CHAPITRE LII
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
AVIS DE L'ÉDITEUR
CHAPITRE I
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIV
CHAPITRE XV
CHAPITRE XVI
CHAPITRE XVII
CHAPITRE XVIII
CHAPITRE XIX
CHAPITRE XX
CHAPITRE XXI
CHAPITRE XXII
CHAPITRE XXIII
CHAPITRE XXIV
CHAPITRE XXV
CHAPITRE XXVI
CHAPITRE XXVII
CHAPITRE XXVIII
CHAPITRE XXIX
CHAPITRE XXX
CHAPITRE XXXI
CHAPITRE XXXII
CHAPITRE XXXIII
CHAPITRE XXXIV
CHAPITRE XXXV
CHAPITRE XXXVI
CHAPITRE XXXVII
CHAPITRE XXXVIII
CHAPITRE XXXIX
CHAPITRE XL
CHAPITRE XLI
CHAPITRE XLII
CHAPITRE XLIII
CHAPITRE XLIV
CHAPITRE XLV
CHAPITRE XLVI
CHAPITRE XLVII
CHAPITRE XLVIII
CHAPITRE XLIX
CHAPITRE L
CHAPITRE LI
CHAPITRE LII
CHAPITRE LIII
CHAPITRE LIV
CHAPITRE LV

CHAPITRE CINQUANTE-DEUXIÈME. Le comte Boniface, trahi par Aétius, appelle à son secours les Vandales pour le défendre contre les forces de l'empire romain. —  Lettre de saint Augustin au comte Boniface. —  Ses écrits contre les ariens. (428.)

 

Les jours d'Augustin avaient été les jours les plus glorieux de l'Afrique chrétienne. Les manichéens vaincus devant Dieu et devant les hommes, et ne pouvant plus supporter les regards des catholiques, dont ils furent longtemps les perfides persécuteurs; les donatistes, convaincus d'erreur, d'ignorance, de mauvaise foi, et un très-grand nombre d'entre eux ramenés à l'unité religieuse; l'initiative prise à Carthage contre les pélagiens, et la controverse sur cette question capitale, soutenue avec tant de supériorité par l'évêque d'Hippone : ces grands faits donnaient un vif éclat à l'Eglise africaine, plaçaient bien haut son autorité, et portaient sa renommée dans tout l'univers. L'Afrique chrétienne, du temps d'Augustin, est un puissant foyer de lumière, ou plutôt Augustin était à lui seul cette lumière dont les rayons allaient éclairer les peuples soumis à la loi de Jésus-Christ. Il avait plu à Dieu de faire de grandes choses par les mains du docteur d'Hippone; mais Dieu ne voulut point accorder à son serviteur la pieuse joie de quitter ce monde avec des consolations et des espérances pour son cher pays d'Afrique : les deux dernières années de la vie d'Augustin devaient être profondément :attristées par le spectacle d'immenses malheurs; l'illustre et saint vieillard était condamné à voir sa patrie livrée aux barbares, et, ce qui ajoutait sans doute à son affliction, c'est que la main même d'un de ses amis avait ouvert la porte à d'effroyables calamités !

L'empire d'Occident était alors gouverné par Valentinien III, ou plutôt, dit Gibbon (1), régnait sa mère Placidie, qui n'avait ni le génie d'Eudoxie, morte exilée à Jérusalem , ni la sagesse de Pulchérie, sœur du jeune Théodose. Aétius (2), âme intrépide et fortement trempée, mais incapable de supporter la gloire d'un . rival, conçut un affreux dessein qui devait être la vraie cause des désastres de l'Afrique, cette portion si riche et si belle de l'empire romain. Il jouissait d'un crédit considérable sur l'esprit de la mère de Valentinien. Voulant perdre Boniface, gouverneur de l'Afrique, il imagina de tromper à la fois Placidie et le comte. Aétius peignit Boniface comme un ennemi secret, et décida Placidie à le rappeler de l'Afrique; en même temps il fit dire au comte de se garder d'obéir aux ordres de l'impératrice, parce que son rappel cachait un piège

 

1 Histoire de la Décadence de l'Empire romain.

2 Aétius fut chanté par deux poètes; Quintianus et Mérobaudes : il n'est resté de Quintianus que son nom cité par Sidoine Apollinaire. Niehbuhr (San-Galli, 1823), et Weber (Corpus poetarum latinorum, Francfort-sur-le-Mein, 1832), ont publié les chants de Mérobaudees, échappés au temps. Mérobaudes, comme Claudien, vit sa statue s'élever dans le forum de Trajan. M. Beugnot (Histoire de la Destruction du paganisme), a donné d'intéressants détails sur ce poète païen, qui fut général des troupes romaines en Espagne.

