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LIVRE SEIZIÈME : DE NOÉ À DAVID.
Dans la première partie de ce livre, du premier chapitre au deuxième, saint Augustin expose le développement des deux cités, daprès lHistoire sainte, depuis Noé jusquà Abraham; dans la dernière partie, il sattache à la seule cité céleste depuis Abraham jusquaux rois hébreux.
LIVRE SEIZIÈME : DE NOÉ À DAVID.
SI, DEPUIS NOÉ JUSQUÀ ABRAHAM, IL Y A EU DES HOMMES QUI AIENT SERVI LE VRAI DIEU.
DE CE QUI A ÉTÉ FIGURÉ PROPHÉTIQUEMENT DANS LES ENFANTS DE NOÉ.
GÉNÉALOGIE DES TROIS ENFANTS DE NOÉ.
DE BABYLONE ET DE LA CONFUSION DES LANGUES.
DE LA DESCENTE DE DIEU POUR CONFONDRE LES LANGUES.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE DIEU PARLE AUX ANGES.
COMMENT, DEPUIS LE DÉLUGE, TOUTES SORTES DE BÊTES ONT PU PEUPLER LES ÎLES LES PLUS ÉLOIGNÉES.
SI LES RACES DHOMMES MONSTRUEUX DONT PARLE LHISTOIRE VIENNENT DADAM OU DES FILS DE NOÉ.
GÉNÉALOGIE DE SEM, DANS LA RAGE DE QUI LE PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU SE DIRIGE VERS ABRAHAM.
DU PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU, A PARTIR DABRAHAM.
POURQUOI LÉCRITURE NE PARLE POINT DE NACHOR, QUAND SON PÈRE THARÉ PASSA DE CHALDÉE EN MÉSOPOTAMIE.
DES ANNÉES DE THARÉ, QUI MOURUT A CHARRA.
DU TEMPS DE PROMISSION OU ABRAHAM SORTIT DE CHARRA, DAPRÈS LORDRE DE DIEU.
DES PROMESSES QUE DIEU FIT A ABRAHAM.
DES TROIS MONARCHIES QUI FLORISSAIENT DU TEMPS DABRAHAM, ET NOTAMMENT DE CELLE DES ASSYRIENS.
DE LA SÉPARATION DABRAHAM ET DE LOT, QUI EUT LIEU SANS ROMPRE LEUR UNION.
ABRAHAM SAUVE LOT DES MAINS DES ENNEMIS ET EST BÉNI PAR MELCHISÉDECH.
DAGAR, SERVANTE DE SARRA, QUE SARRA DONNA POUR CONCUBINE A SON MARI.
DES TROIS ANGES QUI APPARURENT A ABRAHAM AU CHÊNE DE MAMBRÉ.
DESTRUCTION DE SODOME; DÉLIVRANCE DE LOT; CONVOITISE INFRUCTUEUSE DABIMÉLECH POUR SARRA.
DE LA NAISSANCE DISAAC, DONT LE NOM EXPRIME LA JOIE ÉPROUVÉE PAR SES PARENTS.
OBÉISSANCE ET FOI DABRAHAM ÉPROUVÉES PAR LE SACRIFICE DE SON FILS; MORT DE SARRA.
ISAAC ÉPOUSE RÉBECCA, PETITE-FILLE DE NACHOR.
CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR LE MARIAGE DABRAHAM AVEC CÉTHURA, APRÈS LA MORT DE SARRA.
DES DEUX JUMEAUX QUI SE BATTAIENT DANS LE VENTRE DE RÉBECCA.
DIEU BÉNIT ISAAC, EN CONSIDÉRATION DE SON PÈRE ABRAHAM.
CE QUE FIGURAIENT PAR AVANCE ÉSAÜ ET JACOB.
POURQUOI JACOB FUT APPELÉ ISRAËL.
COMMENT ON DOIT ENTENDRE QUE JACOB ENTRA, LUI SOIXANTE-QUINZIÈME, EN ÉGYPTE.
BÉNÉDICTION DES DEUX FILS DE JOSEPH PAR JACOB.
DES TEMPS DE MOÏSE, DE JÉSUS NAVÉ, DES JUGES ET DES ROIS JUSQUÀ DAVID.
CHAPITRE PREMIER.SI, DEPUIS NOÉ JUSQUÀ ABRAHAM, IL Y A EU DES HOMMES QUI AIENT SERVI LE VRAI DIEU.
Il est difficile de savoir par lEcriture si, après le déluge, il resta quelques traces de la sainte cité, ou si elles furent entièrement effacées pendant quelque temps, en sorte quil ny eût plus personne qui adorât le vrai Dieu. Depuis Noé, qui mérita avec sa famille dêtre sauvé de la ruine générale de lunivers, jusquà Abraham, nous ne trouvons point que les livres canoniques parlent de la piété de qui que ce soit. On y rapporte seulement que Noé, pénétré dun esprit prophétique et lisant dans lavenir, bénit deux de ses enfants, Sem et Japhet; cest aussi à titre de prophète quil ne maudit pas son fils coupable, Cham, dans sa propre personne, mais dans celle de Chanaan. Voici ses paroles : « Maudit soit lenfant Chanaan ! il sera lesclave de ses frères ». Or, Chanaan était né de Cham, qui, au lieu de couvrir la nudité de son père endormi, lavait mise au grand jour. De là vient encore que cette bénédiction de ses deux autres enfants, de laîné et du cadet : « Que le Seigneur Dieu bénisse Sem! Chanaan sera son esclave. Que Dieu comble de joie Japhet, et quil habite dans les maisons de Sem 1 ! » cette bénédiction, dis-je, et la vigne que Noé planta, et son ivresse, et sa nudité, et la suite de ce récit, tout cela est rempli de mystères et voilé de figures 2.
CHAPITRE II.DE CE QUI A ÉTÉ FIGURÉ PROPHÉTIQUEMENT DANS LES ENFANTS DE NOÉ.
Mais les événements ont assez découvert ce que ces mystères tenaient caché. Qui ne reconnaît, à considérer les choses avec un peu
1. Gen. IX, 25-27. 2. Comp. Conf. Faust., lib. XII, cap. 22 et seq.
de soin et quelque lumière, que les prophéties sont accomplies en Jésus-Christ? Sem, de qui le Sauveur est né selon la chair, signifie Renommé. Or, quy a-t-il de plus renommé que Jésus-Christ dont le nom jette une odeur si agréable de toutes parts quil est comparé, dans le Cantique des cantiques, à un parfum épanché 1? Nest-ce pas aussi dans les maisons de Jésus-Christ, cest-à-dire dans ses églises, quhabite cette multitude nombreuse de nations figurée par Japhet, qui signifie Etendue? Pour Cham, qui signifie Chaud, Cham, dis-je, qui était le second fils de Noé, entre Sem et Japhet, comme se distinguant de lun et de lautre, et ne faisant partie ni des prémices dIsraël, ni de la plénitude des Gentils, que figure-t-il, sinon les hérétiques, hommes ardents et animés, non de lesprit de sagesse, mais dune impatience qui les transporte et leur fait troubler le repos des fidèles? Cette ardeur aveugle tourne, du reste, au profit de ceux qui savancent dans la vertu, suivant cette parole de lApôtre « Il faut quil y ait des hérésies, afin que lon reconnaisse par là ceux qui sont solidement vertueux 2 ». Cest pour cela quil est écrit ailleurs : « Un homme sage se servira utilement de celui qui ne lest pas 3 ». Tandis que la chaleur inquiète des hérétiques, agite plusieurs questions qui concernent la foi, leur contradiction nous oblige de les examiner avec plus de soin, afin de pouvoir mieux les défendre contre eux, en sorte que les difficultés quils proposent servent à linstruction des fidèles. On peut dire aussi que non-seulement ceux qui sont publiquement séparés de lEglise, mais encore tous ceux qui, se glorifiant dêtre chrétiens, vivent mal, sont représentés par le second fils de Noé; car ils annoncent par leur foi la passion du Sauveur figurée par la nudité de ce patriarche, et en même temps ils la déshonorent par leurs actions. Cest deux
1. Cant. I, 2. 2. I Cor, II, 19. 3. Prov. X, 4.
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quil est dit : « Vous les reconnaîtrez par leurs fruits 1 ». De là vient que Cham fut maudit en son fils comme en son fruit, cest. à-dire en son oeuvre, et que Chanaan signifie leurs mouvements, cest-à-dire leurs oeuvres. Quant à Sem et Japhet, cest-à-dire la circoncision et lincirconcision (ou, pour les désigner autrement avec lApôtre, les Juifs et les Gentils, mais appelés et justifiés), ayant connu en quelque façon que jignore la nudité de leur père, laquelle figure la passion du Rédempteur, ils prirent leur manteau sur leurs épaules, et, marchant à reculons, en couvrirent Noé et ne voulurent point voir ce que le respect leur faisait cacher 2. Ainsi, nous honorons ce qui a été fait pour nous dans la passion de Jésus-Christ, et nous ne laissons pas toutefois davoir en horreur le crime des Juifs. Le manteau que prirent ces deux enfants de Noé pour couvrir la nudité de leur père, signifie le divin sacrement, et leurs épaules, la mémoire des choses passées, parce que lEglise célèbre la passion du Sauveur comme déjà arrivée, et ne la regarde pas comme une chose à venir, maintenant que Japhet demeure dans les maisons de Sem et que leur mauvais frère habite au milieu deux. Mais ce mauvais frère est esclave de ses bons frères en son fils, cest-à-dire en son oeuvre, lorsque les gens de bien se servent des méchants ou pour lexercice de leur patience , ou pour laffermissement de leur vertu. En effet, lApôtre témoigne quil y en a qui ne prêchent pas Jésus-Christ avec une intention pure. « Mais pourvu, dit-il, que Jésus-Christ soit annoncé, par prétexte ou par un vrai zèle, il nimporte, je men réjouis et men réjouirai toujours 3 ». Cest Jésus-Christ qui a planté la vigne, dont le Prophète dit: « La vigne du Seigneur des armées, cest la maison dIsraël 4». Et il a bu du vin de cette vigne, soit que par ce vin on entende le calice dont il dit aux enfants de Zébédée: « Pouvez-vous boire le calice que je dois boire 5 ? » et encore : « Mon père, si cela se peut, que ce calice passe sans que je le boive6 ! » par où il marque sans contredit sa passion, soit que, comme le vin est le fruit de la vigne, on veuille entendre plutôt par là quil a pris de la vigne même, cest-à-dire de la race des Israélites, sa chair et son
1. Matt. VII, 20. 2. Gen. IX, 23. 3. Philipp. I, 15, 17 et 18. 4. Isa V, 7. 5. Matt. XX, 22. 6. Ibid. XXVI, 39.
sang, afin de pouvoir souffrir pour nous, et quil sest enivré et quil a été nu 1, parce que cest là qua paru sa faiblesse, dont lApôtre dit : « Sil a été crucifié, cest un effet de sa faiblesse 2 ». Mais ainsi qua. le déclare le même Apôtre : « Ce qui paraît faiblesse en Dieu est plus fort que toute la force des hommes, et sa folie apparente est plus sage que toute leur sagesse 3 ». Quand lEcriture, après avoir dit de Noé quil demeura nu 4 ajoute : dans sa maison, cela montre ingénieusement que cétaient des hommes de même origine que Jésus-Christ, savoir des Juifs, qui devaient lui faire souffrir le supplice de la mort et de la croix. Les réprouvés annoncent cette passion de Jésus-Christ seulement de bouche et au dehors, parce quils ne comprennent pas ce quils annoncent; mais les gens de bien portent gravé au dedans deux-mêmes un si grand mystère, et adorent dans leur coeur cette faiblesse et cette folie de Dieu, parce quelles surpassent tout ce quil y a de plus fort et de plus sage parmi les hommes. Cest ce qui est très-bien figuré, dun côté, par Cham, qui sortit pour publier la nudité de son père, et, de lautre, par Sem et Japhet qui, touchés de respect, entrèrent pour la cacher, fidèle image de ceux qui honorent intérieurement ce mystère. Nous sondons ces secrets de lEcriture comme nous pouvons. Dautres le feront peut-être avec plus ou moins de succès; mais, de quelque façon quon le fasse, il faut toujours tenir pour constant que ces choses nont pas été faites ni écrites sans mystère, et quil ne les faut rapporter quà Jésus-Christ et à son Eglise, qui est la Cité de Dieu annoncée dès le commencement du monde par des figures dont nous voyons tous les jours la réalité. LEcriture donc, après avoir parlé de la bénédiction des deux enfants de Noé et de la malédiction du second, ne fait mention jusquà Abraham daucun serviteur du vrai Dieu. Ce nest pas néanmoins, à mon avis, quil ny en ait eu quelques-uns dans cet espace de temps, qui est de plus de mille ans 5, mais cest quil aurait été trop long de les rapporter tous, et que cela serait plus de lexactitude dun historien que de la prévoyance dun prophète. Aussi bien, le dessein de lauteur des saintes 1. Gen. IX, 21. 2. II Cor. XIII, 4. 3. I Cor.I, 25. 4. Gen. IX, 21. 5. Ce chiffre est celui de la version des Septante; il est beaucoup moindre dans le texte hébreu et dans la Vulgate.
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lettres, ou plutôt de lesprit de Dieu, dont il était lorgane, nest pas seulement de raconter le passé, mais dannoncer lavenir, en tant quil concerne la Cité de Dieu. Tout ce qui y est dit de ceux qui nen sont pas les citoyens, nest que pour lui servir dinstruction ou pour rehausser sa gloire. Il rie faut pas simaginer toutefois que tous les événements qui y sont rapportés aient une signification mystique; mais ce qui ne signifie rien y est mis en vue de ce qui a une signification. Il ny a que le soc qui fende la terre, mais pour cela les autres parties de la charrue sont nécessaires. Dans les instruments de musique , on ne touche que les cordes ; elles seules font le son, et néanmoins on y joint dautres ressorts qui servent à nouer et à tendre ces cordes retentissantes. Ainsi, dans lhistoire prophétique, on marque quelques événements qui nont aucune portée figurative, afin dy attacher, pour ainsi dire, ceux qui figurent quelque chose.
CHAPITRE III.GÉNÉALOGIE DES TROIS ENFANTS DE NOÉ.
Il faut considérer maintenant la généalogie des enfants de Noé, et en dire ce qui sera nécessaire pour marquer le progrès de lune et de lautre cité. LEcriture commence par Japhet, le plus jeune des fils de Noé, qui eut huit enfants 1, lun desquels en eut trois, lautre quatre, ce qui fait quinze en tout. Cham, le second fils de Noé, en eut quatre, plus cinq petits-fils, dont lun lui donna deux arrière-petits-fils, ce qui fait onze. Après quoi lEcriture revient à Cham et dit: « Chus (qui est laîné de Cham) engendra Nebroth, qui était un géant et un grand chasseur contre le Seigneur; doù est venu le proverbe : Grand chasseur contre le Seigneur comme Nebroth. Les principales villes de son royaume étaient Babylone, Orech, Archad et Chalanné, dans le territoire de Sennaar. De cette contrée sortit Assur, qui bâtit Ninive, Robooth, Halach et, entre Ninive et Halach, la grande ville de Dasem 2 ». Or, ce Chus, père du géant Nebroth, est nommé le
1. Saint Augustin suit en cet endroit, selon la remarque du docte Léonard Coquée, une version grecque de lEcriture qui donne à Japhet un huitième enfant du nom dElisa; mais cet Elisa ne se trouve ni dans le texte hébreu, ni dans la paraphrase chaldéenne, ni dans les manuscrits grecs que saint Jérôme a eus sous les yeux. Voyez le traité de ce Père : Qust. hebr. in Genesim. 2. Gen. X, 8 et seq.
premier entre les enfants de Cham, et lEcriture avait déjà fait mention de cinq de ses fils et de deux de ses petits-fils. Il faut donc quil ait engendré ce géant après la naissance de ses petits-fils, ou, ce qui est plus probable, que lEcriture lait cité à part, parce quil était très-puissant; car en même temps elle parle aussi de son royaume, qui prit naissance dans la fameuse Babylone et autres villes ou contrées déjà citées. Quant à ce quelle dit dAssur, quil sortit de cette contrée de Sennaar, qui dépendait du royaume de Nebroth, et quil bâtit Ninive et les autres villes dont elle fait mention, cela narriva que longtemps après; mais elle en parle ici en passant et par occasion, à cause de lempire fameux des Assyriens que Ninus, fils de Bélus et fondateur de cette grande ville de Ninive, qui prit son nom, étendit merveilleusement. Pour Assur, doù sont sortis les Assyriens, il nétait pas fils de Cham, mais de Sem, aîné de Noé; doù II paraît que, dans la suite, des descendants de Sem possédèrent le royaume de Nebroth, et, sétendant plus loin, fondèrent dautres villes dont Ninive fut la première. De là, lEcriture remonte à un autre fils de Cham, nommé Mesraïm, et à ses sept enfants, et elle en parle, non comme de particuliers, mais comme de nations, disant que de la sixième sortit celle des Philistins; ce qui en fait huit. Ensuite elle retourne à Chanaan, en qui Cham fut maudit, et fait mention donze de ses fils et de certaines contrées quils occupaient. Ainsi toute la postérité de Cham monte à trente et une personnes. Reste à parler des enfants de Sem, aîné de Noé; car cest lui qui termine cette généalogie. Mais il y a ici quelque obscurité dans la Genèse, où il nest pas aisé de découvrir quel fut le premier fils de Sem. Voici ce quelle dit : « De Sem, père de tous les enfants dHéber et frère aîné de Japhet, naquirent Ela, etc.1 » Par là, il semblerait quHéber fût fils immédiat de Sem, et cependant il nest que le cinquième de ses descendants. Sem, entre autres fils, engendra Arphaxat, Arphaxat engendra Caïnan 2, Caïnan engendra Sala, et Sala engendra Héber. LEcriure a voulu faire entendre par là que Sem est le père de tous ses descendants, tant fils que petits-fils et autres de sa race; et ce nest
1. Gen. X, 21. 2. Ce Caïnan, qui est donné par tous les manuscrits de la version des Septante et par saint Luc (III, 36), ne se trouve ni dans le texte hébreu, ni dans la Vulgate.
