SERMON LXXII
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SERMON LXXII. Ce qu'il faut entendre par ces mots : le jour paraît et les ombres s'abaissent. Il y a différents jours selon les hommes. Les justes vivant dans la lumière jouissent d'un jour d'une parfaite clarté ; quant aux impies, comme ils sont plongés tout entiers dans des œuvres de ténèbres, ils n'ont qu'une nuit affreuse.

 

« 1. Mon bien aimé est à moi, et moi, à lui, et il paît parmi les lis, jusqu'à ce que le jour paraisse, (a) et que les ombres soient abaissées (Cant. II, 16). » Il me reste à vous expliquer la dernière partie de ce verset. Et je ne sais à laquelle des deux précédentes je dois la rapporter. Car je puis le faire indifféremment à l'une et à l'autre; puisque, soit que vous disiez : « Mon bien-aimé est à moi, et moi, à lui, jusqu'à ce que le jour paraisse et les ombres s'abaissent, » ou bien, en suivant l'ordre de la lettre : « Il paît parmi les lis jusqu'à ce que le jour paraisse, et les ombres s'abaissent, » l'un et l'autre sens sont fort bons. Il y a seulement cette différence que, si on rapporte ces mots, « jusqu'à ce que, » au premier membre, ils expriment que le jour est inclus ; et si on les joint avec le second, il faut entendre que c'est jusqu'au jour exclusivement. Car supposez que l'Époux cesse de paître parmi les lis lorsque le jour se lève, cessera-t-il aussi d'être à l'Épouse ou l'Épouse d'être à lui? A Dieu ne plaise. Ils continueront éternellement à être mutuellement l'un à l'autre, avec ce seul changement que leur union sera d'autant plus heureuse qu'elle sera plus forte, et d'autant plus forte qu'elle sera plus libre. Il faut donc entendre ces mots, « jusqu'à ce que, » comme saint Mathieu, lorsqu'il dit que Joseph ne connut point Marie, « jusqu'à ce qu'elle eût enfanté son premier né. » Car il ne la connut pas non plus après. Ou comme dans ce verset d'un psaume : « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait compassion de nous (Psal. CXII, 2). » Car nous ne les détournerons pas de lui, lorsqu'il commencera à avoir compassion de nous. Ou bien encore comme dans cette parole du Seigneur aux apôtres : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (Matt. XXVIII, 20). » Car il ne cessera pas d'être avec eux après la fin du monde. Voilà donc comment il faut entendre ces mots, « jusqu'à ce que, » si vous les rapportez à ces paroles : « Mon bien-aimé est à moi, et moi, à lui. » Mais si vous aimez mieux les rapporter à ces autres : « Il paît parmi les lis, » il faudra les prendre dans un autre sens.      Et alors il sera bien plus difficile de montrer comment l'Époux cesse de paître, lorsque le jour commence à souffler. Car si ce jour est celui de la résurrection, pourquoi ne se plaît-il pas davantage à paître parmi les lis en un temps où il y en a une grande abondance Y Voilà pour ce qui regarde les rapports des textes.

2. Considérez maintenant avec moi que si, après la fin du monde,

 

a Guerry loue saint Bernard à l'occasion de ce passage, comme la remarque en a été faits dans la préface de ce tome n. II.

 

l'Époux est dans un royaume qui brille de toutes parts, d'une infinité de beaux lis, et qu'il y jouisse de délices incomparables, on ne pourra pas dire néanmoins qu'il s'y repaisse comme il avait coutume de le faire auparavant. Car où y aura-t-il des pécheurs que Jésus-Christ puisse s'incorporer après les avoir mangés, pour ainsi dire, comme avec les dents d'une discipline austère, je veux dire avec les dents des afflictions de la chair, et de la contrition du coeur ? Le Verbe Époux n'exigera plus cette nourriture des actions de l'obéissance lorsque l'unique action sera d'être dans le repos, et lorsqu'on ne s'occupera qu'à contempler et à aimer. Il est vrai que la nourriture de ce Fils unique, est de faire la volonté de son Père, mais c'est ici, non dans le ciel, car comment la ferait-il, puisqu'elle est faite, et qu'il est constant qu'elle sera parfaite alors ? C'est en ce moment que les saints connaîtront clairement quelle est la volonté de Dieu, cette volonté sainte, juste et parfaite. Que reste-t-il à faire lorsque tout est parfait? Il ne reste plus qu'à jouir, non à faire quoique ce soit, à éprouver, non pas à travailler, à vivre de cette divine volonté, non pas à s'exercer à l'accomplir. N'est-ce pas elle que nous avons appris du Seigneur à demander avec instance qu'elle s'accomplisse dans le ciel et sur la terre (Matt. VI, 14), afin que lorsque nous serons dans le ciel nous n'ayons plus qu'à en recueillir le fruit? Le Verbe Époux n'aura pas besoin de la nourriture des bonnes oeuvres, parce qu'il faut que toute oeuvre cesse lorsque nous serons tous abondamment remplis de la sagesse. Car ceux qui agissent moins l'acquièrent, selon la parole du sage même (Eccli. XXXVIII, 25).

