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CHAPITRE SEIZIÈME. Trois livres contre la lettre de Parménien. —  Les sept livres du Baptême contre les Donatistes.

 

Il nous suffira d'indiquer le livre des Annotations sur Job, et nous nous arrêterons aux trois livres Contre la lettre de Parménien. Ce Parménien avait été évêque des donatistes à Carthage. Il n'appartenait pas à l'Afrique; saint Optat l'appelle deux fois peregrinum (étranger). Les donatistes cherchaient au loin des prosélytes; Parménien fut un de ceux qu'ils attachèrent à leur cause. Sa lettre, réfutée par Augustin, était adressée à un donatiste appelé Tichonius , homme d'un esprit vif et d'une abondante élocution; celui-ci proclamait

 

1 Du schisme des donatistes.

 

l'universalité de l'Eglise, tout en demeurant dans le schisme africain; les donatistes le condamnèrent dans un concile. Parménien avait entrepris de prouver à Tichonius que la véritable Eglise ne devait pas être répandue par toute la terre. Ses assertions, fondées sur une interprétation inexacte des livres saints, offraient des dangers pour les fidèles, et ce fut d'après l'ordre de ses frères (1) que l'évêque d'Hippone renversa l'oeuvre de Parménien.

Dans le premier livre de sa Réponse, Augustin établit, par l'Ancien et le Nouveau

 

1 Jubentibus fratribus.

 

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Testament, que toute la terre est promise au Messie et à son Eglise. Il fait parler l'Eglise de Philadelphie, dont le nom grec signifie amour fraternel. Elle dit aux donatistes africains qu'elle est séparée d'eux par les mers et les longues distances; elle ignore ce qu'ils font, ce qu'ils annoncent : quel mal peuvent-ils lui reprocher? de quoi peuvent-ils l'accuser? Le Seigneur, qui a racheté le monde entier au prix de son sang, et dont le prophète avait si longtemps auparavant chanté les mystérieuses ignominies, n'a point laissé entre Philadelphie et l'Afrique des espaces vides et sans chrétiens. Ces espaces renferment des fidèles qui peuvent adresser aux donatistes le même langage que Philadelphie, et le monde entier, excommunié par les schismatiques africains, a le droit de faire entendre les mêmes plaintes.

Augustin rappelle les diverses condamnations des donatistes, et leur répugnance â s'expliquer sérieusement avec les catholiques. Il montre que les martyrs des donatistes ne méritent pas ce nom glorieux; ce qui fait le martyre ce n'est pas le supplice, mais la cause pour laquelle on souffre. Voilà pourquoi le Sauveur a dit : Bienheureux ceux qui souffrent la persécution POUR LA JUSTICE ! L'évêque d'Hippone aborde une question grave, celle de savoir si les princes chrétiens ont le droit de réprimer les hérétiques et les schismatiques. Nous aurons occasion de revenir sur cette question, qui, pour être résolue avec vérité , a besoin d'être examinée, non pas d'après nos idées modernes, mais d'après les temps et les sociétés au milieu desquels vivait saint Augustin. Les donatistes avaient-ils bien le droit de se plaindre des violences exercées contre leur conscience, eux qui ne se faisaient pas faute de violences de toute nature, eux qui lançaient les circoncellions comme des dogues, furieux à travers les populations catholiques ? Ils trouvaient bon de se servir des lois impériales pour chasser des basiliques les maximianistes, qui étaient visà-vis d'eux comme des schismatiques, et n'auraient pas voulu que les catholiques eussent profité de ces mêmes lois pour protéger leur unité ! Augustin les enfermait dans ce dilemme Ou vous pensez qu'il n'est permis de rien faire contre les hérétiques et les schismatiques, ou vous pensez qu'on peut agir. Dans le premier cas, pourquoi poursuivez-vous les catholiques de vos constantes hostilités ? Dans le second cas, pourquoi vous plaignez-vous des atteintes portées à votre repos? et de plus, montrez-nous que vous avez souffert plus de choses de la part des empereurs catholiques que vous n'en avez fait souffrir vous-mêmes, soit par vos juges , soit par le roi des barbares, Gildon, ou par les fureurs insensées des circoncellions.

Les donatistes à qui Julien rendit les basiliques avaient dit de l'apostat couronné, que la justice seule trouvait place auprès de lui (1). La sainteté chrétienne, persécutée par Julien, n'était donc pas la justice !

Dans le deuxième livre de la réponse d'Augustin à Parménien, Augustin rétablit le vrai sens des passages de l'Ecriture, dont l'interprétation erronée trompait la simplicité des fidèles.

Dans le troisième et dernier livre, Augustin réfute, au sujet de la séparation des bons et des mauvais dans ce monde, l'objection des donatistes, tirée de l'Epître de saint Paul aux Corinthiens (2). Le grand apôtre défend aux fidèles de se mêler aux fornicateurs (3). Augustin explique que l'excommunication catholique ne rompt pas l'unité, puisqu'elle a pour unique but d'amener le coupable au repentir; elle n'arrache point, mais elle corrige (4). Jésus-Christ a dit : «Laissez l'ivraie et le froment croître ensemble jusqu'à la moisson. » Augustin , toujours fidèle aux lois de la mansuétude, veut que ceux qui châtient leurs frères le fassent avec une humble charité et une sévérité bienveillante, de manière à ne pas oublier qu'ils sont leurs serviteurs, à l'exemple du divin Mitre. Un passage de ce troisième livre nous parle des pauvres que nourrissait l'Eglise; en punition d'un désordre scandaleux, on était retranché du nombre de ces pauvres, nourris au banquet de l'aumône.

« Quoi de commun entre la paille et le froment ? » avait dit Jérémie (5). Parménien concluait de ces mots que le prophète d'Anathot ordonnait de faire la séparation sur la terre. Le genre humain, dit Augustin, se trompe-t-il au point de ne pas reconnaître Parménien comme le vanneur? Donat, Majorin et Parménien ont donc été comme les trois cornes d'un van dans la main du Seigneur pour faire la moisson de l'univers, et l'Afrique a été choisie

 

1 Quod apud eum sola justitia locum haberet.

2 I. 5, 11.

3 Non commisceri fornicariis.

4 Non ad eradicandum, sed ad corrigendum.

5 XXIII, 28.

 

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pour être le séjour de la portion purifiée !Mais si le pur froment est en Afrique, pourquoi les affreux excès des circoncellions , pourquoi tant de vices et de souillures parmi les donatistes? Jérémie, par ses paroles, appelle le temps où, la moisson faite, la paille sera séparée du bon grain sous les yeux du juge des vivants et des morts.

Les sept livres Du Baptême contre les donatistes méritent notre attention.

Le baptême peut-il être donné en dehors de la communion catholique par des hérétiques ou des schismatiques? Oui. Les donatistes disaient alors: Si vous, catholiques, vous recevez notre baptême, qu'avons-nous de moins que vous? — Ce n'est pas votre baptême que nous recevons, leur répondait Augustin, mais c'est le baptême de Dieu et de l'Eglise. Le baptême ne vous appartient point; ce qui vous appartient, ce sont vos sentiments dépravés, vos actes sacrilèges, votre séparation impie. La charité vous manque; la charité sans laquelle tout est inutile, selon l'Apôtre.

Le grand nom de Cyprien revenait souvent sur les lèvres des donatistes. L'illustre évêque de Carthage avait dit qu'un homme baptisé hors de la communion catholique devait recevoir de nouveau le baptême, lorsqu'il revenait à la foi. Il s'était trompé; alors un concile général n'avait pas encore résolu cette question. Augustin est admirable en parlant de l'erreur de Cyprien : « Le Seigneur, nous dit-il, n'avait pas sur ce point révélé la vérité à Cyprien, pour faire éclater la piété, l'humilité, la charité de ce grand homme, dans la conservation de la paix de l'Eglise. Cyprien, cet évêque de tant de mérite , de tant de coeur , de tant d'éloquence et de vertus, se trompa sur le baptême; mais il eut soin de ne pas briser l'unité de l'Eglise et d'inspirer des sentiments doux et fraternels aux quatre-vingts évêques qui se trompaient avec lui. Si un tel génie s'était séparé de l'Eglise, quel parti il eût créé ! Que d'hommes se seraient rangés sous un nom pareil l On se serait appelé plus volontiers cyprianiste que donatiste. Cyprien n'était pas un fils de perdition, mais un fils de paix !..... Il y eut donc quelque chose que ne vit point ce grand homme, doué d'une si vive illumination intérieure, pour laisser voir.quelque chose de plus sublime encore : la charité ! Je vous montre une voie plus haute, nous dit saint Paul: si je parle la langue des hommes et des anges sans avoir la charité, je serai comme l'airain sonnant, comme la cymbale retentissante. Cyprien pénétra donc un peu moins dans la vérité, pour mieux découvrir l'entrée secrète du sacrement. Mais si, connaissant tous les sacrements, il n'avait pas eu la charité, il n'eût été rien. Malgré ce qui lui a manqué de la vérité, comme il a cependant gardé la charité humblement, fidèlement, fortement, il a mérité de parvenir à la couronne du martyre, afin que si, dans l'humaine condition, quelque nuage avait obscurci la lumière de son intelligence, il fût dissipé par la glorieuse sérénité de son sang éclatant.... Quoique ce saint homme eût pensé sur le baptême autrement qu'il le fallait, comme l'ont démontré dans la suite les décisions fondées sur l'examen le plus sérieux et le plus complet, il demeura dans l'unité catholique, se réhabilita par la fécondité de la charité, et fut purifié par la faux du martyre. »

Augustin insiste sur la différence entre l'erreur de Cyprien et l'erreur des donatistes. Cyprien ne sortit jamais des voies de la paix et de l'unité. Les donatistes n'imitent que ce qui a été blâmé dans le grand évêque de Carthage, et n'imitent pas sa persévérance dans l'union catholique.

Dans le deuxième livre Du Baptême, l'évêque d'Hippone prouve que les donatistes ont tort d'invoquer en leur faveur l'autorité de saint Cyprien; le pontife de Carthage a toujours soutenu la nécessité de maintenir l'unité de l'Eglise. Par une contradiction manifeste , les schismatiques africains s'armaient de l'autorité de Cyprien dans la réitération du baptême, et la repoussaient dans les questions de paix, de concorde et de fraternité ; ils glorifiaient une moitié de l'homme, et rejetaient l'autre moitié. Le même homme dont ils se servaient pour protéger leurs erreurs les condamnait.

Augustin donne des leçons dont tous les siècles peuvent profiter lorsqu'il examine, à propos de saint Cyprien, pourquoi Dieu permet parfois que les grands génies de l'Eglise se trompent. Dieu le permet pour éprouver leur sentiment à l'égard de l’unité, à l'égard de la vérité. Cette double épreuve a tourné à la gloire de Cyprien. « Si ses écrits ne le disent pas, s'écrie Augustin, ses mérites le témoignent; si on ne trouve pas la lettre, le martyre l'atteste; si un concile d'évêques ne le proclame pas, l'assemblée des anges le proclame. Il est mort dans l'unité catholique. Nous sommes hommes; (87) vouloir savoir quelque chose d'une autre manière qu'elle n'est, c'est une tentation humaine. Aimer trop sa propre opinion ou repousser les opinions meilleures au point d'arriver au sacrilège d'une communion rompue et à la formation d'un schisme ou d'une hérésie, c'est une présomption diabolique. N'aspirer à savoir aucune chose autrement qu'elle n'est, c'est une perfection angélique. Comme nous sommes actuellement des hommes , comme nous ne sommes des anges que par l'espérance et que nous ne serons leurs égaux que dans la résurrection du siècle futur, si nous ne pouvons pas avoir ici-bas la perfection angélique , n'ayons pas au moins la présomption du démon. Voilà pourquoi l'Apôtre dit: Ne soyez saisis que par une tentation humaine. Or, il est du caractère de l'homme de chercher à savoir quelque chose autrement. »

Toutes ces considérations sont d'une douce profondeur et devraient servir de règle dans le jugement des grandes erreurs que nous offre l'histoire religieuse et philosophique.

Les livres troisième et quatrième sont une réfutation des passages de l'épître de saint Cyprien à Jubaianus contre la validité du baptême des hérétiques. Dans le baptême , il ne faut considérer ni celui qui donne ni celui qui reçoit, mais il faut considérer uniquement ce qui est donné : la puissance du sacrement est indépendante de toute chose. L'interprétation perverse des paroles évangéliques, les erreurs du ministre, n'invalident point le baptême du Christ.

Le cinquième livre traite de la fin de l'épître de saint Cyprien à Jubaianus, de son épître à Quintus, de sa synodique adressée aux évêques de Numidie, et de son épître à Pompéius. Les livres sixième et septième sont consacrés à l'examen du concile de Carthage, tenu sous l'inspiration de saint Cyprien, et des sentences de ce concile au sujet du baptême des hérétiques.

Ce qui frappe dans cet ouvrage, outre la puissance des raisonnements et des explications catholiques d'Augustin, ce sont les pieux et touchants égards de ce génie pour un autre génie chrétien qui se trompa sur un point de la foi, et dont l'erreur était devenue une arme dangereuse entre les mains des donatistes. Le coeur d'Augustin se révèle tout entier dans ces heureux et magnifiques efforts pour excuser un grand homme. Le souvenir du martyre de Cyprien lui apparaît comme sa justification la plus sublime. Combien il se montre tendre et modeste , en combattant l'erreur du grand évêque de Carthage, dont l'autorité ne l'épouvante point parce que l'humilité de Cyprien l'encourage (1) ! Augustin rappelle que Dieu se sert des petits et des insensés afin de confondre les grands et les sages ; et c'est ainsi qu'il y a plus de vérité dans les lettres des pêcheurs que dans les écrits des orateurs. Augustin, dans l'expansive effusion de son âme, demande à Cyprien de prier pour lui, et de lui donner son amour pour la paix de l'Eglise. S'il proclame quelque chose de vrai contre Cyprien, il le proclame avec toute la terre, et ce n'est pas lui Augustin qui l'a découvert. L'évêque d'Hippone ne voit dans ses propres discours que des essais enfantins'. Augustin est aussi grand par son humilité que par son génie.

A la suite de tant de travaux qui vengeaient la foi chrétienne et catholique, et la relevaient dans l'esprit des peuples, la situation de l'Eglise d'Afrique devenait meilleure. L'erreur cessait d'avoir raison, aucune attaque ne restait sans réponse. « C'est ainsi qu'avec l'aide de Dieu, dit le pieux biographe d'Augustin, l'Eglise, longtemps opprimée et séduite par les hérétiques, surtout par les donatistes , commença à lever la tête en Afrique. » Possidius ajoute que les hérétiques se jetaient avec une ardeur égale à celle des catholiques sur les ouvrages d'Augustin. Ces ouvrages n'étaient la propriété de personne; chacun pouvait en faire prendre des copies, et le génie d'Augustin brillait pour tous. La haute doctrine et le doux parfum du Christ, pour nous servir des expressions de Possidius, se répandirent rapidement dans toute l'Afrique, et l'Eglise d'au delà des mers s'en réjouissait.

 

1 Non me terret auctoritas Cypriani, quia reficit humilitas Cypriani. Livre II.

2 Infantilia rudimenta.

3 Possidius.

 

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