MÉDITATIONS SUR LA VIE DE JÉSUS-CHRIST.
Avant-propos du saint.
FÉRIE PREMIÈRE.
CHAPITRE PREMIER. De l'Intercession pleine de sollicitude des Anges pour nous.
CHAPITRE II. Dispute entre la Miséricorde et la Justice, la Vérité et la Paix.
CHAPITRE III. De la vie de la bienheureuse Vierge et des sept demandes qu'elle adressait à Dieu.
CHAPITRE IV. De l'Incarnation de Jésus-Christ.
CHAPITRE V. Comment la bienheureuse Vierge Marie a visite sainte Elisabeth, et des cantiques Magnificat et Benedictus.
CHAPITRE VI. Comment Joseph voulut renvoyer Marie, et comment Dieu permet que les siens soient dans la tribulation.
SECONDE FÉRIE.
CHAPITRE VII. De la naissance de Jésus-Christ.
CHAPITRE VIII. De la Circoncision et des larmes de l'Enfant-Jésus.
CHAPITRE IX. De l'Épiphanie ou manifestation du Seigneur.
CHAPITRE X. Du séjour de Marie auprès de la Crèche.
CHAPITRE XI. De la purification de la bienheureuse Vierge.
TROISIÈME FÉRIE.
CHAPITRE XII. De la fuite du Seigneur en Égypte.
CHAPITRE XIII. Du retour du Seigneur de l'Égypte.
CHAPITRE XIV. Comment l'Enfant-Jésus demeura à Jérusalem.
CHAPITRE XV. Ce que Jésus fit depuis sa douzième année jusqu'à sa trentième.
CHAPITRE XVI. Du baptême de Notre Seigneur Jésus-Christ.
CHAPITRE XVII. Du jeûne et des tentations de Jésus-Christ. De son retour vers sa Mère. De quatre moyens pour arriver ai la pureté du coeur. Plusieurs excellentes choses touchant l'oraison. De la résistance a la gourmandise. Pourquoi et en faveur de qui le Seigneur fait des miracles.
QUATRIÈME FÉRIE.
CHAPITRE XVIII. De l'ouverture du livre dans la Synagogue.
CHAPITRE XIX. De la vocation des Disciples.
CHAPITRE XX. Du changement de l'eau en vin aux noces de Cana (1).
CHAPITRE XXI. Du sermon du Seigneur sur la montagne, qu'Il commence par la pauvreté.
CHAPITRE XXII. Du serviteur du Centurion et du fils de l'officier du roi guéris par le Seigneur.
CHAPITRE XXIII. Du paralytique descendu par le toit et guéri par Jésus.
CHAPITRE XXIV. De la guérison de la belle-mère de Simon.
CHAPITRE XXV. Du sommeil du Seigneur dans la barque.
CHAPITRE XXVI. Du fils de la veuve ressuscité par le Seigneur.
CHAPITRE XXVII. De la jeune fille ressuscitée et de la guérison de Marthe.
CHAPITRE XXIII. De la conversion de Madeleine et autres faits.
CHAPITRE XXIX. Comment Jean-Baptiste envoya ses Disciples à Jésus.
CHAPITRE XXX. De la mort de saint Jean-Baptiste.
CHAPITRE XXXI. De l'entretien avec la Samaritaine
CHAPITRE XXXII. Comment on voulut précipiter le Seigneur du haut d'une montagne.
CHAPITRE XXXIII. De l'homme dont la main était aride et que le Seigneur guérit.
CHAPITRE XXXIV. De la multiplication des pains, et comment le Seigneur vient en aille à ceux qui l'aiment.
CHAPITRE XXXV. De la fuite du Seigneur quand on voulut le faire roi, et, à cette occasion, pensées contre les honneurs du monde.
CHAPITRE XXXVI. Comment le Seigneur a prié sur la montagne, et comment, en étant descendu, il a marché sur les eaux, et ensuite plusieurs instructions sur l'oraison.
CHAPITRE XXXVII. De la Chananéenne. Comment nos Anges gardiens nous servent avec fidélité.
CHAPITRE XXXVIII. Comment quelques-uns furent scandalisés des paroles du Seigneur.
CHAPITRE XXXIX. De la récompense de ceux qui abandonnent tout.
CHAPITRE XL. Comment le Seigneur demanda à ses Disciples ce que les hommes disaient de lui.
CHAPITRE XLI. De la transfiguration du Seigneur sur la montagne.