3. Mais voyons maintenant si ce que nous disons peut subsister avec le sens que nous avons donné, ainsi que quelques-uns l'ont fait, à ces paroles : « Se repaître parmi les lis;» c'est-à-dire se réjouir de la blancheur des vertus. Car nous n'avons point omis cette interprétation. Dirons-nous qu'alors il n'y aura point de vertus ou que l'Époux n'y prendra point plaisir. Ces deux pensées sont également extravagantes? Mais considérez s'il ne s'en réjouira point d'une autre manière, et si, au lieu qu'elles lui servent ici de nourriture, elles ne lui serviront point de breuvage. Durant cette vie, et dans ce corps mortel, il n'y a point de vertu si purifiée, et pour ainsi dire si clarifiée, qu'elle puisse servir de breuvage à l'Époux. Mais celui qui veut que tous les hommes soient sauvés, ferme les yeux sur beaucoup de choses, et ceux qu'il ne peut faire prendre comme breuvage, il a soin d'en tirer quelque chose d'agréable au goût, et de les préparer avec art et avec peine, pour s'en servir comme d'une nourriture. Il arrivera un jour que la vertu sera pure et claire, en sorte que, au lieu d'être pressée sous la dent et fatiguée par celui qui la mange, ou plutôt au lieu de le fatiguer, elle lui servira de boisson agréable, parce qu'elle ne sera plus une nourriture, mais un breuvage. C'est ce que le Seigneur nous promet dans l'Évangile, lors qu'il dit: « Je ne boirai point de ce fruit de la vigne,       jusqu'à ce que je le boive nouveau avec vous dans le royaume de mon Père (Matt. XXVI, 29). » Il ne fait aucune mention de nourriture. Nous lisons aussi dans le Prophète qu'il « est comme un homme robuste, à qui le vin donne de nouvelles forces (Psal. LXXVII, 65). Il n'est point non plus parlé en cet endroit de nourriture. L'Épouse instruite de ce mystère, ayant trouvé et publié que son bien-aimé paît parmi les lis, établit donc un terme jusqu'où il daigne avoir cette bonté, ou plutôt elle reconnaît et déclare le terme déjà fixé en disant, « jusqu'à ce que le jour paraisse, et que les ombres s'abaissent. » Car elle sait bien qu'après cela il doit plutôt s'abreuver que se nourrir de vertus. C'est d'ailleurs parfaitement en rapport avec ce qui a lieu d'ordinaire, car on boit après qu'on a mangé; celui donc qui mange ici-bas, boira dans le ciel, et avec d'autant plus de plaisir qu'il le fera avec plus d'assurance, parce qu'alors il avalera aisément les choses que maintenant il coupe avec peine comme par morceaux, pour les avaler plus facilement.

4. voyons maintenant quel est ce jour, et quelles sont ces ombres dont parle l'Épouse, comment l'un souffle ou paraît, et les autres s'abaissent. Cette expression, «jusqu'à ce que le jour souffle » est remarquable, et même tout-à-fait particulière à ce lieu, parce que c'est le vent qui souffle, non le temps. L'homme respire l'air, les autres animaux le respirent aussi, et c'est cette- respiration continuelle qui les fait vivre. Et qu'est-ce que l'air, sinon du vent ? Le Saint-Esprit souffle aussi, et c'est de là qu'il tire son nom. Comment donc le jour souffle-t-il, puisqu'il n'est ni vent ni esprit animal ? Et encore l'Écriture ne dit pas, qu'il souffle, mais, ce qui emporte quelque chose de plus, « qu'il aspire. » Il n'est pas moins extraordinaire qu'elle dise, « que les ombres s'abaissent, » puisque lorsque cette lumière visible et corporelle ose lève, les ombres ne s'abaissent pas, mais se dissipent tout-à-fait. Il Saut donc chercher l'explication de ces choses hors du corps. Et si nous pouvons trouver un jour et des ombres spirituelles, peut-être alors entendrons-nous plus aisément ce que c'est que « l'aspiration » de l'un et « l'abaissement » des autres. Si on croit que c'est d'un jour corporel que le Prophète a dit: « un jour dans votre maison vaut mieux que mille ailleurs (Psa1. LXXXIII, 2), » je ne sais ce qu'on ne devra point entendre d'une manière corporelle. Il y a aussi un jour qui se prend -en mauvaise part et que les prophètes ont maudit (Job. III, 3 et Jer. XX, 14). Mais Dieu nous garde de croire que ce soit un de ceux que nous voyons des yeux du corps. C'est donc un jour spirituel.

