LETTRE D'EVERVIN
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LETTRE (a) D'EVERVIN PRÉVOT DE STEINFELD, A SAINT BERNARD, ABBÉ, AU SUJET DES HÉRÉTIQUES DE SON TEMPS.

 

A son révérend Seigneur et père Bernard, abbé de Clairvaux, Évervin humble ministre de Steinfeld, être fort dans le Seigneur et fortifier l’Église du Christ.

 

1. Je me réjouirai en entendant votre voix comme se réjouit celui qui a trouvé d'abondantes dépouilles, car vous avez l'habitude d'exhaler le souvenir des grâces abondantes de Dieu, dans tous vos discours et vos écrits; mais surtout dans le Cantique de l'amour de l'Époux et de l'Épouse qui ne sont autres que le Christ et son Église, en sorte que nous pouvons dire à l'Époux en toute vérité : « Vous avez conservé le bon vin jusqu'à présent. » C'est lui qui vous a établi sur nous l'échange d'un vin si précieux : ne cessez point de nous en verser, ne l'épargnez point, vous ne sauriez épuiser les urnes. Ne vous excusez point sur votive mauvaise santé, mon saint père, car vous savez que dans ce devoir la piété fait beaucoup plus que l'exercice d'un travail corporel. Ne me dites pas non plus que vous êtes occupé, car je ne sais rien qu'on puisse faire

 

a AVERTISSEMENT. - Il nous semble, en ne peut plus à propos, de placer ici une lettre d'Épervin, prévôt de Steinfeld près Cologne, à saint-Bernard, au sujet des hérésies de temps; car elle a donné à notre saint l'occasion de composer les deux sermons suivants, selon qu'il l'a fait. J'avais pensé avec Horstius et plusieurs autres qu'il était question dans ces sermons des Heuriciens contre qui saint Bernard a écrit sa lettre CCXLe . Mais la lettre d’Évervin que noue donnons ici nous montre que les hérétiques dont Tes erreurs sont réfutées dans les deux sermons suivants ne sont point les Heuriciens, puisque ces derniers infestaient l'Aquitaine, tandis que les premiers étaient plus particulièrement répandus à Cologne et dans les environs. Pourtant il faut reconnaître que les uns et les autres enseignaient les mêmes erreurs et étaient issus probablement de la même souche. Il a été longuement parlé de ses hérétiques dans la préface générale, à l'article VI. Quant à Évervin; je ne doute pas qu'il ne soit le même  que Évervin ou Hervin abbé de Stdafeld, cité au livre VI des Miracles de Saint-Bernard n. 22 et 26, Il était certainement de l’ordre de Prémontré. Il testait encore, à l'époque où Mabillon arrivait ces lignes, une abbaye à Steinfeld.

 

passer avant la nécessité d'une oeuvre qui nous intéresse tant, comme celle dont il s'agit. Quel abondant breuvage, très-saint père, vous avez à nous verser de l'urne, vous en avez assez tiré de la première, et il a rendu ceux qui l'ont bu sages et forts contre la sagesse et la force des scribes et des pharisiens ; la seconde a produit le même effet contre les arguments et les supplices des gentils. La troisième a versé à boire contre les subtilités et les erreurs des hérétiques. La quatrième a coulé contre les faux chrétiens ; la cinquième verse un breuvage contre les hérétiques qui viendront à la fin du monde et dont l'Apôtre inspiré par le Saint-Esprit parle manifestement en ces termes : « Dans les derniers temps il y en aura qui s'écarteront de la foi, pour se donner à des esprits d'erreur, et à des doctrines de démons qui débitent le mensonge d'une bouche hypocrite, qui prohibent le mariage, et l'usage des aliments que Dieu a créés pour être pris avec des actions de grâces. » La sixième versera l'ivresse aux fidèles contre celui qui se révélera dans cet abandon de la foi, je veux parler de ce fils du péché, de cet homme de perdition qui se déclare l'ennemi et s'élève au dessus de tout ce qui est nommé et honoré comme Dieu, dont l'avènement, par l'opération de Satan, est signalé par toute espèce de vertus, de signes, de prodiges menteurs et de séductions d'iniquité. Après celle-là à quoi bon en attendre une septième, puisque les enfants des hommes s'enivreront de l'abondance de la maison de Dieu et d'un torrent de délices. O mon bon père, vous nous avez, en attendant, assez versé, à tous, du vin de la quatrième urne, pour corriger ceux d'entre nous qui ne faisaient que commencer pour édifier ceux qui déjà faisaient quelques progrès, et pour consommer les parfaits : et vous nous serez utile jusqu'à la fin des siècles contre la tiédeur et contre la perversité des faux frères. Il est temps que vous puisiez à la cinquième et que vous nous en serviez du vin contre les nouveaux hérétiques qui s'agitent presque partout en ce moment dans les Églises de notre voisinage et s'élancent du puits de l'abîme, comme si déjà leur chef était menacé et que le jour du Seigneur fût imminent. D'ailleurs le passage de l'épithalame de l'amour du Christ et de l'Église que vous allez traiter comme vous me l'avez dit, mon père, c'est-à-dire ce verset du Cantique : « Prenez-nous les petits renards qui ravagent nos vignes, » convient parfaitement à ce sujet et vous conduit naturellement à la cinquième urne. Je vous prie donc, mon père, de distinguer entre toutes les parties de ces hérésies qui sont venues à votre connaissance et de les détruire en leur opposant les raisons et les autorités de notre foi qui militent contre elles.