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pas sans raison quelle parle dHéber avant que de parler des fils de Sem, quoiquil ni soit, comme je viens de le dire, que le vingtième de sa race, à cause que cest de lui que les Hébreux ont pris leur nom, bien qu dautres veuillent que ce soit dAbrabam, mais avec moins dapparence 1. Ainsi lEcriture nomme dabord six enfants de Sem, lun desquels en eut quatre; puis elle fait mention dun autre fils de Sem qui lui engendra un petit-fils, et celui-ci un arrière-petit-fils dont sortit Héber. Héber eut deux fils, dont lun fut nommé Phalec, cest-à-dire Divisant, à cause, dit lEcriture, que de son temps la terre fut divisée; lautre eut douze fils; de sorte que toute la postérité de Sem est de vingt personnes. De cette manière, tous les descendants des trois fils de Nué, cest-à-dire quinze de Japhet, trente et un de Cham et vingt-sept de Sem, font soixante-treize. Après, lEcriture ajoute : « Voilà les enfants de Sem selon leurs familles, leurs langues, leurs contrées et leurs nations 2 ». Et parlant de tous ensemble : « Voilà les familles des enfants de Noé, selon leurs générations et leurs « peuples : delles fut peuplée la terre après le déluge 3 ». On voit par là que cest de nations et non dhommes en particulier que parle lEcriture, lorsquelle fait mention de ces soixante-treize, ou plutôt soixante-douze personnes, comme nous le montrerons ci-après, et que cest pour cela quelle en a omis plusieurs de la postérité de Noé, non quils naient eu des enfants aussi bien que les autres, mais parce quils nont pas fait souche comme eux et nont pas été pères dun peuple.
CHAPITRE IV.DE BABYLONE ET DE LA CONFUSION DES LANGUES.
Mais, quoique lEcriture rapporte que ces nations furent divisées chacune en leur langue, elle ne laisse pas ensuite de revenir au temps où elles navaient toutes quun seul langage, et de déclarer comment arriva la différence qui y survint. « Toute la terre, dit-elle, parlait une même langue, lorsque les hommes, séloignant de lOrient, trouvèrent une plaine dans la contrée de Sennaar, où ils sétablirent. Alors ils se dirent lun à lautre: «Venez, faisons des briques et les cuisons au
1. Comp. Retract., lib. II, cap. 16.
2. Gen. X, 31.
feu. ils prirent donc des briques au lieu de pierres, et du bitume au lieu de mortier, et dirent: Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet sélève jusquau ciel, et faisons parler de nous avant de nous séparer. Mais le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les enfants des hommes bâtissaient, et il dit: Voilà un seul peuple et une même langue, et, maintenant quils ont commencé ceci, ils ne sarrêteront quaprès lavoir achevé. Venez donc, descendons et confondons leur langue, en sorte quils ne sentendent plus lun lautre. Et le Seigneur les dispersa par toute la terre, et ils cessèrent de travailler à la ville et à la tour. De là vient que ce lieu fut appelé Confusion, parce que ce fut là que Dieu confondit le langage des hommes et quil les dispersa ensuite par tout le monde 1 ». Cette ville, qui fut appelée Confusion, cest Babylone, et lhistoire profane elle-même en célèbre la construction merveilleuse. En effet, Babylone signifie Confusion, et nous voyons par là que le géant Nebroth en fut le fondateur, comme lEcriture lavait indiqué auparavant en disant que Babylone était la capitale de son royaume, quoiquelle ne fût pas arrivée au point de grandeur où lorgueil et limpiété des hommes se flattaient de la porter. Ils prétendaient la faire extraordinairement haute et lélever jusquau ciel, comme parlait lEcriture, soit quils neussent ce dessein que pour une des tours de la ville, soit quils létendissent à toutes; lEcriture ne parle que dune, mais cest peut-être de la même manière quelle dit le soldat pour signifier toute une armée, ou la grenouille et la sauterelle pour exprimer cette multitude de grenouilles et de sauterelles qui furent deux des plaies qui affligèrent lEgypte 2. Mais quespéraient entreprendre contre Dieu ces hommes téméraires et présomptueux avec cette masse de pierres, quand ils lauraient élevée au-dessus de toutes les montagnes et de la plus haute région de lair? En quoi peut nuire à Dieu quelque élévation que ce soit de corps ou desprit? Le sûr et véritable chemin pour monter au ciel est lhumilité. Elle élève le coeur en haut, mais au Seigneur, et non pas contre le Seigneur, comme lEcriture le dit de ce géant, qui était un chasseur contre le Seigneur 3. Cest en effet ainsi quil faut traduire,
1. Gen. XI, 1.9 .- 2. Exod. X, 4 et al. ; Ps. LXXVII, 45 .- 3. Gen. X, 9.
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et non : devant le Seigneur, comme ont fait quelques-uns, trompés par léquivoque du mot grec, qui peut signifier lun et lautre 1. La vérité est quil est employé au dernier sens dans ce verset du psaume: « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits 2 »; et au premier dans le livre de Job, lorsquil est dit: « Vous vous êtes emportés de colère contre le Seigneur 3 ».Et que veut dire un chasseur sinon un trompeur, un meurtrier et un assassin des animaux de la terre? Il élevait donc une tour contre Dieu avec son peuple, ce qui signifie un orgueil impie, et Dieu punit avec justice leur mauvaise intention, quoiquelle nait pas réussi. Mais de quelle façon la punit-il? Comme la langue est linstrument de la domination, cest en elle que lorgueil a été puni, tellement que lhomme, qui navait pas voulu entendre les commandements de Dieu, na point été à son tour entendu des hommes, quand il a voulu leur commander. Ainsi fut dissipée cette conspiration, chacun se séparant de celui quil nentendait pas pour se joindre à celui quil entendait; et les peuples furent divisés selon les langues et dispersés dans toutes les contrées de la terre par la volonté de Dieu, qui se servit pour cela de moyens qui nous sont tout à fait cachés et incompréhensibles.
CHAPITRE V.DE LA DESCENTE DE DIEU POUR CONFONDRE LES LANGUES.
« Le Seigneur, dit lEcriture, descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants des hommes 4 », cest-à-dire non les enfants de Dieu, mais cette société dhommes qui vit selon lhomme, et que nous appelons la cité de la terre. Cette descente de Dieu ne doit pas sentendre matériellement, comme sil changeait de lieu, lui qui est tout entier partout ; mais on dit quil descend, lorsquil fait sur la terre quelque chose dextraordinaire qui marque sa présence. De même, quand on dit quil voit quelque chose, ce nest pas quil ne leût vue auparavant, lui qui ne peut rien ignorer, mais cest quil la fait voir aux hommes. On ne voyait donc pas cette ville comme on la vit depuis, quand Dieu eut montré combien elle lui déplaisait. Toutefois on peut fort bien entendre que Dieu descendit
1. Le mot grec enantion, remarque saint Augustin, signifie également devant et contre. 2. Ps. XCIV, 6.- 3. Job, XV, 13 sec. LXX. 4. Gen. XI, 5.
sur cette ville, parce que ses anges, en qui il habitait, y descendirent, en sorte que ces paroles : « Dieu dit : Ils ne parlent tous quune même langue », et le reste, et ensuite : « Venez, descendons et confondons leur langage 1 », ne seraient quune récapitulation pour expliquer ce que lEcriture avait déjà dit, « que le Seigneur descendit ». En effet, sil était déjà descendu, que voudrait dire ceci : « Venez, descendons et confondons leur langage », ce qui semble bien sadresser aux anges et signifier que celui qui était dans les anges descendait par leur ministère? Il faut encore remarquer à ce propos que le texte hébreu ne dit pas: Venez et confondez, mais: « Venez et confondons o, pour faire voir que Dieu agit tellement par ses ministres, que ses ministres agissent avec lui, suivant cette parole de lApôtre: « Nous sommes les coopérateurs de Dieu 2 ».
CHAPITRE VI.COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE DIEU PARLE AUX ANGES.
On pourrait croire que les paroles de la Genèse: « Faisons lhomme », auraient été aussi adressées aux anges, si Dieu najoutait: « A notre image ». Ce dernier trait est décisif et ne nous permet pas de croire que lhomme ait été fait à limage des anges, ou que Dieu et les anges naient quune même image. Nous avons donc raison dentendre ce pluriel: « Faisons », des personnes de la Trinité. Et néanmoins comme cette Trinité nest quun Dieu, après que Dieu a dit : « Faisons », lEcriture ajoute: « Et Dieu fit lhomme à limage de Dieu 3 ». Elle ne dit pas: Les dieux firent; ou: A limage des dieux. Or, dans le passage discuté tout à lheure, on pourrait également trouver une trace de la Trinité, comme si le Père, sadressant au Fils et au Saint-Esprit, leur eût dit: « Venez, descendons et confondons leur langage » ; mais ce qui retient lesprit, cest quici rien nempêche dappliquer le pluriel aux anges. Ces paroles, en effet, leur conviennent mieux, parce que cest surtout à eux à sapprocher de Dieu par de saints mouvements, cest-à-dire par de pieuses pensées, et à consulter les oracles de la vérité immuable qui leur sert de loi éternelle dans leur bienheureux séjour. ils ne sont pas eux-mêmes la vérité; mais participant à cette
1.Gen. II, 6, 7. 2. I Cor. III, 9. 3. Gen. I, 26, 27.
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vérité créatrice de toutes choses, ils sen approchent comme de la source de la vie, afin de recevoir delle ce quils ne trouvent pas en eux. Çest pourquoi le mouvement qui lei porte vers elle est stable en quelque façon, parce quils ne séloignent jamais delle. Or, Dieu ne parle pas aux anges comme nous nous parlons les uns aux autres, ou comme nous parlons à Dieu ou aux anges, ou comme les anges nous parlent, ou comme Dieu nous parle par les anges; il leur parle dune manière ineffable, et cette parole nous est transmise dune manière qui nous est proportionnée. La parole de Dieu, supérieure à tous ses ouvrages, est la raison même, la raison immuable de ces ouvrages ; elle na pas un son fugitif, mais une vertu permanente dans léternité et agissante dans le temps. Cest de cette parole éternelle quil se sert pour parler aux anges; et quand il lui plaît de nous parler de la sorte au fond du coeur, nous leur devenons semblables en quelque façon: pour lordinaire, il nous parle autrement. Afin clone de nêtre pas toujours obligé dans cet ouvrage de rendre raison des paroles de Dieu, je dirai ici, une fois pour toutes, que la vérité immuable parle par elle-même à la créature raisonnable dune manière qui ne se peut expliquer, soit quelle sadresse à la créature par lentremise de la créature, soit quelle frappe notre esprit par des images spirituelles, ou nos oreilles par des voix ou des sous. Expliquons encore ces mots: « Et maintenant quils ont commencé ceci, ils ne sarrêteront quaprès lavoir achevé ». Quand Dieu parle de la sorte, ce nest pas une affirmation, cest plutôt une interrogation menaçante comme celle-ci dans Virgile:
« On ne prendra pas les armes! toute la ville ne se mettra pas à leur poursuite 1 »
La parole de Dieu doit donc être entendue ainsi: Ils ne sarrêteront donc pas avant que davoir achevé 2 ! Mais, pour revenir à la suite du récit de la Genèse, disons que des trois enfants de Noé sortirent soixante et treize ou plutôt soixante et douze nations dun langage différent qui commencèrent à se répandre par toute la terre et ensuite à peupler les
1. Enéide, livre IV, v. 592. 2. Il y a ici sur la différence de non et de nonne en latin une remarque intraduisible.
îles. Mais les peuples se sont bien plus multipliés que les langues; car nous savons que dans lAfrique plusieurs nations barbares nusent que dun seul langage. A légard des îles, qui peut douter que, le nombre des hommes croissant, ils naient pu y passer à laide de vaisseaux?
CHAPITRE VII.COMMENT, DEPUIS LE DÉLUGE, TOUTES SORTES DE BÊTES ONT PU PEUPLER LES ÎLES LES PLUS ÉLOIGNÉES.
On demande comment les bêtes qui ne naissent pas de la terre ainsi que les grenouilles 1 , mais par accouplement, comme les loups et autres animaux, ont pu se trouver dans les îles après le déluge, à moins quelles ne soient provenues de celles qui avaient été sauvées dans larche. Pour les îles qui sont proches, on peut croire quelles y ont passé à la nage; mais il y en a qui sont si éloignées du continent quil nest pas probable quaucun de ces animaux ait pu y arriver de la sorte. On peut répondre à cela que les hommes les y ont transportées sur leurs vaisseaux pour les faire servir à la chasse, et enfin que Dieu même a fort bien pu les y transporter par le ministère des anges. Que si elles sont sorties de la terre, comme à la création du monde, quand Dieu dit: « Que la terre produise une âme vivante 2 », cela fait voir clairement que des animaux de tout genre ont été mis dans larche, moins pour en réparer lespèce que pour être une figure de lEglise qui devait être composée de toutes sortes de nations.
CHAPITRE VIII.SI LES RACES DHOMMES MONSTRUEUX DONT PARLE LHISTOIRE VIENNENT DADAM OU DES FILS DE NOÉ.
On demande encore sil est croyable quil soit sorti dAdam ou de Noé certaines races dhommes monstrueux dont lhistoire fait mention 3. On assure, en effet, que quelques-uns nont quun oeil au milieu du front, que dautres ont la pointe du pied tournée en
1. Ici, comme plus haut, saint Augustin parait favorable aux générations spontanées. Voyez livre XV, ch. 8. 2. Gen. I, 24. 3. Voyez Pline (Hist. nat., lib. VII,cap.2), Solinus (Polyhist., capp. 28 et 55), Aulu-Gelle (Noct. Att., lib. Ix, cap. 4), Isidore (Origin., lib. XI, cap. 3) et ailleurs.
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dedans; dautres possèdent les deux sexes dont ils se servent alternativement, et ils ont la mamelle droite dun homme et la gauche dune femme; il y en a qui nont point de bouche et ne vivent que de lair quils respirent par le nez; dautres nont quune coudée de haut, doù vient que les Grecs les nomment Pygmées 1; on dit encore quen certaines contrées il y a des femmes qui deviennent mères à cinq ans et qui nen vivent que huit. Dautres affirment quil y a des peuples dune merveilleuse vitesse qui nont quune jambe sur deux pieds et ne plient point le jarret ; on les appelle Sciopodes 2, parce que lété ils se couchent sur le dos et se défendent du soleil avec la Plante de leurs pieds; dautres nont point de tête et ont les yeux aux épaules; et ainsi dune infinité dautres monstres de la sorte, retracés en mosaïque sur le port de Carthage et quon prétend avoir été tirés dune histoire fort curieuse. Que dirai-je des Cynocéphales 3, dont la tête de chien et les aboiements montrent que ce sont plutôt des bêtes que des hommes? Mais nous ne sommes pas obligés de croire tout cela. Quoi quil en soit, quelque part et de quelque figure que naisse un homme, cest-à-dire un animal raisonnable et mortel, il ne faut point douter quil ne tire son origine dAdam, comme du père de tous les hommes. La raison que lon rend des enfantements monstrueux qui arrivent parmi nous peut servir pour des nations tout entières. Dieu, qui est le créateur de toutes choses, sait en quel temps et en quel lieu une chose doit être créée, parce quil sait quels sont entre les parties de lunivers les rapports danalogie et de contraste qui contribuent à sa beauté. Mais nous qui ne le saurions voir tout entier, nous sommes quelquefois choqués de quelques-unes de ses parties, par cela seul que nous ignorons quelle proportion elles ont avec tout le reste. Nous connaissons des hommes qui ont plus de cinq doigts aux mains et aux pieds; mais encore que la raison nous en soit inconnue, loin de nous lidée que le Créateur se soit mépris ! Il en est de même des autres différences plus considérables : Celui dont personne ne peut justement blâmer les ouvrages, sait pour quelle raison il les a faits de la
1. De pugmé , coudée. 2. De skia, ombre, et pous, podos, pied. 3. De kuon, kunos, chien, et kephale, tête.
sorte. Il existe un homme à Hippone-Diarrhyte1, qui a la plante des pieds en forme de croissant, avec deux doigts seulement aux extrémités, et les mains de même. Sil. y avait quelque nation entière de la sorte, on lajouterait à cette histoire curieuse et surprenante. Dirons-nous donc que cet homme ne tire pas son origine dAdam? Les androgynes, quon appelle aussi hermaphrodites, sont rares, et néanmoins il en paraît de temps en temps en qui les deux sexes sont si bien distingués quil est difficile de décider duquel ils doivent prendre le nom, bien que lusage ait prévalu en faveur du plus noble. Il naquit en Orient, il y a quelques années, un homme double de la ceinture en haut; il avait deux têtes, deux estomacs et quatre mains, un seul ventre dailleurs et deux pieds, comme un homme dordinaire, et il vécut assez longtemps pour être vu de plusieurs personnes qui accoururent à la nouveauté de ce spectacle. Comme on ne peut pas nier que ces individus ne tirent leur origine dAdam, il faut en dire autant des peuples entiers en qui la nature séloigne de son cours ordinaire, et qui néanmoins sont des créatures raisonnables, si, après tout, ce quon en rapporte nest point fabuleux : car supposez que nous ignorassions que les singes, les cercopithèques 1 et les sphinx sont des bêtes, ces historiens nous feraient peut-être croire que ce sont des nations dhommes 2. Mais en admettant que ce quon lit des peuples en question soit véritable, qui sait si Dieu na point voulu les créer ainsi, afin que nous ne croyions pas que les monstres qui naissent parmi nous soient des défaillances de sa sagesse ? Les monstres dans chaque espèce
1.Il y avait deux Hippones en Afrique: Hippone la Royale (doù la Bône actuelle tire son nom) et Hippone-Diarrhyte. en arabe Ben Zert, doù est venu le nom de Biserte. Cest Hippone la Royale qui a eu pour évêque saint Angustin. 2. Les cercopithèques sont des singes à longue queue (de kerkos, queue, et pitheko, singe). 3. Il est intéressant de rapprocher ici la Cité de Dieu et le Discours sur les révolutions du globe. Le bon sens de saint Augustin semble aller quelquefois au-devant de la science de Cuvier. Lillustre naturaliste se défie de ces espèces monstrueuses quon suppose perdues aujourdhui : « Cest, dit-il, une erreur qui vient dune critique imparfaite. On a pris des peintures danimaux fantastiques pour des descriptions danimaux réels... Cest dans quelque recoin dun de ces monuments (les monuments dEgypte, ornés de peintures) quAgatharchides aura vu son taureau carnivore, dont la gueule, fendue jusquaux oreilles, népargnait aucun autre animal, mais quassurément les naturalistes navoueront pas; car la nature ne combine ni des pieds fourchus, ni des cornes, avec des dents tranchantes ». Dautre fois, selon Cuvier, on se sera trompé à quelque ressemblance : « Les grands singes auront paru de vrais cynocéphales, de vrais sphinx, de vrais hommes à queue, et cest ainsi que saint Augustin aura cru voir un satyre ». (Discours sur les révol. du globe, page 87).