5. Qui doute aussi que l'ombre qui environna Marie, lorsqu'elle conçut, ne soit spirituelle; ainsi que celle dont parle le Prophète quand il dit « Le Seigneur Christ est un esprit présent devant nous ; nous vivrons sous son ombre, parmi les nations (Thren. IV, 20)?» Je crois néanmoins qu'ici, les ombres désignent les puissances ennemies quine sont pas seulement des ombres et des ténèbres, mais que l'Apôtre appelle même « les princes des ténèbres d'ici-bas (Eph. VI, 12). » Elles désignent aussi, ceux d'entre nous qui leur sont attachés, et qui sont enfants de la nuit, non pas du jour ou de la lumière. Car lorsque le jour paraîtra, ces ombres ne seront pas entièrement anéanties; au lieu qu'à la présence du soleil sensible, les ombres corporelles ne disparaissent pas seulement, mais sont absolument détruites. Elles ne seront donc pas anéanties, mais elles seront plus misérables que si elles l'étaient. Elles subsisteront, mais abaissées et soumises : « il s'abaissera, » dit le Prophète en parlant sans doute du Prince des ténèbres, « et il tombera lorsque le règne des pauvres sera arrivé (Psal. IX, 40). » Sa nature ne sera donc pas anéantie, mais sa puissance lui sera ôtée; sa substance ne périra pas, mais le temps de la puissance des ténèbres passera. Ils sont précipités, afin qu'ils ne voient point la gloire de Dieu, et ils ne sont pas anéantis, afin qu'ils soient toujours brûlés. Les ombres ne seront elles pas abaissées, lorsqu'on fera descendre. les puissants de leurs trônes, et qu'ils deviendront le marchepied de Dieu? Ce qui doit arriver bientôt ; car la dernière heure est venue. La nuit a précédé et le jour approche (Rom. XIII, 12). Le jour aspirera et la nuit expirera. La nuit c'est le diable, la nuit c'est l'ange de Satan, quoiqu'il se transfigure en ange de lumière. La nuit c'est aussi l'Antéchrist, que le Seigneur tuera du souffle de sa bouche, et détruira par la lumière de son avènement. Le Seigneur ne sera-t-il pas un jour ? Oui, c'est un jour qui éclaire, et qui souffle en même temps, qui chasse les ombres par le souffle de sa bouche, et détruit les fantômes par la lumière de son avènement. Ou si vous aimez mieux entendre plus simplement cet « abaissement » des ombres, en ce sens que abaissé signifie anéanti, je ne m'y oppose pas; nous disons que les figures et les énigmes de l'Écriture sont des ombres, ainsi que les discours des sophistes, et leurs arguments subtils et captieux, qui couvrent la lumière de la vérité. Car nous ne connaissons qu'en partie (I Cor. XIII, 9), et ne devinons aussi qu'en partie. Mais lorsque le jour paraîtra, les ombres seront anéanties, parce que la plénitude de la lumière occupant tout, il ne pourra plus rester de ténèbres. « Car lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui est imparfait sera détruit (Ibid. 40).

6. Cela pourrait suffire si l'Écriture disait que le jour « souffle » non pas qu'il aspire. Mais je crois qu'il est nécessaire d'ajouter encore ici quelque chose, pour expliquer la raison de cette petite addition, et de la différence qu'elle produit. Car, pour vous parler en toute vérité, je suis persuadé qu'il n'y a rien d'inutile dans le texte précieux et sacré de l'Écriture, et que la moindre particule a sou sens particulier. Or, nous avons coutume de nous servir de ce mot, lorsque nous désirons passionnément quelque chose. Comme, par exemple, lorsque nous disons, un tel « aspire » à cet honneur, ou à cette dignité. Cette parole donc marque une merveilleuse abondance de l'Esprit-Saint, qui doit se manifester, lorsque non-seulement nos âmes mais nos corps même deviendront spirituels à leur manière, et que ceux qui en seront trouvés dignes seront enivrés de l'affluence des biens de la maison de Dieu, et abreuvés d'un torrent de délices.

