
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Ajoutez à cela que, si lon joint ensemble les premières lettres de ces cinq mots grecs que nous avons dit signifier Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, on trouvera Ichthus, qui veut dire en grec poisson, nom mystique du Sauveur, parce que lui seul a pu demeurer vivant, cest-à-dire exempt de péché, au milieu des abîmes de notre mortalité, semblables aux profondeurs de la mer. Dailleurs, que ce poëme, dont je nai rapporté que quelques vers, soit de la sibylle dErythra ou de celle de Cumes, car on nest pas daccord là-dessus, toujours est-il certain quil ne contient rien qui favorise le culte des faux dieux ; au contraire, il parle en certains endroits si fortement contre eux et contre leurs adorateurs quil me semble quon peut mettre cette sibylle au nombre des membres de la Cité de Dieu. Lactance a aussi inséré dans ses oeuvres quelques prédictions dune sibylle (sans dire laquelle) touchant Jésus-Christ, et ces témoignages, qui se trouvent dispersés en divers endroits de son livre, mont paru bons à être ici réunis : « Il tombera, dit la sibylle, entre les mains des méchants, qui lui donneront des soufflets et lui cracheront au visage. Pour lui, il présentera sans résistance son dos innocent aux coups de fouet, et il se laissera souffleter sans rien dire, afin que personne ne connaisse quel Verbe il est, ni doù il vient pour parler aux enfers et être couronné dépines. Les barbares, pour toute hospitalité, lui ont donné du fiel à manger et du vinaigre à boire. Tu nas pas reconnu ton Dieu, nation insensée ! ton Dieu qui se joue de la sagesse des hommes; tu las couronné dépines et nourri de fiel. Le voile du temple se rompra, et il y aura de grandes ténèbres en plein jour pendant trois heures. Il mourra et sendormira durant trois jours. Et puis retournant à la lumière, il montrera aux élus les prémices de la résurrection ». Voilà les textes sibyllins que Lactance rapporte en plusieurs lieux de ses ouvrages et que nous avons réunis. Quelques auteurs assurent que la sibylle dErythra ne vivait pas à lépoque de Romulus, mais pendant la guerre de Troie.
1. Voyez Lactance, Instit., lib. IV, cap. 18 et 19.
CHAPITRE XXIV. LES SEPT SAGES ONT FLEURI SOUS LE RÈGNE DE ROMULUS, DANS LE TEMPS OU LES DIX TRIBUS DISRAËL FURENT MENÉES CAPTIVES EN CHALDÉE.
Sous le règne de ce même Romulus vivait Thalès le Milésien 1, lun des Sages qui succédèrent à ces poëtes théologiens parmi lesquels Orphée tient le premier rang. Environ au même temps, les dix tribus dIsraël furent vaincues par les Chaldéens et emmenées captives, tandis que les deux autres restaient paisibles à Jérusalem. Romulus ayant disparu dune façon mystérieuse, les Romains le mirent au rang des dieux, ce qui ne se pratiquait plus depuis longtemps, et ne se fit dans la suite à légard des Césars que par flatterie. Cicéron prend de là occasion de donner de grandes louanges à Romulus pour avoir mérité cet honneur, non à ces époques de grossièreté et dignorance où il était si aisé de tromper les hommes, mais dans un siècle civilisé, déjà plein de lumières, bien que lingénieuse et subtile loquacité des philosophes ne se fût pas encore répandue de toutes parts. Mais si les-époques suivantes nont pas transformé les hommes morts en dieux, elles nont pas laissé dadorer les anciennes divinités, et même daugmenter la superstition en construisant des idoles, usage inconnu à lantiquité. Les démons portèrent les peuples à représenter sur les théâtres les crimes supposés des dieux et à consacrer des jeux en leur honneur, pour renouveler ainsi ces vieilles fables, le monde étant trop civilisé pour en introduire de nouvelles. Numa succéda à Romulus; et bien quil eût peuplé Rome dune infinité de dieux, il neut pas le bonheur, après sa mort, dêtre de ce nombre, peut-être parce quon crut que le ciel en était si plein quil ny restait pas de place pour lui. On dit que la sibylle de Samos vivait de son temps, vers le commencement du règne de Manassès, roi des Juifs, qui fit mourir cruellement le prophète Isaïe.
1. Thalès est moins ancien dun siècle que ne le fait saint Augustin. Il florissait 600 avant J.-C
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CHAPITRE XXV.DES PHILOSOPHES QUI SE SONT SIGNALÉS SOUS LE RÈGNE DE SÉDÉCHIAS, ROI DES JUIFS, ET DE TARQUIN LANCIEN, ROI DES ROMAINS, AU TEMPS DE LA PRISE DE JÉRUSALEM ET DE LA RUINE DU TEMPLE.
Sous le règne de Sédéchias, roi des Juifs, et de Tarquin lAncien, roi des Romains, qui avait succédé à Ancus Martius, le peuple juif fut mené captif à Babylone, après la ruine de Jérusalem et du temple de Salomon. Ce malheur leur avait été prédit par les Prophètes, et particulièrement par Jérémie, qui même en avait marqué lannée. Pittacus, de Mitylène, lun des sept sages, vivait en ce temps-là, et Eusèbe y joint les cinq autres, car Thalès a déjà été mentionné, savoir : Solon dAthènes, Chilon de Lacédémone, Périandre de Corinthe, Cléobule de Lindos, et Bias de Priène. Ils furent nommés Sages, parce que leur genre de vie les élevait au-dessus du commun des hommes, et comme ayant tracé quelques préceptes courts et utiles pour les moeurs. Du reste, ils nont point laissé dautres écrits à la postérité, si ce nest quelques lois quon dit que Solon donna aux Athéniens. Thalès a aussi composé quelques livres de physique, qui contiennent sa doctrine. Dautres physiciens 1 parurent encore en ce temps, comme Anaximandre, Anaximène et Xénophane 2. Pythagore florissait aussi alors, et cest lui qui porta le premier le nom de philosophe 3.
CHAPITRE XXVI.FIN DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RÈGNE DES ROIS DE ROME.
En ce temps-là, Cyrus, roi de Perse, qui commandait aussi aux Chaldéens et aux Assyriens, relâchant un peu de la chaîne des Juifs, en renvoya cinquante mille pour rebâtir le temple. Mais ils se bornèrent à en jeter les fondements et à dresser un autel, à cause des courses continuelles des ennemis, de sorte que louvrage fut différé jusquau règne de Darius. Ce fut alors quarriva ce qui est rapporté dans le livre de Judith que les Juifs ne
1. En ces premiers âges de la science, physicien et philosophe, cest tout un, la physique ayant pour objet la phusis tout entière, cest-à-dire lensemble des choses. 2. Xénophane de Colophon, chef de lécole Eléatique, florissait vers 550 ayant J.-C. 3. Sur ces philosophes, voyez plus haut, livre VIII, chap. 2 et les notes.
reçoivent point parmi les livres canoniques. Or, sous le règne de Darius, roi des Perses, les soixante-dix années prédites par Jérémie étant accomplies, la liberté fut rendue aux Juifs, pendant que les Romains chassaient Tarquin le Superbe et saffranchissaient de la domination de leurs rois. Jusque-là, les Juifs eurent toujours des prophètes; mais à cause de leur grand nombre, il y en a peu dont les écrits soient reçus comme canoniques, tant par les Juifs que par nous. Sur la fin du livre précédent , jai promis den dire quelque chose, et il est temps de macquitter de ma promesse.
CHAPITRE XXVII.DES PROPHÈTES QUI SÉLEVÈRENT PARMI LES JUIFS AU COMMENCEMENT DE LEMPIRE ROMAIN.
Afin que nous puissions bien voir en quel temps ils vivaient, remontons un peu plus haut. Le livre dOsée, qui est le premier des douze petits prophètes, porte en tête: « Voici ce que le Seigneur a dit à Osée du temps dOzias, de Joathan, dAchaz et dEzéchias, rois de Judée 1 ». Amos de même dit 2 quil prophétisa sous Ozias; il ajoute et sous Jéroboam, roi dIsraël, qui vivait vers ce temps-là. Isaïe, fils dAmos, soit du prophète, soit dun autre Amos, indique au commencement de son ouvrage 3 les quatre rois dont parle Osée au début du sien, et déclare comme lui quil prophétisa sous leur règne. Michée marque aussi le temps de sa prophétie après Ozias 4, sous Joathan, Achaz et Ezéchias. Il faudrait joindre à ces prophètes Jonas et Joèl, dont lun prophétisa sous Ozias, et lautre sous Joathan, au moins selon les chronologistes, car eux-mêmes nen disent rien. Or, tout cet espace de temps va depuis Procas, roi des Latins, ou Aventinus, son prédécesseur, jusquà Romulus, roi des Romains ou même jusquau commencement du règne de son successeur Numa Pompilius; car lépoque dEzéchias se prolonge jusque-là. Ce fut donc en cet espace de temps que jaillirent ces sources de prophéties, sur la tin de lempire des Assyriens et au commencement de celui des Romains. Comme en effet cest à la naissance de la monarchie des Assyriens que les promesses du Messie furent faites à Abraham, elles devaient être renouvelées à ces prophètes
1. Osée, I, 1. 2. Amos, I, 1. 3. Isa. I, 1, 4. Michée, I, 1.
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au commencement de la monarchie romaine, Babylone de lOccident, sous le règne de laquelle elles devaient saccomplir par lavénement de Jésus-Christ. Ces dernières prophéties sont encore plus claires que les autres, comme ne devant pas seulement servir aux Juifs, mais aussi aux païens.
CHAPITRE XXVIII.VOCATION DES GENTILS PRÉDITE PAR OSÉE ET PAR AMOS.
Il est vrai quOsée est quelquefois difficile à saisir dans sa profondeur; mais il faut en rapporter ici quelque chose pour macquitter de ma promesse: « Et il arrivera, dit-il, quau même lieu où il est écrit: Vous nêtes point mon peuple, ils seront aussi appelés les enfants du Dieu vivant 1 ». Les Apôtres mêmes ont entendu cette prophétie de la vocation des Gentils. Et comme les Gentils sont aussi spirituellement les enfants dAbraham, et quà ce titre on a raison de les appeler le peuple dIsraël, le Prophète ajoute : « Et les enfants de Juda et dIsraël seront rassemblés en un même corps et nauront plus quun chef, et ils sélèveront sur la terre 2 ». Ce serait ôter sa force à cette prophétie que de vouloir lexpliquer davantage. Quon se souvienne seulement de la pierre angulaire et de ces deux murailles, lune composée des Juifs, et lautre des Gentils 3 ; celle-là sous le nom de Juda, et celle-ci sous le nom dIsraël, sappuyant toutes deux sur un même chef , et toutes deux sélevant sur la terre. A légard de ces Israélites charnels, qui ne veulent pas croire en Jésus-Christ, le même prophète témoigne quils croiront un jour en lui (entendez: non pas eux, mais leurs enfants), lorsquil dit : « Les enfants dIsraël demeureront longtemps sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans prophétie 4 ». Qui ne voit que cest létat où sont maintenant les Juifs? Mais écoutons ce quil ajoute: « Et après cela, les enfants dIsraël reviendront et chercheront le Seigneur, leur Dieu , et leur roi David; et ils sétonneront de leur aveuglement et de la grâce de Dieu dans les derniers temps 5 ». Il ny a rien de plus clair que cette prophétie Où Jésus-Christ est marqué par David, parce
1. Osée, I, 10. 2. Ibid. 11. 3. Ephés. II, 14, 15, 20-22. 4. Osée, III, 4. 5. Ibid. 5.
que, comme dit lApôtre: « Il est né selon la chair de la race de David 1 ». Ce même prophète a prédit la résurrection du Sauveur au troisième jour, mais dune manière mystérieuse et prophétique, lorsquil a dit : « Il nous guérira après deux jours, et nous ressusciterons le troisième 2 ». Cest dans le même sens que lApôtre nous dit: « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cherchez les choses du ciel 3 » . Voici encore une prophétie dAmos sur ce sujet : « lsraël, dit-il, préparez-vous pour invoquer votre Dieu, car cest moi qui fais gronderie tonnerre, qui forme les tourbillons , et qui annonce aux hommes leur Sauveur 4». Et ailleurs: «En ce jour-là, dit-il, je relèverai le pavillon de Dieu qui est tombé, et je rétablirai tout ce qui est détruit; je le remettrai au même état quil était le premier jour; en sorte que tout le reste des hommes me chercheront, ainsi que toutes les nations qui deviendront mon peuple, dit le Seigneur qui fait ces merveilles 5 ».
