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LIVRE VINGTIÈME : LE JUGEMENT DERNIER.
Du jugement dernier et des témoignages qui lannoncent dans lAncien Testament et dans le Nouveau.
LIVRE VINGTIÈME : LE JUGEMENT DERNIER.
ON NE TRAITERA PROPREMENT DANS CE LIVRE QUE DU JUGEMENT DERNIER, BIEN QUE DIEU JUGE EN TOUT TEMPS.
PAROLES DU DIVIN SAUVEUR QUI ANNONCENT QUIL Y AURA UN JUGEMENT DE DIEU A LA FIN DES TEMPS.
DE LA PREMIÉRE RÉSURRECTION ET DE LA SECONDE.
DU DIABLE ENCHAÎNÉ ET DÉLIÉ DE SES CHAÎNES.
SI LE TEMPS DE LA PERSÉCUTION DE LANTÉCHRIST DOIT ÉTRE COMPRIS DANS LES MILLE ANS.
DES MORTS QUE VOMIT LAMER POUR LE JUGEMENT, ET DE CEUX QUE LA MORT ET LENFER RENDIRENT.
DU NOUVEAU CIEL ET DE LA NOUVELLE TERRE.
DE LA GLORIFICATION ÉTERNELLE DE LÉGLISE, A LA FIN DU MONDE.
CE QUANNONCE SAINT PIERRE TOUCUANT LE JUGEMENT DERNIER
PREUVES DE LA RÉSURRECTION DES MORTS ET DU JUGEMENT DERNIER, TIRÉES DU PROPHÈTE ISAÏE.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE LES BONS SORTIRONT POUR VOIR LE SUPPLICE DES MÉCHANTS.
PROPHÉTIES TIRÉES DES PSAUMES DE DAVID SUR LA FIN DU MONDE ET SUR LE DERNIER JUGEMENT DE DIEU.
DE LA SÉPARATION DES BONS ET DES MÉCHANTS AU JOUR DU JUGEMENT DERNIER.
CHAPITRE PREMIER.ON NE TRAITERA PROPREMENT DANS CE LIVRE QUE DU JUGEMENT DERNIER, BIEN QUE DIEU JUGE EN TOUT TEMPS.
Ayant dessein présentement, avec la grâce de Dieu, de parler du jour du dernier jugement et den établir la certitude contre les impies et les incrédules, nous devons dabord poser comme fondement de notre édifice les témoignages de lEcriture. Ceux qui ny veulent point croire ne leur opposent que des raisonnements humains, pleins derreurs et de mensonges, tantôt soutenant que lEcriture doit sentendre dans un autre sens , et tantôt quelle na point lautorité de la parole divine. Pour ceux qui lentendent en son vrai sens et qui croient quelle renferme la parole de Dieu, je ne doute point quils ny donnent leur assentiment, soit quils le déclarent au grand jour, soit quils rougissent ou quils craignent, sous de vains scrupules, davouer leur foi, soit même que, par une opiniâtreté qui tient de la folie, ils sobstinent à nier la vérité de choses quils savent être vraies, la fausseté de choses quils savent être fausses. Ainsi, ce que lEglise tout entière du vrai Dieu confesse et professe, à savoir que Jésus-Christ doit venir du ciel pour juger les vivants et les morts, voilà ce que nous appelons le dernier jour du jugement de Dieu, cest-à-dire le dernier temps. Car combien de jours durera le jugement suprême? cela est incertain; mais personne nignore, pour peu quil soit versé dans lEcriture sainte, que sa coutume est demployer le mot jour pour celui de temps. Quand donc nous parlons du jour du jugement, nous ajoutons dernier ou suprême, parce que Dieu juge sans cesse et quil a jugé dès le commencement du genre humain, quand il a chassé du paradis et séparé de larbre de la vie les premiers hommes coupables. Bien plus, on peut dire quil a jugé, quand il a refusé son pardon 1 aux anges prévaricateurs, dont le
1. II Pierre, II, 4.
prince, vaincu par lenvie, trompa les hommes, après sêtre trompé lui-même. Ce nest pas non plus sans un juste et profond jugement de Dieu que les démons et les hommes mènent une vie si misérable et sujette à tant derreurs et de peines, les uns dans lair, et les autres sur la terre. Mais quand personne naurait péché, ce serait encore par un jugement équitable de Dieu que toutes les créatures raisonnables demeureraient éternellement unies à leur Seigneur. Et il ne se contente pas de porter sur tous les démons et sur tous les hommes un jugement général, en ordonnant quils soient misérables à cause du péché du premier ange et du premier homme; il juge encore en particulier les oeuvres que chacun deux accomplit en vertu de son libre arbitre. En effet, les démons le prient de ne point les tourmenter, et cest avec justice quil les épargne ou les punit, selon quils lont mérité. Lés hommes aussi sont punis de leurs fautes, le plus souvent dune manière manifeste, et toujours du moins en secret 1, soit dans cette vie, soit après la mort, bien quaucun ne puisse faire le bien, sil nest aidé du ciel, ni faire le mal, si Dieu ne le permet par un jugement très-juste. Car, ainsi que le dit lApôtre: « Il ny a point dinjustice en Dieu 2 »; et ailleurs : « Les jugements de Dieu sont impénétrables, et ses voies incompréhensibles 3 ». Mais nous ne parlerons dans ce livre ni des jugements que Dieu a rendus dès le principe, ni de ceux quil rend dans le présent, mais seulement du dernier jugement, alors que Jésus-Christ viendra du ciel juger les vivants et les morts. Cest bien là le jour suprême du jugement; car alors il ny aura plus lieu à de vaines plaintes sur le bonheur du méchant ou sur le malheur du juste. Alors, en effet, la félicité véritable et éternelle des seuls justes, et le malheur irrévocable et mérité des seuls méchants seront également manifestes.
1. Matt, VIII, 29. 2. Rom. X, 14. 3. Ibid. XI, 33.
(449)
CHAPITRE II.
DU SPECTACLE DES CHOSES HUMAINES, OU LON NE PEUT NIER QUE LES JUGEMENTS DE DIEU NE SE FASSENT SENTIR, BIEN QUILS SE DÉROBENT SOUVENT A NOS REGARDS.
Nous apprenons ici-bas à souffrir patiemment les maux, parce que les bons même les souffrent, et à ne pas attacher un grand prix aux biens, parce que les méchants même y ont part. Ainsi nous trouvons un enseignement salutaire jusque dans les choses où les raisons de la conduite de Dieu nous sont cachées. Nous ignorons en effet par quel jugement de Dieu cet homme de bien est pauvre, et ce méchant opulent; pourquoi celui-ci vit dans la joie, lorsquil devrait être affligé en punition de ses crimes, tandis que celui-là qui devrait vivre dans la joie, à cause de sa conduite exemplaire, est toujours dans la peine. Nous ne savons pas pourquoi linnocent nobtient pas justice, pourquoi il est condamné, au contraire, et opprimé par un juge inique ou confondu par de faux témoignages, tandis que le coupable reste non-seulement impuni, mais encore insulte à linnocent par son triomphe; pourquoi lhomme religieux est consumé par la langueur, tandis que limpie est plein de santé. On voit des hommes jeunes et vigoureux vivre de rapines, et dautres, incapables de nuire, même par un mot, être accablés de maladies et de douleurs. Ceux dont la vie pourrait être utile aux hommes sont emportés par une mort prématurée, et dautres, qui ne méritaient pas de voir le jour, vivent plus longtemps que personne. Des infâmes, coupables de tous les crimes, parviennent au faîte des grandeurs, et lhomme sans reproche vit caché dans la plus humble obscurité! Encore si ces contradictions étaient ordinaires dans la vie, où, comme dit le Psalmiste:: « Lhomme nest que vanité et ses jours passent comme lombre 1 »; si les méchants possédaient seuls les biens temporels et terrestres, tandis que les bons souffriraient seuls tous les maux, on pourrait attribuer cette disposition à un juste jugement de Dieu, et même à un jugement bienveillant: on pourrait croire quil veut que les hommes qui nobtiendront pas les biens éternels soient trompés ou consolés par les temporels, qui les
1. Ps. CXLIII, 4.
rendent heureux, et que ceux auxquels ne sont point réservées les peines éternelles, endurent quelques afflictions passagères en punition de fautes légères ou pour sexercer à la vertu. Mais la plupart du temps, les méchants ont aussi leurs maux, et les bons leurs joies; ce qui rend les jugements de Dieu plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Et cependant, bien que nous ignorions par quel jugement Dieu fait ou permet ces choses, lui qui est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes, lui qui na ni faiblesse, ni témérité, ni injustice, il nous est avantageux en définitive dapprendre à ne pas estimer beaucoup des biens et des maux communs aux bons et aux méchants, pour ne chercher que des biens qui nappartiennent quaux bons et pour fuir des maux quine sont propres quaux méchants. Lorsque nous serons arrivés à ce jugement suprême de Dieu, dont le temps sappelle proprement le jour du jugement, et quelquefois le jour du Seigneur, alors nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu, non-seulement de ceux quil rend maintenant, mais aussi des jugements quil a rendus dès le principe, et de ceux quil rendra jusquà ce moment. Alors on verra clairement la justice de Dieu, que la faiblesse de notre raison nous empêche de voir dans un grand nombre et presque dans le nombre entier de ses jugements, quoique dailleurs les âmes pieuses aient toute confiance en sa justice mystérieuse.
CHAPITRE III.DU SENTIMENT DE SALOMON, DANS LE LIVRE DE LECCLÉSIASTE, SUR LES CHOSES QUI SONT COMMUNES AUX BONS ET AUX MÉCHANTS.
Salomon, le plus sage roi dIsraël, qui régna à Jérusalem, commence ainsi lEcclésiaste, que les Juifs, comme nous, reconnaissent pour canonique : « Vanité des hommes de vanité, a dit lEcclésiaste, vanité des hommes de vanité 1, et tout est vanité! Que revient-il à lhomme de tout ce travail quil accomplit sous le soleil 2 ? » Puis, rattachant à cette pensée le tableau des misères humaines, il rappelle les erreurs et les tribulations de cette vie, et démontre quil ny a rien de stable ni
1. Saint Augustin avait dabord admis la leçon de quelques manuscrits qui portent : Vanitas vanitantium! Plus tard, dans ses Rétractations (lib. I, cap. 7, n. 3), il sest prononcé pour la leçon aujourdhui consacrée Vanitas vanitatum ! 2. Ecclé. 1, 2, 3.
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de solide ici-bas. Au milieu de cette vanité des choses de la terre, il déplore surtout que, la sagesse ayant autant davantage sur la folie que la lumière sur les ténèbres, et le sage étant aussi éclairé que le fou est aveugle, tous néanmoins aient un même sort dans ce monde i, par où il veut dire sans doute que les maux sont communs aux bons et aux méchants. Il ajoute que les bons souffrent comme sils étaient méchants, et que les méchants jouissent des biens comme sils étaient bons. Et il parle ainsi: « Il y a encore une vanité sur la terre: on y voit des justes à qui le mal arrive comme à des impies, et des impies qui sont traités comme des justes. Jappelle aussi cela une vanité 2 ». Cet homme si sage consacre presque tout son livre à relever ces sortes de vanités, sans doute pour nous porter à désirer cette vie où il ny a point de vanité sous le soleil, mais où brille la vérité sous celui qui a fait le soleil. Comment donc lhomme se laisserait-il séduire par ces vanités, sans un juste jugement de Dieu? Et toutefois, tandis quil y est sujet, ce nest pas une chose vaine que de savoir sil résiste ou sil obéit à la vérité, sil est vraiment religieux ou sil ne lest pas; cela importe beaucoup au contraire, non pour acquérir les biens de cette vie ou pour en éviter les maux, mais en vue du jugement dernier, où les biens seront donnés aux bons et les maux aux méchants pour léternité. Enfin le sage Salomon termine ainsi ce livre : « Craignez Dieu, et observez ses commandements, parce que là est tout lhomme. Car Dieu jugera toute oeuvre, celle même du plus méprisable, bonne ou mauvaise 3 ». Que dire de plus court, de plus vrai, de plus salutaire? « Craignez Dieu, dit-il, et observez ses commandements; car là est tout lhomme ». En effet, tout homme nest que le gardien fidèle des commandements de Dieu ; celui qui nest point cela nest rien ; car il nest point formé à limage de la vérité, tant quil demeure semblable à la vanité. Salomon ajoute: « Car Dieu jugera toute oeuvre, cest-à-dire tout ce qui se fait en cette vie, celle même du plus méprisable », entendez: de celui qui paraît le plus méprisable et auquel les hommes ne font aucune attention ; mais Dieu voit chaque action de lhomme, il nen méprise aucune, et quand il juge, rien nest oublié.
1. Ecclé. II, 13, 14, 2. Ibid. VIII, 14. 3. Ibid. XII, 13, 14.
CHAPITRE IV.IL CONVIENT, POUR TRAITER DU JUGEMENT DERNIER, DE PRODUIRE DABORD LES PASSAGES DU NOUVEAU TESTAMENT, PUIS CEUX DE LANCIEN.
Les preuves du dernier jugement de Dieu que nous voulons tirer de lEcriture sainte, nous les puiserons dabord dans le Nouveau Testament, ensuite dans 1Ancien. Bien que lAncien soit le premier dans lordre des temps, le Nouveau néanmoins a plus dautorité, parce que le premier na servi quà annoncer lautre. Nous commencerons donc par les témoignages tirés du Nouveau Testament, et pour leur donner plus de poids, nous les confirmerons par ceux de lAncien. LAncien comprend la loi et les Prophètes; le Nouveau, lEvangile et les Epîtres des Apôtres. Or, lApôtre dit: « La loi na servi quà faire connaître le péché, au lieu que maintenant la justice de Dieu nous est révélée sans la loi, quoique attestée par la loi et les Prophètes. La justice de Dieu est manifestée par la foi en Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui 1 »Cette justice de Dieu appartient au Nouveau Testament et est confirmée par lAncien, cest-à-dire par la loi et les Prophètes. Je dois donc exposer dabord le point de la Cause pour produire ensuite les témoins. Cest Jésus-Christ lui-même qui nous apprend à observer cet ordre, lorsquil dit : « Un docteur bien instruit dans le royaume de Dieu est semblable à un père de famille qui tire de son trésor de nouvelles et de vieilles choses 2 ». Il ne dit pas de vieilles et de nouvelles choses, ce quil naurait certainement pas manqué de faire, sil navait eu plus dégard au prix des choses quau temps.
CHAPITRE V.PAROLES DU DIVIN SAUVEUR QUI ANNONCENT QUIL Y AURA UN JUGEMENT DE DIEU A LA FIN DES TEMPS.
Le Sauveur lui-même, reprochant leur incrédulité à quelques villes où il avait fait de grands miracles, et leur en préférant dautres quil navait point visitées : « Je vous déclare, disait-il, quau jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous 3 ». Et quelque temps après, sadressant à une autre ville: « Je tassure, dit-il,
1. Rom. III, 20-2 2. 2. Matt. XIII, 52. Matt. XI, 22, 24.
(451) quau jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que toi ». Il montre clairement par là que le jour du jugement doit arriver. Il dit encore ailleurs : « Les Ninivites sélèveront, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamneront, parce quils ont fait pénitence à la prédication de Jonas, et quici il y a plus que Jonas. La reine du Midi sélèvera, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamnera, parce quelle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et quil y a ici plus que Salomon». Ce passage nous apprend deux vérités : la première, que le jour du jugement viendra ; la seconde, que les morts ressusciteront en ce jour. Car en parlant des Ninivites et de la reine du Midi, Jésus parlait certainement dhommes qui nétaient plus, et il dit pourtant quils revivront au jour du jugement. Et lorsquil dit quils condamneront , ce nest point quils doivent juger eux-mêmes, mais cest quen comparaison deux, les autres mériteront dêtre condamnés. Ailleurs, à propos du mélange des bons et des méchants en ce monde et de leur séparation au jour du jugement, il se sert de la parabole dun champ semé de bon grain, où lon répand de livraie, et lexpliquant à ses disciples: « Celui qui sème le bon grain, dit-il, est le Fils de lhomme; le champ, cest le monde; le bon grain, ce sont les enfants du royaume, et livraie les enfants du diable; lennemi qui la semée , cest le diable ; la moisson, cest la fin du monde; les moissonneurs, ce sont les auges. Comme on amasse et comme on brûle livraie, ainsi il sera fait à la fin du monde. Le Fils de lhomme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et tous ceux qui commettent liniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende 2 ». Il est vrai quil ne nomme pas ici le jour du jugement; mais il lexprime bien plus clairement par les choses mêmes, et prédit quil arrivera à la fin du monde. Il parle de même à ses disciples: « Je vous dis, en vérité, que vous qui mavez suivi,
1. Matt. XII, 41, 42. 2. Matt. XIII, 37-43.
lorsquau temps de la régénération le Fils de lhomme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez assis, vous également, sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus dIsraël 1 ». Ceci nous apprend que Jésus jugera avec ses disciples; doù vient quailleurs il dit aux Juifs : « Si cest au nom de Belzébuth que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils? Cest pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ». Il ne faut point croire, parce que Jésus a parlé de douze trônes, quil ne jugera quavec douze disciples. Le nombre douze doit sentendre comme exprimant la multitude de ceux qui jugeront avec lui, à cause du nombre sept qui marque dordinaire une grande multitude, et dont les deux parties, trois et quatre, multipliées lune par lautre, donnent douze. En effet, quatre fois trois et trois fois quatre font douze ; sans parler des autres raisons qui expliquent le choix de ce nombre. Autrement, comme lapôtre Mathias a été mis à la place du traître Judas 2, il sensuivrait que lapôtre saint Paul, qui a plus travaillé queux tous 3, naurait point de trône pour juger. Or, il témoigne assez lui-même quil sera du nombre des juges, quand il dit: « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges 4 ? » Il faut entendre dans le même sens le nombre douze appliqué à ceux qui seront jugés. Car bien quil ne soit question que des douze tribus dIsraël, il ne sensuit pas que Dieu ne jugera pas la tribu de Lévi, qui est la treizième, ni quil jugera le peuple dIsraël seul, et non les autres nations. Quant à la régénération dont il sagit, nul doute quelle ne doive sentendre de la résurrection des morts. Notre chair, en effet, sera régénérée par la foi. Je laisse de côté beaucoup dautres passages qui semblent faire allusion au dernier jugement, mais qui, considérés de près, se trouvent ambigus ou relatifs à un autre sujet, par exemple à cet avénement du Sauveur qui se fait tous les jours dans son Eglise (cest-à-dire dans ses membres, où il se manifeste partiellement et peu à peu, parce que lEglise entière est son corps), ou bien à la destruction de la Jérusalem terrestre, dont il est parlé comme sil sagissait de la fin du monde et du jour de ce grand et dernier jugement. Ainsi on ne saurait entendre clairement ces
1. Matt. XIX, 28. 2. Act. I, 26. 3. I Cor. XV, 10. 4. I Cor. VI, 3.
(452)
passages, à moins de comparer ensemble ce quen disent les trois évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Tous trois, en effet, séclaircissent lun lautre, si bien que lon voit mieux ce qui se rapporte à un même objet. Cest aussi ce que je me suis proposé dans une lettre que jai écrite à Hésychius dheureuse mémoire, évêque de Salone, lettre que jai intitulée: De la fin du siècle 1. Jarrive maintenant à ce passage de lEvangile selon saint Matthieu, où il est parlé de la séparation des bons et des méchants par un jugement dernier et manifeste de Jésus-Christ: « Quand le Fils de lhomme, dit-il, viendra dans sa majesté, accompagné de tous ses anges, il sasseoira sur son trône, et tous les peuples de la terre seront assemblés en sa présence, et il les séparera les uns des autres, commue un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous que mon père a bénis, et prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car jai eu faim, et vous mavez donné à manger; jai eu soif, et vous mavez donné à boire ; jai eu besoin dabri, et vous mavez donné lhospitalité; jétais nu, et vous mavez vêtu ; jétais malade, et vous mavez soulagé; jétais prisonnier, et vous mêtes venu voir. Alors les justes répondront et lui diront: Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim et vous avons-nous donné à manger, ou avoir soif et vous avons-nous donné à boire? quand vous avons-nous vu sans abri et vous avons-nous donné lhospitalité, ou sans vêtement et vous avons-nous vêtu? quand vous avons-nous vu malade et en prison, et sommes-nous venu vers vous? Et le roi leur répondra: Je vous le dis, en vérité, toutes les fois que vous avez rendu un tel secours aux moindres de mes frères, cest à moi que vous lavez rendu. Il dira ensuite à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». Il leur reproche ensuite de navoir point fait pour lui les mêmes choses dont il a loué ceux qui étaient à sa droite; et comme ils lui demandent: Quand donc vous avons-nous vu en avoir besoin ? il leur répond de même que
1. Voyez les lettres de saint Augustin, Epist. CXCIX.
tous les secours quils ont refusés aux moindres de ses frères, cest à lui quils les ont refusés. Puis il conclut ainsi : « Et ceux-là iront au « supplice éternel, et les justes à la vie éternelle 1 ». Saint Jean lévangéliste dit clairement que Jésus a fixé lépoque du jugement à lheure où les morts ressusciteront. Après avoir dit que le Père ne juge personne, mais quil a donné au Fils tout pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père; parce que celui qui nhonore pas le Fils nhonore pas le Père qui la envoyé, il ajoute aussitôt: « En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui entend ma parole, et qui croit en celui qui ma envoyé, possède la vie éternelle et ne viendra point en jugement, mais quil passera de la mort à la vie 2 ». Il nous assure par ces paroles que les fidèles ne viendront point en jugement. Comment donc seront-ils séparés des méchants par le jugement et mis à sa droite, à moins quon ne prenne ici le jugement pour la condamnation? Il est certain, en effet, que ceux qui entendent sa parole, et qui croient en celui qui la envoyé, ne seront pas condamnés.