7. Ou autrement encore. Le jour sanctifié a déjà éclairé les anges, on leur soufflant, comme un vent impétueux, les secrets ineffables de l'éternelle divinité. Car le Prophète dit que l'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu (Psal. XLXV, 5) ; mais la cité à laquelle il dit « Tous ceux qui demeureront en vous seront comblés de joie (Psal. LXXXVI, 7). » Mais lorsque ce jour aura soufflé pour nous qui habitons la terre, il ne sera pas seulement un jour « soufflant » mais un jour « aspirant, » parce qu'il nous recevra comme en ouvrant son sein. Ou bien. afin de reprendre les choses d'un peu plus haut, et de les traiter avec plus d'étendue, après que le Créateur eut formé l'homme du limon de la terre, l'histoire véridique rapporte qu'il « souffla sur sa face un souffle de vie (Gen. II, 7). » C'est pourquoi ce jour-là fut pour lui un jour « inspirant. » Mais une nuit maligne et envieuse se mêla artificieusement dans ce jour, en se revêtant d'une fausse lumière ; car en promettant à l'homme une lumière de science bien plus brillante que la sienne, par ce conseil pernicieux, elle remplit nos premiers parents de soudaines ténèbres, et d'une obscurité profonde et affreuse. Malheur ! malheur! ils ne connurent pas le piège qu'on leur tendait, ils marchèrent dans les ténèbres sans le savoir, et prirent les ténèbres pour la lumière, et la lumière pour les ténèbres. Car la femme mangea du fruit que lui avait donné le serpent, et que Dieu lui avait défendu de manger, elle en donna à son mari, et un nouveau jour commença à luie pour eux. Car aussitôt leurs yeux furent ouverts (Gen. III, 7), et ce jour fut pour eux un jour conspirant qui détruisit le jour inspirant, et le remplaça par le jour expirant. En effet, la malice du serpent, les caresses de la femme, et la faiblesse de l'homme, conspirèrent ensemble contre le Seigneur et contre son Christ. Aussi le Seigneur et son Christ se disaient-ils l'un à l'autre : « Voilà Adam qui est devenu comme l'un de nous (Gen. III, 22), » parce qu'il avait acquiescé aux cajoleries des pécheurs, par une lâcheté qui leur faisait injure à tous deux.

8. Nous naissons tous dans ce jour. Nous portons en effet imprimé sur nous, le caractère de cette ancienne « conspiration, » car Eve vit encore dans notre chair, et le serpent s'efforce sans cesse par le moyen de la concupiscence que nous avons héritée d'elle, de nous faire consentir à la rébellion. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, des saints de la loi ancienne ont maudit ce jour, et souhaité que la durée en fût abrégée, et qu'il fût bientôt changé en ténèbres, parce que c'est un jour de contention et de contradiction, où la chair ne    cesse de s'élever contre l'esprit, et où la loi des membres est dans une continuelle révolte contre la loi de l'esprit. C'est pourquoi il est devenu un « jour expirant. » Car quel est l’homme qui vivra et ne verra point la mort. Qu'on    dise, si l'on veut, que c'est un effet de la colère de Dieu,           pour moi, je croirai toujours que c'est un effet de sa miséricorde, afin que les élus, pour qui il fait toutes choses, ne soient point si longtemps tourmentés par cite contradiction malheureuse. Car ils abhorrent et souffrent avec grand peine cette captivité honteuse et cette misérable contradiction.