 

278

 

horrible. Boniface demeura donc à,,son poste, et ce fut alors qu'Aétius put sans peine convaincre Placidie de la rébellion du gouverneur de l'Afrique. Bientôt le comte se vit menacé de toutes les forces de l'Occident, commandées par Aétius lui-même.

Les blessures que l'injustice fait au coeur sont toujours les plus profondes; l'amer ressentiment qu'on éprouve est de nature à pousser aux inspirations du désespoir. En présence du violent orage dirigé contre lui, sans avoir rien fait pour mériter de telles colères, Boniface songea aux Barbares, ces instruments de toutes les vengeances divines et humaines. Il expédia à Gonderic, roi des Vandales, un messager fidèle, chargé de lui offrir l'alliance du comte et le tiers des possessions romaines dans l'opulente Afrique: de pareilles propositions n'étaient jamais refusées. En voyant le messager de Boniface, les Vandales croyaient déjà apercevoir les fécondes et magnifiques contrées promises à leur bravoure. La mort de Gonderic, qui mit Genseric à leur tête, vint donner à l'entreprise de terribles conditions de succès. L'armée -vandale, mêlée de Goths, d'Alains et d'hommes d'autres nations , évaluée à cinquante mille combattants, passa d'Espagne en Afrique, au mois de mai 428; les Espagnols, heureux d'être délivrés d'hôtes aussi redoutables, fournirent avec un joyeux empressement les navires, pour franchir le détroit de Gibraltar.

Divers alliés que le génie de Boniface avait tirés de l'intérieur de l'Afrique étaient venus ajouter aux forces du gouverneur romain dont la trahison venait de faire un révolté. Trois généraux de l'empire furent mis en déroute; mais ces défaites, qui diminuaient les forces romaines , n'étaient qu'un déplorable acheminement vers (exclusive domination des Barbares.

On se demande ici quelle était l'attitude d'Augustin vis-à-vis de l'homme, son ami, que les décrets de l'empire venaient de déclarer ennemi public. A la fin de l'année 427, Boniface était allé le visiter à Hippone ; mais le saint évêque se trouvait alors si souffrant, qu'il n'eut pas même assez de force pour lui adresser la parole. Depuis ce temps, Augustin n'avait point vu Boniface et n'avait pu lui écrire. Il n'était plus facile de garder des relations avec le comte; on eût été frappé de suspicion pour la moindre trace de correspondance avec le rebelle. L'évêque d'Hippone gémissait des maux qui commençaient à désoler l'Afrique , et surtout des maux plus grands encore qui la menaçaient; il attendait une occasion sûre pour donner d'utiles conseils à son ami. Cette occasion se présenta : le diacre Paul fut chargé d'une lettre qui est un monument historique d'un grand prix. En voici la substance :

Durant la maladie et quelque temps après la mort de sa première femme, Boniface avait eu le désir de quitter le monde et de se consacrer entièrement à Dieu; il confia ce dessein à Augustin, en présence d'Alype, dans un secret entretien qui eut lieu à Tubunes. L'évêque d'Hippone le détourna de son projet par des raisons tirées de l'intérêt de l'empire, et aussi de l'intérêt de la religion elle-même; il pensait qu'en demeurant à la tête des troupes romaines, dans les provinces d'Afrique, Boniface rendrait plus de services à la religion qu'en embrassant la vie monastique ; l'épée du comte pourrait être une puissante protection contre les barbares, et l'Eglise d'Afrique en retirerait du repos et de la sécurité. Quant à ses penchants vers une vie plus pieuse, Boniface pourrait s'y livrer par une ferme résolution de garder désormais la continence; et dans ce cas il lui faudrait s'armer intérieurement contre les tentations, autant et plus qu'il avait besoin de s'armer extérieurement contre les barbares. On s'était séparé à Tubunes dans la vive adoption de ces pensées.

