CHAPITRE XLI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME. Les sermons de saint Augustin (1).

 

Arrêtons-nous ici pour connaître, de plus près que nous ne l'avons fait jusqu'à présent, un des côtés importants de la vie de l'évêque d'Hippone. Nous avons été amené plus d'une fois à citer des discours ou homélies d'Augustin, à caractériser sa manière de prêcher, mais nous ne sommes pas entré assez profondément dans l'esprit qui animait ce grand homme lorsqu'il prenait la parole au milieu d'un auditoire chrétien , et nous n'avons pas fait respirer suffisamment le parfum de cette éloquence si pénétrante et si douce.

Nous ne pensons pas qu'on doive imposer à l'éloquence chrétienne une forme dont elle né puisse s'affranchir. Chaque orateur évangélique parle d'après son esprit, d'après les mouvements de son coeur; la chaire catholique produit de salutaires effets avec des moyens différents. Outre la diversité des intelligences et des caractères, il est une diversité des temps dont il faut tenir compte. La langue, les moeurs, les dispositions morales d'une époque sont à considérer. Bourdaloue, Massillon et Bossuet ne prêchaient pas comme saint Cyprien, saint Athanase, saint Chrysostome, saint Augustin ; nos meilleurs orateurs contemporains ne distribuent pas les divins enseignements à la façon de saint Bernard ou de Foulques de Neuilly. Le seul devoir imposé à tout orateur chrétien et dans tous les temps, c'est

 

1 Nous trouvons les sermons de saint Augustin rangés en ordre dans le tome V de ses oeuvres (édit. des Bénéd.); ils sont partagés en cinq classes. La première classe renferme cent quatre-vingt trois sermons sur l'Ecriture sainte; la seconde, quatre-vingt-buit sermons sur les principales fêtes de l'année ; la troisième, soixante-neuf sermons sur les fêtes des saints; la quatrième, vingt-trois sermons sur divers sujets; la quatrième classe contient trente et un sermons qui peuvent ne pas appartenir à saint Augustin. Les Bénédictins ont placé dans un appendice au tome v trois cent dix-sept sermons faussement attribués à l'évêque d'Hippone. Nous avons donc trois cent soixante-trois sermons, sans compter quelques autres, tels que les sermons sur la Prise de Rome, sur l'Utilité du jeûne, sur la Discipline chrétienne, qui ont été prononcés par le grand docteur, soit à Hippone, soit à Carthage Une analyse de ces discours remplirait un volume. Les sermons de saint Augustin n'ont pas une grande étendue, ce qui s'explique par la coutume des fidèles de les écouter debout. On recueillait les instructions du saint évêque à mesure qu'il les prononçait; puis il les revoyait, et retranchait ou augmentait selon qu'il le jugeait convenable.

 

l'exactitude religieuse, c'est le désir d'accomplir le bien.

Le complet oubli de soi forme le trait saillant de la physionomie de saint Augustin. Son soin principal était de détourner de lui les regards des hommes. « On ne vit jamais, dit un de ses biographes, un grand homme plus petit, et une lumière plus amoureuse des ténèbres (1) ». Avec cette constante préoccupation, comment Augustin, en présence des fidèles qui l'écoutent, songerait-il à gagner l'adoration par l'art et la méthode , par les ornements du langage? Savez-vous ce qu'il dit d'abord à son auditoire? Il recommande sa faiblesse aux prières de ceux qui sont venus l'entendre , et confesse son ignorance; l'évêque se déclare serviteur et non pas père de famille en lui tout est pauvreté, mais il puise dans le trésor du Seigneur; il a peu de forces, mais n'ignore pas que la parole de Dieu en ad grandes. On est saisi d'un sentiment indéfinissable en entendant Augustin dire à son peuple : « Dieu sait avec quel trembleraient je me tiens en sa présence, quand je vous parle. »

A voir l'extrême simplicité de ses sermons instructions ou homélies, il semble qu'Augustin n'ait pas voulu mêler les accents humais aux accents de la divine majesté. Le saint pasteur fait parler le ciel et juge la voix de la