2. On vient de découvrir près de Cologne quelques hérétiques dont plusieurs ont eu le bonheur de rentrer dans le sein de l'Église. Deux d'entre eux, celui qui se disait leur évêque et son compagnon nous ont résisté en face dans une assemblée de clercs et de laïcs présidée par monseigneur l'archevêque, et en présence de plusieurs grands et nobles personnages : ils ont défendu leur hérésie, en s'appuyant sur les paroles de Jésus-Christ et de l'Apôtre. Comme ils virent qu'ils ne pouvaient rien gagner, ils demandèrent qu'on leur assignât un jour où ils pourraient se présenter avec quelques hommes de leur opinion plus versés qu'eux dans leur doctrine, et promirent de se soumettre à l'Église s'ils voyaient leurs docteurs embarrassés pour répondre, sinon ils se montraient décidés à mourir plutôt que de renoncer à leurs opinions. A ces propositions on répondit pendant trois jours de suite par des exhortations; mais comme ils ne voulurent point s'y rendre, ils se sont vus enlevés de force à notre insu par la populace transportée d'un zèle exagéré, précipités dans les flammes et brûlés. Mais chose bien faite pour exciter la surprise, ils allèrent au supplice du feu et le souffrirent, non-seulement avec résignation, mais même avec joie. A ce sujet je voudrais, mon père, vous demander, si j'étais près de vous, comment il se fait que ces membres du diable ont fait preuve, dans leur hérésie, d'une constance telle qu'on en trouve à peine une aussi grande dans les hommes les plus attachés à la foi de Jésus-Christ.

3. Or voici quelle est leur hérésie. Ils disent que l'Église ~ne se trouve que chez eux, attendu qu'il n'y a qu'eux qui marchent sur les traces de Jésus-Christ et qui observent la vraie doctrine des apôtres; car ils ne recherchent aucun bien de ce monde, et ne possèdent ni maisons, ni champs, ni argent, de même que Jésus-Christ n'en possède jamais et ne permit pas à ses disciples d'en posséder. Pour vous, nous disent-ils, vous ajoutez maison à maison, domaine à domaine, et vous recherchez les choses de ce monde. C'est au point que ceux qui, parmi vous, passent pour les plus parfaits, tel que les moines et les chanoines réguliers, s'ils ne possèdent point ces choses en propre, les possèdent du moins en commun. Quant à nous, disent-ils, nous sommes les pauvres de Jésus-Christ, nous ne demeurons nulle part, nous fuyons d'une ville à l'autre, comme des brebis au milieu des loups ; nous souffrons persécution avec les apôtres et les martyrs ; et en attendant, la vie sainte et austère que nous menons se passe dans le jeûne et les abstinences, dans les prières et le travail, le jour et la nuit, et nous ne recherchons à tirer de nos occupations que les choses absolument nécessaires à la vie. Nous souffrons cela parce que nous ne sommes point de ce monde; pour vous qui aimez le monde, vous avez la paix avec lui parce que vous êtes du monde. Les faux prophètes, en altérant la parole du Verbe parce qu'ils cherchaient leurs propres intérêts, vous ont égarés vous et vos pères. Pour nous, au contraire, et pour nos pères qui ont été engendrés apôtres, nous avons persévéré dans la grâce du Christ, et nous y persévérerons jusqu'à la fin des siècles. C'est pour nous distinguer de vous, que le Christ a dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits. » Nos fruits à nous, c'est de marcher sur les pas du Christ.