CHAPITRE XLII. Jésus chasse du temple ceux qui y vendaient et y achetaient.
CHAPITRE XLIII. De la piscine probatique. De la fuite des jugements téméraires.
CHAPITRE XLIV. Comment les Disciples de Jésus-Christ broyaient des épis pour s'en nourrir, et ensuite de la pauvreté.
CHAPITRE XLV. Du ministère de Marthe et de Marie. De l'ordre de la contemplation, laquelle renferme deux parties.
CHAPITRE XLVI. La vie active précède la vie contemplative.
CHAPITRE XLVII. De l'oraison et de sept choses que doit posséder le parfait docteur.
CHAPITRE XLVIII. De l'exercice de la vie active.
CHAPITRE XLIX. De l'exercice de la vie contemplative
CHAPITRE L. Des trois espèces de contemplation.
CHAPITRE LI. De la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ.
CHAPITRE LII. De la contemplation de la cour céleste.
CHAPITRE LIII. De la contemplation de la majesté divine, et en même temps de quatre sortes de contemplation.
CHAPITRE LIV. Manière de vivre dans la vie active. Excellents passages de saint Bernard sur ce sujet.
CHAPITRE LV. Manière de vivre dans la vie contemplative.
CHAPITRE LVI. Des quatre empêchements de la contemplation.
CHAPITRE LVII. La vie contemplative mérite la préférence sur la vie active.
CHAPITRE LVIII. Le contemplatif se reporte pour trois raisons et la vie active ; et ensuite que la foi sans les oeuvres est une foi morte.
CHAPITRE LIX. Comment le Seigneur, sous la parabole des cultivateurs de la vigne qui ont mis à mort le Fils de leur Maître, dit aux Juifs que l'Église passerait aux Gentils.
CHAPITRE LX. Comment les Juifs voulurent surprendre Jésus dans ses discours.
CHAPITRE LXI. De l'aveugle qui recouvre la vue à Jéricho et de plusieurs autres choses.
CHAPITRE LXII. Comment le Seigneur entra dans la maison de Zachée.
CHAPITRE LXIII. Guérison de l'aveugle-né.
CHAPITRE LXIV. Comment le Seigneur s'enfuit du Temple et se cacha quand les Juifs voulurent le lapider.
CHAPITRE LXV. Comment, eu une autre circonstance, les Juifs voulurent lapider Jésus.
CHAPITRE LXVI. De la résurrection de Lazare.
CHAPITRE LXVII. De la malédiction du figuier.
CHAPITRE LXVIII. De la femme surprise en adultère.
CHAPITRE LXIX. De la conspiration des Juifs contre Jésus et de sa fuite en la ville d'Éphrem.
CHAPITRE LXX. Comment le Seigneur revint à Béthanie où Marie-Madeleine oignit ses pieds.
CHAPITRE LXXI. De l'entrée du Seigneur Jérusalem sur un âne, et en même temps comment il est dit que Jésus a pleuré trois fois.
CHAPITRE LXXII. Comment le Seigneur prédit sa Passion à sa Mère.
CHAPITRE LXXVIII. De la Cène du Seigneur et en même temps de la table et de la manière de s'y tenir. Exemple de cinq vertus donné par Jésus dans la Cène, et aussi de cinq choses du discours du Seigneur.
FÉRIE SIXIÈME.
CHAPITRE LXXIV. Méditations sur la Passion du Seigneur en général.
CHAPITRE LXXV. Méditation sur la Passion de Jésus-Christ avant Matines.
CHAPITRE LXXVI. Méditation sur la Passion de Jésus-Christ pour l'heure de Prime.
CHAPITRE LXXVII. Méditation sur la Passion de Jésus-Christ pour l'heure de Tierce.
CHAPITRE LXXVIII. Méditation sur la Passion de Jésus-Christ pour l'heure de Sexte.
CHAPITRE LXXIX. Méditation sur la Passion du Seigneur pour l'heure de None.
CHAPITRE LXXX. De l'ouverture du côté de Jésus.
CHAPITRE LXXXI. Méditation pour l'heure de Vêpres.
CHAPITRE LXXXII. Pour l'heure de Complies.
CHAPITRE LXXXIII. Méditation après Complies.
Jour du Sabbat ou Samedi.
CHAPITRE LXXXIV. Méditation sur Marie et ses compagnes pour le jour du samedi.
CHAPITRE LXXXV. Méditation sur Jésus descendant aux Enfers le jour du Samedi.