 

1 Godeau, Vie de saint Augustin, liv. II, chap. 22.

 

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terre trop indigne. Ce n'est plus un homme de génie qui enseigne, c'est un ami qui veut éclairer et rendre meilleur des amis rangés autour de lui. « J'aime mieux, disait-il, que les grammairiens me reprennent que si les peuples ne me comprenaient point (1). » Lorsqu'Augustin s'élève, c'est son sujet qui l'élève et non pas son génie, pareil à la vague de la mer, portant parfois jusqu'aux cieux l'homme dont elle est devenue le coursier.

En lisant les sermons ou homélies du grand évêque, nous ne comprendrons jamais les prodigieux effets qu'ils ont produits si, dans notre pensée, nous les séparons du ton et des larmes d'Augustin. Jamais âme ne fut plus féconde en émotions, et nul plus qu'Augustin ne connut les chemins du coeur. Si tout l'art oratoire se réduit à la puissance d'instruire et de toucher, il posséda cet art dans sa plus merveilleuse étendue, car son langage était toujours solide, et Dieu avait mis sur ses lèvres une grâce persuasive à laquelle on ne résistait pas. Il y a dans une sensibilité profonde des ressources infinies pour remuer un auditoire. Le son de la voix d'Augustin, les pleurs qui s'échappaient de ses yeux, les trésors de son amour et de sa compassion, attendrissaient et subjuguaient les assistants. Les larmes , que ce grand homme appelle le sang du coeur (2), avaient chez lui une éloquence qui pénétrait jusqu'aux entrailles. C'est surtout quand il parlait des pauvres qu'il ;était touchant; il tirait alors du fond de son âme des accents qui amollissaient les coeurs les plus durs.

Les discours de saint Augustin ont des redites et des longueurs, dont on peut aisément se rendre compte. L'évêque d'Hippone méditait son sujet à l'avance, mais n'écrivait pas ses sermons. Il se réservait ainsi de répéter et d'éclaircir des vérités jusqu'à ce qu'il reconnût que son auditoire le comprenait tout à fait. Augustin a remarqué lui-même que les prédicateurs qui apprennent leurs sermons mot à mot se privent d'un grand fruit.

Ce docteur, qui, dans ses prédications, négligeait la rhétorique et les beautés du langage, savait pourtant tous les secrets de frapper les intelligences avec les moyens humains, et les chaires de Carthage, de Rome et de Milan n'avaient point oublié ses leçons. Il ne s'abandonnait à son génie que lorsqu'il prêchait dans cette ville de Carthage, surnommée au deuxième

 

1 Enarr. In Ps. — 2 Serm 99.

 

siècle la Muse de l'Afrique, lorsqu'il avait devant lui un élégant auditoire accoutumé à l'éclat de la parole. Partout ailleurs et surtout dans sa chère Hippone, peuplée de marins et de grossiers travailleurs, Augustin demeurait simple et ne s'occupait que d'être compris. Il règne dans le volumineux recueil de ses sermons une variété de tons qui révèle une prodigieuse souplesse. Le langage d'Augustin prédicateur parcourt en quelque sorte tous les degrés de l'échelle des intelligences.

Ouvrons le volume des oeuvres d'Augustin renfermant les discours ou instructions sortis de cette bouche qui ne demeurait jamais muette, et faisons entendre quelque faible écho de la voix dont retentirent les basiliques d'Hippone et de Carthage, de Constantine, de Calame et de Césarée. Tous les siècles peuvent profiter des leçons de religion et de morale. On verra que cette parole toujours simple ne va jamais sans vivacité et sans profondeur. Il nous est impossible de suivre un ordre parfait dans le choix des idées et des enseignements; nous les recueillons à mesure qu'ils s'offrent à nous, et comme tout se tient dans ces matières, on garde, quoi qu'on fasse, une sorte d'ensemble et d'harmonie.