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seraient alors ce que sont les races monstrueuses dans le genre humain. Ainsi, pour conclure avec prudence et circonspection: ou ce que lon raconte de ces nations est faux, ou ce ne sont pas des hommes, ou, si ce sont des hommes, ils viennent dAdam.
CHAPITRE IX.SIL Y A DES ANTIPODES.
Quant à leur fabuleuse opinion quil y a des antipodes, cest-à-dire des hommes dont les pieds sont opposés aux nôtres et qui habitent cette partie de la terre où le soleil se lève quand il se couche pour nous, il ny a aucune raison dy croire. Aussi ne lavancent-ils sur le rapport daucun témoignage historique, mais sur des conjectures et des raisonnements, parce que, disent-ils, la terre étant ronde, est suspendue entre les deux côtés de la voûte céleste, la partie qui est sous nos pieds, placée dans les mêmes conditions de température, ne peut pas être sans habitants 1 . Mais quand on montrerait que la terre est ronde, il ne sensuivrait pas que la partie qui nous est opposée ne fût point couverte deau. Dailleurs, ne le serait-elle pas, quelle nécessité quelle fût habitée, puisque, dun côté, lEcriture ne peut mentir, et que, de lautre, il y a trop dabsurdité à dire que les hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde 2. Voyons donc si nous pourrons trouver la Cité de Dieu parmi ces hommes qui, selon la Genèse, furent divisés en soixante-douze nations et autant de langues. Il est évident quelle a persévéré dans les enfants de Noé, surtout dans laîné, qui est Sem, puisque la bénédiction de Japhet enferme
1. Voyez sur la notion des Antipodes chez les géographes anciens la note de Louis Vivès, en son commentaire de la Cité de Dieu, tome II, page 118. 2. On remarquera que saint Augustin, sans nier dune manière absolue la possibilité physique des antipodes, se borne à élever une difficulté très-sérieuse en elle-même et particulièrement délicate pour on chrétien, celle de concilier les données de la géographie avec lunité des races humaines. Lactance sétait montré beaucoup moins réservé, quand il traitait dinepte la conception dune terre ronde et dhommes ayant la tête plus bas que les pieds. (Inst. lib., III, cap. 24). Est-ce par ces puissantes raisons que le pape Zacharie accusa la théorie des antipodes de perversité et diniquité (Epist. X ad Bonif.)? Je ne sais, mais la postérité a dit avec Pascal: « Ne vous imaginez pas que les lettres du pape Zacharie pour lexcommunication de saint Virgile, sur ce quil tenait quil y avait des antipodes, aient anéanti ce nouveau monde, et quencore quil eût déclaré que cette opinion était une erreur bien dangereuse, le roi dEspagne ne se soit pas bien trouvé den avoir plutôt cru Christophe Colomb, qui en revenait, que le jugement de ce pape qui ny avait pas été (Provinciales, lettre 13). »
en quelque sorte celle de Sem, et quil doit habiter dans les demeures de ses frères.
CHAPITRE X.GÉNÉALOGIE DE SEM, DANS LA RAGE DE QUI LE PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU SE DIRIGE VERS ABRAHAM.
Il faut donc prendre la suite des générations depuis Sem, afin de faire voir la Cité de Dieu à partir du déluge, comme la suite des générations de Seth la montrée auparavant. Cest pour cela que lEcriture, après avoir montré la cité de la terre dans Babylone, cest-à-dire dans la confusion, retourne au patriarche Sem, et commence par lui lordre des générations jusquà Abraham, marquant combien chacun a vécu, avant que dengendrer celui qui continue cette généalogie, et combien il a vécu depuis. Mais il faut, en passant, que je macquitte de ma promesse, et que je rende raison de ce que dit lEcriture, que lun des enfants dHéber fut nommé Phalec, parce que la terre fut divisée de son temps 1. Que doit-on entendre par cette division, si ce nest la diversité des langues? LEcriture, laissant de côté les autres enfants de Sem, qui ne contribuent en rien à la suite des générations, parle seulement de ceux qui la conduisent jusquà Abraham; ce quelle avait déjà fait avant le déluge dans la généalogie de Seth. Voici comme elle commence celle de Sem: « Sem, fils de Noé, avait cent ans lorsquil engendra Arphaxat, la seconde année après le déluge; et il vécut, encore depuis cinq cents ans, et engendra des fils et des filles 2 ». Elle poursuit de même pour les autres avec le soin dindiquer lannée où chacun a engendré celui qui sert à cette généalogie, et la durée totale de sa vie, et elle ajoute toujours quil a eu dautres enfants, afin que nous nallions pas demander sottement comment la postérité de Sem a pu peupler tant de régions et fonder ce puissant empire des Assyriens que Ninus étendit si loin. Mais, pour ne pas flous arrêter plus quil ne convient, nous ne marquerons que lâge auquel chacun des descendants de Sem a eu le fils qui continue la suite de cette généalogie, afin de supputer combien dannées se sont écoulées depuis le déluge jusquà Abraham.
1. Gen. X, 25. 2. Ibid. XI, 10, 11.
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Deux ans donc après le déluge, Sem, âgé de cent ans, engendra Arphaxat; Arphaxat engendra Caïnan à lâge de cent trente-cinq ans; Caïnan avait cent trente ans quand il engendra Salé; Salé en avait autant lorsquil engendra Héber; Héber cent trente-quatre lorsquil engendra Ragau; Ragau cent trente-deux quand il engendra Seruch ; Seruch cent trente quand il eut Nachor; Nachor soixante-dix-neuf à la naissance de son fils Tharé; et Tharé, à lâge de soixante-dix ans, engendra Abram 1, que Dieu appela depuis Abraham 2 . Ainsi, depuis le déluge jusquà Abraham, il y a mille soixante-douze ans, selon les Septante 3, car on dit quil y en a beaucoup moins, selon lhébreu : ce dont on ne rend aucune raison bien claire. Lors donc que nous cherchons la Cité de Dieu dans ces soixante-douze nations dont parle lEcriture, nous ne saurions affirmer positivement si dès ce temps, où les hommes ne parlaient tous quun même langage4, ils abandonnèrent le culte du vrai Dieu, de telle sorte que la vraie piété ne se soit conservée que dans les descendants de Sem par Arphaxat jusquà Abraham; ou bien si la cité de la terre ne commença quà la construction de la tour de Babel; ou plutôt si les deux cités subsistèrent, celle de Dieu dans les deux fils de Noé, qui furent bénis dans leurs personnes et dans leur race, et celle de la terre, dans le fils qui fut maudit ainsi que sa postérité. Peut-être est-il plus vraisemblable quavant la fondation de Babylone il y avait des idolâtres dans la postérité de Sem et de Japhet, et des adorateurs du vrai Dieu dans celle dè Cham; au moins devons-nous croire quil y a toujours eu sur la terre des hommes de lune et de lautre sorte. Dans les deux psaumes 5 où il est dit : « Tous ont quitté le droit chemin et se sont corrompus; il ny en « a pas un qui soit homme de bien, il ny en « a pas un seul », on lit ensuite : « Ces impies « qui ne font que du mal et qui dévorent « mon peuple comme ils feraient un morceau « de pain, ne se reconnaîtront-ils jamais? »Le peuple de bLeu était donc alors; et ainsi ces paroles : « Il ny en a pas un qui soit homme de bien, il ny en a pas un seul », doivent sentendre des enfants des hommes, et non de ceux de Dieu. Le Prophète avait dit
1. Gen. 10-26. 2. Ibid. XVII, 5. 3. Ce chiffre est aussi celui de Sulpice Sévère ( Hist. sac., lib. I, cap. 5). 4. Gen. XI, 1. 4. Ps. XIII, 3, 4, 2; LII, 4, 5, 8.
auparavant: « Dieu a jeté les yeux du haut du ciel sur les enfants des hommes, pour voir sil y en a quelquun qui le connaisse et qui le cherche »; après quoi il ajoute : « Il ny en a pas un qui soit homme de bien », pour montrer quil ne parle que des enfants des hommes, cest-à-dire de ceux qui appartiennent à la cité qui vit selon lhomme, et non selon Dieu.
CHAPITRE XI.LA LANGUE HÉBRAÏQUE, QUI ÉTAIT CELLE DONT TOUS LES HOMMES SE SERVAIENT DABORD, SE CONSERVA DANS LA POSTÉRITÉ DHÉBER, APRÈS LA CONFUSION DES LANGUES.
De même que lexistence dune seule langue avant le déluge nempêcha pas quil ny eût des méchants et que tous les hommes nencourussent la peine dêtre exterminés par les eaux, à la réserve de la maison de Noé, ainsi, lorsque les nations furent punies par la diversité des langues, à cause de leur orgueil impie, et répandues par toute la terre, et que la cité des méchants fut appelée Confusion ou Babylone, la langue dont tous les hommes se servaient auparavant demeura dans la maison dHéber. De là vient, comme je lai remarqué ci-dessus, que lEcriture, dans le dénombrement des enfants de Sem, met Héber le premier, quoiquil ne soit que le cinquième de ses descendants. Comme cette langue demeura dans sa famille1, tandis que les autres nations furent divisées suivant les temps, celle-là fut depuis appelée hébraïque. Il fallait bien en effet lui donner un nom pour la distinguer de toutes les autres qui avaient aussi chacune le sien, au lieu que, quand elle était seule, elle navait point de nom particulier. On dira peut-être : Si la terre fut divisée eu plusieurs langues du temps de Phalech, fils dHéber, celle de ces langues qui était auparavant commune à tous les hommes devait plutôt prendre son nom de Phalech. Mais il faut répondre quHéber nappela son fils Phalech, cest-à-dire Division, que parce quil vint au monde lorsque la terre fut divisée par langues, et que cest ce quentend lEcriture, quand elle dit : « La terre fut divisée de son temps ». Si Héber neût encore été vivant lors de cette division, il neût pas donné son 1. Voyez plus bas, livre XVIII, ch. 39. 2. Gen. X, 25.
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nom à la langue qui demeura dans sa famille 1. Ce qui nous porte à croire que cette langue est celle qui était dabord commune à tous let hommes, cest que le changement et la multiplication des langues ont été une peine du péché, et partant que le peuple de Dieu a dire être exempt de cette peine. Aussi nest-ce pas sans raison que cette langue a été celle dAbraham, et quil ne la pu transmettre à tous ses enfants, mais seulement à ceux qui, issus de Jacob, ont composé le peuple de Dieu, reçu son alliance, et mis au monde le Christ. Héber lui-même na pas fait passer cette langue à toute sa postérité, mais seulement à la branche dAbraham. Ainsi, bien que 1Ecriture ne marque pas précisément quil y eût des gens de bien, lorsque les méchants bâtissaient Babylone, cette obscurité nest pas tant pour nous priver de la vérité que pour exercer notre attention. Lorsquon voit, dun côté, quil ,existe dabord une langue commune à tous les hommes, quil est fait mention dHéber avant tous les autres enfants de Sem, encore quil nait été que le cinquième de ses descendants, et que la langue des patriarches, des prophètes et de lEcriture même est appelée langue hébraïque, et lorsquon demande, de lautre côté, où cette langue, qui était commune avant la division des langues, sest pu conserver, comme il nest point douteux dailleurs que ceux parmi lesquels elle sest conservée naient été exempts de la peine du changement des langues, que se présente-t-il à lesprit, sinon quelle est demeurée dans la famille de celui dont elle a pris le nom, et que ce nest pas une petite preuve de la vertu de cette famille davoir été à couvert de cette punition générale? Mais il se présente encore une autre difficulté : comment Béber et Phalech son fils ont-ils pu chacun faire une nation? Il est certain au fond que le peuple hébreu est descendu dHéber par Abraham. Comment donc tous les enfants des trois fils de Nué, dont parle lEcriture, ont-ils établi chacun une
1. Les avis, dit un habile commentateur de la Cité de Dieu, Léonard Coquée, sont partagés sur cette question. Dans leur chronique, nommée Seder-Holam, cest-à-dire Ordre des temps, les Juifs placent lépoque de la division des langues aux dernières années de la vie de Phalech, trois cent quarante ans après le déluge, dix ans avant la mort de Noé. Maintenant, pourquoi Héber donna-t-il à son fils le nom de Phalech, qui signifie division? Cest quil possédait le don de prophétie et lisait la prochaine division des langues dans lavenir. Tel parait être le sentiment de saint Jérôme en son livre des traditions hébraïques, et saint Chrysostome abonde dans le même sens (Hom. XXX in Genes.)
nation, si Héber et Phalech nen ont fait quune? Il est fort probable que Nebroth a fondé aussi sa nation, et que lEcriture a fait mention à part de. ce personnage, à cause de sa stature extraordinaire et de la vaste étendue de son empire; de sorte que le nombre des soixante-douze langues ou nations demeure toujours. Quant à Phalech, elle nen parle pas pour avoir donné naissance à une nation; mais à cause de cet événement mémorable de la division des langues qui arriva de son temps. On ne doit point être surpris que Nebroth ait vécu jusquà la fondation de Babylone et à la confusion des langues; car de ce quHéber est le sixième, depuis Noé, et Nebroth seulement le quatrième, il ne sensuit pas que Nebrotb nait pas pu vivre jusquau temps dHéber. Lorsquil y avait moins de générations, les hommes vivaient davantage, ou venaient au monde plus tard. Aussi faut-il entendre que, quand la terre fut divisée en plusieurs nations, non-seulement les descendants de Noé, qui en étaient les pères et les fondateurs, étaient nés, mais quils avaient déjà des familles nombreuses et capables de composer chacune une nation. Cest pourquoi il ne faut pas simaginer quils soient nés dans le même ordre où lEcriture les nomme; autrement, comment les douze fils de Jectan, autre fils dHéber et frère de Phalech, auraient-ils pu déjà faire des nations, si Jectan ne vint au monde quaprès Phalech, puisque la terre fut divisée à la naissance de Phalech? Il est donc vrai que Phalech a été nommé le premier, mais Jectan na pas laissé que de venir au monde bien avant lui; en sorte que les douze enfants de Jectan avaient déjà de si grandes familles quelles pouvaient être divisées chacune en leur langue. On aurait tort de trouver étrange que lEcriture en ait usé de la sorte, puisque dans la généalogie des trois enfants de Noé , elle commence par Japhet, qui était le cadet. Or, les noms de ces peuples se trouvent encore aujourdhui en partie les mêmes quils étaient autrefois comme ceux des Assyriens et des Hébreux; et en partie ils ont été changés par la suite des temps, tellement que les plus versés dans lhistoire en peuvent à peine découvrir lorigine. En effet, on dit que les Egyptiens viennent de Mesraïm, et les Ethiopiens de Chus, deux des fils de Cham, et cependant on ne voit aucun rapport entre leurs noms (341) actuels et leur origine. A tout considérer, on trouvera que, parmi ces noms, il y en a plus de ceux qui ont été changés que de ceux qui sont demeurés jusquà nous.
CHAPITRE XII.DU PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU, A PARTIR DABRAHAM.
Voyons maintenant le progrès de la Cité de Dieu, depuis le temps dAbraham, où elle a commencé à paraître avec plus déclat et où les promesses que nous voyons aujourdhui accomplies en Jésus-Christ sont plus claires et plus précises. Abraham, au rapport de lEcriture 1, naquit dans la Chaldée, qui dépendait de lempire des Assyriens. Or, la superstition et limpiété régnaient déjà parmi ces peuples, comme parmi les autres nations. La seule maison de Tharé, père dAbraham, conservait le culte du vrai Dieu et vraisemblablement aussi la langue hébraïque, quoique Jésus-Navé5 témoigne quAbraham même était dabord idolâtre. De même que la seule maison de Noé demeura pendant le déluge pour réparer le genre humain, ainsi, dans ce déluge de superstitions qui inondaient lunivers, la seule maison de Tharé fut comme lasile de la Cité de Dieu; et comme, après le dénombrement des généalogies jusquà Noé, lEcriture dit: « Voici la généalogie de Noé 3 », de même, après le dénombrement des générations de Sem, fils de Noé, jusquà Abraham, elle dit: « Voici la généalogie de Tharé. Tharé engendra Abram, Nachor et Aran. Aran engendra Lot, et mourut du vivant de son père Tharé, au lieu de sa naissance, au pays des Chaldéens, Abram et Nachor se marièrent. La femme dAbram sappelait Sarra, et celle de Nachor, Melca, fille dAran 4 ». Celui-ci eut aussi une autre fille nommée Jesca, que lon croit être la même que Sarra, femme dAbraham.
CHAPITRE XIII.POURQUOI LÉCRITURE NE PARLE POINT DE NACHOR, QUAND SON PÈRE THARÉ PASSA DE CHALDÉE EN MÉSOPOTAMIE.
LEcriture raconte ensuite comment Tharé avec tous les siens laissa la Chaldée, vint en
1. Gen. XI, 28 .- 2. Josué, XXIV, 2 3. Gen. VI, 9 . 4. Ibid. XI, 27-29.
Mésopotamie et demeura à Charra; mais elle ne parle point de son fils Nachor, comme sil ne lavait pas emmené avec lui. Voici de quelle façon elle fait ce récit: «Tharé prit donc son fils Abram, Lot, fils de son fils Aran, et Sarra , sa belle-fille, femme de son fils Abram, et il les emmena de Chaldée en Chanaan, et il vint à Charra où il établit sa demeure ». Il nest point ici question de Nachor ni de sa femme Melca. Lorsque plus tard Abraham envoya son serviteur chercher une femme à son fils Isaac, nous trouvons ceci: « Le serviteur prit dix chameaux du troupeau de son maître et beaucoup dautres biens, et se dirigea vers la Mésopotamie, en la ville de Nachor 2 ». Par ce témoignage et plusieurs autres de lhistoire sacrée, il paraît que Nachor sortit de la Chaldée, aussi bien que son frère Abraham, et vint habiter avec lui en Mésopotamie. Pourquoi lEcriture ne parle-t-elle donc point de lui, lorsque Tharé passe avec sa famille en Mésopotainie, tandis quelle ne marque pas seulement quil y mena son fils Abraham, mais encore Sarra, sa belle-fille, et son petit-fils Lot? pourquoi, si ce nest peut-être quil avait quitté la religion de son père et de son frère pour embrasser la superstition des Chaldéens, quil abandonna depuis, ou parce quil se repentit de son erreur, ou parce quil devint suspect aux habitants du pays et fut obligé den sortir, afin déviter leur persécution. En effet, dans le livre de Judith, quand Holopherne, ennemi des Israélites, demande quelle est cette nation et sil lui faut faire la guerre, voici ce que lui dit Achior, général des Ammonites : « Seigneur, si vous vouiez avoir la bonté de mentendre, je vous dirai ce qui en est de ce peuple qui demeure dans ces montagnes prochaines, et je ne vous dirai rien que de très-vrai. Il tire son origine des Chaldéens; et comme il abandonna la religion de ses pères pour adorer le Dieu du ciel, les Chaldéens le chassèrent, et il senfuit en Mésopotamie, où il demeura longtemps. Ensuite leur Dieu leur commanda den sortir, et de sen aller en Chanaan, où ils sétablirent, etc. 3 » On voit clairement par là que la maison. de Tharé fut persécutée par les Chaldéens, à cause de la religion et du culte du vrai Dieu.