Une remarque s'offre naturellement à l'esprit : si l'évêque d'Hippone avait laissé Boniface obéir à son goût pour la vie monastique, à son pieux dessein né tout à coup de la douleur, les Vandales ne se seraient pas aussitôt précipités sur l'Afrique. Cependant le conseil d'Augustin n'en fut pas moins dicté par une profonde sagesse et un intelligent amour de l'empire et de la foi catholique : nul génie ne pouvait prévoir alors les événements à la suite desquels Boniface ouvrit le passage aux Vandales.

Augustin, resté avec le souvenir de l'entrevue et des résolutions de Tubunes, fut bien douloureusement surpris en apprenant que Boniface avait passé la mer et s'était remarié,

 

1 Lettre 220.

 

279

 

et que sa seconde femme était une arienne. Elle s'appelait Pélagie, et descendait, selon quelques savants (1), des rois Vandales. On disait que l'entrée de Pélagie dans la foi catholique avait été une condition de ce mariage, mais cette condition n'était qu'une vaine espérance. Une fille de Boniface, née de son union avec Pélagie, avait été baptisée par les ariens. Le comte, ajoutait-on, avait souffert que les ariens rebaptisassent des vierges catholiques , et, pour comble de désordre , il donnait le scandale d'une violation publique de la foi conjugale : mais Augustin espérait que ces dernières énormités n'étaient que des calomnies.

Si l'évêque d'Hippone n'avait point affaire à un chrétien éclairé , que de choses il aurait à dire à Boniface ! Il presse donc le comte de se servir de sa lumière pour se juger et se repentir. Que de malheurs ont suivi son second mariage ! « Considérez vous-même ce que je ne veux pas vous dire, continue Augustin, et vous trouverez de quels maux il vous faut faire pénitence ! » Ces maux étaient l'arrivée des barbares. « Vous dites que vous avez eu de justes raisons pour agir ainsi, ajoute Augustin; je n'en suis pas le juge, parce que je ne puis entendre les deux parties ; mais quelles que soient vos raisons dont il n'est pas besoin de s'occuper ni de disputer en ce moment, pouvez-vous nier devant Dieu que vous ne seriez pas arrivé à cette nécessité, si vous n'aviez point aimé les biens de ce monde, ces biens que vous auriez dû mépriser et compter pour rien, en demeurant fidèle à votre pieux dessein de servir Dieu ? Et pour dire un seul mot de ces choses, qui ne voit que ces hommes unis à vous dans la défense de votre pouvoir et de votre vie, quelque inébranlable que soit leur fidélité, désirent cependant parvenir, grâce à vous, à ces avantages chers à leur coeur, non selon Dieu , mais selon le monde : ainsi donc , vous qui auriez dû refréner et dompter vos propres cupidités , vous êtes forcé de rassasier les cupidités d'autrui. » Augustin fait entendre à Boniface que toutes les ambitions remuées autour de lui ne se trouveront jamais suffisamment repues, et que des atrocités doivent sortir de leurs mécontentements : il lui montre les dévastations déjà accomplies.

« Que dirai-je, poursuit Augustin, que dirai-je

 

1 Baronius.

 

de l'Afrique dévastée par les barbares mêmes de l'Afrique, sans que personne les arrête? Sous le poids de vos propres affaires, vous ne faites rien pour détourner ces malheurs. Quand Boniface n'était que tribun, il domptait et contenait toutes ces nations avec une poignée d'alliés; qui aurait cru que Boniface , devenu comte et établi en Afrique , avec une grande armée et un grand pouvoir, les barbares se seraient avancés avec tant d'audace, auraient tant ravagé, tant pillé, et changé en solitudes tant de lieux naguère si peuplés? N'avait-on pas dit que, dès que vous seriez revêtu de l'autorité de comte, les barbares de l'Afrique ne seraient pas seulement domptés, mais tributaires de la puissance romaine? Vous voyez maintenant ce que sont devenues les espérances des hommes ; je ne vous en parlerai pas plus longtemps : vos pensées sur ce point peuvent être plus abondantes et plus fortes que nos paroles. Mais peut-être me répondrez-vous qu'il faut plutôt imputer ces maux à ceux qui vous ont blessé (1), et qui ont payé par d'ingrates duretés vos courageux services. Ce sont là des choses que je ne puis ni savoir ni juger ; voyez et examinez vous-même, non pas pour savoir si vous avez raison avec les hommes , mais si vous avez raison avec Dieu. »