La fragilité de la vie et le peu qu'elle vaut, la mort vers laquelle nous marchons malgré nous, ont toujours occupé les moralistes. —  Augustin (1), s'adressant à un auditoire composé de travailleurs, énumère les fardeaux qui pèsent sur eux: Pour se nourrir, on laboure, on sème, on moissonne, on manipule le grain changé enfarine; mille tissus sont employés pour se vêtir, et puis on meurt. L'homme voit crouler autour de lui les monuments les plus solides, et ne songe pas qu'il doit mourir. Lorsque arrivent les mauvais jours, on invoque le trépas, on demande à Dieu d'abréger la vie; et nous nous trompons encore ici nous-mêmes. Si la mort, répondant à notre appel, se présentait et disait : Me voici, oh ! comme nous nous hâterions de la supplier de nous laisser dans cette misérable vie ! Chacun répète que les jours d'ici-bas sont tristes, et nul ne veut en voir la fin ! et pourtant, vivre longtemps, ce n'est pas autre chose que souffrir longtemps. Quand les enfants croissent en âge, on dit que leurs jours deviennent plus nombreux : faux calcul ! leurs jours diminuent. Les jours de l'homme s'en vont et ne viennent pas.

 

1 Sermon 84.

 

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Admettez qu'un homme soit appelé à atteindre jusqu'à la quatre -vingtième année ; chaque jour qui s'écoule est autant de retranché de sa vie. O prudence humaine ! Si le vin diminue dans l'amphore, on est mécontent; les jours s'en vont, et on se réjouit ! on dirait que plus les jours sont mauvais, plus on les aime.

La vie ou plutôt la mortalité de cette vie, dit Augustin (1), passe comme un fleuve. Voyez toutes choses ; elles passent et sont remplacées par d'autres qui passent aussi. La foi religieuse aide à franchir le fleuve sans péril. Au delà du fleuve, plus rien ne sera entraîné; il n'y aura plus de mortalité, il y aura la vie. Augustin (2) ne voit pas sans tristesse comment le mouvement et la vie se retirent d'un corps d'où l'âme est absente; un homme marchait dans la liberté de sa force, et le voilà étendu raide ; il parlait, et ses froides lèvres sont muettes ; ses yeux ne reçoivent plus la lumière, ses oreilles n'entendent plus  aucun bruit. Les pieds ne sont plus poussés à la marche, les mains au travail, les sens à l'exercice de leurs facultés. Ce corps immobile est comme une maison dont je ne sais quel habitant faisait l'ornement et la gloire : il est parti, et ce qui reste est une chose lamentable à voir !

L'évêque d'Hippone (3) nomme le péché comme père de la mort, et ne voit sur la terre qu'une seule chose certaine, la mort. Tout est caché dans les ténèbres du lendemain. Mais nous sommes nés, et il est bien certain que nous mourrons, et même dans la mort il est quelque chose d'incertain, c'est le jour de son arrivée ; nous ne savons pas où nous serons quand le maître de la maison nous dira : Partez.

On fait un testament avant de mourir, on est inquiet pour ce qu'on laisse, et on ne s'inquiète pas pour soi-même. Vos enfants auront tout, et vous, rien. Votre pensée se sera consumée à rendre facile la route à ceux qui viennent après vous (4), et vous ne vous préoccupez pas du lieu où vous arriverez vous-mêmes. Les hommes ne pensent à la mort qu'au moment où ils voient porter un cadavre en terre. Alors on dit : « Hélas ! c'est un tel; hier il marchait encore; il n'y a qu'une semaine que je l'ai vu, il m'a parlé de telle affaire ; « comme c'est malheureux ! l'homme n'est donc rien ici-bas ! » Voilà ce qu'on dit pendant qu'on pleure encore ce mort, pendant

 

