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LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
Saint Augustin suit le développement de la Cité de Dieu au temps des Rois et des Prophètes, depuis Samuel et David jusquà Jésus-Christ, et il indique dans les saintes Ecritures, particulièrement dans les livres des Rois, des Psaumes et de Salomon, les passages où Jésus-Christ et lEglise sont annoncés.
LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
ABOLITION DU SACERDOCE DAARON NIÉDITE A HÉLI.
DE LA DIVISION DU ROYAUME DISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A SAÜL, ET DE CE QUELLE FIGURAIT .
LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT SENTENDRE QUE DE JÉSUS-CHRIST.
LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN NEST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON.
DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.
LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE LOBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.
DES ROIS DE JUDA ET DISRAËL APRÈS SALOMON.
DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.
DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.
CHAPITRE PREMIER.DU TEMPS DES PROPHÈTES.
Comment se sont accomplies et saccomplissent encore les promesses de Dieu à Abraham à légard de sa double postérité, le peuple juif, selon la chair, et toutes les nations de la terre, selon la foi, cest ce que le progrès de la Cité de Dieu, selon lordre des temps, va nous découvrir. Nous avons fini le livre précédent au règne de David; voyons maintenant ce qui sest passé depuis ce règne, dans la mesure où peut nous le permettre le dessein que nous nous sommes proposé en cet ouvrage. Tout le temps écoulé depuis que Samuel commença à prophétiser jusquà la captivité de Babylone et au rétablissement du temple, qui arriva soixante-dix ans après, ainsi que Jérémie lavait prédit 1, tout ce temps, dis-je, est le temps des Prophètes. Bien que nous puissions avec raison appeler prophètes Noé et quelques autres patriarches qui lont précédé ou suivi jusquaux Rois, à cause de certaines choses quils ont faites ou dites en esprit de prophétie touchant la Cité de Dieu, dautant plus quil y en a quelques-uns parmi eux à qui lEcriture sainte donne ce nom, comme Abraham 2 et Moïse 3, toutefois, à proprement parler, le temps des Prophètes ne commence que depuis Samuel, qui, par le commandement de Dieu, sacra dabord roi Saül, et ensuite David, après la réprobation de Saül. Mais nous nen finirions pas de rapporter tout ce que ces Prophètes ont prédit de Jésus-Christ, tandis que la Cité de Dieu se continuait dans le cours des siècles. Si lon voulait surtout considérer attentivement lEcriture sainte, dans les choses même quelle semble ne rapporter quhistoriquement des Rois, on trouverait quelle nest pas moins attentive, si elle ne lest plus, à prédire lavenir quà raconter le passé. Or, qui ne voit avec un peu de réflexion quel
1. Jérém. XX, 11. 2. Gen. XX, 7. 3. Deut. XXXIV, 10.
travail ce serait dentreprendre cette sorte de recherche, et combien il faudrait de volumes pour sen acquitter comme il faut? En second lieu, les choses même qui ont indubitablement le caractère prophétique sont en si grand nombre touchant Jésus-Christ et le royaume des cieux, qui est la Cité de Dieu, que cette explication passerait de beaucoup les bornes de cet ouvrage. Je tâcherai donc, avec laide de Dieu, de my contenir de telle sorte, que, sans omettre le nécessaire, je ne dise rien de superflu.
CHAPITRE II.CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.
Nous avons dit au livre précédent que Dieu promit deux choses à Abraham : lune, que sa postérité posséderait la terre de Chanaan, ce qui est signifié par ces paroles : « Allez en la terre que je vous montrerai, et je vous ferai Père dun grand peuple »; et lautre, beaucoup plus excellente et qui regarde une postérité, non pas charnelle, mais spirituelle, qui le rend père, non du seul peuple juif, mais de tous les peuples qui marchent sur les traces de sa foi. Celle-ci est exprimée en ces termes : « En vous seront bénies toutes les nations de la terre 1 ». Ces deux promesses lui ont été faites beaucoup dautres fois, comme nous lavons montré. La postérité charnelle dAbraham, cest-à-dire le peuple juif, était donc déjà établi dans la terre promise, et, maître des villes ennemies, il vivait sous la domination de ses rois. Ainsi, les promesses de Dieu commencèrent dès lors à être accomplies en grande partie, non-seulement celles quil avait faites aux trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, mais encore celles quil fit à Moïse, par qui le peuple
1. Gen. XLI, 1-3.
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hébreu fut délivré de la captivité dEgypte et à qui toutes les choses passées furent révélées, lorsquil conduisait ce peuple dans le désert. Toutefois, ce ne fut ni sous Jésus fils de Navé 1, ce fameux capitaine qui fit entrer les Hébreux dans la terre promise, et qui la divisa, selon lordre de Dieu, entre les douze tribus, ni sous les Juges, que saccomplit la promesse que Dieu avait faite de donner aux Israélites toute la terre de Chanaan, depuis le fleuve dEgypte jusquau grand fleuve dEuphrate 2. Elle ne le fut que sous David et sous son fils Salomon, dont le royaume et toute cette étendue. Ils subjuguèrent, en effet, tous ces peuples et en firent leurs tributaires. Ce fut donc sous ces princes que la postérité dAbraham se trouva établie en la terre de Chanaan, de sorte quil ne manquait plus rien à lentier accomplissement des promesses de Dieu à cet égard, sauf cet unique point que les Juifs la posséderaient jusquà la fin des siècles; mais il fallait pour cela quils demeurassent fidèles à leur Dieu. Or, comme Dieu savait quils ne le seraient pas, il. se servit des châtiments temporels dont il les affligea pour exercer le petit nombre des fidèles qui étaient parmi eux, afin quils instruisissent à lavenir les fidèles des autres nations en qui il voulait accomplir lautre promesse par lincarnation de Jésus-Christ et la publication du Nouveau Testament.
CHAPITRE III.LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE LANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À LUNE ET À LAUTRE.
Ainsi toutes les prophéties, tant celles qui ont précédé lépoque des Rois que celles qui lont suivie, regardent en partie la postérité charnelle dAbraham, et en partie cette autre postérité en qui sont bénis tous les peuples cohéritiers de Jésus-Christ par le Nouveau Testament, et appelés à posséder la vie éternelle et le royaume des cieux. Elles se rapportent moitié à la servante qui engendre des esclaves, cest-à-dire à la Jérusalem terrestre, qui est esclave avec ses enfants, et moitié à la cité libre, qui est la vraie Jérusalem, étrangère
1. Comp. saint Augustin, Qust. in Jesum Nase, qu. 21, et saint Jérôme, Epist. CXXIX, ad Dardanun,
2.Gen. XV, 18.
ici-bas en quelques-uns de ses enfants et éternelle dans les cieux; mais il y en à qui se rapportent à lune et à lautre, proprement à la servante et figurativement à la femme libre. Il y a donc trois sortes de prophéties, les unes relatives à la Jérusalem terrestre, les autres à la céleste, et les autres à toutes les deux. Donnons-en des exemples. Le prophète Nathan 1 fut envoyé à David pour lui reprocher son crime et lui en annoncer le châtiment. Qui doute que ces avertissements du ciel et autres semblables, qui concernaient lintérêt de tous ou celui de quelques particuliers, nappartinssent à la cité de la terre? Mais lorsquon lit dans Jérémie : « Voici venir le temps, dit le Seigneur, que je ferai une nouvelle alliance qui ne sera pas semblable à celle que je fis avec leurs pères, lorsque je les pris par la main pour les tirer dEgypte; car ils ne lont pas gardée, et cest pourquoi je les ai abandonnés, dit le Seigneur. Mais voici lalliance que je veux faire avec la maison dIsraël : « Après ce temps, dit le Seigneur, je déposerai mes lois dans leur esprit; je les écrirai dans leur coeur, et mes yeux les regarderont et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple 2». Il est certain que cest là une prophétie de cette Jérusalem céleste où Dieu même est la récompense des justes et où lunique et souverain bien est de le posséder et dêtre à lui. Mais lorsque lEcriture appelle Jérusalem la Cité de Dieu et annonce que la maison de Dieu sélèvera dans son enceinte, cela se rapporte à lune et lautre cité : à la Jérusalem terrestre, parce que cela a été accompli, selon la vérité de lhistoire, dans le fameux temple de Salomon, et à la céleste, parce que ce temple en était la figure. Ce genre de prophétie mixte, dans les livres historiques de lAncien Testament, est fort considérable ; il a exercé et exerce encore beaucoup de commentateurs de lEcriture qui cherchent la figure de ce qui doit saccomplir en la postérité spirituelle dAbraham dans ce qui a été prédit et accompli pour sa postérité charnelle. Quelques uns portent ce goût si loin quils prétendent quil ny a rien en ces livres de ce qui est arrivé après avoir été prédit, ou même sans lavoir été, qui ne doive se rapporter allégoriquement à la Cité de Dieu et à ses enfants qui sont
1. II Rois, XII, 1. Jérém. XXX, 31-33; Hébr. VIII, 8-10. 2. Voyez lécrit de saint Augustin coutre Fauste le manichéen, aux livres XII et XVI.
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étrangers en cette vie. Si cela est, il ny aura pins que deux sortes de prophéties dans tous les livres de lAncien Testament, les unes relatives à la Jérusalem céleste, et les autres aux deux Jérusalem, sans quaucune se rapporte seulement à la terrestre. Pour moi, comme il ma semble que ceux-là se trompent fort qui excluent toute allégorie des livres historiques de lEcriture, jestime aussi que cest beaucoup entreprendre que de vouloir en trouver partout. Cest pourquoi jai dit quil vaut mieux distinguer trois sortes de prophéties, sans blâmer toutefois ceux qui, conservant la vérité de lhistoire, cherchent à trouver partout quelque sens allégorique. Quant aux choses qui ne peuvent se rattacher ni à laction des hommes ni à celle de Dieu, il est évident que lEcriture nen parle pas sans dessein, et il faut conséquemment tâcher de les rappeler à un sens spirituel.
CHAPITRE IV.FIGURE DU CHANGEMENT DE LEMPIRE ET DU SACERDOCE DISRAËL, ET PROPHÉTIES DANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT LÉGLISE.
La suite des temps amène la Cité de Dieu jusquà lépoque des Rois, alors que, Saül ayant été réprouvé, David monta sur le trône, et que ses descendants régnèrent longtemps après lui dans la Jérusalem terrestre. Ce changement, qui arriva en la personne de Saül et de David, figurait le remplacement de lAncien Testament par le Nouveau, où le sacerdoce et la royauté ont été changés par le prêtre et le roi nouveau et immortel, qui est Jésus-Christ. Le grand-prêtre Héli réprouvé et Samuel mis en sa place et exerçant ensemble les fonctions de prêtre et de juge, et dautre part, David sacré roi au lieu de Saül, figuraient cette révolution spirituelle. La mère de Samuel, Anne, stérile dabord, et qui depuis eut tant de joie de sa fécondité, semble ne prophétiser autre chose, quand, ravie de son bonheur, elle rend grâces à Dieu et lui consacre son fils avec la même piété quelle le lui avait voué. Voici comme elle sexprime : « Mon coeur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire. Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis, et je me suis réjouie de votre salut. Car il nest point de saint comme le Seigneur, il nest point de juste comme notre Dieu, il nest de saint que vous. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point autrement; quaucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque cest Dieu qui est le maître des sciences, et qui forme et conduit ses desseins. Il a détendu larc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup denfants est demeurée sans vigueur. Cest Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie; cest lui qui mène aux enfers et qui en ramène. Le Seigneur rend pauvre ou riche, abaisse ou élève ceux quil lui plaît. Il élève de terre le pauvre, et tire le misérable du fumier, afin de le faire asseoir avec les princes de son peuple et de lui donner pour héritage un trône de gloire. Il donne à qui fait un voeu de quoi le faire, et il a béni les années du juste, parce que lhomme nest pas fort par sa propre force. Le Seigneur désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint. Que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses; mais que celui qui eut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de rendre justice au milieu de la terre. Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné; il jugera les extrémités de la terre, parce quil est juste. Cest lui qui donne la vertu à nos rois, et il exaltera la gloire et la puissance de son Christ 1 ». Croira-t-on que cest là le discours dune simple femme qui se réjouit de la naissance de son fils, et sera-t-on assez aveugle pour ne pas voir quil est beaucoup au-dessus de sa portée? En un mot, quiconque fait attention à ce qui est déjà accompli de ces paroles, ne reconnaît-il pas clairement que le Saint- Esprit, par le ministère, de cette femme (dont le nom même, en hébreu, signifie grâce), a prédit la religion chrétienne, la Cité de Dieu, dont Jésus-Christ est le roi et le fondateur, et enfin la grâce même de Dieu, dont les superbes séloignent pour tomber par terre et dont les humbles sont remplis pour se relever? Il ne resterait quà prétendre que cette femme na rien prédit, et que ce sont de simples actions de grâces quelle rend à Dieu pour lui avoir
1. I Rois, II, 1-10 sec. LXX.
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donné un fils; mais que signifie en ce cas ce quelle dit : « Il a détendu larc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup denfants na plus de vigueur? » Est-ce quAnne a eu sept enfants? Elle nen avait quun quand elle disait cela, et nen eut en tout que cinq, trois garçons et deux filles 1. Bien plus, comme il ny avait point encore de rois parmi les Juifs, qui la porte à dire : « Cest lui qui donne la force à nos rois, et qui relèvera la gloire et la puissance de son Christ », si ce nest pas là une prophétie? Que 1Eglise de Jésus-Christ, la cité du grand roi, pleine de grâces, féconde en enfants, répète donc ce quelle reconnaît avoir prophétisé delle il y a si longtemps par la bouche de cette pieuse mère! quelle répète: « Mon coeur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire ». Son coeur a été vraiment affermi sa puissance a été vraiment augmentée, parce quelle ne la pas mise en elle-même, mais dans le Seigneur son Dieu. « Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis » ; et en effet, la parole de Dieu nest point captive au milieu des chaînes et de la captivité. « Je me suis réjouie de votre salut ». Ce salut, cest Jésus-Christ lui-même, que le vieillard Siméon, selon le témoignage de lEvangile, embrasse tout petit, mais dont il reconnaît la grandeur, quand il sécrie : «Seigneur, vous laisserez aller votre serviteur en paix, parce que mes yeux ont vu votre salut 2». Que lEglise répète donc: « Je me suis réjouie de votre salut; car il nest point de saint comme le Seigneur, il nest point de juste comme notre Dieu » ; Dieu, en effet, nest pas seulement saint et juste, mais la source de la sainteté et de la justice. « Il nest de saint que vous »; car personne nest saint que par lui. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point hautement; quaucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque cest Dieu qui est le maître des sciences, et personne ne sait ce quil sait ». Entendez que celui qui nétant rien se croit quelque chose, se trompe soi-même 3»; car ceci
1. 1 Rois, II, 20. 2. Luc, II, 29 et 30. 3. Galat. VI, 3.
sadresse aux ennemis de la Cité de Dieu, qui appartiennent à Babylone, à ceux qui présument trop de leurs forces et se glorifient en eux-mêmes au lieu de se glorifier en Dieu. De ce nombre sont aussi les Israélites charnels, citoyens de la Jérusalem terrestre, qui, comme dit lApôtre, « ne connaissant point la justice de Dieu 1 », cest-à-dire la justice que Dieu donne aux hommes, lui qui seul est juste et rend juste, « et voulant établir leur propre justice», cest-à-dire prétendant quils lont acquise par leurs propres forces sans la tenir de lui, « ne sont point soumis à la justice de Dieu », parce quils sont superbes et quils croient pouvoir plaire à Dieu par leur propre mérite, et non par la grâce de celui qui est le Dieu des sciences, et par conséquent larbitre des consciences, où il voit que toutes les pensées des hommes ne sont que vanité, à moins que lui-même ne les leur inspire, « Il forme et conduit ses desseins». Quels des. seins, sinon ceux qui vont à terrasser les superbes et à relever les humbles? Ce sont ces desseins quil exécute lorsquil dit : « Larc des puissants a été détendu, et les faibles ont été revêtus de force » . Larc a été détendu, cest-à-dire que Dieu a confondu ceux qui se croyaient assez forts par eux-mêmes pour accomplir les commandements de Dieu, sans avoir besoin de son secours. Et ceux-là « sont revêtus de force » qui crient à Dieu dans le fond de leur coeur: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible 2 ». « Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient e affamés se sont élevés au-dessus de la terre». Qui sont ceux qui ont du pain en abondance, sinon ceux même qui se croient puissants, cest-à-dire les Juifs, à qui les oracles de la parole de Dieu ont été confiés? Mais, parmi ce peuple, les enfants de la servante sont devenus languissants, parce que dans ces pains, cest-à-dire dans la parole de Dieu, que la seule nation juive avait reçue alors, ils ne goûtent que ce quil y a de terrestre; au lieu que les Gentils, à qui ces pains navaient pas été donnés, nen ont pas eu plutôt mangé que la faim dont ils étaient pressés les a fait élever au-dessus de la terre pour y savourer tout ce quils renferment de céleste et de spirituel. Et comme si lon demandait la cause dun événement si étrange : « Cest, dit-elle, que
1. Rom. X, 3. 2. Ps. VI, 3.
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celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et que celle qui avait beaucoup enfants est demeurée sans vigueur ». Paroles qui montrent bien que tout ceci nest quune prophétie à ceux qui savent que la perfection de toute lEglise est marquée dans lEcriture par le nombre sept. Cest pourquoi lapôtre saint Jean écrit à sept Eglises 1, cest-à-dire à toute lEglise; et Salomon dit, dans les Proverbes, que « la Sagesse sest bâti une « maison et la appuyée sur sept colonnes 2 ». La Cité de Dieu était réellement stérile chez toutes les nations, avant la naissance de ces enfants qui lont rendue féconde. Nous voyons, au contraire, que la Jérusalem terrestre, qui avait un si grand nombre denfants, est devenue sans vigueur, parce que les enfants de la femme libre, qui étaient dans son sein, faisaient toute sa force, et quelle na plus que la lettre sans lesprit. « Cest Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie ». Il a donné la mort à celle qui avait beaucoup denfants, et redonné la vie à celle qui était stérile et qui a engendré sept enfants. On peut lentendre aussi, et mieux encore, en disant quil rend la vie à ceux même à qui il avait donné la mort, comme ces paroles qui suivent semblent le confirmer : « Cest lui qui mène aux enfers et qui en ramène ». Ceux à qui lApôtre dit: « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ, cherchez les choses du ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu » » ; ceux-là, dis-je, sont tués par le Seigneur pour leur salut, et cest pour eux que lApôtre ajoute : « Goûtez les choses du ciel, et non pas celles de la terre , afin queux-mêmes soient ceux qui, pressés de la faim , se sont élevés au-dessus de la terre». Car saint Paul dit encore: « Vous êtes morts » ; et voilà comment Dieu fait mourir ses fidèles pour leur salut: « Et votre vie, ajoute cet Apôtre, est cachée avec Jésus-Christ et Dieu ». Et voilà comment il leur redonne la vie. Mais sont-ce les mêmes quil mène aux enfers et quil en ramène ? Les deux choses sont indubitablement accomplies en celui qui est notre chef, avec qui lApôtre dit que notre vie est cachée en Dieu. Car « celui qui na pas épargné son propre fils, mais la livré à la mort pour tout le monde 4 », la certainement fait mourir de cette façon; et
1. Apoc. I, 4. 2. Prov. IX, 1. 3. Coloss. III, 1. 4. Rom. VIII, 32.
dautre part, comme il la ressuscité, il lui a redonné la vie. Il la aussi mené aux enfers, et len a ramené, puisque cest lui-même qui dit dans le Prophète: « Vous ne laisserez point mon âme dans les enfers 1 ». Cest cette pauvreté du Sauveur qui nous a enrichis. En effet, « cest le Seigneur qui rend pauvre ou riche ». La suite nous explique ce que cela signifie : « Il abaisse, est-il dit, et il élève ». Il abaisse les superbes et élève les humbles. Tout le discours de cette sainte femme, dont le nom signifie grâce, ne respire autre chose que ce qui est dit dans cet autre endroit de lEcriture : « Dieu résiste aux superbes, et « donne sa grâce aux humbles ». LEvangéliste ajoute: « Il relève le pauvre 2». Ces paroles ne peuvent sentendre que de celui qui, étant riche, sest rendu pauvre pour lamour de nous, afin que sa pauvreté nous enrichît 3 ». Dieu ne la relevé sitôt de terre quafin de garantir son corps de corruption4. Jestime quon peut encore lui attribuer ce qui suit: «Et il tire lindigent de son fumier». En effet, ce fumier doù il a été tiré sentend fort bien des Juifs qui ont persécuté Jésus- Christ, au nombre desquels se range saint Paul lui-même, dans le temps où il persécutait lEglise. « Ce que je considérais alors comme un gain, dit-il, je lai regardé depuis comme une perte, à cause de Jésus-Christ, et non-seulement comme une perte, mais comme du fumier, pour gagner Jésus-Christ 5 ». Ce pauvre a donc été relevé de terre au-dessus de tous les riches, et ce misérable tiré du fumier au-dessus des plus opulents, afin de tenir rang parmi les puissants du peuple, à qui il dit : « Vous serez assis sur douze trônes 6 », et à qui, selon lexpression de notre sainte prophétesse, « il donne pour héritage un trône de gloire ». Ces puissants avaient dit: « Vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre7 ». Il fallait quils fussent bien puissants pour avoir fait un tel voeu ; mais de qui avaient-ils reçu la force de le faire, sinon de celui dont il est dit ici : « Il donne de quoi vouer à celui qui fait un voeu ?» Autrement, ils seraient de ces puissants dont larc a été détendu. « Il donne, dit lEcriture, à qui fait un voeu de quoi le faire », parce que personne ne pourrait rien vouer à Dieu comme il faut, sil ne recevait
1. Ps. XV, 10. 2. Jac., IV, 6. 3. II Cor. VIII, 9. - 4. Ps. XV, 10 . 5. Philipp. III, 7 et 8. 6. Matt. XIX, 28 . 7. Ibid. 27.
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de lui ce quil lui voue. « Et il a béni les années du juste », afin, sans doute, quil vive sans fin avec celui à qui il est dit: « Vos années ne finiront point 1 ». Là, les années demeurent fixes, au lieu quici elles passent, ou plutôt elles périssent. Elles ne sont pas avant quelles viennent, et quand elles sont venues, elles ne sont plus, parce quelles viennent en sécoulant. Des deux choses exprimées en ces paroles : « Il donne à qui fait un voeu de quoi le faire, et il a béni les années du juste », nous faisons lune et nous recevons lautre; mais on ne reçoit celle-ci de sa bonté que lorsquon a fait la première par sa grâce, « attendu que lhomme nest pas fort par sa propre force » . « Le Seigneur désarmera son adversaire » , cest-à-dire lenvieux qui veut empêcher un homme daccomplir son voeu. Comme lexpression est équivoque, lon pourrait entendre par son adversaire ladversaire de Dieu. Véritablement, lorsque Dieu commence à nous posséder, notre adversaire devient le sien, et nous le surmontons, mais non pas par nos propres forces, car ce que lhomme a de forces ne vient pas de lui « Le Seigneur donc désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint », afin que cet adversaire soit vaincu par les saints que le Seigneur, qui est le saint des saints, a faits saints. Ainsi, « que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui veut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de faire justice au milieu de la terre ». Ce nest pas peu connaître Dieu, que de savoir que la connaissance quon en a est un don de sa grâce. Aussi bien, « quavez-vous, dit lApôtre, que vous nayez point reçu? Et si vous lavez reçu, pourquoi .vous glorifiez-vous, comme si lon ne vous leût point donné 2 ? » cest-à-dire comme si vous le teniez de vous-même. Or, celui-là pratique la justice qui vit bien, et celui-là vit bien qui observe les commandements de Dieu, « qui ont pour fin la charité qui naît dun coeur pur, dune bonne conscience et dune foi sincère 3 ». Cette charité vient de Dieu, comme le témoigne lapôtre saint Jean 4 ; et par conséquent le pouvoir de pratiquer la justice vient aussi de lui. Mais quest-ce que
1. Ps. CI, 28. 2. I Cor. IV, 7. 3. I Tim. I, 5. 4. I Jean, IV, 7.
ceci veut dire: Au milieu de la terre? Est-ce que ceux qui habitent les extrémités de la terre ne doivent point pratiquer la justice ? Jestime que par ces mots : au milieu de la terre, lEcriture veut dire : tant que nous vivons dans ce corps, afin que personne ne simagine quaprès cette vie il reste encore du temps pour accomplir la justice quon na pas pratiquée ici-bas, et pour éviter le jugement de Dieu. Chacun, dans cette vie, porte sa terre avec soi ; et la terre commune reçoit cette terre particulière à la mort de chaque homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection. Il faut donc pratiquer la vertu et la justice au milieu de la terre, cest-à-dire tandis que notre âme est enfermée dans ce corps de terre, afin que cela nous serve pour lavenir, « lorsque chacun recevra la récompense du bien et du mal quil aura fait par le corps 1 ». Par le corps, dit lApôtre, cest-à-dire pendant le temps quil a vécu dans le corps ; car les pensées de blasphème auxquelles on consent ne sont produites par aucun membre du corps; et cependant on ne laisse pas den être coupable. Nous pouvons fort bien entendre de la même sorte cette parole du psaume: « Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a accompli loeuvre de notre salut au milieu de la terre 2 », attendu que le Seigneur Jésus est notre Dieu, et il est avant les siècles, parce que les siècles ont été faits par lui. Il a accompli loeuvre de notre salut au milieu de la terre, lorsque le Verbe sest fait chair 3 et quil a habité dans un corps de terre. « Le Seigneur est monté aux cieux, et il a tonné ; il jugera les extrémités de la terre, parce quil est juste ». Cette sainte femme observe dans ces paroles lordre de la profession de foi des fidèles. Notre-Seigneur Jésus. Christ est monté au ciel, et il viendra de là juger les vivants et les morts. En effet, comme dit lApôtre : « Qui est monté, si ce nest celui qui est descendu jusquaux plus basses parties de la terre ? Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses de la présence de sa majesté4 ». Il à donc tonné par ses nuées quil à remplies du Saint. Esprit, quand il est monté aux cieux. Et cest de ces nuées quil parle dans le prophète Isaïe 5, quand il menace la Jérusalem esclave, cest