CHAPITRE LXXXVI. De la Résurrection du Seigneur , et comment il apparut d'abord à sa Mère le jour du dimanche.
CHAPITRE LXXXVII. Comment Marie-Madeleine et les deux autres Marie vinrent au tombeau, et comment Pierre et Jean y allèrent à leur tour.
CHAPITRE LXXXVIII. Le Seigneur apparaît aux trois Marie.
CHAPITRE LXXXIX. Le Seigneur apparaît à Joseph, à Jacques le Mineur et à Pierre.
CHAPITRE XC. Du retour de Notre Seigneur vers les saints Pères après sa résurrection.
CHAPITRE XCI. Le Seigneur apparaît à deux Disciples qui allaient a Emmaüs.
CHAPITRE XCII. Le Seigneur apparaît aux Disciples renfermés dans le Cénacle le jour de la Résurrection.
CHAPITRE XCIII. Le Seigneur apparaît aux Apôtres le jour de l'Octave de Pâques, et Thomas qui se trouvait avec eux.
CHAPITRE XCIV. Le Seigneur apparaît à ses Disciples en Galilée.
CHAPITRE XCV. Le Seigneur apparaît aux Disciples près de la mer de Tibériade.
CHAPITRE XCVI. Le Seigneur apparaît à plus de cinq cents frères réunis, et de ses autres apparitions.
CHAPITRE XCVII. De l'Ascension du Seigneur.
CHAPITRE XCVIII. De l'envoi du Saint-Esprit.
CHAPITRE XCXIX. Que la vie de Jésus-Christ peut être méditée selon la chair et selon l'esprit (2).
CHAPITRE C. De la manière de méditer la vie de Jésus-Christ, et conclusion de l'ouvrage.
Entre autres éloges des mérites et des vertus de la très-sainte vierge Cécile, nous lisons qu'elle portait, en tout temps, caché dans son sein, l'Evangile de Jésus-Christ. Ce qui veut dire, je crois, qu'elle s'était choisi un certain nombre de passages les plus touchants de la vie de Notre Seigneur, tels que l'Evangile nous les a livrés; qu'elle les méditait jour et nuit avec un coeur pur et innocent, une application fervente et toute particulière; qu'après les avoir parcourus avec ordre, elle recommençait de nouveau; et que, les repassant dans son esprit pour en exprimer la douceur et la suavité, elle les plaçait d'une manière ineffaçable dans le secret de son coeur. Je vous
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conseille de faire de même, car, parmi les exercices de la vie spirituelle, je crois que c'est par-dessus tout ce qu'il y a de plus nécessaire, de plus profitable, et qui peut conduire à un plus haut degré de perfection. En effet, vous ne trouverez rien qui vous tienne en garde contre les jouissances vaines et fragiles, contre les tribulations et les adversités, contre les tentatives de vos ennemis, enfin contre le vice, comme la vie de Jésus-Christ, cette vie parfaite et exempte de tout défaut. Par une méditation fréquente et assidue d'une telle vie, l'âme parvient à une familiarité, à une confiance et à un amour envers Jésus-Christ tels qu'elle dédaigne et méprise tout le reste. De plus, elle se fortifie et s'instruit par là dans ce qu'elle doit faire ou éviter.
Je dis donc d'abord que la méditation continuelle de la vie du Seigneur Jésus affermit l'âme et la rend forte contre les choses vaines et périssables, comme on le voit par la bienheureuse Cécile, qui avait tellement rempli son coeur de la vie du Sauveur, que les vanités n'y pouvaient trouver aucun accès. Aussi au milieu même de la pompe des noces, où cependant il a coutume de se passer tant de frivolités, au milieu des chants et des concerts, elle s'occupait de Dieu seul avec une fermeté inébranlable, et elle s'écriait : « Que mon coeur et mon corps se conservent
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immaculés , ô Seigneur ! afin que je ne sois point confondue (1). »
En second lieu, cette méditation fortifie contre les tribulations et les adversités, comme on le voit dans les martyrs. Saint Bernard parle ainsi sur ce sujet : « Le courage du martyr vient de ce qu'il réside avec un abandon entier dans les plaies de Jésus-Christ, de ce qu'il y a fixé sa demeure par une méditation perpétuelle. Il s'y tient triomphant et plein de joie, bien que son corps tombe en lambeaux, et que le fer ait percé ses flancs. Où donc est l'âme du martyr en ce moment? Elle est dans les entrailles de Jésus, elle est dans les blessures du Sauveur, qui sont ouvertes pour qu'on puisse s'y réfugier. Si elle était dans ses propres entrailles, occupée à sonder ce qui s'y passe, elle sentirait sans doute le fer qui les pénètre ; elle ne pourrait en supporter la douleur, elle succomberait, elle renierait son Dieu. » Ainsi parle saint Bernard (2).