1 Enarr. in Ps. LXV, 2. — 2 Sermon 173. — 3 Enarr. Ps. XXXVIII. —  4 Sermon 361.

 

qu'on prépare sa sépulture, durant la marche du convoi et lorsqu'on le descend dans la fosse Mais une fois le mort enseveli, toutes ces pensées sont aussi ensevelies. Et l'on recommence à s'occuper d'affaires, et l'héritier oublie cela qu'il vient d'accompagner à la tombe et calcule les produits de son héritage. Cependant lui aussi doit mourir, et voilà qu'il recommence fraudes, rapines et parjures pour obtenir de plaisirs qui périssent pendant même qu'on les goûte : et ce qui est plus triste, on tire de t sépulture d'un mort un argument pour ensevelir son âme : Mangeons et buvons, dit-on, car nous mourrons demain. La pensée de l'immortalité vient adoucir ces lugubres images du sépulcre. Augustin rappelle que saint Paul appelle les morts ceux qui dorment, pour annoncer le réveil, c'est-à-dire la résurrection.

On entend quelquefois traiter d'insensés ceux qui croient à la résurrection des morts . Qui est revenu du tombeau, disent les in croyants, qui est venu nous dire ce qu'on fait dans les enfers? Ai-je jamais entendu la voix de mes frères, de mon aïeul, de mes ancêtres?... Malheureux que vous êtes, dit Augustin (1), vous croiriez si votre père ressuscitait et, après la résurrection du Seigneur de tous vous ne croyez pas ! et que ferait votre Or s'il ressuscitait et venait vous parler pour rentrer bientôt dans la mort ? Voilà bien mieux ici : regardez avec quelle puissance Jésus Christ est ressuscité, puisqu'il ne meurt pas puisque la mort n'aura plus d'empire sur lui Les disciples et les fidèles ont pu le voir et le toucher; ils ont ainsi confirmé leur foi pou la porter ensuite devant les hommes. Si vous nous prenez pour des imposteurs, interroge toute la terre : partout le christianisme donne la vie au monde; ceux-là mêmes qui n'ont pas encore cru en Jésus-Christ n'osent attaquer la vérité de la résurrection. Témoignage dans ciel, témoignage sur la terre, témoignage de anges, témoignage des enfers : il n'est pas un voix qui ne crie que Jésus-Christ est ressuscité

Voici qui est doux, ingénieux, poétique (2):  « Une personne que vous aimez a cessé vivre, vous n'entendez plus sa voix; elle ne mêle plus aux joies des vivants, et vous, vous  pleurez. Pleurez-vous aussi sur la semence  lorsque vous l'avez jetée dans la terre? Sil homme, ne sachant rien de ce qui doit arriver quand on confie le grain à la terre, allait se

 

1 Sermon 361. — 2 Sermon 361.

 

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lamenter sur la perte de ce grain; s'il gémissait en songeant que ce blé est enfoui , et s'il attachait des yeux pleins de larmes sur les sillons qui le couvrent, vous, plus instruit que lui , n'auriez-vous pas pitié de son ignorance? ne lui diriez-vous pas : Plus d'inquiétudes ; ce que vous avez enseveli n'est plus dans le grenier, n'est plus entre vos mains; mais encore quelques jours, et ce champ que vous trouvez si aride sera couvert d'une abondante moisson, et vous serez plein de joie de la voir, comme nous qui, sachant ce qui va arriver, sommes pleins de joie dans cette espérance.

« Mais les moissons se voient chaque année, tandis que celle du genre humain n'aura lieu qu'une fois, et encore à la fin des siècles; nous ne pouvons donc pas vous la montrer. Mais l'exemple nous a été donné d'un grain principal : le Seigneur, parlant lui-même de sa mort future, a dit : Si le grain demeure ainsi, et s'il ne meurt pas, il ne se multiplie point. C'est l'exemple d'un seul grain, mais il est si grand que tous doivent y avoir foi. D'ailleurs, toute créature, si nous voulons l'entendre, nous parle de la résurrection, et ces exemples quotidiens doivent nous faire connaître ce que Dieu fera aussi de tout le genre humain. La résurrection des morts n'aura lieu qu'une fois, mais le sommeil et le réveil de tout ce qui respire ont lieu tous les jours, et nous trouvons dans le sommeil l'image de la mort, et dans le réveil l'image de la résurrection. Et, d'après ce qui se fait tous les jours, croyez ce qui se fera une fois. Comment tombent et repoussent les branches des arbres? où vont-elles quand elles sont tombées? d'où sortent-elles quand elles poussent? Voilà l'hiver : tous les arbres se dessèchent et semblent morts ; mais le printemps vient, et tous vont se couvrir de feuilles. Est-ce la première fois que ce phénomène arrive? Non, il est arrivé également l'année dernière. L'année va donc et revient, et les hommes, créés à l'image de Dieu , une fois morts ne reviendraient pas ! »