Augustin cherche plus haut que des démêlés politiques la cause des maux tombés sur l'Afrique : il croit la voir dans les péchés des hommes. Il ne voudrait pas que Boniface fût de ceux dont Dieu se sert pour châtier les méchants sur la terre. L'évêque d'Hippone offre aux méditations du comte l'exemple du Christ qui apporta aux hommes tant de biens et en reçut tant de maux; ceux qui souhaitent appartenir à son divin royaume aiment leurs ennemis, font du bien à ceux qui les haïssent et prient pour leurs persécuteurs. Si le comte a reçu des bienfaits de l'empire romain, bienfaits terrestres et passagers comme l'empire lui-même, il ne doit point lui rendre le mal pour le bien; s'il en a reçu des maux, ce ne sont pas des maux qu'il doit lui rendre. Augustin ne veut et ne doit point s'inquiéter de savoir ce que Boniface a reçu en réalité; c'est à un chrétien qu'il parle, et le chrétien ne rend ni le mal pour le bien, ni le mal pour le mal.

 

1 Il s'agit ici très-évidemment de la conduite de l'impératrice Placidie et d'Aétius à l'égard de Boniface.

 

280

 

Le comte lui dira peut-être : Mais qu'ai-je à faire dans une pareille situation? Si c'est la conservation et même l'accroissement de ses richesses et de sa puissance qui préoccupent Boniface, Augustin ne saura quoi lui répondre : quel conseil certain peut-on lui donner pour des choses aussi incertaines? Mais si le comte demande à être éclairé selon Dieu, l'évêque d'Hippone lui répondra qu'il ne faut pas aimer, mais mépriser les choses de ce monde, et qu'il ne sert de rien à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme. Le détachement de la terre, la lutte contre ses cupidités, la pénitence pour les maux passés, voilà le conseil qu'Augustin lui donnera : il appartiendra à sa force d'âme de le suivre. Le comte demandera .encore comment il pourra sortir de tant d'engagements qui le lient l'évêque lui dit que Dieu l'exaucera dans la guerre contre ses ennemis invisibles, comme il l'avait exaucé tant de fois dans sa guerre contre les ennemis du dehors. Les biens de la vie, toutes les prospérités de la terre sont données indifféremment aux bons et aux méchants; mais le salut de l'âme, l'honneur et la paix de l'éternité ne sont donnés qu'aux bons. Augustin recommande l'amour et la poursuite de ces biens impérissables, et l'invite à l'aumône, à la prière, au jeûne. Si Boniface n'avait point de femme, l'évêque l'exhorterait à vivre dans la continence, et le saint vieillard ajoute que si l'intérêt des choses humaines le permettait, il lui conseillerait de renoncer aux armes et de se retirer dans les pieuses retraites où les soldats du Christ livrent des batailles contre les princes, les puissances et les esprits du mal.

C'est ainsi qu'on parlait alors aux hommes puissants quand ils étaient chrétiens. La religion fut toujours courageuse, et l'évêque d'Hippone n'épargne aucune vérité ; il trace hardiment la ligne du devoir à ce Romain dont la vive susceptibilité venait de changer tout à coup la face de l'Afrique. Ce précepte du christianisme, qu'il faut rendre le bien pour le mal, est d'un grand effet dans la lettre d'Augustin à l'homme de guerre qui avait été joué par les manoeuvres d'Aétius. Une touchante éloquence anime la parole de l'évêque d'Hippone; Boniface lui paraît si coupable comme chrétien, si dangereux comme chef d'une vaste coalition africaine contre l'empire, qu'il voudrait le voir au fond d'un monastère ! Dans

ce passage de sa lettre, Augustin laisse presque percer une sorte de regret de l'avoir retenu à Tubunes dans l'accomplissement de son projet de vie monastique. Cette belle lettre de l'évêque d'Hippone, qui exprimait aussi les opinions des peuples catholiques d'Afrique, produisit une vive impression sur le coeur du comte Boniface; elle fit naître en lui des sentiments généreux qui n'attendaient qu'une occasion pour éclater.

