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CHAPITRE DIX-HUITIÈME. Crispinus de Calame. —  Concile de Carthage en 401. —  Les livres sur le Mariage et sur la Virginité. —  Les trois livres contre Pétilien. —  Le livre de l'unité de l'Eglise. —  Saint Augustin échappe par miracle aux circoncellions. —  Pammachius. (401-404.)

 

L'historien de saint Augustin a peu d'événements à raconter. Sa principale tâche est de faire connaître l'homme et ses oeuvres , les doctrines et le mouvement d'idées dont l'évêque d'Hippone était devenu le centre admirable, et les différentes opinions religieuses qu'il fut obligé de combattre afin de dégager la vérité chrétienne et catholique de ce qui n'était (92) pas elle. Le plus souvent il s'agit donc pour nous d'interroger, d'étudier, d'apprécier la correspondance d'Augustin et ses ouvrages si nombreux. C'est là un rude labeur, et, pour que la plume ne tombe pas de nos faibles mains, nous avons besoin de nous redire à nous-même que, jusqu'à ce jour, la grande figure d'Augustin n'a pas été suffisamment mise en lumière, que son oeuvre si grande et si forte n'a point été encore montrée tout entière aux regards de la multitude des lecteurs, et que notre travail, où se découvrent les origines, les bases, le vrai caractère de la religion chrétienne, pourra être de quelque utilité aux esprits studieux, aux coeurs portés vers les choses divines.

Crispinus, évêque donatiste de Calame, avait acquis le domaine de Mapale ou Mapalie (1), auprès d'Hippone , et fait rebaptiser de force quatre-vingts catholiques de ce lieu. Augustin en fut affligé ; il aurait eu le droit de soumettre Crispirius à l'amende de dix livres d'or, portée par un édit de l'empereur Théodose, mais il aima mieux lui écrire (2), pour lui inspirer la crainte de Dieu, au lieu de la crainte des puissances de la terre. Qu'aurait à répondre l'évêque donatiste si Jésus-Christ lui disait: Quoi ! Crispinus, vous estimez plus ce qui est sorti de votre bourse, pour réduire vos paysans à se laisser rebaptiser, que ce qui est sorti de mon flanc pour laver et baptiser toutes les nations du monde ! — Augustin propose à Crispinus des moyens pour rendre aux consciences leur liberté. Il suffira d'une discussion entre lui et l'évêque donatiste ; cette discussion sera traduite en langue punique pour que les paysans de Mapale la comprennent; on les affranchira de toute crainte vis-à-vis de leur nouveau maître, et puis ils choisiront librement le parti qui leur paraîtra le meilleur. Crispinus fera observer peut-être que les paysans ne seraient pas en état de comprendre la moindre de ces questions; mais alors pourquoi a-t-il abusé de leur simplicité pour les enrôler dans la communion des donatistes? Si , au contraire, ils sont capables de comprendre , ils se décideront de leur plein gré, après avoir entendu les deux évêques. Augustin prévoit l'objection de quelques pauvres donatistes, forcés par leurs maîtres de passer dans la communion catholique; il propose

 

1 Mapalia est un mot punique passé dans la langue latine, et qui signifie huttes ou cabanes. Salluste emploie ce mot pour désigner les demeures des paysans de Numidie.

2 Lettre 66.

 

de leur donner le moyen de se prononcer en toute liberté et avec connaissance de cause. Les donatistes fuyaient toujours l'épreuve d'une discussion; Crispinus n'accueillit point la proposition de l'évêque d'Hippone.

Nous trouvons Augustin au concile de Carthage, tenu le 13 septembre .401. On s'y occupa de discipline ecclésiastique; ces sortes de questions revenaient toujours dans les grandes assemblées catholiques; à chaque abus, à chaque désordre qui se produisait, on opposait d'utiles règlements. Il fut défendu, dans ce concile, à tout évêque, d'élever à la cléricature un moine qui ne serait pas de son diocèse, ou de le nommer supérieur d'un de ses couvents. Le sujet le plus important du concile fut la question des donatistes; on examina par quelle voie on pourrait opérer leur retour. Augustin, qui s'était placé à la tête de cette polémique, fut sans doute celui de tous les évêques dont les avis réunirent le plus de suffrages.