Ecoutons Augustin parler des dogmes chrétiens depuis la naissance du Sauveur du monde jusqu'à sa mort.

Le Christ, Verbe éternel, a voulu naître d'une mère vierge. Si vous demandez que je vous l'explique, ce ne sera plus un mystère; si vous en cherchez des exemples, ce ne sera plus une chose unique (1). Qui pourrait

 

1 Sermon 13.

 

comprendre une chose si nouvelle , si incroyable, et dont la foi cependant est dans tout l'univers (1) ? Le Christ homme, voilà l'honneur de l'homme; mais il reçoit son corps d'une mère , voilà la gloire de la femme. Il eut pour vêtement des haillons, pour berceau une crèche; il remplissait le monde et ne trouva pas de place dans une hôtellerie. Celui qui portait l'univers était caché entre le boeuf et l'âne.

Le divin enfant de la Judée a des bergers pour premiers adorateurs; ensuite, des étrangers , des mages viennent lui apporter l'encens et la myrrhe. La bonne nouvelle est annoncée aux uns par des anges, aux autres par une étoile (2); tous l'apprennent du ciel; les juifs et les gentils se trouvent ainsi convoqués dans une pensée d'unité et de paix. Les mages reconnurent le Messie dans un petit enfant pauvre et sans parole ; les juifs, qui entendirent ses divins enseignements, le maltraitèrent; les mages adorèrent Jésus dans sa faiblesse, les juifs le crucifièrent dans l'éclat de sa puissance. Etait-ce une plus grande chose de voir briller une étoile à sa naissance que de voir le soleil se voiler à sa mort? Si l'étoile se coucha quand les mages entrèrent à Jérusalem, c'était pour que leurs questions obligeassent les juifs de reconnaître le témoignage des Ecritures.

En se faisant homme, le Verbe éternel n'a pas plus changé qu'un homme qui prend un vêtement; il ne devient pas vêtement: mais il demeure toujours le même (3). Si un sénateur, ne pouvant entrer en habit de sénateur dans une prison où il voulait aller consoler un malheureux esclave, prend un habit d'es.clave, il paraît vil à l'extérieur, mais il conserve toujours sa dignité , et cette dignité est d'autant plus relevée , que le libérateur a voulu s'abaisser pour une plus grande miséricorde.

Naître, travailler et mourir, voilà les fruits que produit cette terre, voilà aussi ce que Jésus-Christ a trouvé au milieu des hommes. Qu'a-t-il donné en échange? renaître, ressusciter, vivre éternellement.

Jésus-Christ veut que nous l'imitions. Est-ce dans les grandeurs et la puissance de sa divinité 19 Nous oblige-t-il à gouverner comme lui le ciel et la terre, à, créer un second univers? Il ne nous dit point: Si vous voulez être mes disciples, marchez sur la mer, ressuscitez

 

1 Sermon 190. — 2 Sermon 199. — 3 Sermon 264. — 4 Enarr. ps. XC.

 

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un mort de quatre jours, rendez la vue à un aveugle-né, mais il nous dit: Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. Il est celui à qui il a été dit: Vous êtes le seul qui accomplissiez des merveilles; mais ce n'est point à cela qu'il nous invite. Il veut que nous imitions ce qu'il a fait comme homme. Or, souffrir, être humilié, mourir, voilà l'homme !