Dans leurs aliments, ils proscrivent toute espèce de laitage, et tout ce qui vient du lait, de même que tout ce qui se produit par voie de génération. C'est la pratique qui les distingue de nous, dans la vie commune.

Dans la réception des sacrements, ils se couvrent la tête d'un voile; toutefois ils nous ont avoué sans détour que, dans leurs repas quotidiens, se conformant à l'usage des apôtres, ils consacrent le pain et le vin au corps et au sang de Jésus-Christ par la formule du Seigneur, afin do se nourrir de Jésus-Christ, et d'en devenir ainsi le corps et les membres. Quant à nous, ils disent que nous n'avons point la réalité dans les sacrements, mais seulement une ombre et une tradition humaine. Ils prétendent encore qu'ils donnent et reçoivent le baptême dans le feu et le Saint-Esprit, et s'appuient sur les paroles de Jean-Baptiste, qui baptisait dans l'eau seulement et qui disait, en parlant du Christ : « Pour lui, il vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu. » Et ailleurs : « Pour moi je vous baptise dans l'eau, mais il y en a un au milieu de vous, qui est plus grand que vous, et que vous ne reconnaissez point, » comme s'il avait voulu dire par-là, il vous baptisera d'un autre baptême que celui de l'eau. Ils s'efforcent de plus de prouver, par les paroles de saint Luc, que ce baptême doit se donner par l'imposition des mains. En effet, saint Luc; en décrivant, dans les Actes des apôtres, le baptême que saint Paul reçut des mains d'Ananie, suivant l'ordre de Jésus-Christ, ne fait point mention d'eau, mais seulement d'une imposition des mains, et ils prétendent que tout ce qu'on lit dans les actes des apôtres, et dans les épîtres de saint Paul, sur l'imposition des mains, doit s'entendre de ce baptême. Quiconque parmi eux a reçu ce baptême est appelé élu; il a le pouvoir de baptiser les autres, lorsqu'ils sont digues de recevoir le baptême, et de consacrer le corps et le sang du Seigneur à table. L'imposition des mains fait passer, chez eux, du rang d'auditeurs, comme il les appellent, à celui des croyants, et donne le droit d'assister à leurs prières, jusqu'à ce que, après une épreuve suffisante, on soit fait élu. Ils ne tiennent aucun compte de notre baptême; ils condamnent le mariage, je n'ai pu savoir d'eux, la raison de cette condamnation, soit parce qu'ils n'osaient pas l'avancer, soit parce qu'ils n'en avaient pas à donner.