CHAPITRE XXIX.PROPHÉTIES DISAÏE TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
Isaïe nest pas du nombre des douze petits prophètes, quon nomme ainsi parce quils ont écrit peu de chose au prix de ceux quon appelle les grands prophètes. Parmi ceux-là est Isaïe, que je joins à Osée et à Amos, comme ayant vécu du même temps. Ce prophète donc, entre les instructions quil donne au peuple et les menaces quil lui fait de la part de Dieu, a prédit beaucoup plus de choses que tous les autres de Jésus-Christ et de son Eglise, cest-à-dire du roi de gloire et de la cité quil a bâtie, tellement, quil y en a qui disent que cest plutôt un évangéliste quun prophète. Mais, pour abréger, je nen rapporterai ici quun seul endroit, celui où il dit en la personne de Dieu le père : « Mon fils sera rempli de science et de sagesse; il sera comblé dhonneur et de gloire. Comme il sera un spectacle dhorreur à plusieurs qui le verront déshonoré et défiguré, il sera un sujet dadmiration à une infinité de peuples, et les rois, pleins détonnement, demeureront dans un profond silence, parce que ceux à qui il
1. Rom. VIII, 31. 2. Osée, VI, 1. 3. Colos. III, 1. 4. Amos, XV, 11. 5. Ibid. XX, 11, 12.
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na point été annoncé le verront, et ceux qui nont point entendu parler de lui sauront qui il est. Seigneur, qui a cru à notre parole, et à qui le -bras de Dieu a-t-il été révélé ? Nous bégaierons devant lui comme un enfant , et notre langue sera sèche comme une racine dans une terre sans eau. Il na ni gloire, ni beauté. Nous lavons vu sans majesté et sans grâce, et le dernier des hommes était moins difforme que lui. Cest un homme en butte aux coups et accablé de faiblesse. il a caché sa gloire; cest pourquoi il a été méprisé et déshonoré. Il porte nos péchés, et cest pour nous quil souffre ; et nous avons cru que cétait pour ses crimes. Cependant cest à cause de nos iniquités quil a été couvert de blessures, et ce sont nos péchés qui lont réduit en cet état de faiblesse. Il nous a procuré la paix par ses souffrances, et ses plaies ont été notre guérison. Nous étions tous comme des brebis égarées; tous les hommes sétaient écartés du droit chemin, et le Seigneur la livré pour nos péchés, et il na pas ouvert la bouche pour se plaindre. Il a été mené comme une brebis à la boucherie, et il est demeuré muet comme un agneau quon tond. Son abaissement lui a servi de degré pour monter à la gloire: qui pourra raconter sa génération? Il sera enlevé du monde, et les péchés de mon peuple le conduiront au supplice. Sa sépulture coûtera la vie aux méchants, et les riches porteront la vengeance de sa mort, parce quil na fait aucun mal, quil ny a en lui ni artifice, ni déguisement, et que le Seigneur veut le guérir de ses blessures. Si vous souffrez la mort pour vos péchés, vous verrez une longue postérité. Le Seigneur veut le délivrer de toute douleur, lui rendre le jour, remplir son esprit de lumière, justifier le juste qui sest sacrifié pour plusieurs et qui sest chargé de leurs péchés. Aussi acquerrai-t-il un domaine sur plusieurs, et il partagera les dépouilles des puissants , parce quil a été livré à la mort et mis au rang des scélérats, quil a porté les péchés de plusieurs et quil est mort pour leurs péchés 1 ». Voilà ce que dit ce prophète au sujet de Jésus-Christ. Citons ce quil ajoute de lEglise : « Réjouissez-vous, stérile qui nenfantez pas;
1. Isa. LII, 13 et seq.
éclatez en cris de joie, vous qui ne concevez point; car celle qui est abandonnée aura plus denfants que celle qui a un mari. Etendez le lieu de votre demeure et dressez vos pavillons. Ne ménagez point le terrain, prenez de grands alignements et enfoncez de bons pieux en terre. Etendez-vous à droite et à gauche, car cette postérité possédera les nations comme son héritage, et vous peuplerez les cités désertes. Vous êtes maintenant honteuse à cause des reproches quon vous fait; mais ne craignez rien : cette honte sera ensevelie dans un éternel oubli, et vous ne vous souviendrez plus de lopprobre de votre veuvage, parce que le Seigneur qui vous a créée sappelle le Dieu des armées, et celui qui vous a délivrée est le Dieu dIsraël et de toute la terre 1 ». Cette citation suffit, et bien quil se trouve certaines choses dans ces passages qui auraient besoin dexplication, il en est dautres qui sont si claires que nos ennemis mêmes les entendent; malgré quils en aient.
CHAPITRE XXX.PROPHÉTIES DE MICHÉE, JONAS ET JOEL QUI REGARDENT JÉSUS-CHRIST.
Le prophète Michée, parlant de Jésus-Christ sous la figure dune. haute montagne, dit ceci: « Dans les derniers temps, la montagne du Seigneur paraîtra élevée au-dessus des plus hautes montagnes, et les peuples sy rendront en foule de toutes parts, et diront: Venez, montons sur la montagne du Seigneur, et allons en la maison du Dieu de Jacob, et il nous enseignera le chemin qui mène à lui , et nous marcherons dans ses sentiers. Car la loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur, de Jérusalem. Il jugera plusieurs peuples, et sassujétira des nations puissantes pour longtemps ». Le même prophète dit du lieu de la naissance du Sauveur: « Et toi, Bethléem, maison dEphrata, tu es trop petite pour être mise au rang de ces villes de Juda qui fournissent des milliers dhommes, et cependant cest de toi que sortira le prince dIsraël. Sa sortie est dès le commencement et de toute éternité. Cest pourquoi Dieu abandonnera les siens jusquau temps où celle qui est en travail denfant doit accoucher, et le reste de ses frères se rangeront avec les enfants
1. Isa. LIV, 1 et seq. 2. Michée, IV, I et seq.
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dIsraël. Il sarrêtera, il contemplera et paîtra son troupeau par lautorité et le pouvoir quil en a reçu du Seigneur; et ils rendront leurs hommages au Seigneur, leur Dieu, qui sera glorifié jusquaux extrémités de la terre 1 ». Le prophète Jonas na pas tant annoncé le Sauveur par ses discours que par cette espèce de passion quil a subie. Car pourquoi a-t-il été englouti dans le ventre dune baleine et rejeté le troisième jour, sinon pour signifier la résurrection de Jésus-Christ 2 ? Pour Joël, il faudrait sengager dans un long discours pour expliquer toutes les prophéties quil a faites de Jésus-Christ et de lEglise. Toutefois jen rapporterai un passage que les Apôtres mêmes alléguèrent 3, quand le Saint-Esprit descendit sur eux, selon la promesse de Jésus-Christ : « Après cela, dit-il, je répandrai mon esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens des visions. En ce temps-là, je répandrai mon u esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes 3 ».
CHAPITRE XXXI.SALUT DU MONDE PAR JÉSUS-CHRIST PRÉDIT PAR ABDIAS, NAHUM ET HABACUC.
Trois des petits prophètes, Abdias, Nahum et Habacuc, ne disent rien du temps où ils ont prophétisé, et lon nen trouve rien non plus dans les chronologies dEusèbe et de Jérôme. Il est vrai quelles joignent Abdias à Michée ; mais je pense que cest une faute de copiste ; car elles mettent Abdias sous Josaphat, et il est certain que Michée nest venu que longtemps après. Pour les deux autres, nous ne les avons trouvés mentionnés dans aucune chronologie. Toutefois, comme ils sont reçus parmi les livres canoniques, il ne faut pas que nous les omettions. Abdias, le. plus court de tous les Prophètes, parle contre le peuple dIdumée, cest-à-dire contre Esaü, laîné des deux enfants dIsaac, qui fut réprouvé. Que si par lIdumée nous entendons toutes les nations, en prenant la partie pour !e tout, comme cela est assez ordinaire dans le langage, nous pouvons fort bien appliquer à Jésus-Christ ce quil dit entre autres choses:
1. Michée, V, 2 et seq. 2. Matt. XII, 39-11. 3. Act. II, 17. 4. Joel, II, 28 et 29.
« Le salut et la sainteté seront sur la montagne de Sion 1 » ; et un peu après, sur la fin de cette prophétie : « Ceux qui ont été rachetés de la montagne de Sion sélèveront pour défendre la montagne dEsaü et y faire régner le Seigneur». Il est évident que ceci a été accompli, lorsque ceux qui ont été rachetés de la montagne de Sion, cest-à-dire les fidèles de la Judée, et surtout les Apôtres, se sont élevés pour défendre la montagne dEsaü. Comment lont-ils défendue, si ce nest par la prédication de lEvangile, en sauvant ceux qui ont cru, et les tirant de la puissance des ténèbres pour les faire passer au royaume de Dieu ? cest ce qui est ensuite exprimé par ces paroles: « Afin dy faire régner le Seigneur ». En. effet, la montagne de Sion signifie la Judée, où devait commencer le salut et paraître la sainteté, qui est Jésus-Christ; et la montagne dEsaü est lIdumée, figure de lEglise des Gentils, que ceux qui ont été rachetés de la montagne de Sion ont défendue, comme je viens de le dire, pour y faire régner le Seigneur. Cela était obscur avant de saccomplir ; mais qui ne le comprend depuis lévénement? Pour le prophète Nahum, voici comme il parle, ou plutôt comme Dieu parle par lui: « Je briserai, dit-il, les idoles taillées et celles qui sont de fonte, et je les ensevelirai, parce que voici sur les montagnes les pieds légers de ceux qui portent et annoncent la paix. Juda, solennisez vos fêtes et offrez vos voeux; car vos jours de fête ne vieilliront plus désormais. Tout est consommé, tout est accompli. Celui qui souffle contre votre face et qui délivre de laffliction va monter 2 ». Qui est monté des enfers et qui a soufflé lEsprit-Saint contre la face de Juda, cest-à-dire des Juifs ses disciples? Je le demande à quiconque a lu lEvangile. Ceux dont les fêtes se renouvellent, de telle sorte quelles ne peuvent plus vieillir, appartiennent au Nouveau Testament, Du reste, nous voyons les idoles des faux dieux détruites par IEvangile et comme ensevelies dans loubli; et nous reconnaissons cette prophétie encore accomplie en ce point. Quant à Habacuc, de quel autre avénement que celui du Sauveur peut-il parler, quand il dit: « Le Seigneur me répondit : Ecrivez nettement cette vision sur le buis, afin que celui qui la lira lentende. Car cette vision
1. Abdias, 17, 21, sec. LXX. 2. Nahum, I, 14.
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saccomplira en son temps, à la fin, et ce ne sera pas une promesse vaine. Sil tarde à venir, attendez-le en patience, car il va venir sans délai 1 ».
CHAPITRE XXXII.PROPHÉTIES DU CANTIQUE DHABACUC.
Et dans sa prière ou son cantique, à quel autre quau Sauveur dit-il: « Seigneur, jai entendu ce que vous mavez fait entendre, et jai été saisi de frayeur; jai contemplé vos ouvrages, et jai été épouvanté 2? » Quest-ce que cela, sinon une surprise extraordinaire à la vue du salut des hommes que Dieu lui avait fait connaître : « Vous serez reconnu au milieu de deux animaux ». Que signifient ces deux animaux? ce sont les deux Testaments, ou les deux larrons, ou encore Moïse et Elie, qui parlaient avec Jésus sur la montagne où il se transfigura. « Vous serez connu dans la suite des temps ». Cela est trop clair pour avoir besoin quon lexplique. « Lorsque mon âme sera troublée, au plus fort de votre colère, vous vous souviendrez de votre miséricorde ». Il dit ceci en la personne des Juifs, parce que, dans le temps quils crucifiaient Jésus-Christ, transportés de fureur, Jésus, se souvenant de sa miséricorde, dit « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 3 ». Dieu viendra de Théman, et le saint viendra de la montagne couverte dune ombre épaisse. Dautres, au lieu de Théman, traduisent du côté du midi; ce qui marque lardeur de la charité et léclat de la vérité. Pour la montagne couverte dune ombre épaisse, on peut lexpliquer de différentes façons; mais il me paraît mieux de lentendre de la profondeur des Ecritures qui contiennent les prophéties de Jésus-Christ. On y trouve en effet beaucoup de choses obscures et cachées qui exercent ceux qui les veulent pénétrer. Or, Jésus-Christ sort de ces ténèbres, quand celui qui le cherche sait ly découvrir: « Il a fait éclater son pouvoir dans les cieux, et la terre est pleine de ses merveilles ». Cest ce que le psalmiste dit quelque part :« Mon Dieu, montez au-dessus des cieux et faites éclater votre gloire par toute la terre. Sa splendeur sera aussi vive que la plus vive lumière 4 » : cest-à-dire que le bruit
1. Habacuc, II, 2 et 3. 2. Habacuc, III, 1. - 3. Luc, XXIII, 34. 4. Ps. LVI, 7.
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de son nom fera ouvrir les yeux aux fidèles. « Il tiendra des cornes en ses mains »; cest le trophée de la croix. « Il a mis sa force dans la charité »; cela na pas besoin dexplication. « La parole marchera devant lui et le « suivra n; cest-à-dire quil a été prophétisé avant quil ne vînt, et annoncé depuis quil sen est allé. « Il sest arrêté et la terre a été ébranlée »; il sest arrêté pour nous secourir, et la terre a été portée à croire. « Il a tourné les yeux sur les nations, et elles ont séché »; entendez quil a eu pitié delles et quelles ont été touchées de repentir. « Les montagnes ont été mises en poudre par un grand effort »; cest-à-dire que lorgueil des superbes a cédé à la force des miracles. « Les collines éternelles ont été abaissées »; elles ont été humiliées pour un temps, afin dêtre élevées pour léternité. « Jai vu ces entrées éternelles et triomphantes, prix de ses travaux », cest-à-dire : Jai reconnu que les travaux de la charité recevront une récompense éternelle. « Les Ethiopiens et les Madianites seront remplis détonnement »; les peuples surpris de tant de merveilles, ceux mêmes qui ne sont pas sous lempire romain, seront sous celui de Jésus-Christ. « Vous mettrez-vous en colère, Seigneur, contre les fleuves, et déchargerez-vous votre fureur sur la mer? » Cest quil ne vient pas maintenant pour juger le monde, mais pour le sauver,. « Vous monterez sur vos chevaux, et vos courses produiront le salut »; cest-à-dire : Vos évangélistes vous portent, et vous les conduisez, et votre Evangile procure le salut à ceux qui croient en vous. « Vous banderez votre arc contre les sceptres, dit le Seigneur »; entendez quil menacera de son jugement les rois mêmes de la terre. «La terre souvrira pour recevoir les fleuves dans son sein ». Cela signifie que les coeurs des hommes, à qui il est dit : « Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements 1 », souvriront pour recevoir la parole des prédicateurs et confesser le nom de Jésus-Christ. « Les peuples vous verront et saffligeront»; cest-à-dire quils pleureront, afin dêtre bienheureux 2. « En marchant, vous ferez rejaillir de leau de toutes parts »; vous répandrez de tous côtés des torrents de doctrine en marchant avec vos prédicateurs. « Une voix est sortie du creux de labîme »; cest-à-dire que
1. Joel, II, 13. 2. Matt. V, 5.
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le coeur de lhomme, qui est un abîme, na pu retenir ce quil pensait de vous, et a publié votre gloire partout. « La profondeur de son imagination »; cest une explication de ce qui précède; car cette profondeur est un abîme. Et quand il ajoute : de son imagination, il faut sous-entendre : a fait retentir sa voix, cest-à-dire a publié ce quelle voyait. En effet, limagination, cest une vision que le coeur na pu cacher ni retenir, mais quil a proclamée à la gloire de Dieu. « Le soleil sest levé et la lune a gardé son rang » ; Jésus-Christ est monté au ciel, et lEglise a été ordonnée sous son roi. « Vous lancerez vos flèches en plein jour », parce que votre parole sera prêchée publiquement. « Et elles brilleront à la lueur de vos armes ». Il avait dit à ses disciples : « Dites en plein jour ce que je vous dis dans les ténèbres 1 ». «Vos menaces abaisseront la terre » ; cest-à-dire, humilieront les hommes. « Et vous abattrez les nations dans votre fureur »; parce que vous dompterez les superbes, et ferez tomber vos vengeances sur leur tête. « Vous êtes sorti dans lintention de sauver votre peuple, pour sauver vos christs, et vous avez donné les méchants en proie à la mort »; cela est clair. « Vous les avez chargés de chaînes n; par ces chaînes, on peut aussi entendre les heureux liens de la sagesse. « Vous avez mis des entraves à leurs pieds et un carcan à leur cou. Vous les avez rompues avec étonnement »; il faut sous-entendre les chaînes. De même quil a noué celles qui sont bonnes, il a brisé les mauvaises, doù vient cette parole du psaume : « Vous avez rompu mes chaînes 2 ». « Avec étonnement »; cest-à-dire, avec ladmiration de tous ceux qui ont été témoins de cette merveille. « Les plus grands en seront touchés; ils seront affamés comme un pauvre qui mange en cachette»; cest que quelques-uns des premiers parmi les Juifs, touchés des paroles et des miracles du Sauveur, le venaient trouver, et, pressés par la faim, mangeaient le pain de sa doctrine, mais en secret, parce quils craignaient le peuple, comme le remarque lEvangile 3. « Vous avez poussé vos chevaux dans la mer et troublé ses eaux» ; cest-à-dire les peuples. Les uns ne se convertiraient pas par crainte, et les autres ne persécuteraient pas avec fureur, si tous nétaient troublés. « Jai contemplé
1. Matt. X, 27. 2. Ps. CXV, 16. 3. Jean, XVII, 38.
ces choses, et mes entrailles ont été émues. La frayeur a pénétré jusque dans mes os, et tout mon être intérieur en a été troublé ». Faisant réflexion sur ce quil disait, il en a été lui-même épouvanté. Il prévoyait ce tumulte des peuples, suivi de grandes persécutions contre lEglise, et aussitôt, sen reconnaissant membre: « Je me reposerai, dit-il, au temps de laffliction», comme étant de ceux qui, selon la parole de lApôtre 1, se réjouissent en espérance et souffrent constamment laffliction. « Afin daller trouver le peuple qui a été étranger ici-bas comme moi », en séloignant de ce peuple méchant qui lui était uni selon la chair, mais qui, nétant point étranger en ce monde, ne cherchait point la céleste patrie. « Car le figuier ne portera point de fruit, ni la vigne de raisin. Les oliviers tromperont lattente du laboureur, et la campagne ne produira rien. Les brebis mourront faute de pâturage, et il ny aura plus de boeufs dans les étables ». Il voyait que cette nation, qui devait mettre à mort Jésus-Christ, perdrait les biens spirituels quil a prophétiquement figurés par les temporels; et parce que la colère du ciel est tombée sur ce peuple, à cause quignorant la justice de Dieu 2, il a voulu établir la sienne à la place, il ajoute aussitôt: « Mais moi je me réjouirai, Seigneur, je me réjouirai en mon Seigneur et mon Dieu. Le Seigneur mon Dieu est ma force, il affermira mes pas jusquà la fin. Il mélèvera sur les hauteurs, afin que je triomphe par son cantique »; cest-à-dire par ce cantique dont le Psalmiste dit quelque chose de pareil en ces termes: « Il a affermi mes pieds sur la pierre, et il a conduit mes pas. Il ma mis en la bouche un nouveau cantique, un hymne à la louange de notre Dieu 3 ». Celui-là donc triomphe par le cantique du Seigneur, qui se plaît à entendre les louanges de Dieu, et non les siennes, « afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur 4 ». Au reste, quelques exemplaires portent : « Je me réjouirai en Dieu mon Jésus » ; ce qui me paraît meilleur que « en Dieu mon Sauveur », parce que Jésus est un nom plein de douceur et de confiance.
1. Rom. XII, 12. 2. Ibid. X, 3. 3. Ps. XXXIX, 3. 4. I Cor. I, 31.
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CHAPITRE XXXIII.PROPHÉTIES DE JÉRÉMIE ET DE SOPHONIAS TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET LA VOCATION DES GENTILS.
Jérémie est du nombre des grands prophètes, aussi bien quIsaïe. Il prophétisa sous Josias, roi de Jérusalem, et du temps dAncus Martius, roi des Romains, la captivité des Juifs étant proche, et sa prophétie alla jusquau cinquième mois de cette captivité, comme il le dit lui-même. On lui joint Sophonias, lun des petits prophètes, parce quil prophétisa aussi sous Josias, comme lui-même le témoigne; mais il ne dit point combien-de temps. Jérémie prophétisa, non-seulement du temps dAncus Martius, mais aussi du temps de Tarquin lAncien, cinquième roi de Rome, qui létait déjà lorsque les Juifs furent emmenés en captivité. Jérémie dit donc de Jésus-Christ: « Le Seigneur, le Christ par qui nous respirons, a été pris pour nos péchés 1 » , marquant ainsi en peu de paroles et que Jésus-Christ est notre Seigneur, et quil a souffert pour nous, Et dans un autre endroit: « Celui-ci est mon Dieu, et nul autre nest comparable à lui. Il est lauteur de toute sagesse, et il la donnée à Jacob son serviteur, et à Israël son bien-aimé. Après cela il a été vu sur terre, et il a conversé parmi les hommes 2 ». Quelques-uns nattribuent pas ce témoignage à Jérémie, mais à Baruch, son scribe, quoique ordinairement on le donne au premier. Le même prophète parlant encore du Messie : « Voici venir le temps, dit le Seigneur, que je ferai sortir du tronc de David un germe glorieux. Il régnera et sera rempli de sagesse et fera justice sur la terre. Alors Juda sera sauvé, et Ismaël demeurera en sûreté, et ils lappelleront le Seigneur notre justice 3 ». Voici comme il parle de la vocation des Gentils, qui devait arriver et que nous voyons maintenant accomplie: « Seigneur, mon Dieu et mon refuge au temps de laffliction, les nations viendront à vous des extrémités de la terre, et diront: Il est vrai que nos pères ont adoré de vaines statues qui ne sont bonnes à rien 4». Et parce que les Juifs ne devaient pas le connaître et quil fallait quils le fissent mourir, le mème prophète en parle de la sorte: « Leur
1. Thren. IV, 20. 2. Baruch, III, 36-38. 3. Jérém. XXXIII, 5. 4. Ibid. XVI, 19.
esprit est extrêmement pesant : cest un homme; qui le connaîtra 1?» Voici enfin un dernier passage de Jérémie que jai rapporté au dix-septième livre touchant le Nouveau Testament, dont Jésus-Christ est le médiateur : « Voici venir le temps, dit le Seigneur, que je contracterai une nouvelle alliance avec la maison de Jacob , etc. 2 » De Sophonias, qui prophétisait du même temps que Jérémie, je veux citer au moins quelques témoignages sur Jésus-Christ. Voici donc comme il en parle: « Attendez que je ressuscite, dit le Seigneur, car jai résolu dassembler les nations et les royaumes 3 » ; et encore: « Le Seigneur leur sera redoutable; il exterminera tous les dieux de la terre, et toutes les nations de la terre ladoreront, chacune en son pays 4 »; et un peu après: « Je ferai que tous les peuples parleront comme ils doivent; ils invoqueront tous le nom du Seigneur, et lui seront assujétis. « Ils mapporteront des victimes des bords du fleuve dEthiopie. Alors vous naurez plus de confusion pour toutes les impiétés que vous avez commises contre moi; car jeffacerai toute la malice de vos offenses, et il ne vous arrivera plus de vous enorgueillir sur ma montagne sainte. Je rendrai votre peuple doux et modeste, et les restes dIsraël craindront le Seigneur 5». Cest de ces restes que lApôtre6 a dit après un autre prophète 7 : « Quand le nombre des enfants dIsraël égalerait le sable de la mer, il ny aura que les restes qui seront sauvés»; car les restes de cette nation ont cru au Messie.
CHAPITRE XXXIV.PRÉDICTIONS DE DANIEL ET DÉZÉCHIEL SUR LE MÊME SUJET.
Daniel et Ezéchiel, deux des grands prophètes, prophétisèrent pendant la captivité même de Babylone; et le premier a été jusquà dire combien il sécoulerait dannées avant lavénement et la passion du Sauveur. Cette supputation serait longue, et dailleurs elle a déjà été faite par dautres avant nous; mais voici comme il parle de la puissance et de la gloire du Messie : « Jeus une vision en dormant, où je voyais le fils de lhomme, environné de nuées, savançant jusquà
1. Jérém. XVII, 9. 2. Ibid. XXXI, 31. 3. Sophon. III, 8. 4. Ibid. II, 11 5. III, 9. 6. Rom. IX, 27. 7. Isa. X, 22.
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lAncien des jours. Comme on le lui eût présenté, il lui donna puissance, honneur et empire, avec ordre à tous les peuplés, à toutes les tribus et à toutes les langues de lui rendre leurs hommages. Son pouvoir est un pouvoir éternel qui ne finira jamais, et son empire sera toujours florissant 1 ». Ezéchiel, de même, figurant Jésus-Christ par David, parce que cest à cause de David que Jésus-Christ a pris celte nature charnelle, cette forme desclave quil a revêtue en venant au monde, doù vient que, tout en étant fils de Dieu, il est appelé esclave de Dieu, Ezéchiel, dis-je, en parle ainsi au nom de Dieu le Père : « Je susciterai un pasteur pour paître mes troupeaux, mon serviteur David; et il les fera paître, et il sera leur pasteur. Pour moi, je serai leur Dieu, et mon serviteur David régnera au milieu deux. Cest le Seigneur qui la dit 2 »; et dans un autre endroit: « Ils nauront plus quun roi et ne formeront plus deux peuples, ni deux royaumes séparés. ils ne se souilleront plus didolâtrie et dautres abominations; et je les tirerai de tous: les lieux où ils mont offensé et les purifierai de leurs crimes. Ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera à tous leur roi et leur pasteur 3 »
CHAPITRE XXXV.PRÉDICTIONS DAGGÉE, DE ZACHARIE ET DE MALACHIE TOUCHANT JÉSUS-CHRIST.
Restent trois petits prophètes qui ont prophétisé sur la fin de la captivité de Babylone: Aggée, Zacharie et Malachie. Aggée prédit en peu de mots Jésus-Christ et lEglise en ces termes: « Voici ce que dit le Seigneur des armées: Encore un peu de temps, et jébranlerai le ciel et la terre, la mer et le continent, et je remuerai toutes les nations; et celui qui est désiré de tous les peuples viendra 4 ». Cette prophétie est déjà accomplie en partie et le reste saccomplira à la fin du monde. Dieu ébranla le ciel, quand Jésus-Christ prit chair, par le témoignage que les astres et les anges rendirent à son incarnation. Il émut la terre par le grand miracle de lenfantement dune vierge; il émut la mer et le continent, lorsque le Sauveur fut annoncé
1. Dan. VII, 13. 2. Ezéch. XXXIV, 23, 24. 3. Ibid. XXXVII, 22 et seq. 4. Aggée, II, 7.
dans les îles et par tout le monde. Ainsi nous voyons que toutes les nations sont remuées et portées à embrasser la foi. Ce qui suit : « Et a celui qui est désiré de tous les peuples viendra », doit sentendre de son dernier avénement; car avant que de souhaiter quil vînt, il fallait laimer et croire en lui. Zacharie parle ainsi de Jésus-Christ et de 1Eglise « Réjouissez-vous, dit-il, fille de Sion, bondissez de-joie, fille de Jérusalem, car voici venir votre roi pour vous justifier et pour vous sauver. Il est pauvre, et vient monté sur une ânesse et sur le poulain dune ânesse; mais son pouvoir sétend dune mer à lautre, et depuis les fleuves jusquaux confins de la terre ». LEvangile nous apprend, en effet, en quelle occasion Notre-Seigneur se servit de cette monture 2, et fait même mention de cette prophétie. Un peu après, parlant à Jésus-Christ même de la rémission des péchés qui devait se faire par son sang: « Et vous aussi, dit-il, vous avez tiré vos captifs de la citerne sans eau, par le sang de votre Testament 3 ». On peut expliquer diversement, et toujours selon la foi, cette citerne sans eau; mais, pour moi, je pense quon doit entendre la misère humaine, qui est comme une citerne sèche et stérile, où les eaux de la justice ne coulent jamais, et qui est pleine de la boue et de la fange du péché. Cest de cette citerne que le Psalmiste dit : « Il ma tiré dune malheureuse citerne et dun abîme de boue 4». Malachie, annonçant lEglise que nous voyons fleurir par Jésus-Christ, dit clairement aux Juifs en la personne de Dieu : « Vous ne magréez point, et je ne veux point de vos présents. Car depuis le soleil levant jusquau couchant, mon nom est grand parmi les nations. On me fera des sacrifices partout, et lon moffrira une oblation pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur 5 ». Ce sacrifice est celui du sacerdoce de Jésus-Christ selon lordre de Melchisédech, que nous voyons offrir depuis le soleil levant jusquau couchant, tandis quon ne peut nier que le sacrifice des Juifs à qui Dieu dit: « Vous ne ma«gréez point, et je ne veux point de vos présents », ne soit aboli. Pourquoi donc attendent-ils encore un autre Christ, puisque cette
1. Zach. IX, 9. 2. Jean, XII, 14. 3. Zach. IX, 11. 4. Ps. XXXIX, 2. 5. Malach. I, 10. (407)
prophétie quils voient accomplie na pu saccomplir que par lui? Un peu après, le même prophète, parlant encore en la personne de Dieu, dit du Sauveur: « Jai fait avec lui une alliance de vie et de paix; je lui ai donné ma crainte, et il ma craint et respecté. La loi de la vérité était en sa bouche; il marchera en paix avec moi, et il en retirera plusieurs de leur iniquité. Car les lèvres du grand-prêtre seront les dépositaires de la science; et ils liront consulter sur la loi, parce que cest lange du Seigneur tout-puissant1 ». Il ne faut pas sétonner que Jésus-Christ soit appelé lange de Dieu; de même quil est esclave à cause de la forme desclave en laquelle il est venu parmi les hommes, il est aussi ange à cause de lEvangile quil leur a annoncé; car Evangile en grec signifie bonne nouvelle, et ange, messager 2. Aussi le même prophète dit encore de lui: « Je men vais envoyer mon ange pour préparer la voie devant moi, et aussitôt viendra dans son temple le Seigneur que vous cherchez, et lange du Testament que vous demandez. Le voici qui vient, dit le Seigneur et le Dieu tout-puissant; et qui pourra supporter léclat de sa gloire et soutenir ses regards 3 ? » On trouve prédit en cet endroit le premier et le second avénement de Jésus-Christ; son premier avénement, lorsquil dit: « Et aussitôt le Seigneur viendra dans son temple » , cest-à-dire dans sa chair, dont il est dit dans lEvangile : « Détruisez ce u temple, et je le rétablirai en trois jours 4» et le second en ces termes: « Le voici qui vient, dit le Seigneur tout-puissant, et qui pourra supporter léclat de sa gloire et soutenir ses regards? » Ces paroles : « Le Seigneur que vous cherchez, et lange du Testament que vous demandez », signifient que les Juifs mêmes cherchent le Christ dans les Ecritures et désirent ly trouver. Mais plusieurs dentre eux, aveuglés par leurs péchés, ne voient pas que celui quils cherchent et quils désirent est déjà venu. Par le Testament, il entend parler du Nouveau, qui contient des promesses éternelles , et non de lAncien, qui nen a que de temporelles; mais ces promesses temporelles ne laissent pas de troubler beaucoup de personnes faibles qui sy
1. Malach. II, 5. 2. Angelos, messager, ange, Euangelion, récompense donnée au porteur dune bonne nouvelle. 3. Malach. III, 1. 4. Jean, II, 19.
attachent, et qui, voyant les méchants comblés de ces sortes de biens, ne servent Dieu que pour les obtenir. Cest pourquoi le même prophète, pour distinguer la béatitude éternelle du Nouveau Testament, qui ne sera donnée quaux bons, de la félicité temporelle de lAncien, qui pour lordinaire est commune aux bons et aux méchants, sexprime ainsi: « Vous avez tenu des discours qui me sont injurieux, dit le Seigneur. Et vous dites: En quoi avons-nous mal parlé de vous? Vous avez dit : Cest une folie de servir Dieu; que nous revient-il davoir observé ses commandements, et de nous être humiliés en la présence du Seigneur tout-puissant? - Navons-nous donc pas raison destimer heureux les méchants et les ennemis de Dieu, puisquils triomphent dans la gloire et dans lopulence? Voilà ce que ceux qui craignaient Dieu ont murmuré tout bas ensemble. Et le Seigneur a vu tout cela et entendu leurs plaintes; et il a écrit un livre en mémoire de ceux qui le craignent et qui le révèrent 1 ». Ce livre signifie le Nouveau Testament. Mais écoutons ce qui suit: « Et ils seront mon héritage, dit le Seigneur tout-puissant, au jour que jagirai; et je les épargnerai comme un père épargne un fils obéissant. Alors vous parlerez un autre langage, et vous verrez la différence quil y a entre le juste et linjuste, entre celui qui sert Dieu et celui qui ne le sert pas. Car voici venir le jour allumé comme une fournaise ardente, et il les consumera. Tous les étrangers et tous les pécheurs seront comme du chaume, et ce jour qui approche les brûlera tous, dit le Seigneur, sans quil reste deux ni branches, ni racines. Mais, pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera pour vous, et vous trouverez une abondance de tous biens à lombre de mes ailes. Vous bondirez comme de jeunes taureaux échappés, et vous foulerez aux pieds les méchants, et ils deviendront cendre sous vos pas, au jour que jagirai, dit le Seigneur tout-puissant ». Ce jour est le jour du jugement, dont nous parlerons plus amplement en son lieu 2,si Dieu nous en fait la grâce.
1. Malach. III, 13. 2. Dans les quatre derniers livres.
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CHAPITRE XXXVI.DESDRAS ET DES LIVRES DES MACHABÉES.
Après ces trois prophètes, Aggée, Zacharie et Malachie, écrivit Esdras, lorsque le peuple fut délivré de la captivité de Babylone. Mais il passa plutôt pour historien que pour prophète, aussi bien que lauteur du livre dEsther où sont rapportées les actions glorieuses de cette femme illustre, qui arrivèrent vers ce temps-là. On peut dire néanmoins quEsdras a prophétisé Jésus-Christ dans cette dispute qui séleva entre quelques jeunes gens pour savoir quelle était la chose du monde la plus puissante 1. Lun ayant dit que cétait les rois, lautre le vin, et le troisième les femmes, qui souvent commandent eu rois, ce dernier finit par montrer que cest la vérité qui lemporte par-dessus tout. Or, lEvangile nous apprend que Jésus-Christ est la vérité. Depuis le temps que le temple fut rétabli jusquà Aristobule, les Juifs ne furent plus gouvernés par des rois, mais par des princes. La supputation de ces temps ne se trouve pas dans les Ecritures canoniques, mais ailleurs, comme dans les Machabées, que les Juifs ont rejetés comme apocryphes. Mais 1Eglise est dun autre sentiment, à cause des souffrances admirables de ces martyrs qui, avant lincarnation de Jésus-Christ, ont combattu pour la loi de Dieu jusquau dernier soupir et enduré des maux étranges et inouïs.
CHAPITRE XXXVII.NOS PROPHÈTES SONT PLUS ANCIENS QUE LES PHILOSOPHES.
Du temps de nos prophètes, dont les écrits sont maintenant répandus dans le monde entier, il ny avait point encore de philosophes parmi les Gentils. Du moins ils nétaient point connus sous ce nom; car cest Pythagore qui la porté le premier, et il na commencé à fleurir que sur la fin de la captivité de Babylone 2. A plus forte raison les autres philosophes sont-ils postérieurs aux prophètes. En effet, Socrate lui-même, le maître de ceux qui étaient alors le plus en honneur et le
1. III Esdras, III, 9 et seq. 2. La date de Pythagore nest pas fixée dune manière certaine. Eusèbe le fait fleurir pendant la 62e olympiade, au temps du prince Zorobabel, sous le pontificat de Josadech, fils de Jésus (Prp. Evang., lib. X, cap. 4). Parmi les modernes, Lloyd place la naissance de Pythagore à la 3e année de la 48e olympiade (586 avant J.-C.) et Dodwell à la 4e anée de la 52e olympiade (568 avant J.-C.)
premier de tous pour la morale, ne vient quaprès Esdras dans lordre des temps 1; peu après parut Platon, qui a surpassé de beaucoup tous les autres disciples de Socrate. Les sept sages mêmes, qui ne sappelaient pas encore philosophes, et les physiciens qui succédèrent à Thalès dans la recherche des choses naturelles, Anaximandre, Anaximène, Anaxagore2, et quelques autres qui ont fleuri avant Pythagore, ne sont pas antérieurs à tous nos prophètes. Thalès, le plus ancien des physiciens, ne parut que sous le règne de Romulus, lorsque les torrents de prophétie qui devaient inonder toute la terre sortirent des sources dIsraël. Il ny a que les poètes théologiens, Orphée, Linus et Musée, qui soient plus anciens que nos prophètes; encore nont-ils pas devancé Moïse, ce grand théologien, qui a annoncé le Dieu unique et véritable, et dont les écrits tiennent le premier rang parmi les livres canoniques. Ainsi, quant aux Grecs, dont la langue a donné tant déclat aux lettres humaines, ils nont pas sujet de se glorifier de leur sagesse comme plus ancienne que notre religion, en qui seule se trouve la sagesse véritable. Il est vrai que parmi les Barbares, comme en Egypte, il y avait quelques semences de doctrine avant Moïse; autrement lEcriture sainte ne dirait pas quil avait été instruit dans toutes les sciences des Egyptiens à la cour de Pharaon ; mais la science même des Egyptiens na pas précédé celle de tous nos prophètes, puisque Abraham a aussi cette qualité. Et quelle science pouvait-il y avoir en Egypte, avant quIsis, quils adorèrent après sa mort comme une grande déesse, leur eût communiqué linvention des lettres et des caractères? Or, Isis était fille dInachus, qui régna le premier sur les Argiens, au temps des descendants dAbraham.
CHAPITRE XXXVIII.POURQUOI LÉGLISE REJETTE LES ÉCRITS DE QUELQUES PROPHÈTES.
Si nous remontons plus haut avant le déluge universel, nous trouverons le patriarche Noé, que je puis aussi justement appeler prophète, puisque larche même quil fit était une prophétie du christianisme. Que dirai-je
1. Socrate naquit le 6e jour du mois Thargélion de lan 470 avant J.-C. (Olymp. 77, 4). 2. Il y a ici une erreur chronologique. Anaxagore, contemporain de Périclès, est de beaucoup postérieur à Pythagore.
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dEnoch, le septième des descendants dAdam? Lapôtre saint Jude ne dit-il pas dans son épître canonique quil a prophétisé? Que si les écrits de ces personnages ne sont pas reçus coin me canoniques par les Juifs, non plus que par nous, cela ne vient que de leur trop grande antiquité qui les a rendus suspects. Je sais bien quon produit quelques ouvrages dont lauthenticité ne paraît pas douteuse à ceux qui croient vrai tout ce qui leur plaît; mais lEglise ne les reçoit pas, non quelle rejette lautorité de ces grands hommes qui ont été si agréables à Dieu, mais parce quelle ne croit pas que ces ouvrages soient de leur main. Il ne faut pas trouver étrange que des écrits si anciens soient suspects, puisque, dans lhistoire des rois de Juda et dIsraël, il est fait mention de plusieurs circonstances quon chercherait en vain dans nos Ecritures canoniques et qui se trouvent en dautres prophètes dont les noms-ne sont pas inconnus et dont cependant les ouvrages nont point été reçus au nombre des livres canoniques. Javoue que jen ignore la raison; à moins de dire que ces prophètes ont pu écrire certaines choses comme hommes et sans linspiration du Saint-Esprit, et que cest celles-là que lEglise ne reçoit pas dans son canon pour faire partie de la religion, bien quelles puissent être dailleurs utiles et véritables. Quant aux ouvrages quon attribue aux prophètes et qui contiennent quelque chose de contraire aux Ecritures canoniques, cela seul suffit pour les convaincre de fausseté.
CHAPITRE XXXIX.LA LANGUE HÉBRAÏQUE A TOUJOURS EU DES CARACTÈRES.
Il ne faut donc pas simaginer, comme font quelques-uns, que la langue hébraïque seule ait été conservée par Héber, qui a donné son nom aux Hébreux, et quelle soit passée de lui à Abraham, tandis que les caractères-hébreux nauraient commencé quà la loi qui fut donnée à Moïse. Il est bien plus croyable que cette langue a été conservée avec ses caractères dès les époques primitives. En effet, nous voyons Moïse établir certains hommes pour enseigner les lettres, avant que la loi neût été dénuée, et lEcriture les appelle 1
1. En grec : grammatoeisagogeis, en latin : litterarum inductores vel introductores.
des introducteurs aux lettres, parce quils les introduisaient dans lesprit de leurs disciples, ou plutôt, parce quils introduisaient leurs disciples jusquà elles. Aucune nation na donc droit de se vanter de sa science, comme étant plus ancienne que nos patriarches et nos prophètes, puisque lEgypte même, qui a cou-turne de se glorifier de lantiquité de ses lumières, ne peut prétendre à cet avantage. Personne noserait dire que les Egyptiens aient été bien savants avant linvention des caractères, cest-à-dire avant Isis. Dailleurs, cette science dont on a fait tant de bruit et quils appelaient sagesse, quétait-elle autre chose que lastronomie, et peut-être quelques autres sciences analogues, plus propres à exercer lesprit quà rendre lhomme véritablement sage? Et quant à la philosophie, qui se vante dapprendre aux hommes le moyen de devenir heureux, elle na fleuri en ce pays que vers le temps de Mercure Trismégiste 1, longtemps, il est vrai, avant les sages au les philosophes de la Grèce, mais toutefois après Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, et même après Moïse; car Atlas, ce grand astrologue, frère de Prométhée et aïeul maternel du grand Mercure, de qui Mercure Trismégiste fut petit-fils, vivait encore lorsque Moïse naquit 2.
CHAPITRE XL.FOLIE ET VANITÉ DES ÉGYPTIENS, QUI FONT LEUR SCIENCE ANCIENNE DE CENT MILLE ANS.
Cest donc en vainque certains discoureurs, enflés dune sotte présomption, disent quil y a plus de quatre cent -mille ans que lastrologie est connue en Egypte. Et de quel livre ont-ils tiré ce grand nombre dannées, eux qui nont appris à lire de leur Isis que depuis environ deux mille ans? Cest du moins ce quassure Varron, dont lautorité nest pas peu considérable, et cela saccorde assez bien avec 1Ecriture sainte. Du moment donc que lon compte à peine six mille ans depuis la création du premier homme, ceux qui avancent des opinions si contraires à une vérité reconnue ne méritent-ils pas plutôt des railleries que des réfutations? Aussi bien, à qui nous en pouvons-nous mieux rapporter, pour les choses passées, quà celui qui a prédit des
1. Sur Mercure Trismégiste, voyez plus haut, livre VIII, ch. 23, pages 115, 116 et les notes. 2. Eusèbe fait vivre ce douteux personnage lan 1638 avant Jésus-Christ, cest-à-dire vingt-neuf ans avant la naissance de Moïse.
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choses à venir que nous voyons maintenant accomplies? La diversité même qui se rencontre entre les historiens sur ce sujet ne nous donne-t-elle pas lieu den croire plutôt ceux qui ne sont pas contraires à notre Histoire sacrée? Quand les citoyens de la cité du monde qui sont répandus par toute la terre voient des hommes très-savants, à peu près dune égale autorité, qui ne conviennent pas en des choses de fait fort éloignées de notre temps, ils ne savent à qui donner créance. Mais pour nous, qui sommes appuyés sur une autorité divine en ce qui concerne lhistoire de notre religion, nous ne doutons point que tout ce qui contredit la parole de Dieu ne soit très-faux, quoi quil faille penser à dautres égards de la valeur des histoires profanes, question qui nous met peu en peine, parce que, vraies ou fausses, elles ne servent de rien pour nous rendre meilleurs ni plus heureux.
CHAPITRE XLI.LES ÉCRIVAINS CANONIQUES SONT AUTANT DACCORD ENTRE EUX QUE LES PHILOSOPHES LE SONT PEU.
Mais laissons les historiens pour demander aux philosophes, qui semblent navoir eu dautre but dans leurs études que de trouver le moyen darriver à la félicité, pourquoi ils ont eu tant dopinions différentes, sinon parce quils ont procédé dans cette recherche comme des hommes et par des raisonnements humains ? Je veux que la vaine gloire ne les ait pas tous déterminés à se départir de lopinion dautrui, afin de faire éclater la supériorité de leur sagesse et de leur génie et davoir une doctrine en propre; jadmets que quelques-uns, et même un grand nombre, naient été animés que de lamour de la vérité; que peut la misérable prudence des hommes pour parvenir à la béatitude, si elle nest guidée par une autorité divine? Voyez nos auteurs, à qui lon attribue justement une autorité canonique : il ny a pas entre eux la moindre différence de sentiment. Cest pourquoi il ne faut pas sétonner quon les ait crus inspirés de Dieu, et que cette créance, au lieu de se renfermer entre un petit nombre de personnes disputant dans une école, se soit répandue parmi tant de peuples , dans les champs comme dans les villes, parmi les savants comme parmi les ignorants. Du reste, il ne fallait pas quil y eût beaucoup de prophètes, de peur que leur grand nombre navilît ce que la religion devait consacrer, et, dun autre côté, ils devaient être en assez grand nombre pour que leur parfaite conformité fût un sujet dadmiration. Lisez cette multitude de philosophes dont nous avons les ouvrages; je ne crois pas quon en puisse trouver deux qui soient daccord en toutes choses; mais je ne veux pas trop insister là-dessus, de peur de trop longs développements. Je de.. manderai cependant si jamais cette cité terrestre, abandonnée au culte des démons, a tellement embrassé les doctrines dun chef décole quelle ait condamné toutes les autres? Na-t-on pas vu en vogue dans la même ville dAthènes, et les Epicuriens qui soutiennent que les dieux ne prennent aucun soin des choses dici-bas, et les Stoïciens qui veulent au contraire que le monde soit gouverné et maintenu par des divinités protectrices? Aussi, je métonne quAnaxagoras ait été condamné pour avoir dit que le soleil était une pierre enflammée et non pas un dieu 1, tandis quEpicure a vécu en tout honneur et toute sécurité dans la même ville, quoiquil ne niât pas seulement la divinité du soleil et des autres astres, mais quil soutînt quil ny avait ni Jupiter ni aucune autre puissance dans le monde à qui les hommes dussent adresser leurs voeux 2. Nest-ce pas à Athènes quAristippe 3 mettait le souverain bien dans la volupté du corps, au lieu quAntisthène 4 le plaçait dans la vigueur de lâme, tous deux philosophes célèbres, tous deux disciples de Socrate, et qui pourtant faisaient consister la souveraine félicité en des principes si opposés? De plus, le premier disait que le sage doit fuir le gouvernement de la république, et le second, quil y doit prétendre, et tous deux avaient des sectateurs. Chacun combattait avec sa troupe pour son opinion; car on discutait au grand jour, sous le vaste et
1. Cléon le démagogue se porta laccusateur dAnaxagore, qui fut défendu par Périclès, son disciple et son ami. Voyez Diogène Laerce, lib. II, § 12 et 13. 2. Saint Augustin paraît oublier quentre Anaxagore et Epicure deux siècles se sont écoulés 3. Aristippe, de Cyrène, vint à Athènes où il entendit Socrate. Il se sépara de son maître pour fonder lécole dite Cyrénaïque, berceau de lécole épicurienne. 4. Antisthène est le chef de cette école cynique tant et si justement discréditée par les folie, de ses adeptes, mais qui men garde pas moins lhonneur davoir légué au stoïcisme quelques-uns de ses plus mâles préceptes.
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célèbre Portique 1, dans les gymnases, dans les jardins, dans les lieux publics, comme dans les demeures particulières. Les uns soutenaient quil ny a quun monde 2, les autres quil y en a plusieurs3; les uns que le monde a commencé, les autres quil est sans commencement; les uns quil doit finir, les autres quil durera toujours; ceux-ci quil est gouverné par une providence, ceux-là quil na dautre guide que la fortune et le hasard. Quelques-uns voulaient que lâme de lhomme fût immortelle, dautres la faisaient mortelle; et de ceux qui étaient pour limmortalité, les uns 4 disaient que lâme passe dans le corps des bêtes par certaines révolutions, les autres rejetaient ce sentiment; parmi ceux au contraire qui la faisaient mortelle, les uns prétendaient quelle meurt avec le corps, les autres quelle vit après, plus ou moins de temps, mais quà la fin elle meurt 5. Celui-ci mettait le souverain bien dans le corps, celui-là dans lesprit, un troisième dans tous les deux, tel autre y ajoutait les biens de la fortune 6. Quelques-uns disaient quil faut toujours croire le rapport des sens, les autres pas toujours, les autres jamais 7. Quel peuple, quel sénat, quelle autorité publique de la cité de la terre sest jamais mise en peine de décider entre tant dopinions différentes, pour approuver les unes et condamner les autres? Ne les a-t-elle pas reçues toutes indifféremment, quoiquil sagisse en tout ceci, non pas de quelque morceau de terre ou de quelque somme dargent, mais des choses les plus importantes, de celles qui décident du malheur ou de la félicité des hommes? Car, bien quon enseignât dans les écoles des philosophes quelques vérités, lerreur sy débitait aussi en toute licence; de sorte que ce nest pas sans raison que cette cité se nomme Babylone, cest-à-dire confusion. Et il importe peu au diable, qui en est le roi, que les hommes soient dans des
1. Ce portique est celui où Zénon de Cittium, le fondateur de lécole stoïcienne, réunissait ses disciples. 2. Cest lopinion des Stoïciens. 3. Cest lopinion des Epicuriens 4. Cest la doctrine pythagoricienne, adoptée dans une certaine mesure par quelques platoniciens, rejetée par dautres. 5. Sur ces divers systèmes, voyez Cicéron, Tusculanes, livre I. 6. Les Stoïciens plaçaient le souverain bien dans lâme, les Epicuriens dans le corps, les Péripatéticiens dans tous les deux. 7 . Toujours croire aux sens, cest le sentiment dEpicure; y croire quelquefois, cest le sentiment des Péripatéticiens et des Stoïciens; ny croire jamais dune manière absolue, cest le sentiment commun de lécole pyrrhonienne et de la nouvelle Académie.
erreurs contraires, puisque leur impiété les rend tous également ses esclaves. Mais il en est tout autrement de ce peuple, de cette cité, de ces Israélites à qui la parole de Dieu a été confiée; ils nont jamais confondu les faux prophètes avec les véritables, reconnaissant pour les auteurs des Ecritures sacrées ceux qui étaient en tout parfaitement daccord. Ceux-là étaient leurs philosophes, leurs sages, leurs théologiens, leurs prophètes, leurs docteurs. Quiconque a vécu selon leurs maximes na pas vécu selon- lhomme, mais selon Dieu qui parlait en eux. Sils défendent limpiété 1, cest Dieu qui la défend. Sils commandent dhonorer son père et sa mère 2,cest Dieu qui le commande. Sils disent: « Vous ne serez point adultère, ni homicide, ni « voleur 3», ce sont autant doracles du ciel. Toutes les vérités quun certain nombre de philosophes ont aperçues parmi tant derreurs, et quils ont tâché de persuader avec tant de peine, comme par exemple, que cest Dieu qui a créé le monde et qui le gouverne par sa providence, tout ce quils ont écrit de la beauté de la vertu, de lamour de la patrie, de lamitié, des bonnes oeuvres et de toutes les choses qui concernent les moeurs, ignorant au surplus et la fin où elles doivent tendre et le moyen dy parvenir, tout cela, dis-je, a été prêché aux membres de la Cité du ciel par la bouche des prophètes, sans arguments et sans disputes, afin que tout homme initié à ces vérités ne les regardât pas comme des inventions de lesprit humain, mais comme la parole de Dieu même.
CHAPITRE XLII.PAR QUEL CONSEIL DE LA DIVINE PROVIDENCE LANCIEN TESTAMENT A ÉTÉ TRADUIT DE LHÉBREU EN GREC POUR ÊTRE CONNU DES GENTILS.
Un des Ptolémées, roi dEgypte, souhaita de connaître nos saintes Ecritures. Car après la mort dAlexandre le Grand, qui avait subjugué toute lAsie et presque toute la terre, et conquis même la Judée, ses capitaines ayant démembré son empire, lEgypte commença à avoir des Ptolémées pour rois. Le premier de tous fut le fils de Lagus, qui emmena captifs en Egypte beaucoup de Juifs. Mais Ptolémée Philadelphe, son successeur, les renvoya tous en leur pays, avec des présents pour le
1. Exod. XX, 3. 2. Ibid. 12. 3. Ibid. 13.
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temple, et pria le grand-prêtre Eléazar de lui donner lEcriture sainte pour la placer dam sa fameuse bibliothèque. Eléazar la lui ayant envoyée, Ptolémée lui demanda des interprètes pour la traduire en grec; de sorte quon lui donna septante et deux personnes, six de chaque tribu, qui entendaient parfaitement lune et lautre langue, cest-à-dire le grec et lhébreu. Mais la coutume a voulu quon appelât cette version la version des Septante. On dit quils saccordèrent tellement dans cette traduction que, layant faite chacun à part, selon lordre de Ptolémée, qui voulait éprouver par là leur fidélité, ils se rencontrèrent en tout, tant pour le sens que pour larrangement des paroles, si bien quil semblait quil ny eût quun seul traducteur. Et il ne faut pas trouver cela étrange, puisquen effet ils étaient tous inspirés dun même Esprit, Dieu ayant voulu, par un si grand miracle, rendre lautorité de ces Ecritures vénérable aux Gentils qui devaient croire un jour, comme cela est en effet arrivé.
CHAPITRE XLIII.PRÉÉMINENCE DE LA VERSION DES SEPTANTE SUR TOUTES LES AUTRES.
Bien que dautres aient traduit en grec lEcriture sainte, comme Aquila, Symmaque, Théodotion 1, et un auteur inconnu, dont la traduction, à cause de cela, sappelle la Cinquième, lEglise a reçu la version des Septante comme si elle était seule, en sorte que la plupart des Grecs chrétiens ne savent pas même sil y en a dautres. Cest sur cette version qua été faite celles dont les Eglises latines se servent, quoique de notre temps le savant prêtre Jérôme, très-versé dans les trois langues, lait traduite en latin sur lhébreu, Les Juifs ont beau reconnaître quelle est très-fidèle, et soutenir au contraire que les Septante se sont trompés en beaucoup de points, cela nempêche pas les Eglises de Jésus-Christ de préférer celle-ci, parce quen supposant même quelle neût pas été exécutée dune manière miraculeuse, lautorité
1. Aquila, dont il a été parlé plus haut, publia sa traduction sous Adrien, vers lan 130 de J.-C. La version de Symmaque est de 200 ans environ de J.-C., sous Aurélien ou sous Sévère. Théodotion donna la sienne avant Symmaque, sous Commode, vers lan 180. Outre les cinq versions dont parle saint Augustin, Il y en a une sixième qui fut publiée à Nicopolis, vers lan 230. Voyez dans lédition bénédictine dOrigène les remarques de Montfaucon sur les Hexaples. -
de tant de savants hommes qui lauraient faite de concert entre eux serait toujours préférable à celle dun particulier. Mais la façon si extraordinaire dont elle a été composée portant des marques visibles dune assistance divine, quelque autre version quon en fasse sur lhébreu, elle doit être conforme aux Septante, ou si elle en paraît différente sur certaines choses, il faut croire quen ces endroits il y a quelque grand mystère caché dans celle des Septante. Le même Esprit qui était dans les prophètes, lorsquils composaient lEcriture, animait les Septante, lorsquils linterprétaient. Ainsi, il a fort bien pu tantôt leur faire dire autre chose que ce quavaient dit les Prophètes; car cette différence nempêche pas lunité de linspiration divine, tantôt leur faire dire autrement la même chose, de sorte que ceux qui savent bien entendre y trouvent toujours le même sens. Il a pu même passer ou ajouter quelque chose, pour montrer que tout cela sest fait par une autorité divine, et que ces interprètes ont plutôt suivi lEsprit intérieur qui les guidait, quils ne se sont assujétis à la lettre quils avaient sous les yeux. Quelques-uns ont cru quil fallait corriger la version grecque des Septante sur les exemplaires hébreux 1 : toutefois, ils nont pas osé retrancher ce que les Septante avaient de plus que lhébreu; ils ont seulement ajouté ce qui était de moins dans les Septante, et lont marqué avec de certains signes, en forme détoiles quon nomme astérisques, au commencement des versets. Ils ont marqué de même avec de petits traits horizontaux, semblables aux signes des onces, ce qui nest pas dans lhébreu et se trouve dans les Septante, et lon voit encore aujourdhui beaucoup de ces exemplaires, tant grecs que latins, marqués de la sorte. Pour les choses qui ne sont ni omises ni ajoutées dans la version des Septante, mais qui sont seulement dites dune autre façon que dans lhébreu, soit quelles fassent un sens manifestement identique, soit que le sens diffère en apparence, quoique concordant en réalité, on ne les peut trouver quen conférant le grec avec lhébreu. Si donc nous ne considérons les hommes qui ont travaillé à ces Ecritures que comme les organes de lEsprit de Dieu, nous dirons pour les choses qui sont dans lhébreu et qui ne se
1. Cest lopinion dOrigène, de Lucien le martyr, dHésychius et de saint Jérôme.
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trouvent pas dans les Septante, que le Saint-Esprit ne les a pas voulu dire par ces prophètes, mais par les autres; et pour celles au contraire qui sont dans les Septante et qui ne sont pas dans lhébreu, que le même Saint-Esprit a mieux aimé les dire par ces derniers prophètes que par les premiers, mais nous les regarderons tous comme des prophètes. Cest de cette sorte quil â dit-une chose par Isaïe, et une autre par Jérémie, ou la même chose autrement par celui-ci et par celui-là. Et quand enfin les mêmes choses se trouvent également dans lhébreu et dans les Septante, cest que le Saint-Esprit sest voulu servir des uns et des autres pour les dire, car, comme il a assisté les premiers pour établir entre leurs prédictions une concordance parfaite, il a conduit la plume des seconds pour rendre leurs interprétations identiques,
CHAPITRE XLIV.CONFORMITÉ DE LA VERSION DES SEPTANTE ET DE LHÉBREU.