Ce ne sont pas seulement les martyrs, mais aussi les confesseurs qui ont puisé et puisent encore là continuellement une si grande patience dans leurs tribulations et dans leurs infirmités. Si vous lisez la vie du bienheureux François et de la bienheureuse Claire, votre très-tendre mère, vous pourrez y trouver
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comment au milieu de peines, de privations et de souffrances nombreuses, ils étaient non-seulement patients, mais encore pleins de joie. Vous pourrez voir tous les jours la même chose en ceux qui mènent une vie sainte ; et la raison, c'est que leurs âmes ne leur appartiennent pas, ne sont point en leurs corps, mais en Jésus-Christ, par une pieuse méditation de sa vie.
En troisième lieu, je dis que cette méditation nous éclaire sur ce que nous avons à faire, en sorte que ni nos ennemis, ni les vices, ne sauraient faire irruption en nous, ni nous tromper; et cela parce que la perfection de toutes les vertus se trouve en cette vie. En effet, où rencontrerez-vous des exemples et des enseignements de pauvreté élevée, d'humilité admirable, de sagesse profonde, d'oraison, de mansuétude, d'obéissance, de patience et de toutes les autres vertus, comme dans la vie du Seigneur des vertus? Saint Bernard s'exprime ainsi en peu de mots sur ce sujet : « C'est donc en vain que l'on se fatigue à acquérir les vertus, si l'on s'imagine pouvoir les trouver ailleurs que dans le Seigneur des vertus ,
dont la doctrine est une semence de prudence , la miséricorde une oeuvre de justice, la vie un miroir de tempérance, la mort un étendard de force (1). »
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Celui qui suit un tel modèle ne peut donc errer, ni être induit en erreur. Par une méditation fréquente de ses vertus, le coeur s'enflamme et s'excite à les imiter et à les acquérir. Ensuite la vertu l'illumine; il s'en revêt et discerne ce qui est faux de ce qui est vrai, à tel point qu'on a vu des hommes sans instruction connaître parfaitement les mystères les plus profonds et les plus élevés de la Divinité. Comment croyez-vous que le bienheureux François soit parvenu à une telle richesse de vertus, à une intelligence si parfaite des saintes Écritures , à une connaissance si éclairée des ruses de nos ennemis et des vices, si ce n'est par un entretien familier avec Jésus, son Seigneur, et par la méditation de sa vie? Aussi s'en occupait-il avec tant d'ardeur, qu'on eût dit qu'il se fût agi pour lui d'en offrir une copie irréprochable. M'imitait le plus parfaitement qu'il était en lui en tout genre de vertus, et enfin Jésus complétant et perfectionnant ce qui lui manquait par l'impression des stigmates sacrés, il fut totalement transformé en lui.
Vous voyez donc à quelle élévation peut conduire la méditation de la vie de Jésus-Christ. Mais elle est encore une base inébranlable pour atteindre aux degrés les plus hauts de la contemplation ; car c'est là que se trouve l'onction qui purifie l'âme peu à peu, l'élève et l'instruit de toutes choses. Mais ce n'est pas le moment de traiter ce sujet.
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J'ai songé à vous initier aussi à ces méditations de la vie du Seigneur; mais je désirerais qu'un pareil service vous fût rendu par un homme plus expérimenté et plus docte; car, en de tels sujets surtout, je confesse mon insuffisance. Cependant, comme il vaut mieux parler d'une manière quelconque que de garder tout-à-fait le silence, je m'exprimerai familièrement avec vous, dans un langage simple et sans apprêt, tant pour être mieux compris que parce que je désire nourrir votre esprit, et non flatter votre oreille. Ce n'est pas aux beautés du style qu'il s'agit de donner votre application, mais à méditer Jésus-Christ. Saint Jérôme nous confirme dans ce sentiment quand il nous dit : « Un discours simple pénètre jusqu'au fond du coeur; un discours poli, au contraire, ne fait que satisfaire l'oreille. » J'espère donc que ma médiocrité sera de quelque profit à votre simplicité; mais j'ai surtout la confiance que, si vous êtes empressée à vous exercer en ces méditations, le Seigneur, qui fait l'objet de nos entretiens, se fera lui-même votre maître.