L'évêque d'Hippone défendit la même année (401) l'honneur du mariage (1) et l'honneur de la virginité (2) contre les attaques de Jovinien, ce moine hérétique, qui faisait la guerre à la morale, comme pour justifier les désordres de sa vie. Dans son ouvrage sur le mariage, Augustin fait voir tout ce qu'il y a de social, de religieux et de providentiel dans l'union légitime de l'homme avec la femme, et en même temps il trace aux époux leurs devoirs. Dans son ouvrage sur la virginité, il montre la haute dignité des vierges dont Marie est le modèle divin, et leur prescrit particulièrement la vertu de l'humilité. Pour qu'elles soient dignes de suivre partout l'Agneau dans les célestes demeures, il faut qu'elles marchent ici-bas sur les traces de celui qui disait : « Les renards ont leurs tanières, les oiseaux du ciel ont leurs nids, mais le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. »

Dans l'année 400, Augustin, se trouvant de passage à Constantine avec Alype et Fortunat, on lui avait apporté une lettre de Pétilien, évêque donatiste, adressée à ses prêtres. Ce Pétilien, né à Constantine, de parents catholiques, s'était montré au barreau avant d'entrer à l'Eglise ; les donatistes, ardents au prosélytisme, l'enlevèrent lorsqu'il était catéchumène catholique , le baptisèrent et l'ordonnèrent prêtre malgré lui. Pétilien n'était pas sans

 

1 De bone conjugali liber unus.

2 De sancta virginitate liber unus.

 

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talent.: une fois jeté dans la communion des donatistes, il attaqua les catholiques, en mêlant à ses paroles toute la violence de son caractère. Les prêtres et les fidèles de Constantine avaient prié Augustin de répondre sans retard à la lettre de Pétilien , dont ils lui présentaient une partie seulement; l'évêque d'Hippone accueillit leur prière. Il écrivit sa réponse en forme de lettre pastorale, adressée aux frères bien-aimés confiés ci sa garde; en finissant, il leur disait ces mots, qu'il rie faudrait oublier en aucun temps dans les luttes philosophiques ou religieuses : « Mes frères, retenez toutes ces choses pour les pratiquer et les enseigner avec une active douceur. Aimez les hommes, tuez les erreurs. Présumez de la vérité sans orgueil , combattez pour la vérité sans violente. Priez pour ceux que vous reprenez et que vous persuadez. » Cette première lettre d'Augustin compose la première partie de son ouvrage contre Pétilien. L'ouvrage a trois livres; le deuxième livre, écrit en 402, est une réfutation de la lettre de l'évêque donatiste, en forme de dialogue entre Augustin et Pétilien , dans la bouche de qui se retrouvent les paroles de sa lettre. A la fin de ce deuxième livre, qui est étendu et d'une vive logique, Augustin désigne sous le nom de Montagnards (Montenses) certains donatistes de Rome; d'après la chronique de saint Jérôme , on les appelait ainsi parce que leur église était sur une montagne; d'après saint Optat, parce que le lieu de leurs assemblées, situé hors de Rome, était une caverne fort élevée, à laquelle on montait par des degrés. Dans une de ses lettres (1), Augustin donne aussi aux donatistes de Rome le nom de Cutzupites; nous ignorons la signification de ce mot.

L'évêque d'Hippone pouvait dire comme le psalmiste : « J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix. » Un grand amour de concorde et d'unité religieuse animait sa polémique; il défendait la vérité catholique avec une constante mansuétude, mais ses adversaires donatistes ne l'imitaient pas. Des flots d'injures contre Augustin s'échappèrent de la bouche de Pétilien. Le grand docteur répondit à ces outrages : sa lettre, adressée à Pétilien lui-même, forme son troisième livre contre l'évêque donatiste. Augustin ne se met pas en peine de se défendre, et se borne à faire observer à Pétilien

 

1 Lettre 53 à Générosus, 400. Il est question aussi des cutzupites ou cutzupitains (cutzupitanis) dans le livre de l' Unité de l'Eglise.

