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SERMONS DE SAINT BERNARD ABBÉ DE CLAIRVAUX SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES.

 

SERMON I.

 

1. Il faut vous dire, mes frères, d'autres choses qu'aux gens du monde, ou au moins il faut vous les dire d'une autre manière. Pour eux, si on veut suivre la forme d'enseignement que l'Apôtre a prescrite (II Cor. III, 2), on ne doit leur donner que du lait, non de la viande. Il nous apprend lui-même, par son propre exemple, à présenter une nourriture plus solide aux personnes spirituelles lorsqu'il dit : « Nous ne parlons pas un langage plein de la science et de la sagesse humaine; mais conforme à la doctrine de l'Esprit-Saint, réservant les choses spirituelles pour ceux qui sont spirituels (I Cor. II, 13). Et ailleurs Nous ne tenons des discours sublimes et élevés qu'avec les parfaits (Ibid.),» tels que vous êtes, mes frères, du moins j'aime à le croire, si ce n'est pas en vain que depuis si longtemps vous vous occupez à une étude toute céleste, vous vous exercez à connaître la vérité, et méditez jour et nuit, sur            la loi de Dieu. Préparez-vous donc à être nourris, non de lait, mais de pain. Il y a dans Salomon un pain, mais un pain très-blanc et délicieux, je veux parler du livre qui a pour titre : le Cantique des cantiques. Qu'on le serve si vous le voulez bien, et qu'on le rompe.

2. Car pour l'Ecclésiaste, je crois que, par la grâce de Dieu, vous êtes assez instruits dans la connaissance et dans le mépris de la vanité du monde, qui est le sujet dont traite l'Ecclésiaste. Quant aux pro verbes, votre vie et votre conduite n'est-elle pas réglée et formée sur les enseignements qu'ils contiennent ? C'est pourquoi, après avoir commencé par goûter de ces deux pains, qui ne laissent pas d'être tirés du coffre de l'Ami (a), approchez-vous pour manger de ce troisième, afin de voir s'il n'est point    meilleur encore. Car s'il y a deux vices qui font seuls, ou du moins qui font plus que les autres la guerre à l'âme, je veux parler du vain amour du monde, et de l'amour

 

a Saint Bernard fait allusion ici à ce passage de saint Luc XI, 5,  « mon ami prête-moi trois pains. » Veut-il nous faire entendre par sa manière de l'exprimer qu'il a fait des commentaires sur ces deux livres, c'est ce que nous  avons examiné dans la préface qui précède.

 

excessif de soi-même ; ces deux premiers livres donnent des remèdes contre cette double peste ; l'un, en retranchant, avec le sarcloir de la discipline, tout ce qu'il y a de corrompu dans les mœurs, et de superflu dans les désirs de la chair ; et l'autre, en pénétrant par une vive lumière de la raison, l'éclat trompeur des choses du monde, et le distinguant fort bien d'avec ce qui est réel et solide. Enfin Salomon préfère la crainte de Dieu, et l'observation de ses commandements, à tous les autres biens que les hommes peuvent désirer. Et certes avec raison. Car la première de ces deux choses, est le commencement de la vraie sagesse et la seconde en est la perfection, si toutefois, pour vous, la véritable sagesse consiste à s'éloigner du mal et à faire le bien; et s'il est vrai que personne ne peut s'éloigner parfaitement du mal sans la crainte de Dieu, comme on ne saurait faire une bonne oeuvre, si on ne garde ses commandements.