Il ne faut pas croire que nous puissions méditer tout ce que nous savons avoir été dit ou fait par lui, ni même que tout ait été écrit. Aussi, afin que vous en retiriez plus d'avantage, je raconterai les choses telles que l'on peut croire qu'elles arrivent ou sont
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arrivées, et comme si réellement elles s'étaient passées de la sorte, en me servant de l'imagination ,à l'aide de laquelle l'esprit perçoit les objets sous diverses formes. En effet, nous pouvons méditer, expliquer et entendre la sainte Ecriture en beaucoup de manières, suivant que nous croyons y trouver notre profit, pourvu toutefois qu'il n'y ait rien de contraire à la vérité des faits, à la justice et aux enseignements sacrés, rien d'opposé à la foi ou aux bonnes moeurs. Lors donc que vous m'entendrez dire : « C'est ainsi que Jésus a parlé ou agi » , ou autres choses que vous rencontrerez, si vous ne pouvez en trouver la preuve dans les Écritures, n'y attachez pas plus d'importance que ne le commande une pieuse méditation; et prenez cela comme si je vous disais : « Pensez que le Seigneur Jésus a parlé ou agi de la sorte » ; et ainsi du reste.
Pour vous, si vous désirez retirer quelque fruit de ces méditations, considérez-vous aussi présente à ce qui vous sera raconté des paroles et des actions du Seigneur , que si vous l'entendiez de vos oreilles , et le voyiez de vos yeux; et appliquez-vous-y de toute l'ardeur de votre âme, avec soin, bonheur et persévérance , laissant de côté toute autre affaire et toute sollicitude. C'est pourquoi je vous prie, ma fille bien-aimée, de vouloir bien avoir pour agréable ces
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méditations, que j'ai entreprises pour la gloire de Jésus-Christ, pour votre avancement et ma propre utilité, et de vous y exercer avec allégresse, dévotion et empressement. C'est par l'incarnation que nous devrions commencer; mais nous pouvons considérer certaines choses qui l'ont précédée, tant dans le ciel du côté de Dieu et des Anges bienheureux, que sur la terre du côté de la très-glorieuse Vierge ; lesquelles choses me semblent devoir être d'abord expliquées. Ainsi commençons par là.
Un long espace de temps, plus de cinq mille ans, s'était écoulé depuis que le genre humain était gisant dans sa misère, et ne pouvait, à cause du péché du premier homme, s'élever à la patrie céleste. Les
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esprits bienheureux , compatissant à une ruine si profonde , désireux de leur propre restauration , avaient déjà bien souvent supplié en notre faveur; mais, quand la plénitude du temps fut accomplie, ils renouvelèrent leurs supplications avec une ardeur et des instances sans égales. Réunis tous ensemble, et prosternés profondément au pied du trône du Seigneur, ils lui dirent : « Seigneur, il a plu à votre majesté de tirer du néant la créature raisonnable, l'homme, pour qu'il régnât ici avec nous, et afin
que nous trouvassions en lui la réparation de nos ruines ; mais tous périssent, et il n'en est aucun qui parvienne au salut. Depuis une infinité d'années, nous voyons que nos ennemis triomphent de tous , et que ce ne sont pas nos ruines qui se réparent, mais les abîmes de l'enfer qui se remplissent, de vos créatures. Pourquoi donc, Seigneur, leur donnez-vous la vie? pourquoi les âmes qui louent votre nom deviennent-elles la proie de vils animaux? Si votre justice a demandé qu'il en fût ainsi, au moins
le temps de la miséricorde est venu. Si les premiers hommes ont transgressé imprudemment votre commandement, que votre miséricorde au moins maintenant leur vienne en aide. Souvenez-vous que vous les avez créés à votre ressemblance. Ouvrez , Seigneur, votre main miséricordieuse, et laissez en
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découler la miséricorde avec plénitude. Les yeux de tous sont fixés vers vous, comme les yeux des serviteurs sur la main de leurs maîtres (1), jusqu'à ce que vous ayez pitié du genre humain et que vous lui veniez en aide par un remède salutaire. »
A ces mots, la Miséricorde, ayant avec soi la Paix, ébranlait les entrailles du Père et le portait à nous secourir; mais la Justice accompagnée de la Vérité, s'y opposait; et il y eut une ardente contestation entre elles, selon que le raconte saint Bernard dans un long et magnifique discours. Je vais l'abréger le plus succinctement que je pourrai, et comme je me propose de citer souvent les paroles si pleines de douceur de ce Saint, ce sera pour l'ordinaire en y retranchant, pour éviter la trop grande longueur.