1. Gen. XI, 31. 2. Ibid. XXIV, 10. 3. Judith, V, 5-9.
(342)
CHAPITRE XIV.DES ANNÉES DE THARÉ, QUI MOURUT A CHARRA.
Or, après la mort de Tharé, qui vécut, dit-on, deux cent cinq ans en Mésopotamie, lEcriture commence à parler des promesses que Dieu fit à Abraham; elle sexprime ainsi: « Tout le temps de la vie, de Tharé à Charra fut de deux cent cinq ans, puis il mourut 1 ». Il ne faut pas entendre ce passage comme si Tharé avait passé tout ce temps à Charra; lEcriture dit seulement quil y finit sa vie, qui fut en tout de deux cent cinq ans : on ignorerait autrement combien il a vécu, puisque lon ne voit point quel âge il avait quand il vint dans cette ville; et il serait absurde de simaginer que , dans une généalogie qui énonce si scrupuleusement le temps que chacun a vécu, il fût le seul oublié. Cette omission, il est vrai, a lieu pour quelques-uns; mais cest quils nentrent point dans lordre de ceux qui composent la série de générations depuis Adam jusquà Noé, et depuis Noé jusquà Abraham : il nest aucun de ces derniers dont lEcriture ne marque lâge.
CHAPITRE XV.DU TEMPS DE PROMISSION OU ABRAHAM SORTIT DE CHARRA, DAPRÈS LORDRE DE DIEU.
LEcriture, après avoir parlé de la mort de Tharé, père dAbraham, ajoute: « Et Dieu dit à Abram: Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père 2 ». Il ne faut pas penser que cela soit arrivé dans lordre quelle rapporte ; cette opinion donnerait lieu à une difficulté insoluble. En effet, à la suite de ce commandement de Dieu à Abraham, on lit dans la Genèse : « Abram sortit donc avec Lot pour obéir aux paroles de Dieu; et Abram avait soixante-quinze ans lorsquil sortit de Charra 3 » . Comment cela se peut-il, si la chose arriva après la mort de Tharé? Tharé avait soixante-dix ans quand il engendra Abraham; si lon ajoute les soixante-quinze ans quavait Abraham lorsquil partit de Charra, on a cent quarante-cinq ans. Tharé avait donc :cet âge à lépoque où son fils quitta cette ville de Mésopotamie. Ce dernier nen sortit donc pas après la mort de son père, qui vécut deux cent cinq ans : il faut entendre dès lors que
1. Gen. XI, 32. 2. Gen. XI, 1. 3. Ibid. 4.
cest ici une récapitulation assez ordinaire dans lEcriture 1, qui, parlant auparavant des enfants de Noé, après avoir dit 2 quils furent divisés en plusieurs langues et nations, ajoute: « Toute la terre parlait un même langage 3». Comment étaient-ils divisés en plusieurs langues, si toute la terre ne parlait quun même langage, sinon parce que la Genèse reprend ce quelle avait déjà touché? Elle procède de même dans la circonstance qui nous occupe elle a parlé plus haut de la mort de Tharé 4, mais elle revient à la vocation dAbraham, qui arriva du vivant de son père, et quelle avait omise pour ne point interrompre le fil de son discours. Ainsi, lorsque Abraham sortit de Charra, il avait soixante-quinze ans, et son père cent quarante-cinq 5. Dautres ont résolu autrement la question: selon eux, les soixante-quinze années de la vie dAbraham doivent se compter du jour quil fut délivré du feu où il fut jeté par les Chaldéens pour ne vouloir pas adorer cet élément, et non du jour de sa naissance, comme nayant proprement commencé à naître qualors 6. Mais saint Etienne dit, touchant la vocation dAbraham, dans les Actes des Apôtres : «Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham lorsquil était en Mésopotamie, avant quil demeurât à Charra, et lui dit: Sortez de votre pays, et de votre parenté, et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai 7 ». Ces paroles de saint Etienne font voir que Dieu ne parla pas à Abraham après la mort de son père, qui mourut à Charra, où Abraham demeura avec lui, mais avant quil habitât cette ville, bien quil fût déjà en Mésopotamie. Il en résulte toujours quil était alors sorti de la Chaldée; et ainsi ce que saint Etienne ajoute: « Alors Abraham sortit du pays des Chaldéens et vint demeurer à Charra 8 », ne montre pas ce qui arriva après que Dieu lui eut parlé (car il ne sortit pas de la Chaldée après cet avertissement du ciel, puisque saint Etienne dit quil le reçut dans la Mésopotamie), mais se rapporte à tout le temps qui se passa depuis quil en fut sorti et quil eut fixé son séjour à Charra. Ce qui suit le prouve encore: « Et
1. Saint Augustin en cite plusieurs exemples dans non livre De doctr. Christ., lib. III, n. 52-54.
2. Gen.,31. 3. Ibid.XI, 1. 4. Ibid.XI, 31.
5. Comp.- Qust. in Gen., qu. 28. 6. Cette solution du problème est celle de saint Jérôme. 7. Act. VII, 2, 3. 8. Ibid. 4.
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après la mort de son père, dit le premier martyr, Dieu létablit en cette terre que vos pères ont habitée et que vous habitez encore aujourdhui ». Il ne dit pas quil sortit de Charra après la mort de son père, mais que Dieu létablit dans la terre de Chanaan après que son père fut mort. Il faut dès lors entendre que Dieu parla à Abraham lorsquil était en Mésopotamie, avant de demeurer à Charra, où il vint dans la suite avec son père, conservant toujours en son coeur le commandement de Dieu, et quil en sortit la soixante-quinzième année de son âge et la cent quarante-cinquième de celui de son père. Saint Etienne place son établissement dans la terre de Chanaan, et non sa sortie de Charra, après la mort de son père, parce que son père était déjà mort, quand il acheta cette terre et commença à la posséder en propre. Ce que Dieu lui dit: « Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père », bien quil fût déjà sorti de la Chaldée et quil demeurât en Mésopotamie, ce nétait pas un ordre den sortir de corps, car il lavait déjà fait, mais dy renoncer sans retour. Il est assez vraisemblable quAbraham sortit de Charra avec sa femme Sarra, et Lot, son neveu, pour obéir à lordre de Dieu, après que Nachor eut suivi son père.
CHAPITRE XVI.DES PROMESSES QUE DIEU FIT A ABRAHAM.
Il faut parler maintenant des promesses que Dieu fit à Abraham et où apparaissent clairement les oracles de notre Dieu, cest-à-dire du vrai Dieu, en faveur du peuple fidèle annoncé par les Prophètes. La première est conçue en ces termes : « Le Seigneur dit à Abraham : Sortez de votre pays, de votre parenté, et de la maison de votre père, et allez en la terre que je vous montrerai. Je vous établirai chef dun grand peuple; je vous bénirai, et rendrai votre nom illustre en vertu de cette bénédiction. Je bénirai ceux qui vous béniront, et maudirai ceux qui vous maudiront, et toutes les nations de la terre seront bénies en vous 1 ». Il est à remarquer ici que deux choses sont promises à Abraham : lune, que sa postérité possédera la terre de Chanaan, ce qui est exprimé par ces mots : « Allez en la terre que je vous
1.Gen. XII, 1 et seq.
montrerai, et je vous établirai chef dun grand peuple »; et lautre, beaucoup plus excellente et quon ne doit pas entendre dune postérité charnelle, mais spirituelle, qui ne le rend pas seulement père du peuple dIsraël, mais de toutes les nations qui marchent sur les traces de sa foi. Or, celle-ci est renfermée dans ces paroles : « Toutes les nations de la terre seront bénies en vous ». Eusèbe pense que cette promesse fut faite à Abraham la soixante-quinzième année de son âge, comme sil était sorti de Charra aussitôt quil leut reçue, et cette opinion a pour but de ne point contrarier la déclaration formelle de lEcriture qui dit quAbraham avait soixante-quinze ans quand il sortit de Charra 1; mais si la promesse en question fut faite cette année, Abraham demeurait donc déjà avec son père à Charra, attendu quil nen eût pas pu sortir, sil ny eût été. Cela na rien de contraire à ce que dit saint Etienne : « Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham lorsquil était en Mésopotamie avant de demeurer à Charra 2 » ; il sagit seulement de rapporter à la même année et la promesse de Dieu à Abraham qui précède son départ pour Charra et son séjour en cette ville et sa sortie du même lieu. Nous devons lentendre ainsi, non-seulement parce quEusèbe , dans sa Chronique, commence à compter depuis lan de cette promesse et montre quil sécoula quatre cent trente années jusquà la sortie dEgypte, époque où la loi fut donnée, mais aussi parce que lapôtre saint Paul 3 suppute de la même manière.
CHAPITRE XVII.DES TROIS MONARCHIES QUI FLORISSAIENT DU TEMPS DABRAHAM, ET NOTAMMENT DE CELLE DES ASSYRIENS.
En ce temps-là, il y avait trois puissants empires où florissait merveilleusement la cité de la terre, cest-à-dire lassemblée des hommes qui vivent selon lhomme sous la domination des anges prévaricateurs, savoir : ceux des Sicyoniens, des Egyptiens et des Assyriens 4. Celui-ci était le plus grand et le plus puissant de tous; car Ninus, fils de Bélus, avait subjugué toute lAsie, à la réserve des Indes. Par
1. Gen. XII, 4. 2. Act. VII, 2. 3. Galat. III, 17. 4. Dans tous ces développements historiques, saint Augustin suit la chronique dEusèbe.
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lAsie, je nentends pas parler de celle 1 qui nest maintenant quune province de la seconde partie de la terre (ou, selon dautres, de la troisième), mais de cette troisième partie elle-même, le monde étant ordinairement partagé en trois grandes divisions, lAsie, lEurope et lAfrique, qui ne forment pas au reste trois portions égales. LAsie sétend du midi par lorient jusquau septentrion; au lieu que lEurope ne sétend que du septentrion à loccident, et lAfrique de loccident au midi, de sorte quil semble que lEurope et lAfrique noccupent ensemble quune partie de la terre et que lAsie toute seule occupe lautre. Mais on a fait deux parties de lEurope et de lAfrique, à cause quelles sont séparées lune de lautre par la mer Méditerranée. En effet, si lon divisait tout le monde en deux parties seulement, lorient et loccident, lAsie tiendrait lune, et lEurope et lAfrique lautre. Ainsi, des trois monarchies qui existaient alors , celle des Sicyoniens nétait pas sous les Assyriens, parce quelle était en Europe : mais comment lEgypte ne leur était-elle pas soumise, puisquils étaient maîtres de toute lAsie, aux Indes près? Cest donc principalement dans lAssyrie que florissait alors la cité de la terré, cité impie dont la capitale était Babylone, cest-à-dire Confusion, nom qui lui convient parfaitement. Ninus en était roi et avait succédé à son père Bélus, qui avait tenu le sceptre soixante-cinq ans : lui-même régna cinquante-deux ans, et en avait déjà régné quarante-trois lorsquAbraham vint au monde, cest-à-dire environ douze cents ans avant la fondation de Rome, qui fut comme la Babylone dOccident.
CHAPITRE XVIII.DE LA SECONDE APPARITION DE DIEU A ABRAHAM, À QUI IL PROMET LA TERRE DE CHANAAN POUR LUI ET SA POSTÉRITÉ.
Abraham sortit donc de Charra la soixante-quinzième année de son âge, et la cent quarante-cinquième de celui de son père, et passa avec Lot, son neveu, et sa femme Sarra, dans la terre de Chanaan jusquà Sichem, où il reçut encore un avertissement du ciel, que lEcriture rapporte ainsi : « Le Seigneur apparut à Abraham, et lui dit : Je donnerai
1. LAsie Mineure, quon appelait quelquefois lAsie tout court.
cette terre à votre postérité 1 ». Il ne lui est rien dit ici de cette postérité qui devait le rendre père de toutes les nations, mais seulement de celle qui le rendait père du peuple hébreu : cest en effet ce peuple qui a possédé la terre de Chanaan.
CHAPITRE XIX.DE LA PUDICITÉ DE SABRA, QUE DIEU PROTÉGE EN ÉGYPTE, OU ABRAHAM LA FAISAIT PASSER, NON POUR SA FEMME, MAIS POUR SA SOEUR.
Lorsque ensuite Abraham eut dressé un autel en cet endroit 2 et invoqué Dieu, il alla demeurer au désert, doù, pressé de la faim, il passa en Egypte. Là il dit que Sarra était sa soeur, ce qui était vrai parce quelle était sa cousine germaine 3, de même que Lot, qui le touchait au même degré, est aussi appelé son frère. Il dissimula donc quelle était sa femme, mais il ne le nia pas, remettant à Dieu le soin de son honneur, et se gardant comme homme des insultes des hommes. Sil neût pris en cette rencontre toutes les précautions possibles, il aurait plutôt tenté Dieu que témoigné sa confiance en lui., Nous avons dit beaucoup de choses à ce sujet en répondant aux calomnies de Fauste le manichéen 4. Aussi arriva-t-il ce quAbraham sétait promis de Dieu, puisque Pharaon, roi dEgypte, qui avait choisi Sarra pour épouse, frappé de plusieurs plaies, la rendit à son mari 5. Loin de nous la pensée que sa chasteté ait reçu aucun outrage de ce prince, tout portant à croire quil en fut détourné par ces fléaux du ciel.
CHAPITRE XX.DE LA SÉPARATION DABRAHAM ET DE LOT, QUI EUT LIEU SANS ROMPRE LEUR UNION.
Lorsque Abraham fut retourné dEgypte dans le lieu doù il était sorti, Lot, son neveu, se sépara de lui sans rompre la bonne intelligence qui était entre eux, et se retira vers Sodome. Les richesses que tous deux avaient acquises et les fréquents démêlés de leurs bergers les déterminèrent à prendre ce parti, afin dempêcher que les querelles des serviteurs ne vinssent à jeter la désunion parmi les maîtres. Abraham, voulant prévenir ce
1. Gen. XII, 7. 2. Ibid. XII,7 et seq. 3. Voyez plus haut, livre XV, ch. 16. 4. Comp. Faust., lib. XXII, cap. 36. 5. Gen. XII, 20.
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malheur, dit à Lot: « Je vous prie, quil ny ait point de différend entre vous et moi, ni entre vos bergers et les miens, puisque nous sommes frères. Toute cette contrée nest-elle pas à nous? Je suis donc davis que nous nous séparions. Si vous allez à gauche, jirai à droite; et si vous allez à droite, jirai à gauche 1 ». Il se peut que la coutume reçue dans les partages, où laîné fait les lots et le cadet choisit de la son origine.
CHAPITRE XXI.DE LA TROISIÈME APPARITION DE DIEU A ABBAHAM, OU IL LUI RÉITÈRE LA PROMESSE DE LA TERRE DE CHANAAN POUR LUI ET SES DESCENDANTS A PERPÉTUITÉ.
Après quAbraham et Lot se furent ainsi séparés et que lun se fut fixé dans la terre de Chanaan et lautre à Sodome, Dieu apparut à Abraham pour la troisième fois, et lui dit: « Regardez de tous côtés, autant que votre vue peut sétendre vers les quatre points du monde ; je vous donnerai, à vous et à tous vos descendants jusquà la fin du siècle, toute cette terre que vous voyez, et je multiplierai votre postérité comme la poussière de la terre. Si quelquun peut compter les grains de poussière de la terre, il pourra aussi compter votre postérité. Levez-vous, et mesurez cette terre en long et en large, car je vous la donnerai 2». On ne voit pas bien si, dans cette promesse, est comprise celle qui a rendu Abraham père de toutes les nations; on peut néanmoins le conjecturer daprès ces paroles: « Je multiplierai votre postérité comme la poussière de la terre », expression figurée que les Grecs appellent hyperbole et qui a lieu quand ce quon dit dune ,chose la surpasse de beaucoup. Qui ne sait combien la poussière de la terre surpasse le nombre des hommes, quel quil p,uisse être, depuis Adam jusquà la fin du siècle, et à plus forte raison la postérité dAbraham, soit la charnelle, soit la spirituelle? En effet, cette dernière postérité est peu de chose en comparaison de la multitude des méchants, et cependant, malgré sa petitesse, elle forme encore un nombre innombrable, doù vient que lEcriture la désigne par la poussière de la terre. Mais elle nest innombrable quaux hommes, et non à Dieu, qui sait même le compte de tous les grains de
1. Gen. XII, 8, 9. 2. Ibid. 14-17.
poussière. Ainsi, comme lhyperbole de lEcriture est mieux remplie par les deux postérités dAbraham, on peut croire que cette promesse sapplique à lune et à lautre 1. Si jai dit que cela nest pas très-clair, cest que le seul peuple juif a tellement multiplié quil sest presque répandu dans toutes les contrées du monde, de sorte quil suffit pour justifier lhyperbole, outre quon ne peut pas nier que la terre dont il est question ne soit celle de Chanaan. Néanmoins, ces mots : « Je vous la donnerai, à vous et à vos descendants jusquà la fin du siècle », peuvent en faire douter, si, par cette expression, jusquà la fin du siècle, on entend éternellement; mais si on les prend comme nous pour la fin de ce monde et le commencement de lautre, il ny a point de difficulté. Bien que les Juifs aient été chassés de Jérusalem, ils demeurent dans les autres villes de la terre de Chanaan et y demeureront jusquà la fin du monde; ajoutez à cela que, quand cette terre est habitée par des chrétiens, cest la postérité dAbraham qui lhabite.
CHAPITRE XXII.ABRAHAM SAUVE LOT DES MAINS DES ENNEMIS ET EST BÉNI PAR MELCHISÉDECH.