CHAPITRE VI.DE LA PREMIÉRE RÉSURRECTION ET DE LA SECONDE.
Il poursuit en ces termes: « En vérité, en vérité, je vous dis que le temps vient, et quil est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui lentendront vivront; car, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils davoir la vie en lui-même 3 ». Il ne parle pas encore de la seconde résurrection, cest-à-dire de celle des corps, qui doit arriver à la fin du monde, mais de la première, qui se fait maintenant. Cest pour distinguer celle-ci de lautre quil dit: « Le temps vient, et il est déjà venu ». Or, cette résurrection ne regarde pas les corps, mais les âmes. Les âmes ont aussi leur mort, qui consiste dans limpiété et dans le crime; et cest de celle-là que sont morts ceux dont le Seigneur a dit: « Laissez les morts « ensevelir leurs morts 4 », cest-à-dire laissez ceux qui sont morts de la mort de lâme ensevelir ceux qui sont morts de la mort du corps. il dit donc de ces morts que limpiété et le crime ont fait mourir dans lâme: « Le temps
1. Matt. XXV, 31-46. 2. Jean, V, 22-21. 3. Jean, V, 25, 26. 4. Matt. VIII, 22.
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« vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lentendront vivront ». Ceux, dit-il, qui lentendront, cest-à-dire qui lui obéiront, qui croiront en lui et qui persévéreront jusquà la fin. Il ne fait ici aucune différence entre les bons et les méchants, parce quil est avantageux à tous dentendre sa voix et de vivre, en passant de la mort de limpiété à la vie de la grâce. Cest de cette mort que saint Paul dit: «Donc tous sont morts, et un seul est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité à cause deux 1 ». Ainsi, tous sans exception sont morts par le péché, soit par le péché originel, soit par les péchés actuels quils y ont ajoutés, par ignorance ou par malice, et un seul vivant, cest-à-dire exempt de tout péché, est mort pour tous ces morts, afin que ceux qui vivent parce que leurs péchés leur ont été remis, ne vivent plus pour eux-mêmes, muais pour celui qui est mort pour tous à cause de nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification, afin que, croyant en celui qui justifie limpie et étant justifiés de notre impiété comme des morts qui ressuscitent, nous puissions appartenir à la première résurrection qui se fait maintenant. A celle-là nappartiennent que ceux qui seront éternellement heureux, au lieu que lApôtre nous apprend que les bons et les méchants appartiendront à la seconde, dont il va parler tout à lheure. Celle-ci est de miséricorde, et celle-là de justice; ce qui fait dire au Psalmiste : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement 2 ». Cest de ce jugement que saint Jean parle ensuite, quand il dit: « Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce quil est le Fils de lhomme ». Il montre par là quil viendra juger, revêtu de la même chair dans laquelle il était venu pour être jugé. Et il dit pour cette raison: « Parce quil est le Fils de lhomme ». Puis, parlant de ce dont nous traitons: « Ne vous étonnez pas de cela, dit-il, car le temps viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de lhomme; et ceux qui auront bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie, comme les autres pour ressusciter au jugement. 3 » Voilà ce jugement dont il a parlé auparavant, pour désigner la condamnation, en ces termes:
1. II Cor. V, 14, 15, 2. Ps. C, 1. 3. Jean, V, 27-29.
« Celui qui entend ma parole et qui croit en « celui qui ma envoyé, possède la vie éternelle, et ne viendra point en jugement, mais « il est déjà passé de la mort à la vie 1 ». Ce qui signifie quappartenant à la première résurrection, par laquelle on passe maintenant de la mort à la vie, il ne tombera point dans la damnation quil identifie avec le jugement, quand il dit: « Comme les autres pour ressusciter au jugement », cest-à-dire pour être condamnés. Que celui donc qui ne veut pas être condamné à la seconde résurrection ressuscite à la première; car: « Le temps vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui lentendront vivront ». En dautres termes, ils ne tomberont point dans la damnation que lEcriture appelle la seconde mort et où seront précipités, après la seconde résurrection, qui est celle des corps, ceux qui nauront pas ressuscité à la première, qui est celle des âmes. Il poursuit ainsi: « Le temps viendra » ; (et il najoute pas: « et il est déjà venu », parce que celui-là ne viendra quà la fin du monde, au grand et dernier jugement de Dieu). « Le temps, dit-il, viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront ». Il ne dit pas, comme lorsquil parle de la première résurrection, que ceux qui « lentendront vivront ». En effet, tous ceux qui lentendront ne vivront pas, au moins de la vie qui seule mérite ce nom, parce quelle est bienheureuse. Sils navaient quelque sorte de vie, ils ne pourraient pas lentendre, ni sortir de leur tombeau, lorsque leur corps ressuscitera. Or, il nous apprend ensuite pourquoi tous ne vivront pas : « Ceux, dit-il, qui ont bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie », voilà ceux qui vivront; « et les autres pour ressusciter au jugement », voilà ceux qui ne vivront pas, parce quils mourront de la seconde mort. Sils ont mal vécu, cest quils ne sont pas ressuscités à la première résurrection qui se fait maintenant, cest-à-dire à celle des âmes, ou parce quils ny ont pas persévéré jusquà la fin. De même quil y a deux générations, dont jai déjà parlé ci-dessus, lune selon la foi, qui se fait maintenant par le baptême, et lautre selon la chair, qui se fera au dernier jugement, quand -la chair deviendra immortelle et incorruptible, de même il y a deux résurrections. La première, qui est celle
1. Jean, V, 24,
(454)
des âmes, se fait présentement; elle empêche de tomber dans la seconde mort. Lautre ne se fera quà la fin du monde; elle ne regarde pas les âmes, mais les corps, quelle enverra, par suite du jugement dernier, les uns dans la seconde mort, et les autres dans cette vie où il ny a point de mort.
CHAPITRE VII.CE QUIL FAUT ENTENDRE RAISONNABLEMENT PAR LES DEUX RÉSURRECTIONS ET PAR LE RÈGNE DE MILLE ANS DONT SAINT JEAN PARLE DANS SON APOCALYPSE.
Le même évangéliste parle de ces deux résurrections dans son Apocalypse, mais de telle sorte que quelques-uns des nôtres, nayant pas compris la première, ont donné dans des visions ridicules. Voici ce que dit lapôtre saint Jean: « Je vis descendre du ciel un ange qui avait la clef de labîme, et une chaîne en sa main: et il prit le dragon, cet ancien serpent quon appelle le diable et Satan, et le lia pour mille ans. Puis layant précipité dans labîme, il ferma labîme et le scella sur lui, afin quil ne séduisît plus les nations, jusquà ce que les mille ans fussent accomplis; après quoi il doit être lié pour un peu de temps. Je vis aussi des trônes et des personnes assises dessus, à qui la puissance de juger fut donnée; avec elles, les âmes de ceux qui ont été égorgés pour les témoignages quils ont rendus à Jésus et pour la parole de Dieu, et tous ceux qui nont point adoré la bête ni son image, ni reçu son caractère sur le front ou dans leur main; et ils ont régné pendant mille ans avec Jésus. Les autres nont point vécu jusquà ce que mille ans soient accomplis. Voilà la première résurrection. Heureux et saint est celui qui y a part! La seconde mort naura point de pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et de Jésus-Christ, et ils régneront mille ans avec lui ». Ceux à qui ces paroles ont donné lieu de croire que la première résurrection sera corporelle, ont surtout adopté cette opinion à cause du nombre de mille ans, dans la pensée que tout ce temps doit être comme le sabbat des saints, où ils se reposeront après les travaux de six mille ans qui seront écoulés depuis que lhomme a été créé et précipité de la félicité du paradis dans les misères de la vie mortelle, afin que, suivant
1. Apoc. XX, 1-5
cette parole: « Devant Dieu un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour 1 »,six mille ans sétant écoulés comme six jours, le septième, cest-à-dire les derniers mille ans, tienne lieu de sabbat aux saints qui ressusciteront pour le solenniser. Tout cela serait jusquà un certain point admissible, si lon croyait que durant ce sabbat les saints jouiront de quelques délices spirituelles, à cause de la présence du Sauveur, et jai moi-même autrefois été de ce sentiment 2. Mais comme ceux qui ladoptent disent que les saints seront dans des festins continuels, il ny a que des âmes charnelles qui puissent être de leur avis. Aussi les spirituels leur ont-ils donné le nom de chiliastes 3, dun mot grec qui peut se traduire littéralement par millénaires 4. Il serait trop long de les réfuter en détail; jaime mieux montrer comme on doit entendre ces paroles de lApocalypse. Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit lui-même: « Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui enlever ses biens quil ne lait lié auparavant 5 ». Par le fort, il entend le diable, parce quil sest assujéti le genre humain, et par ses biens, les fidèles quil tenait engagés dans limpiété et dans le crime. Cétait donc pour lier ce fort que saint Jean, selon lApocalypse, vit un ange descendre du ciel, qui tenait la clef de labîme et la chaîne. Et il prit, dit-il, le dragon, cet ancien serpent, que lon nomme le diable et Satan, et il le lia pour mille ans; cest-à-dire quil lempêcha de séduire et de sassujétir ceux qui devaient être délivrés. Pour les mille ans, on peut les entendre de deux manières: ou bien parce que ces choses se passent dans les derniers mille ans, cest-à-dire au sixième millénaire, dont les dernières années sécoulent présentement pour être suivies du sabbat qui na point de soir, cest-à-dire du repos des saints qui ne finira jamais, de sorte que lEcriture appelle ici mille ans la dernière partie de ce temps, en prenant la partie pour le tout; ou bien elle se sert de ce nombre pour toute la durée du monde, employant ainsi un nombre parfait pour marquer la plénitude du temps. Le nombre de mille est le cube de dix, dix fois dix faisant cent; mais cest là une figure plane, et pour
1. II Pierre, III, 8. 2. Voyez les sermons de saint Augustin, Serm. CCLIX. 3. Kiliastas. 4. Cest aussi le nom que leur donne saint Jérôme. 5. Marc, III, 27.
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la rendre solide, il faut multiplier cent par dix et cela fait mille. Dailleurs, si IEcriture se sert de cent pour un nombre indéfini, comme lorsque Notre-Seigneur promet à celui qui quittera tout pour le suivre: « quil recevra le centuple dès cette vie 1 », ce que lApôtre exprime en disant quun véritable chrétien possède toutes choses, bien quil semble quil nait rien 2, selon cette parole encore: « Le monde est le trésor du fidèle 3 » combien plus le nombre de mille ans doit-il signifier luniversalité t Aussi est--ce le meilleur sens quon puisse donner à ces paroles du psaume : « Il sest toujours souvenu de son « alliance et de la promesse quil a faite pour mille générations 4 » ; cest-à-dire pour toutes les générations. Saint Jean poursuit : « Et il le précipita dans labîme » ; par cet abîme est marquée la multitude innombrable des impies, dont le coeur est un gouffre de malignité contre lEglise de Dieu; non que le diable ny fût déjà auparavant, mais parce quétant exclu de la Société des fidèles, il a commencé à posséder davantage les autres. Celui-là est plus possédé du diable, qui non-seulement est éloigné de Dieu, mais qui hait même les serviteurs de Dieu sans raison. « Et il le ferma, dit-il, et le scella sur lui, afin quil ne séduisît plus les nations jusquà ce que mille ans fussent accomplis ». Il le ferma sur lui, cest-à-dire il lui défendit den sortir. Ce quajoute saint Jean, quil le scella, signifie, selon moi, que Dieu ne veut pas quon sache quels sont ceux qui appartiennent au démon ou ceux qui ne lui appartiennent pas, et cest une chose tout à fait incertaine en cette vie, parce quil est incertain si celui qui semble être debout ne tombera point, et si celui qui semble être tombé ne se relèvera point. Or, le diable est ainsi lié et enfermé pour être incapable de séduire les nations qui appartiennent à Jésus-Christ et quil séduisait auparavant. « Dieu », comme dit lApôtre, « a résolu, avant la naissance du monde, de les délivrer de la puissance des ténèbres 5 et de les faire passer dans le royaume du Fils de son amour 6 ». Les fidèles ignorent-ils que maintenant même le démon séduit les nations et les entraîne avec lui au supplice éternel ? mais ce ne sont pas celles qui sont prédestinées à la vie bienheureuse.
1. Matt. XIX, 29; Marc, X, 30. 2. II Cor. VI, 10. 3. Prov. XVII, 7 suiv. LXX, 4. Ps. CIV, 8.- 5. Éph. 1, 4. 6. Colosa. I, 13.
Il ne faut pas sarrêter à-ce que le diable séduit souvent ceux mêmes qui, régénérés en Jésus-Christ , marchent dans les voies de Dieu ; car « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 1 » ; et de ceux-là, Satan nen séduit aucun jusquà le faire tomber dans la dam nation éternelle. Le Seigneur les connaît comme Dieu, cest-à-dire comme celui à qui rien de ce qui doit arriver nest caché, et non comme un homme, qui ne voit un autre homme que quand il est présent, si toutefois on peut dire quil voit celui dont il ne voit pas le coeur, et dont il ne sait pas ce quil doit devenir ensuite, non plus que lui-même. Le diable est donc lié et enfermé dans labîme, afin quil ne séduise pas les nations qui composent lEglise et quil séduisait auparavant, lorsque lEglise nétait pas encore. Il nétait pas dit, en effet, « afin quil ne séduisît plus personne », mais : « afin quil ne séduisît plus les nations », par lesquelles lApôtre a voulu sans doute quon entendît lEglise. « Jusquà ce que mille ans fussent accomplis », cest-à-dire ce qui reste du sixième jour qui est de mille ans, ou bien ce qui reste de la durée du monde. Et ces mots : « Afin quil ne séduisît plus les nations, jusquà ce que mille ans fussent accomplis » , il ne faut pas les entendre comme sil devait plus tard séduire les nations qui composent. lEglise des prédestinés. Car ou bien cette expression est semblable à celle-ci: « Nos yeux sont arrêtés sur le Seigneur « notre Dieu, jusquà ce quil ait pitié de nous 2 »; où il est clair que, lorsque Dieu aura pris pitié de ses serviteurs, ils ne laisseront pas de jeter les yeux sur lui ; ou bien voici lordre de ces paroles: « Et il ferma labîme et il le scella sur lui, jusquà ce que mille ans fussent accomplis », de sorte que ce quil ajoute: « afin quil ne séduisît plus les nations », doit sentendre, indépendamment du reste, comme si toute période était conçue ainsi : « Et il ferma labîme, et il le scella sur lui, jusquà ce que mille ans fussent accomplis, afin quil ne séduisît plus les nations ». En dautres termes, cest afin quil cesse de séduire les nations que labîme est fermé jusquà la révolution de mille ans.
1. II Tim. II, 19. 2. Ps. CXXII, 2.
(456)
CHAPITRE VIII.DU DIABLE ENCHAÎNÉ ET DÉLIÉ DE SES CHAÎNES.
« Après cela », dit saint Jean, « il doit être délié pour un peu de temps 1 ». Si le diable est lié et enfermé, afin quil ne puisse pas séduire lEglise, sa délivrance consistera-telle à le pouvoir ? A Dieu ne plaise ! Il ne séduira jamais lEglise prédestinée et élue avant la création du monde, dont il est dit que « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 2 ». Cependant il y aura ici-bas une Eglise, au temps que le diable doit être délié, comme il y en a toujours eu une depuis Jésus-Christ. Saint Jean dit un peu après, que le diable, une fois délié, portera les nations quil aura séduites dans le monde entier, à faire la guerre à lEglise, et que le nombre de ses ennemis égalera les sables de la mer : «Et ils se répandirent, dit-il, sur la terre, et ils environnèrent le camp des saints et la Cité bien-aimée de Dieu. Mais Dieu fit tomber un feu du ciel qui les dévora ; et le diable, qui les séduisait, fut jeté dans un étang de feu et de soufre avec la bête et le faux prophète, pour y être tourmentés jours et nuit dans les siècles des siècles 3 ». Ce passage regarde le dernier jugement, et néanmoins jai été bien aise de le rapporter, de peur quon ne simagine que, dans le peu de temps que le diable doit être délié, il ny aura point dEglise en ce monde, soit quil ne ly trouve plus, soit quil la détruise par ses persécutions. Le diable na donc pas été lié dans tout ce temps que comprend lApocalypse, savoir: depuis le premier avénement de Jésus-Christ jusquà la fin du monde où se fera le second. Et cest ce que saint Jean appelle mille ans, en sorte que lEcriture entend par là que le diable ne séduira pas 1Eglise pendant cet intervalle, puisquil ne la séduira pas non plus lorsquil sera délié. En effet, il est indubitable que si cest être lié pour lui que de pouvoir séduire lEglise, il le pourra faire quand il sera délié. Etre lié par rapport au diable, cest donc navoir pas permission de tenter les hommes autant quil peut, par adresse ou par violence, pour les faire passer à son parti. Si cela lui était permis pendant un si long espace de temps, la faiblesse des hommes est telle quil ferait tomber un grand nombre de fidèles et quil empêche. rait beaucoup dhommes de le devenir, ce
1. Apoc. XX, 3, 2. II Tim, II, 19. 3. Apoc. XX, 8-10.
que Dieu ne veut pas. Aussi est-ce pour len empêcher quil la lié. Mais il sera délié quand il ne restera que peu de temps. LEcriture nous apprend que le démon et ses complices tourneront toute leur rage contre lEglise pendant trois ans et demi ; et ceux à qui il aura affaire seront tels quil ne les pourra surmonter ni par force, ni par artifice. Or, sil nétait jamais délié, on ne connaîtrait pas si bien sa puissance et sa malignité, ni la patience de la cité sainte, non plus que la sagesse admirable avec laquelle le Tout-Puissant a su se servir de la malice du diable, soit en ne lempêchant pas de séduire les saints, afin dexercer leur vertu, soit en ne lui permettant pas duser de toute sa fureur, de peur quil ne triomphât dune infinité dhommes faibles qui devaient grossir les rangs de lEglise. Il sera donc délié sur la fin des temps, afin que la Cité de Dieu reconnaisse, à la gloire de son Rédempteur et de son Libérateur, quel adversaire elle aura surmonté. Que sommes-nous en comparaison des chrétiens qui seront alors, puisquils surmonteront un ennemi déchaîné, que nous avons bien de la peine à combattre, tout lié quil est? Néanmoins, il ny a point de doute que pendant cet intervalle même, Dieu nait eu et nait encore des soldats si braves et si expérimentés que , fussent-ils vivants quand le diable sera délié, ils ne craindraient ni ses efforts, ni ses ruses. Or, le diable na pas seulement été lié lorsque lEglise a commencé de se répandre de la Judée parmi les nations; mais il lest encore maintenant et le sera jusquà la fin des siècles, où il doit être délié. Nous voyons encore tous les jours des personnes quitter leur infidélité dans laquelle le démon les retenait, et embrasser la foi; et il y en aura toujours sans doute qui se convertiront jusquà la fin du monde. Le fort est lié de même à légard de chacun des fidèles, lorsquils lui sont enlevés comme sa proie; comme, dautre part, labîme où il a été enfermé na pas été détruit par la mort des premiers persécuteurs de lEglise; mais à ceux-là dautres ont succédé et leur succéderont jusquà la fin des siècles , afin quil soit toujours enfermé dans ces coeurs pleins de passion et daveuglement, comme en un abîme profond. Or, cest une question