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Voici donc en peu de mots ce qu'il dit sur ce sujet : « La Miséricorde criait au Seigneur : « Eh quoi ! Seigneur, détournerez-vous éternellement vos regards et oublierez-vous de faire miséricorde (1)? » Et il y avait longtemps qu'elle murmurait ce langage à ses oreilles. Le Seigneur répondit : « Que vos soeurs soient appelées, vous savez qu'elles vous sont opposées ; écoutons-les à leur tour ».
« Après qu'on les eut appelées, la Miséricorde commença en ces termes : « La créature raisonnable a besoin de la pitié de Dieu, car elle est devenue malheureuse; elle est tombée dans l'excès de la misère; et le temps d'avoir pitié est arrivé, il est déjà passé. » La Vérité de son côté s'écriait : « Il faut, Seigneur, que la parole que vous avez prononcée, s'accomplisse; il faut qu'Adam meure tout entier, qu'il meure avec tous ceux qui étaient en lui, quand en prévariquant il mangea le fruit défendu. » « Et pourquoi donc, Seigneur, m'avez-vous créée? reprit la Miséricorde. La Vérité sait bien que c'en est fait de moi , si vous êtes toujours sans pitié. » « Si le prévaricateur, dit la Vérité, échappe à votre sentence, votre vérité s'anéantit également et ne demeure plus éternellement. »
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« Cette affaire fut donc déférée au Fils, et la Vérité et la Miséricorde apportèrent les mêmes raisons en sa présence. La Vérité ajoutait : « J'avoue, Seigneur , que la Miséricorde est poussée par un zèle qui est
bon ; mais il n'est pas selon la Justice, car elle veut que l'on épargne le pécheur de préférence à sa soeur. » « Et toi, s'écriait la Miséricorde, tu ne pardonnes ni à l'un ni à l'autre, et tu sévis avec tant d'indignation contre les prévaricateurs, que tu enveloppes ta soeur dans le même châtiment. » Néanmoins la Vérité reprenait avec force : « Seigneur , c'est contre vous que cette dispute est dirigée, et il est à redouter que la parole de votre père n'y trouve sa ruine. » La Paix dit alors : « Mettez fin à de semblables disputes : toute contemplation est messéante aux vertus. »
« Vous voyez que c'était une question grave, et que, de part et d'autre, on alléguait des raisons fortes et concluantes. Il ne semblait pas que l'on pût conserver et la Miséricorde et la Vérité dans ce qui concernait l'homme. Or, le Roi écrivit une sentence qu'il donna à lire à la Paix, qui se tenait plus proche de lui; et cette sentence était ainsi conçue : L'une dit : « Je péris si Adam ne meurt pas. » L'autre ajoute : « C'en est fait de moi s'il n'obtient miséricorde. Que la mort devienne donc un bien, et qu'il soit fait ainsi selon la
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demande de l'une et de l'autre. » Toutes restèrent dans l'étonnement à cette parole de la sagesse, et consentirent à la mort d'Adam, pourvu qu'il obtint miséricorde. « Mais comment, demanda-t-on , la mort peut-elle devenir un bien, lorsque son nom seul fait frémir à entendre?» Le roi répondit : « La mort du pécheur, il est vrai, est un mal effroyable (1) ; mais la mort des saints est précieuse (2) : elle est la porte de la vie. Que l'on trouve quelqu'un qui consente à mourir par charité, sans être soumis naturellement à la mort : elle ne pourra retenir un innocent sous son empire; mais il y fera une brèche par où s'échapperont ceux qui auront été délivrés. »
« Ce discours acquit l'assentiment de tous. « Mais où trouver un tel homme? » répondit-on. La Vérité revint donc sur la terre, et la Miséricorde demeura au ciel. Car selon le prophète : « Votre miséricorde, Seigneur, est dans les cieux, et votre vérité s'élève jusqu'aux nues (3)» Celle-ci parcourut l'univers entier ; mais elle ne vit aucun homme exempt de tache, pas même l'enfant qui ne compte qu'un jour sur la terre (4). La Miséricorde, de son côté, parcourut le ciel ; mais elle ne trouva personne dont la charité pût aller jusque-là. Car nous sommes tous serviteurs, et lors
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même que nous avons fait tout bien, nous devons dire ces paroles de l'Evangile de saint Luc : « Nous sommes des serviteurs inutiles (1). »