4. Nous avons encore d'autres hérétiques dans nos contrées; ils différent du tout au tout des premiers, c'est même par leurs discordes et leur antagonisme que nous les avons découverts. Ces derniers nient que le corps de Jésus-Christ se trouve sur l'autel, attendu que tous les prêtres de l'Église ne sont point consacrés. Selon eux, la dignité apostolique s'est corrompue, en se mêlant des choses du siècle. Assis dans la chaire de Pierre, le pape n'est plus enrôlé au service de Dieu, comme le fut saint Pierre, et s'est ainsi privé du pouvoir de consacrer qui fut: accordé à Pierre. Or, l'autorité apostolique ne peut donner aux archevêques, et aux évêques qui vivent selon le siècle dans l'Église, le pouvoir qu'elle n'a plus elle-même, de transmettre à quelques hommes la vertu de consacrer ; ils s'appuient sur ces paroles de Jésus-Christ : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites ce qu'ils disent: » et raisonnent comme si, par ces paroles, il était dit que, à ceux qui ressemblent aux scribes et aux pharisiens, il n'est accordé que le pouvoir de prêcher et d'ordonner, et rien de plus. Voilà comment ils réduisent à néant le sacerdoce de l'Église, et condamnent tous les sacrements, à l'exception du baptême. Encore ne l'admettent-ils que pour les adultes qu'ils disent être baptisés par Jésus-Christ même, de quelque ministre, qu'ils reçoivent les sacrements. Ils n'ont point foi au baptême des enfants, ils s'en tiennent seulement à ces paroles de l'Evangile : « Quiconque croira et sera baptisé, sera sauvé. » Pour eux, tout mariage est une fornication, excepté celui que contractent entre eux deux vierges, homme et femme, et appuient leur sentiment sur cette réponse du Seigneur aux Pharisiens : « L'homme ne séparera pas ce que Dieu a uni, » comme si Dieu même avait uni ceux qui ont eu des rapports ensemble, de même qu'il unit nos premiers parents. Ils citent encore la réponse que fit le Seigneur aux mêmes pharisiens au sujet du billet de divorce ; « Dans le principe il n'en. fut pas ainsi, » et les paroles qui viennent après celles que nous venons de citer: «Tout homme qui épouse une femme renvoyée par son mari, est un fornicateur. » Ils rappellent aussi ces paroles de l'Apôtre : « Que votre mariage soit honorable aux yeux de tous, et que votre lit soit sans tache. »

5. Ils n'ont aucune confiance dans les suffrages des saints, et prétendent que les jeûnes et les autres mortifications de la chair ne sont point nécessaires aux justes, non plus qu'aux pécheurs, attendu qu'il est écrit: « Le jour où le pécheur gémira, tous ses péchés lui seront remis. » Aussi appellent-ils superstitions toutes les autres observances que ni le Christ ni les apôtres après lui n'ont point établies dans l'Église. Ils n'admettent point de purgatoire après la mort, et prétendent que les âmes entrent dans le repos ou dans le châtiment éternel, en sortant de leur corps, et ils citent à l'appui de leur opinion, ces paroles de Salomon : « L'arbre demeurera là où il sera tombé, soit du côté de l'Auster, soit du côté de l'Aquilon. » En conséquence, ils regardent les prières des fidèles et les offrandes pour les morts comme inutiles.

6. C'est donc contre tous ces maux, aussi nombreux que variés, que nous vous prions, Père saint, de tenir éveillés les yeux de votre sollicitude, et de diriger la pointe de votre roseau contre ces bêtes sauvages. Ne nous dites point que la tourde David, où nous nous réfugions est assez fortement construite avec ses boulevards, ses mille boucliers qui pendent à ses murailles, et toutes les armures des forts, dont elle est remplie. Nous voulons, mon Père, que vous réunissiez avec votre zèle, en faisceau, pour nous qui sommes trop faibles et trop lents, toutes les armes, afin qu'elles soient plus propres à découvrir tous ces monstres, et plus en état de repousser leurs attaques. Il faut que vous sachiez aussi, mon seigneur, qu'en revenant à l'Église, ils nous ont dit qu'ils comptaient une multitude de partisans, répandus par toute la terre, parmi lesquels ils comptaient bon nombre de nos moines et de nos clercs. Ceux qui ont été livrés aux flammes nous ont dit dans leur défense, que cette hérésie venait du temps des martyrs, et s’était, tenue secrète jusqu'à nos jours, mais qu'elle s'était conservée en Grèce et dans plusieurs autres endroits. Tels sont ces hérétiques, qui se disent apôtres, et qui ont leur pape. Il y en a parmi eux, qui regardent notre pape comme n'étant point pape, sans toutefois en avoir un autre pour eux. Ces satans apostoliques ont, parmi eux, des femmes qu'ils disent chastes, des veuves et des vierges; ce sont leurs épouses, et elles comptent, soit parmi les élus, soit parmi les croyants. C'est pour se conformer en tout aux moeurs des apôtres, qui avaient la permission de mener des femmes avec eux. Adieu dans le Seigneur.

 

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