Abraham, après avoir reçu cette promesse, alla demeurer en un autre endroit de cette contrée, près du chêne de Mambré, qui était en Hébron 2. Ensuite, les ennemis ayant ravagé le pays de Sodome et vaincu les habitants en bataille rangée, Abraham, accompagné de trois cent dix-huit des siens, alla au secours de Lot, que les vainqueurs avaient fait prisonnier, et le délivra de leurs mains après les avoir défaits, sans vouloir rien prendre des dépouilles que le roi de Sodome lui offrait. Cest en cette occasion quil fut béni par Melchisédech 3, prêtre du Dieu souverain, dont il est beaucoup parlé dans JEpître aux Hébreux 4, que plusieurs disent être de saint Paul, ce dont quelques-uns ne tombent pas daccord 5. On vit là pour la première fois le sacrifice que les chrétiens offrent aujourdhui à Dieu par toute la terre, pour accomplir cette parole du Prophète à Jésus-Christ, qui ne sétait pas encore incarné : « Vous êtes prêtre
1. Comp. Cont. Faust., lib. XXII, cap. 89. 2. Gen. XIII, 18. 3. Ibid. XIV, 1-20. 4. Hébr. VII. 5. Marcion, Basilide et plusieurs autres hérétiques niaient lauthenticité de 1Epître aux Hébreux.
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pour jamais selon lordre de Melchisédech 1 ». Il ne dit pas selon lordre dAaron, lequel devait être aboli par la vérité dont ces ombres étaient la figure.
CHAPITRE XXIII.DIEU PROMET A ABRAHAM QUE SA POSTÉRITÉ SERA AUSSI NOMBREUSE , QUE LES ÉTOILES, ET LA FOI DABRAHAM AUX PAROLES DE DIEU LE JUSTIFIE, QUOIQUE NON CIRCONCIS.
Dieu parla encore à Abraham dans une vision 2, et lassura de sa protection et dune ample récompense; et comme Abraham se plaignit à lui quil était déjà vieux, quil mourrait sans postérité, et quEliézer, lun de ses esclaves, serait son héritier, Dieu lui promit quil aurait un fils, et que sa postérité serait aussi nombreuse que les étoiles du ciel; par où il me semble que Dieu voulait spécialement désigner la postérité spirituelle dAbraham. Que sont, en effet, les étoiles, pour le nombre, en comparaison de la poussière de la terre, à moins quon ne veuille dire quil y a ici cette ressemblance quon ne peut compter les étoiles et que lon ne saurait même toutes les voir? On en découvre à la vérité dautant plus quon a de meilleurs yeux; mais il résulte précisément de là quil en échappe toujours quelques-unes aux plus clairvoyants, sans parler de celles qui se lèvent et se couchent dans lautre hémisphère. Cest donc une rêverie de simaginer quil y en a qui ont connu et mis par écrit le nombre des étoiles, comme on le dit dAratus 3 et dEuxode 4; et lEcriture sainte suffit pour réfuter cette opinion. Au reste, cest dans ce chapitre de la Genèse que se trouve la parole que lApôtre rappelle pour relever la grâce de Dieu : « Abraham crut Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 5 » ; et il prouve par là que les Juifs ne devaient point se glorifier de leur circoncision, ni empêcher que les incirconcis ne fussent admis à la foi de Jésus-Christ, puisque, quand la foi dAbraham lui fut imputée à justice, il nétait pas encore circoncis.
1. Ps. CIX, 5. 2. Gen. XV, 1 et seq. 3. On sait quAratus est lauteur dun poëme astronomique, souvent traduit du grec en latin, notamment par Cicéron. Il florissait vers lan 280 avant J-C. 4. Eudoxe, de Cnide, contemporain de Platon, et son compagnon de voyage en Egypte, si lon en croit la tradition. Il est cité par Aristote (Metaph., lib. XII, cap. 7) et par Cicéron (De divin., lib. II, cap. 42) comme un astronome de premier ordre. 5.Gen. XV, 6; Rom. IV, 3, et Galat. III, 6.
CHAPITRE XXIV.CE QUE SIGNIFIE LE SACRIFICE QUE DIEU COMMANDA A ABRAHAM DE LUI OFFRIR, QUAND CE PATRIARCHE LE PRIA DE LUI DONNER QUELQUE SIGNE DE LACCOMPLISSEMENT DE SA PROMESSE,
Dans cette même vision, Dieu lui dit encore : « Je suis le Dieu qui vous ai tiré du pays des Chaldéens, pour vous donner cette terre et vous en mettre en possession ». Sur quoi, Abraham lui ayant demandé comment il connaîtrait quil la devait posséder, Dieu lui répondit: « Prenez une génisse de trois ans, une chèvre et un bélier de même âge, avec une tourterelle et une colombe ». Abraham prit tous ces animaux; et, après les avoir divisés en deux, mit ces moitiés vis-à-vis lune de lautre; mais il ne divisa point les oiseaux. Alors, comme il est écrit, les oiseaux descendirent sur ces corps qui étaient divisés, et Abraham sassit auprès deux. Sur le coucher du soleil il fut saisi dune grande frayeur qui le couvrit de ténèbres épaisses, et il lui fut dit : « Sachez que votre postérité demeurera parmi des étrangers qui la persécuteront et la réduiront en servitude lespace de quatre cents ans; mais je ferai justice de leurs oppresseurs, et elle sortira de leurs mains, chargée de dépouilles. Pour vous, vous vous en irez en paix avec vos pères, comblé dune heureuse vieillesse, et vos descendants ne reviendront ici quà la quatrième génération, car les Amorrhéens nont pas encore comblé la mesure de leurs crimes ». Comme le soleil fut couché, une flamme séleva tout à coup et lon vit une fournaise fumante et des brandons de feu qui passèrent au milieu des animaux divisés. Ce jour-là, Dieu fit alliance avec Abraham et lui dit : « Je donnerai cette terre à vos enfants, depuis le fleuve dEgypte jusquau grand fleuve dEuphrate; je leur donnerai les Cénéens, les Cénézéens, les Cedmonéens, les Céthéens, les Phéréséens, les Raphaïms, les Amorrhéens, les Chananéens, les Evéens, les Gergéséens et les Jébuséens 1 » Voilà ce qui se passa dans cette vision; mais lexpliquer en détail nous mènerait trop loin et passerait toutes les bornes de cet ouvrage. Il suffira de dire ici quAbraham ne perdit pas la foi dont lEcriture le loue, pour avoir
1. Gen. XV, 7-21
(347)
dit à Dieu: « Seigneur, comment connaîtrai-je que je dois posséder cette terre? » Il ne dit pas: Comment se pourra-t-il faire que je la possède? comme sil doutait de la promesse de Dieu, mais : Comment connaîtrai-je que je dois la posséder? afin davoir quelque signe qui lui fit connaître la manière dont cela devait se passer : de même que la Vierge Marie nentra en aucune défiance de ce que lange lui annonçait, quand elle dit: « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point « dhomme 1? » Elle ne doutait point de la chose, mais elle sinformait de la manière 2. Cest pourquoi lange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre 3 ». Ici, de même, Dieu donna à Abraham le signe danimaux immolés, comme la figure de ce qui devait arriver et dont il ne doutait pas. Par la génisse était signifié le peuple juif soumis au joug de la loi; par la chèvre, le même peuple pécheur, et par le bélier, le même encore régnant et dominant. Ces animaux ont trois ans, à cause des trois époques fort remarquables: depuis Adam jusquà Noé, depuis Noé jusquà Abraham, et depuis Abraham jusquà David, qui, le premier dentre les Israélites, monta sur le trône par la volonté de Dieu après la réprobation de Saül, dernière époque durant laquelle ce peuple prit ses plus grands accroissements. Que cela figuré ce que je dis, ou toute autre chose, au moins ne douté-je point que les hommes spirituels ne soient désignés par la tourterelle et par la colombe; doù vient quil est dit quAbraham ne divisa point les oiseaux. En effet, les charnels sont divisés entre eux, mais non les spirituels, soit quils se retirent du commerce des hommes, comme la tourterelle, soit quils vivent avec eux, comme la colombe. Quoi quil en soit, lun comme lautre de ces deux oiseaux est simple et innocent; et ils étaient un signe que, même dans ce peuple juif, à qui cette terre devait être donnée, il y aurait des enfants de promission et des héritiers du royaume et de la félicité éternelle. Pour les oiseaux qui descendirent sur ces corps divisés, ils figurent les malins esprits, habitants de lair et toujours empressés de se repaître de la division des hommes charnels.
1. Luc, I, 34. 2. Comp. saint Ambroise, De Abrah. patr., lib. II, cap. 8. 3. Luc, I, 35.
Abraham, venant sasseoir auprès deux, signifie que, même au milieu de ces divisions des hommes charnels, il y aura toujours quelques vrais fidèles jusquà la fin du monde. Par la frayeur dont Abraham fut saisi vers le coucher du soleil, entendez que, vers la fin du monde, il sélèvera une cruelle persécution contre les fidèles, selon cette parole de Notre-Seigneur dans lEvangile : « La persécution sera si grande alors, quil ny en a jamais eu de pareille 1 » Quant à ces paroles de Dieu à Abraham: « Sachez que votre postérité demeurera parmi des étrangers qui la persécuteront et la tiendront captive lespace de quatre cents ans », cela sentend sans difficulté du peuple juif qui devait être captif en Egypte. Ce nest pas néanmoins que sa captivité ait duré quatre cents ans, mais elle devait arriver dans cet espace de temps; de même que lEcriture dit de Tharé, père dAbraham, que tout le temps de sa vie à Charra fut de deux cent cinq ans 2, non quil ait passé toute sa vie en ce lieu, mais parce quil y acheva le reste de ses jours. Au reste, lEcriture dit quatre cents ans pour faire un compte rond, car il y en a un peu plus, soit quon les prenne du temps que cette promesse fut faite à Abraham, ou du temps de la naissance dIsaac. Ainsi que nous lavons déjà dit, depuis la soixante-quinzième année de la vie dAbraham que la première promesse lui fut faite, jusquà la sortie dEgypte, on compte quatre cent trente ans, dont lApôtre parle ainsi: « Ce que je veux dire, cest que Dieu ayant contracté une alliance avec Abraham, la loi, qui na été donnée que quatre cents ans après, ne la pu rendre nulle, ni anéantir la promesse faite à ce patriarche 3 ». LEcriture a donc fort bien pu appeler ici quatre cents ans ces quatre cent trente ans; outre que depuis la première promesse faite à Abraham jusquà celle-ci, cinq années sétaient déjà écoulées, et vingt-cinq jusquà la naissance dIsaac 4 . Ce quelle ajoute que le soleil étant déjà couché, une flamme séleva tout dun coup, et que lon vit une fournaise fumante et des brandons de feu qui passèrent au milieu des animaux divisés, cela signifie quà la fin du monde les charnels seront jugés par le feu. De même, en effet, que la persécution de la
1. Matth. XXIV, 21. 2. Gen. XI, 32. 3. Galat. III, 17. 2. Comp. saint Augustin, Qust. in Exod., qu. 47.
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Cité de Dieu, qui sera la plus grande de toutes sous lAntéchrist, est marquée par cette frayeur extraordinaire qui saisit Abraham sur le coucher du soleil, symbole de la fin du monde, ainsi ce feu, qui parut après que le soleil fut couché, marque le jour du jugement qui séparera les hommes charnels que le feu doit sauver, de ceux qui sont destinés à être damnés dans ce feu. Enfin, lalliance de Dieu avec Abraham, signifie proprement la terre de Chanaan, où onze nations 1 sont nommées depuis le fleuve dEgypte jusquau grand fleuve dEuphrate. Or, par le fleuve dEgypte, il ne faut pas entendre le Nil, mais un petit fleuve qui la sépare de la Palestine et passe à Rhinocorure 2.
CHAPITRE XXV.DAGAR, SERVANTE DE SARRA, QUE SARRA DONNA POUR CONCUBINE A SON MARI.
Viennent ensuite les enfants dAbraham, lun de la servante Agar, et lautre de Sarra, la femme libre, dont nous avons déjà parlé au livre précédent 3. En ce qui touche les rapports dAbraham avec Agar, on ne doit point les lui imputer à crime 4, puisquil ne se servit de cette concubine que pour en avoir des enfants, et non pour contenter sa passion, et plutôt pour obéir à sa femme que dans lintention de loutrager. Elle-même crut en quelque façon se consoler de sa stérilité en sappropriant la fécondité de sa servante, et en usant du droit quelle avait en cela sur son mari, selon cette parole de lApôtre : « Le mari nest point maître de son corps, mais sa femme ». Il ny a ici aucune intempérance, aucune débauche. La femme donne sa servante à son mari pour en avoir des enfants, le mari la reçoit avec la même intention; ni lun ni lautre ne recherche le déréglement de la volupté, ils ne songent tous deux quau fruit de la nature. Aussi, quand la servante devenue enceinte commença à senorgueillir et à mépriser sa maîtresse, comme Sarra, par une défiance de femme, imputait lorgueil dAgar à son mari, Abraham fit bien voir de
1. Onze, suivant les Septante; car la Vulgate et le texte hébreu nomment dix nations seulement. 2. Rhinocorure, ou Rhinocolure, ville située sur les confins de lEgypte et de lArabie. Voyez Diodore de Sicile (lib. II, cap. 62). 3. Au ch. 3. 4. Comme faisait Fauste le Manichéen. Voyez le Cont.. Faust., lib. II, cap. 30.
5. I Cor. VII, 4.
nouveau quil nétait pas lesclave, mais le maître de son amour, quil avait gardé, en la personne dAgar, la foi quil devait à Sarra, quil navait connu la servante que pour obéir à lépouse, quil avait reçu delle Agar, mais quil ne lavait pas demandée, quil sen était approché, mais quil ne sy était pas attaché, quil avait engendré, mais quil navait point aimé. Il dit en effet à Sarra : « Votre servante est en votre pouvoir, faites-en ce quil vous plaira 1 ». Homme admirable, qui use des femmes comme un homme en doit user, de la sienne avec tempérance, de sa servante avec docilité, et chastement de lune et de lautre ! CHAPITRE XXVI.DIEU PROMET A ABRAHAM, DÉJA VIEUX, UN FILS DE SA FEMME SARRA, QUI ÉTAIT STÉRILE; IL LUI ANNONCE QUIL SERA LE PÈRE DES NATIONS, ET CONFIRME SA PROMESSE PAR LA CIRCONCISION.
Lorsque dans la suite Ismaël fut né dAgar, Abraham pouvait croire que cette naissance accomplissait ce qui lui avait été promis dans le temps où, pour le faire renoncer au dessein quil avait dadopter son serviteur, Dieu lui dit : « Celui-ci ne sera pas votre héritier, mais un autre qui sortira de vous 2 ». De peur donc quil ne crût que cette promesse fût accomplie dans le fils de sa servante, « comme Abraham était déjà âgé de quatre-vingt-dix- neuf ans, Dieu lui apparut et lui dit : Je suis Dieu, travaillez à me plaire, et menez une vie sans reproche, et je ferai alliance avec vous, et je vous comblerai de tous les biens. Alors Abram se prosterna par terre, et Dieu ajouta: Cest moi, je ferai alliance avec vous, et vous serez le père dune grande multitude de nations. Vous ne vous appellerez plus Abram, mais Abraham, parce que je vous ai fait le père de plusieurs nations. Je vous rendrai extrêmement puissant, et vous établirai sur un grand nombre de peuples et des rois sortiront de vous. Je ferai alliance avec vous, et après vous avec vos descendants; et cette alliance sera éternelle, afin que je sois votre Dieu et celui de toute votre postérité. Je donnerai à vous et à vos descendants cette terre où vous êtes maintenant étranger, toute la terre de Chanaan, pour la posséder à jamais, et je serai leur Dieu. Dieu dit encore à Abraham : Pour
1. Gen. XVI, 6. 2. Gen. XV, 4.
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vous, vous aurez soin de garder mon alliance, et votre postérité après vous. Or, voici lalliance que je désire que vous et vos enfants observiez soigneusement. Tout mâle parmi vous sera circoncis; cette circoncision se fera en la chair de votre prépuce, et sera la marque de lalliance qui est entre vous et moi. Tous les enfants mâles qui naîtront de vous seront circoncis au bout de huit jours. Vous circoncirez aussi les esclaves, tant ceux qui naîtront chez vous que les autres que vous achèterez des étrangers. Et cette circoncision sera une marque de lalliance éternelle que jai contractée avec vous. Tout mâle qui ne la recevra pas le huitième jour sera exterminé comme un infracteur de mon alliance. Dieu dit encore à Abraham : Votre femme ne sappellera plus Sara, mais Sarra : je la bénirai et vous donnerai delle un fils que je bénirai aussi, et qui sera père de plusieurs nations, et des rois sortiront de lui. Là-dessus, Abraham se prosterna en terre, en souriant et disant en lui-même : Jaurai donc un fils à cent ans, et Sarra accouchera à quatre-vingt-dix?Conservez seulement en vie, dit-il à Dieu, mon fils Ismaël! Et Dieu lui dit: Oui, votre femme Sarra vous donnera un fils que vous nommerez Isaac. Je ferai une alliance éternelle avec lui, et je serai son Dieu et le Dieu de sa postérité. Pour Ismaël, jai exaucé votre prière; je lai béni et je le rendrai extrêmement puissant. Il sera le père de douze nations , et je létablirai chef dun grand peuple. Mais je contracterai alliance avec Isaac, dont votre femme Sarra accouchera lannée qui va venir 1 ». On voit ici des promesses plus expresses de la vocation des Gentils en Isaac, en ce fils de promission, qui est un fruit de la grâce et non de la nature 2, puisquil est promis à une femme vieille et stérile. Bien que Dieu concoure aussi aux productions qui se font selon les lois ordinaires de la nature, toutefois, lorsque sa main puissante en répare les défaillances, sa grâce paraît avec beaucoup plus déclat. Et parce que cette vocation des Gentils ne devait pas tant arriver par la génération des enfants que par leur régénération, Dieu commanda la circoncision, lorsquil promit le fils de Sarra. Sil veut que tous soient circoncis,
1. Gen. XVII, 1-21 2. Voyez lEpître aux Galates, IV, 11-31.
tant libres quesclaves, cest afin de signifier que cette grâce est pour tout le monde. Que figure, en effet la circoncision, sinon la nature renouvelée et dépouillée de sa vieillesse 1? Le huitième jour représente-t-il autre chose que Jésus-Christ, qui ressuscita à la fin de la semaine, cest-à-dire après le jour du sabbat 2 ? Les noms même du père et de la mère sont changés; tout respire la nouveauté, et lAncien Testament fait pressentir le Nouveau. Quest-ce, en effet, que le Nouveau Testament, sinon la manifestation de lAncien, et quest-ce que celui-ci, sinon la figure de lautre? Le rire dAbraham est un témoignage de joie et non de défiance. Ces mots quil dit en son coeur: « Jaurai donc un fils à cent ans, et Sarra accouchera à quatre-vingt-dix», ne sont pas non plus dun homme qui doute, mais dun homme qui admire. Quant à ces paroles de Dieu à Abraham : « Je donnerai à vous et à vos descendants cette terre où vous êtes maintenant étranger, toute cette terre de Chanaan, pour la posséder éternellement »; si lon demande comment cela sest accompli ou doit saccomplir, attendu que la possession dune chose, quelque longue quelle soit, ne peut pas durer toujours; il faut dire quéternel se prend en deux façons, ou pour une durée infinie, ou pour celle qui est bornée par la fin du monde.