Quelquun -fera cette objection Comment saurai-se ce que Jonas a dit en effet aux Ninivites et sil leur a dit : « Encore trois jours », ou bien : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite 1 ? » Il est clair en effet que ce prophète, envoyé pour menacer Ninive dune ruine imminente, na pu assigner deux termes différents et qui sexcluent lun lautre. Si lon me demande lequel des deux il a marqué, je crois que cest plutôt quarante jours, comme le porte lhébreu. Car les Septante, qui sont venus longtemps après, ont très-bien pu attribuer à Jonas dautres paroles, lesquelles toutefois se rapportent parfaitement au sujet et expriment, quoique en dautres termes, un seul et même sens, et cela pour inviter le lecteur à sélever au-dessus de lhistoire et à, chercher ce quelle signifie, sans mépriser dailleurs en rien ni lautorité des Septante ni celle de lhébreu, Les événements prédits par Jonas se sont effectivement accomplis dans Ninive, mais ils en figuraient dautres qui ne convenaient pas à cette ville; tout comme il est vrai que ce prophète fut effectivement trois jours dans le ventre de la baleine, et néanmoins il figurait un autre personnage qui devait demeurer dans lenfer pendant ce temps, et celui-là est le Seigneur
1. Jonas, III, 4.
de tous les prophètes. Cest pourquoi, si par Ninive était figurée lEglise des Gentils, qui a été détruite en quelque façon par la pénitence, en ce quelle nest plus ce quelle était, comme cest Jésus-Christ qui a opéré en elle ce changement, cest lui-même qui est signifié, soit par les trois jours, soit par les quarante; par les quarante, parce quil demeura cet espace de temps avec ses disciples après sa résurrection, avant que de monter au ciel; et par les trois jours, parce quil ressuscita le troisième jour. Ainsi il semble que les Septante aient voulu réveiller lesprit du lecteur qui se serait arrêté au récit historique, pour le porter à approfondir la prophétie quil contient, et lui aient dit en quelque sorte Cherchez dans les quarante jours celui-là même en qui vous pourrez aussi trouver les trois jours; et vous verrez que lun des deux termes assignés sest accompli dans son ascension, et lautre dans sa résurrection. Il a donc fort bien pu être désigné par lun et par lautre nombre dans le prophète Jouas dune façon, dans la prophétie des Septante de lautre, mais toujours par un seul et même Esprit. Jabrége, et ne veux pas rapporter beaucoup dautres exemples où lon croirait que les Septante se sont éloignés de la vérité hébraïque, quoique, bien entendu, on les y trouve parfaitement conformes. Aussi les Apôtres se sont-ils servis indifféremment de lhébreu et de la version des Septante, en quoi jai cru devoir les imiter, parce que ce nest quune même autorité divine. Mais poursuivons, selon nos forces, loeuvre que nous avons à coeur daccomplir.
CHAPITRE XLV.DÉCADENCE DES JUIFS DEPUIS LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE.
Du moment que les Juifs cessèrent davoir des prophètes, ils devinrent pires quils nétaient, bien que ce fût le temps où, la captivité de Babylone ayant pris fin et le temple étant rétabli, ils se flattaient de devenir meilleurs. Cest ainsi que ce peuple charnel entendait cette prophétie dAggée « La gloire de cette dernière maison sera plus grande que celle de la première 1 ». Mais ce qui précède fait bien voir que le prophète parle ici du Nouveau Testament, lorsque,
1. Aggée, II, 10
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promettant clairement le Christ, il dit : « Jébranlerai toutes ces nations, et celui que tous les peuples désirent viendra 1 ». Les Septante, de leur autorité de prophètes, ont rendu ces paroles dans un autre sens qui convient mieux au corps quà la tête, cest-à-dire à lEglise quà Jésus-Christ. « Ceux, disent-ils, que le Seigneur a élus parmi toutes les nations, viendront »; suivant cette parole du Sauveur dans lEvangile « Il y en a beaucoup dappelés, mais peu délus 2 ». En effet, cest de ces élus des nations, comme de pierres vivantes, que la- maison de Dieu est bâtie par le Nouveau Testament, maison bien plus illustre que le temple construit par Salomon et rétabli après la captivité de Babylone. Les Juifs ne virent donc plus de prophètes depuis ce temps-là, et eurent même beaucoup à souffrir des rois étrangers st des Romains, afin quon ne crût pas que cette prophétie dAggée eût été accomplie par le rétablissement du temple. Peu de temps après, ils furent assujétis à lempire dAlexandre; et quoique ce prince nait pas ravagé leur pays, parce quils nosèrent lui résister, toutefois la gloire de cette maison, pour parler comme le prophète, nétait pas alors si grande que sous la libre domination de ses rois. Il est vrai quAlexandre immola des victimes dans le temple de Dieu, mais il le fit moins par une véritable piété que par une vaine superstition, croyant quil devait aussi adorer le Dieu des Juifs comme il adorait les autres dieux. Après la mort dAlexandre, Ptotémée, fils de Lagus, emmena les Juifs captifs en Egypte, et ils ne retournèrent en Judée que sous Ptolémée-Philadelphe, son successeur, celui qui fit traduire lEcriture par les Septante. Ensuite ils eurent sur les bras les guerres rapportées aux livres des Machabées. Ils furent vaincus par Ptolémée Epiphane, roi dAlexandrie, et contraints par les cruautés inouïes dAntiochus, roi de Syrie, dadorer les idoles; leur temple fut souillé de toutes sortes dabominations, jusquà ce quil fût purifié de toute cette idolâtrie par la valeur de Judas Machabée, grand capitaine, qui défit les chefs de larmée dAntiochus. Peu de temps après, un certain Alcimus usurpa la souveraine sacrificature, quoiquil ne fût pas de la lignée sacerdotale, ce qui était un attentat. Cinquante ans sécoulent, pendant lesquels, malgré quelques succès heureux, les
1. Aggée, II, 8. 2. Matt. XXIX, 14.
Juifs ne furent pas en paix; Aristobule prend le diadème et se fait roi et grand prêtre tout ensemble. - Cest le premier roi que les Juifs aient eu après la captivité de Babylone, tous les autres depuis ce temps-là nayant porté que la qualité de chefs. ou de princes. Alexandre succéda à Aristobule dans le sacerdoce et la royauté, et lon dit quil maltraita fort ses sujets. Sa femme Alexandra fut après lui reine des Juifs ; et depuis, leurs maux augmentèrent toujours. Comme ses deux fils Aristobule et Hircan se disputaient lempire, ils attirèrent les forces romaines contre les Juifs, parce que Hircan leur demanda secours contre son frère. Rome alors avait déjà dompté lAfrique et la Grèce, et porté ses armes victorieuses en beaucoup dautres parties du monde, en sorte quelle était comme accablée du poids de sa propre grandeur 1 . (Elle avait été tourmentée de furieuses séditions, qui furent suivies de la révolte des alliés et ensuite de guerres civiles, et les forces de la république étaient tellement abattues quelle ne pouvait encore subsister longtemps. Pompée, lun des plus grands capitaines de Rome, étant entré en Judée, prit la ville de Jérusalem, ouvrit le temple comme vainqueur, et entra dans le Saint des saints; ce qui nétait permis quau grand prêtre. Après avoir confirmé le pontificat dHircan et établi Antipater gouverneur de la Judée, il emmena avec lui Aristobule prisonnier. Depuis ce temps, les Juifs devinrent tributaires des Romains; ensuite Cassius pilla le temple, et quelques années après, les Juifs eurent même pour roi un étranger qui fut Hérode, sous le règne duquel naquit le Messie. Le temps prédit par le patriarche Jacob en ces termes : « Les princes ne manqueront point dans la race de Juda, jusquà ce que vienne celui à qui la promesse est faite ; et il sera lattente des nations l » ; ce temps, dis-je, était déjà accompli. Les Juifs ne manquèrent donc point de rois de leur nation jusquà cet Hérode; et ainsi, le moment était venu où celui en qui reposent les promesses du Nouveau- Testament et qui est lattente des nations devait paraître dans le monde. Or, les nations ne pourraient pas attendre, comme elles font, cet événement suprême où tous les hommes seront jugés par
1. Ces expressions sont relies de Tite-Live dans le préambule de son Histoire. 2. Gen. XLIX, 10.
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Jésus-Christ dans léclat de sa puissance, si elles ne croyaient à cet autre avénement où il a daigné, dans lhumilité de sa patience, subir le jugement des hommes.
CHAPITRE XLVI.NAISSANCE DU SAUVEUR ET DISPERSION DES JUIFS PAR TOUTE LA TERRE.
Hérode régnait en Judée, et lempereur Auguste avait donné la paix au monde, après que toute la constitution de la république eut été changée, quand le Messie, selon la parole du prophète cité tout à lheure 1 , naquit à Bethléem, ville de Juda: homme visible, né humainement dune vierge comme homme, Dieu caché, divinement engendré de Dieu le Père. Un autre prophète lavait prédit en ces termes : « Voici venir le temps quune vierge concevra ou enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel, cest-à-dire Dieu avec nous 2 ». Il fit plusieurs miracles pour rendre sa divinité manifeste, et lEvangile en rapporte quelques-uns quelle croit suffisants pour la prouver. Le premier est celui de sa naissance; le dernier est celui de sa résurrection et de son ascension au ciel. Peu après, les Juifs, qui lavaient fait mourir et qui navaient pas voulu croire en lui, parce quil fallait quil mourût et quil ressuscitât, ont été chassés de leur pays par les Romains et dispersés dans toute la terre. Et ainsi, par leurs propres Ecritures, ils nous rendent ce témoignage, que nous navons pas inventé les prophéties qui parlent de Jésus-Christ. Plusieurs même dentre eux les ayant considérées avant la passion, mais surtout après la résurrection, ont cru en lui, et cest deux quil est dit : « Quand le nombre des enfants dIsraël égalerait le sable de la mer, les restes seront sauvés 2 ». Les autres ont été aveuglés, suivant cette prédiction : « Quen récompense, leur table devienne pour eux un piége et une pierre dachoppement; que leurs yeux soient obscurcis, afin quils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé 4 ». Ainsi, par cela même quils najoutent point foi à nos Ecritures, les leurs saccomplissent en eux, encore quils soient assez aveugles pour ne le pas voir. Quelquun dira peut-être que les chrétiens ont supposé les prophéties des sibylles touchant
1. Michée, V, 2 .- 2. Isaïe, VII, 14. - 3. Isaïe, X, 22.- 4. Ps. LXVIII, 27.
Jésus-Christ, ainsi que quelques autres qui ne sont pas dorigine juive; mais, sans nous arrêter à celles-là, nous nous contentons de celles que nos ennemis nous fournissent malgré eux, et dont ils sont eux-mêmes les dépositaires; dautant mieux que nous y trouvons prédite cette dispersion même dont les Juifs nous fournissent le témoignage éclatant. Chaque jour, ils peuvent lire dans les psaumes cette prophétie : « Cest mon Dieu ; il me préviendra par sa miséricorde, Mon Dieu ma dit en me parlant de mes ennemis: Ne les tuez pas, de peur quils noublient votre loi ; mais dispersez-les par votre puissance 1 ». Dieu donc a fait voir sa miséricorde à lEglise dans les Juifs ses ennemis, parce que, comme dit lApôtre : « Leur crime « est le salut des Gentils 2 ». Et il ne les a pas tués, cest-à-dire quil na pas entièrement détruit le judaïsme, de peur quayant oublié la loi de Dieu, ils ne nous pussent rendre le témoignage dont nous parlons. Aussi ne sest-il pas contenté de dire : « Ne les tuez pas, de peur quils noublient votre loi » ; mais il ajoute : « Dispersez-les». Si avec ce témoignage des Ecritures ils demeuraient dans leur pays, sans être dispersés partout, lEglise, qui est répandue dans le monde entier, ne les pourrait pas avoir de tous côtés pour témoins des prophéties qui regardent Jésus-Christ.
CHAPITRE XLVII.SI, AVANT LINCARNATION DE JÉSUS-CHRIST DAUTRES QUE LES JUIFS ONT APPARTENU A LA JÉRUSALEM CÉLESTE.
Si dautres que des Juifs ont prophétisé le Messie, cest pour nous un surcroît de preuves; mais nous navons pas besoin de leur témoignage. En effet, nous ne lalléguons que pour montrer quil y a eu probablement parmi les autres peuples des hommes à qui ce mystère a été révélé, et qui ont été poussés à le prédire, soit quils aient participé à la même grâce que les prophètes hébreux, soit quils aient été instruits par les démons, que nous savons avoir confessé Jésus-Christ présent, tandis que les Juifs ne le connaissaient pas. Aussi je ne crois pas que les Juifs mêmes osent soutenir que nul, hors de leur race, na servi le vrai Dieu depuis lélection de Jacob et la réprobation dEsaü. A la vérité, il ny a point eu
1. Ps. LVIII, 10. 2. Rom, XI, II.
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dautre peuple que le peuple israélite qui ait été proprement appelé le peuple de Dieu; mais ils ne peuvent nier quil ny ait eu parmi les autres nations quelques hommes dignes dêtre appelés de véritables Israélites, en tant que citoyens de la céleste patrie. Sils le nient, il est aisé de les convaincre par lexemple de Job, cet homme saint et admirable, qui nétait ni juif ni prophète, mais un étranger originaire dIdumée, à qui lEcriture néanmoins accorde ce glorieux témoignage que nul homme de son temps ne lui était comparable pour la piété 1. Bien que lhistoire ne dise pas en quel temps il vivait, nous conjecturons par son livre placé par les Juifs entre les canoniques, à cause de son excellence, quil est venu au monde environ trois générations après le patriarche Jacob. Or, je ne doute point que ce ne soit un effet de la providence de Dieu de nous avoir appris par lexemple de Job quil a pu y avoir parmi les autres peuples des membres de la Jérusalem spirituelle. Mais il faut croire que cette grâce na été faite quà ceux à qui lunique médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, a été révélé, et que son incarnation leur était prédite avant quelle arrivât, comme elle nous a été annoncée depuis quelle est arrivée, en sorte quune seule et même foi conduise par lui à Dieu tous ceux qui sont prédestinés pour être sa cité, sa maison et son temple. Quant aux autres prophéties de Jésus-Christ quon produit dailleurs, on peut penser que les chrétiens les ont inventées. Cest pourquoi il nest rien de plus fort contre tous ceux qui voudraient révoquer en doute notre foi, ni de plus propre pour nous y affermir, si nous prenons les choses comme il faut, que les prophéties de Jésus-Christ tirées des livres des Juifs, qui, ayant été arrachés de leur pays et dispersés dans tout le monde pour servir de témoignage à la foi de lEglise, ont contribué à la faire partout fleurir.
CHAPITRE XLVIII.LA PROPHÉTIE DAGGÉE TOUCHANT LA SECONDE MAISON DE DIEU, QUI DOIT ÊTRE PLUS ILLUSTRE QUE LA PREMIÈRE, NE DOIT PAS SENTENDRE DU TEMPLE DE JÉRUSALEM, MAIS DE LÉGLISE.