3. Ainsi, après avoir détruit ces deux vices, par la lecture de ces deux livres, on peut s'approcher pour entendre ce discours sacré et sublime, qui, étant comme le fruit de tous les deux, ne doit être entendu que par des esprits et des oreilles très-sages. Mais si on n'a point dompté sa chair, par les austérités, si on ne l'a point assujettie à l'esprit; si on ne méprise point les vanités du monde, si enfin on ne s'est point déchargé de tout l'attirail du siècle, comme d'un fardeau insupportable, on est impur et indigne d'une lecture si sainte. Car, comme c'est en vain que la lumière frappe des yeux aveuglés ou fermés, « de même l'homme animal ne comprend point ce qui est de l'esprit de Dieu (I.Cor. II, 14), parce que le Saint-Esprit, qui est l'auteur de la sagesse, fuira l'hypocrite (Sap.I, 15),» c'est-à-dire celui qui mène une vie déréglée. Jamais il n'aura plus de commerce avec la vanité du monde, parce qu'il est l'esprit de Vérité (Joan.XIV, 17). Car quelle alliance peut-il y avoir entre la Sagesse d'en haut (I Cor. II, 19), et celle du monde qui est folie devant Dieu, et la sagesse de la chair, qui est aussi ennemie de Dieu (Rom. VIII, 7) ? Or, je ne pense pas que l'ami qui nous viendra de dehors, ait sujet de murmurer contre nous, lorsqu'il aura mangé ce pain si excellent.

4. Mais qui le rompra. Voici le père de famille, reconnaissez le Seigneur, à la fraction du pain ; en effet, quel autre que lui est capable de le rompre? Pour moi, je ne suis pas assez téméraire pour l'entreprendre, et si vous jetez les yeux sur moi, n'attendez rien de moi; car je suis un de ceux qui attendent, et je mendie avec vous la nourriture de mon âme, l'aliment de mon esprit. Vraiment pauvre et indigent, je frappe à la porte de celui qui ouvre, et personne ne ferme (Apoc. III, vers. 7), pour obtenir l'intelligence des profonds mystères qu'enferme ce discours. Les yeux de tout le monde sont tournés vers vous, Seigneur, unique objet de notre espérance. Les petits enfants ont demandé du pain, et il n'y a personne qui le leur rompe. Nous espérons cette faveur de votre bonté, ô Père si plein de miséricorde, rompez votre pain à ceux qui ont faim. Ce sera par mes mains, si vous  daignez vous servir de moi, mais ce sera par le secours de votre grâce.

5. Dites-nous, je vous prie, qui est celui qui dit ces paroles : « Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1) ; » de qui elles sont dites, à qui elles s'adressent, et quel est cet exorde si prompt, dont le mouvement soudain semble plutôt le milieu que le commencement d'un discours. Car, à l'entendre parler de la sorte, on croirait que quelqu'un a parlé avant lui, et qu'il introduit une personne qui lui répond, et lui demande un baiser. De plus, si cette personne demande ou ordonne à quelqu'un, quel qu'il soit, de le baiser, pourquoi dire expressément que ce soit de la bouche, et même de sa propre bouche, comme si ceux qui se baisent avaient coutume de le faire autrement qu'avec la bouche, ou de se baiser avec la bouche d'un autre? Encore, ne dit-il pas qu'il me baise avec sa bouche, mais, par une façon de parler moins usitée, qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. Certainement, un discours qui commence par un baiser est bien agréable. Ainsi en est-il de l'Écriture-sainte, elle a une face charmante, qui touche d'abord, et porte à la lire , en sorte que, bien qu'il y ait de la peine à découvrir les sens cachés qu'elle enferme, cette peine se change en délices ; et la douceur du langage et de l'expression fait qu'on ne sent pas le travail qu'il y a à en pénétrer l'intelligence. Mais qui est celui, que ce commencement sans commencement, et cette façon de parler si nouvelle dans un livre si ancien, ne rendrait pas attentif? Ce début montre bien que cet ouvrage n'est pas une production de l'esprit humain, et qu'il a été composé par le Saint-Esprit même, puisqu'il est fait avec tant d'art, que, bien qu'il soit difficile à entendre, il y a néanmoins beaucoup de plaisir à en rechercher l'intelligence.

6. Mais quoi ? Passerons-nous le titre sous silence ? Non. Il ne faut pas laisser le moindre iota, puisque Jésus-Christ nous commande de recueillir les moindres fragments des paroles sacrées, pour empêcher qu'ils ne se perdent (Matth. VI, 18 et Joan. VI, 12). Le titre est conçu en ces termes : Ici commence le Cantique des cantiques de Salomon.. Observez d'abord que le nom de Pacifique, qui est ce que signifie Salomon , convient fort bien en tête d'un livre qui commence par un signe de paix,     c'est-à-dire par un baiser ; et remarquez encore que ce début n'invite à l'intelligence (des parties de l'Écriture où il se trouve), que les âmes tranquilles et pacifiques, qui sont exemptes du trouble des passions, et du tumulte des soins de la terre.

7. Ne vous imaginez pas non plus, que ce soit sans raison, que l'inscription de ce livre ne porte pas simplement, le Cantique, mais le Cantique des cantiques. J'ai lu plusieurs cantiques dans l'Écriture, et je ne me souviens point, que ce nom soit donné à un autre. Israël chanta un cantique au Seigneur en action de grâces, de ce qu'il avait échappé à l'épée et à la servitude de Pharaon, et pour s'être vu délivré et vengé en même temps par le double miracle de la mer Rouge. Néanmoins ce cantique n'est point appelé le Cantique des cantiques, ôtais si j'ai bonne mémoire, l'Écriture dit: « Israël chanta ce cantique à la gloire du Seigneur (Exod. XV, 1).» Débbora ( Judic. V, 1) Judith (Judith. XVI, 1) et la mère de Samuel (I Reg. II, 1) ont chanté des cantiques ; quelques prophètes en ont pareillement chanté, mais on ne lit nulle part qu'aucun d'eux ait appelé son cantique, le Cantique des cantiques. D'ailleurs on voit, si je ne me trompe, que toutes ces person. nes ont chanté à cause de quelque avantage reçu par eux ou par les leurs, par exemple, pour avoir gagné une bataille, échappé à un péril, obtenu ce qu'ils souhaitaient, et pour d'autres sujets semblables , et chacun pour des causes particulières, et de peur de paraître ingrats pour les bienfaits de Dieu, suivant cette parole du prophète : « Le juste vous donnera des louanges, lorsque vous lui aurez fait quelque grâce (Psal. XI, VIII, 19). » Mais Salomon, ce roi, doué d'une sagesse admirable, élevé au comble de la gloire, comblé de biens, et jouissant d'une paix parfaite, n'avait besoin d'aucune des faveurs dont nous avons parlé, qui pût lui donner le sujet de chanter son divin Cantique. On ne trouve même en nul endroit de l'Écriture, rien qui semble marquer cela.

8. C'est donc par une inspiration divine, qu'il a chanté les louanges de Jésus-Christ. et de l'Église, la grâce d'un- amour sacré, et les mystères d'un mariage éternel, qu'il a exprimé les désirs d'une âme sainte, et que, dans les transports d'une allégresse toute spirituelle, il a composé un Épithalame dans un style agréable et figuré. Car, à l'exemple de Moïse, il voilait sa face, qui sans doute n'était pas moins resplendissante que la sienne à cet égard, parce que, en ce temps-là, il n'y avait personne, ou du moins, il y en avait très-peu qui fussent capables de soutenir cette gloire dans tout son éclat. Je crois donc que ce chant nuptial est nommé le Cantique des cantiques, à cause de son excellence, comme celui en l'honneur de qui il a été fait est appelé, par excellence, le Roi des rois, et le Dominateur des dominateurs (I Tim. VI, 15).

9. Si vous consultez votre propre expérience (a), après la victoire que votre foi a remportée sur le monde, et quand vous vous êtes vus hors de l'abîme de misère, et du fond du bourbier, n'avez-vous pas aussi chanté au Seigneur un cantique nouveau en reconnaissance des merveilles qu'il a opérées? et lorsqu'il a commencé à affermir vos pieds sur la pierre, et. à conduire vos pas, je ne doute point que, pour le remercier de ce renouvellement de vie, vous n'ayez encore chanté un autre cantique à la gloire de notre Dieu. Mais lorsque, après votre repentir, non-seulement il vous remit vos péchés, mais vous promit même des récompenses, la joie dont vous a comblés l'espérance des biens futurs ne vous a-t-elle pas animés encore davantage à chanter dans les voies du Seigneur, combien sa gloire est grande? Et quand l'un de

 

a Le manuscrit de Cîteaux ajoute ces mots: « Les cantiques que nous devons chanter à chaque progrès, » mais c'est une faute.

 

vous, trouvant quelque obscurité dans l'Écriture, vient à en avoir l'éclaircissement, il n'y a point de doute qu'en actions de grâce de ce qu'il a reçu la nourriture de ce pain céleste, il ne fasse retentir un chant d'allégresse et de louanges, comme ceux qu'on entend dans un festin délicieux. Enfin, dans vos exercices et vos combats de chaque jour, car il n'y a pas de trêve pour ceux qui vivent avec piété en Jésus-Christ, de la part, soit de la chair, soit du monde et du diable (Job, VII, 1). La vie de l'homme sur la terre est une guerre continuelle comme vous l'éprouvez sans cesse en vous-mêmes, en sorte que chaque jour vous devez chanter de nouveaux cantiques pour les victoires que vous remportez. Toutes les fois qu'on surmonte une tentation, qu'on dompte un vice, qu'on évite un péril imminent, ou qu'on découvre le filet de celui qui tendait des piéges, qu'on est parfaitement guéri d'une passion ancienne et invétérée de l'âme, que par une faveur particulière de Dieu on acquiert quelque vertu longtemps désirée et souvent demandée, n'entendons pas, selon le Prophète, retentir des actions de grâce et des paroles de louanges (Isa. LII. 3), à chacun de ses bienfaits, Dieu n'est-il pas béni dans ses dons ? S'il en était autrement, celui-là serait estimé ingrat au jour du jugement qui ne pourrait dire à Dieu : « Vos bienfaits étaient le sujet de mes cantiques dans le lieu de mon exil (Psal. CXVIII, 54).»

10. Je crois que vous reconnaissez déjà dans vous mêmes, ce que, dans le psautier, on appelle non pas Cantiques des cantiques, mais cantiques graduels; parce que à mesure que vous faites quelques progrès, selon les degrés que chacun a disposés dans son coeur, vous devez chanter un cantique à la louange et à la gloire de celui qui est la cause de cet avancement. Sans cela, je ne vois pas comment ce verset du psaume peut être accompli ; « on entend dans la tente des- justes une action de grâce d'un succès si favorable (Psal. CXVII. 15), » ou du moins cette belle et salutaire exhortation de l'Apôtre : « Chantez dans votre coeur des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels à la gloire de Dieu (Coloss. III. Ephes. V.). »

14. Mais il y a un cantique qui, par son excellence et sa douceur incomparable, surpasse tous ceux dont nous avons parlé; et quelque autre que ce puisse être. On l'appelle, avec raison, le Cantique des cantiques, attendu que c'est le fruit de tous les autres. Il n'y a que la seule onction de la grâce qui l'enseigne, et la seule expérience qui l'apprenne, que ceux qui l'ont éprouvé le reconnaissent; que ceux qui n'ont pas encore cette expérience brûlent du désir, non de le connaître, mais de l'éprouver. Car ce n'est pas un bruit de la bouche, mais une allégresse du coeur ; ce n'est pas un son des lèvres mais un mouvement de joie; c'est un concert non de voix, mais de volontés. On ne l'entend point au dehors, et il ne retentit pas en public. Il n'y a que celle qui le chante et celui en l'honneur de qui elle le chante, c'est-à- dire l'Époux et l'Epouse qui l'entendent. Car c'est un chant nuptial qui exprime de chastes et doux embrassements d'esprit, une union parfaite de volontés, et une liaison d'affection et d'inclinations réciproques.

12. Au reste, il n'appartient pas de le chanter ou de l'entendre à une âme qui est encore dans l'enfance de la vertu et nouvellement sortie du siècle; mais à une âme avancée et instruite qui, par les progrès que la grâce de Dieu lui a fait faire, a tellement grandi, sinon en âge, du moins en mérite,, qu'elle est arrivée à l'âge parfait et nubile, si je puis parler ainsi, et qu'elle est devenue capable de contracter mariage avec l'Époux céleste, telle enfin que nous la dépeindrons plus amplement en son lieu. Mais l'heure à laquelle la pauvreté de notre institut nous commande de nous occuper au travail des mains se passe. Demain nous continuerons au nom de Dieu, ce que nous avons commencé sur le baiser ; puisque aujourd'hui nous avons achevé l'explication du titre.

 

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