CHAPITRE XXVII.DE LA RÉPROBATION PORTÉE CONTRE TOUT ENFANT MALE QUI NAVAIT POINT ÉTÉ CIRCONCIS LE HUITIÈME JOUR, COMME AYANT VIOLÉ LALLIANCE DE DIEU.
On peut encore demander comment il faut interpréter ceci: « Tout enfant mâle qui ne sera point circoncis le huitième jour sera « exterminé comme infracteur de mon alliance ». Ce nest point lenfant qui est coupable, puisque ce nest pas lui qui a violé lalliance de Dieu, mais bien les parents qui nont pas eu soin de le circoncire. On doit répondre à cela que les enfants même ont violé lalliance de Dieu, non pas en leur propre personne, j mais en la personne de celui par qui tous les hommes ont péché 3. Aussi bien, il y a dautres alliances que celles de lAncien et du Nouveau
1. Comp. saint Augustin, Cont Faust., lib. XVI, cap. 29. 2. Voyez le traité de saint Augustin : Du péché originel, n. 36. 3. Rom. V, 12.
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Testament, La première alliance que Dieu fit avec lhomme est celle-ci: « Du jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez 1 »; ce qui a donné lieu à cette parole de lEcclésiastique : « Tout homme vieillira comme un vêtement ». Tel est larrêt porté dès lorigine du siècle : « Vous mourrez de mort 2 ». En effet, comment cette parole du Prophète : « Jai regardé tous les pécheurs du monde comme des prévaricateurs 3», pourrait-elle saccorder avec cette autre de saint Paul : « Où « il ny a point de loi, il ny a point de prévarication 4 », si tous ceux qui pèchent nétaient pas coupables de la violation de quelque loi? Cest pourquoi, si les enfants mêmes, comme la foi nous lenseigne, naissent pécheurs, non pas proprement, mais originellement, doù résulte la nécessité du baptême pour remettre leurs péchés, il faut croire aussi quils sont prévaricateurs à légard de cette loi qui a été donnée dans le paradis terrestre, en sorte quil est également vrai de dire quoù il ny a point de loi, il ny a point de prévarication, et que tous les pécheurs du monde sont des prévaricateurs. Ainsi, comme la circoncision était le signe de la régénération, cest avec justice que le péché originel, qui a violé la première alliance de Dieu, perdait ces enfants, si la régénération ne les sauvait, Il faut donc entendre ainsi ces paroles de lEcriture : « Tout enfant mâle, etc. », comme si elle disait: Quiconque ne sera point régénéré périra, parce quil a violé mon alliance lorsquil a péché en Adam avec tous les autres hommes. Si elle avait dit: Parce quil a violé cette alliance que je contracte avec vous, on ne pourrait lentendre que de la circoncision; mais comme elle na point exprimé quelle alliance lenfant a violée, il est permis de lentendre de celle dont la violation peut se rapporter à lui par voie de solidarité. Si toutefois quelquun prétend que cela doit sappliquer exclusivement à la circoncision, et que lenfant qui na point été circoncis a violé en cela lalliance, il faut quil cherche une manière raisonnable de dire quune personne a violé une alliance, quoique ce ne soit pas elle qui lait violée, mais dautres qui lont violée en lui ; outre quil est injuste quun enfant, qui demeure incirconcis sans quil y ait de sa faute, soit réprouvé,
1. Gen. II, 17. 2. Eccli. XIV, 18, sec. LXX. 3. Ps. CXVIII, 119. 4. Rom. IV, 15.
à moins quon ne remonte à un péché dorigine.
CHAPITRE XXVIII.DU CHANGEMENT DE NOM DABRAHAM ET DE SARRA, LESQUELS NÉTAIENT POINT EN ÉTAT, CELLE-CI ACAUSE DE SA STÉRILITÉ, TOUS DEUX A CAUSE DE LEUR AGE, DAVOIR DES ENFANTS, QUAND ILS EURENT ISAAC.
Lors donc quAbraham eut reçu de Dieu cette promesse: « Je vous ai rendu père de peuples nombreux, et je veux accroître votre puissance et vous élever sur les nations; et des rois sortiront de vous, et je vous donnerai de Sarra un fils que je bénirai, et il sera le père de plusieurs nations, et des rois sortiront de lui »; magnifique promesse que nous voyons maintenant accomplie en Jésus-Christ, Abraham et sa femme changèrent de nom, et lEcriture ne les appelle plus Abram ni Sara, mais Abraham et Sarra. Elle rend raison de ce changement de nom à légard dAbraham: « Car, dit le Seigneur, je vous ai établi père de plusieurs nations». Cest le sens du mot Abraham; pour Abram, qui était son premier nom, il signifie illustre père. LEcriture ne rend point raison du changement de nom de Sarra, mais les traducteurs hébreux disent que Sara signifie ma princesse, et Sarra, vertu; doù vient cette parole de lépître aux Hébreux: « Cest aussi par la foi que Sarra reçut la vertu de concevoir 2 ». Or, ils étaient tous deux fort âgés, ainsi que lEcriture le témoigne, et Sarra, qui dailleurs était stérile, navait plus ses mois, de sorte que, neût-elle pas été stérile, elle eût été incapable de concevoir. Une femme, quoique âgée, si elle a encore ses mois, peut avoir des enfants, mais dun jeune homme, et non dun vieillard; et de même un vieillard peut en avoir dune jeune femme, comme Abraham, après la mort de sa femme, en eut de Céthura, parce quil rencontra en elle la fleur de la jeunesse. Cest pourquoi lApôtre regarde comme un grand miracle 3 que le corps dAbraham étant mort, il nait pas laissé dengendrer. Entendez par là que son corps était impuissant pour toute femme arrivée à lâge de Sarra. Car il nétait mort quà cet égard; autrement ceût été un cadavre. Il y a une autre solution de cette difficulté : on dit quAbraham eut des enfants de Céthura, parce que Dieu lui conserva,
1. Gen. XVII, 5. 2. Hébr. XI, 11. 3. Rom. VI, 19.
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après la mort de Sarra, le don de fécondité quil avait accordé : mais lexplication que jai suivie me semble meilleure; car sil est vrai quà cette heure un vieillard de cent ans soit hors détat dengendrer, il nen était pas de même alors que les hommes vivaient plus longtemps.
CHAPITRE XXIX.DES TROIS ANGES QUI APPARURENT A ABRAHAM AU CHÊNE DE MAMBRÉ.
Dieu apparut encore à Abraham au chêne de Mambré dans la personne de trois hommes, qui indubitablement étaient des anges 1, quoique plusieurs estiment que lun deux était Jésus-Christ, qui était visible, à les en croire, avant que de sêtre revêtu dune chair 2. Je tombe daccord que Dieu, qui est invisible, incorporel et immuable par sa nature, est assez puissant pour se rendre visible aux yeux des hommes, sans aucun changement en son essence, non par soi-même, mais par le ministère de quelquune de ses créatures; mais sils prétendent que lun de ces trois hommes était Jésus-Christ, parce quAbraham sadressa à tous trois comme sils neussent été quun seul homme, ainsi que le rapporte lEcriture : « Il aperçut trois hommes auprès de lui, et aussitôt il courut au-devant deux, et dit: Seigneur, si jai trouvé grâce auprès de vous 3 » cette présomption na rien de concluant; car la même Ecriture témoigne que deux de ces anges étaient déjà partis pour détruire Sodome, lorsquAbraham sadressa au troisième et lappela son Seigneur, le conjurant de ne vouloir pas confondre linnocent avec le coupable et de pardonner à Sodome. En outre, lorsque Lot parle aux deux premiers anges, il le fait comme sil ne parlait quà un seul. Après quil leur a dit: « Seigneur, venez, sil vous plaît, dans la maison de votre serviteur 4 », lEcriture ajoute : « Les anges le prirent par la main, lui, sa femme et ses deux filles, parce que Dieu lui faisait grâce. Et aussitôt quils leurent tiré hors de la ville, ils lui dirent: Sauvez-vous, ne regardez point
1. Gen. XVIII, 1 seq.
2. Cest lopinion de Tertulien (De carne Christi, cap. 7; Cont. Jud., cap. 9; et alibi), de saint Irénée (lib. III, cap. 6, et lib. IV, cap. 26) et de quelques autres Pères de lEglise. Saint Ambroise, au contraire (De Abrah., lib. I, cap. 5), a soutenu le même sentiment que saint Augustin défend ici et en dautres écrits (De Trin., lib., II, n. 21; Cont. Maxim,, cap. 26, n. 5 et 6). 3.Gen. XVIII, 1-3. Ibid. XIX, 2.
derrière vous, et ne demeurez point dans « toute cette contrée ; sauvez-vous dans la montagne, de peur que vous ne soyez enveloppé dans cette ruine. Et Lot leur dit: «Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce auprès de vous, etc.1 »Ensuite le Seigneur lui répond aussi au singulier, par la bouche de ces deux anges en qui il était, et lui dit : « Jai eu pitié de vous 2 » il est bien plus croyable quAbraham et Lot reconnurent le Seigneur en la personne de ses anges, et que cest pour cela quils lui adressèrent la parole. Au surplus, ils prenaient ces anges pour des hommes; ce qui fit quils les reçurent comme tels et les traitèrent comme sils avaient besoin de nourriture; mais dun autre côté, il paraissait en eux quelque chose de si extraordinaire que ceux qui exerçaient ce devoir dhospitalité à leur égard ne pouvaient douter que Dieu ne fût présent en eux, comme il a coutume de lêtre dans ses prophètes. De là vient quils les appelaient quelquefois Seigneurs au pluriel en les regardant comme les ministres de Dieu, et dautrefois Seigneur au singulier, en considérant Dieu même qui était en eux. Or, lEcriture témoigne que cétaient des anges, et ne le témoigne pas seulement dans la Genèse, où cette histoire est rapportée, mais aussi dans lépître aux Hébreux, où faisant léloge de lhospitalité: « Cest, dit-elle, en pratiquant cette vertu que quelques-uns, sans le savoir, ont reçu chez eux des anges mêmes 3 ». Ce fut donc par ces trois hommes que Dieu, réitérant à Abraham la promesse dun fils nommé Isaac quil devait avoir de Sarra, lui dit: « Il sera chef dun grand peuple, et toutes les nations de la terre seront bénies en lui 4 ». Paroles qui contiennent une promesse pleine et courte du peuple dIsraël, selon la chair, et de toutes les nations, selon la foi.
CHAPITRE XXX.DESTRUCTION DE SODOME; DÉLIVRANCE DE LOT; CONVOITISE INFRUCTUEUSE DABIMÉLECH POUR SARRA.
Lot étant sorti de Sodome après cette promesse, une pluie de feu tomba du ciel 5 et réduisit en cendre ces villes infâmes, où le débordement était si grand que lamour contre
1. Gen. XIX, 16 et seq.- 2. Ibid. 21 .- 3. Hébr. XIII, 2 .- 4. Gen. XVIII, 18. 5. Ibid. XIX, 24.
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nature y était aussi commun que les autres actions autorisées par les lois 1. Ce châtiment effroyable fut une image du jugement dernier 2 . Pourquoi, en effet, ceux qui échappèrent de cette ruine reçurent-ils des anges lordre de ne point regarder derrière eux, sinon parce que, si nous voulons éviter la rigueur du jugement à venir, nous ne devons pas retourner par nos désirs aux habitudes du vieil homme dont nous nous sommes dépouillés par la grâce du baptême. Aussi la femme de Loi, ayant contrevenu à ce commandement, fut punie sur-le-champ, et son changement en statue de sel est un avertissement très-sensible donné aux fidèles pour quils aient à se garantir dun semblable malheur 3. Dans la suite, Abraham, à Gérara, employa, pour préserver sa femme, le même ) moyen dont il sétait servi en Egypte 4; en sorte quAbimélech, roi de ces pays, lui rendit Sarra sans lavoir touchée. Et comme il blâmait Abraham de son stratagème, celui-ci, tout en avouant que la crainte lavait obligé den user de la sorte, ajouta : « De plus, elle est vraiment ma soeur, car elle est fille de mon père, quoiquelle ne le soit pas de ma mère 5 ». En effet, Sarra, du côté de son père, était soeur dAbraham et une de ses plus proches parentes ; et elle était si belle que même à cet âge, elle pouvait inspirer de lamour.
CHAPITRE XXXI.DE LA NAISSANCE DISAAC, DONT LE NOM EXPRIME LA JOIE ÉPROUVÉE PAR SES PARENTS.
Après cela, un fils naquit à Abraham6 de sa femme Sarra, selon la promesse de Dieu, et il le nomma Isaac, nom qui signifie rire, car le père avait ri quand un fils lui fut promis, témoignant par là sa joie et son contentement, et la mère avait ri aussi quand la promesse lui fut réitérée par les trois anges, quoique ce rire fût mêlé de doute, comme lauge le lui reprocha 7. Mais ce doute fut ensuite dissipé par lange. Voilà doù Isaac prit son nom. Sarra montre bien que ce rire nétait pas un rire de moquerie, mais de joie, lorsquelle dit, à la naissance dIsaac « Dieu ma fait rire, car quiconque saura ceci se réjouira avec moi 8 ». Peu de temps après, la servante
1. Voyez plus haut, livre XIV, ch. 18. 2. Voyez lEpître de saint Jude, v. 7. Comp. II Pierre, II, 6. 3. Luc, XVII, 32, 33. 4. Gen. XX, 2. 5. Ibid. XX, 12. 6. Gen. XXI, 2. 7.Ibid. XVIII, 12. 8. Ibid. XXI, 6.
fut chassée de la maison avec son fils; et lApôtre voit ici une figure des deux Testaments, où Sarra représente la Jérusalem céleste, cest-à-dire la Cité de Dieu 1.
CHAPITRE XXXII.OBÉISSANCE ET FOI DABRAHAM ÉPROUVÉES PAR LE SACRIFICE DE SON FILS; MORT DE SARRA.
Cependant Dieu tenta Abraham 2 en lui commandant de lui sacrifier son cher fils Isaac, afin déprouver son obéissance et de la faire connaître à toute la postérité. Car il ne faut pas répudier toute tentation, mais au contraire on doit se réjouir de celle qui sert dépreuve à la vertu 3. En effet, lhomme, le plus souvent, ne se connaît pas lui-même sans ces sortes dépreuves ; mais sil reconnaît en elles la main puissante de Dieu qui lassiste, cest alors quil est véritablement pieux, et quau lieu de senfler dune vaine gloire, il est solidement affermi dans la vertu par, la grâce. Abraham savait fort bien que Dieu ne se plaît point à des victimes humaines; mais quand il commande, il est question dobéir et non de raisonner. Abraham crut donc que Dieu était assez puissant pour ressusciter son fils, et on doit le louer de cette foi. En effet, quand il hésitait à chasser de sa maison sa servante et son fils, sur les vives sollicitations de Sarra, Dieu lui dit « Cest dIsaac que sortira votre postérité 4 ». Cependant il ajouta tout de suite : « Je ne laisserai pas détablir sur une puissante nation le fils de cette servante, parce que cest votre postérité ». Comment Dieu peut-il assurer que cest dIsaac que sortira la postérité dAbraham, tandis quil semble en dire autant dIsmaël? LApôtre résout cette difficulté, quand, expliquant ces paroles : « Cest dIsaac que sortira votre postérité », il dit : « Cela signifie que ceux qui sont enfants dAbraham selon la chair ne sont pas pour cela enfants de Dieu; mais quil ny a de vrais enfants dAbraham que a ceux qui sont enfants de la promesse 5 ». Dès lors, pour que les enfants de la promesse soient la postérité dAbraham, il faut quils sortent dIsaac, cest-à-dire quils soient réunis
1. Galat. IV,26. . 2. Gen. XXII, 1. 2. Comp. saint Augustin, Qust. in Gen., qu. 37, et in Exod., qu. 18.Saint Ambroise avait dit à la même occasion et dans le même sens (De Abr., lib. I, cap. 8) : « Autres sont les tentations de Dieu, autres celles du diable le diable, nous tente pour nous perdre, Dieu pour nous sauver ». 4. Gen. XXI, 12. 5. Rom, IX, 8.