1. II Cor. V, 10 . 2. Ps. LXXII, 12. 3. Jean, I, 14. 4. Ephés. IV, 9. 5. Isa. V, 6.
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à-dire la vigne ingrate, dempêcher quelles ne versent la pluie sur elle. « Il jugera les extrémités de la terre », cest-à-dire même les extrémités de la terre. Et ne jugera-t-il point aussi les autres parties de la terre, lui qui indubitablement doit juger tous les hommes? Mais peut-être il vaut mieux entendre par les extrémités de la terre lextrémité de la vie de lhomme. Lhomme en effet ne sera pas jugé sur létat où il aura été au commencement ou au milieu de sa vie, mais sur celui où il se trouvera vers le temps de sa mort; doù vient cette parole de lEvangile, « quil ny aura de sauvé que celui qui persévérera jusquà la fin 1 ». Celui donc qui persévère jusquà la fin à pratiquer la justice au milieu de la terre ne sera pas condamné, quand Dieu jugera les extrémités de la terre. « Cest lui qui donne la force à nos rois », afin de ne les pas condamner dans son jugement. Il leur donne la force de gouverner leur corps en rois, et de vaincre le monde par la grâce de celui qui a répandu son sang pour eux. « Et il relèvera la gloire et la puissance de son Christ ». Comment le Christ relèvera-t-il la gloire et la .puissance de son Christ? car celui dont il est dit auparavant : « Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné », est celui-là même dont il est, dit ici quil relèvera la gloire et la puissance de son Christ. Quel est donc le Christ de son Christ ? Est-ce quil relèvera la gloire et la puissance de chaque fidèle, comme notre sainte prophétesse le dit elle-même au commencement de ce cantique: « Mon Dieu a relevé ma force et ma gloire? » Dans le fait, nous pouvons fort bien appeler des Christs tous ceux qui ont été oints du saint chrême, qui tous, néanmoins, avec leur chef, ne sont quun même Christ. Voilà la prophétie dAnne, mère du grand et illustre Samuel; en lui était figuré alors le changement de lancien sacerdoce, qui est accompli aujourdhui ; car elle qui avait beaucoup denfants est devenue sans vigueur, afin que celle qui était stérile et qui est devenue mère de sept enfants eût un nouveau sacerdoce en Jésus-Christ.
CHAPITRE V.ABOLITION DU SACERDOCE DAARON NIÉDITE A HÉLI.
Lhomme de Dieu qui fut envoyé au grand
1. Matt. x, 22.
prêtre Héli et que lEcriture ne nomme pas, mais que son ministère doit faire indubitablement reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement. Voici ce que porte le texte sacré: «Un homme de Dieu vint trouver Héli et lui dit: Voici ce que dit le Seigneur : Je me suis fait connaître à la maison de votre père, lorsquelle était captive de Pharaon en Egypte, et je lai choisie entre toutes les tribus dIsraël pour me faire des prêtres qui montassent à mon autel, qui moffrissent de lencens et qui portassent léphod ; et jai donné à la maison de votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants dIsraël moffrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de vos enfants que de moi, en souffrant quils emportassent les prémices de tous les sacrifices dIsraël? Cest pourquoi voici ce que dit le Seigneur et le Dieu dIsraël; Javais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence. Mais je nai garde maintenant den user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables. Voici venir le temps que jexterminerai votre race et celle de votre père, de sorte quil nen demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement. Ils périront tous par lépée; et la marque de cela, cest que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra ladorer avec une petite pièce dargent et lui dira; Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain 1». On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si clairement le changement de lancien sacerdoce, ait été accomplie en La personne de SamueL Quoiquil ne fût pas dune autre tribu que celle que Dieu avait destinée pour servir à lautel, il nétait pas pourtant de
1. I Rois, II, 27 et seq.
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la famille dAaron, dont la postérité était désignée pour perpétuer le 1; et par conséquent tout ceci était la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et appartenait proprement à lAncien Testament, et figurativement au Nouveau; je dis quant à lévénement de la chose, et non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille dAaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs autres, longtemps avant lépoque où ce changement devait saccomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui navoue quelles sont accomplies? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille dAaron, comme le rappelle ici le Prophète: « Voici ce que dit le Seigneur et le Dieu dIsraël: Javais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence; mais je nai garde maintenant den user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables ». Par la maison de votre père, il nentend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement naissance, mais dAaron, le premier grand prêtre dont tous les autres sont descendus. Ce qui précède le montre clairement : « Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père, lorsquelle était captive de Pharaon en Egypte, et je lai choisie entre toutes les tribus dIsraël pour les fonctions du sacerdoce ». Qui était ce père dHéli dont la famille, après la captivité dEgypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron? Cest donc de cette race que Dieu dit ici quil ny aura plus de prêtre à lavenir: et cest ce que nous voyons maintenant accompli. Que notre foi y fasse attention, les choses sont présentes; on les voit, on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré quon en ait. « Voici, dit le Seigneur, venir le temps que jexterminerai votre race et celle de votre père, en sorte quil nen demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison ». Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent « en voyant ce changement ». Ce temps prédit
1. Voyez sur ce point les Rétractations, livre II ch. 43, n. 2.
est venu. Il ny a plus de prêtre selon lordre dAaron; et quiconque reste de cette famille, lorsquil considère le sacrifice des chrétiens établis par toute la terre et quil se voit dépouillé dun si grand honneur, sèche de regret et denvie. Ce qui suit appartient proprement à la maison dHéli: « Tous ceux qui resteront de votre maison périront par lépée; et la marque de cela, cest que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un seul jour ». Le même signe donc qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi quil devait être aboli dans la maison dAaron. La mort des enfants dHéli ne figurait la mort daucun homme, mais celle du sacerdoce même dans la famille dAaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par conséquent on doit lentendre de Jésus-Christ, le véritable grand prêtre du Nouveau Testament: « Et je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable ». Cette maison est la céleste et éternelle Jérusalem. « Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de mon Christ », cest-à-dire elle paraîtra devant lui, comme il a dit auparavant de la maison dAaron : « Javais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence». On peut encore entendre quelle passera de la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité, jusquà la fin des siècles. Quand Dieu dit : « Qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent », ne pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de lâme; cest ici une de ces expressions figurées de lEcriture, comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres membres du corps. Au surplus, de peur quon né simagine que cest selon le corps quelle dit que lhomme à été fait à limage de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe dont lhomme est privé, et elle dit: « Seigneur, mettez-moi à lombre de vos ailes 1 », afin que les hommes reconnaissent que tout cela nest dit que par métaphore de cette nature ineffable. « Et quiconque restera de votre maison viendra ladorer ». Ceci ne doit pas sentendre proprement de la maison dHéli, mais
1. Ps. XVI, 10.
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de celle dAaron, qui a duré jusquà lavénement de Jésus-Christ et dont il en reste encore aujourdhui quelques débris. A légard de la maison dHéli, Dieu avait déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient par lépée. Comment donc ce quil dit ici peut-il être vrai: « Quiconque restera de votre maison viendra ladorer », à moins quon ne lentende de toute la famille sacerdotale dAaron? Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre prophète dit : « Les restes seront sauvés 1 » ; et lApôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés selon lélection de la grâce 2 » ; si, dis-je, il est quelquun qui reste de la maison dAaron, indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui; et encore aujourdhui, lon en voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en qui saccomplit ce que cet homme de Dieu ajoute « Il viendra ladorer avec une petite pièce dargent ». Qui viendra-t-il adorer, sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi? Car dans le sacerdoce établi selon lordre dAaron, on ne venait pas au temple ni à lautel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce dargent, si ce nest cette parole abrégée de la foi dont lApôtre fait mention après le Prophète, quand il dit: « Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur la terre 3? » Or, que largent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste en témoigne, lorsquil dit: « Les paroles du Seigneur sont pures, cest de largent qui a passé par le feu 4 ». Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu? « Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain». Ce qui signifie: Je ne prétends rien à la dignité de mes pères, puisquelle est abolie; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. « Car jaime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur 5 » ; entendez: pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce, quel quil soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. Cest à ce peuple que lapôtre saint Pierre dit: « Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal 6 ».
1. Isa. X,22. 2. Rom. XI, 5. 3. Rom. IX, 28; Isa. X, 23. 4. Ps. XI, 7. 5. Ps. LXXXIII, 11. 6. I Pierre, II, 9.
Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien. De là vient cette parole de lApôtre : « Nous ne sommes tous ensemble quun seul pain et quun seul corps en Jésus-Christ 1 » ; et celle-ci encore : « Offrez vos corps à Dieu comme une hostie vivante 2 ». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute: « Pour manger du pain », il exprime heureusement le genre même du sacrifice dont le prêtre lui-même dit: « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, cest ma chair 3 ». Cest là le sacrifice qui nest pas selon lordre dAaron, mais selon lordre de Melchisédech. Que celui qui lit ceci lentende. Cette confession est en même temps courte, humble et salutaire « Donnez-moi quelque part en votre sacerdoce, « afin que je mange du pain». Cest là cette petite pièce dargent, parce que la parole du Seigneur, qui habite dans le coeur de celui qui croit, est courte et abrégée. Comme il avait dit auparavant quil avait donné pour nourriture à la maison dAaron les victimes de lAncien Testament, il parle ici de manger du pain, parce que cest le sacrifice des chrétiens dans le Nouveau.
CHAPITRE VI.DE LÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT LA FIGURE.
Bien que ces choses paraissent maintenant aussi claires quelles étaient obscures lorsquelles furent prédites, toutefois il semble quon pourrait faire cette objection avec quelque sorte de vraisemblance : Quelle certitude avons-nous que toutes les prédictions des Prophètes saccomplissent, puisque cet oracle du ciel: « Votre maison et la maison de votre père passeront éternellement en ma présence », na pu saccomplir? Car nous voyons bien que ce sacerdoce a été changé, sans que cette maison puisse jamais espérer dy rentrer, attendu quil a été aboli, et que cette promesse est plutôt pour lautre sacerdoce qui a succédé à celui-là. Quiconque parle de la sorte ne comprend pas encore ou ne se souvient pas que le sacerdoce, même
1. I Cor. X, 17. 2. Rom. XII, 1. 3. Jean, VI, 52.
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selon lordre dAaron, était comme lombre du sacerdoce à venir et éternel, et quainsi, quand léternité lui a été promise, cette promesse ne lui appartenait pas, mais à celui dont il était lombre et la figure. Pour que lon ne. simaginât pas que lombre même dût demeurer, le changement en a dû être aussi prédit. De même, le royaume de Saül, qui fut réprouvé et rejeté, était lombre du royaume à venir qui doit subsister éternellement ; car il faut considérer comme un grand mystère cette huile dont il fût sacré et ce chrême qui lui donna le nom de Christ. Aussi David lui-même le respectait si fort en Saül, quil frémit de crainte et se frappa la poitrine 1, au moment où ce prince étant entré dans une caverne obscure pour un besoin, il lui coupa le bord de la robe, afin de lui faire voir quil lavait épargné, quand il pouvait sen défaire, et de dissiper ainsi ses soupçons et sa furieuse animosité. Il craignait donc de sêtre rendu coupable de la profanation dun grand mystère, seulement pour avoir touché de la sorte au vêtement de Saül. Voici comment lEcriture en parle: « Et David se frappa la poitrine, parce quil avait coupé le pan de sa robe 2 ». Ceux qui laccompagnaient lui conseillaient de tuer Saül, puisque Dieu le livrait entre ses mains. « A Dieu ne plaise, dit-il, que je le fasse et que je mette la main sur lui! car il est le Christ du. Seigneur 3 ». Ce nétait donc pas proprement la figure quil respectait, mais la chose figurée. Ainsi, quand Samuel dit à Saül: « parce que vous navez pas fait ce que je vous avais dit, ou plutôt ce que Dieu vous avait dit par moi, le trône dIsraël, que Dieu vous avait préparé pour durer éternellement, ne subsistera point pour vous ; mais le Seigneur cherchera un homme selon son coeur, quil établira prince sur son peuple, à cause que vous navez pas obéi à ses ordres 4» ; ces paroles, dis-je, ne doivent pas sentendre, comme si Dieu, après avoir promis un royaume éternel à Saut, ne voulait plus tenir sa promesse, lorsquil eut péché; car Dieu nignorait pas quil devait pécher, mais il avait préparé son royaume pour être la figure dun royaume éternel. Cest pourquoi Samuel ajoute: « Votre royaume ne subsistera point pour vous ». Celui quil figurait a
1. I Rois, XXIV, 6. 2. Ibid. XXIV, 6. 3. Ibid. 7 .- 4. Ibid. XIII, 13 et seq.
subsisté et subsistera toujours, mais non pas pour Saül ni pour ses descendants. « Et le Seigneur, dit-il, cherchera un homme »; cest David, ou plutôt cest le Médiateur même du Nouveau Testament, qui était aussi figuré par le chrême dont David et. sa postérité furent sacrés. Or, Dieu ne cherche pas un homme, comme sil ignorait où il est; mais il saccommode au langage des hommes et nous cherche par cela même quil nous parle ainsi. Nous étions dès lors si bien connus, non-seulement à Dieu le Père, mais à son Fils unique, qui est venu chercher ce qui était perdu 1, quil nous avait élus en lui avant la création du monde 2. Lors donc que lEcriture dit quil cherchera, cest comme si elle disait quil fera reconnaître aux autres pour son ami celui quil sait déjà lui appartenir.
CHAPITRE VII.DE LA DIVISION DU ROYAUME DISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A SAÜL, ET DE CE QUELLE FIGURAIT .
Saül pécha de nouveau en désobéissant à Dieu, et Samuel lui porta de nouveau cette parole au nom du Seigneur: « Parce que vous avez rejeté le commandement de Dieu, Dieu vous à rejeté, et vous ne serez plus roi dIsraël 3» .Comme Saül, avouant son crime, priait Samuel de retourner avec lui pour en obtenir de Dieu le pardon: « Je ne retournerai point avec vous, dit-il, parce que vous navez point tenu compte du commandement de Dieu. Aussi le Seigneur ne tiendra point compte de vous, et vous ne serez plus roi dIsraël.». Là-dessus, Samuel lui tourna le dos et sen alla; mais Saül le retint par le bas de sa robe, quil déchira, Alors Samuel lui dit : « Le Seigneur a ôté aujourdhui le royaume à Israël en vous lôtant, et il le donnera à un de vos proches, qui est bien au-dessus de vous, et Israël sera divisé en deux, sans que le Seigneur change ni se repente, car il ne ressemble pas à lhomme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas 4 ». Celui à qui il est dit: « Le Seigneur vous rejettera, et vous ne serez plus roi dIsraël »; et encore: « Le Seigneur a ôté aujourdhui le royaume à Israël en vous lôtant» ; celui-là, dis-je, régna encore
1. Luc, XIX, 10. 2. Ephés. I, 4. 3. I Rois, XV, 23. 4. Ibid. XV, 23.
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quarante ans depuis, car cela lui fut dit dès le commencement de son règne; mais Dieu entendait par là quaucun de sa famille ne devait lui succéder , et il voulait attirer nos regards vers la postérité de David, doù est sorti, selon la chair, le médiateur entré Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. Or, le texte de lEcriture ne porte pas, comme beaucoup de traductions latines: « Le Seigneur vous a ôté le royaume dIsraël » mais comme nous lavons lu dans le grec : « Le Seigneur a ôté aujourdhui le royaume à Israël en vous lôtant » ; par où lEcriture veut montrer que Saül représentait le peuple dIsraël, qui était destiné à perdre le royaume, Notre-Seigneur Jésus-Christ devant régner spirituellement par le Nouveau Testament. Ainsi, quand il dit: « Et il le donnera à un de vos proches », cela sentend dune parenté selon la chair. En effet, selon la chair, Jésus-Christ a pris naissance dIsraël, aussi bien que Saül. Ce qui suit: « Qui est bon au-dessus de vous », peut sentendre, « qui est meilleur que vous»,et quelques-uns lont traduit ainsi; mais je préfère cet autre sens: « Il est bon; quil soit donc au-dessus de vous » ; ce qui est bien conforme à cette autre parole prophétique: « Jusquà ce que jaie mis tous vos ennemis sous vos pieds 1 ». Au nombre des ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté comme à son persécuteur. Et toutefois, là aussi était un autre Israël, en qui ne se trouva aucune malice 2, véritable froment caché sous la paille. Cest de là que sont sortis les Apôtres et tant de martyrs dont saint Etienne a été le premier; de là ont pris naissance toutes ces Eglises dont parle lapôtre saint Paul et qui louent Dieu de sa conversion 3. Je ne doute point que par ces mots : « Et Israël sera divisé deux », il faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ et Israël fidèle à Jésus-Christ, Israël appartenant à la servante et Israël appartenant à la femme libre. Ces deux Israël étaient dabord mêlés ensemble, comme Abraham était attaché à la Servante, jusquà ce que celle qui était stérile, ayant été rendue féconde par la grâce de Jésus-Christ, sécriât : « Chassez la servante avec son fils 4 ». Il est vrai quIsraël fut partagé en deux à cause du péché de Salomon, sous le règne de son fils Roboam 5, et quil
1. Ps. CIX, 2. 2. Jean, I, 47. 3. Galat. I, 24. 4. Gen. XXI, 10. 5. III Rois, XXI, 10.
demeura en cet état, chaque faction ayant ses rois à part, jusquà ce que toute la nation fût vaincue par les Chaldéens et menée captive à Babylone. Mais quest-ce que cela fait à Saül? Si cette menace était nécessaire, ne devait-on ladresser plutôt à David, dont Salomon était fils? maintenant même, les Juifs ne sont pas divisés entre eux, mais dispersés par toute la terre dans la société dune même erreur. Or, cette division, dont Dieu menace ici ce peuple et ce royaume dans la personne de Saül qui le représentait, doit être éternelle et immuable, selon ces paroles qui suivent: « Dieu ne changera ni ne se repentira point, car il ne ressemble pas à lhomme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas ». Lorsque LEcriture dit que Dieu se repent, cela ne marque du changement que dans les choses, lesquelles sont connues de Dieu par une prescience immuable. Quand donc elle dit quil ne se repent point, il faut entendre quil ne change point. Ainsi larrêt de cette division dIsraël est un arrêt perpétuel et irrévocable. Tous ceux qui, en tous les temps, passent de la synagogue des Juifs à lEglise de Jésus-Christ, ne faisant point partie de cette synagogue dans la prescience de Dieu. Ainsi, tous les Israélites qui, sattachant à Jésus-Christ, persévèrent dans cette union, ne seront jamais avec ces Israélites qui sopiniâtrent toute leur vie à être ses ennemis, et la division qui est ici prédite subsistera toujours. LAncien Testament donné sur la montagne de Sinaï, et qui nengendra que des esclaves 1, na de prix quen ce quil rend hommage au Nouveau; et tous les Juifs qui maintenant lisent Moïse ont un voile sur le cur 2 qui leur en dérobe lintelligence. Mais lorsque quelquun deux passe à Jésus-Christ, ce voile est déchiré. En effet, ceux qui changent de la sorte changent aussi dintention et de désirs, et naspirent plus à la félicité de la chair, mais à celle de lesprit. Cest pourquoi, dans cette fameuse journée des Juifs contre les Philistins 3, où le ciel se déclara si ouvertement en faveur des premiers, à la prière de Samuel, ce prophète, prenant une pierre, la posa entre les deux Massephat 4, la nouvelle et lancienne, et lappela Abennezer, cest-à-dire pierre de secours,
1. Gal. IV, 24. 2. II Cor, III, 15. 3. I Rois, VIII, 10, 12.
4. Saint Jérôme (De locis Hebraïcis ) place lancienne Massephat dans la tribu de Gad, et la nouvelle dans la tribu de Juda, sur les confins dEleuthéropolis.
(373)
parce que, dit-il, cest jusquici que Dieu nous a secourus . Or, Massephat signifie intention, et cette pierre de secours, cest la médiation du Sauveur, par qui il faut passer de la vieille Massephat à la nouvelle, cest-à-dire de lintention qui regardait une fausse et charnelle habitude dans un royaume charnel, à celle qui sen propose une véritable et spirituelle dans le royaume des cieux par le moyen du Nouveau Testament. Comme il nest rien de meilleur que cette félicité, cest jusque-là que Dieu nous porte secours.
CHAPITRE VIII.LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT SENTENDRE QUE DE JÉSUS-CHRIST.
Il faut voir maintenant, autant que cela peut servir à notre dessein, les promesses que Dieu fit à David même, qui prit la place de Saül, changement qui était la figure du changement suprême auquel se rapporte toute lEcriture sainte. Toutes choses prospérant à David, il résolut de bâtir une maison à Dieu, ce fameux temple qui fut louvrage de son fils Salomon. Comme il était dans cette pensée, Dieu parla au prophète Nathan, et, après lui avoir déclaré que David ne lui bâtirait pas une maison, et quil sen était bien passé jusqualors : «Vous direz, ajouta-t-il, à mon serviteur David : Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant : Je vous ai tiré de votre bergerie pour vous établir le conducteur de mon peuple. Je vous ai assisté dans toutes vos entreprises, jai dissipé tous vos ennemis, et jai égalé votre gloire à celle des plus grands rois. Je veux assigner un lieu à mon peuple et ly établir, afin quil y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à lavenir. Les méchants ne lopprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire. Je ferai que tous vos ennemis vous laisseront en paix, et vous me bâtirez une maison. Car lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont jaffermi rai le trône. Cest lui qui me construira une maison, et je maintiendrai éternelle ment son empire. Je lui tiendrai lieu de père et laimerai comme mon fils. Que sil
1. I Rois, VII, 5, 12.
vient à moffenser, je lui ferai sentir les effets de ma colère et le châtierai avec rigueur; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde, comme jai fait à légard de ceux dont jai détourné ma face. Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles 1 ». Quiconque simagine que cette promesse a été accomplie en Salomon, se trompe gravement, et son erreur vient de ce quil ne sarrête quà ces paroles : « Cest lui qui me construira une maison ». En effet, Salomon a élevé un temple superbe; mais il faut faire attention à ce qui suit: « Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles ». Regardez maintenant le palais de Salomon, tout rempli de femmes étrangères et idolâtres qui le portent à adorer les faux dieux avec elles; et prenez garde dêtre assez téméraires pour penser que les promesses de Dieu ont été vaines, ou quil na pu prévoir que ce prince et sa maison tomberaient dans de tels égarements. Lors même que nous ne verrions point les paroles divines accomplies en la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est né de David selon la chair, nous ne devrions point douter quelles ne se rapportent à lui, à moins que de vouloir attendre vainement un nouveau messie, comme font les Juifs. Il est si vrai que par ce fils, qui est ici promis à David, les Juifs mêmes nentendent point Salomon, que, par un merveilleux aveuglement, ils attendent encore un autre Christ que celui qui sest fait reconnaître pour tel par des marques si claires et si évidentes. A la vérité, on voit aussi en Salomon quelque image des choses à venir, en ce quil a bâti le temple, quil a eu la paix avec tous ses voisins, comme le porte son nom (car Salomon signifie pacifique) et que les commencements de son règne ont été admirables; mais il faut demeurer daccord quil nétait pas Jésus-Christ lui-même et quil nen était que la figure. De là vient que lEcriture dit beaucoup de choses de lui, non-seulement dans les livres historiques, mais dans le psaume soixante-onzième qui porte son nom, lesquelles ne sauraient du tout lui convenir, et conviennent fort bien à Jésus-Christ, pour montrer que lun nétait que la figure, et lautre la vérité. Pour nen citer quun exemple, on ignore quelles étaient les bornes du royaume de 2. II Rois, VII, 8 et seq.
Salomon, et cependant nous lisons dans ce psaume : « Il étendra son empire de lune à lautre mer, et depuis le fleuve jusquaux extrémités de la terre 1 » ; paroles que nous voyons accomplies en la personne du Sauveur, qui a commencé son règne au fleuve où il fut baptisé par saint Jean et reconnu par les disciples, qui ne lappelaient pas seulement Maître, mais Seigneur. Pourquoi Salomon commença-t-il à régner du vivant de son père David, ce qui narriva à aucun autre des rois dIsraël? pour nous apprendre que ce nest pas de lui que Dieu parle ici, quand il dit à David : « Lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont jaffermirai le trône». Quelque intervalle de temps quil y ait entre Jésus-Christ et David, toujours est-il certain que le premier est venu depuis la mort du second et quil a bâti une maison à Dieu, non de bois et de pierre, mais dhommes. Cest à cette maison, ou en dautres termes, aux fidèles, que lapôtre saint Paul dit: « Le temple de Dieu est saint, et cest vous qui êtes ce temple 2 ».
CHAPITRE IX.DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE EST SEMBLABLE A CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS.
Cest pour cela quau psaume quatre-vingt-huitième, qui a pour titre : Instruction pour Aethan, israélite, il est fait mention des promesses de Dieu à David, et lon y voit quelque chose de semblable à ce que nous venons de rapporter du second livre des Rois. « Jai juré, dit Dieu, jai juré à David, mon serviteur, que je ferais fleurir éternellement sa race ». Puis: « Vous avez parlé en vision à vos enfants, et vous avez dit: Jai remis mon assis- tance dans un homme puissant, et jai élevé sur le trône celui que jai choisi parmi mon peuple. Jai trouvé mon serviteur David, je lai oint de mon huile sainte. Car ma main lui donnera secours et mon bras le soutiendra. Lennemi naura point avantage sur lui, et lenfant diniquité ne lui pourra nuire. Jabattrai ses ennemis à ses pieds et mettrai en fuite ceux qui le haïssent. Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui, et je
1. Ps. LXXI, 8. 2. I Cor. III, 17.
délivrerai sa gloire et sa puissance. Jétendrai sa main gauche sur la mer et sa droite sur les fleuves. Il minvoquera et me dira: Vous êtes mon père, vous êtes mon Dieu et mon asile. Et je le ferai mon fils aîné et lélèverai au-dessus de tous les rois de la terre. Je lui conserverai toujours ma faveur, et lalliance que je ferai avec lui sera inviolable. Jétablirai sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux 1 ». Tout cela, sous le nom de David, doit sentendre de Jésus-Christ, à cause de la forme desclave quil a prise, comme médiateur, dans le sein de la Vierge. Quelques lignes ensuite, il est parlé des péchés de nos enfants presque dans les mêmes termes où, au livre des Rois, il est parlé de ceux de Salomon : « Sil vient, dit Dieu en ce livre, à sabandonner à liniquité, je le châtierai par la verge des hommes; je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes; cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde 2 ». Ces atteintes sont les marques du châtiment; et de là cette parole : « Ne touchez pas mes christs 3». Quest-ce à dire, sinon : Ne blessez pas? Or, dans le psaume où il sagit de David en apparence, le Seigneur tient à peu près le même langage : « Si ses enfants, dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent dans ma crainte, sils profanent mes ordonnances et ne gardent pas mes commandements, je les châtierai, la verge à la main, et je leur enverrai mes fléaux; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde 4 ». Il ne dit pas : Je ne retirerai pas deux, quoiquil parle de ses enfants, mais de lui, ce qui pourtant, à le bien prendre, est la même chose. Aussi bien on ne peut trouver en Jésus-Christ même, qui est le chef de lEglise, aucun péché qui ait besoin dindulgence ou de punition, mais bien dans son peuple, qui compose ses membres et son corps mystique. Cest pour cela quau livre des Rois il est parlé de son iniquité 5, au lieu quici il est parlé de celle de ses enfants, pour nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit en quelque sorte de lui-même. Par la même raison, lorsque Saul persécutait son corps, cest-à-dire ses fidèles, il lui cria du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 6 ». Le psaume ajoute : « Je nenfreindrai point mon serment, ni ne
1. Ps. LXXXVIII, 31, 34. 2. II Rois, VII, 14, 15. 3. Ps. CIV, 15. 4. Ibid. LXXXVIII, 31, 34. 5. II Rois, VII, 14. 6. Act. IX, 4.
(375) profanerai mon alliance ; je ne démentirai point les paroles qui sortent de ma bouche; jai une fois juré par ma sainteté, je ne tromperai point David; sa race durera éternellement; son trône demeurera à jamais devant moi comme le soleil et la lune, et comme larc-en-ciel, témoin fidèle de mon alliance 1 ».
CHAPITRE X.LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI SEST PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES DE DIEU, CEST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME ET UN PLUS GRAND ROI.
Après des assurances si certaines dune si grande promesse, de peur quon ne la crût accomplie en Salomon et quon ne ly cherchât inutilement, le Psalmiste sécrie : « Pour vous, Seigneur, vous les avez rejetés et anéantis 2 ». Cela est arrivé à légard du royaume de Salomon en ses descendants jusquà la ruine de la Jérusalem terrestre, qui était le siége de son empire, et à la destruction du temple quil avait élevé. Mais, pour quon naille pas en conclure que Dieu a contrevenu à sa parole, David ajoute aussitôt: « Vous avez différé votre Christ ». Ce Christ nest donc ni David, ni Salomon, puisquil est différé. Encore que tous les rois des Juifs fussent appelés christs à cause du chrême dont on les oignait à leur sacre, et que David lui-même donne ce nom à Saül, il ny avait toutefois quun seul Christ véritable, dont tous ceux-là étaient la figure. Et ce Christ était différé pour longtemps, selon lopinion de ceux qui croyaient que ce devait être David ou Salomon; mais il devait venir en son temps, selon lordre de la providence de Dieu. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arriva durant ce délai dans la Jérusalem terrestre, où lon espérait quil régnerait: « Vous avez, dit-il, rompu lalliance que vous aviez faite avec votre serviteur; vous avez profané son temple. Vous avez renversé tous ses boulevards, et ses citadelles nont pu le mettre en sûreté. Tous les passants lont pillé; il est devenu lopprobre de ses voisins. Vous avez protégé ceux- qui lopprimaient et donné des sujets de joie à ses ennemis. Vous avez émoussé la pointe de 1. Ps. LXXXVIII 34-36. 2. Ps. LXXXVIII, 37.
son épée et ne lavez point aidé dans le combat. Vous avez obscurci léclat de sa gloire et brisé son trône. Vous avez abrégé u le temps de son règne, et il est couvert de confusion 1». Tous ces malheurs sont tombés sur la Jérusalem esclave, où même quelques enfants de la liberté ont régné, quoiquils ne soupirassent quaprès la Jérusalem céleste dont ils étaient sortis et où ils espéraient régner un jour par le moyen du Christ véritable. Mais si lon veut savoir comment tous ces maux lui sont arrivés, il faut lapprendre de lhistoire.
CHAPITRE XI.DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE LENFER.
Le Prophète adresse ensuite une prière à Dieu; mais sa prière même est une prophétie: «Jusques à quand , Seigneur, détournerez-vous jusquà la fin? » il faut sous-entendre votre face ou votre miséricorde. Par la fin, sont exprimés les derniers temps où cette nation même croira en Jésus-Christ. Mais, avant cela, il faut que tous les malheurs que le Prophète a déplorés arrivent. Cest pourquoi il ajoute : « Votre colère sallumera comme un feu. Souvenez-vous quelle est ma substance ». Par cette substance, lon ne peut rien concevoir de mieux que Jésus-Christ même, qui a tiré de ce peuple sa substance et sa nature humaine. «Car ce nest pas en vain, dit-il, que vous avez créé tous les enfants des hommes ». En effet, sans ce fils de lhomme, sans cette substance dIsraël par qui sont sauvés plusieurs enfants des hommes, ce serait en vain que les enfants des hommes auraient été créés, tandis que maintenant il est vrai que toute la nature humaine est tombée de la vérité dans la vanité par le péché du premier homme, doù vient cette parole dun autre psaume: « Lhomme est devenu semblable à une chose vaine et chimérique; ses jours sévanouissent comme lombre 2; mais ce nest pourtant pas en vain que Dieu a créé tous les enfants des hommes, puisquil en délivre plusieurs par le médiateur Jésus, et que les autres, quil a prévus ne devoir pas délivrer, il les a créés en vertu dun dessein très-beau et très-juste, pour servir au bien des élus, et pour relever
1. Ps. LXXXVIII, 40-46. 2. Ps. CXLIII, 5.
(376)
par lopposition des deux cités léclat et la gloire de la céleste. Le Psalmiste ajoute : « Quel est cet homme qui vivra et ne mourra point; il délivrera son âme des mains de lenfer 1 ». Quel est-il, en effet, sinon cette substance dIsraël tirée de David, cest-à-dire Jésus-Christ, dont lApôtre dit 2 : « Une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus, et la mort na plus dempire sur lui ». Bien quil vive maintenant et quil ne soit plus sujet à la mort, il na pas laissé de mourir; mais il a délivré son âme de lenfer, où il était descendu pour rompre les liens du péché qui en retenaient quelques-uns captifs. Or, il la délivrée par cette puissance dont il dit dans lEvangile: « Jai le pouvoir de quitter mon âme et jai le pouvoir de la reprendre 3 ».
CHAPITRE XII.COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME : « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. »
Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu : « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment dexercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de lopprobre de vos serviteurs, et quil ma fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis mont faits du changement de votre Christ ». En méditant ces paroles, il est permis de demander si elles sappliquent aux Israélites, qui désiraient que Dieu accomplît la promesse quil avait faite à David, ou bien à la personne des chrétiens qui sont Israélites selon lesprit et non selon la chair. Il est certain, en effet, quelles ont été dites ou écrites du vivant dAethan, dont le nom est à la tête de ce psaume et sous le règne de David; et par conséquent il ny a point dapparence que lon pût dire alors: « Seigneur, où sont les anciennes « miséricordes que vous avez fait serment dexercer envers David? » à moins que le Prophète ne se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après et à légard de qui ces promesses faites à David étaient anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, que
1. Ps. LXXXVIII, 49. 2. Rom. VI, 9. 3. Jean, X, 18.
lEcriture appelle un changement, parce quen mourant il est devenu immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été reproché aux Juifs, en ce quau lieu quils lattendaient comme leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. Cest ce que plusieurs peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore aujourdhui; de sorte que cest en leur personne quil est dit: « Souvenez-vous, Seigneur, de lopprobre de vos serviteurs », parce que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère, doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce de1Evangile. Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît pas à propos dappeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ à qui lon reproche que le Christ les a abandonnés pour passer aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui, exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ, se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés dun ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu: « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment dexercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de lopprobre de vos serviteurs, et quil ma fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis mont faits du changement de votre Christ », ce changement étant pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire: Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que jai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire aussi, entendant par le changement du Christ, quils ne devaient pas attendre de lui une félicité temporelle semblable à celle dont ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle ; et cest le changement que les nations idolâtres reprochaient, sans sen douter, au peuple de Dieu, lorsquelles linsultaient dans sa captivité. Cest aussi ce qui se trouve ensuite dans le même psaume et qui en fait la conclusion: « Que la bénédiction du Seigneur (377) demeure éternellement ; ainsi soit-il, ainsi soit-il » ; voeu très-convenable à tout le peuple de Dieu qui appartient à la Jérusalem céleste, soit à légard de ceux qui étaient cachés dans lAncien Testament avant que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction du Seigneur promise à la race de David nest pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir dautres bornes que léternité. La certitude de lespérance que nous en avons est marquée par la répétition de ces mots: « Ainsi soit-il, ainsi soit-il ». Cest ce que David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du Psaume: « Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de David 1 »; et un peu après : « Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la maison de votre serviteur, etc. 2 » parce quil était prêt dengendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais dun temple qui est fait dhommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous 3, Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David: « Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison 4 »; David dit ensuite à Dieu: « Seigneur tout-puissant, Dieu dIsraël, vous avez révélé à votre serviteur que vous lui bâtiriez une maison 5». En effet, nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent 6. » Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison sera venu, alors saccomplira ce que Dieu dit ici par Nathan: « Jassignerai un lieu à mon peuple, et ly établirai, afin quil « y demeure séparé des autres nations et que
1. II Rois, VII, 19. 2. Ibid. 25. 3. I Cor. XV, 28. 4. II Rois, VII, 11. 5. Ibid. 27. 6. Ps. CXXVI, 1.
rien ne trouble son repos à lavenir. Les méchants ne lopprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire1 ».
CHAPITRE XIII.LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN NEST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON.
Cest une folie dattendre ici-bas un si grand bien, ou de simaginer que ceci ait été accompli sous le règne de Salomon, à cause de la paix dont on y jouit. LEcriture ne relève cette paix que parce quelle était la figure dune autre; et elle-même a eu soin de prévenir cette interprétation, lorsque, après avoir dit: « Les méchants ne lopprimeront plus », elle ajoute aussitôt: « comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire ». Ce peuple, avant dêtre gouverné par des rois, fut gouverné par des Juges, et les méchants, cest-à-dire ses ennemis , lopprimaient par moments; mais, avec tout cela, on trouve sous les Juges de plus longues paix que celle du règne de Salomon, qui dura seulement quarante ans. Or, il y en eut une de quatre-vingts ans sous Aod. Loin donc, loin de nous lidée que cette promesse regarde le règne de Salomon, et beaucoup moins celui dun autre roi, puisque pas un deux na joui de la paix aussi longtemps que lui , et que cette nation na cessé dappréhender le joug des rois, ses voisins. Et nest-ce pas une suite nécessaire de linconstance des choses du monde quaucun peuple ne possède un empire si bien affermi quil nait pas à redouter linvasion étrangère? Ainsi, ce lieu dune habitation si paisible et si assurée, qui est ici promis, est un lieu éternel, et qui est dû à des habitants éternels dans la Jérusalem libre où régnera véritablement le peuple dIsraël ; car Israël signifie voyant Dieu. Et nous, pénétrés du désir de mériter une si haute récompense, que la foi nous fasse vivre dune vie sainte et innocente à travers ce douloureux pèlerinage! CHAPITRE XIV.DES PSAUMES DE DAVID.
La Cité de Dieu poursuivant son cours dans le temps, David régna dabord sur la Jérusa1cm terrestre, qui était une ombre et une
1. II Rois, VII, 10.
figure de la Jérusalem à venir. Ce prince était savant dans la musique, et il aimait lharmonie, non pour le plaisir de loreille, mais avec une intention plus élevée, pour consacrer à son Dieu des cantiques remplis de grands mystères. Lassemblage et laccord de plusieurs tons différents sont en effet une image fidèle de lunion qui enchaîne les différentes par-tics dune cité bien ordonnée. On sait que toutes les prophéties de David sont contenues dans les cent cinquante psaumes que nous appelons le Psautier. Or , les uns veulent quentre ces psaumes , ceux-là seulement soient de lui qui portent son nom; dautres ne lui attribuent que ceux qui ont pour titre de David, et disent que ceux où on lit à David ont été faits par dautres et appropriés à sa personne. Mais ce sentiment est réfuté par le Sauveur même dans lEvangile, lorsquil dit 1 que David lui-même a appelé le Christ son Seigneur dans le psaume cent neuf, en ces termes: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusquà ce que jaie abattu vos ennemis sous vos pieds 2 » . Or, ce psaume na pas pour titre de David, mais â David. Il lui semble donc que lopinion la plus vraisemblable, cest que tous les psaumes sont de David, et que, sil en a intitulé quelques-uns dautres noms que du sien, cest que ces noms ont un sens figuratif, quant à ceux quil a laissés sans y mettre de nom, cest par une inspiration de Dieu, dont le motif caché couvre sans doute de profonds mystères. Il ne faut point sarrêter à ce que certains psaumes portent en tête les noms de quelques prophètes qui ne sont venus que longtemps depuis David, et qui semblent toutefois y parler ; car lesprit prophétique qui inspirait ce prince a fort bien pu aussi lui révé1er les noms de ces prophètes, et lui suggérer des chants qui leur étaient appropriés, comme nous voyons 3 quun certain prophète a parlé de Josias et de ses actions plus de trois cents ans avant la naissance de ce roi.
CHAPITRE XV.SIL CONVIENT DENTRER ICI DANS LEXPLICATION DES PROPHÉTIES CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
Je vois bien quon attend de moi que jexplique ici les prophéties de Jésus-Christ
1. Matt. XXII, 42, 2. Ps. CIX, I. 3. III Rois, XIII.
et de son Eglise qui sont dans les psaumes; mais ce qui me retient, quoique ayant déjà donné lexplication dun de ces divins cantiques, cest plutôt labondance que le défaut de la matière. Il serait trop long, en effet, dexpliquer ces prophéties; et si je restreignais mon choix, jaurais à craindre que les hommes versés en ces problèmes ne maccusassent davoir omis les plus essentielles. Dailleurs, un témoignage quon produit dun psaume doit être confirmé par toute la suite du psaume, afin que , si tout ne sert pas à lappuyer, rien au moins ny soit contraire. En procédant de toute autre façon, on ferait des centons que lon appliquerait à son sujet dans un sens tout différent de celui que les pièces ont à leur place naturelle. Pour montrer ce rapport de toutes les parties du psaume, avec le témoignage quon en voudrait faire sortir, il serait besoin de lexpliquer tout entier. Or, quel travail exigerait cette méthode, il est aisé de limaginer, pour peu quon sache ce que dautres ont entrepris en ce genre et ce que nous avons nous-même essayé ailleurs. Que celui qui en aura la volonté et le loisir lise ces commentaires, et il y verra combien de grandes choses David a prophétisées de Jésus-Christ et de son Eglise, cest-à-dire de la cité quil a fondée et de son roi.
CHAPITRE XVI.LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
Quelles que soient, en toutes choses, la propriété et la clarté des expressions prophétiques , il faut aussi quil y en ait de figurées, et ce sont celles-là qui donnent de lexercice aux savants, quand ils veulent les expliquer à des esprits moins ouverts. Il en est toutefois qui désignent, à la première vue, le Sauveur et son Eglise, quoiquil y reste toujours quelque chose dobscur qui demande à être expliqué à loisir; par exemple, ce passage du psaume quarante-quatre: « Mon coeur me presse de dire de grandes choses; je veux consacrer mes ouvrages à la gloire de mon Roi. Ma langue est comme la plume dun écrivain qui écrit très-vite. Vous êtes le plus beau des enfants des hommes; les grâces sont répandues sur vos lèvres; cest pourquoi Dieu vous a comblé de ses (379) bénédictions pour jamais. Très-puissant, ceignez votre épée. Beau et gracieux comme vous lêtes, vous ne sauriez manquer de réussir dans vos entreprises et de vous rendre maître des coeurs. La vérité, la douceur et la justice accompagnent vos pas, et vous signalerez votre puissance par des actions miraculeuses. Dieu tout-puissant, que vos flèches sont aigües ! vous en percerez le coeur de vos ennemis, et les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï liniquité; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme dun heaume exquis, dont il vous a sacré avec plus dabondance que tous vos compagnons. Vos vêtements sont imprégnés de myrrhe et daloès; des essences de parfum sexhalent de vos palais divoire, et cest ce qui vous a gagné le coeur des jeunes filles au jour de votre triomphe ». Quel est lesprit assez grossier pour ne pas reconnaître dans ces paroles le Christ que nous prêchons et en qui nous croyons? Qui ne le voit désigné par ce Dieu dont le trône est éternel, et que Dieu sacre en Dieu , cest-à-dire dun chrême spirituel et invisible?Est-il un homme assez étranger à notre religion et assez sourd au bruit quelle fait de toutes parts pour ignorer que le Christ sappelle ainsi de son sacre et de son onction? Or, ce roi une fois reconnu, que signifient les autres traits de cette peinture symbolique, par exemple, quil est le plus beau des enfants des hommes, dune beauté sans doute dautant plus digne damour et dadmiration quelle est moins corporelle ? Que veut dire cette épée , et que sont ces flèches ? cest à quiconque sert ce Dieu et règne par la vérité, la douceur et la justice, à examiner ces questions à loisir. Jetez ensuite les yeux sur son Eglise, sur cette compagne unie à un si grand époux par un mariage spirituel et par les liens dun amour divin, elle, dont il est dit peu après : « La reine sest assise à votre droite avec un habit rehaussé dor et de broderie. Ecoutez, ma fille, voyez et prêtez loreille; oubliez votre pays et la maison de votre père; car le roi a été pris damour pour votre beauté, et il est le Seigneur votre Dieu. Les habitants de Tyr ladoreront avec des présents; les plus riches du peuple vous feront la cour. Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans, et elle est vêtue dune robe à franges dor, toute couverte de broderies. On amènera au roi les filles de sa suite; on vous offrira celles qui approchent de plus près de sa personne. On les amènera avec joie et allégresse; on les fera entrer dans le palais du roi. Il vous est né des enfants à la place de vos pères; vous les établirez princes sur tout lunivers. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la suite de tous les âges. Cest pourquoi tous les peuples vous loueront éternellement et dans tous les siècles ». Je ne pense pas que quelquun soit assez fou pour simaginer que ceci doit sentendre dune simple femme, puisque cette femme est lépouse de celui à qui il est dit: « Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï liniquité ; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme dun beaume exquis, dont il vous a sacré avec plus dabondance que tous vos compagnons. » Cest Jésus-Christ qui a été ainsi sacré dune onction plus pleine que tout le reste des chrétiens ; et ceux-là sont les compagnons de sa gloire, dont lunion et la concorde par tout lunivers sont figurées par cette reine appelée dans un autre psaume la cité du grand roi 1. Voilà cette spirituelle Sion dont le nom signifie contemplation, parce quelle contemple les grands biens de lautre vie et y tourne toutes ses pensées ;voilà cette Jérusalem céleste dont nous avons dit tant de choses, et qui a pour ennemie la cité du diable, Babylone, cest-à-dire confusion. Cest par la régénération que cette reine est délivrée de la domination de Babylone, et passe de la domination dun très- méchant prince sous celle dun très-bon roi. On lui dit pour cette raison : « Oubliez votre pays et la maison de votre père ». Les Israélites, qui ne sont tels que selon la chair et non par la foi, font partie de cette cité impie, et sont ennemis du grand roi et de la reine, son épouse. Car, puisquils ont mis à mort celui qui était venu vers eux, le Christ a été plutôt le sauveur de ceux quil na pas vus, alors quil était sur la terre revêtu dune chair mortelle. Aussi dit-on à notre roi dans un psaume : « Vous me délivrerez des révoltes de ce peuple, vous métablirez chef des
1. Ps. XLVII, 2,
(380)
nations. Un peuple que je ne connaissais point ma servi; il ma obéi aussitôt quil a entendu parier de moi 1 » Le peuple des Gentils que le Christ na pas connu lorsquil était au monde, et qui néanmoins croit en lui sur ce quil a appris, en sorte que cest justement quil est écrit de lui : « Il ma obéi aussitôt quil a entendu parler de moi » ; car « la loi vient de louïe 2 » ce peuple, dis-je, joint aux vrais Israélites selon la chair et selon la foi, compose la cité de Dieu, qui a aussi engendré le Christ selon la chair, quand elle nétait quen ces seuls Israélites. De là était la vierge Marie, dans le sein de laquelle le Christ a pris chair pour devenir homme. Cest de cette cité quun autre psaume dit: « On dira de Sion, notre mère: Un. homme et un homme par excellence a été fait en elle, et cest le Très-Haut lui-même qui la fondé 3 ». Quel est ce Très-Haut, sinon Dieu? Et par conséquent le Christ, qui est Dieu et qui létait avant que de devenir homme dans cette cité par lentremise de Marle, la fondée lui-même dans les patriarches et dans les Prophètes. Puis donc que le Sauveur a été prédit si longtemps auparavant à cette cité de Dieu, à cette reine, suivant cette parole que nous voyons maintenant accomplie : « Il vous est né des enfants à la place de vos pères, que vous établirez princes sur tout lunivers 4 » quelque obscurité quil y ait ici dans les autres expressions figurées, et de quelque façon quon les explique, elles doivent saccorder avec des choses qui soit si claires.
CHAPITRE XVII.DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.
Cest ainsi que dans cet autre psaume où le sacerdoce de Jésus-Christ est déclaré ouvertement, comme ici sa royauté, ces paroles pouvaient sembler obscures: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusquà ce que jabatte vos ennemis sous vos pieds ». En effet, nous ne voyons pas Jésus-Christ assis à la droite de Dieu le père, nous le croyons; ni ses ennemis abattus sous ses pieds, cela ne se verra quà la fin du
1. Ps. XVII, 44. 2. Rom. X, 17. 3. Ps. LXXXVI, 5. 4. Ps. XLIV, 18.
monde. Mais lorsque le Psalmiste chante: « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre empire, et vous régnerez souverainement au milieu de vos ennemis » ; cela est si clair quil faudrait être aussi impudent quimpie pour le nier. Nos adversaires mêmes avouent que la loi de Jésus-Christ, que nous appelons lEvangile, et que nous reconnaissons pour le sceptre de son empire, est sortie de Sion. Quant au règne quil exerce au milieu de ses ennemis, ceux mêmes sur qui il lexerce le témoignent assez par leur rage et leur jalousie. On lit un peu après: « Le Seigneur a juré, et il ne sen dédira point, que vous serez le prêtre éternel selon lordre de Melchisédech» ; or , puisquil ny a plus maintenant nulle part de sacerdoce ni de sacrifice selon lordre dAaron, et quon offre partout sous le souverain pontife, Jésus-Christ, ce quoffrit Melchisédech quand il bénit Abraham 1,qui peut ne pas voir de qui ceci est dit? Il faut donc rapporter à ces choses claires et évidentes celles qui dans le même psaume sont un peu obscures et que nous avons déjà expliquées dans les sermons que nous en avons faits au peuple. Ainsi, ce que Jésus-Christ dit dans un autre psaume où il parle de sa propre passion: «Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ont compté mes os; ils mont considéré et regardé 2» ; cela, dis-je, est clair, et lon voit bien quil parle de son corps étendu sur la croix, pieds et mains cloués, et servant en cet état de spectacle à ses ennemis; dautant plus quil ajoute : « Ils ont partagé entre eux mes vêtements et jeté ma robe au sort » : prophétie dont laccomplissement se trouve marqué dans le récit de IEvangile. Les traits tout aussi clairs qui sont dans ce psaume doivent servir de lumière aux autres; car, entre les faits qui y sont évidemment prédits, il y en a qui saccomplissent encore tous les jours à nos yeux, comme ce qui suit : « Toutes les parties de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront à lui, et toutes les autres nations du monde « lui rendront leurs adorations et leurs hommages, parce que lempire appartient au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations».
1. Gen. XIV, 18. 2. Ps., XXI, 18.
(381)
CHAPITRE XVIII.DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.
Les oracles des psaumes nont pas non plus gardé le silence sur la résurrection du Christ. Que signifient en effet ces paroles du troisième psaume : « Je suis endormi et jai sommeillé, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur ma pris? » Y a-t-il quelquun dassez peu sensé pour croire que le Prophète nous aurait voulu apprendre comme une chose considérable quil sest éveillé après sêtre endormi, si ce sommeil nétait la mort, et ce réveil la résurrection de Jésus-Christ, quil devait prédire de la sorte ? Le psaume quarante en parle encore plus clairement, lorsquen la personne du médiateur, le Prophète, selon sa coutume, raconte comme passées des choses quil prophétise pour lavenir, parce que, dans la prescience de Dieu, les choses à venir sont en quelque sorte arrivées, à cause de la certitude de leur accomplissement. « Mes ennemis, dit-il, ont fait des imprécations contre moi: quand mourra-t-il, et quand sa mémoire sera-t-elle abolie? Sil venait me voir, il me parlait avec déguisement, et se fortifiait dans sa malice ; et il nétait pas plutôt sorti quil sattroupait avec les autres. Tous mes ennemis formaient des complots contre moi ; ils faisaient tous le dessein de me perdre. Ils ont pris contre moi des résolutions injustes; mais celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? » Cest comme sil disait : Celui qui meurt ne ressuscitera-t-il pas? Ce qui précède montre-assez que ses ennemis avaient conspiré sa mort, et que toute cette trame avait été conduite par celui qui entrait et sortait pour le trahir. Or, à qui ne se présente ici le traître Judas, devenu, de disciple de Jésus, le plus cruel de ses ennemis? Pour leur faire sentir quils limmoleraient en vain, puisquil devait ressusciter, il leur dit: « Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? » ce qui revient à ceci: Que faites-vous, pauvres insensés ? ce qui est un crime pour vous nest quun sommeil pour moi. Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? Et néanmoins, pour prouver quun crime si énorme ne demeurerait pas impuni, il ajoute: « Celui qui vivait avec moi dans une si grande union, en qui javais mis ma confiance, et qui mangeait de mon pain, ma mis le pied sur la gorge. Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, et me rendez la vie, et je me vengerai deux ». Ne voit-on pas cette vengeance, quand on considère les Juifs expulsés de leur pays après de sanglantes défaites depuis la mort et la passion de Jésus-Christ? Après quil eut été mis à mort par eux, il est ressuscité, et les a châtiés de peines temporelles, en attendant celles quil leur réserve pour ne sêtre pas convertis, lorsquil jugera les vivants et les morts. Le Sauveur même montrant le traître à ses Apôtres en lui présentant un morceau de pain, fit mention de ce verset du psaume 1, et dit quil devait saccomplir en lui : « Celui qui mangeait de mon pain ma mis le pied sur la gorge ». Quant à ce quil ajoute : «En qui javais mis ma confiance », cela ne convient pas au chef, mais au corps; car le Sauveur connaissait bien celui dont il avait déjà dit: « Lun de vous est le diable 2 » ; mais il a coutume dattribuer à sa personne ce qui appartient à ses membres, parce que la tête et le corps ne font quun Christ, doù viennent ces paroles de lEvangile: « Jai eu faim, et vous mavez donné à manger 3 » ; ce que lui-même explique ainsi : « Quand vous avez, dit-il, rendu ces services aux plus petits de ceux qui sont à moi, cest à moi que vous les avez rendus». Sil dit quil avait mis sa confiance en Judas, cest que ses disciples avaient bien espéré de celui-ci, quand il fut mis au nombre des Apôtres. Quant aux Juifs, ils ne croient pas que le Christ quils attendent doive mourir. Aussi ne pensent-ils pas que celui que la loi et les Prophètes ont annoncé soit pour nous ; mais ils prétendent quil doit leur appartenir unique-nient, et quil sera exempt de la mort. Ils soutiennent donc, par une folie et un aveuglement merveilleux, que les paroles que nous venons de rapporter ne doivent pas sentendre de la mort et de la résurrection, mais du sommeil et du réveil. Mais le psaume quinze leur crie : « Cest pour cela que mon coeur est plein de joie, que ma langue se répand en « des chants dallégresse, et que vous ne laisserez point mon âme en enfer, et que vous ne « permettrez pas que votre saint souffre aucune corruption ». Quel autre parlerait avec autant de confiance de celui qui est ressuscité le
1. Jean, XIII, 26. 2. Ibid. VI, 71 3. Matt. XXV, 35. 4. Ibid. 40
(382)
troisième jour ? Peuvent-ils lentendre de David ? Le psaume soixante-sept crie de son côté : « Notre Dieu est un Dieu qui sauve, et le Seigneur même sortira par la mort ». Que peut-on dire de plus clair ? Le Seigneur Jésus nest-il pas un Dieu qui sauve, lui dont le nom même signifie Sauveur? En effet, cest la raison qui en fut rendue quand lange dit à la Vierge : «Vous enfanterez un fils que vous « nommerez Jésus, parce quil sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés 1 ». Comme il a versé son sang pour obtenir la rémission de ces péchés, il na pas dû autrement sortir de cette vie que par la mort. Cest pour cette raison que le Prophète, après avoir dit : « Notre Dieu est un Dieu qui sauve », ajoute aussitôt : « Et le Seigneur même sortira par la mort », pour montrer que cétait en mourant quil devait sauver. Or, il dit avec admiration : « Et le Seigneur même », comme sil disait: Telle est la vie des hommes mortels que le Seigneur même nen a pu sortir que par la mort.
CHAPITRE XIX.LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE LOBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.
Certes, les Juifs ne résisteraient pas à des témoignages si clairs confirmés par lévénement, si la prophétie du psaume soixante-huit ne saccomplissait en eux. Après que David a introduit Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa passion, ce que nous voyons accompli dans lEvangile : « Ils mont donné du fiel à manger, et du vinaigre à boire quand jai eu soif 2 » ; il ajoute: « Quen récompense leur table devienne un piège et une pierre dachoppement; que leurs yeux « soient obscurcis, afin quils ne voient point, et chargez-les de fardeaux qui les fassent marcher tout courbés », et autres malheurs quil ne leur souhaite pas, mais quil leur prédit comme sil les leur souhaitait. Quelle merveille donc quils ne voient pas des choses si évidentes, puisque leurs yeux ne sont obscurcis quafin quils ne les voient pas? quelle merveille quils ne comprennent pas les choses du ciel, eux qui sont toujours accablés de pesants fardeaux qui les courbent contre terre? Ces métaphores prises du corps marquent réellement les vices de lesprit. Mais
1. Luc, I, 31; Matt. I, 21. 3. Matt. XXVII, 34.
cest assez parler des psaumes, cest-à-dire de la prophétie de David, et il faut mettre quelques bornes à ce discours. Que ceux qui savent toutes ces choses mexcusent et ne se plaignent pas de moi, si jai peut-être omis dautres témoignages quils estiment encore plus forts.
CHAPITRE XX.DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.
David régna donc dans la Jérusalem terrestre, lui qui était enfant de la céleste, et à qui lEcriture rend un témoignage de gloire, parce quil effaça tellement ses crimes par les humiliations dune sainte patience quil est sans doute du nombre de ces pécheurs dont il dit lui même: « Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés couverts 1 !» A David succéda son fils Salomon, qui, comme nous lavons dit ci-dessus, fut couronné du vivant de son père. La tin de son règne ne répondit pas aux espérances que les commencements avaient fait concevoir; car la prospérité, qui corrompt dordinaire les plus sages, lemporta sur cette haute sagesse dont le bruit sest répandu dans tous les siècles. On reconnaît que ce prince a aussi prophétisé dans ses trois livres, que lEglise reçoit au nombre des canoniques et qui sont les Proverbes, lEcclésiaste et le Cantique des cantiques. Pour les deux autres, intitulés la Sagesse et lEcclésiastique, on a coutume de les lui attribuer, à cause de quelque ressemblance de style; mais les doctes tombent daccord quils ne sont pas de lui. Toutefois il y a longtemps quils ont autorité dans lEglise, surtout dans celle dOccident. La passion du Sauveur est clairement prédite dans celui quon appelle la Sagesse. Les infâmes meurtriers de Jésus-Christ y parlent de la sorte : « Opprimons le juste, il nous est incommode et il soppose sans cesse à nos desseins; il nous reproche nos péchés et publie partout nos crimes; il se vante de connaître Dieu et il se nomine insolemment son fils; il contrôle jusquà nos pensées, et sa vue même nous est à charge; car il mène une vie toute différente de celle des autres, et sa conduite est tout extraordinaire. Il nous regarde comme des bagatelles et fuit notre manière
1. Ps. XXXI, 1.
(383) dagir comme la peste; il estime heureuse la mort des gens de bien et se glorifie davoir Dieu pour père. Voyons donc si ce quil dit est vrai, et éprouvons quelle sera sa fin. Sil est vraiment fils de Dieu, Dieu le protégera et le tirera des mains de ses ennemis. Faisons-lui souffrir toutes sortes daffronts et de tourments pour voir jusquoù vont sa modération et sa patience. Condamnons-le à une mort ignominieuse, car nous jugerons de ses paroles par ses actions. Voilà quelles ont été leurs pensées; mais ils se sont trompés, parce que leur malice les a aveuglés ». Quant à lEcclésiastique, la foi des Gentils y est prédite ainsi : « Seigneur, qui êtes le maître de tous les hommes, ayez pitié de nous, et que tous les peuples vous craignent. Etendez votre main sur les nations étrangères, afin quelles reconnaissent votre personne et que vous soyez glorieux en elles comme vous lêtes en nous, et quelles apprennent avec nous quil ny a point dautre Dieu que vous, Seigneur ». Cette prophétie conçue en forme de souhait, nous ta voyons accomplie par Jésus-Christ; mais comme ces Ecritures ne sont pas canoniques parmi les Juifs , elles ont moins de force contre les opiniâtres. Pour les autres trois livres, qui, certainement, sont de Salomon, et que les Juifs reconnaissent pour canoniques, il serait trop long et très-pénible de montrer comment tout ce qui sy trouve se rapporte à Jésus-Christ et à son Eglise. Toutefois ce discours des impies dans les Proverbes: « Mettons le juste au tombeau et dévorons-le tout vivant; abolissons-en la mémoire sur la face de la terre, emparons-nous de ce quil possède de plus précieux 1 »; ce discours , dis-je, nest pas si obscur quon ne le puisse aisément entendre de Jésus-Christ et de lEglise, qui est son plus précieux héritage. Notre-Seigneur lui-même, dans la parabole des mauvais vignerons, leur fait tenir un discours semblable, quand, apercevant le fils du père de famille : « Voici, disent-ils, lhéritier ; allons, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage 2 »Tous ceux qui savent que Jésus-Christ est la Sagesse de Dieu nentendent aussi que de lui et de son Eglise cet autre endroit des Proverbes que nous avons touché plus haut, lorsque nous parlions de la femme stérile qui a
1. Prov. I, 11. 2. Matt. XXI, 38.
engendré sept enfants : « La Sagesse, dit Salomon, sest bâti une maison, et la appuyée sur sep colonnes. Elle a immolé ses victimes, mêlé son vin dans une coupe et dressé sa table; elle a envoyé ses serviteurs pour convier hautement à boire du vin de sa coupe, disant: « Que celui qui nest pas sage vienne à moi; et à ceux qui manquent de sens, elle a parlé ainsi : Venez, mangez de mes pains, et buvez le vin que je vous ai préparé 1 ». Ces paroles nous font connaître clairement que la sagesse de Dieu, cest-à-dire le Verbe coéternel au Père, sest bâti une maison dans le sein dune vierge en y prenant un corps, quil sest uni lEglise comme les membres à la tête, quil a immolé les martyrs comme des victimes, quil a couvert une table de pain et de vin, où se voit même le sacerdoce selon lordre de Melchisédech, enfin, quil y a invité les fous et les insensés, parce que, comme dit lApôtre: « Dieu a choisi les faibles selon le monde pour confondre les puissants 2 ». Néanmoins, cest à ces faibles que la Sagesse a dit ensuite: « Quittez votre folie afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin dacquérir la vie3 ». Or, avoir place à sa table, cest commencer davoir la vie. Que peuvent signifier de mieux ces autres paroles de lEcclésiaste : « Lhomme na dautre bien que ce quil boit et mange 4 ? » quest-ce, dis-je, que ces paroles peuvent signifier, sinon la participation à cette table, où le souverain prêtre et médiateur du Nouveau Testament nous donne son corps et son sang selon lordre de Melchisédech, et ce sacrifice a succédé à tous les autres de lAncien Testament, qui nétaient que des ombres et des figures de celui-ci ? Aussi reconnaissons-nous la voix de ce même médiateur dans la prophétie du psaume trente-neuf: « Vous navez point voulu de victime ni doffrande, mais vous mavez disposé un corps 5», parce que, pour tout sacrifice et oblation, son corps est offert et servi à ceux qui y participent. Que lEcclésiaste nentende pas parler de viandes charnelles dans son invitation perpétuelle à boire et à manger, cette parole le prouve clairement : « Il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans celle où lon fait bonne chère 6 »; et un peu après: « Les sages ai« ment à aller dans une maison de deuil, et
1. Prov. IX, 1-5. 2. I Cor. I, 27. 3. Prov. IX, 6. 4. Ecclés. V, 15. 5. Ps. XXXIX, 9. 6. Ecclés. VII, 3.
et les fous dans une maison de festins et de débauches 1 ». Mais il vaut mieux rapporter ici de ce livre ce qui regarde les deux cités, celle du diable et celle de Jésus-Christ, et les rois de lune et de lautre : « Malheur à vous, terre, dont le roi est jeune et dont les princes mangent dès le matin ! Mais bénie soyez-vous, terre, dont le roi est fils des libres, et dont les princes mangent dans le temps convenable, sans impatience et sans confusion 2 ». Ce jeune roi est le diable, que Salomon appelle ainsi à cause de sa folie, de son orgueil, de sa témérité, de son insolence, et des autres vices auxquels les jeunes gens sont sujets. Jésus-Christ, au contraire, est fils des libres, cest-à-dire des saints patriarches appartenant à la cité libre dont il est issu selon la chair. Les princes de cette cité qui mangent dès le matin, cest-à-dire avant le temps, désignent ceux qui se hâtent de goûter la fausse félicité de ce monde, sans vouloir attendre celle de lautre, qui est la seule véritable, au lieu que les princes de la cité de Jésus-Christ attendent avec patience le temps dune félicité qui ne trompe point. Cest ce quil veut dire par ces paroles, « sans impatience et sans confusion », parce quils ne se repaissent point dune vaine espérance, suivant cette parole de lApôtre : « Lespérance ne confond point 3 », et cette autre du psaume: « Tous ceux qui vous attendent avec patience ne seront point confondus 4 ». Quant au Cantique des cantiques, cest une réjouissance spirituelle des saintes âmes aux noces du roi et de la reine de la Cité céleste, cest-à-dire de Jésus-Christ et de lEglise mais cette joie est cachée sous le voile de lallégorie, afin quon ait plus denvie de la connaître et plus de plaisir à la découvrir, et dy voir cet époux à qui on dit au même cantique: « Ceux qui sont justes nous aiment 5 », et cette épouse à qui lon dit aussi : « La charité fait vos délices 6 ». Nous passons sous silence plusieurs autres choses pour ne pas excéder les bornes de ces, ouvrage.
CHAPITRE XXI.DES ROIS DE JUDA ET DISRAËL APRÈS SALOMON.
Peu de paroles ou dactions des autres rois qui viennent après Salomon, soit dans Juda,
1. Eccés. VII, 5. 2. Ibid. X, 16. 3. Rom. V, 5. 4. Ps. XXIV, 3. 5. Cant. I, 3. 6. Ibid. VII, 6
soit dans Israël, peuvent se rapporter à Jésus-Christ et à son Eglise. Je dis dans Juda ou dans Israël, parce que ce furent les noms que portèrent ces deux parties du peuple, depuis que Dieu leut divisé pour le crime de Salomon sous son fils Roboam qui lui succéda. Les dix tribus 1 dont Jéroboam, esclave de Salomon, fut établi roi, et dont Samarie était la capitale, retinrent le nom dIsraël, qui était celui de tout le peuple. Les deux autres tribus, Juda et Benjamin, qui étaient demeurées à Roboam en considération de David dont Dieu ne voulait pas entièrement détruire le royaume, et qui avaient Jérusalem pour capitale, sappelèrent le royaume de Juda, parce que Juda était la tribu doù David était issu. La tribu de Benjamin, dont était sorti Saül, prédécesseur de David, faisait aussi partie du royaume de Juda, qui sappelait ainsi pour se distinguer du royaume dIsraël qui comprenait dix tribus. Celle de Lévi, comme sacerdotale et consacrée au service de Dieu, ne faisait partie ni de lun ni de lautre royaume, et était comptée pour la treizième. Or, ce nombre impair des tribus Venait de ce que, des douze enfants de Jacob qui en avaient établi chacun une, Joseph en avait fondé deux, Ephraïm et Manassé. Toutefois, on peut dire que la tribu de Lévi appartenait plutôt au royaume de Juda, à cause du temple de Jérusalem où elle exerçait son ministère. Après ce partage du peuple, Roboam, fils de Salomon, fut le premier roi de Juda, et établit le siége de son empire à Jérusalem; et Jéroboam, son serviteur, fut le premier roi dIsraël, et fixa sa résidence à Samarie. Comme Roboam voulait faire la guerre à Israël sous prétexte de rejoindre à son empire cette partie que la violence dun usurpateur avait démembrée, Dieu len empêcha et lui fit dire par son prophète que lui-même avait conduit tout cela; ce qui montra que ni Israël ni Jéroboam nétaient coupables de cette division, mais quelle était arrivée par la seule volonté de Dieu, qui avait ainsi vengé le crime de Salomon. Lors donc que les deux partis eurent reconnu que cétait un coup du ciel, ils demeurèrent en paix; dautant plus que ce nétait quune division de royaume, et non pas de religion.
1. III Rois, XII, 24
(385) CHAPITRE XXII.IDOLÂTRIE DE JÉROBOAM.
Mais Jéroboam, roi dIsraël, assez malheureux pour se défier de la bonté de Dieu, bien quil leût éprouvé fidèle et reçu de sa main la couronne quil lui avait promise, appréhenda que Roboam ne séduisît ses sujets, lorsquils iraient au temple de Jérusalem; où tout le peuple juif était obligé par la loi de se rendre tous les ans pour sacrifier, et que les siens ne se remissent sous lobéissance de la lignée royale de David. Pour empêcher cela, il introduisit lidolâtrie dans son royaume et fut cause que son peuple sacrifia aux idoles avec lui. Toutefois, Dieu ne laissa pas de reprendre par ses Prophètes, non-seulement ce prince, mais ses successeurs héritiers de son impiété, et tout le peuple. Parmi ces prophètes sélevèrent Elie et Elisée, qui firent beaucoup de miracles; et comme Eue disait à Dieu: « Seigneur, ils ont égorgé vos Prophètes, ils ont renversé vos autels, je suis resté seul, et ils me cherchent pour me faire mourir 1 »; il lui fut répondu quil y avait encore sept mille hommes qui navaient point plié le genou devant Baal. CHAPITRE XXIII.DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.
Le royaume de Juda, dont Jérusalem était la capitale, ne manqua pas non plus de prophètes, qui parurent de temps en temps, selon quil plaisait à Dieu de les envoyer, ou pour annoncer ce qui était nécessaire, ou pour reprendre les crimes et recommander la justice. Là se trouvèrent aussi des rois, quoiquen moins grand nombre que dans Israël, qui commirent contre Dieu dénormes péchés qui attirèrent le courroux du ciel sur eux et sur Jeur peuple qui les imitait; mais en récompense il y en eut dautres dune vertu signalée : au lieu que tous les rois dIsraël ont été méchants, les uns plus, les autres moins. Lun et lautre parti éprouvait donc diversement la bonne ou la mauvaise fortune, ainsi que la divine Providence tordonnait ou le permettait; et ils étaient affligés non-seulement de guerres étrangères, mais de discordes civiles, où lon voyait éclater tantôt la justice et tantôt
1. III Rois, XIX, 10.
la miséricorde de Dieu, jusquà ce que sa colère, sallumant de plus en plus, toute cette nation fût entièrement vaincue par les Chaldéens, et emmenée captive en Assyrie, dabord le peuple dIsraël, et ensuite celui de Juda, après la ruine de Jérusalem et de son temple fameux. Ils demeurèrent dans cette captivité lespace de soixante-dix années; après, ils furent renvoyés dans leur pays, où ils rebâtirent le temple; et bien que plusieurs dentre eux demeurassent en des régions étrangères et reculées, ils ne furent plus depuis divisés en deux partis, mais ils neurent quun roi qui résidait à Jérusalem; et tous les Juifs, quelque éloignés quils fussent, se rendaient au temple à un certain temps de lannée. Mais ils ne manquèrent pas non plus alors dennemis qui leur firent la guerre; et quand le Messie vint au monde, il les trouva déjà tributaires des Romains.
CHAPITRE XXIV.DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.
Tout le temps qui sécoula depuis leur retour jusquà lavénement du Sauveur, cest-à-dire depuis Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, ils neurent point de prophètes parmi eux. Zacharie, père de saint Jean-Baptiste, et Elisabeth, sa femme, prophétisèrent au temps de la naissance du Messie avec Siméon et Anne. On peut y joindre saint Jean-Baptiste, qui fut le dernier des Prophètes, et qui montra Jésus-Christ, sil ne le prédit; ce qui a fait dire à Notre-Seigneur que « la loi et les Prophètes ont duré jusquà Jean1 ». LEvangile nous apprend aussi que là Vierge même prophétisa avec saint Jean; mais les Juifs infidèles ne reçoivent point ces prophéties, quoique reçues par tous ceux dentre eux qui ont embrassé notre religion. Cest véritablement à cette époque quIsraël a été divisé en deux, de cette division immuable prédite par Samuel et Saut. Pour Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, tous les Juifs les mettent au nombre des livres canoniques; et il ne sera pas hors de propos den rapporter quelques témoignages qui concernent Jésus-Christ et son Eglise. Mais cela se fera plus commodément au livre suivant, et il est temps de mettre un terme à celui-ci.
1. Matt. XI, 13
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