Cette maison de Dieu, qui est lEglise, est bien plus auguste que la première, bâtie de
1. Job, I; Ezéch. XIV, 20.
bois précieux et toute couverte dor. La prophétie dAggée na donc pas été accomplie par le rétablissement de ce temple, puisque, depuis le temps où il fut rebâti, il fut moins fameux que du temps de Salomon, On peut dire même quil perdit beaucoup de sa gloire, dabord par les prophéties qui vinrent à cesser, et ensuite par les diverses calamités qui affligèrent les Juifs jusquà leur entière désolation. Il en est tout autrement de cette nouvelle maison qui appartient au Nouveau Testament; elle est dautant plus illustre quelle est composée de pierres meilleures, de pierres vivantes, cest-à-dire des fidèles renouvelés par le baptême. Mais elle a été figurée par le rétablissement du temple de Salomon , parce quen langage prophétique ce rétablissement signifie le Testament nouveau. Ainsi, lorsque Dieu a dit par le prophète dont nous parlons: « Je donnerai la paix en ce lieu 1 », comme ce lieu désignait lEglise qui devait être bâtie par Jésus-Christ, on doit entendre: Jétablirai la paix dans le lieu que celui-ci figure. En effet, toutes les choses figuratives semblent en quelque sorte tenir la place des choses figurées. Cest ainsi que lApôtre a dit : « La pierre était Jésus-Christ 2 », parce que la pierre dont il parle en était la figure. La gloire de cette maison du Nouveau Testament est donc plus grande que celle de lAncien, et elle paraîtra telle quand on en-fera la dédicace. Cest alors que « viendra celui que tous les peuples désirent 3 », comme le porte le texte hébreu, parce que son premier avénement ne pouvait pas être désiré de tous les peuples, qui ne connaissaient pas celui quils devaient désirer, et par conséquent ne croyaient point en lui. Cest aussi alors que, selon la version des Septante, dont le sens est pareillement prophétique, « les élus du Seigneur viendront de tous les endroits de lunivers ». A partir de cette époque, il ne viendra rien que ce qui a été élu et dont lApôtre dit : « Il nous a élus en lui avant la création du monde 4 », Le grand Architecte qui a dit: « Il y en a beaucoup dappelés, mais peu délus 5 », nentendait pas que ceux qui, ayant été appelés au festin, avaient mérité quon les en chassât, dussent entrer dans lédifice de cette maison dont la durée sera éternelle, mais seulement les élus. Or, maintenant que ceux qui doivent être
1. Aggée, II, 10. 2. I Cor. X, 4. 3. Aggée, II,8. 4. Ephés. 1,4. 5. Matt. XXLI, 14.
(417)
séparés de laire à laide du van, remplissent lEglise, la gloire de cette maison ne paraît pas si grande quelle paraîtra, quand chacun sera toujours où il sera une fois.
CHAPITRE XLIXLES ÉLUS ET LES RÉPROUVÉS SONT MÊLÉS EN SEMBLE ICI-BAS.
Dans ce siècle pervers, en ces tristes jours où lEglise, par des humiliations passagères, sacquiert une grandeur immortelle pour lavenir et est exercée par une infinité de craintes, de douleurs, de travaux et de tentations, sans avoir dautre joie que lespérance, si elle se réjouit comme il faut, beaucoup de réprouvés sont mêlés avec les élus, et les uns et les autres renfermés en quelque sorte dans ce filet de lEvangile 1, nagent pêle-mêle à travers locéan du monde, jusquà ce que tous arrivent au rivage, où les méchants seront séparés des bons, alors que Dieu habitera dans les bons comme dans son temple, pour y être tout en tous 2. Ainsi, nous voyons saccomplir cette parole de celui qui disait dans le psaume: « Jai publié et annoncé partout, et ils se sont « multipliés sans nombre 3 ». Cest ce qui arrive maintenant, depuis quil a publié et annoncé, dabord par la bouche de Jean-Baptiste son précurseur 4 et en second lieu par la sienne propre : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche 5 ». Le Seigneur donc fit choix de quelques disciples quil nomma apôtres, sans naissance, sans considération, sans lettres, afin dêtre et de faire en eux tout ce quils seraient et feraient de grand. Parmi eux se trouva un méchant; mais le Sauveur, usant bien dune mauvaise créature, se servit delle pour accomplir ce qui était ordonné touchant sa passion, et pour apprendre, par son exemple, à son Eglise à supporter les méchants. Ensuite, après avoir jeté les semences de lEvangile, il souffrit, mourut et ressuscita, montrant par sa passion ce que nous devons endurer pour la vérité, et par sa résurrection ce que nous devons espérer pour léternité, sans parler du profond mystère de son sang répandu pour la rémission des péchés. Il conversa quarante jours sur la terre avec ses disciples, et monta au ciel devant leurs yeux; et dix jours après, il leur envoya,
1. Matt. XIII, 47. - 2. I Cor. XV, 28. 3. Ps. XXXIX, 6. 4. Matt. II, 2. 5. Ibid. IV, 17.
suivant sa promesse, lEsprit-Saint de son père, dont la venue sur les fidèles est marquée par ce signe suprême et nécessaire quils parlaient toute sorte de langues 1, figure de lunité de lEglise catholique, qui devait se répandre dans tout lunivers et parler les langues de tous les peuples.
CHAPITRE L.DE LA PRÉDICATION DE LÉVANGILE, DEVENUE PLUS ÉCLATANTE ET PLUS EFFICACE PAR LA PASSION DE CEIJX QUI LANNONÇAIENT.
Ensuite, selon cette prophétie : « La loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur, de Jérusalem 2 », et suivant la prédiction du Sauveur même, quand après sa résurrection il ouvrit lesprit à ses disciples étonnés, pour leur faire entendre les Ecritures, et leur dit: « Il fallait, selon ce qui est écrit, que le Christ souffrît, et quil ressuscitât le troisième jour, et quon prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 3 »; et encore, quand il répondit à ses disciples qui senquéraient de son dernier avénement: « Ce nest pas à vous à savoir les temps ou les moments dont mon Père sest réservé la disposition ; mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui viendra en vous, et vous me rendrez témoignage à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusquaux extrémités de la terre 4 » ; suivant, dis-je, toutes ces paroles, lEglise se répandit dabord à Jérusalem, et de là en Judée et en Samarie; et lEvangile fut ensuite porté aux Gentils par le ministère de ceux que Jésus-Christ avait lui-même allumés comme des flambeaux pour éclairer toute la terre, et embrasés du Saint-Esprit. Il leur avait dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer lâme 5 » ; et le feu de la charité qui brûlait leur coeur étouffait en eux toute crainte. Il ne sest pas seulement servi pour la prédication de lEvangile de ceux qui lavaient vu et entendu avant et après sa passion et sa résurrection ; mais il a suscité à ces premiers disciples des successeurs qui ont aussi porté sa parole dans tout le monde, parmi de sanglantes persécutions, Dieu se déclarant en leur faveur par plusieurs prodiges
1. Act. II, 6. - 2. Isa. II, 3. 3. Luc, XXIV, 46 et 47. 4. Act. I, 7,8. 5. Matt. X, 28.
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et par divers dons du Saint-Esprit, afin que les Gentils, convertis à celui qui a été crucifié pour les racheter, prissent en vénération, avec un amour digne de chrétiens, le sang des martyrs quils avaient répandu avec une fureur digne des démons, et que les rois mêmes, dont les édits ravageaient lEglise, se soumissent humblement à ce nom que leur cruauté sétait efforcée dexterminer, et tournassent leurs persécutions contre les faux dieux, pour lamour desquels ils avaient auparavant persécuté les adorateurs du Dieu véritable.
CHAPITRE LI.LES HÉRÉTIQUES SONT UTILES A LÉGLISE.
Mais le diable, voyant quon abandonnait les temples des démons, et que le genre humain courait au nom du Sauveur et du Médiateur, suscita les hérétiques pour combattre la doctrine chrétienne sous le nom de chrétiens. Comme sil pouvait y avoir dans la Cité de Dieu des personnes de sentiments contraires, à lexemple de ces philosophes qui se contredisent lun lautre dans la cité de confusion ! Quand donc ceux qui dans lEglise de Jésus-Christ ont des opinions mauvaises et dangereuses, après en avoir été repris, y persistent opiniâtrement, et refusent de se rétracter de leurs dogmes pernicieux, ils deviennent hérétiques, et une fois sortis de lEglise, elle les regarde comme des ennemis qui servent à exercer sa vertu. Or, tout hérétiques quils sont, ils ne laissent pas dêtre utiles aux vrais catholiques qui sont les membres de Jésus-Christ, Dieu se servant bien des méchants mêmes, et toutes choses contribuant à lavantage de ceux qui laiment 1 . En effet, tous les ennemis de lEglise, quelque erreur qui les aveugle ou quelque passion qui les anime, lui procurent, en la persécutant corporellement, lavantage dexercer sa patience, ou, sils la combattent seulement par leurs mauvais sentiments, ils exercent au moins sa sagesse mais, de quelque façon que ce soit, ils lui donnent toujours sujet de pratiquer la bienveillance ou la générosité envers ses ennemis, soit quelle procède avec eux par des conférences paisibles, soit quelle les frappe de châtiments redoutables. Cest pourquoi le diable, qui est le prince de la cité des impies, a beau soulever ses esclaves contre la Cité de
1. Rom. VIII, 28.
Dieu étrangère en ce monde, il ne lui saurait nuire. Dieu ne la laisse point sans consolation dans ladversité, de peur quelle ne sabatte, ni sans épreuve dans la prospérité, de crainte quelle ne sexalte, et ce juste tempérament est marqué dans cette parole du psaume « Vos consolations ont rempli mon âme de joie, à proportion des douleurs qui affligent mon cur 1 » ; ou encore dans ces mots de lApôtre : « Réjouissez-vous en espérance, et portez avec constance les afflictions 2 ». Le docteur des nations dit aussi que « tous ceux qui veulent vivre saintement en Jésus- Christ seront persécutés 3 » ; il ne faut donc pas simaginer que cela puisse manquer en aucun temps ; car alors même que lEglise est à couvert de la violence des ennemis du dehors, ce qui nest pas une petite consolation pour les faibles, il y en a toujours beaucoup au dedans qui affligent cruellement le coeur des gens de bien par leur mauvaise conduite, en ce quils sont cause quon blasphème la religion chrétienne et catholique; et cette injure quils lui font est dautant plus sensible aux âmes pieuses quelles laiment davantage et quelles voient quon len aime moins. Un autre sujet de douleur, cest de penser que les hérétiques qui se disent aussi chrétiens et ont les mêmes sacrements que nous et les mêmes Ecritures , jettent dans le doute plusieurs esprits disposés à embrasser le christianisme, et donnent lieu de calomnier notre religion, Ce sont ces déréglements des hommes qui font souffrir une sorte de persécution à ceux qui veulent vivre saintement en Jésus-Christ, lors même que personne ne les tourmente en leur corps. Aussi le Psalmiste fait sentir que cette persécution est intérieure, quand il dit: « A proportion des douleurs qui affligent mon cur ». Mais au surplus, comme on sait que les promesses de Dieu sont immuables, et que lApôtre dit : « Dieu connaît ceux qui sont à lui 4», de sorte que nul ne peut périr de ceux « quil a connus par sa prescience et prédestinés pour être conformes à limage de son fils5 », le Psalmiste ajoute : « Vos consolations ont rempli mon âme de joie 6 ». Or, cette douleur qui afflige le coeur des gens de bien à cause des moeurs des mauvais ou des faux chrétiens, est utile à ceux qui la ressentent, parce quelle naît de la charité, qui
1. Ps. CXIII, 19. 2. Rom. XII, 12. 3. II Tim. III, 12. 4. I Tim II, 19. - 5. Rom. VIII, 9. 6. Ps. XCIII, 19.
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salarme pour ces misérables et pour tous ceux dont ils empêchent le salut. Les fidèles reçoivent aussi beaucoup de consolations, quand ils voient samender les méchants, et leur conversion leur donne autant de joie que leur perte leur causait de douleur. Cest ainsi quen ce siècle, pendant ces malheureux jours, non seulement depuis Jésus-Christ et les Apôtres, mais depuis Abel, le premier juste égorgé par son frère, jusquà la fin des siècles, lEglise voyage parmi les persécutions du monde et les consolations de Dieu.
CHAPITRE LII.SIL NY AURA POINT DE PERSÉCUTION CONTRE LÉGLISE JUSQUÀ LANTECHRIST.