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en Jésus-Christ par la grâce qui les appelle. Ce saint patriarche, fortifié par la foi de cette promesse, et persuadé quelle devait être accomplie par celui que Dieu lui commandait dégorger, ne douta point que Dieu ne pût lui rendre celui quil lui avait donné contre son espérance. Ainsi lentend et lexplique lauteur de lEpître aux Hébreux : « Cest par la foi, dit-il, quAbraham fit éclater son obéissance, lorsquil fut tenté au sujet dIsaac; car il offrit à Dieu son fils unique, malgré toutes les promesses qui lui avaient été faites, et quoique Dieu lui eût dit : Cest dIsaac que sortira votre véritable postérité. Mais il pensait en lui-même que Dieu pourrait bien le ressusciter après sa mort ». Et lApôtre ajoute : « Voilà pourquoi Dieu la proposé en figure 1 ». Or, quelle est cette figure, sinon celle de la victime sainte dont parle le même Apôtre, quand il dit: « Dieu na pas épargné son propre Fils, mais il la livré à la mort pour nous tous 2 ? » Aussi Isaac porta lui-même le bois du sacrifice dont il devait être la victime, comme Notre-Seigneur porta sa croix. Enfin, puisque Dieu a empêché Abraham de mettre la main sur Isaac, qui nétait pas destiné à mourir, que veut tire ce bélier, dont le sang symbolique accomplit le sacrifice, et qui était retenu par les cornes aux épines du buisson? Que représente-t-il, si ce nest Jésus-Christ couronné dépines par les Juifs avant que dêtre immolé? Mais écoutons plutôt la voix de Dieu par la bouche de lange : « Abraham, dit lEcriture, étendit la main pour prendre son glaive et égorger son fils. Mais lange du Seigneur lui cria du haut du ciel: Abraham ? A quoi il répondit: Que vous plaît-il? Ne mettez point la main Sur votre fils, lui dit lange, et ne lui faites point de mal; car je connais maintenant que vous craignez votre Dieu, puisque vous navez pas épargné votre fils bien-aimé pour lamour de moi 3 » . « Je connais maintenant » , dit Dieu, cest-à-dire jai fait connaître; car Dieu ne lavait pas ignoré. Lorsque ensuite Abraham eut immolé le bélier au lieu de son fils Isaac, lEcriture dit : « Il appela ce lieu le Seigneur a vu, et cest pourquoi nous disons aujourdhui : Le Seigneur est apparu sur la montagne » . De même que Dieu dit : Je connais maintenant, pour dire : Jai fait maintenant connaître, ainsi Abraham
1. Héb. XI, 17-19. 2. Rom. VIII, 32. . 3. Gen. XXII, 10-17.
dit: Le Seigneur a vu, pour dire: Le Seigneur est apparu ou sest fait voir. « Et lange appela du ciel Abraham pour la seconde fois, et lui dit : Jai juré par moi-même, dit le Seigneur, et pour prix de ce que vous venez de faire, nayant point épargné votre fils bien-aimé pour lamour de moi, je vous comblerai de bénédictions, et je vous donnerai une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable de la mer. Vos enfants se rendront maîtres des villes de leurs ennemis; et toutes les nations de la terre seront bénies en votre postérité, parce que vous avez obéi à ma voix 1 ». Cest ainsi que Dieu confirma par serment la promesse de la vocation des Gentils , après quAbraham lui eut offert en holocauste ce bélier, qui était la figure de Jésus-Christ. Dieu le lui avait souvent promis, mais il nen avait jamais fait serment, et quest-ce que le serment du vrai Dieu, du Dieu qui est la vérité même, sinon une confirmation de sa promesse et un reproche quil adresse aux incrédules? Après cela, Sarra mourut âgée de cent vingt-sept ans 2, lorsque Abraham en avait cent trente-sept; il était en effet plus vieux quelle de dix ans, comme il le déclara lui-même, quand Dieu lui promit quelle lui donnerait un fils : « Jaurai donc, dit-il, un fils à cent ans, et Sarra accouchera à quatre-vingt-dix? » Abraham acheta un champ où il ensevelit sa femme. Ce fut alors, ainsi que le rapporte saint Etienne 3, quil fut établi dans cette contrée, parce quil commença à y posséder un héritage; ce qui arriva après la mort de son père, qui eut lieu environ deux ans auparavant.
CHAPITRE XXXIII.ISAAC ÉPOUSE RÉBECCA, PETITE-FILLE DE NACHOR.
Ensuite Isaac, âgé de quarante ans, à lépoque où son père en avait cent quarante, trois ans après la mort de sa mère, épousa Rébecca, petite-fille de son oncle Nachor 4. Or, quand Abraham envoya son serviteur en Mésopotamie, il lui dit : « Mettez votre main sur ma cuisse, et me faites serment par le Seigneur et le Dieu du ciel et de la terre que vous ne choisirez pour femme à mon fils
1. Gen. XXII, 16 et seq.- 2. Ibid. XXIII, 1 .- 3. Act. VII, 4 .- 4. Gen. XXIV, 2, 3.
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aucune des filles des Chananéens 1 ». Quest. ce que cela signifie, sinon que le Seigneur elle Dieu du ciel et de la terre devait se revêtir dune chair tirée des flancs de ce patriarche ? Sont-ce là de faibles marques de la vérité que nous voyons maintenant accomplie en Jésus-Christ?
CHAPITRE XXXIV.CE QUIL FAUT ENTENDRE PAR LE MARIAGE DABRAHAM AVEC CÉTHURA, APRÈS LA MORT DE SARRA.
Que signifie le mariage dAhraham avec Céthura 2 après la mort de Sarra 3 ? Nous sommes loin de penser quun si saint homme lait contracté par incontinence, surtout dans un âge si avancé. Avait-il encore besoin denfants, lui qui croyait fermement que Dieu lui en donnerait dIsaac autant quil y a détoiles au ciel et de sable sur le rivage de la mer? Mais si Agar et Ismaël, selon la doctrine de lApôtre 4, sont la figure des hommes charnels de lAncien Testament, pourquoi Céthura et ses enfants ne seraient-ils pas de même la figure des hommes charnels qui pensent appartenir au Nouveau? Toutes deux sont appelées femmes et concubines dAbraham, au lieu que Sarra nest jamais appelée que sa femme. Quand Agar fut donnée à Abraham, lEcriture dit : « Sarra, femme dAbraham, prit sa servante Agar dix ans après quAbraham fut entré dans la terre de Chanaan, et la donna pour femme à son mari 5 ». Quant à Céthura, quil épousa après la mort de Sarra, voici comment lEcriture en parle: « Abraham épousa une autre femme nommée Céthura 6 ». Vous voyez que lEcriture les appelle toutes deux femmes; mais ensuite elle les nomme toutes deux concubines: «Abraham, dit-elle, donna tout son bien à son fils Isaac; et quant aux enfants de ses concubines, il leur fit quelques présents, et les éloigna de son vivant de son fils Isaac, en les envoyant vers les contrées dOrient 7 ». Les enfants des concubines, cest-à-dire les Juifs et les hérétiques, reçoivent donc quelques présents, mais ne partagent point le royaume promis , parce quil ny a point dautre héritier quIsaac, et que ce ne sont
1. Gen. I, 2. 2. Au témoignage de saint Jérôme, la tradition hébraïque identifiait Céthura avec Agar. 3. Gen. XXV, 1. 4. Galat. IV, 24. 5. Gen. XVI, 3. 6. Ibid. XXV, 1 7. Ibid. 5.
pas les enfants de la chair qui sont fils d Dieu, mais les enfants de la promesse 1, Dieu dont se compose cette postérité de qui il a été dit : « Votre postérité sortira dIsaac 2 ». Je n vois pas pourquoi IEcriture appellerait Céthura concubine, sil ny avait quelque mystère là-dessous. Quoi quil en soit, on ne peu pas justement reprocher ce mariage à ce patriarche. Que savons-nous si Dieu ne la point permis ainsi afin de confondre, par lexemple dun si saint homme, lerreur de certain hérétiques 3 qui condamnent les seconde noces comme mauvaises? Abraham mourut 4 à lâge de cent soixante et quinze ans; son fils en avait soixante et quinze, étant venu au monde la centième année de la vie de son père.
CHAPITRE XXXV.DES DEUX JUMEAUX QUI SE BATTAIENT DANS LE VENTRE DE RÉBECCA.
Voyons maintenant le progrès de la Cité de Dieu dans les descendants dAbraham Comme Isaac navait point encore denfants à lâge de soixante ans, parce que sa femme était stérile, il en demanda à Dieu, qui lexauçai mais dans le temps que sa femme était enceinte, les deux enfants quelle portait se battaient dans son sein. Les grandes douleurs quelle en ressentait lui firent consulter Dieu qui lui répondit: « Deux nations sont dans votre sein, et deux peuples sortiront de vos entrailles; lun surmontera lautre, et laîné sera soumis au cadet 5 ». Lapôtre saint Paul 6 tire de là un grand argument en faveur de la grâce, en ce que, avant que ni lun ni lautre ne fussent nés et neussent fait ni bien ni mal, le plus jeune fut choisi sans aucun mérite antérieur, et laîné réprouvé. Il est certain que, par rapport au péché originel, ils étaient également coupables, et que ni lun ni lautre navaient commis aucun péché qui leur fût propre; mais le dessein que je me suis proposé dans cet ouvrage ne me permet pas de métendre davantage sur ce point, outre que je lai fait amplement ailleurs 7. A légard de ces paroles: « Laîné sera soumis
1. Rom. XX. 8. 2. Gen. XXX, 12. 3. Ces hérétiques sont les cataphryges ou cataphrygiens, branche de la grande secte des gnostiques. Voyez saint Augustin, De haeres. ad Quodvultdeum, haer. 26. 4. Gen. XXV, 17. 5. Ibid. XXV, 23. 6. Rom. IX, 11. 7. Voyez les écrits de saint Augustin De peccato originali, De libero arbitrio et gratia, De correptione et gratia, De prdestinatione sanctorum, etc.
au cadet », presque tous nos interprètes lexpliquent du peuple juif, qui doit être assujéti au peuple chrétien; et dans le fait, bien quil semble que cela soit accompli dans les Iduméens issus de laîné (il avait deux noms, Esaü et Edom), parce quils ont été assujétis aux Israëlites sortis du cadet néanmoins il est plus croyable que cette prophétie: « Un peuple surmontera lautre, et laîné servira le cadet », regardait quelque chose de plus grand; et quoi donc, sinon ce que nous voyons clairement saccomplir dans les Juifs et dans les Chrétiens ?
CHAPITRE XXXVI.DIEU BÉNIT ISAAC, EN CONSIDÉRATION DE SON PÈRE ABRAHAM.
Isaac reçut aussi la même promesse que Dieu avait si souvent faite à son père, et lEcriture en parle ainsi: « Il y eut une grande famine sur la terre, outre celle qui arriva du temps dAhraham; en sorte quIsaac se retira à Gérara, vers Abimélech, roi des Philistins. Là, le Seigneur lui apparut et lui dit: Ne descendez point en Egypte, mais demeurez dans la terre que je vous dirai; demeurez-y comme étranger, et je serai avec vous et vous bénirai; car je vous donnerai, ainsi quà votre postérité, toute cette contrée, et jaccomplirai le serment que jai fait à votre père Abraham. Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, et lui donnerai cette terre-ci, et en elle seront bénies toutes les nations de la terre, parce quAbraham, votre père, a écouté ma voix et observé mes commandements 1 » Ce patriarche neut point dantre femme que Rébecca, ni de concubine; mais il se contenta pour enfants de ses deux jumeaux. Il appréhenda aussi pour la beauté de sa femme, parce quil habitait parmi des étrangers, et, suivant lexemple de son père, il lappela sa soeur, car elle était sa proche parente du côté de son père et de sa mère. Ces étrangers, ayant su quelle était sa femme, ne lui causèrent toutefois aucun déplaisir. Faut-il maintenant le préférer à son père pour navoir eu quune seule femme? non, car la foi et lobéissance dAbraham étaient, tellement incomparables, que ce fut en sa considération que Dieu promit, au fils tout le bien quil lui devait faire.
1. Gen. XXVI, 1-5.
« Toutes les nations de la terre, dit-il, seront bénies en votre postérité, parce que votre père Abraham a écouté ma voix et observé mes commandements »; et dans une autre vision: « Je suis le Dieu de votre père Abraham, ne craignez point, car je suis avec vous et vous ai béni, et je multiplierai votre postérité à cause dAbraham, votre père1 » ; paroles qui montrent bien quAbraham a été chaste dans les actions mêmes que certaines personnes, avides de chercher des exemples dans lEcriture pour justifier leurs désordres, veulent quil ait faites par volupté. Cela nous apprend aussi à ne pas comparer les hommes ensemble par quelques actions particulières, mais par toute la suite de leur vie. Il peut fort bien arriver quun homme lemporte sur un autre en quelque point, et quil lui soit beaucoup intérieur peur tout le reste. Ainsi, quoique la continence soit préférable au mariage, toutefois un chrétien marié vaut mieux quun païen continent, et même celui-ci est dautant plus digne de blâme quil demeure infidèle en même temps qu il est continent. Supposons deux hommes de bien: sans doute celui qui est plus fidèle et plus obéissant à Dieu vaut mieux, quoique marié, que celui qui est moins fidèle et moins soumis, encore quil garde le célibat ; mais toutes choses égales dailleurs, il est indubitable quon doit préférer lhomme continent à celuI qui est marié.
CHAPITRE XXXVII.CE QUE FIGURAIENT PAR AVANCE ÉSAÜ ET JACOB.
Or, les deux fils dIsaac, Esaü et Jacob, croissaient également en âge, et laîné vaincu par son intempérance, céda volontairement au plus jeune son droit daînesse pour un plat de lentilles 2. Nous apprenons de là que ce nest pas la qualité des viandes, mais la gourmandise qui est blâmable. Isaac devient vieux et perd la vue par suite de son grand âge 3. Il veut bénir son aîné, et, sans le savoir, il bénit son cadet à la, place de lautre, qui était velu, et auquel le cadet sétait substitué en ayant soin de se couvrir les mains et le cou dune peau de chèvre, symbole des péchés dautrui. Afin quon ne simaginât pas. que cet artifice de Jacob fût répréhensible et ne contînt aucun mystère , lEcriture a eu soin auparavant de nous avertir « quEsaü était
1.Gen. XXVI, 24. 2. Ibid. XXV, 33, 34. 3. Ibid. XXVII, 1.
(356)
un homme farouche et grand chasseur, et que Jacob était un homme simple et qui demeurait au logis 1 ». Quelques interprètes, au lieu de simple, traduisent sans ruse. Mais quon entende sans ruse ou simple, ou encore sans artifice, en grec aplastos quelle peut être, en recevant cette bénédiction, la ruse de cet homme sans ruse, lartifice de cet homme simple, la feinte de cet homme incapable de mentir, sinon un très-profond mystère de vérité? Cela ne paraît-il point dans la bénédiction même? « Lodeur qui sort de mon fils, dit Isaac, est semblable à lodeur dun champ émaillé de fleurs que le Seigneur a béni. Que Dieu fasse tomber la rosée du ciel sur vos terres et les rende fécondes en blé et en vin; que les nations vous obéissent, et que les princes vous adorent. Soyez le maître de votre frère, et que les enfants de votre père se prosternent devant vous. Celui qui vous bénira sera béni, et celui qui vous maudira sera maudit 2 ». La bénédiction de Jacob, cest la prédication du nom de Jésus-Christ par toutes les nations. Elle se fait, elle saccomplit en ce moment même. Isaac est la figure de la loi et des prophètes. Cette loi, ces prophéties, par la bouche des Juifs , bénissent Jésus-Christ sans le connaître, nétant pas connues elles-mêmes par les Juifs. Le monde, comme un champ, est parfumé du nom de ce Sauveur. La parole de Dieu est la pluie et la rosée du ciel qui rendent ce champ fécond. Sa fécondité est la vocation des Gentils. Le blé et le vin dont il abonde, cest la multitude des fidèles que le blé et le vin unissent dans le sacrement de son corps et de son sang. Les nations lui obéissent, et les princes ladorent. Il est le maître de son frère, parce que son peuple commande aux Juifs. Les enfants de son père ladorent, cest-à-dire les enfants dAbraham selon la foi, parce quil est lui-même fils dAbraham selon la chair. Celui qui le maudira sera maudit, et celui qui le bénira sera béni. Ce Christ, qui est notre sauveur, est béni, je le répète, par la bouche des Juifs, dépositaires de la loi et des prophètes, bien quils ne les comprennent pas et quils attendent un autre Sauveur. Lorsque laîné demande à son père la bénédiction quil lui avait promise, Isaac sétonne; et, après avoir vu quil avait béni lun pour lautre, il admire cet événement, et toutefois ne se plaint pas
1. Gen. XXV, 27. 2. Ibid. XX, 27 et seq.
davoir été trompé: au contraire, éclairé sur ce grand mystère par une lumière intérieure, au lieu de se fâcher contre Jacob, il confirme la bénédiction quil lui a donnée. « Quel est, dit-il, celui qui ma apporté de la venaison dont jai mangé avant que vous vinssiez ? Je lai béni et il demeurera béni 1 ». Qui nattendrait ici la malédiction dun homme en colère, si tout cela ne se passait plutôt par une inspiration den haut que selon la conduite ordinaire des hommes? O merveilles réellement arrivées, mais prophétiquement ; arrivées sur la terre, mais inspirées par le ciel; arrivées par lentremise des hommes, mais conduites par la providence de Dieu ! A examiner toutes ces choses en détail, elles sont si fécondes en mystères, quil faudrait des volumes entiers pour les expliquer ; mais les bornes que je me suis prescrites dans cet ouvrage mobligent à passer à dautres considérations.
CHAPITRE XXXVIII.DU VOYAGE DE JACOB EN MÉSOPOTAMIE POUR SY MARIER, DE LA VISION QUIL EUT EN CHEMIN, ET DES QUATRE FEMMES QUIL ÉPOUSA, BIEN QUIL NEN DEMANDÂT QUUNE.
Jacob est envoyé par ses parents en Mésopotamie pour sy marier. Voici ce que son père lui dit à son départ: «Ne vous mariez pas parmi les Chananéens; mais allez en Mésopotamie, chez Bathuel, père de votre mère, et épousez là quelquune des filles de Laban, frère de votre mère. Que mon Dieu vous bénisse, et vous rende puissant, afin que vous soyez père de, plusieurs peuples. Quil vous donne, et à votre postérité, la bénédiction de votre père Abraham, afin que vous possédiez la terre où vous êtes maintenant étranger et que Dieu a donnée à Abraham 2 ». Ici paraît clairement la division des deux branches de la postérité dIsaac, celle de Jacob et celle dEsaü. Lorsque Dieu dit à Abraham : « Votre postérité sortira dIsaac », il entendait parler nécessairement de celle qui devait composer la Cité de Dieu, et cette postérité dAbraham fut dès cet instant séparée de celle qui sortit de lui par les enfants dAgar et de Céthura; mais il était encore douteux si cette bénédiction dIsaac était pour ses deux enfants ou seulement pour lun deux. Or, le doute disparaît maintenant dans cette
1. Gen. XXVII, 33. 2. Gen. XXVIII, 1 et seq.
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bénédiction prophétique quIsaac donne à Jacob, lorsquil lui dit : « Vous serez le père de plusieurs peuples ; que Dieu vous donne la bénédiction de votre père Abraham ». Pendant que Jacob allait en Mésopotamie, il reçut en songe loracle du ciel que lEcriture rapporte en ces termes: « Jacob, laissant le puits du serment, prit son chemin vers Charra, et, étant arrivé en un lieu où la nuit le surprit, il ramassa quelques pierres quil trouva là, et, après les avoir mises « sous sa tête, il sendormit. Comme il dormait, il lui sembla voir une échelle dont lun des bouts posait sur terre et lautre touchait au ciel, et les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. Dieu était appuyé dessus, et il lui dit : Je suis le Dieu dAbraham, votre père, et le Dieu dIsaac; ne craignez point. Je vous donnerai à vous et à votre postérité la terre où vous dormez, et le nombre de vos enfants égalera la poussière de la terre. Ils sétendront depuis lorient jusquà loccident depuis le midi jusquau septentrion , et toutes les nations de la terre seront bénies en vous et en votre postérité. Je suis avec vous et vous garderai partout où vous irez, et je vous ramènerai en ce pays-ci, parce que je ne vous abandonnerai point que je naie accompli tout ce que je vous ai dit. Alors Jacob se réveilla, et dit: Le Seigneur est ici et je ne le savais pas. Et étant saisi de crainte : Que ce lieu, dit-il , est terrible! ce ne peut être que la maison de Dieu et la porte du ciel. Là-dessus il se leva, et prenant la pierre quil avait mise sous sa tête, il la dressa pour servir de monument, « et loignit dhuile par en haut, et nomma ce lieu la maison de Dieu 1 .» Ceci contient une prophétie; et il ne faut pas simaginer que Jacob versa de lhuile sur cette pierre à la façon des idolâtres, comme sil en eût fait un Dieu, car il ne ladora point, ni ne lui offrit point de sacrifice; mais comme le nom de Christ vient dun mot grec qui signifie onction 2, ceci sans doute figure quelque grand mystère. Notre Sauveur lui-même semble expliquer le sens symbolique de cette échelle dans lEvangile, lorsquaprès avoir dit de Nathanaël: « Voilà un véritable Israélite
1. Gen. XXVIII, 10-19. 2. Xrisma
en qui il ny a point de ruse 1 », pensant à la vision quavait eue Israël, qui est le même que Jacob, il ajoute: « En vérité, en vérité, je vous dis que vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le fils de lhomme 2 ». Jacob continua donc son chemin en Mésopotamie, pour y choisir une femme. Or, lEcriture nous apprend pourquoi il en épousa quatre dont il eut douze fils et une fille, lui qui nen avait épousé aucune par un désir illégitime. Il était venu pour prendre une seule épouse; mais comme on lui en supposa une autre à la place de celle qui lui était promise 3, il ne la voulut pas quitter, de peur quelle ne demeurât déshonorée; et comme en ce temps-là il était permis davoir plusieurs femmes pour accroître sa postérité, il prit encore la première à qui il avait déjà donné sa foi. Cependant, celle-ci étant stérile, elle lui donna sa servante pour en avoir des enfants; ce que son aînée fit aussi, quoique elle-même en eût déjà. Jacob nen demanda quune, et il nen connut plusieurs que pour en avoir des enfants, et à la prière de ses femmes, qui usaient en cela du pouvoir que les lois du mariage leur donnaient sur lui.