 

qu'il n'a rien dit de sa cause, et qu'il n'a pu repousser aucune des réponses catholiques. « Si je lui rendais injure pour injure, dit Augustin, nous serions coupables tous les deux. Quand je dispute en paroles ou par écrit, dit-il encore dans un autre endroit, je ne cherche pas à l'emporter sur un homme, mais à dissiper une erreur. » Le grand évêque montre en quelques pages rapides la fausse situation des donatistes. Le champ où le chrétien doit semer, c'est le monde et non pas l'Afrique seulement; ce n'est point au temps de Donat, mais à la fin des siècles, que doit se faire la moisson. Combien Augustin est admirable lorsque, s'adressant aux catholiques, ses frères bien-aimés, il leur répète qu'il s'inquiète peu des injures l Chien vigilant de son cher troupeau d'Hippone, il aboiera toujours bien plus pour la défense de ses brebis que pour la sienne propre. Pétilien s'était armé, contre le saint évêque, du souvenir dès fautes et des erreurs de sa jeunesse; mais Augustin n'avait-il pas suffisamment détesté toute l'époque de sa vie antérieure à son baptême, et n'avait-il pas loué Dieu, son libérateur? Les Confessions, qui avaient été lues par tant de monde, n'auraient-elles pu apprendre à Pétilien le repentir et les sentiments nouveaux de saint Augustin?

« Lorsque j'entends blâmer cette partie de ma vie, dit Augustin, quel que soit le sentiment qui inspire ce blâme, je ne suis pas assez ingrat pour m'en plaindre. Plus on attaque mes fautes passées, plus je loue le médecin qui m'a guéri. Pourquoi travaillerais-je à me défendre sur mes égarements anciens et pardonnés, sur ce passé dont Pétilien a dit beaucoup de choses fausses, mais dont il n'a pas dit beaucoup de choses qui sont trop vraies? Ma vie, depuis mon baptême, vous la connaissez tous; il serait superflu d'en parler. Ceux qui ne me connaissent pas ne doivent pas pousser l'injustice à mon égard jusqu'au point de mieux aimer croire Pétilien que vous-mêmes. Car s'il ne faut pas croire les louanges d'un ami, il ne faut pas croire non plus les injures d'un ennemi. Restent les choses inconnues aux hommes, les choses dont la conscience seule est témoin, et dont les hommes ne peuvent juger. Pétilien, parlant de la conscience d'un autre, soutient qu'au fond je suis manichéen ; et moi , parlant de ma propre conscience , je dis que cela n'est pas. Choisissez (94) qui vous devez croire. :hais il n'est pas besoin de cette courte et facile défense; il ne s'agit pas ici du mérite d'un homme, mais de la vérité de la sainte Eglise... Si, en enlevant les grains de l'aire du Seigneur, j'entraîne en même temps de la terre et de la paille, quoi d'étonnant que je souffre l'injure de la poussière qui s'élève? Lorsque je cherche les brebis perdues de mon maître, quoi de surprenant que je sois déchiré par les dards des langues épineuses ? »

Non-seulement dans ses livres, mais aussi dans ses discours en pleine assemblée, Augustin convenait saintement et courageusement de cette vie passée dont s'emparaient les donatistes acharnés à sa poursuite. Cet humble grand homme , expliquant à Carthage le psaume trente-six, disait aux donatistes : « Vous reprenez mes anciens péchés; et que faites-vous en cela de considérable? Je suis plus sévère pour les condamner que vous ne l'êtes vous-mêmes. J'ai détesté le premier ce que vous blâmez. Plût à Dieu que vous voulussiez m'imiter, et que l'erreur dans laquelle vous êtes engagés devînt un jour pour vous une erreur passée ! » Les paroles suivantes achèvent de peindre la beauté de l'âme d'Augustin, de cette âme qui luttait à toute heure pour se débarrasser des dernières impressions de la terre : — « Je n'ignore pas que j'ai encore des défauts dont les donatistes peuvent me reprendre; « mais il ne faut pas qu'ils prétendent les connaître. J'ai beaucoup à travailler au dedans de moi-même pour combattre mes mauvais désirs. J'ai de continuelles guerres à soutenir contre les tentations de l'ennemi qui veut me perdre. Je gémis devant Dieu dans le sentiment de ma faiblesse; et Dieu sait ce que mon coeur enfante pour ainsi dire, lui qui voit les douleurs et les déchirements spirituels que je souffre. Celui devant qui nous gémissons est le seul qui sache ce que nous sommes. »