« Il ne se rencontra donc personne qui eût assez de charité pour livrer sa vie en faveur de serviteurs inutiles. Or, les deux vertus reviennent au jour marqué pleines d'une anxiété profonde. La Paix, voyant qu'elles n'avaient pas trouvé ce qu'elles désiraient, leur dit : « Vous êtes sans intelligence et sans pensée aucune (2). Il n'est personne qui fasse le bien, il n'en est pas un seul (3); mais que celui qui a donné le conseil nous vienne lui-même en aide. » Le Roi comprit ce que cela signifiait, et il répondit : « Je me repens d'avoir fait l'homme (4); c'est pourquoi il me faut faire pénitence pour l'ouvrage de mes mains. » Et, ayant appelé Gabriel, il lui dit : « Allez et dites à la fille de Sion : Voici votre Roi qui vient (5). » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez dans quel grand péril nous a jetés et nous jette encore le péché; quelles difficultés se présentent pour lui trouver un remède. Les Vertus consentirent donc à cette proposition, principalement dans la personne du Fils ; car la personne du Père ne semble en quelque sorte que terrible et puissante, et ainsi la
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Miséricorde et la Paix auraient pu encourir quelque soupçon. La personne du Saint-Esprit étant toute pleine de bénignité, la Justice et la Vérité auraient pu également être soupçonnées d'avoir sacrifié quelques-uns de leurs droits. C'est pourquoi la personne du Fils fut acceptée, comme tenant le milieu, pour apporter ce remède. Mais il faut comprendre tout cela, non dans un sens propre, mais seulement figurée. Ce fut donc. alors que s'accomplirent ces paroles du Prophète : « La Miséricorde et la Vérité sont venues à la rencontre l'une de l'autre ; la Justice et la Paix se sont donné le baiser de réconciliation (1). » Voilà ce que nous pouvons méditer sur ce qui est arrivé dans les cieux.
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Pour ce qui est de la Vierge, en qui se fit l'Incarnation, nous pouvons méditer sa vie. Vous saurez donc qu'à l'âge de trois ans, elle fut offerte au temple par ses parents , et qu'elle y demeura jusqu'à sa quatorzième année. Ce qu'elle fit là, nous pouvons le savoir par la révélation qu'elle en a faite à une âme qui lui était dévouée , et l'on croit que c'est sainte Élisabeth, dont nous célébrons solennellement la fête. Entre autres choses, on lit ce qui suit dans ses révélations : « Lorsque mon père et ma mère, dit la Vierge, m'eurent laissée dans le temple, je résolus en mon âme d'avoir Dieu pour père. C'est pourquoi, je considérais pieusement et fréquemment ce que je pourrais faire d'agréable à ses yeux, afin de me rendre digne de sa grâce, et je rue fis instruire de la loi de mon Dieu. Cependant, entre les préceptes de cette loi, j'en gardais trois en mon coeur d'une façon
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toute particulière; ce sont les suivants : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cur, de toute cotre âme, de tout votre esprit
et de toutes vos forces. Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Vous aurez votre ennemi en haine. J'ai gardé, dis je, ces préceptes en mon coeur; j'ai embrassé sans retard toutes les vertus qui y sont enfermées, et je veux que vous fassiez de même. Une âme ne peut avoir aucune vertu si elle n'aime Dieu de tout son coeur; car c'est de cet amour que découle la plénitude de toute grâce, sans laquelle nulle vertu n'arrive et ne persévère en l'âme, mais s'écoule comme l'eau, si l'on a en même temps de la haine pour ses ennemis, c'est-à-dire pour les vices et les péchés. Celui donc qui veut avoir la grâce et la posséder, doit diriger son coeur vers l'amour et la haine. Or, je désire que vous fassiez ce que je faisais alors : au milieu de la nuit, je me levais régulièrement; j'allais devant l'autel du temple, et là, avec tout le désir, toute la volonté, toute l'affection dont j'étais capable, et selon les lumières de mon intelligence, je demandais au Dieu tout-puissant la grâce d'observer ces trois préceptes et tous les autres commandements de la loi ; et, me tenant ainsi devant l'autel, j'adressais au Seigneur les sept demandes suivantes :
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« 1° Je lui demandais d'abord la grâce d'accomplir le commandement de l'amour, c'est-à-dire de l'aimer de tout mon coeur, de toute mon âme, de tout mon esprit et de toutes mes forces;