1. Ce sont les quarante-deux mois de règne de lAntéchrist annoncés par saint Jean (Apoc. XI, 2).
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de savoir si, pendant ces trois dernières années et demie que le démon exercera toute sa fureur, il y aura encore quelques hommes, au milieu des fidèles, qui embrasseront la foi. Comment celte parole se justifierait-elle : « Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui « enlever ses biens, quil ne lait dabord lié 1 », si on les lui enlève lors même quil est délié? Il semble donc que cela nous oblige à croire quen ce peu de temps lEglise ne fera aucune nouvelle conquête, mais que le diable combattra seulement contre ceux qui se trouveront déjà chrétiens; et si quelques-uns de ceux-là sont vaincus, il faut dire quils -nétaient pas du nombre des prédestinés. Ce nest pas en vain que le même saint Jean, qui a écrit lApocalypse, a dit de quelques-uns dans une de ses Epîtres : « Ils sont sortis davec nous, mais ils nétaient pas dentre nous ; car sils eussent été dentre nous, ils y seraient demeurés 2». Mais que dirons-nous des petits enfants? Il nest pas croyable que cette dernière persécution nen trouve point parmi les chrétiens qui ne soient pas baptisés, et que même il ne leur en naisse pendant ce temps, et en ce cas que leurs parents ne les baptisent. Comment donc enlèvera-t-on ces biens à Satan, puisquil sera délié, et que, selon la parole du Seigneur: « Personne nentre en sa maison et ne lui enlève ses biens, quil ne lait lié auparavant ? ». Croyons donc plutôt que, même pendant ce temps, les apostasies ne manqueront point, non plus que les conversions, et que les parents auront assez de courage pour baptiser leurs enfants, aussi bien que les nouveaux convertis, quils vaincront ce fort, tout délié quil sera, cest-à-dire quoiquil emploie contre eux des ruses et des manoeuvres quil navait point encore mises en usage, tellement quils lui seront encore enlevés, quoiquil ne soit pas lié. Néanmoins, la parole de lEvangile subsistera toujours « Que personne ne peut entrer dans la maison du fort, ni lui enlever ses biens, quil ne lait lié auparavant ». Cet ordre a été, en effet, observé. On a lié dabord le fort, et on lui a ensuite enlevé ses biens dans toutes les nations, pour en composer lEglise, qui sest depuis accrue et fortifiée au point de devenir capable de dépouiller le démon, lors même quil sera délié. De même quil faut avouer que la charité de plusieurs se refroidira,
1. Matt. XII, 29. 2. Jean, II, 19.
parce que le crime sera triomphant s, et que plusieurs, qui ne sont pas écrits au livre de vie, succomberont sous les persécutions inouïes du diable déjà délié, de même il faut croire que non-seulement les véritables chrétiens, mais que quelques-uns de ceux mêmes qui seront hors de lEglise, aidés de la grâce de Dieu et de lautorité des Ecritures, qui ont prédit la fin du monde quils verront arriver, seront plus disposés à croire ce quils ne croyaient pas, et plus forts pour vaincre le diable, tout déchaîné quil sera. Disons, dans cet état de choses, quil a été lié afin quon lui puisse enlever ses biens, lors même quil sera délié, suivant cette parole du Sauveur: « Comment peut-on entrer dans la maison du fort pour lui enlever ses biens, quon ne lait lié auparavant ? »
CHAPITRE IX.EN QUOI CONSISTE LE RÈGNE DES SAINTS AVEC JÉSUS-CHRIST, PENDANT MILLE ANS, ET EN QUOI IL DIFFÈRE DU RÈGNE ÉTERNEL.
Pendant les mille ans que le diable est lié, cest-à-dire pendant tout le temps qui sécoule depuis le premier avénement du Sauveur jusquau second, les saints règnent avec lui. Et, en effet, si, outre le royaume dont il doit dire à la fin des siècles : « Venez, vous que mon Père a bénis, prenez possession du royaume qui vous a été préparé 2 »; ses saints, à qui il dit: « Je suis avec vous jusquà la fin du monde 3 », nen avaient, dès maintenant, un autre où ils règnent avec lui, certes lEglise ne serait pas appelée son royaume ou le royaume des cieux. Car cest à cette heure que le docteur de la loi, dont parle lEvangile, « qui tire de son trésor de nouvelles et de vieilles choses 4 » , est instruit dans le royaume de Dieu; et cest de lEglise que les moissonneurs doivent arracher livraie que le père de famille avait laissé croître parmi le bon grain jusquà la moisson. Notre-Seigneur explique ainsi cette parabole : « La moisson, cest la fin du siècle. Comme donc on ramasse livraie et on la jette au feu la même chose arrivera à la fin du monde. Le Fils de lhomme enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales 5 ». Sera-ce du royaume où il ny a pas de scandales?
1. Matt. XXV, 12. 2. Ibid. XXV, 31. 3. Ibid, XXVIII, 20. 4. Matt. XIII, 52. 5. XXXIX, 41.
Non, sans doute. Ce sera donc de celui dici-bas, qui est son Eglise. Il dit plus haut: « Celui qui violera lun de ces moindres commandements et qui enseignera aux hommes à le suivre sera le dernier dans le royaume des cieux ; mais celui qui laccomplira et qui lenseignera sera grand dans les cieux 1 ». Il les place tous deux dans le royaume des cieux, tant celui qui ne fait pas ce quil enseigne que celui qui le fait ; mais lun est très-petit et lautre très-grand. Il ajoute aussitôt : « Car je vous dis que si votre justice nest pas plus grande que celle des Scribes et des Pharisiens (cest-à-dire que la justice de ceux qui ne font pas ce quils enseignent, puisquil déclare deux dans un autre endroit: Quils disent ce quil faut faire et quils ne le font pas 2), vous nentrerez point dans le royaume des cieux 3 ». Il faut donc entendre dune autre manière le royaume des cieux où sont et celui qui ne pratique pas ce quil enseigne et celui qui le pratique, et le royaume où nentre que celui qui pratique ce quil enseigne. Ainsi le premier, cest lEglise dici-bas, et le second, cest lEglise telle quelle sera, quand les méchants ny seront plus. LEglise est donc maintenant le royaume de Jésus-Christ et le royaume des cieux, de sorte que dès à présent les saints de Dieu règnent avec lui, mais autrement quils ne régneront plus tard. Néanmoins livraie ne règne point avec lui, quoiquelle croisse dans lEglise avec le bon grain. Ceux-là seuls règnent avec lui qui font ce que dit lApôtre: « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ , goûtez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; cherchez les choses du ciel et non celles de la terre 4 ». Il dit deux encore que leur conversation est dans le ciel 5. Enfin, ceux-là règnent avec lui, qui sont tellement dans son royaume quils sont eux-mêmes son royaume. Or, comment ceux-là sont-ils le royaume de Jésus-Christ, qui, bien quils y soient jusquà la fin du monde et des scandales, y cherchent leurs intérêts et non pas ceux de Jésus-Christ 6 ? Voilà comment lApocalypse parle de ce royaume, où lon a encore des ennemis à combattre ou à retenir dans le devoir, jusquà ce quon arrive dans le royaume paisible où lon régnera sans trouble et sans traverses.
1. Matt. V, 19. 2. Ibid. XXIII, 3. 3. Ibid. V, 20. 4. Coloss. III, 1, 2. 5. Philipp. III, 20. 6. Ibid. II, 21.
Voilà comment elle sexplique sur cette première résurrection qui se fait maintenant. Après avoir dit que le diable demeurera lié pendant mille ans, et quensuite il doit être délié pour un peu de temps, aussitôt reprenant ce que lEglise fait pendant ces mille ans ou ce qui se passe dans 1Eglise : « Et je vis, dit-il, des trônes et des hommes assis sur ces trônes; et on leur donna le pouvoir de juger ». Il ne faut pas simaginer que ceci soit dit du dernier jugement, mais il sagit des trônes des chefs et des chefs qui gouvernent maintenant même lEglise. Quant au pouvoir de juger qui leur est donné, il semble quon ne le puisse mieux entendre que de cette promesse: « Ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel 1 ». Ce qui fait dire à lApôtre : « Quai-je affaire de juger ceux qui sont hors de lEglise? Nêtes-vous pas juges de ceux qui sont dedans 2 ? » « Et les âmes », continue saint Jean, « de ceux qui ont été mis à mort pour avoir rendu témoignage à Jésus ». Il faut sous-entendre ce quil dit ensuite : « Ont régné mille ans avec Jésus 3 » ; cest-à-dire : Les âmes des martyrs encore séparées de leur corps. Eu effet, les âmes des justes trépassés ne sont point séparées de lEglise , qui maintenant même est le royaume de Jésus-Christ. Autrement on nen ferait point mémoire à lautel dans la communion du corps de Jésus-Christ; et il ne servirait de rien dans le danger de recourir à son baptême, pour ne pas sortir du monde sans lavoir reçu, ou à la réconciliation, lorsquon a été séparé de ce même corps par la pénitence ou par la mauvaise vie. Pourquoi ces saintes pratiques, sinon parce que les fidèles, tout morts quils sont, ne laissent pas dêtre membres de lEglise ? Dès lors leurs âmes, quoique séparées de leurs corps, règnent déjà avec Jésus-Christ pendant ces mille ans; doù vient quon lit dans le même livre de lApocalypse: « Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur ! lEsprit leur dit déjà quils se reposent de leurs travaux, car leurs oeuvres les suivent 4 ». LEglise commence donc par régner ici avec Jésus-Christ dans les vivants et dans les morts; car, comme dit lApôtre : « Jésus-Christ est mort afin davoir empire sur les vivants et sur les
1. Matt. XVIII, 18. 2. I Cor. V, 12. 3. Apoc. XX, 4. 4. Ibid. XIV, 13.
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morts 1 ». Mais saint Jean ne fait mention que des âmes des martyrs, parce que ceux-là règnent principalement avec Jésus-Christ après leur mort, qui ont combattu jusquà la mort pour la vérité ; ce qui nempêche point quen prenant la partie pour le tout, nous ne devions entendre que les autres morts appartiennent aussi à lEglise, qui est le royaume de Jésus-Christ. Les paroles qui suivent : « Et tous ceux qui nont point adoré la bête ni son image, ni reçu son caractère sur le front ou dans leur main », doivent être entendues des vivants et des morts. Pour cette bête, quoique cela demande un plus long examen, on peut fort bien lexpliquer par la cité impie et par le peuple infidèle, contraires au peuple fidèle et à la Cité de Dieu. Jentends par son image le déguisement de ceux qui, faisant profession de foi, vivent comme des infidèles. ils feignent dêtre ce quils ne sont pas, et ne sont chrétiens que de nom. En effet, non-seulement les ennemis déclarés de Jésus-Christ et de sa cité appartiennent à la bête, mais encore livraie qui doit être ôtée à la fin du monde de son royaume, qui est lEglise. Et qui sont ceux qui nadorent ni la bête ni son image, sinon ceux qui font ce que dit lApôtre, et qui ne sont point attachés à un même joug avec les infidèles 2 ? Ils nadorent point, cest-à-dire ils ne consentent point; ils ne se soumettent point et ne reçoivent point le caractère, cest-à-dire le sceau du crime, ni sur le front par leur profession, ni dans leurs mains par leurs actions. Ceux qui sont exempts de cette profanation, quils vivent encore dans cette chair mortelle ou quils soient morts, règnent dès maintenant avec Jésus-Christ pendant tout le temps désigné par mille ans. « Les autres», dit saint Jean », nont point « vécu; car cest maintenant le temps que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui lentendront vivront; mais, pour les autres, ils ne vivront point». Et quant à ce quil ajoute : « Jusquà ce que mille ans soient accomplis », il faut entendre par là quils nont point vécu pendant le temps où ils devaient vivre, « en passant de la mort à la vies. Ainsi, quand le temps de la résurrection des corps sera arrivé, ils ne sortiront point de leurs tombeaux pour vivre, mais pour être jugés et condamnés, ce qui
1. Rom. XIV, 9. 2. II Cor. VI, 14.
constitue la seconde mort. Car, jusquà ce que les mille ans soient accomplis, quiconque, pendant tout ce temps où se fait la première résurrection, naura point vécu, cest-à-dire naura point entendu la voix du Fils de Dieu, ni passé de la mort à la vie, passera infailliblement à la seconde mort avec son corps dans la seconde résurrection, qui est celle des corps. Saint Jean ajoute : « Voilà la première résurrection. Heureux et saint est celui qui y participe 1 ! » Or, celui-là seul y participe qui non-seulement ressuscitera en sortant du péché, mais qui encore persévérera dans cet état de résurrection. « La seconde mort, dit-il, na point de pouvoir sur ceux-là » ; mais elle en a sur les autres, dont il a dit auparavant : « Les autres nont pas vécu, jusquà ce que mille ans soient accomplis ». Encore que dans cet espace quil nomme mille ans, ils aient vécu de la vie du corps, ils nont pas vécu de celle de lâme en ressuscitant et en sortant de la mort du péché, afin davoir part à la première résurrection et de ne pas tomber sous lempire de la seconde mort.
CHAPITRE X.CE QUIL FAUT RÉPONDRE A CEUX QUI PENSENT QUE LA RÉSURRECTION REGARDE SEULEMENT LES CORPS, ET NON LES ÂMES.
Il en est qui croient quon ne peut parler de résurrection quà légard des corps, et qui soutiennent que cette première résurrection dont parle saint Jean doit sentendre de la résurrection des corps. Il nappartient, disent-ils, de se relever quà ce qui tombe ; or, les corps tombent en mourant, doù vient quon les appelle des cadavres 2 ; donc ce ne sont pas les âmes qui ressuscitent, mais les corps. Mais que répondront-ils à lApôtre qui admet aussi une résurrection de lâme? Ceux-là étaient ressuscites selon lhomme intérieur, et non pas selon lhomme extérieur, à qui il dit « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, ne goûtez plus que les choses du ciel 3 ». Cest la même pensée quil exprime ailleurs en dautres termes : « Afin, dit-il, quà lexemple de Jésus-Christ qui est ressuscité des morts
1. Apoc. XX, 56. 2. Saint Augustin fait venir cadaver de cadere, tomber. Isidore, en ses Origines (lib. II, cap. 2, § 35), donne anse cette étymologie très-hasardée. Comp. saint Augustin, Serm. CCXLII, n. 2. On peut voir aussi les Soirées de Saint-Pétersbourg, où cadaver est ingénieusement dérivé de caro daga vermibus. 3. Colos, III, 1.
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pour la gloire du Père, nous marchions aussi dans la vie nouvelle1 ». De là encore cette parole : « Levez-vous, vous qui dormez, levez-vous dentre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera 2 ». Quand ces interprètes disent quil nappartient quaux corps de tomber, ils nentendent pas cette parole : « Ne vous éloignez point de lui, de peur que vous ne tombiez 3 » ; ni celle-ci : « Sil tombe ou sil demeure debout, cest pour son maître 4 » ; ni celle-ci encore : « Que celui qui se croit debout prenne garde de tomber 5 ». Assurément cette chute sentend de lâme et non du corps. Si donc cest à ce qui tombe à ressusciter, et si les âmes tombent comme les corps, il faut convenir quelles ressuscitent aussi. Ce que saint Jean ajoute, après avoir dit que la seconde mort na point de pouvoir sur ceux- là, savoir, quils seront prêtres de Dieu et de Jésus-Christ , et quils régneront avec lui lespace de mille ans, cela ne doit pas sentendre des seuls évêques ou des seuls prêtres, mais de tous les fidèles quil nomme prêtres, parce quils sont tous membres dun seul grand-prêtre, de même quon les appelle tous chrétiens, à cause du chrême mystique auquel ils ont tous part. Aussi est-ce deux que lapôtre saint Pierre a dit : « Le peuple saint et le sacerdoce royal 6 ». Il est à remarquer dailleurs que saint Jean déclare, bien quen peu de mots et en passant, que Jésus-Christ est Dieu, lorsquil appelle les chrétiens les prêtres de Dieu et de Jésus-Christ, cest-à-dire du Père et du Fils. Et de plus, Jésus-Christ, bien quil soit fils de lhomme, à cause de la forme desclave quil a prise, a été aussi fait prêtre éternel selon lordre de Melchisédech 7, comme nous lavons dit plusieurs fois.
CHAPITRE XI.DE GOG ET DE MAGOG QUE LE DIABLE, DÉLIÉ A LAPPROCHE DE LA FIN DES SIÈCLES, SUSCITERA CONTRE LÉGLISE.
« Et quand les mille ans seront révolus, Satan sera délivré de sa prison, et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins du monde, Gog et Magog; et il les portera à faire la guerre, et leur nombre égalera les grains de sable de la mer ». Il
1. Rom. VI, 4. 2. Eph. V, 14. 3. Eccl. II, 7. 4. Rom. XIV, 4. 5. I Cor. V, 12. 6. I Pierre, II, 9. 7. Ps. CIX, 4
les séduira donc alors, pour les attirer dans cette guerre; car auparavant il les séduisait aussi tant quil pouvait par une infinité dartifices. Mais alors il sortira, cest-à-dire quil fera éclater sa haine et persécutera ouvertement. Cette persécution sera la dernière que lEglise souffrira, mais dans toute la terre, cest-à-dire que toute la cité de Dieu sera persécutée à travers toute la cité des impies. Il ne faut pas entendre par Gog et Magog des peuples barbares dune certaine contrée du monde, comme ont fait ceux qui pensent que ce sont les Gètes elles Massagètes, à cause des premières lettres de ces noms. En effet, lEcriture marque clairement quils seront répandus dans tout lunivers, quand elle dit: « Les « nations qui sont aux quatre coins de la u terre»; et elle ajoute que cest Gog et Magog. Or, nous avons acquis la certitude que Gog signifie toit, et Magog, du toit; comme qui dirait « la maison et celui qui en sort 1 ». Ces nations sont donc, comme nous disions un peu plus haut, labîme où le diable est enfermé; et cest lui-même qui en sort de sorte quelles sont « la maison », et lui « celui qui sort de la maison ». Ou bien, si par ces deux mots nous voulons entendre les nations, « elles sont la maison », parce que le diable y est enfermé maintenant, et comme à couvert, et « elles sortiront de la maison », lorsquelles feront éclater la haine quelles couvent. Quant à ces paroles : « Et ils se répandirent sur la terre et environnèrent le camp des saints et la Cité bien-aimée 2 », il ne faut pas les entendre comme si les ennemis étaient venus ou devaient venir en un lieu particulier et déterminé, puisque le camp des saints et la Cité bien-aimée ne sont autre chose que lEglise qui sera répandue sur toute la terre. Cest là quelle sera assiégée et pressée par ses ennemis, qui exciteront contre elle une cruelle persécution, et mettront en usage tout ce quils auront de rage et de malice , sans pouvoir triompher de son courage, ni lui faire abandonner, comme le marque le texte sacré, son camp et ses étendards.
1. Saint Augustin emprunte cette interprétation à saint Jérôme (In Ezech. cap. XXXVIII). Au surplus, rien de plus divers que lopinion des docteurs sur Gog et Magog. Eusèbe voit dans Gog un empereur romain et dans Magog lempire romain en général (Demonstr. Evang., lib. IX, cap. 3); saint Ambroise (De fide, lib. II, cap. ult.) croit que Gog et Magog désignent les Goths, et il y a ainsi une foule de conjectures également arbitraires. 2. Apoc. XX, 7, 8.
(461)
CHAPITRE XII.SI LE FEU QUE SAINT JEAN VIT DESCENDRE DU CIEL ET DÉVORER LES IMPIES DOIT SENTENDRE DU DERNIER SUPPLICE.