L'arianisme venait de faire irruption en Afrique avec les premiers pas des Vandales, et devait bientôt envahir cette terre tout entière. Il semble qu'Augustin ait pressenti l'invasion des doctrines d'Arius, car dix ans auparavant, il avait réfuté (1) article par article un discours en leur faveur qui s'était répandu dans Nippone ; il avait écrit aussi à un arien, homme puissant, le comte Pascentius, trois lettres pour lui expliquer la doctrine de l'Église sur la Trinité, et une lettre au seigneur Elpide, qui eût bien voulu, disait-il, tirer Augustin de son erreur touchant le Fils de Dieu. Le médecin Maxime avait abjuré l'arianisme en présence des évêques d'Hippone et de Thagaste. Les efforts du grand docteur prémunissaient ainsi la foi des catholiques africains contre des périls futurs.

En 428, la question de l'arianisme se présenta d'une façon plus sérieuse qu'auparavant dans la personne de Maximin, évêque de cette secte, venu à Hippone avec le comte Ségisvult et sa troupe de Goths mis au service de la troupe impériale. Une conférence (3) avec Maximin, commencée par le prêtre Eraclius, et continuée par Augustin, donna lieu à d'importants débats; l'assemblée était nombreuse des notaires recueillaient la discussion. Interrogé sur sa foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Maximin répondit que sa- profession de foi était celle du concile de Rimini (4) soutenu par cent trente évêques ; il confessa un seul Dieu Père, qui n'a reçu la vie de personne; un seul Fils qui a reçu du Père son être et sa vie ; un seul Saint-Esprit consolateur, qui illumine et sanctifie les âmes. Pressé

 

1 Livre contre le Sermon des Ariens. Tome VIII, p. 626, édition des Bénédictins.

2 Ces lettres sont classées parmi celles dont la date n'est pas connue. Pascentius, battu par saint Augustin dans la dispute sur l'arianisme, trouva le moyen de tout dénaturer à son profit; mais saint Augustin rétablit les faits et la vérité.

3 Collatio cum Maximino, t. VIII, p. 650. Possidius raconte la conférence avec Maximin, dans le dix-septième chapitre de la Vie de saint Augustin.

4 L'Église a rejeté le concile de Rimini.

 

281

 

de s'expliquer sur la manière dont le Christ illumine le monde, savoir, si le Christ illumine par l'Esprit-Saint ou l'Esprit-Saint par le Christ, l'évêque arien, après bien des divagations, fit entendre que le Saint-Esprit est soumis au Verbe. Augustin lui montra l'inexactitude de cette parole, et ajouta quelques mots sur l'égalité des trois personnes divines qui forment un seul Seigneur.

Il parut à Maximin que le saint docteur n'avait pas suffisamment établi la mystérieuse égalité des trois personnes. Augustin répondit que le nombre trois ne contraignait point les catholiques d'admettre trois dieux; que chacune des trois personnes est Dieu, mais que la Trinité est un Dieu unique. Si l'Apôtre, ajoutait le docteur, a pu dire avec vérité qu'après la descente du Saint-Esprit des milliers d'hommes n'avaient qu'un corps et qu'une âme, à plus forte raison pouvons-nous proclamer l’unité divine dans les trois personnes inséparablement liées par un ineffable amour ! Maximin prit texte de cette observation pour appuyer ses propres pensées : « Si tous les croyants ne faisaient qu'un coeur et qu'une âme, pourquoi ne dirions-nous point que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne font qu'un Dieu dans la convenance, l'amour et la conformité de sentiment? Qu'a fait le Fils qui n'ait plu au Père? Qu'a ordonné le Père que n'ait exécuté le Fils? Quand donc le Saint-Esprit a-t-il donné des commandements contraires au Christ ou au Père ? » D'après Maximin, l'Esprit-Saint est soumis au Fils, parce que son office est de gémir pour nous. L'évêque d'Hippone explique ce qu'il faut entendre par les gémissements inénarrables du Saint-Esprit, dont parle l'apôtre saint Paul.