Cest pourquoi je ne pense pas quon doive croire légèrement ce que quelques-uns avancent, que lEglise ne souffrira plus jusquà lAntéchrist aucune autre persécution, après les dix quelle a souffertes, et que cest lui qui suscitera la onzième. Ils placent la première sous Néron, la seconde sous Domitien, la troisième sous Trajan, la quatrième sous Antonin, la cinquième sous Sévère, la sixième sous Maximin, la septième sous Décius, la huitième sous Valérien, la neuvième sous Aurélien, et la dixième sous Dioclétien et Maximien. Ils disent que les dix plaies dEgypte qui précédèrent la sortie du peuple de Dieu sont les figures de ces dix persécutions, et que la dernière, celle de lAntéchrist, a été figurée par la onzième plaie dEgypte, qui arriva lorsque les Egyptiens, poursuivant les Hébreux jusque dans la mer Rouge quils passèrent à pied sec, furent engloutis par le retour de ses flots. Pour moi, je ne puis voir dans ces anciens événements une figure des persécutions de lEglise, quoique ceux qui sont de ce sentiment 1 y trouvent des rapports fort ingénieux, mais qui ne sont fondés que sur des conjectures de lesprit humain, fort sujet à prendre lerreur pour la vérité. Que diront-ils en effet de cette persécution où le Sauveur même fut crucifié? à quel rang la mettront-ils? Sils prétendent quil ne faut compter que les persécutions qui ont atteint le corps de lEglise et non celle qui en a frappé
1. Saint Augustin paraît ici faire allusion à Orose. Voyez Hist., lib. VII, cap. 27, et comp. Sulpice Sévère, Hist., Sacr., lib. II, cap. 33.
et retranché la tête, que diront-ils de celle qui séleva à Jérusalem après que Jésus-Christ fut monté au ciel, et où saint Etienne fut lapidé, où saint Jacques, frère de saint Jean, eut la tète tranchée, où lapôtre saint Pierre fut mis en prison et délivré par un ange, où les fidèles furent chassés de Jérusalem, où Saul, qui allait devenir lapôtre Paul, ravagea lEglise et souffrit ensuite pour elle ce quil lui avait fait souffrir, parcourant la Judée et toutes les autres nations où son zèle lui faisait prêcher Jésus-Christ? Pourquoi donc veulent-ils faire commencer à Néron les persécutions de lEglise, puisque ce nest que par dhorribles souffrances, quil serait trop long de raconter ici, quelle est arrivée au règne de ce prince? Sils croient que lon doit mettre au nombre des persécutions de lEglise toutes celles qui lui ont été suscitées par des rois, «érode était roi, et il lui en fit souffrir une des plus cruelles après lascension du Sauveur. Dailleurs, que deviendra celle de Julien, quils ne mettent pas entre les dix ? Dira-t-on quil na point persécuté lEglise, lui qui défendit aux chrétiens dapprendre ou denseigner les lettres humaines 1, lui qui fit perdre à Valentinien, depuis empereur, la charge quil avait dans larmée, pour avoir confessé la foi chrétienne 2, et je ne dis rien de ce quil avait commencé de faire à Antioche, quand. il sarrêta effrayé par la constance admirable dun jeune homme qui chanta tout le jour des psaumes au milieu des plus cruels tourments, parmi les ongles de fer et les chevalets 3. Enfin le frère de ce Valentinien, larien Valens, na-t-il pas exercé de notre temps en Orient une sanglante persécution contre lEglise? Comme notre religion est répandue dans tout le monde, elle peut être persécutée dans un lieu sans quelle le soit dans un autre; est-ce à dire que cette persécution ne doive pas compter? Il ne faudra donc pas mettre au nombre des persécutions celle que le roi des Goths dirigea dans son pays contre les catholiques 4, durant laquelle plusieurs souffrirent le martyre, ainsi que nous lavons appris de quelques-uns de nos frères, qui se souvenaient de lavoir vue, lorsquils étaient encore enfants. Que dirai-je
1. Voyez Ammien Marcellin, livre XXII, ch. 10. 2. Socrate, Hist. eccl., lib. III, cap. 13. 3. Ibid. cap. 19. 4. Il sagit de la persécution dAthanaric, qui eut lieu lan 370. Voyez Orose, lib. VII, cap. 38.
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de celle qui vient de sélever en Perse 1, et qui nest pas encore bien apaisée? Na-t-elle pas été si forte quun certain nombre de chrétiens ont été contraints de se retirer dans les villes romaines? Plus je réfléchis sur tout cela, plus il me semble quon ne doit pas déterminer le nombre des persécutions de lEglise. Mais aussi il ny aurait pas moins de témérité à assurer quelle en doit souffrir dautres avant celle de lAntéchrist dont ne doute aucun chrétien. Laissons donc ce point indécis, le parti le plus sage et le plus sûr étant de ne rien assurer positivement.
CHAPITRE LIII.ON NE SAIT POINT QUAND LA DERNIÈRE PERSÉCUTION DU MONDE ARRIVERA.
Pour cette dernière persécution de lAntéchrist, le Sauveur lui-même la fera cesser par sa présence. Il est écrit « quil le tuera du « souffle de sa bouche, et quil lanéantira par léclat de sa présence 2 ». On demande dordinaire, et fort mal à propos, quand cela arrivera . Mais sil nous était utile de le savoir, qui nous laurait pu mieux apprendre que Jésus-Christ, notre Dieu et notre maître, le jour où ses disciples linterrogèrent là-dessus? Loin de sen taire avec lui, ils lui firent cette question, quand il était encore ici-bas: « Seigneur, si vous paraissez en ce temps, quand rétablirez-vous le royaume dIsraël 3? » Mais il leur répondit: « Ce nest pas à vous à savoir « les temps dont mon père sest réservé la dis. « position ». Ils ne demandaient pas lheure, ni le jour, ni lannée, mais le temps; et toutefois Jésus-Christ leur fit cette réponse. Cest donc en vain que nous tâchons de déterminer les années qui restent jusquà la fin du monde, puisque nous apprenons de la Vérité même quil ne nous appartient pas de le savoir. Cependant, les uns en comptent quatre cents, dautres cinq cents, et dautres mille, depuis lascension du Sauveur jusquà son dernier avénement. Or, dire maintenant sur quoi chacun deux appuie son opinion, ce serait trop long et même inutile. Ils ne se fondent que sur des conjectures humaines, saris alléguer rien de certain des Ecritures canoniques. Mais celui qui a dit: « Ils ne vous appartient pas
1. Cest la persécution du roi des Perses Isdigerde et de son successeur Vararane, vers lan 420. Voyez Théodoret, Hist. eccl., lib. V, cap. 38, et Socrate, lib. VII, cap. 18. 2. Thess. II, 8. 3. Act. I, 6.
de savoir les temps dont mon père sest réservé la disposition », a tranché court toutes ces suppositions et nous commande de nous tenir en repos là-dessus. Comme néanmoins cette parole est de lEvangile, il nest pas surprenant quelle nait pas empêché les idolâtres de feindre des réponses des démons touchant la durée de la religion chrétienne. Voyant que tant de cruelles persécutions navaient servi quà laccroître au lieu de la détruire, ils ont inventé je ne sais quels vers grecs, quils donnent pour une réponse de loracle, et où Jésus-Christ, à la vérité, est absous du crime de sacrilége, mais, en revanche, saint Pierre y est accusé de sêtre servi de maléfices pour faire adorer le nom de Jésus-Christ pendant trois cent soixante-cinq ans, après quoi son culte sera aboli 1 . O la belle imagination pour des gens qui se piquent de science! Et quil est digne de ces grands esprits qui ne veulent point croire en Jésus-Christ, de croire de lui de semblables rêveries, et de dire que Pierre, son disciple, na pas appris de lui la magie, mais que néanmoins il a été magicien et quil a mieux aimé faire adorer le nom de son maître que le sien, sexposant pour cela à une infinité de périls et à la mort même. Si Pierre magicien a fait que le monde aimât tant Jésus, qua fait Jésus innocent pour être tant aimé de Pierre? Quils se répondent à eux-mêmes là-dessus, et quils comprennent, sils peuvent, que la même grâce de Dieu qui a fait aimer Jésus-Christ au monde pour la vie éternelle, la fait aimer à saint Pierre pour la même vie éternelle, jusquà souffrir la mort temporelle en son nom. Quels sont dailleurs ces dieux qui peuvent prédire tant de choses, et qui ne les sauraient empêcher, ces dieux obligés de céder aux enchantements dun magicien et dun scélérat qui a tué, dit-on 2, un enfant dun an, la mis en pièces, et la enseveli avec des cérémonies sacriléges, ces dieux enfin qui souffrent quune secte qui leur est contraire ait subsisté si longtemps, surmonté tant dhorribles persécutions, non pas en y résistant, mais en les subissant, et détruit leurs idoles, leurs temples, leurs
1. Sur cette accusation de magie élevée contre les chrétiens, voyez Eusèbe, Praep. Evang.. lib. III, cap. 8. 2. Nous savons par Tertullien que le soupçon dinfanticide était fort répandu contre les chrétiens. Peut-être avait-il un prétexte dans tes pratiques secrètes et sanglantes de certains hérétiques de la famille du gnosticisme. Voyez lApologétique de Tertullien, et comp. saint Augustin (De haeres., haer. 26 et 27) et Eusèbe (Hist. Eccl., lib. III, cap. 8).
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sacrifices et leurs oracles? Quel est enfin le dieu, leur dieu, à coup sûr, et non le nôtre, quun si grand crime a pu porter ou contraindre à souffrir tout cela? Car ce nest pas à un démon, mais à un dieu que sadressent ces vers où Pierre est accusé davoir im posé la loi chrétienne par son art magique. Certes, ils méritent bien un tel dieu, ceux qui ne veulent pas reconnaître Jésus-Christ pour Dieu.
CHAPITRE LIV.DE CE MENSONGE DES PAÏENS, QUE LE CHRISTIANISME NE DEVAIT DURER QUE TROIS CENT SOIXANTE-CINQ ANS.
Voilà une partie de ce que jalléguerais contre eux, si cette année faussement promise et sottement crue nétait pas encore écoulée. Mais puisquil y a déjà quelque temps que ces trois cent soixante-cinq ans depuis létablissement du culte de Jésus-Christ par son incarnation et par la prédication des Apôtres sont accomplis, que faut-il davantage pour réfuter cette fausseté? Quon ne les prenne pas, si lon veut, à la naissance du Sauveur, parce quil navait pas encore alors de disciples, au moins ne peut-on nier que la religion chrétienne nait commencé à paraître quand il commença à en avoir, cest-à-dire après quil eut été baptisé par saint Jean dans le fleuve du Jourdain. En effet, cest ce que marquait cette prophétie: « Il étend ra sa domination dune mer à lautre, et depuis le fleuve jusquaux extrémités de la terre 1 ». Mais comme la foi navait pas encore été annoncée à tous avant sa passion et sa résurrection, ainsi que lapôtre saint Paul le dit aux Athéniens en ces termes: « Il avertit maintenant tous les hommes, en quelque lieu quils soient, de faire pénitence, parce quil a arrêté un jour pour juger le monde selon la justice, par celui en qui il a voulu que tous crussent en le ressuscitant dentre les morts 2 »; il vaut mieux, pour résoudre la question, commencer à ce moment lère chrétienne, surtout parce que ce fut alors que le Saint-Esprit fut donné dans cette ville où devait commencer la seconde loi, cest-à-dire le Nouveau Testament. La première loi, qui est lAncien Testament, fut promulguée par Moïse au mont Sina ; mais pour celle-ci, qui devait être apportée par le Messie, voici ce qui en avait été prédit: « La loi sortira de
1. Ps. LXXI, 8. 2. Act, XVII, 30, 31.
Sion, et la parole du Seigneur, de Jérusalem1 » ; doù vient que lui-même a dit quil fallait quon prêchât en son nom la pénitence à toutes les nations, mais en commençant par Jérusalem. Cest donc là que le culte de ce nom a commencé, et quon a, pour la première fois, cru en Jésus-Christ crucifié et ressuscité. Cest là que la foi fut dabord si fervente que des milliers dhommes, sétant miraculeusement convertis, vendirent tous leurs biens et les distribuèrent aux pauvres pour embrasser la sainte pauvreté et être plus prêts à combattre jusquà la mort pour la défense de la vérité au milieu des Juifs frémissants et altérés de carnage. Si cela ne sest point fait par magie, pourquoi font-ils difficulté de croire que la même vertu divine, qui a opéré une si grande merveille en ce lieu, ait pu létendre dans tout le monde? Et si ce furent les maléfices de Pierre qui causèrent ce prodigieux changement dans Jérusalem, et firent quune si grande multitude dhommes, qui avaient crucifié le Sauveur ou qui lavaient insulté sur la croix, furent tout dun coup portés à ladorer, il faut voir, par lannée où cela est arrivé, quand les trois cent soixante-cinq ans ont été accomplis. Jésus-Christ est mort le huit des calendes davril, sous le consulat des deux Géminus 2. Il ressuscita le troisième jour, suivant le témoignage des Apôtres, qui en furent témoins oculaires. Quarante jours après il monta au ciel, et envoya le Saint--Esprit le dixième jour suivant. Ce fut alors que mille hommes crurent en lui sur la prédication des Apôtres. Ce fut donc-alors que commença le culte de son nom par la vertu du Saint-Esprit, selon notre foi et selon la vérité, ou, comme limpiété le feint ou le pense follement, par les enchantements de Pierre. Peu de temps après, cinq mille hommes se convertirent à la guérison miraculeuse dun boiteux de naissance, qui était si impotent quon le portait tous les jours au seuil du temple pour demander laumône, et qui se leva et marcha à la parole de Pierre et au nom de Jésus-Christ. Et cest ainsi que lEglise saugmenta de plus en plus et fit rapidement de nouvelles conquêtes. Il est donc aisé de calculer le jour même auquel a commencé lannée que nous
1. Isaïe, II, 3. 2. Cest-à-dire le 25 mars. Les savants ne sont pas parfaitement daccord sur cette date. Saint Augustin donne celle de Tertullien et de Lactance. Le Père Petau (Ration. temp., part. I, lib. V ) fixe la mort du Christ au 23 mars, sous le consulat de Tibère et de Séjan.
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cherchons. Ce fut quand le Saint-Esprit fut envoyé, cest-à-dire aux ides de mai. Or, en comptant les consuls, lon trouve que ces trois cent soixante-cinq ans ont été accomplis pendant ces mêmes ides, sous le consulat dHonorius et dEutychianus. Cependant lannée daprès, sous le consulat de Manlius Théodore, alors que, selon loracle des démons ou la fiction des hommes, il ne devait plus y avoir de christianisme, nous voyous à Carthage, la ville la plus considérable et la plus célèbre dAfrique, sans parler de ce qui se passe ailleurs, Gaudentius et Jovius, comtes de lempereur Honorius, donner, le 14 des calendes davril, lordre dabattre les temples des faux dieux et de briser leurs idoles. Depuis ce temps jusquà cette heure 1, cest-à-dire pendant lespace denviron trente années, qui ne voit combien le culte du nom de Jésus-Christ sest augmenté, depuis surtout que plusieurs de ceux qui étaient retenus par cette vaine prophétie se sont faits chrétiens, voyant cette année
1. Saint Augustin nous donne ici, à peu de chose près, la date de la composition du livre XVIII de la Cité de Dieu. Baronius la fixe à lan 426, Vivès à lan 429.
chimérique écoulée. Nous donc qui sommes chrétiens et qui en portons le nom, nous ne croyons pas en Pierre, mais en celui en qui Pierre a cru, et nous navons pas été charmés par ses sortiléges, mais édifiés par ses prédications. Jésus-Christ, qui est le maître de Pierre, est aussi notre maître, et il nous enseigne la doctrine qui conduit à la vie éternelle. Mais il est temps de terminer ce livre, où nous avons suffisamment fait voir, ce me semble, le progrès des deux cités qui sont mêlées ici-bas depuis le commencement jusquà la fin. Celle de la terre sest fait tels dieux quil lui a plu pour leur offrir des sacrifices; celle du ciel, étrangère sur la terre, ne se fait point de dieux, mais est faite elle-même par le vrai Dieu pour être son véritable sacrifice. Toutes deux néanmoins omit part égale aux biens et aux maux de cette vie; mais leur foi, leur espérance et leur charité sont différentes, jusquà ce que le dernier jugement les sépare et que chacune delles arrive à sa fin qui naura point de fin. Cest de cette fin de lune et de lautre quil nous reste à parler.
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