9. Hâtons-nous donc de «respirer » de cette « conspiration » ancienne et criminelle, parce que les jours de l'homme sont courts. Que le jour «respirant » nous reçoive et nous éclaire, avant qu'une nuit pleine d'horreur nous enveloppe dans les ténèbres extérieures d'une obscurité éternelle. Demandez-nous en quoi consiste cette « réparation » ? C'est en ce que l'esprit commence à son tour à concevoir des désirs contraires à la chair. Mortifier les oeuvres de la chair, par l'esprit, c'est « respirer.» La crucifier avec ses accès et ses concupiscences, c'est « respirer ». « Je châtie mon corps, dit l'Apôtre, et le réduis en servitude, de peur que lorsque j'aurai prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé (I Cor. IX, 17). » C'est là le cri d'un homme qui respirait, ou plutôt qui avait déjà respiré. « Allez-vous-en, et faites de même (Luc. X,  97), » afin de faire connaître que vous avez aussi respiré, afin que le jour « inspirant » nous éclaire de nouveau. La nuit de la mort ne prévaudra point sur ce jour renaissant, il luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point enveloppé. Cette lumière de vie ne se perdra pas même avec la vie, et celui qui mourra de la sorte pourra dire avec raison : « La nuit même est devenue, pour moi, un jour très-agréable.» Et comment ne verrait-il point plus clair, lorsqu'il sera dégagé des nuages, ou plutôt de la corruption du corps ? Il sera délivré, n'en doutez pas, des liens du corps, libre parmi les morts, et clairvoyant parmi les aveugles. Car, comme autrefois, pendant que personne ne voyait clair dans l'Égypte, seul, le peuple d'Israël voyait au milieu des ténèbres, suivant ce que dit l'Écriture, « qu'il faisait jour partout où était le peuple d'Israël (Exod. X. 23), » de même les justes brilleront d'une vive lueur parmi les enfants des ténèbres, et, dans une terre couverte de l'ombre de la mort, ils verront d'autant plus clair qu'ils seront dégagés des ombres du corps. Car, pour ceux qui n'auront point respiré parce qu'ils n'ont point cherché la lumière du jour inspirant, et que le Soleil de justice ne s'est point levé sur eux, ils passeront de ces ténèbres en d'autres ténèbres encore plus épaisses, en sorte que ceux qui sont couverts de ténèbres le seront davantage, et que ceux qui voient verront encore mieux.

10. Ou peut fort bien appliquer, ce me semble, à ce propos, cette parole du Sauveur : « Que, à celui qui a quelque chose, on donnera des biens en abondance; et que à celui qui n'a rien, on ôtera même ce qu'il semble avoir (Luc. XIX. 26). » Oui, car à la mort, il sera donné une nouvelle lumière, à ceux qui voyaient déjà, et à ceux qui ne voient point, on ôtera même le peu qu'ils semblent avoir. Car, à proportion que ceux-ci voient. moins, ceux-là voient davantage, jusqu'à ce que les uns entrent dans une nuit « soupirante » et les autres dans le jour « aspirant », qui sont les deux extrêmes ; un extrême aveuglement, et une suprême clarté. Alors il n'y aura plus rien à ôter à ceux qui seront absolument dénués de tout, ni à ajouter à ceux qui seront pleins de tout, si ce n'est que ces derniers espèrent recevoir encore quelque chose au delà de la plénitude, selon la promesse que le Sauveur leur a faite en disant : « On mettra dans votre sein une mesure bonne, pleine, entassée, et qui regorgera par dessus (Luc. VI. 78). » Ce qui regorge ne vous semble-t-il pas plus que ce qui est plein? Cette plénitude surabondante ne vous surprendra pas quand vous verrez qu'il est dit : « Dans l'éternité, et au delà (Exod. XX. 18). » Ce sera donc là le comble du jour « aspirant ». Il ajoute, dis-je encore, quelque chose à la plénitude « inspirée, à l'abondance du jour inspirant », il augmente infiniment l'éclat de la gloire, et la fait rejaillir sur le corps même. Car c'est pour cela qu'il est appelé le jour aspirant , parce qu'il ajoute à « l'inspirant ». Ce que le Saint-Esprit a marqué par cette préposition à «aspirant », parce que ceux que ce premier jour éclaire au dedans, celui-ci les orne au dehors, et les revêt d'une robe de gloire.

11. Je crois que cela suffit pour rendre raison de ce mot « aspirant ». Et si, voulez-vous que je vous le dise, le jour « aspirant » c'est le Sauveur que nous attendons, qui réformera notre corps vil et bas, en le rendant conforme à son corps glorieux (Phil. III. 21). Il est aussi le jour « inspirant », parce qu'il nous fait respirer premièrement, dans la lumière qu'il « inspire », afin que nous soyons aussi en lui un jour « inspirant », en tant que notre âme intérieure se renouvelle de jour en jour, et dans l'esprit, en se rendant semblable à l'image de celui qui l'a créée, et devient ainsi jour de jour, et lumière de lumière. Il y a donc deux jours en nous, le jour « inspirant », qui est la vie du corps, et le jour « respirant», qui est la sanctification de la grâce, et il en reste un troisième, le jour «aspirant », qui nous éclairera par la gloire de la résurrection; il est manifeste que le grand mystère de bouté qui s'est accompli dans le chef, s'accomplira aussi dans les membres, selon ce témoignage du Prophète : « Il nous vivifiera après deux jours, il nous ressuscitera le troisième jour; nous vivrons en sa présence; nous serons intelligents, et nous le suivrons, afin de connaître le Seigneur (Osee. VI, 3). » C'est lui que les anges désirent contempler, l'époux de l'Église, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu est élevé et béni par dessus tout dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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