Le Fils de Marie a pris toutes nos infirmités afin de pouvoir rassembler sous ses ailes les enfants de Jérusalem, comme la poule rassemble ses petits. Voyez quelle image le Seigneur a choisie (1) ! Les autres oiseaux qui ont des petits, ceux-là mêmes qui font leurs nids sous nos yeux, ne montrent pas la même sollicitude. Le passereau solitaire, l'hirondelle fidèle à notre toit, la cigogne et beaucoup d'autres oiseaux réchauffent leurs oeufs, nourrissent leurs petits , mais nul oiseau ne s'abaisse et ne se fait infirme avec ses petits comme la poule. Certes, s'écrie Augustin, je dis une chose commune, et qui frappe nos yeux chaque jour. Voyez comme la voix de la poule devient rauque et entrecoupée, comme tout son corps se hérisse, ses ailes s'abattent, ses plumes s'élargissent, comme elle marche avec inquiétude autour de ses petits ! C'est l'image de la tendresse maternelle , et c'est pour cela que le Sauveur 1'a choisie en disant: « Jérusalem ! Jérusalem ! combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu ! » Il a rassemblé toutes les nations comme une poule rassemble ses petits, lui qui s'est fait infirme pour nous, qui a été méprisé, souffleté, flagellé, attaché au gibet, percé d'une lance voilà bien toute la désolation de la tendresse maternelle, mêlée cependant d'une majesté divine.

L'évêque d'Hippone (2) nous montre la divine puissance de Jésus mourant; il nous montre le Christ sur la croix, attendant librement que tout soit accompli avant de mourir. Bourdaloue a magnifiquement développé cette pensée dans la première partie de son sermon sur la Passion de Jésus-Christ, où il fait voir que, dans le mystère de la Passion, le Sauveur a fait paraître toute l'étendue de sa puissance. Il ne cite pas saint Augustin, mais il cite saint Paul, qui le premier montra dans le Christ crucifié un miracle de la force de Dieu (3).

 

1 Enarr. Ps. LVIII. — 2 In Joan. XXXI. — 3 Christum crucifixum Dei virtutem.

 

Augustin (1) proclame la gloire de la croix, longtemps un objet d'horreur, et qui maintenant se pose sur le front des rois. Ce n'est point le fer, c'est le faible bois qui a dompté l'univers. Quel est donc ce conquérant qui s'avance ? C'est le Christ, qui, avec sa croix, a vaincu tous les potentats de la terre; après les avoir subjugués, il a planté sa croix sur leur front, et ces monarques s'en glorifient, parce, que là est toute leur espérance (2). Il avait donné, aux mages un signe pour qu'ils le connussent, c'était une étoile ; mais ce n'est pas le signe qu'il a choisi pour lui; ce n'est pas une étoile qu'il a voulu placer sur le front de ses serviteurs, c'est la croix. Il veut être glorifié par où il a été humilié (3). Ceux qui assistaient au crucifiement croyaient ce bois digne de mépris; ils passaient en secouant la tête et disaient: Si cet homme est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix ! Mais Jésus cachait sa puissance, parce qu'il le fallait pour être jugé (4). S'il l'avait montrée , qui aurait osé le condamner? S'ils l'avaient connu, dit l'Apôtre , ils n'auraient jamais crucifié le Roi de gloire.

A ceux qui demandent l'explication des miracles par le sens humain, Augustin demande l'explication d'un fait bien commun. « Pourquoi, leur dit-il, la semence d'un figuier, qui est un gros arbre , est-elle si petite qu'à peine est-elle visible? Cependant vous savez, non par le témoignage de vos -yeux, mais par celui de votre esprit, que les racines et le tronc de cet arbre, les feuilles dont il doit se couvrir et les, fruits qu'il doit porter, sont cachés et renfermés dans cette graine, toute petite qu'elle soit, Je ne vais pas plus loin. Eh quoi ! vous ne pouvez me rendre raison d'une chose si commune, et vous voulez me demander raison des plus grands miracles ! Lisez donc l'Evangile et croyez. Une chose qui surpasse tout et que vous n'admirez pas, c'est que rien n'existait d'abord, et voilà le monde (5). »

Le Sauveur avait dit: Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel. Là-dessus, des hérétiques avaient cru devoir nier l'ascension glorieuse , parce que le corps de Jésus, n'étant pas descendu du ciel, n'avait pas pu y monter. « Mais, dit Augustin, Notre-Seigneur n'a pas dit: Rien ne monte au ciel que ce qui en est descendu; mais il a dit: Personne  ne monte au ciel que celui qui est descendu

 

1 Enarr. Ps. LIV. — 2 Ps. XCV. — 3 In Joan.; III. — 4 Sermon 263. — 5 Sermon 247.

 

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du ciel. Cela se rapporte donc à sa personne , et non à son vêtement. Il est descendu sans le vêtement de son corps, il est monté avec le vêtement de son corps ; mais celui qui monte n'est pas autre que celui qui est descendu.... Si quelqu'un descend d'une montagne ou d'un rempart sans vêtement ou sans armes, et qu'il y remonte- bien vêtu ou. bien armé, n'est-ce pas toujours la même personne (1) ? »

Augustin est toujours éloquent lorsqu'il parle de Dieu. L'enthousiasme excite alors son génie, et ceux qui l'écoutent sont ravis.

« O mes bien aimés frères ! s'écrie-t-il dans un de ses sermons (2), quelle parole passagère comme la nôtre louera dignement la parole éternelle, le Verbe de Dieu? Comment un si pauvre instrument pourra-t-il suffire à raconter les grandeurs infinies? Que les cieux le louent, que les voûtes des cieux le louent, que les puissances de l'air le louent, que les grands luminaires du firmament et les astres redisent sa gloire; que la terre le loue aussi comme elle pourra; si elle ne sait le célébrer dignement, qu'au moins elle ne soit pas ingrate. Expliquez et comprenez Celui qui, dans sa puissance, atteint d'une extrémité à l'autre, et qui ordonne tout dans sa bonté. Comment se lève-t-il pour courir cette immense carrière dans laquelle il part du plus haut des cieux et veut remonter au plus haut des cieux? S'il atteint partout, d'où a-t-il pu sortir? S'il atteint partout, où peut-il aller? Il n'est point circonscrit par les lieux ni changé par les temps, il n'a ni entrée

 

1 Sermon 263. — 2 Sermon 377.

 

ni sortie ; demeurant en lui-même, il remplit et environne tout. Quels espaces ne le possèdent dans sa toute-puissance, ne le contiennent dans son immensité, ne le sentent dans son action ? Voyez tout ce que j'ai dit, et ce n'est rien. Mais pour que les humbles créatures puissent dire quelque chose de lui, il s'est humilié en prenant la forme d'esclave, est descendu sous cette forme, et, selon l'Evangile, il a avancé par degrés dans l'étude de la sagesse. Sous cette forme d'esclave, il a été patient et a combattu vaillamment; il est mort et a vaincu la mort; sous cette forme, il est rentré au ciel, lui qui n'a jamais quitté le ciel..... Quel est donc ce roi de gloire, pour lequel il est dit : Elevez vos portes, ô prince! Portes éternelles, élevez-vous ? Elevez-vous, car il est grand ; vous ne pourriez lui suffire; élevez-vous, afin qu'il entre, ce roi de gloire ! Et les princes sont dans l'étonnement; ils ne le connaissent pas. Quel est ce roi de gloire? Il n'est pas seulement Dieu, mais il est homme; il n'est pas seulement homme, il est Dieu. Il souffre? n'importe, il est Dieu. Il ressuscite? n'importe, il est homme. Est-il donc Dieu et homme? Elevez vos portes, ô prince ! Portes éternelles, élevez-vous, et le roi de gloire entrera..... C'était chose nouvelle pour les enfers de recevoir un Dieu, chose nouvelle pour les cieux de recevoir un homme, et partout les princes, saisis de surprise, demandent : Quel est ce roi de gloire? Ecoutez la réponse : C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats! »

 

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