Maximin ne voit dans les rapports du Fils et du Saint-Esprit avec le Père que des rapports de prières et d'adoration, d'amour et de paix. Le seul Dieu tout-puissant, c'est le Père. Maximin veut prouver l'infériorité du Fils par tous les passages de l'Ecriture qui parlent du Verbe divin comme homme. Il demande des textes qui disent qu'il n'est pas né et n'a pas eu de commencement, et que nul n'a pu voir sa face. Qu'Augustin produise des preuves, et Maximin deviendra volontiers son disciple. L'évêque arien adorait le Christ comme auteur de toute créature, et notre docteur, dans sa réponse, montre à Maximin qu'il proclame ainsi deux dieux, deux seigneurs: l'un plus grand, l'autre moindre. Il lui dit que le Christ fut visible comme homme, ruais qu'il demeura invisible comme Dieu. Dans sa nature divine, le Christ est égal au Père, également Dieu, également tout-puissant, également immortel. S'il est vrai que l'âme ne puisse pas mourir, pourquoi le Verbe serait-il mort? Pourquoi la sagesse de Dieu, incarnée dans l'homme-Dieu, serait-elle morte? Jésus a dit : Mon Père et moi nous ne faisons qu'un; l'Apôtre a dit en parlant du Sauveur : Il n'a pas cru rien usurper en se proclamant égal à Dieu(1). C'était sa nature et non point un vol. Il n'a point usurpé cela, il est né cela (2). L'infériorité du Verbe a commencé le jour qu'il a pris la forme d'un esclave. Les raisonnements d'Augustin sont les mêmes que ceux dont nous avons donné l'analyse dans le chapitre sur le Traité de la Trinité. En finissant, l'évêque d'Hippone demande à Maximin plus de sobriété dans la parole (3). Maximin, dans sa réplique, d'une longueur démesurée (4), adore le Christ à la manière de saint Paul, dit-il, qui nous montre tous les genoux fléchissant devant Jésus au ciel, sur la terre et aux enfers. Le Christ doit au Père ces merveilleux privilèges. Maximin désirerait des témoignages qui pussent établir l'adoration due à l'Esprit-Saint; il fait observer que le Père n'a pris ni la forme d'un esclave comme le Fils, ni la forme d'une colombe comme le Saint-Esprit; il est celui qui est et ne change point.

La réplique de Maximin avait pris tout le temps qui restait pour la conférence; l'évêque d'Hippone put à peine ajouter quelques mots. Maximin avait dit que le docteur parlait avec l'appui des princes, et non point selon la crainte de Dieu. « Celui-là ne craint pas Dieu, répondit le saint vieillard, qui introduit deux dieux et deux seigneurs. » Il invita son adversaire à croire afin de voir : Crede et videbis. Tous les deux signèrent ensuite les. actes de la conférence ; Augustin promit de reprendre la discussion dans un écrit, car Maximin voulait retourner tout de suite à Carthage. Celui-ci s'engagea à répondre à cet écrit sous peine d'être déclaré coupable, et l'assemblée se sépara.

Le verbeux évêque de l'arianisme entassait

 

1 Philip., II, 6.

2 Natura enim erat, non ropina; non enim usurpavit hoc, sed natus est hoc.

3 Si non vis esse discipulus, noli esse multiloquus.

4 Cette réplique tient quatorze colonnes in-folio.

 

282

 

les citations de l'Ecriture sans but précis, répandait des torrents de phrases pour prouver ce qui n'avait pas besoin de preuves, et laissait de côté la question même à laquelle il fallait donner une solution. Il flottait devant le grand logicien d'Hippone comme quelque chose d'insaisissable et de confus; le docteur était tour à tour condamné à courir après lui pour le retenir dans les limites de la discussion, et à subir un déluge de mots qui rendait peu facile la netteté des réponses. Le reproche de multiloquus parut lui déplaire, mais ne changea rien à sa prolixité vagabonde. Les discours de Maximin donnent d'ailleurs l'idée d'un homme habile et fin, instruit dans les Ecritures, et d'un orgueilleux aplomb. Revenu à Carthage, il parla de la conférence d'Hippone comme d'une victoire qu'il venait de remporter; il chantait la défaite de son adversaire, mais on croyait trop au génie et à la cause du grand évêque pour croire au triomphe de Maximin.

Augustin tint sa promesse; il écrivit aussitôt deux livres (1) adressés à l'évêque arien, sous la forme épistolaire. Dans le premier livre, il fit voir que rien de ce qu'il avançait n'avait été réfuté par Maximin ; dans le deuxième livre, il démolit pièce à pièce toutes les assertions de l'évêque hérétique, et ses dernières pages sont une fraternelle invitation à la foi catholique. Maximin ne répondit point; son silence fut celui d'un vaincu, et l'Afrique chrétienne eut le droit de le croire coupable (culpabilis), comme il l'avait dit lui-même en signant les actes de la conférence d'Hippone.

 

1 Deux livres contre Maximin, hérétique, évêque des Ariens. Tome VIII, p. 678.

 

Haut du document

 

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante