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SERMON LXVIII. Comment l'Époux qui est Jésus-Christ fait attention à l'Épouse qui est l'Église, et comment elle le paie de retour en cela. Soin particulier que Dieu prend de ses élus. Mérite et confiance de l'Église.

 

1. Ecoutez ce que nous avons remis à vous dire aujourd'hui. Ecoutez la joie que j'ai ressentie. Et cette joie est à vous. Ecoutez donc avec joie. Je l'ai ressentie dans une parole de l'Épouse, et après l'avoir comme flairée spirituellement, je l'ai cachée pour vous en faire part aujourd'hui avec d'autant plus d'allégresse, qu'il me semble que le temps est plus favorable pour le faire. L'Épouse a dit que l'Époux fait attention à elle. Quelle est l'Epouse, et quel est l'Époux? L'Époux, c'est notre Dieu, et si je l'ose dire, c'est nous qui sommes l'Épouse, avec le reste des captifs qu'il connaît. Réjouissons-nous. « C'est là notre gloire (a). » Nous sommes ceux à qui Dieu daigne faire attention. Néanmoins quelle distance il y a entre lui et nous? Que sont devant lui les habitants           de la terre, et les enfants des hommes? Selon un Prophète, ils sont comme s'ils n'étaient point (lsa. XL, 17) ; ils sont à son égard comme un rien, comme un néant. Que veut donc dire cette comparaison entre des personnes si inégales? On celle-là se glorifie excessivement, ou celui-ci aime excessivement. N'est-ce pas une chose merveilleuse qu'elle s'attribue l'attention de son Époux comme une chose qui lui est propre, en disant : « Mon bien-aimé fait attention à moi? » Et néanmoins, peu contente de cela, elle continue à se glorifier, elle le traite d'égal à égal et lui donne la réplique : car elle ajoute : « et moi à lui. » Cette parole « et moi à lui » est bien osée; celle-ci ne l'est pas moins « Mon bien-aimé fait attention à moi. » Mais toutes les deux ensemble le sont encore bien plus que chacune d'elles séparément.

2. Que n'ose point un coeur pur, une bonne conscience, une foi sincère : « Il fait attention à moi; » dit-elle. Est-il possible qu'une si haute Majesté, qui a soin du gouvernement et de la conduite de l'univers, daigne s'appliquer à elle, et que le Dieu des siècles ne s'occupe qu'aux affaires, ou plutôt au repos de l'amour et des désirs de l'Épouse. Il en est en effet ainsi. Car elle est l'assemblée des élus dont l’Apôtre dit : « Toutes choses sont pour les élus (Tim. II, 10). » Et qui doute que la grâce et la miséricorde de Dieu ne soient toujours tournées vers ses élus (Sep. IV, 15)? Nous ne distrayons donc pas la providence de Dieu des autres créatures, mais l'Épouse s'approprie ses soins et ses pensées. Dieu se met-il en peine des boeufs (I Cor. IX)? Et nous pouvons en dire autant des chevaux, des chameaux, des éléphants et de tous les autres animaux de la terre, de même que des oiseaux du ciel, et des poissons qui sont dans la mer, et généralement de tout ce qui est sur la

 

a Telle est la leçon de tous les manuscrits; mais Horstius a ajouté : « C'est le témoignage de notre conscience, » paroles qui n'ont aucun rapport avec le sens de ce passage.

 

terre, excepté ceux dont il est dit: « Reposez-vous-en sur lui de tous vos soins, parce qu'il prend soin de vous (Pet. V, 1). » Ne vous semble-t-il pas que c'est comme si cet Apôtre disait : « Appliquez-vous à lui, car il s'applique à vous? » Et remarquez qu’il observe aussi dans ses paroles. le même ordre que l'Épouse. Car il ne dit pas : « Reposez-vous-en sur lui de tous vos soins, » afin qu'il ait soin de vous, mais parce « qu'il a soin de vous. » Voulant montrer évidemment par-là que l’Église des saints n'est pas seulement aimée de Dieu, mais qu'elle a été aimée de lui avant qu'elle l'aimât.

3. Il est certain que ce que l'Apôtre a dit de boeufs (I Cor. IX, 9) ne la regarde point, puisque celui qui l'a aimée, et qui s'est livré à la mort pour elle, a soin d'elle, n'est-ce pas cette brebis égarée (Matth. VIII, 12), dont il a eu plus de soin que des brebis célestes même? Car ce divin pasteur n'a point fait difficulté d'exposer les autres, pour descendre vers elle. Il l'a cherchée avec soin, et après l'avoir trouvée, il ne l'a pas ramenée, mais rapportée sur ses épaules. Il a célébré dans le ciel de nouvelles réjouissances avec elle et pour elle ? C'est ce qui lui fait dire hardiment : « Le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXXIX, 18). » Elle ne croit pas se tromper quand elle dit : « Le Seigneur répondra pour moi (Psal CXXXVII, 8), » et tout ce qui marque le soin que le Seigneur prend d'elle. C'est pour cela qu'elle appelle son bien-aimé, le Seigneur des armées, et se flatte que celui qui juge toutes choses avec une souveraine tranquillité fait attention à elle. Et pourquoi ne s'en flatterait-elle pas puisqu'elle a entendu de lui ces paroles : « Une mère peut-elle oublier son fils jusque là qu'elle n'en ait point compassion ? Mais quand elle l'oublierait, je ne vous oublierai pourtant pas (Isa. XLIX, 15). » Car les yeux du Seigneur sont tournés sur les justes (Psal. XXXIII, 16). Or, qu'est-ce que l'Épouse, sinon l'assemblée des justes ? Sinon la race bénie de ceux qui cherchent Dieu, qui cherchent la face de l’Époux. Car il ne fait pas attention à elle, sans que, de son côté, elle fasse attention à lui; c'est ce qu'elle exprime en disant : « Il fait attention à moi et moi à lui. » Il fait attention à moi, parce qu'il est bon et miséricordieux, et moi je fais attention à lui, parce que je ne suis pas ingrate. Il me donne grâce sur grâce, et moi je lui rends grâce des grâces qu'il me donne. Il a soin de ma délivrance et moi, de son honneur. Il a soin de mon salut et moi de sa volonté. Il a soin de moi, non d'un autre, parce que je suis son . unique colombe, et moi pareillement j'ai soin de lui, non d'un autre, parce que je ne prête point l'oreille à la voix des étrangers, et n'écoute point ceux qui me disent « Le Christ est ici, le Christ est là.» Celle qui parle ainsi, c'est l’Église.

4. Mais que dirons-nous de chacun de nous en particulier ? Pensons-nous qu'il y ait quelqu'un parmi nous, à qui ces paroles do l'Épouse puissent convenir ? Mais que dis-je, parmi nous? Je crois qu'il n'y a point de fidèles dans l'Église, dont on ne puisse demander cela très-justement. Car il n'y a pas la même raison pour un seul que pour plusieurs. Aussi n'a-ce pas été pour une seule âme que Dieu a fait et souffert tant de choses, lorsqu'il a opéré le salut sur la terre, mais pour en unir plusieurs en une même Église, et n'en former qu'une seule Épouse. Cette Épouse unique est très chère à cet unique Epoux, parce qu'elle ne s'attache qu'à lui, comme lui ne se donne qu'à elle. Que n'oserait-elle point attendre d'un amant si jaloux ? Que ne doit-elle point espérer de celui qui est descendu du ciel pour la chercher, et qui l'a appelée des extrémités de la terre? Et il ne l'a pas seulement cherchée, il l'a acquise, et l'a acquise par son propre sang. D'ailleurs, elle présume d'autant plus de soi, que, regardant l'avenir, elle n'ignore pas que le Seigneur a besoin d'elle. Si vous me demandez pourquoi il en a besoin ? C'est, dit le Prophète « Pour voir la bonté de ses élus, pour se réjouir de la joie de son peuple, pour être loué de ceux qui composent son héritage (Psalm. CV, 5). » Et ne croyez pas que cela soit peu considérable. Car je vous assure que tous ses ouvrages seront imparfaits, si celui-là demeure inachevé. La fin de toutes choses ne dépend-elle pas de l'état et de la consommation de l'Eglise. Otez cette consommation, et c'est en vain que la créature inférieure attend la révélation de la gloire des enfants de Dieu. Otez-la, et ni les patriarches, ni les prophètes n'arriveront à l'état de leur perfection; saint Paul nous assure que Dieu ne veut pas qu'ils soient parfaits sans nous (Heb. XI, 40). Otez-la, et la gloire même des anges sera imparfaite et défectueuse, et la cité de Dieu ne jouira point de l'intégrité de ses parties.

5. Comment sans cela pourraient s'accomplir le dessein de Dieu, et le grand mystère de la miséricorde? Comment me donnerez-vous des enfants encore à la mamelle, dont la bouche célèbre dans toute sa perfection les louanges de Dieu (Psal. VIII, 3) ? Le ciel n'a point d'enfants, l'Église en a, et c'est à eux que saint Paul dit : « Je vous ai donné du lait, non une nourriture solide (I Cor. III, 2). » Et le Prophète les invite comme à achever les louanges de Dieu, lorsqu'il dit : « Enfants, louez le Seigneur (Psal. CXII, 3). » Croyez-vous que notre Dieu reçoive toute la louange qui est due à sa gloire, avant l'arrivée de ceux qui chantent en la présence des anges : « Nous nous sommes réjouis pour tout le temps que vous nous avez affligés, et pour tous les maux que nous avons soufferts durant tant d'années (Psal. LXXXIX, 15). » Les cieux n’ont connu cette sorte de réjouissance que par les enfants de l’Eglise. Ceux qui se sont toujours réjouis ne se réjouissent jamais de cette façon. C'est un grand plaisir lorsque la joie succède à la tristesse, le repos au travail, le port à la tempête. La. sécurité est agréable à tout le monde, mais elle l’est plus encore à celui qui a craint davantage. La lumière est douce à tout le monde, mais elle l'est encore plus à celui qui s'est échappé de la puissance des ténèbres. Passer de la mort à la vie, c'est doubler la vie. C'est là ce qui me sera propre dans le banquet céleste, et à quoi les esprits bienheureux n'auront point de part. J'ose dire que la vie même bienheureuse sera privée de ce bonheur, si elle ne confesse qu'elle en jouit par la charité, en moi et pour moi. Il semble que j’ajoute quelque chose à la perfection et quelque chose de très-considérable. Après tout, les anges se réjouissent de la pénitence d'un pécheur (Luc. XV, 10). Si mes larmes font les délices des anges ; que sera-ce de mes délices? Toute leur occupation est de louer Dieu, mais il manque quelque chose à leurs louanges, s'il n'y a personne pour dire : « Nous avons passé par le feu et par l'eau, et vous nous avez fait entrer dans un lieu de rafraîchissement (Psal. LXV, 12). »

6. L'Eglise est donc heureuse dans son universalité, et sa reconnaissance est infiniment au dessous de ce qu'elle doit à Dieu ; non-seulement pour ce qu'elle a déjà reçu de sa bonté, mais pour ce qu'elle en doit recevoir un jour, car, pourquoi serait-elle en peine de ses mérites; puisqu'elle a une raison de se glorifier bien plus solide et plus assurée, qui est le dessein de Dieu sur elle? Dieu ne se peut pas nier lui-même, et ne fait point ce qu'il a déjà fait, comme il est écrit, lui qui a fait toutes les choses qui doivent arriver (Isa. XXXIX). Il le fera sans doute, il le fera, et il ne manquera point à l'exécution de ses desseins. Ainsi vous ne devez plus demander sur quels mérites nous fondons l'espérance de tant de biens, surtout en lisant ces mots dans le Prophète: « Ce n'est pas pour vous, mais pour moi, que je ferai ces choses,     dit le Seigneur (Ezech. XXXVI, 22). » Il suffit pour les mérites, de savoir que nos mérites ne suffisent pas pour cela. Mais comme c'est assez pour mériter de ne point présumer de ses mérites, c'est assez pour être condamné de n'avoir point de mérites. Les enfants même régénérés dans les eaux du baptême ne manquent point de mérites, ils ont ceux de Jésus-Christ, dont néanmoins ils se rendent indignes s'ils négligent ensuite d'y joindre les leurs, lorsqu'ils ont atteint l'âge de raison. Ayons donc soin d'avoir des mérites; sachez que ceux que vous avez vous sont donnés, espérez que vous en recueillerez les fruits par la miséricorde de Dieu. et vous éviterez tout danger de pauvreté, d'ingratitude et de présomption. L'indigence de mérite est une pauvreté pernicieuse, mais d'autre part la présomption et l'orgueil ne sont que de fausses richesses. Voilà pourquoi, « Seigneur, ne me donnez, dit le sage, ni les richesses, ni la pauvreté (Prov. XXX, 8). Que l'Église est heureuse de pouvoir mériter et présumer tout ensemble. Elle a sujet de présumer, mais ce n'est pas de ses mérites. Elle a des mérites, mais pour mériter encore, non pour présumer d'elle-même, n'est-ce pas mériter que de présumer de la foi ? Elle présume donc des mérites de Jésus-Christ avec d'autant plus de confiance, qu'elle ne présume point des siens propres. Elle n'a point sujet de craindre de recevoir de la confusion de ce qu'elle se glorifie, puisqu'elle a tant de sujet de le faire. Car les miséricordes du Seigneur sont infinies, et sa vérité demeure éternellement.

7. Pourquoi ne se glorifierait-elle pas avec une entière sécurité, puisque la vérité et la justice se sont embrassées (Psal. LXXXIV, 11) en témoignage de sa gloire? Aussi, soit qu'elle dise: «Mon bien aimé fait attention à moi, ou bien : J'ai attendu le Seigneur avec impatience, et il s'est appliqué à moi (Psal. XXXIX, 2); on encore : Le Seigneur a soin de moi (Ibid. 18), » ou d'autres paroles de même, qui semblent exprimer un amour et une faveur singulière de Dieu envers quelqu'un, elle pourra les dire hardiment, puisque c'est le Seigneur lui-même qui lui donne cette hardiesse, surtout en ne voyant point d'autre Épouse ni d'autre Église à qui puisse arriver ce qui doit arriver nécessairement. Il est donc clair que l'Église ne doit point craindre de s'approprier toutes ces paroles. Mais on demande s'il est permis à une âme, quelque spirituelle et sainte qu'elle soit, de se les attribuer en quelque façon. Car une seule âme, quelque éminente en sainteté qu'elle puisse être, ne saurait s'attribuer toutes les prérogatives de toute cette multitude fidèle et catholique pour laquelle toutes choses ont été faites. C'est pourquoi je crois qu'il est difficile d'en trouver quelqu'une à qui cela soit permis. Nous tâcherons pourtant de le faire, mais dans un autre discours, parce que nous ne voulons pas nous engager dans une matière si délicate, dons nous ignorons encore l'issue, avant que, pour obtenir l'intelligence de cette parole cachée, nous ayons prié celui qui ouvre, et personne ne ferme, l'Époux de l’Eglise           Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu par dessus tout, est béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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