CHAPITRE XXXIX.POURQUOI JACOB FUT APPELÉ ISRAËL.
Or, Jacob eut douze fils et une fille de quatre femmes. Ensuite, il vint en Egypte, à cause de son fils Joseph qui y avait été mené et y était devenu puissant, après avoir été vendu par la jalousie de ses frères. Jacob, comme je viens de le dire, sappelait aussi Israël, doù le peuple descendu de lui a pris son nom, et ce nom lui fut donné par lange qui lutta contre lui à son retour de Mésopotamie 4 et qui était la figure de Jésus-Christ. Lavantage quil voulut bien que Jacob remportât signifie le pouvoir que Jésus-Christ donna sur lui aux Juifs au temps de sa passion. Toutefois, il demanda la bénédiction de celui quil avait surmonté, et cette bénédiction fut limposition de ce nom même. Israël signifie voyant Dieu, ce qui marque la récompense de tous les saints à la fin du monde. Lange le toucha à lendroit le plus large de la caisse et le rendit boiteux. Ainsi le même Jacob fut béni et boiteux: béni
1. Jean, I, 47.- 2. Ibid. I, 51. 3. Gen. XXIX, 23. 4. Gen. XXXII, 28.
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en ceux du peuple juif qui ont cru en Jésus-Christ, et boiteux en ceux qui ny ont pas cru, car lendroit le plus large de la cuisse marque une postérité nombreuse. En effet, il y en a beaucoup plus parmi ses descendants en qui cette prophétie sest accomplie : « Ils se sont égarés du droit chemin, et ont boité 1 ».
CHAPITRE XL.COMMENT ON DOIT ENTENDRE QUE JACOB ENTRA, LUI SOIXANTE-QUINZIÈME, EN ÉGYPTE.
LEcriture dit 2 que soixante-quinze personnes entrèrent en Egypte avec Jacob, en ly comprenant avec ses enfants; et dans ce nombre elle ne fait mention que de deux femmes, lune fille, et lautre petite-fille de ce patriarche. Mais à considérer la chose exactement, elle ne veut point dire que la maison de Jacob fût si grande le jour ni lannée quil y entra, puisquelle compte parmi ceux qui y entrèrent des arrière-petits-fils de Joseph, qui ne pouvaient pas être encore au monde. Jacob avait alors cent trente ans, et son fils Joseph trente-neuf. Or, il est certain que Joseph navait que trente ans, ou un peu plus, quand il se maria. Comment donc aurait-il pu en lespace de neuf ans avoir des arrière-petits-fils? Quand Jacob entra en Egypte, Ephraïm et Manassé, enfants de Joseph, navaient pas encore neuf ans. Or, dans le dénombrement que lEcriture fait de ceux qui y entrèrent avec lui, elle parle de Machir, fils de Manassé et petit-fils de Joseph, et de Galaad, fils de Machir, cest-à-dire arrière-petit-fils de Joseph. Elle parle aussi de Utalaam, fils dEphraïm, et de Edem, fils de Utalaam, cest-à-dire dun autre petit-fils et arrière-petit-fils de ce patriarche . LEcriture donc, par lentrée de Jacob en Egypte, nentend pas parler du jour ni de lannée quil y entra, mais de tout le temps que vécut Joseph qui fut cause de cette entrée. Voici comment elle parle de Joseph : « Joseph demeura en Egypte avec ses frères et toute la maison de son père, et il vécut cent dix ans, et il vit les enfants dEphraïm jusquà la troisième génération 4 », cest-à-dire Edem , son arrière-petit-fils du côté dEphraïm. Cest là, en effet, ce que lEcriture appelle troisième génération. Puis elle ajoute: « Et les enfants de Machir, fils de Manassé,
1. Ps. XVII, 49. 2. Gen. XLVI, 17. 3. Gen. L, 22; Num. XXVI, 29 et seq. 4. Gen. L, 22.
naquirent sur les genoux de Joseph », cest-à-dire Galaad, son arrière-petit-fils du côté de Manassé, dont lEcriture, suivant son usage, qui est aussi celui de la langue latine 1, parle comme sil y en avait plusieurs, ainsi que de la fille unique de Jacob, quelle appelle les filles de Jacob. Il ne faut donc pas simaginer que ces enfants de Joseph fussent nés quand Jacob entra en Egypte, puisque lEcriture, pour relever la félicité de Joseph, dit quil les vit naître avant que de mourir; mais ce qui trompe ceux qui ny regardent pas de si près, cest que 1Ecriture dit : « Voici les noms des « enfants dIsraël qui entrèrent en Egypte « avec Jacob, leur père 2 ». Elle ne parle donc de la sorte que parce quelle compte aussi toute la famille de Joseph, et quelle prend cette entrée pour toute la vie de ce patriarche, parce que cest lui qui en fut cause.
CHAPITRE XLI.BÉNÉDICTION DE JUDA.
Si donc, à cause du peuple chrétien, en qui la Cité de Dieu est étrangère ici-bas, nous cherchons Jésus-Christ selon la chair dans la postérité dAbraham, laissant les enfants des concubines, Isaac se présente à nous; dans celle dIsaac, laissant Esaü ou Edom, se présente Jacob ou Israël; dans celle dIsraël, les autres mis à part, se présente Juda, parce que Jésus-Christ est né de la tribu de Juda. Voyons pour cette raison la bénédiction prophétique que Jacob lui donna lorsque, près de mourir, il bénit tous ses enfants: « Juda, dit-il, vos frères vous loueront; vous emmènerez vos ennemis captifs; les enfants de votre père vous adoreront. Juda est un jeune lion; vous vous êtes élevé, mon fils, comme un arbre qui pousse avec vigueur; vous vous êtes couché pour dormir comme un lion et comme un lionceau: qui le réveillera? Le sceptre ne sera point ôté de la maison de Juda, et les princes ne manqueront point jusquà ce que tout ce qui lui a été promis soit accompli. Il sera lattente des nations, et il attachera son poulain et lânon de son ânesse au cep de la vigne. Il lavera sa robe dans le vin, et son vêtement dans le sang de la grappe de raisin. Ses yeux sont
1. Voyez Aulu-Gelle (Noct. att., lib. II, cap. 13) et le Digeste (lib. I, tit. 16, De verborum significatione, § 148). 2. Gen. XLVI, 8.
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rouges de vin, et ses dents plus blanches que le lait 1 ». Jai expliqué tout ceci contre Fauste le manichéen 2, et jestime en avoir dit assez pour montrer la vérité de cette prophétie. La mort de Jésus-Christ y est prédite par le sommeil; et par le lion, le pouvoir quil avait de mourir ou de ne mourir pas. Cest ce pouvoir quil relève lui-même dans lEvangile, quand il dit: « Jai pouvoir de quitter mon âme, et jai pouvoir de la reprendre. Personne ne me la peut ôter; mais cest de moi-même que je la quitte et que je la reprends 3 ». Cest ainsi que le lion a rugi et quil a accompli ce quil a dit. A cette même puissance encore se rapporte ce qui est dit de sa résurrection : « Qui le réveillera ? » cest-à-dire que nul homme ne le peut que lui-même, qui a dit aussi de son corps: « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours 4 ». Le genre de sa mort, cest-à-dire son élévation sur la croix, est compris en cette seule parole : « Vous vous êtes élevé ». Et ce que Jacob ajoute ensuite : « Vous vous êtes couché pour dormir », lEvangéliste lexplique lorsquil dit: «Et penchant la tête, il rendit lesprit 5 » ; si lon naime mieux lentendre de son tombeau, où il sest reposé et a dormi, et doù aucun homme ne la ressuscité, comme les prophètes ou lui-même en ont ressuscité quelques-uns, mais doù il est sorti tout seul comme dun doux sommeil. Pour sa robe quil lave dans le vin, cest-à-dire quil purifie de tout péché dans son sang, quest-ce autre chose que lEglise? Les baptisés savent quel est le sacrement de ce sang, doù vient que lEcriture ajoute : « Et son vêtement dans le sang de la grappe. Ses yeux sont rouges de vin » . Quest-ce que cela signifie, sinon les personnes spirituelles enivrées de ce divin breuvage dont le Psalmiste dit : « Que votre breuvage qui enivre est excellent ! » « Ses dents sont plus a blanches que le lait 6 » ; cest ce lait que les petits boivent chez lApôtre 7, cest-à-dire les paroles qui nourrissent ceux qui ne sont pas encore capables dune viande solide. Cest donc en lui que résidaient les promesses faites à Juda, avant laccomplissement desquelles les princes, cest-à-dire les rois dIsraël, nont point manqué dans cette race. Lui seul
1. Gen. XLIX, 8 et seq. 2. Cont. Faust, lib. XII, cap. 42. 3. Jean, X, 18. 4. Ibid. II, I9. 5. Ibid. XIX, 30. 6. Ps. XXII, 5. 7. I Cor. III, 2.
était lattente des nations, et ce que nous en voyons maintenant est plus clair que tout ce que nous en pouvons dire.
CHAPITRE XLII.BÉNÉDICTION DES DEUX FILS DE JOSEPH PAR JACOB.
Or, comme les deux fils dIsaac, Esaü et Jacob, ont été la figuré de deux peuplés, des Juifs et des Chrétiens, quoique selon la chair les Juifs ne soient pas issus dEsaü, mais bien les Iduméens, pas plus que les Chrétiens ne le sont de Jacob, mais bien les Juifs, tout le sens de la figure se résume en ceci : « Laîné sera soumis au cadet » ; il en est arrivé de même dans les deux fils de Joseph. Laîné était la figure des Juifs, et le cadet celle des Chrétiens. Aussi Jacob, les bénissant, mit sa main droite sur le cadet qui était à sa gauche, et sa gauche sur laîné qui était à sa droite; et comme Joseph, leur père, fâché de cette méprise, voulut le faire changer, et lui montra laîné : « Je le sais bien, mon fils, répondit-il, je le sais bien. Celui-ci sera père dun « peuple et deviendra très-puissant; mais son « cadet sera plus grand que lui, et de lui sortiront plusieurs nations 1 ». Voilà deux promesses clairement distinctes. « Lun , dit lEcriture, sera père dun peuple, et lautre de plusieurs nations ». Nest-il pas de la dernière évidence que ces deux promesses embrassent le peuple juif et tous les autres peuples de la terre qui devaient également sortir dAbraham, le premier selon la chair, et le reste selon la foi?
CHAPITRE XLIII.DES TEMPS DE MOÏSE, DE JÉSUS NAVÉ, DES JUGES ET DES ROIS JUSQUÀ DAVID.
Après la mort de Jacob et de Joseph, le peuple juif se multiplia prodigieusement pendant les cent quarante-quatre années qui restèrent jusquà la sortie dEgypte, quoique les Egyptiens, effrayés de leur nombre, leur fissent subir des persécutions si cruelles que, même à la fin, ils tuèrent tous les enfants mâles qui venaient au monde. Alors 2 Moïse, choisi de Dieu pour exécuter de grandes
1. Gen. XLVIII, 19. . 2. Exod. II, 5.
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choses, fut dérobé à la fureur de ces meurtriers et porté dans la maison royale, où il fut nourri et adopté par la fille de Pharaon, nom qui était commun à tous les rois dEgypte. Là il devint assez puissant pour affranchir ce peuple de la captivité où il gémissait depuis si longtemps, ou, pour mieux dire, Dieu, conformément à la promesse quil avait faite à Abraham, se servit du ministère de Moïse pour délivrer les Hébreux. Obligé dabord de senfuir en Madian 1 pour avoir tué un Egyptien qui outrageait un Juif, revenu ensuite par un ordre exprès du ciel, il surmonta les mages de Pharaon 2 par la puissance de lesprit de Dieu. Après ces prodiges, comme les Egyptiens refusaient encore de laisser sortir le peuple de Dieu, il les frappa de ces dix plaies si fameuses : leau changée en sang, les grenouilles, les moucherons, les mouches canines, la mort des bestiaux, les ulcères, la grêle, les sauterelles, les ténèbres et la mort de leurs aînés. Enfin, les Egyptiens, vaincus par tant de misères, furent, pour dernier malheur, engloutis sous les flots, tandis quils poursuivaient les Juifs, après leur avoir permis de sen aller. La mer, qui sétait ouverte pour donner passage aux Hébreux, submergea leurs ennemis par le retour de ses ondes. Depuis, ce peuple passa quarante ans dans le désert sous la conduite de Moïse, et cest là que fut fait le tabernacle du témoignage, dans lequel Dieu était adoré par des sacrifices, figures des choses à venir. La loi y fut aussi donnée sur la montagne au milieu des foudres, des tempêtes et de voix éclatantes qui attestaient la présence de la divinité. Ceci arriva aussitôt que le peuple fut sorti dEgypte et entré dans le désert, cinquante jours après la pâque et limmolation de lagneau, qui était si véritablement la figure de Jésus-Christ immolé sur la croix et passant de ce monde à son père (car Pâque en hébreu signifie passage 3), que lorsque le Nouveau Testament fut établi par le sacrifice de Jésus-Christ, qui est notre Pâque, cinquante jours après, le Saint-Esprit, appelé dans lEvangile le doigt de Dieu 4, descendit du ciel afin de nous faire souvenir de lancienne figure, parce que la loi, au rapport de lEcriture, fut aussi écrite sur les tables par le doigt de Dieu. Après la mort de Moïse, Jésus, fils de Navé,
1. Exod. II, 15. 2. Ibid. 8, 9, 10 et 11. 3. Ibid. XII, 11. Luc, XI, 20.
prit la conduite du peuple et le fit entrer dans la terre promise quil partagea. Ces deux grands et admirables conducteurs achevèrent heureusement de grandes guerres, où Dieu montra que les victoires signalées quil fit remporter aux Hébreux sur leurs ennemis étaient plutôt pour châtier les crimes de ceux-ci que pour récompenser le mérite des autres. A ces deux chefs succédèrent les Juges, le peuple étant déjà établi dans la terre promise, afin que la première promesse faite à Abraham touchant un seul peuple et la terre de Chanaan commençât à saccomplir, en attendant que lavénement de Jésus-Christ accomplît celle de toutes les nations et de toute la terre. Cest en effet la foi de lEvangile qui en devait faire laccomplissement, et non les pratiques légales; et cette vérité est figurée davance, en ce que ce ne fut pas Moïse qui avait reçu pour te peuple la loi sur la montagne, mais Jésus, à qui Dieu même donna ce nom, qui fit entrer les Hébreux dans la terre promise. Sous les Juges, il y eut une vicissitude de prospérités et de malheurs, selon que la miséricorde de Dieu ou les péchés du peuple en décidaient. De là on passa au gouvernement des Rois, dont le premier fut Saül, qui, ayant été réprouvé avec toute sa race et tué dans une bataille, eut pour successeur David. Cest de ce roi que Jésus-Christ est surtout appelé fils par lEcriture. Cest par lui que commença en quelque sorte la jeunesse du peuple de Dieu , dont ladolescence avait été depuis Abraham jusquà lui. Lévangéliste saint Matthieu na pas marqué sans intention mystérieuse, dans la généalogie de Jésus-Christ, quatorze générations depuis Abraham jusquà David 1. En effet, cest depuis ladolescence que lhomme commence à être capable dengendrer; doù vient que saint Matthieu commence cette généalogie à Abraham, qui fut père de plusieurs nations, quand son nom fut changé. Avant Abraham donc, cétait en quelque sorte lâge qui suivit lenfance du peuple de Dieu, depuis Noé jusquà ce patriarche; et ce fut pour cette raison quil commença en ce temps-là à parler la première langue , cest-à-dire lhébraïque. La vérité est que cest au sortir de lenfance (qui tire son nom 2 de limpossibilité où sont les
1. Matt. I, 17. 2. Infantia, de fari, parler, et de la particule négative in.
nouveau-nés de parler) que lhomme commence à user de la parole, et de même que ce premier âge est enseveli dans loubli, le premier âge du genre humain fut aboli par les eaux du déluge. Ainsi dans le progrès de la Cité de Dieu, comme le livre précédent contient le premier âge du monde, celui-ci contient le second et le troisième. En ce troisième âge fut imposé le joug de la loi, qui est figurée par la génisse, la chèvre et le bélier de trois ans 1 ; on y vit paraître une multitude effroyable de crimes, qui jetèrent les fondements du royaume de la terre, où néanmoins vécurent toujours des hommes spirituels figurés par la tourterelle et par la colombe.
1. Gen. XV, 9.
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