Saint Jean ajoute: « Et un feu descendit du ciel, qui les dévora 1 » ; il ne faut pas entendre cela du dernier supplice auquel ils seront voués, quand il leur sera dit: « Retirez-vous de moi , maudits, et allez au feu éternel2 ». Car alors ils seront envoyés dans le feu, et le feu ne tombera pas du ciel sur eux. Or, par le ciel, on peut fort bien entendre ici la fermeté des saints, qui les empêchera de succomber sous la violence de leurs persécuteurs. Le firmament est le ciel, et cest cette fermeté 3 céleste qui allume dans le coeur des méchants un zèle ardent, un zèle qui les désespère, quand ils se voient dans limpuissance dattirer les saints de Jésus-Christ au parti de lAntéchrist. Voilà le feu qui les dévorera; « ce feu qui vient de Dieu 4 », parce que cest sa grâce qui rend les saints invincibles, éternel sujet de tourments pour leurs ennemis. De même quil y a un bon zèle, comme celui dont parle le Psalmiste, quand il dit: « Le zèle de votre maison me dévore 5» ; il y en a aussi un mauvais, ainsi que le dit lEcriture : « Le zèle sest emparé dune « populace ignorante, et cest maintenant le « feu qui consume les impies 6 » ; maintenant, dit le texte sacré, et cest sans préjudice du feu du dernier jugement. Si saint Jean a entendu par ce feu la plaie qui frappera les persécuteurs de lEglise à la venue de Jésus Christ, lorsquil tuera lAntéchrist du souffle de sa bouche 7, ce ne sera pas non plus le dernier supplice des impies, mais celui quils doivent souffrir après la résurrection des corps.
CHAPITRE XIII.SI LE TEMPS DE LA PERSÉCUTION DE LANTÉCHRIST DOIT ÉTRE COMPRIS DANS LES MILLE ANS.
Cette dernière persécution de lAntéchrist doit durer trois ans et demi, selon
1. Apoc. XX, 9. 2. Matt. XXV, 41. 3. Nous reproduisons, autant que possible, ce jeu de mots qui roule sur lanalogie de firmamentum et de firmitas. 4. Ce, mots qui vient de Dieu ont été omis tout à lheure par saint Augustin. Il les rétablit maintenant, tels que les donne en effet le texte de lApocalypse. 5. Ps. LXVIII, 10. 6. Isaïe, XXVI, 11 sec. LXX. 8. II Thess. II, 8.
lApocalypse 1 et le prophète Daniel 2. Bien que ce temps soit court, on a raison de demander sil sera compris ou non dans les mille ans de la captivité du diable et du règne des saints. Sil y est compris, le règne des saints sétendra au-delà de la captivité du diable, et ils régneront avec leur roi, lors même que le diable sera délié et quil les persécutera de tout son pouvoir. Comment alors lEcriture détermine-t-elle le règne des saints et la captivité du diable par le même espace de mille ans, si le diable doit être délié trois ans et demi avant que les saints cessent de régner ici-bas avec Jésus-Christ? Dun autre côté, si nous disons que les trois ans et demi ne sont pas compris dans les mille ans, afin que le règne des saints cesse avec la captivité du diable, ce qui semble être le sens le plus naturel des paroles de lApocalypse, nous serons obligés davouer que les saints ne régneront point avec Jésus-Christ pendant cette persécution. Mais qui oserait dire que les membres du Sauveur ne régneront pas avec lui, lorsquils lui seront le plus étroitement unis, et que la gloire des combattants sera dautant plus grande et leur couronne plus éclatante, que le combat aura été plus rude et plus opiniâtre ? Ou si lon prétend quil nest pas convenable de dire quils régneront alors, à cause des maux quils souffriront, il faudra dire aussi que pendant les mille ans mêmes, tous les saints qui ont souffert ne régnaient pas avec Jésus-Christ au temps de leur souffrance, et quainsi ceux qui ont été égorgés pour avoir rendu témoignage à Jésus-Christ et pour la parole de Dieu, ces martyrs dont lauteur de lApocalypse dit quil a vu les âmes, ne régnaient pas avec ce Sauveur, quand ils enduraient la persécution, et quils nétaient pas son royaume, quand il les possédait dune manière si excellente. Or, il nest rien de plus faux, ni de plus absurde. An moins ne peut-on pas nier que les âmes des martyrs ne règnent pendant les mille ans avec Jésus-Christ, et quelles ne règnent même après avec lui, lorsque le diable sera délié. Il faut croire aussi, par conséquent, quaprès les mille ans, les saints régneront encore avec ce Sauveur, et quainsi leur règne sétendra de ces trois ans et demi au-delà de la captivité du diable. Lors donc que saint Jean dit: « Les prêtres de Dieu et de Jésus-Christ régneront
1. Apoc. X et XI. 3. Dan. XII.
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avec lui pendant mille ans ; et les mille ans finis, Satan sera délivré de sa prison » ; il faut entendre que les mille ans ne finiront pas le règne des saints, mais seulement la captivité du diable ; ou du moins, comme trois ans et demi sont peu considérables, en comparaison de tout le temps qui est marqué par mille ans, lEcriture ne sest pas mise en peine de les y comprendre. Nous avons déjà vu la même chose, au seizième livre de cet ouvrage1, au sujet des quatre cents ans, bien quil y eût un peu plus : coutume assez fréquente dans les saintes Ecritures, si lon y veut faire attention.
CHAPITRE XIV.DE LA DAMNATION DU DIABLE ET DES SIENS, ET RÉCAPITULATION DE CE QUI A ÉTÉ DIT SUR LA RÉSURRECTION DES CORPS ET LE JUGEMENT DERNIER.
Après avoir parlé de la dernière persécution, saint Jean résume en peu de mots ce que le diable doit souffrir au dernier jugement avec la cité dont il est le prince : « Et le diable, dit-il, qui les séduisait, fut jeté dans un « étang de feu et de soufre, où la bête et le faux prophète seront tourmentés jour et nuit, « dans les siècles des siècles 2» Nous avons dit plus haut que par la bête, on peut fort bien entendre la cité impie; et quant à son faux prophète, cest ou lAntéchrist, ou cette image, ce fantôme dont nous avons parlé dans Je même endroit. LApôtre revient ensuite au dernier jugement qui se fera à la seconde résurrection des morts, cest-à-dire à celle des corps, et déclare comment il lui a été révélé : « Je vis, dit-il, un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus, devant qui le ciel et la terre senfuirent et disparurent 3 ». Il ne dit pas : Je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus, et le ciel et la terre senfuirent devant lui, parce que cela narriva pas alors, cest-à-dire avant quil eût jugé les vivants et les morts ; mais il dit quil vit assis sur le trône celui devant qui le ciel et la terre senfuirent dans la suite. Lorsque le jugement sera achevé, ce ciel et cette terre cesseront en effet dexister, et il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle. Ce monde passera, non par destruction, mais par changement; ce qui a fait dire à lApôtre: « La figure de ce monde
1. Ch. XXIV.
2. Apoc. XX, 9, 10. 3. Ibid. 11.
passe; cest pourquoi je désire que vous viviez sans soin et sans souci de ce monde 1 »; cest donc la figure du monde qui passe, et non sa nature. Saint Jean, après avoir dit quil vit celui qui était assis sur le trône, devant qui senfuient le ciel et la terre, ce qui narrivera quaprès, ajoute : « Je vis aussi les morts, grands et petits ; et des livres furent ouverts; et un autre livre fut ouvert, qui est le livre de la vie de chacun 2, et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans ces livres, chacun selon ses uvres ». Il dit que des livres furent ouverts, ainsi quun autre, « qui est le livre de la vie de chacun ». Or, ces premiers livres sont lAncien et le Nouveau Testament, pour montrer les choses que Dieu a ordonné quon fit; et cet autre livre particulier de la vie de chacun est là pour faire voir ce que chacun aura ou naura pas fait. A prendre ce livre matériellement combien faudrait-il quil fût grand et gros? ou combien faudrait-il de temps pour lire un livre contenant la vie de chaque homme? Est-ce quil y aura autant danges que dhommes, et chacun entendra-t-il le récit de sa vie de la bouche de lange qui lui sera assigné? A ce compte, il ny aurait donc pas un livre pour tous, mais pour un chacun. Cependant lEcriture nen marque quun pour tous, quand elle dit: « Et un autre livre fut « ouvert » Il faut dès lors entendre par ce livre une vertu divine, par laquelle chacun se ressouviendra de toutes ses oeuvres, tant bonnes que mauvaises, et elles lui seront toutes présentées en un instant, afin que sa conscience le condamne ou le justifie, et quainsi tous les hommes soient payés en un moment, Si cette vertu divine est nommée un livre, cest quon y lit, en quelque sorte, tout ce quon se souvient davoir fait. Pour montrer que les morts doivent être jugés, cest-à-dire les grands et les petits, il ajoute, par forme de récapitulation et en reprenant ce quil avait omis, ou plutôt ce quil avait différé : « Et la mer présenta ses morts, et la mort et lenfer rendirent les leurs 3 » ; ce qui arriva sans doute avant que les morts fussent jugés, et cependant il ne le rapporte quaprès. Ainsi jai raison de dire quil reprend ce quil avait omis. Mais maintenant il garde lordre, et croit devoir
1. I Cor, VII, 31, 32.
2. Ces mot, de chacun (unius cujusque) semblent ajoutée au texte par saint Augustin. La Vulgate ne les donne pas, ni les Septante. 3. Apoc. XX, 13.
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répéter ce quil avait déjà dit du jugement. Après ces paroles : « Et la mer rendit ses morts, et la mort et lenfer rendirent les leurs », il ajoute aussitôt: « Et chacun fut jugé selon ses oeuvres » ; et cest ce quil avait dit avant: «Les morts furent jugés selon leurs oeuvres ».
CHAPITRE XV.DES MORTS QUE VOMIT LAMER POUR LE JUGEMENT, ET DE CEUX QUE LA MORT ET LENFER RENDIRENT.
Mais quels sont ces morts que- la nier contenait et quelle vomit ? Ceux qui meurent dans la mer échapperaient-ils à lenfer? ou bien est-ce que la mer conserve leurs corps? ou bien, ce qui est encore plus absurde, la mer aurait-elle les bons et lenfer les méchants? qui le croira? Il me semble donc que cest avec quelque raison quon a entendu ici le siècle par la mer. Ainsi saint Jean, voulant dire que ceux que Jésus-Christ trouvera encore vivants seront jugés avec ceux qui doivent ressusciter, les appelle aussi morts, tant les bons que les méchants : les bons, à qui il est dit « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ 1» ; et les méchants, dont il est dit: « Laissez les morts ensevelir leurs morts 2 ». On peut aussi les appeler morts en ce quils ont des corps mortels; ce qui a donné lieu à cette parole de lApôtre « Il est vrai que le corps est mort, à cause du «péché; mais lesprit est vivant, à cause de la justice 3 »; montrant par là que lun et lantre est dans un homme vivant: un corps vivant et un esprit qui vit. Il ne dit pas toutefois le corps mortel, mais le corps mort, bien quil le dise ensuite 4, comme on a coutume de lappeler communément. Ce sont ces morts que la mer vomit; entendez que ce siècle présentera les hommes quil contenait, parce quils nétaient pas encore morts. « Et la mort et lenfer, dit-il, rendirent aussi leurs morts ». La mer les présenta, selon la traduction littérale, parce quils comparurent dans létat où ils furent trouvés ; au lieu que la mort et lenfer les rendirent, parce quils les rappelèrent à la vie quils avaient déjà quittée. Peut-être nest. ce pas seulement la mort, mais encore lenfer: la mort, pour marquer les justes qui lont seulement soufferte, sans aller en enfer; et lenfer.
1. Coloss. III, 3. 2. Matt. VIII, 22. 3. Rom. VIII, 10. 4. Ibid. VIII, 11.
à cause des méchants qui y souffrent des supplices. Sil est au fond assez vraisemblable que les saints de lAncien Testament, qui ont cru à lincarnation de Jésus-Christ, ont été, après la mort, dans des lieux, à la vérité, fort éloignés de ceux où les méchants sont tourmentés, mais néanmoins dans les enfers , jusquà ce quils en fussent tirés par le sang du Sauveur et par la descente quil y fit certainement, les véritables chrétiens, après leffusion de ce sang divin, ne vont point dans les enfers, en attendant quils reprennent leur corps et quils reçoivent les récompenses quils méritent. Or, après avoir dit : « Et ils furent-jugés chacun selon leurs oeuvres», il ajoute en un mot quel fut ce jugement: «Et la mort, dit-il, et lenfer furent jetés dans un étang de feu »; désignant par là le diable et tous les démons, attendu que le diable est auteur de la mort et des peines de lenfer. Cest même ce quil a dit avant plus clairement par anticipation : « Et le diable qui les séduisait fut jeté dans un étang de feu et de soufre». Ce quil avait exprimé là plus obscurément: « Où la bête et le faux prophète, etc. », il léclaircit ici en ces termes : « Et ceux qui ne se trouvèrent pas écrits dans le livre de vie furent « jetés dans létang de feu 1 ». Ce livre nest pas pour avertir Dieu, comme sil pouvait se tromper par oubli; mais il signifie la prédestination de ceux à qui la vie éternelle sera donnée. Dieu ne les lit pas dans ce livre, comme sil ne les connaissait pas ; mais plutôt sa prescience infaillible est ce livre de vie dans lequel ils sont écrits, cest-à-dire connus de toute éternité.
CHAPITRE XVI.DU NOUVEAU CIEL ET DE LA NOUVELLE TERRE.
Après avoir parlé du jugement des méchants, saint Jean avait à nous dire aussi quelque chose de celui des bons. Il a déjà expliqué ce que Notre-Seigneur a exprimé en ce peu de mots: « Ceux-ci iront au supplice éternel » ; il lui reste à expliquer ce qui suit immédiatement : « Et les justes à la vie « éternelle 2 ». « Et je vis, dit-il, un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre avaient disparu; et il ny avait plus de mer 3 ». Cela arrivera dans lordre que jai marqué ci-dessus, à propos du passage où il dit avoir vu
1.Apoc. XX, 14, 15. 2. Matt. XXV, 46. 3. Apoc. XXI, 1.
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celui qui était assis sur le trône, devant qui le ciel et la terre senfuirent. Aussitôt que ceux qui ne sont pas écrits au livre de vie auront été jugés et envoyés au feu éternel, dont le lieu et la nature sont, à mon avis, inconnus à tous les hommes, à moins que Dieu ne le leur révèle, alors la figure du monde passera par lembrasement de toutes choses, comme elle passa autrefois par le déluge. Cet embrasement détruira les qualités des éléments corruptibles qui étaient conformes au tempérament de nos corps corruptibles, pour leur en donner dautres qui conviennent à des corps immortels, afin que le monde renouvelé soit en harmonie avec les corps des hommes qui seront renouvelés pareillement. Quant à ces paroles : « Il ny aura plus de « mer», il nest pas aisé de décider si la mer sera desséchée par lembrasement universel, ou bien si elle sera transformée. Nous lisons bien quil y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle; mais pour une mer nouvelle, je ne me souviens pas de lavoir jamais lu. Il est vrai que, dans ce même livre, il est parlé dune sorte de mer semblable à du cristal 1, mais il nest pas là question de la fin du monde, et le texte ne dit pas que ce fut proprement une mer, mais une sorte de mer. Pourtant, à limitation des Prophètes, qui se plaisent à employer des métaphores pour voiler leur pensée, saint Jean, disant « quil ny avait plus de mer », a peut-être voulu parler de cette même mer dont il avait dit auparavant que « la mer présenta les morts qui étaient dans son sein ». En effet, il ny aura plus alors de siècle plein dorages et de tempêtes, tel que le nôtre, quil a présenté sous limage dune mer.
CHAPITRE XVII.DE LA GLORIFICATION ÉTERNELLE DE LÉGLISE, A LA FIN DU MONDE.
« Ensuite », dit lApôtre, « je vis descendre la grande cité, la nouvelle Jérusalem qui venait de Dieu, parée comme une jeune épouse, ornée pour son époux. Et jentendis une grande voix qui sortait du trône et disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il demeurera avec eux, et ils seront son peuple, et il sera leur Dieu. Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il ny
1. Apoc. IV, 6; XV, 2.
aura plus ni mort, ni deuil, ni cris, ni douleur, parce que le premier état sera fini. Et celui qui était assis sur le trône dit: Je men vais faire toutes choses nouvelles 1 ». LEcriture dit que cette Cité descendra du ciel, parce que la grâce de Dieu, qui la formée, en vient; elle lui dit par la même raison dans Isaïe « Je suis le Seigneur qui te forme 2 ». Cette Cité, en effet, est descendue du ciel, dès quelle a commencé, depuis que ses concitoyens saccroissent par la grâce du baptême, que leur a communiquée la venue du Saint-Esprit. Mais elle recevra une si grande splendeur à la venue de Jésus-Christ, quil ne lui restera aucune marque de vieillesse, puisque les corps mêmes passeront de la corruption et de la mortalité à un état dincorruptibilité et dimmortalité. Il me semble quil y aurait trop dimpudence à soutenir que les paroles de saint Jean doivent sentendre des mille ans que les saints régneront avec leur roi, attendu quil dit très-clairement que « Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et quil ny « aura plus ni mort, ni deuil, ni cris, ni douleur ». Et qui serait assez déraisonnable pour prétendre que, parmi les misères de cette vie mortelle, non-seulement tout le peuple de Dieu, mais quaucun saint même soit exempt de larmes et dennui? tandis quau contraire, plus on est saint et plein de bons désirs, plus on répand de pleurs dans la prière! Nest-ce point la Cité sainte, la Jérusalem céleste, qui dit : « Mes larmes mont servi de nourriture jour et nuit 3 » ; et encore : « Je tremperai mon lit de pleurs toute la nuit, je le baignerai de mes larmes 4» ; et ailleurs: « Mes gémissements ne vous sont point cachés 5»; et enfin : « Ma douleur sest renouvelée 6 ». Ne sont-ce pas les enfants de la divine Jérusalem qui gémissent, parce quils voudraient bien, non pas que. leur corps fût anéanti, mais quil fût revêtu dimmortalité, en sorte que ce quil y a de mortel en eux fût absorbé par la vie 7? ne sont-ce pas eux qui, possédant les prémices de lEsprit, soupirent en eux-mêmes en attendant ladoption divine, cest-à-dire la rédemption de leur corps 8? Et lapôtre saint Paul nétait-il pas un citoyen de cette Jérusalem céleste, surtout quand il était saisi dune profonde tristesse et percé jusquau coeur par
1. Apoc, XXI, 2-5. 2. Isa. XLV, 8, sec. LXX. 3. Ps. XLI, 4. 4. Ibid. VI, 7. 5. Ibid. XXXVII, 10. 6. Ibid. XXXVIII, 3. 7 II Cor. V, 4. 8. Rom, VIII, 23.
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une douleur poignante et continuelle à cause des Israélites, qui étaient ses frères selon la chair 1 ?. Quand donc la mort ne sera-t-elle plus dans cette Cité, sinon quand on dira « O mort ! où est ta victoire? ô mort ! où est ton aiguillon? or, laiguillon de la mort, cest le péché 2 », lequel ne sera plus alors; mais maintenant, ce nest pas un habitant obscur de cette Cité, cest saint Jean lui-même qui crie dans son épître: « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité nest point en nous 3 ». Je demeure daccord que dans lApocalypse il y a beaucoup de choses obscures, propres à exercer lesprit du lecteur, et un petit nombre de choses claires, propres à faire comprendre les autres, non sans prendre beaucoup de peine. La raison de cette obscurité, cest surtout la coutume de lauteur de dire les mêmes choses en tant de manières, quil semble quil veut parler de différentes choses, lorsque cest toujours la même, diversement exprimée. Mais quant à ces paroles : « Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux; et il ny aura plus ni mort, ni deuil, ni cris, ni douleur » ; elles regardent si évidemment le siècle à venir, limmortalité et léternité des saints, qui seuls seront délivrés de ces misères, quil ne faut rien chercher de clair dans lEcriture sainte, si lon trouve ces paroles obscures.
CHAPITRE XVIII.CE QUANNONCE SAINT PIERRE TOUCUANT LE JUGEMENT DERNIER
Voyons maintenant ce que lapôtre saint Pierre a écrit sur ce jugement: « Dans les derniers jours, dit-il, viendront des séducteurs pleins dartifices, qui, marchant à la suite de leurs passions, diront : Quest devenue la promesse de son avénement? car, depuis que nos pères sont morts, toutes choses se passent comme au commencement de la création. Paroles dinsensés qui ne veulent pas savoir que les cieux furent dabord dégagés des eaux par la parole de Dieu, aussi bien que la terre, et que le monde dalors périt et fut submergé par les eaux. Mais les cieux et la terre qui existent à présent ont été rétablis par la même parole de Dieu, et sont destinés à être brûlés par le feu au jour
1. Rom. IX, 2. 3. 1 Cor, XV, 55, 56. 3. I Jean, I, 8.
du jugement, lorsque les méchants périront. Or, apprenez, mes bien-aimés, que devant Dieu un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour. Ainsi le Seigneur ne diffère point laccomplissement de sa promesse, comme quelques-uns se limaginent, mais il vous attend avec patience, parce quil veut, non pas quaucun périsse, mais que tous se repentent et se convertissent. Or, le jour du Seigneur viendra comme un larron, et alors les cieux passeront avec un grand fracas, les éléments seront dissous par la violence du feu, et la terre sera consumée avec tous ses ouvrages. Puisque toutes choses doivent périr, Il vous convient dattendre ce moment dans la sainteté et daller au devant du jour du Seigneur, alors que les cieux embrasés seront dissous, et que les éléments périront par le feu. Mais nous attendrons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre Où la justice régnera 1 ». LApôtre ne dit rien ici de la résurrection des morts; mais il sétend beaucoup sur la ruine du monde, et, parce quil dit du déluge, il semble nous avertir de la manière dont lunivers doit périr un jour. Il dit, en effet, que le monde, qui était alors, périt, non-seulement le globe de la terre, mais encore les cieux, cest-à-dire les espaces-de lair qui avaient été envahis par la crue des eaux. Il entend, en effet, par les cieux, ce lieu de lair où souffle le vent, et seulement ce lieu, mais non les cieux supérieurs où sont placés le soleil, la lune et les étoiles. Ainsi toute cette région de lair avait été changée par lenvahissement de leau, et elle périt ainsi, comme la terre avait péri avant elle par le déluge. « Mais, dit-il, les cieux et la terre dà présent ont été rétablis par la même parole de Dieu, et sont réservés pour être brûlés par le feu, au jour du jugement, lorsque les méchants périront ». Ainsi le monde qui a été rétabli, cest-à-dire ces cieux et cette terre,- mis à la place du inonde qui avait été détruit par le déluge, sont destinés à périr par le feu, au jour du jugement, quand les méchants périront. Il déclare, sans hésiter, que les méchants périront à cause du grand-changement qui leur arrivera, bien que leur nature doive toujours demeurer au milieu des supplices éternels. On dira peut-être : Si le monde est embrasé après le jugement, où
1. II Pierre, III, 3-13.
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seront les saints lors de cet embrasement suprême, avant que Dieu ait remplacé le monde détruit par un ciel nouveau et une terre nouvelle? car, puisquils auront des corps, il faut bien quils soient quelque part. Nous pouvons répondre quils seront dans les hautes régions où le- feu de lembrasement natteindra pas, non plus quautrefois leau du déluge; leurs corps seront tels alors quils pourront demeurer où il leur conviendra. Ils ne craindront pas même le feu de cet embrasement, étant immortels et incorruptibles; de même que les corps mortels et corruptibles des trois jeunes hommes purent vivre dans la fournaise ardente 1, sans être atteints par le feu.
CHAPITRE XIX.DE LÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HABITANTS DE THESSALONIQUE SUR LAPPARITION DE LANTECHRIST, APRÈS LEQUEL VIENDRA LE JOUR DU SEIGNEUR.
Je me vois dans la nécessité de négliger un grand nombre de témoignages des évangélistes et des Apôtres sur ce dernier jugement, craignant de donner trop détendue à ce livre. Mais je ne puis passer sous silence ce que dit saint Paul dans une épître écrite aux habitants de Thessalonique : « Nous vous prions, mes frères, par lavénement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et au nom de notre union en lui, de ne pas vous laisser ébranler légèrement, sur la foi de quelques fausses prophéties ou sur quelque discours et sur quelque lettre quon supposerait venir de nous, pour vous faire croire que le jour du Seigneur est proche; Que personne ne vous trompe. Il faut auparavant que lapostat vienne, et que lhomme de péché se manifeste, ce fils de perdition, qui sopposera à Dieu, et qui sélèvera au-dessus de tout ce quon appelle Dieu et quon adore, jusquà sasseoir dans le temple de Dieu, voulant passer lui-même pour Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous disais tout cela, quand jétais encore avec vous? Vous savez bien aussi ce qui empêche quil ne vienne, afin quil paraisse en son temps. Car le mystère diniquité commence à se former. Seulement que celui qui tient maintenant tienne jusquà ce quil sorte; et alors se «révélera ce méchant que le Seigneur tuera
1. Dan, III, 21.
du souffle de sa bouche, et quil dissipera par léclat de sa présence ce méchant, dis-je, qui doit venir avec la puissance de Satan et faire une infinité de prodiges et de faux miracles qui séduiront ceux qui doivent périr pour navoir point aimé la vérité qui les eût sauvés. Cest pourquoi Dieu leur en verra un esprit derreur qui les fera croire au mensonge, afin que tous ceux qui nont point cru à la vérité, mais qui ont consenti à liniquité, soient condamnés 1 ». Il est hors de doute que saint Paul a dit ceci de lAntéchrist et du jour du jugement, quil appelle le jour du Seigneur, pour expliquer que le Seigneur ne viendra point avant que celui-quil appelle lapostat ne soit venu. Que si lon peut appeler avec raison tous les impies des apostats, à plus forte raison peut-on nommer ainsi lAntéchrist. Mais quel est le temple de Dieu où il doit -sasseoir? On ne peut décider si cest dans les ruines du temple de Salomon ou dans lEglise. Sil sagissait du temple dune idole ou du démon, assurément lApôtre ne lappellerait pas le temple de Dieu. Aussi a-t-on voulu que ce passage, qui a rapport à 1Antéchrist, sentendît non-seulement du prince des impies, mais cri quelque sorte de tout ce qui fait corps avec lui, cest-à-dire de la multitude des hommes qui lui appartiennent; et lon a cru quil valait mieux suivre le texte grec et dire, non « dans le temple de Dieu », mais « en temple de Dieu », comme si lAntéchrist était lui-même le temple de Dieu, qui nest autre chose que lEglise. Cest ainsi que nous disons il « sassied en ami », cest-à-dire comme ami, et autres locutions du même genre. Quant à ces paroles : « Vous savez aussi ce qui empêche quil ne vienne maintenant », cest-à-dire vous connaissez la cause du retard de sa venue, « cest afin quil paraisse en son temps ». Comme il dit Vous le savez, il ne sen est pas expliqué plus clairement; mais nous qui lignorons, nous avons bien de la peine à comprendre ce quil veut dire, dautant mieux que ce quil ajoute rend plus obscur encore le sens de ce passage. En effet, que signifient ces paroles « Le mystère diniquité commence déjà à se former; seulement que celui qui tient maintenant tienne jusquà ce quil sorte; et alors le méchant se manifestera? »Javoue franchement ne pas comprendre ce
1. II Thess. II, 1-11.
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que cela veut dire; mais je ne passerai pas sous silence les conjectures de ceux que jai pu lire ou entendre. Il en est qui pensent que saint Paul parle ici de lempire romain, et que cest la raison pour laquelle il a affecté dêtre obscur, de crainte quon ne laccusât de faire des imprécations contre un empire quon regardait comme éternel; de sorte que par ces paroles « Le mystère diniquité commence à se former », il aurait eu en vue Néron, dont on regardait les oeuvres comme celles de lAntéchrist 1. Dautres pensent même que Néron na pas été tué 2, mais seulement enlevé, pour quon le crût mort, et quil est caché quelque part, vivant et dans la vigueur de lâge quil avait quand on le crut mort, pour reparaître en son temps et être rétabli dans son royaume 3. Mais cette opinion me semble tout au moins fort singulière. Toutefois , ces paroles de lApôtre : « Seulement que celui qui tient maintenant tienne jusquà ce quil sorte ci, peuvent sans absurdité sentendre de lempire romain, comme sil y avait: « Seulement que celui qui commande, commande jusquà ce quil sorte », cest-à-dire jusquà ce quil soit retranché. « Et alors le méchant se découvrira », cest-à-dire lAntéchrist, comme tout le monde en tombe daccord. Mais dautres pensent que ces paroles: «Vous savez ce qui empêche quil ne vienne; car le mystère diniquité commence déjà à se former », ne doivent sappliquer quaux méchants et aux hypocrites qui sont dans 1Eglise, jusquà ce quils soient en assez grand nombre pour fournir un grand peuple à lAntéchrist, et que cest ce quil appelle le « mystère diniquité ci, parce que cest une chose cachée. Les paroles de lApôtre seraient donc une exhortation aux fidèles de demeurer fermes dans leur foi, quand il dit: « Seulement que celui qui tient maintenant tienne jusquà ce quil sorte », cest-à-dire jusquà ce que le mystère diniquité sorte de lEglise, où il est maintenant caché. Ceux-là estiment que ce mystère diniquité est celui dont parle ainsi saint Jean dans son épître : « Mes enfants, voici la dernière heure; car, comme
1. Cest le sentiment de saint Jean Chrysostome, de saint Cyrille, de Tertullien et de plusieurs autres Pères. Voyez les témoignages cités par Léonard Coquée en son commentaire sur la Cité de Dieu. 2. Voyez Sulpice Sévère, Hist. sacr., lib. II, cap. 29. 3. Cette légende populaire sur Néron est rapportée par Suétone , (Vit. Ner., cap. 57), Tacite (Hist., lib. II, cap. 8) et Lactance (De mort. pers., cap. 2, § 8).
vous avez ouï dire que lAntéchrist doit venir et quil y a déjà maintenant plusieurs Antéchrists, cela nous fait connaître que nous sommes arrivés maintenant à la dernière heure. Ils sont sortis davec nous, mais ils nétaient pas des nôtres ; car sils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés 1 ». De même, disent-ils, que plusieurs hérétiques, que saint Jean appelle des Antéchrists, sont déjà sortis de lEglise, à. cette heure, quil dit être la dernière, ainsi tous ceux qui nappartiendront pas à Jésus-Christ, mais à lAntéchrist, en sortiront alors, et cest alors quil se manifestera. Cest ainsi quon explique, ceux-ci dune manière, ceux-là dune autre , ces obscures paroles de saint Paul; mais du moins on ne doute point quil nait dit que Jésus-Christ ne viendra pas juger les vivants et les morts avant que lAntéchrist ne soit venu séduire ceux qui seront déjà morts dans lâme, encore que cette séduction même appartienne au mystère des jugements de Dieu. « LAntéchrist » ,comme dit lApôtre, « viendra avec la puissance de Satan, et fera une infinité de prodiges et de faux miracles pour séduire ceux qui doivent périr ». Alors en effet Satan sera délié et il agira de tout son pouvoir par dAntéchrist, en faisant plusieurs miracles trompeurs. On a coutume de demander si lApôtre les appelle de faux miracles, parce que ce ne seront que des illusions et des prestiges, ou bien parce quils entraîneront dans lerreur ceux qui croiront ces prodiges au-dessus de la puissance du diable, faute de connaître ce quil peut et surtout ce quil pourra, alors quil recevra un pouvoir plus grand quil ne la jamais eu. En effet, lorsque le feu tomba du ciel et consuma la nombreuse famille de Job avec tant de troupeaux, et quun tourbillon de vent abattit la maison où étaient ses enfants et les écrasa sous ses ruines, ce nétaient pas des illusions , et cependant cétaient des oeuvres de Satan, à qui Dieu avait donné ce pouvoir. Quoi quil en soit (car nous saurons mieux un jour pourquoi lApôtre les appelle de faux miracles), il est certain quils séduiront ceux qui auront mérité dêtre séduits, pour navoir pas aimé la vérité qui les eût sauvés. LApôtre ne dissimule pas que « Dieu leur enverra une erreur si forte et si spécieuse quils auront foi dans le
1. Jean, II, 18, 19.
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mensonge ! » Il la leur enverra, parce quil permettra au diable de faire ces prodiges, et il le lui permettra par un jugement très-juste, bien que le dessein du diable en cela soit injuste et criminel: «Afin»,ajoute-t-il, «que tous ceux qui nont point cru à la vérité, mais qui ont consenti à liniquité, soient condamnés ». Ainsi ils seront séduits par ces jugements de Dieu, également justes et cachés, quil na jamais cessé dexercer sur les hommes depuis le péché du premier homme. Après avoir été séduits, ils seront condamnés dans le dernier et public jugement par Jésus-Christ, qui, condamné injustement par les hommes, les condamnera justement.
CHAPITRE XX.CE QUE SAINT PAUL A ENSEIGNÉ SUR LA RÉSURRECTION DES MORTS DANS SA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX HABITANTS DE THESSALONIQUE.
LApôtre ne parle pas ici de la résurrection des morts; mais dans sa première épître aux mêmes habitants de Thessalonique, il dit « Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce qui regarde ceux qui dorment, de peur que vous ne vous affligiez comme font les autres hommes qui nont point despérance. Car si nous croyons que Jésus-Christ est mort et ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui sont morts avec lui. Je vous déclare donc, selon la parole du Seigneur, que nous qui vivons « et qui sommes réservés pour lavénement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; mais à la voix de larchange et au son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel; et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers. Ensuite, nous qui sommes vivants et qui serons demeurés jusqualors, nous serons emportés avec eux dans les nues et au milieu des airs devant le Seigneur; et ainsi nous serons pour jamais avec le Seigneur 1 ». Ces paroles de lApôtre marquent clairement la résurrection future, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts. Mais on a coutume de demander si ceux que le Seigneur trouvera vivants, et que saint Paul figure ici par lui-même et par ceux qui
1. I Thess. IV, 12-16,
vivaient alors, ne mourront point; ou bien si, dans le moment où ils seront emportés dans lair devant le Seigneur, ils passeront par la mort à limmortalité 1. On aurait tort de croire que, pendant quils seront portés dans lair, ils ne pourront mourir et ressusciter. Aussi ne faut-il pas entendre ces paroles: « Et ainsi nous serons pour jamais avec le Seigneur », comme si saint Paul voulait dire par là que nous demeurerons toujours avec lui dans lair, puisquil ny demeurera pas lui-même, et quil y viendra seulement en passant; mais nous serons pour jamais avec le Seigneur, en ce que nous aurons toujours des corps mortels, dans quelque lieu que nous soyons avec lui. Or, cest lApôtre lui-même qui nous oblige en quelque sorte à croire que ceux que Notre-Seigneur trouvera vivants souffriront la mort et recevront limmortalité incontinent, puisquil dit : « Tous vivront en Jésus-Christ 2 » ; et encore « Ce quon sème dans la terre ne renaît pas, sil ne meurt auparavant 3». Comment donc ceux que Jésus-Christ trouvera vivants revivront-ils en lui par limmortalité, sils ne meurent pas? Il est vrai que si lon ne peut pas dire proprement du corps dun homme quil est semé, à moins quil ne retourne à la terre, selon la sentence portée par Dieu contre le premier pécheur: «Tu es terre, et tu retourneras à la terre 4 »; il faut avouer que ceux que Notre-Seigneur trouvera en vie, à son avénement, ne sont pas compris dans ces paroles de lApôtre, ni dans celles de la Genèse. Il est clair quétant enlevés dans les nues, ils ne seront pas semés en terre et ny retourneront pas, soit quils ne doivent pas mourir, soit quils meurent momentanément dans lair. Mais, dun autre côté, le même Apôtre, écrivant aux Corinthiens, dit : « Nous ressusciterons tous 5 » ; ou, suivant dautres leçons: « Nous dormirons tous 6 ». Si donc on ne peut ressusciter sans avoir passé par la mort, comment tous ressusciteront-ils ou dormiront-ils, si tant dhommes que Jésus-Christ trouvera vivants ne doivent ni dormir ni ressusciter? Jestime donc quil faut nous en tenir à ce que
1. Comp. saint Augustin, Epist, CXLIII ad Mercatorem; Liber de Octo Dulc. quaest., qu. 3. 2. I Cor. XV, 22. 3. Ibid. 36. 4. Gen. III, 19. 5. 1 Cor. XV, 51. 6. Tertullien suit la première leçon (De Res. carn., cap. 42); saint Jérôme préfère la seconde (Epist. CLII ad Minerium ; Comm. In Isaiae cap LI).
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nous venons de dire, que ceux que Jésus-Christ trouvera en vie, et qui seront emportés dans lair, mourront en ce moment, pour reprendre aussitôt après leurs corps mortels. Pourquoi ne croirions-nous pas que cette multitude de corps puisse être semée en quelque sorte dans lair et y reprendre à lheure même une vie immortelle et incorruptible, lorsque nous croyons ce que nous dit le même Apôtre, que la résurrection se fera en un clin dil 1, et que la poussière des corps, répandue en cent lieux, sera rassemblée avec tant de facilité et de promptitude? Quant à cette parole de la Genèse : « Tu es terre, et tu retourneras à la terre » ; il ne faut pas simaginer quelle ne saccomplisse pas dans les saints qui mourront dans lair, sous prétexte que leurs corps ne retomberont pas sur la terre, attendu que ces mots: « Tu retourneras à la terre », signifient ; Tu iras, après avoir perdu là vie, là où tu étais avant de la recevoir ; cest-à-dire, tu seras, quand tu auras perdu ton âme, comme tu étais avant den avoir une. Lhomme nétait que terre, en effet, quand Dieu souffla sur sa face pour lui donner la vie. Cest donc comme sil lui disait: Tu es une terre animée, ce que tu nétais pas; tu seras une terre sans âme, comme tu étais. Ce que sont tous les corps morts avant quils ne pourrissent, ceux-là le seront sils meurent, quelque part quils meurent. Ils retourneront donc à la terre, puisque dhommes vivants. Ils redeviendront terre.; de même que ce qui devient cendre retourne en cendre, que ce qui devient vieux va à la vieillesse, que la bouc qui durcit revient à létat de pierre ? Mais toutes nos réflexions à ce sujet ne sont que des conjectures; et nous ne comprendrons bien quau jour suprême ce qui en est réellement. Si nous voulons être chrétiens, nous devons croire à la résurrection des corps, quand Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts. Et ici notre foi nest pas vaine, bien que nous ne comprenions pas parfaitement ce quil en sera, pourvu que nous y croyions. Il nous reste à examiner, comme nous lavons promis, ce que les livres prophétiques de lAncien Testament disent de ce dernier jugement de Dieu; mais nous naurons pas besoin, pour être compris, de nous étendre beaucoup, si le lecteur veut bien se rappeler ce que nous venons de dire.
1. I Cor. XV, 52.
CHAPITRE XXI.PREUVES DE LA RÉSURRECTION DES MORTS ET DU JUGEMENT DERNIER, TIRÉES DU PROPHÈTE ISAÏE.
Le prophète Isaïe a dit: « Les morts ressusciteront, et ceux qui sont dans les tombeaux en sortiront, et tous ceux qui sont sur la terre se réjouiront; car la rosée qui vient de vous est leur santé ; mais la terre des impies tombera 1 ». Tout le commencement du verset regarde la résurrection des bienheureux; mais quand il dit: «La terre des impies tombera », il faut lentendre des méchants qui tomberont dans la damnation. Pour ce qui regarde la résurrection des bons, si nous y voulons prendre garde, nous trouverons quil faut rapporter à la première ces paroles: « Les morts ressusciteront » ; et à la seconde celles-ci, qui viennent après: « Ceux qui sont dans les tombeaux ressusciteront aussi ». Ces mots : « Et tous ceux qui sont sur la terre se réjouiront; car la rosée qui vient de vous est leur santé », sappliquent aux saints que Jésus-Christ trouvera vivants à son avénement. Par la santé, nous ne pouvons entendre raisonnablement que limmortalité; car on peut dire quil ny a point de santé plus parfaite que celle qui na pas besoin, pour se maintenir, de prendre tous les jours le remède des aliments. Le même Prophète parle encore ainsi du jour du jugement, après avoir donné de lespérance aux bons et de la frayeur aux méchants: « Voici ce que dit le Seigneur: Je me détournerai sur eux comme un fleuve de paix et comme un torrent qui inondera la gloire des nations. Leurs enfants seront portés sur les épaules et caressés sur les genoux. Je vous caresserai comme une mère caresse son enfant, et ce sera dans Jérusalem que, vous recevrez cette consolation. Vous verrez, et votre coeur se réjouira, et vos os germeront comme lherbe. On reconnaîtra la main du Seigneur qui va venir comme un feu; et ses chariots seront comme la tempête, pour exercer sa vengeance dans sa colère et livrer tout en proie aux flammes,. Car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur, et toute chair par son glaive. Plusieurs seront blessés par le Seigneur 2 ». Le Prophète dit que le Seigneur se détournera sur les bons comme un fleuve de paix ; ce qui sans
1. Isa. XXVI, 19, sec. LXX. 2. Ibid. LXVI, 12.16, sec. LXX.
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doute leur promet une abondance de paix la plus grande qui puisse être. Cest cette paix dont nous jouirons à la fin et dont nous avons amplement parlé au livre précédent. Voilà le fleuve que le Seigneur détournera sur les bons, à qui il promet une si grande félicité, pour nous faire entendre que dans cette heureuse région, qui est le ciel, tous les désirs seront comblés par lui, Comme cette paix sera une source dincorruptibilité et dimmortalité qui se répandra sur les corps mortels, il dit quil se détournera comme un fleuve sur eux, afin de se répandre den haut sur les choses les plus humbles et dégaler les hommes aux anges. Et par la Jérusalem dont le Prophète parle, il ne faut point entendre celle qui est esclave, ainsi que ses enfants, mais au contraire, avec lApôtre, celle qui est libre et noire mère, et qui est éternelle dans les cieux 1, où nous serons consolés après les ennuis et les travaux de cette vie mortelle, et portés sur ses épaules et sur ses genoux comme de petits enfants. Nous serons, en quelque sorte, tout renouvelés pour une si grande félicité et pour les ineffables douceurs que nous goûterons dans son sein. Là nous verrons, et notre cur se réjouira. Il ne dit point ce que nous verrons; mais que sera-ce, sinon Dieu ? Alors saccomplira en nous la promesse de lEvangile : «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce quils verront Dieu 2 ». Que sera-ce, sinon toutes ces choses que nous ne voyons point maintenant, mais que nous croyons, et dont lidée que nous nous formons, selon la faible portée de notre esprit, est infiniment au-dessous de ce quelles sont réellement: «Vous verrez, dit-il, et votre coeur se réjouira». Ici vous croyez, là vous verrez. Quand il a dit: « Et votre coeur se réjouira », craignant que nous ne pensions que ces biens de la Jérusalem céleste ne regardent que lesprit, il ajoute « Et vos os germeront comme lherbe»,où il nous rappelle la résurrection des corps, comme sil reprenait ce quil avait omis de dire. Cette résurrection ne se fera pas, en effet, lorsque nous aurons vu ; mais au contraire, cest quand elle sera accomplie que nous verrons. En effet, le Prophète avait déjà parlé auparavant dun ciel nouveau et dune terre nouvelle, aussi bien que des promesses faites aux saints: « Il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle ; et ils ne
1. Galat. IV, 26. Matt. V, 8.
trouveront que des sujets de joie dans cet heureux séjour. Je ferai que Jérusalem ne soit plus quune fête éternelle, et mon peuple la joie même. Et Jérusalem fera tout mon plaisir, et mon peuple toutes mes délices. On ny entendra plus de pleurs ni de gémissements 1 ». Puis vient le reste, que certains veulent faire rapporter au règne charnel des mille ans. Le Prophète mêle ici les expressions figurées avec les autres, afin que notre esprit sexerce salutairement à y chercher un sens spirituel; mais la paresse et lignorance sarrêtent à la lettre, et ne vont pas plus loin. Pour revenir aux paroles du Prophète que nous avions commencé à expliquer, après avoir dit : « Et vos os germeront comme lherbe », pour montrer quil ne parle que de la résurrection des bons, il ajoute: « Et lon reconnaîtra la main du Seigneur envers ceux qui le servent». Quelle est cette main, sinon celle qui distingue les hommes qui servent Dieu de ceux qui le méprisent? Il parle ensuite de ces derniers dans les termes suivants : « Et il exécutera ses menaces contre les rebelles. Car voilà le Seigneur qui va venir comme un feu, et ses chariots seront comme la tempête, pour exercer sa vengeance dans sa colère, et donner tout en proie aux flammes. Car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur, et toute chair par son glaive, et plusieurs seront blessés par le Seigneur». Par ces mots de feu, de tempête, et de glaive, il entend le supplice de lenfer. Les chariots désignent le ministère des anges. Lorsquil dit que toute la terre et toute chair seront jugées par le feu du Seigneur et par son glaive, il faut excepter les saints et les spirituels, et ny comprendre que les hommes terrestres et charnels, dont il est dit quils ne goûtent que les choses de la terre 2, et que la sagesse selon la chair, cest la mort 3 et enfin ceux que Dieu appelle chair, quand il dit: «Mon esprit ne demeurera plus parmi ceux-ci, parce quils ne sont que chair 4 ». Quand il dit que « plusieurs seront blessés par le Seigneur », ces blessures doivent sentendre de la seconde mort. Il est vrai quon peut prendre aussi en bonne part le feu, le glaive elles blessures. Notre-Seigneur dit lui-même quil est venu pour apporter le feu sur la terre 5.
1. Isa. LXV, 17-16 sec, sec. LXX. 2. Philipp. III, 19. 3. Rom. VIII, 6.- 4. Gen. VI, 3. 5. Luc, XII, 49.
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Les disciples virent comme des langues de feu qui se divisèrent quand le Saint-Esprit descendit sur eux 1. Notre-Seigneur dit encore quil nest pas venu sur la terre pour apporter la paix, mais le glaive 2. LEcriture appelle la parole de Dieu un glaive à cieux tranchants, à cause des deux Testaments 3 et dans le Cantique des cantiques, lEglise sécrie quelle est blessée damour comme dun trait 4. Mais ici, où il est clair que Dieu vient pour exécuter ses vengeances, on voit de quelle façon toutes ces expressions doivent sexpliquer. Après avoir brièvement indiqué ceux qui seront consumés par ce jugement, le Prophète, figurant les pécheurs et les impies sous limage des viandes défendues par lancienne loi, dont ils ne se sont pas abstenus, revient à la grâce du Nouveau Testament, depuis le premier avénement du Sauveur jusquau jugement dernier, par lequel il termine sa prophétie. Il raconte que le Seigneur déclare quil viendra pour rassembler toutes les nations, et quelles seront témoins de sa gloire 5 ; car, dit lApôtre : « Tous ont péché et tous ont besoin de la gloire de Dieu 6 ». lsaïe ajoute quil fera devant eux tant de miracles quils croiront en lui, quil enverra certains dentre eux en différents pays et dans les îles les plus éloignées, où lon na jamais ouï parler de lui, ni vu sa gloire, quils amèneront à la foi les frères de ceux à qui le Prophète a parlé, cest-à-dire les Israélites élus, en annonçant lEvangile parmi toutes les nations, quils amèneront un présent à Dieu, de toutes les contrées du monde, sur des chevaux et sur des chariots (qui sont les secours du ciel et qui se transmettent par le ministère des anges et des hommes), enfin quils lamèneront dans la sainte Cité de Jérusalem, qui maintenant est répandue par toute la terre dans la sainteté des fidèles. En effet, où ils se sentent aidés par un secours divin, les hommes croient, et où ils croient, ils viennent. Or, le Seigneur les compare aux enfants dIsraël qui lui offrent des victimes dans son temple, avec des cantiques de louange, comme lEglise le pratique déjà partout. De nos jours, ne choisit-on pas les prêtres et les lévites, non en regardant la race et le sang, comme cela se pratiquait dabord dans le sacerdoce selon lordre dAaron, muais comme il convient à lesprit du
1. Act. II, 3. 2. Matt. X, 31. 3. Hébr. IV, 12. 4. Cant. II, 5, sect. LXX. 5. Isa. LXVI, 17, 18. 6. Rom. III, 23.
Nouveau Testament, où Jésus-Christ est le souverain prêtre selon lordre de Mélchisédech 1, en considérant le mérite que la grâce divine donne à chacun? ne choisit-on pas, dis-je, des prêtres et des lévites quil ne faut pas juger par la fonction dont ils sont souvent indignes, mais par la sainteté, qui ne peut être commune aux bon set aux méchants? Après avoir ainsi parlé de cette miséricorde de Dieu pour son Eglise, dont les effets nous sont si sensibles et si connus, Isaïe promet, de la part de Dieu, les fins où chacun arrivera lorsque le dernier jugement aura séparé les bons davec les méchants : « Car, de même que le nouveau ciel et la nouvelle terre demeureront en ma présence, dit le Seigneur, ainsi votre semence et votre nom demeureront devant moi; et ils passeront de mois en mois et de sabbat en sabbat, et toute chair viendra madorer en Jérusalem; et ils sortiront, et ils verront les membres des hommes prévaricateurs. Leur ver ne mourra point, et le feu qui les brûlera ne séteindra point; et ils serviront de spectacle à toute chair 2 ». Cest par là que le prophète lsaïe finit son livre, comme par là aussi le monde doit finir. Quelques versions, au lieu des « membres des hommes », portent les « cadavres des hommes 3 », entendant évidemment par là la peine des corps damnés, quoique dordinaire on nappelle cadavre quune chair sans âme, au lieu que les corps dont il parle seront animés, sans quoi ils ne pourraient souffrir aucun tourment. Cependant il est possible quon ait voulu entendre par ces mots des corps semblables à ceux des hommes qui passeront à la seconde mort, doù vient cette parole du Prophète: « La terre des impies tombera ». Qui ne sait, en effet, que cadavre vient dun mot latin qui signifie tomber 4 ? De même il est assez clair que par le mot hommes le Prophète veut parler de toutes les créatures humaines en général 5 ; car personne noserait soutenir que les femmes pécheresses ne subiront pas aussi leur supplice. Il faut le croire dautant mieux que cest de la femme elle-même que lhomme est sorti. Mais voici ce qui importe particulièrement à notre sujet, puisque le Prophète, en parlant des bons, dit: « Toute chair viendra », parce que le peuple
1. Ps. CIX, 4. 2. Isa. LXVI, 22-21, sec. LXX. 3. Cest la leçon de la Vulgate. 4. Voyez plus haut, ch. 10. 5. La Vulgate donne virorum les Septante anthropon.
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chrétien sera composé de toutes les nations, et quen parlant des méchants, il les appelle membres ou cadavres, cela montre que le jugement qui enverra à leur fin les bons et les méchants aura lieu après la résurrection de la chair, dont il parle si clairement.
CHAPITRE XXII.COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE LES BONS SORTIRONT POUR VOIR LE SUPPLICE DES MÉCHANTS.
Mais comment les bons sortiront-ils pour voir le supplice des méchants? Dirons-nous quils quitteront réellement les bienheureuses demeures, pour passer aux lieux des supplices et être témoins des tourments des damnés? A Dieu ne plaise! cest en esprit, cest par la connaissance quils sortiront. Ce mot sortir fait entendre que ceux qui seront tourmentés seront dehors : car Notre-Seigneur appelle aussi ténèbres extérieures ces lieux opposés à lentrée quil annonce au bon serviteur, quand il lui dit: « Entre dans la joie de ton Seigneur 1 »; et loin que les méchants y entrent pour y être connus, ce sont plutôt les saints qui sortent en quelque façon vers eux par la connaissance quils ont de leur malheur. Ceux qui seront dans les tourments ne sauront pas ce qui se passera au dedans, « dans la joie du Seigneur » ; mais ceux qui posséderont cette joie sauront tout ce qui se passera au dehors, dans « les ténèbres extérieures ». Cest pour cela quil est dit quils sortiront, parce quils connaîtront ce qui se fera à légard de ceux mêmes qui seront dehors. Si, en effet, les Prophètes ont pu connaître ces choses, quand elles nétaient pas encore arrivées, par le peu que Dieu en révélait à des hommes mortels, comment les saints immortels les ignoreraient-ils, alors quelles seront accomplies et que Dieu sera tout en tous 2? La semence et le nom des saints demeureront donc stables dans la plénitude de Dieu, jentends cette semence dont saint Jean dit: « Et la semence de Dieu demeure en lui 3 » ; et ce nom dont parle Isaïe: « Je leur donnerai un nom éternel, et ils passeront de mois en mois et de sabbat en sabbat », comme de lune en lune, et de repos en repos. Car les saints seront tout cela, alors que, de ces ombres anciennes et passagères, ils entreront dans les clartés nouvelles et éternelles. Quant
1.Is. LXVI, 21. 2. I Cor. XV, 28. 3. Jean, III, 9.
à ce feu inextinguible et à ce ver immortel qui feront le supplice des réprouvés, on les explique diversement. Les uns rapportent lun et lautre au corps, et les autres à lâme. Dautres disent que le feu tourmentera le corps, et le ver lâme, et quainsi il faut prendre le premier au propre et le second au figuré, ce qui ne paraît pas vraisemblable. Mais ce nest pas ici le lieu de parler de cette différence, puisque nous avons destiné ce livre au dernier jugement qui fera la séparation des bons et des méchants. Nous parlerons en particulier de leurs peines et de leurs récompenses1.
CHAPITRE XXIII.PROPHÉTIE DE DANIEL SUR LA PERSÉCUTION DE LANTECHRIST, SUR LE JUGEMENT DERNIER ET SUR LE RÈGNE DES SAINTS.
Daniel prédit aussi ce dernier jugement, après lavoir fait précéder de lavénement de IAntéchrist, et il conduit sa prophétie jusquau règne des saints. Ayant vu dans une extase prophétique quatre bêtes, qui figuraient quatre royaumes, dont le quatrième est conquis par un roi, qui est lAntéchrist, et après cela, le royaume du Fils de lhomme, qui est celui de Jésus-Christ, il sécrie: « Mon esprit fut saisi dhorreur; moi, Daniel, je demeurai tout épouvanté, et les visions de ma tête me troublèrent. Je mapprochai donc de lun de ceux qui étaient présents, et je lui demandai la vérité sur tout ce que je voyais, et il me lapprit. Ces quatre bêtes immenses, me dit-il, sont quatre royaumes qui sétabliront sur la terre et qui ensuite seront détruits. Les saints du Très-Haut prendront leur place et régneront jusque dans le siècle et jusque dans le siècle des siècles ». « Après cela, poursuit Daniel, je menquis avec soin quelle était la quatrième bête, si différente des autres, et beaucoup plus terrible, car ses dents étaient de fer, et ses ongles dairain; elle mangeait et dévorait tout, et foulait tout aux pieds. Je minformai aussi des dix cornes quelle avait à la tête, et dune autre qui en sortit et qui fit tomber les trois premières. Et cette corne avait des yeux, et une bouche qui disait de terribles choses; et elle était plus grande que les autres. Je maperçus que cette corne faisait la guerre aux saints, et était plus forte queux,
1. Dans les livres XI et XX.
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jusquà ce que lAncien des jours vint et donna le royaume aux saints du Très-Haut. Ainsi, le temps étant venu, les saints furent mis en possession du royaume. Alors celui à qui je parlais me dit: La quatrième bête sera un quatrième royaume qui sélèvera sur la terre et détruira tous les autres; il dévorera toute la terre et la ravagera et la foulera aux pieds. Ces dix cornes sont dix rois, après lesquels il en viendra un plus méchant que tous les autres, qui en humiliera trois, vomira des blasphèmes contre le Très-Haut, et fera souffrir mille maux à ses saints. Il entre, prendra même de changer les temps et dabolir la loi; et on le laissera régner un temps, des temps, et la moitié dun temps. Après viendra le jugement, qui lui ôtera lempire «et lexterminera pour jamais;. et toute la puissance, la grandeur, et la domination souveraine des rois sera donnée aux saints du Très-Haut. Son royaume sera éternel, et toutes ces puissances le serviront et lui obéiront. Voilà ce quil me dit. Cependant, jétais extrêmement troublé, et mon visage en fut tout changé; mais je ne laissai pas que de bien retenir ce quil mavait dit 1 », Quelques-uns ont entendu par ces quatre royaumes ceux des Assyriens, des Perses, des Macédoniens et des Romains; et si lon veut en avoir la raison, on na quà lire les commentaires du prêtre Jérôme sur Daniel, qui sont écrits avec tout le soin et toute lérudition désirables; mais au moins ne peut-on douter que Daniel ne dise ici très-clairement que la tyrannie de lAntéchrist contre les fidèles, quoique courte, précédera le dernier jugement et le règne éternel des saints, Là suite du passage fait voir que le temps, les temps, et la moitié dun temps signifient un an, deux ans, et la moitié dun an, cest-à-dire trois ans et demi. Il est vrai que les temps semblent marquer un temps indéfini; mais lhébreu ne désigne que deux temps, car on dit que les. Hébreux ont, aussi bien que les Grecs, le nombre duel, que les Latins nont pas. Pour les dix rois, je ne sais sils signifient dix rois qui existeront réellement dans Jempire romain, quand lAntéchrist viendra,et jai peur que ce nombre ne nous trompe. Que savons-nous sil nest pas mis là pour signifier luniversalité de tous les rois qui doivent précéder son avénement, comme lEcriture se sert assez
1. Dan. VII, 15.28.
souvent du nombre de mille, de cent ou de sept, et de tant dautres quil est inutile de rapporter, pour marquer luniversalité? Le même Daniel sexprime ainsi dans un autre passage : « Le temps viendra où il sélèvera une persécution si cruelle quil ny en aura jamais eu de semblable sur la terre. En ce temps-là, tous ceux qui se trouveront écrits sur le livre seront sauvés, et plusieurs de ceux qui dorment sous un amas de terre ressusciteront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour une confusion et un opprobre éternels. Or, les sages auront un éclat pareil à celui du firmament, et ceux qui enseignent la justice brilleront à jamais comme les étoiles 1 ». Ce passage de Daniel est assez conforme à un autre de 1Evangile où il est aussi parlé de la résurrection du corps. Ceux que 1Evangéliste dit être «dans les sépulcres», Daniel dit quils sont sous un « amas de terre », ou, comme dautres traduisent « dans la poussière de la terre ». De même quil est dit là quils « sortiront», ici il est dit quils « ressusciteront ». Dans lEvangile : « Ceux qui auront bien vécu sortiront de leur tombeau pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront mal vécu pour ressusciter à la damnation 2 ». Dans le Prophète ; « Les uns ressusciteront pour la vie éternelle, les autres pour une confusion et un opprobre éternels ». Que lon ne simagine pas que lEvangéliste et le Prophète diffèrent lun de lautre, sous prétexte que celui-là dit: « Tous ceux qui sont dans les sépulcres »; et celui-ci : « Plusieurs de ceux qui sont sous un amas de terre » ; car quelquefois lEcriture dit « plusieurs » pour « tous ». Cest ainsi quil est dit à Abraham « Je vous établirai père de plusieurs nations », bien quil lui soit dit ailleurs : « Toutes les « nations seront bénies eu votre semence 3 ». Et il est dit encore un peu après à Daniel, au sujet de la même résurrection: «Et vous, venez, et reposez ; car il reste encore du temps jusquà la consommation des siècles ; et vous vous reposerez, et vous ressusciterez pour posséder votre héritage, à la fin les temps 4».
1. Dan. XII, l-3. 2. Jean, V, 28, 29. 3. Gen. XVII, 5; XXII, 18. 4. Dan. XII, l-3.
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CHAPITRE XXIV.PROPHÉTIES TIRÉES DES PSAUMES DE DAVID SUR LA FIN DU MONDE ET SUR LE DERNIER JUGEMENT DE DIEU.
Il y a dans les psaumes beaucoup de passages qui regardent le jugement dernier, mais on ny en parle que dune manière concise et rapide. Il ne faut pas toutefois que je passe sous silence ce qui y est dit en termes très-clairs sur la fin du monde: « Seigneur», dit le Psalmiste, « vous avez créé la terre au commencement, et les cieux sont louvrage de vos mains. Ils périront, mais pour vous, vous resterez. Ils vieilliront tous comme un vêtement. Vous les changerez de forme comme un manteau, et ils seront transformés. Mais vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point 1 ». Doù vient donc que Porphyre, qui loue la piété des Hébreux et les félicite dadorer le grand et vrai Dieu, terrible aux dieux mêmes, accuse les chrétiens dune extrême folie, sur la foi des oracles de ses dieux, parce quils disent que le monde périra 2 ? Voilà cependant que les saintes lettres des Hébreux disent au Dieu devant qui toutes les autres divinités tremblent, de laveu même dun si grand philosophe: « Les cieux sont louvrage de vos mains, et ils périront ». Est-ce donc quau temps où les cieux périront, le monde, dont ils sont la partie la plus haute et la plus assurée, ne périra pas? Si Jupiter ne goûte pas ce sentiment, sil blâme les chrétiens par la voix imposante dun oracle dêtre trop crédules, comme lassure notre philosophe, pourquoi ne traite-t-il pas aussi de folie la sagesse des Hébreux, qui ont inscrit ce même sentiment dans leurs livres sacrés ? Du moment donc que cette sagesse, qui plait tant à Porphyre quil la fait louer par la bouche de ses dieux, nous apprend que les cieux doivent périr, quelle aberration de faire du dogme de la fin du monde un grief contre la religion chrétienne, et le plus sérieux de tous, sous prétexte que les cieux ne peuvent périr que le monde entier ne périsse ? Il est vrai que dans les Ecritures qui sont proprement les nôtres, et ne nous sont pas communes avec les Hébreux, cest-à-dire dans lEvangile et les
1. Ps, CI,26.28. 2. Voyez plus haut, livre XIX, ch. 23. 3. Porphyre, et en général Lécole dAlexandrie, soutenait avec force léternité de lunivers.
livres des Apôtres, on lit que : « La figure de ce monde passe 1 » ; que : « Le monde passe 2 » ; que : « Le ciel et la terre passeront 3 » ; expressions plus douces, il faut en convenir, que celle des Hébreux, qui disent que le monde périra. De même, dans lépître de saint Pierre, où il est dit que le monde qui existait alors périt par le déluge, il est aisé de voir quelle est la partie du monde que cet apôtre a voulu désigner 4, et comment il entend quelle a péri, et quels sont les cieux alors renouvelés qui ont été mis en réserve pour être brûles par le feu au jour du jugement dernier et de la ruine des méchants. Un peu après il sexprime ainsi : « Le jour du Seigneur viendra comme un larron, et alors les cieux passeront avec grand fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre, avec ce quelle contient, sera consumée par le feu ». Et il ajoute: « Donc, puisque toutes ces choses doivent périr, quelle ne doit pas être votre piété 5? » On peut fort bien entendre ici que les cieux qui périront sont ceux dont il dit quils sont mis en réserve pour être brûlés par le feu, et que les éléments qui doivent se dissoudre par lardeur du feu sont ceux qui occupent cette basse partie du monde, exposée aux troubles et aux orages; mais que les globes célestes, où sont suspendus les astres, demeureront intacts. Quant « à ces étoiles qui doivent tomber du ciel 6 », outre quon peut donner à ces paroles un autre sens, meilleur que celui que porte la lettre, elles prouvent encore davantage la permanence des cieux, si toutefois les étoiles en doivent tomber. Cest alors une façon figurée de parler, ce qui est vraisemblable, ou bien cela doit sentendre de quelques météores qui se formeront dans la moyenne région de lair, comme celui dont parle Virgile 7:
« Une étoile, suivie dune longue traînée de lumière, traversa le ciel et alla se perdre dans la forêt dIda ».
Mais pour revenir au passage du Psalmiste, il semble quil nexcepte aucun des cieux, et quils doivent tous périr, puisquil dit que les cieux sont louvrage des mains de Dieu, et quils périront. Or, puisquil ny eu a pas un qui ne soit louvrage de ses mains, il semble aussi
1. I Cor. VII, 31. 2. I Jean, II, 17 3. Matt. XXIV, 35.- 4. II Pierre, III,6. 5. Ibid. 10, 11. 6. Matt. XXIV, 29. 7. Enéide livre XIX, v. 694-696.
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quil ny en ait pas un qui ne doive périr. Je ne pense pas, en effet, que nos philosophes veuillent expliquer ces paroles du psaume par celles de saint Pierre, quils haïssent tant 1, et prétendre que, comme cet apôtre a entendu les parties pour le tout, quand il a dit que le monde avait péri par le déluge, le Psalmiste de même na entendu parler que de la partie la plus basse des cieux, quand il a dit que les cieux périront. Puis donc quil ny a pas dapparence quils en usent rie la sorte, de peur dapprouver le sentiment de lapôtre saint Pierre et dêtre obligés de donner à ce dernier embrasement autant de pouvoir quil en donne au déluge, eux qui soutiennent quil est impossible que tout le genre humain périsse par les eaux et le feu, il ne leur reste autre chose à dire, sinon que leurs dieux ont loué la sagesse des Hébreux , parce quils navaient pas lu ce psaume. Le psaume quarante-neuf parle aussi du jugement dernier en ces termes: « Dieu viendra visible, notre Dieu viendra, et il ne se taira pas. Un feu dévorant marchera devant lui, et une tempête effroyable éclatera tout autour. Il appellera le ciel en haut et la terre, afin de discerner son peuple. Assemblez-lui ses saints, qui élèvent son testament au-dessus des sacrifices 2 ». Nous entendons ceci de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui viendra du ciel, comme nous lespérons, juger les vivants et les morts. Il viendra visible pour juger justement les bons et les méchants, lui qui est déjà venu caché pour être injustement jugé par les méchants. Il viendra visible, je le répète, et il ne se taira pas, cest-à-dire quil parlera en juge, lui qui sest tu devant son juge, lorsquil a été conduit à la mort comme une brebis quon mène à la boucherie, et qui est demeuré muet comme un agneau qui se laisse tondre, ainsi que nous le voyons annoncé dans Isaïe 3 et accompli dans lEvangile 4. Quant au feu et à la tempête qui accompagnent le Seigneur, nous avons déjà dit comment il faut entendre ces expressions, en expliquant les expressions semblables du prophète Isaïe. Par ces mots : « Il appellera le ciel en haut » ; comme les saints et les justes sappellent avec raison le ciel, le
1. Voyez plus haut, livre XVIII, ch. 53 et 54, loracle où saint Pierre est accusé dêtre un magicien. 2. Ps. XLIX, 3-5. 3. Isa. LIII, 7. 4. Matt. XXVI, 63. 5. Au ch. XXI.
Psalmiste veut dire sans doute ce qua dit lApôtre: que nous serons emportés dans les nues, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu des airs : car à le comprendre selon la lettre, comment le ciel serait-il appelé en haut, puisquil ne peut être ailleurs ? A légard de ce qui suit: « Et la terre, pour faire la séparation de son peuple », si lon sous-entend seulement il appellera, cest-à-dire il appellera la terre, sans sous-entendre en haut, on peut fort bien penser que le ciel figure ceux qui doivent juger avec lui, et la terre ceux qui doivent être jugés; et alors ces paroles: « Il appellera le ciel en haut », ne signifient pas quil enlèvera les saints dans les airs, mais quil les fera asseoir sur des trônes pour juger. Ces mots peuvent encore avoir le sens suivant: « Il appellera le ciel en haut », cest-à-dire quil appellera les anges au plus haut des cieux, pour descendre en leur compagnie et juger le monde ; et « il appellera aussi la terre », cest-à-dire les hommes qui doivent être jugés sur la terre. Mais si, lorsque le Psalmiste dit: « Et la terre, etc. », on sous-entend lun ou lautre, cest-à-dire quil appellera et quil appellera en haut, je ne pense pas quon puisse mieux lentendre que des hommes qui seront emportés dans les airs au-devant de Jésus-Christ, et quil appelle le ciel, à cause de leurs âmes, et la terre, à cause de leurs corps. Or, quest-ce discerner son peuple, sinon séparer par le jugement les bons davec les méchants, comme les brebis davec les boucs? Il sadresse ensuite aux anges, et leur dit: « Assemblez-lui ses saints ci, parce que sans doute un acte aussi important se fera par le ministère des anges. Que si nous demandons quels sont ces saints quils lui doivent assembler : « Ceux, dit-il, qui élèvent son testament au-dessus des sacrifices ». Car voilà toute la vie des justes : élever le testament de Dieu au-dessus des sacrifices. En effet, ou les oeuvres de miséricorde sont préférables aux sacrifices, selon cet oracle du ciel: « Jaime mieux la «miséricorde que le sacrifice 2 ». ou au moins, en donnant un autre sens aux paroles du Psalmiste, les oeuvres de miséricorde sont les sacrifices qui servent à apaiser Dieu, comme je me souviens de lavoir dit au deuxième livre de cet ouvrage 3. Les justes accomplissent
1. Thess. IV, 6. 2. Osée, VI, 16. 3. Au ch. VI
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le testament de Dieu par ces oeuvres, parce quils les font à cause des promesses qui sont contenues dans son Nouveau Testament; doù vient quau dernier jugement, quand Jésus-Christ aura assemblé ses saints et les aura placés à sa droite, il leur dira : « Venez, vous que mon père a bénis, prenez possession du royaume qui vous est préparé dès le commencement du monde ; car jai eu faim, et vous mavez donné à manger 1 » ; et le reste au sujet des bonnes oeuvres des justes et de la récompense éternelle quils en recevront par la dernière sentence.
CHAPITRE XXV.PROPHÉTIE DE MALACHIE ANNONÇANT LE DERNIER JUGEMENT DE DIEU ET LA PURIFICATION DE QUELQUES-UNS PAR LES PEINES DU PURGATOIRE.
Le prophète Malachie ou Malachi1 appelé aussi Ange, et qui, suivant quelques-uns, est le même quEsdras, dont il y a dautres écrits reçus dans le canon des livres saints (tel est, daprès Jérémie 2, le sentiment des Hébreux), Malachie, dis-je, a parlé ainsi du jugement dernier : « Le voici qui vient, dit le Seigneur tout-puissant; et qui soutiendra léclat de son avénement, ou qui pourra supporter ses regards? Car il sera comme le feu dune fournaise ardente et comme lherbe des foulons; et il sassoira comme un fondeur qui affine et épure lor et largent; et il purifiera les enfants de Lévi, et il les fondra comme lor et largent; et ils offriront des victimes au Seigneur en justice. Et le sacrifice de Juda. et de Jérusalem plaira au Seigneur, comme autrefois dans les premières années. Je mapprocherai de vous pour juger, et je « serai un témoin fidèle contre les enchanteurs, les adultères et les parjures, contre ceux qui retiennent le salaire de louvrier, qui oppriment les veuves par violence, outragent les orphelins, font injustice à létranger, et ne craignent point mon nom, dit le Seigneur tout-puissant. Car je suis le Seigneur votre Dieu, et je ne change point 3». Ces paroles font voir clairement, à mon avis, quen ce jugement il y aura pour quelques-uns des peines purifiantes. Que peut-on entendre autre chose par ce qui suit : « Qui
1. Matt. XXV, 34. 2. Voyez le préambule de saint Jérôme à. son commentaire sur Malachie. 3. Malach. III, l-6.
soutiendra léclat de son avénement, ou qui pourra supporter ses regards? Car il sera comme le feu dune fournaise ardente et comme lherbe des foulons. Il sassoira comme un fondeur qui affine et épure lor et largent; et il purifiera les enfants de Lévi, et il les fondra comme lor et largent». lsaïe dit quelque chose de semblable : « Le Seigneur fera disparaître les impuretés des fils et des filles de Sion, et ôtera le sang du milieu deux par le souffle du jugement et par le souffle du feu 1 ». A moins quon ne veuille dire quils seront purifiés et comme affinés, lorsque les méchants seront séparés deux par le jugement dernier, et que la séparation des uns sera la purification des autres, puisquà lavenir ils vivront sans être mêlés ensemble. Mais, dun autre côté, lorsque le Prophète ajoute « quil purifiera les enfants de Lévi, et les affinera comme on affine lor et largent, quils offriront des victimes au Seigneur en justice, et que le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur», il fait bien voir que ceux qui seront purifiés plairont à Dieu par des sacrifices de justice, et quainsi ils seront purifiés de linjustice qui était cause quils lui déplaisaient auparavant. Or, eux-mêmes seront des victimes dune pleine et parfaite justice, lorsquils seront purifiés. Que pourraient-ils en cet état offrir à Dieu de plus agréable queux-mêmes? Mais nous parlerons ailleurs de ces peines purifiantes, afin den parler plus à fond. Au reste, par les enfants de Lévi, de Juda et de Jérusa1cm, il faut entendre lEglise de Dieu, composée non-seulement des Juifs, mais des autres nations, non pas telle quelle est dans ce temps de pèlerinage, dans ce temps où : « Si nous disons que nous navons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité nest point en nous 2 », mais telle quelle sera alors, purifiée par le dernier jugement, comme une aire nettoyée par le van. Ceux mêmes qui ont besoin de cette purification ayant été purifiés par le feu, nul naura plus à offrir de sacrifice à Dieu pour ses péchés. Sans doute tous ceux qui sacrifient ainsi sont coupables de quelques péchés, et cest pour en obtenir la rémission quils sacrifient; mais lorsquils auront fait accepter leur sacrifice, Dieu les renverra purifiés.
1. Isa. IV, 4. 2. I Jean, I, 8.
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CHAPITRE XXVI.DES SACRIFICES QUE LES SAINTS OFFRIRONT A DIEU, ET QUI LUI SERONT AGRÉABLES, COMME AUX ANCIENS JOURS, DANS LES PREMIÈRES ANNÉES DU MONDE.
Or, Dieu, voulant montrer que sa Cité ne sera point alors en état de péché, dit que les enfants de Lévi offriront des sacrifices en justice. Ce ne sera donc pas en péché, ni pour le péché. Doù lon peut conclure que ce qui suit : « Et le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur, comme aux anciens jours, dans les premières années », ne peut servir de fondement raisonnable aux Juifs pour prétendre quil y a là une promesse de ramener le temps des sacrifices de lAncien Testament. Ils noffraient point alors de victimes en justice, mais en péché, puisquils les offraient, surtout dans lorigine, pour leur péché spécialement. Cela est si vrai, que le grand-prêtre, qui était vraisemblablement plus juste que les autres, avait coutume, selon le commandement de Dieu, doffrir dabord pour ses péchés, ensuite pour ceux du peuple 1. Il faut dès lors expliquer le sens de ces paroles « Comme aux anciens jours, dans les premières années». Peut-être rappellent-elles le temps où les premiers hommes étaient dans le paradis; et, en effet, cest alors que, dans létat de pureté et dintégrité, exempts de toute souillure et de tout péché, ils soffraient eux-mêmes à Dieu comme des victimes très-pures. Mais depuis quils en ont été chassés pour leur désobéissance, et que toute la nature humaine a été condamnée en eux, personne, à lexception du Médiateur (et de quelques petits enfants, ceux qui ont été baptisés), «personne, dit lEcriture, nest exempt de péché; pas même lenfant « qui na quun jour de vie sur la terre 2». Répondra-t-on que ceux-là peuvent passer pour offrir des sacrifices en justice, qui les offrent avec foi, puisque lApôtre a dit que « le juste vit de la foi 3»; cest oublier que, selon le même Apôtre, le juste se séduit lui-même, sil se dit exempt de péché; il se gardera donc bien de le dire et de le croire, lui qui vit de la foi. Peut-on comparer dailleurs le temps de la foi aux derniers temps, où ceux qui offriront des sacrifices en justice seront purifiés par le feu du dernier jugement? Puisquil
1. Lévit. XVI, 6 ; Hébr. VII, 27. 2. Job. XIV, 4, sec. LXX. 3. Rom. I, 17.
faut croire quaprès cette purification les justes nauront aucun péché, ce temps ne peut assurément être comparé quavec celui où les premiers hommes, avant leur infidélité, menaient dans le paradis la vie la plus innocente et la plus heureuse. On peut donc très-bien donner ce sens aux paroles de 1Ecriture sur « les «anciens jours et les premières années ». Dans Isaïe, après la promesse dun ciel nouveau et dune terre nouvelle, entre autres images et paroles énigmatiques sur la félicité des saints, que nous navons point expliquées pour éviter dêtre long, on lit: « Les jours de mon peuple seront comme larbre de vie 1 ». Or, qui est assez peu versé dans les Ecritures pour ignorer où Dieu avait planté larbre de vie, dont les premiers hommes furent sevrés, lorsque leur désobéissance les chassa du paradis et que Dieu plaça auprès de cet arbre un ange terrible avec une épée flamboyante? Si lon soutient que ces jours de larbre de vie, rappelés par Isaïe, sont ceux de lEglise, qui sécoulent maintenant, et que cest Jésus-Christ que le Prophète appelle larbre de vie, parce quil est la Sagesse de Dieu, dont Salomon a dit : « Elle est un arbre de vie pour tous ceux qui lembrassent 2 »; si lon soutient que les premiers hommes ne passèrent pas des années dans le paradis et neurent pas le loisir dy engendrer des enfants, de sorte quon ne puisse rapporter à ce temps les mots: « Comme aux anciens jours, dans les premières années », jaime mieux laisser cette question, pour nêtre point obligé dentrer dans une trop longue discussion. Aussi bien, je vois un autre sens qui mempêche de croire que le Prophète nous promette ici, comme un grand présent, le retour des sacrifices charnels des Juifs, aux anciens-jours, dans les premières années. En effet, ces victimes de lancienne loi, qui devaient être choisies saris tache et sans défaut dans chaque troupeau, représentaient les hommes justes, exempts de toute souillure, tel que Jésus-Christ seul a été. Or, comme après le jugement, ceux qui seront dignes de purification auront été purifiés par le feu, de telle sorte quils soffriront eux-mêmes en justice, comme des victimes pures de toute tache et de toute souillure, ils seront certainement semblables aux victimes des anciens jours et des premières années que lon offrait en image de ces victimes futures.
1. Isa. LXV, 22. Prov. III, 18.
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En effet, la pureté que figurait le corps pur de ces animaux immolés sera alors réellement dans la chair et dans lâme immortelle des saints. Ensuite le Prophète, sadressant à ceux qui seront dignes, non de purification, mais de damnation, leur dit : « Je mapprocherai de vous pour juger, et je serai un prompt témoin contre les enchanteurs, contre les adultères, etc. » Et après avoir fait le dénombrement de beaucoup dautres crimes damnables, il ajoute: « Car je suis le Seigneur votre Dieu, et je ne change point», comme sil disait: Pendant que vous changez, par vos crimes, en pis, par ma grâce, en mieux, moi je ne change point. Il dit quil se portera pour témoin, parce quil na pas besoin, pour juger, dautres témoins que de lui-même; et quil sera un prompt témoin, ou bien parce quil viendra soudain et à limproviste, quand on le croira encore éloigné, ou bien parce quil convaincra les consciences, sans avoir besoin de beaucoup de paroles, comme il est écrit : « Les pensées de limpie déposeront contre lui 1 » ; et selon lApôtre : « Les pensées des hommes les accuseront ou les excuseront au jour que Dieu jugera par Jésus-Christ de tout ce qui est caché dans le cur 2». Cest ainsi que Dieu sera un prompt témoin, parce quen un instant il rappellera de quoi convaincre et punir une conscience.
CHAPITRE XXVII.DE LA SÉPARATION DES BONS ET DES MÉCHANTS AU JOUR DU JUGEMENT DERNIER.
Ce que jai rapporté sommairement du même Prophète, au dix-huitième livre 3 , regarde aussi le jugement dernier. Voici le passage : «Ils seront mon héritage, dit le Seigneur tout-puissant, au jour que jagirai, et «je les épargnerai, comme un père épargne un fils obéissant. Alors je me comporterai « dune autre sorte, et vous verrez la différence quil y a entre le juste et limpie, entre celui qui sert Dieu et celui qui ne 1e sert pas. Car voici venir le jour allumé comme une fournaise ardente et il les consumera; Tous les « étrangers et tous les pécheurs seront comme du chaume, et le jour qui approche les brûlera tous, dit le Seigneur, sans quil reste deux ni branches, ni racines. Mais pour vous
1. Sag. I, 9. 2. Rom. II, 15, 16. 3. A la fin du ch. XXXV.
qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera pour vous, et vous trouverez une abondance de tous biens, à lombre de ses ailes. Vous bondirez comme de jeunes taureaux échappés, et vous foulerez aux pieds les méchants, et ils deviendront cendres sous vos pas, dit le Seigneur tout-puissant 1 » . Quand cette différence des peines et des récompenses qui sépare les méchants davec les bons, et qui ne se voit pas sous le soleil, dans la vanité de cette vie, paraîtra sous le soleil de justice qui éclairera la vie future, alors sera le dernier jugement.
CHAPITRE XXVIII.IL FAUT INTERPRÉTER SPIRITUELLEMENT LA LOI DE MOÏSE POUR PRÉVENIR LES MURMURES DAMNABLES DES AMES CHARNELLES.
Le même prophète ajoute : « Souvenez-vous de la loi que jai donnée pour tout Israël à mon serviteur Moïse, sur la montagne de Choreb 2 ». Cest fort à propos quil rappelle les commandements de Dieu, après avoir relevé, la grande différence quil y a entre ceux qui observent la loi et ceux qui la méprisent. Il le fait aussi afin dapprendre aux Juifs à concevoir spirituellement la loi, et à y trouver Jésus-Christ, le juge qui doit faire le discernement des bons et des méchants. Ce nest pas en vain que le même Seigneur dit aux Juifs : « Si vous aviez foi en Moïse, vous croiriez en moi aussi; car cest de moi quil a écrit ». En effet; cest parce quils comprennent la loi charnellement, et quils ne savent pas que ses promesses temporelles De sont que des figures des récompenses éternelles, cest pour cela quils sont tombés dans des murmures; et quils ont dit : « Cest un folie de servir Dieu; que nous revient-il davoir observé ses commandements et de nous être humiliés en la présence du Seigneur tout-puissant? Navons-nous donc pas raison destimer heureux les méchants et les ennemis de Dieu; puisquils triomphent dans la gloire et lopulence 4? » Pour arrêter ces murmures, le Prophète a été obligé en quelque sorte de déclarer le dernier jugement, où les méchants ne posséderont pas même une fausse félicité, mais paraîtront évidemment malheureux, et où les bons ne
1. Malach. III, 17, 18 ; IV, 1-3. 2. Ibid. IV, 4. 3. Jean, V, 46. 4. Malach. III, 14, 15. (479)
seront assujétis à aucune misère, mais jouiront avec éclat dune éternelle béatitude. Il avait rapporté auparavant des plaintes semblables des Juifs : « Tout homme qui fait le mal est bon devant Dieu, et il ny a que les méchants qui lui plaisent 1 ». Cest donc en entendant charnellement la loi de Moïse quils se sont portés à ces plaintes; doù vient, au psaume soixante-douze, ce cri de celui qui a chancelé, et qui a senti ses pieds défaillir en considérant la prospérité des méchants, de sorte quil a envié leur condition, jusquà proférer ces paroles : « Comment Dieu voit-il cela? Le Très-Haut connaît-il ces choses? » et encore: « Cest donc bien en vain que jai conservé purs mon coeur et mes mains ». Le Psalmiste avoue quil sest vainement efforcé de comprendre pourquoi les bous paraissent misérables en cette vie, et les méchants heureux: « Je mefforce en vain, dit-il, il faut que jentre dans le sanctuaire de Dieu, et que jy découvre la fin 2 ». En effet, à la fin du monde, au dernier jugement, il nen sera pas ainsi; et les choses paraîtront tout autres, quand éclateront au grand jour la félicité des bons et la misère des méchants.
CHAPITRE XXIX.DE LA VENUE DÉLIE AVANT LE JUGEMENT, POUR DÉVOILER LE SENS CACHÉ DES ÉCRITURES ET CONVERTIR LES JUIFS A JÉSUS-CHRIST.
Après avoir averti les Juifs de se souvenir de la loi de Moïse, prévoyant bien quils seraient encore longtemps sans la concevoir spirituellement , lEcriture ajoute aussitôt « Je vous enverrai Elie de Thesba, avant que ce grand et lumineux jour du Seigneur arrive, qui tournera le coeur du père vers le fils, et le coeur de lhomme vers son prochain, de peur quà mon avénement je ne détruise entièrement la terre 3 ». Cest une croyance assez générale parmi les fidèles, quà la fin du monde, avant le jugement, les Juifs doivent croire au vrai Messie, cest-à-dire en notre Christ, par le moyen de ce grand et admirable prophète Eue, qui leur expliquera la loi. Aussi bien, ce nest pas sans raison que lon espère en lui le précurseur de lavènement de Jésus-Christ, puisque ce nest pas sans
1. Malach. II, 17. 2. Ps. LXXII, 11, 13, 17. 3. Malach. IV, 5, 6, sec. LXX.
raison que maintenant même on le croit vivant 1. Il est certain, en effet, daprès le témoignage même de lEcriture, quil a été ravi dans un char de feu. Lorsquil sera venu, il expliquera spirituellement la loi que les Juifs entendent encore charnellement, et « il tournera le coeur du père vers le fils », cest-à-dire le coeur des pères vers leurs enfants; car les Septante ont mis ici le singulier pour le pluriel. Le sens est que les Juifs, qui sont les enfants des Prophètes, du nombre desquels était Moïse, entendront la loi comme leurs pères, et ainsi le coeur des pères se tournera vers les enfants et le coeur des enfants vers les pères, lorsquils auront les mêmes sentiments. Les Septante ajoutent que « le coeur de lhomme se tournera vers son prochain », parce quil ny a rien de plus proche que les pères et leurs enfants. On peut encore donner un autre sens plus relevé aux paroles des Septante, qui ont interprété lEcriture en prophètes, et dire quElie tournera le coeur de Dieu le Père vers le Fils, non en faisant quil laime, mais en instruisant les Juifs de cet amour, et les portant par là eux-mêmes à aimer notre Christ, quils haïssaient auparavant. En effet, de notre temps, au regard des Juifs, Dieu a le coeur détourné de notre Christ, parce quils ne croient pas quil soit Dieu, ni Fils de Dieu. Mais alors Dieu aura pour eux le coeur tourné vers son Fils, quand, leur coeur étant changé, ils verront lamour du Père envers le Fils. Quant à ce qui suit : « Et le coeur de lhomme vers son prochain », comment pouvons. nous mieux interpréter ces paroles quen disant quElie tournera le coeur de lhomme vers Jésus-Christ homme ? Car Jésus-Christ étant notre Dieu, sous la forme de Dieu, a pris la forme desclave, et a daigné devenir notre prochain. Voilà donc ce que fera Elie: « De peur, dit le Seigneur, quà mon avénement je ne détruise entièrement la terre ». Cest que ceux-là sont terre qui ne goûtent que les choses de la terre, comme les Juifs charnels ; et voilà ceux doù viennent ces murmures contre Dieu : « Les méchants lui plaisent », et: « Cest une folie de le servir 2 »
1. Cétait le sentiment dun grand nombre de Pères de lEglise, dont on peut voir les paroles citées par Léonard Coquée en son commentaire de la Cité de Dieu. 2. Malach. II,17; III, 14.
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CHAPITRE XXX.MALGRÉ LOBSCURITÉ DE QUELQUES PASSAGES DE LANCIEN TESTAMENT, OU LA PERSONNE DU CHRIST NE PARAÎT PAS EN TOUTE ÉVIDENCE, IL FAUT, QUAND IL EST DIT QUE DIEU VIENDRA JUGER, ENTENDRE CELA DE JÉSUS-CHRIST.
Il y a beaucoup dautres témoignages de lEcriture sur le dernier jugement, mais il serait trop long de les rapporter, et il nous suffit davoir prouvé quil a été annoncé par lAncien et par le Nouveau Testament. Mais lAncien ne déclare pas aussi formellement que le Nouveau que cest Jésus-Christ qui doit rendre ce jugement. De ce quil y est dit que le Seigneur Dieu viendra, il ne sensuit pas que ce doive être Jésus-Christ, car cette qualification convient aussi bien au Père ou au Saint-Esprit quau Fils. Nous ne devons pas toutefois laisser passer ce point sans preuves. II est nécessaire pour cela de montrer premièrement, comment Jésus-Christ parle dans ses prophètes, sous le nom de Seigneur Dieu, afin quaux autres endroits, où cela nest point manifeste et où néanmoins il est dit que le Seigneur Dieu doit venir pour juger, on puisse lentendre de Jésus-Christ. Il y a un passage dans le prophète Isaïe qui fait voir clairement ce dont il sagit. Voici en effet comment Dieu parla par ce Prophète : « Ecoutez-moi, Jacob et Israël que jappelle. Je suis le premier et je suis pour jamais. Ma main a fondé la terre, et ma droite a affermi le ciel. Je les appellerai, et ils sassembleront tous et ils entendront. Qui a annoncé ces choses? Comme je vous aime, jai accompli votre volonté sur Babylone et exterminé la race des Chaldéens. Jai parlé et jai appelé ; je lai amené, et je lai fait réussir dans ses entreprises. Approchez-vous de moi, et écoutez-moi. Dès le commencement, je nai point parlé en secret ; jétais présent, lorsque ces choses se faisaient. Et maintenant le Seigneur Dieu ma envoyé, et son Esprit 1 ». Cest lui-même qui parlait tout à lheure comme le Seigneur Dieu, et néanmoins on ne saurait pas que cest Jésus-Christ, sil najoutait : « Et maintenant le Seigneur Dieu ma envoyé, et son Esprit ». Il dit cela, en effet, selon la forme desclave, et parle dune chose à venir, comme si elle était passée. De même, en cet autre passage du même prophète : « Il
1. Isa. XLVIII, 12-16.
a été conduit à la mort, comme une brebis que lon mène à la boucherie 1 » ; il ne dit pas : «Il sera conduit», mais il se sert du passé pour le futur, selon le langage ordinaire des Prophètes. Il y a un autre passage dans Zacharie, où il dit clairement que le Tout-Puissant a envoyé le Tout-Puissant. Or, de qui peut-on entendre cela, sinon de Dieu le Père qui a envoyé Dieu le Fils? Voici le passage: « Le Seigneur tout puissant a dit : Après la gloire, il ma envoyé vers les nations, qui vous ont pillé. Car vous toucher, cest toucher la prunelle de son oeil. Jétendrai ma main sur eux, et ils deviendront les dépouilles de ceux qui étaient leurs esclaves et vous connaîtrez que cest le Seigneur tout-puissant qui ma envoyé 2 ». Voilà le Seigneur tout puissant qui dit quil est envoyé par le Seigneur tout-puissant. Qui serait entendre ces paroles dun autre que de Jésus-Christ, qui parle aux brebis égarées de la maison dIsraël ? Aussi dit-il dans lEvangile. « Je nai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison dIsraël 3», quil compare ici à la prunelle des yeux de Dieu, pour montrer combien il les chérit. Parmi ces brebis, il faut compter les Apôtres mêmes, mais « après la gloire », cest-à-dire après sa résurrection glorieuse, car avant, comme dit saint Jean lévangéliste: «Jésus nétait point encore glorifié 4 ». Il fut aussi envoyé aux nations, en la personne de ses Apôtres; et ainsi fut accompli ce quon lit dans le psaume : « Vous me délivrerez des rébellions de ce peuple; vous métablirez chef des nations 5 »; afin que ceux qui avaient pillé les Israélites, et dont les Israélites avaient été les esclaves, devinssent eux-mêmes les dépouilles des Israélites ; car cest ce quil avait promis aux Apôtres en leur disant : « Je vous ferai pêcheurs dhommes 6 » ; et à lun deux: « Dès ce moment ton emploi sera de prendre des hommes 7 ». Ils deviendront donc les dépouilles, mais en un bon sens, comme sont celles quon enlève dans lEvangile à ce Fort armé, après lavoir lié de chaînes encore plus fortes que lui 8. Le Seigneur parlant encore par les Prophètes : « En ce jour-là, dit-il, jaurai soin dexterminer toutes les nations qui
1. Isa. LIII, 7, sec. LXX. 2. Zach. II, 8, 9. 3. Matt. XV, 24. 4. Jean, VII, 39. 5. Ps. XVII, 44. 6. Matt. IV, 19. 7. Luc, V, 10. 8. Matt. XII, 29.
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viennent contre Jérusalem, et je verserai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem lesprit de grâce et de miséricorde; ils jetteront les yeux sur moi, parce quils mont insulté; et ils se lamenteront, comme ils se lamenteraient au sujet dun fils bien-aimé; ils seront outrés de douleur, comme ils le seraient pour un fils unique 1 ». A qui appartient-il, sinon à, Dieu seul, dexterminer toutes les nations ennemies de la cité de Jérusalem, «qui viennent contre elle », cest-à-dire qui lui sont contraires, ou, selon dautres versions, qui « viennent sur elle», cest-à-dire qui veulent lassujétir? et à qui appartient-il de répandre lesprit de grâce et de miséricorde sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem? Sans doute cela nappartient quà Dieu; et aussi est-ce à Dieu que le Prophète le fait dire. Et toutefois Jésus-Christ fait voir que cest lui qui est ce Dieu qui a fait toutes ces merveilles, lorsquil ajoute : « Et ils jetteront les yeux sur moi, parce quils mont insulté, et ils se lamenteront, comme ils se lamenteraient au sujet dun fils bien-aimé, et ils seront outrés de douleur, comme ils le seraient pour un fils unique ». Car en ce jour-là, les Juifs mêmes, qui doivent recevoir lesprit de grâce et de miséricorde, jetant les yeux sur Jésus-Christ, qui viendra dans sa majesté, et voyant que cest, lui quils ont méprisé dans son abaissement, en la personne de leurs pères, se repentiront de lavoir insulté dans sa passion. Quant à leurs pères qui ont été les auteurs dune si grande impiété, ils le verront bien- aussi, quand ils ressusciteront; mais ce ne sera que pour être punis de leur attentat, et non pour se convertir. Ce nest donc pas deux quil faut entendre ces paroles: «Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem lesprit de grâce et de miséricorde ; et ils jetteront les yeux sur moi, à cause quils mont insulté » ; et pourtant, ceux qui croiront à la prédication dElie doivent descendre de leur race. Mais de même que nous disons aux Juifs: Vous avez fait mourir Jésus-Christ, quoique ce crime soit louvrage de leurs ancêtres ; de même ceux dont parle le Prophète saffligeront dêtre en quelque sorte les auteurs du mal que dautres ont accompli. Ainsi, bien quaprès avoir reçu lesprit de grâce et de miséricorde, ils ne soient point enveloppés dans une même condamnanation,
1. Zach. XII, 9, 10.
ils ne laisseront pas de pleurer le crime de leurs pères, comme sils en étaient coupables. Au reste, tandis que les Septante ont traduit : « Ils jetteront les yeux sur moi, à cause quils mont insulté », lhébreu porte: « Ils jetteront les yeux sur moi quils ont percé 1 » ; expressions 2 qui rappellent encore mieux Jésus-Christ crucifié. Toutefois « linsulte », suivant lexpression adoptée par les Septante, embrasse en quelque sorte lensemble de la passion. En effet, Jésus-Christ fut insulté par les Juifs, et quand il fut pris, et quand il fut lié, et quand il lut jugé, et quand il fut revêtu du manteau dignominie, et quand il fut couronné dépines, frappé sur la tête à coups de roseau, adoré dérisoirement le genou en terre, et quand il porta sa croix, et enfin quand il y fut attaché. Ainsi, en réunissant lune et lautre version, et en lisant quils lont insulté et quils lont percé, nous reconnaîtrons mieux la vérité de la passion du Sauveur. Quand donc nous lisons dans les Prophètes que Dieu doit venir juger, il le faut entendre de Jésus-Christ ; car, bien que ce soit le Père qui doive juger, il ne jugera que par lavénement du Fils de lhomme. Il ne jugera personne visiblement ; il a donné tout pouvoir de juger au Fils, qui viendra pour rendre le jugement, comme il est venu pour le subir. De quel autre que de lui peut-on entendre ce que Dieu dit par Isaïe, sous le nom de Jacob et dIsraël, dont le Christ est issu selon la chair: « Jacob est mon serviteur; je le protégerai ; Israël est mon élu ; cest pourquoi mon âme la choisi. Je lui ai donné mon esprit; il prononcera le jugement aux nations. Il ne criera point, il ne se taira point; et sa voix ne sera point entendue au dehors. Il ne brisera point le roseau cassé ; il néteindra point la lampe qui fume encore; mais il jugera en vérité. Il sera resplendissant, et ne pourra être opprimé jusquà ce quil établisse le jugement sur la terre ; et les nations espéreront en lui 3 ». Lhébreu ne porte pas Jacob et Israël; mais les Septante, voulant nous montrer comment il faut entendre le mot de serviteur que porte le serviteur, cest-à-dire le profond abaissement où a daigné se soumettre le Très-Haut, ont mis le
1. Jean, V, 22. 2. Ce sont celles de la Vulgate. 3. Isa. XLII, 1-4, sec. LXX.
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nom de celui dans la postérité duquel il a pris cette forme de serviteur. Le Saint-Esprit lui a été donné, et nous le voyons descendre sur lui dans lEvangile, sous la forme dune colombe 1. Il a prononcé le jugement aux nations, parce quil a prédit laccomplissement futur de ce qui leur était caché. Sa douceur la empêché de crier; et toutefois il na pas cessé de prêcher la vérité. Mais sa voix na point été entendue au dehors, et ne lest pas encore, parce que ceux qui sont retranchés de son corps ne lui obéissent pas. Il na point brisé ni éteint les Juifs, ses persécuteurs, qui sont comparés ici tour à tour à un roseau cassé, parce quils ont perdu leur fermeté, et à une lampe fumante, parce quils nont plus de lumière. Il les a épargnés, parce quil nétait pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux 2. Il a prononcé un jugement véritable, leur prédisant quils seraient punis, sils persistaient en leur malice. Sa face a été resplendissante sur la montagne3, et son nom célèbre dans lunivers ; et il na pu être opprimé par ses persécuteurs, ni dans sa personne, ni dans son Eglise. Ainsi, cest en vain que ses ennemis disent: « Quand est-ce que son nom sera aboli et périra? jusquà ce quil établisse le jugement sur la. terre 4 ». Voilà ce que nous cherchions et ce qui était caché car cest le dernier jugement quil établira sur la terre, quand il descendra du ciel. Nous voyons déjà accompli ce que le Prophète ajoute : « Et les nations espéreront en son nom ». Que ce fait, qui ne peut pas être nié, soit donc une raison pour croire ce que lon mnie impudemment. Car qui eût osé espérer cette merveille dont sont témoins ceux-là mêmes qui refusent de croire en Jésus-Christ, et qui grincent des dents et sèchent de dépit, parce quils ne peuvent les nier? qui eût osé espérer que les nations espéreraient au nom de Jésus-Christ, quand on le prenait, quand on le liait et le bafouait, quand on linsultait
1. Matt. III, 16. 2. Comp. saint Jérôme, commentant Isaïe, Epist. CLI ad Algasiam. 3. Matt. XVII, 1, 2. 3. Ps. XL, 6
et le crucifiait, et enfin quand ses disciples même avaient perdu lespérance quils commençaient à avoir en lui? Ce quà peine un seul larron crut alors sur la croix, toutes les nations le croient maintenant, et, de peur de mourir à jamais, elles sont marquées du signe de cette croix sur laquelle Jésus-Christ est mort. Il nest donc personne qui doute de ce jugement dernier, annoncé dans les saintes Ecritures, sinon ceux qui, par une incrédulité aveugle et opiniâtre, ne croient pas en ces Ecritures mêmes, bien quelles aient déjà justifié devant toute la terre une partie des vérités quelles annoncent. Voilà donc les choses qui arriveront en ce jugement, ou vers cette époque: lavénement dElie, la conversion des Juifs, la persécution de lAntéchrist, la venue de Jésus-Christ pour juger, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, lembrasement du m6nde et son renouvellement. Il faut croire que toutes ces choses arriveront ; mais comment et en quel ordre? lexpérience nous lapprendra mieux alors que toutes nos conjectures ne peuvent le faire maintenant. Jestime pourtant quelles arriveront dans le même ordre où je viens de les rappeler. Il ne me reste plus que deux livres à écrire pour terminer cet ouvrage et macquitter de mes promesses avec laide de Dieu. Dans le premier des deux je traiterai du supplice des méchants ; dans lautre, de la félicité des bons; et jy réfuterai les vains raisonnements des hommes qui se croient sages en se raillant des promesses de Dieu, et qui méprisent comme faux et ridicules les dogmes qui nourrissent notre foi. Mais pour ceux qui sont sages selon Dieu, sa toute-puissance est le grand argument qui leur fait croire toutes les vérités qui semblent incroyables aux hommes, et qui néanmoins sont contenues dans les saintes Ecritures, dont la véracité a déjà été justifiée de tant de manières. Ils tiennent pour certain quil est impossible que Dieu ait voulu nous tromper, et quil peut faire ce qui parait impossible aux infidèles.
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