Augustin priait les catholiques de Carthage de laisser croire sur son compte aux donatistes tout ce qu'ils voudraient, de ne pas disputer avec eux sur ce qui lui était personnel, mais de réserver leurs efforts et leur zèle pour la cause de l'Église, bien indépendante de la sienne propre. « Et que suis-je, moi? disait-il; suis-je l'Eglise catholique ? C'est assez pour moi de lui appartenir. Vous prétendez que je suis mauvais, ajoute-t-il en s'adressant aux donatistes; j'aurais bien d'autres choses à me reprocher. « Mais ne vous occupez pas de moi; venons au fond ; examinez ce qui regarde l'Église ; voyez où vous êtes. De quelque côté que la vérité vous parle, écoutez-la, de peur que vous ne soyez déshérités de ce pain céleste en vous obstinant à chercher les défauts du vase dans lequel il est renfermé. »

Dans l'intervalle du deuxième au troisième livre contre les lettres de Pétilien, Augustin écrivit aux catholiques de son diocèse une nouvelle lettre en réponse à l'évêque donatiste de Constantine. Nous n'en donnerons pas l'analyse détaillée; nous craindrions de fatiguer le lecteur par des redites. A la distance des siècles, cette question se présente d'ailleurs à notre esprit avec un tel caractère de simplicité, que la solution ne souffre pas l'ombre d'un doute. Dans sa nouvelle lettre aux catholiques, appelée aussi le livre De l'unité de l'Église, le grand évêque revient à ce point fondamental qu'il s'agit d'établir : où est l'Église? est-elle chez les catholiques ou chez les donatistes? Le caractère de la véritable Eglise est son universalité; les livres divins en font foi; or, les donatistes n'étaient qu'en Afrique; les catholiques, au contraire, couvraient toute la terre. Le parti de Donat ne se maintenait qu'en profitant de certaines obscurités ou ambiguïtés des Écritures.

A défaut d'arguments et de bonnes raisons, les donatistes opposaient à l'évêque d'Hippone les flèches et le fer des circoncellions. Lorsque ses devoirs, son zèle ou sa charité conduisaient Augustin en divers pays, combien de fois les circoncellions envahirent les routes par où il devait passer ! C'était une noble proie désignée à leur fureur, et les courses pieuses de l'évêque éveillaient mille projets homicides. Souvent il échappait à de noirs complots en suivant des chemins par où on ne l'attendait pas; quand il avait trompé la vengeance de l'ennemi, la vengeance s'exerçait sur des clercs ou des fidèles. Un jour il arriva que le grand docteur tomba entre les mains des circoncellions et fut accablé de coups. Une autre fois on guettait son passage avec la ferme intention de lui ôter la vie ; les ennemis s'étaient placés sur la route même que l'évêque avait prise; mais sa mission religieuse n'était pas encore terminée; la Providence permit que le guide d'Augustin et de ses compagnons se trompât de chemin et les égarât tous. C'est ainsi que (95) l'ennemi attendit en vain et dévora sa menace. Dans cette lutte contre le donatisme, les questions étaient très-simples, et d'autres paroles que celles des évêques et des prêtres catholiques pouvaient servir à ramener le peuple à l'unité. Un rôle utile était réservé aux influences de la fortune ou de la naissance, à l'autorité morale que les maîtres exercent sur leurs serviteurs. Parmi les personnages de Rome qui possédaient alors en Afrique d'importants domaines, il y en avait un dont saint Jérôme a parlé comme d'un ancien condisciple et d'un ancien ami; c'était Pammachius, époux de Pauline et gendre de Paula, pieux et lettré ; saint Jérôme lui avait écrit pour le rendre juge entre lui et Jovinien, dans les débats sur le mariage et la virginité, et lui avait écrit aussi sur la meilleure manière de traduire. Pammachius prit la peine d'expliquer la question du donatisme aux fermiers et aux laboureurs de ses terres, et les fit rentrer dans la foi catholique, L'évêque d'Hippone lui adressa une lettre de félicitation ; il lui témoignait le regret de ne pas voir son bon exemple plus fréquemment imité. Pammachius, devenu veuf, vendit son bien, dont il distribua le prix aux pauvres, embrassa le sacerdoce et mourut à Rome au moment où Alaric allait y pénétrer en vainqueur.

 

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