« 2° Je lui demandais ensuite de pouvoir aimer mes frères selon sa volonté et son bon plaisir , et de me faire également aimer tout ce qu'il aime et chérit lui-même ;
« 3° Je le priais de me faire haïr et fuir tout ce qu'il a en haine;
« 4° Je le suppliais de me donner l'humilité, la patience, la bénignité, la mansuétude et toutes les autres vertus qui devaient me rendre agréable à ses yeux ;
« 5° Je le conjurais de me faire voir le temps où paraîtrait cette Vierge bienheureuse qui devait enfanter le fils de Dieu; de conserver mes yeux afin de la contempler; ma bouche afin de célébrer ses louanges ; mes mains afin de la servir; mes pieds afin d'obéir à sa volonté ; mes genoux afin de pouvoir adorer le fils de Dieu dans ses bras ;
« 6° Je lui demandais encore la grâce d'être obéissante aux commandements et aux moindres ordres du grand-prêtre;
« 7° Enfin, je lui offrais mes prières pour qu'il daignât conserver le temple et tout son peuple à son service. »
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A ces mots, la servante de Jésus-Christ répondit : « O très-douce Souveraine , n'étiez-vous donc pas remplie de grâces et de vertus ? » La bienheureuse Vierge répondit : « Tenez pour assuré, que je me regardais comme coupable et profondément vile, comme aussi indigne de la grâce de Dieu que vous vous en estimez vous-même. Voilà pourquoi je de-
mandais avec tant d'ardeur la grâce et les vertus. » Puis elle ajouta : « Vous croyez, ma fille, que toutes les grâces que j'ai possédées, je les ai eues sans travail; mais il n'en a pas été ainsi. Je vous assure même que, si vous en exceptez la grâce de sanctification dont j'ai été prévenue dès le sein de ma mère, je n'ai reçu de Dieu aucune grâce, aucun don, aucune vertu, sans qu'il m'en ait coûté beaucoup, sans une oraison continuelle, un désir ardent, une dévotion profonde, des larmes abondantes, une dure pénitence, sans m'être appliquée à méditer sans cesse, autant que je le pouvais, ce que je savais lui être agréable. » Et elle ajouta encore : « Ayez pour certain qu'aucune grâce ne descend en l'âme autrement que par l'oraison et l'affliction du corps. Mais lorsque nous avons donné à Dieu ce qu'il est en notre pouvoir de lui donner, bien que ce soit peu de chose, il vient lui-même en notre âme, et il apporte avec lui des dons tels, qu'elle semble défaillir en
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elle-même, qu'elle oublie tout, et ne se rappelle plus ce qu'elle a fait ou dit d'agréable à Dieu ; qu'elle devient à ses propres yeux plus vile et plus
digne de mépris qu'elle n'a jamais été. » Jusqu'ici j'ai rapporté la révélation dont nous avons parlé.
Saint Jérôme écrit aussi sur ce sujet : « La Vierge bienheureuse avait pris pour règle de s'appliquer à la prière depuis le matin jusqu'à la troisième heure du jour. De la troisième heure à la neuvième, elle s'occupait de travaux extérieurs. Depuis la neuvième heure, elle ne quittait plus la prière jusqu'à ce que lui apparût l'Ange de la main duquel elle avait coutume de recevoir sa nourriture; et elle croissait de plus en plus dans les bonnes oeuvres et l'amour de Dieu. Aussi était-elle la première dans les veilles, la plus instruite dans la sagesse de la loi, la plus profonde en humilité, la plus habile à chanter les cantiques de David, la plus glorieuse en charité, la plus éclatante en pureté, la plus parfaite en tout genre de vertus. Chaque jour elle atteignait à une perfection plus grande. Elle était pleine de calme et de constance, et jamais on ne la vit ni ne l'entendit se laisser aller à l'impatience; ses discours étaient si pleins de grâce, que l'on reconnaissait que le Seigneur était sur ses lèvres. Elle demeurait perpétuellement en oraison et dans la méditation
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de la loi de Dieu. Elle se montrait pleine de sollicitude envers ses compagnes, tâchant qu'aucune d'elles ne péchât en ses paroles, n'exaltât la voix dans l'expression de sa joie, ne s'emportât en quelque injure ou quelque mot d'orgueil contre ses semblables. Elle bénissait Dieu sans cesse, et si on la saluait, elle répondait en disant : « Rendons grâces
à Dieu. » Enfin c'est d'elle qu'est venue cette coutume que nous voyons dans les saints de se saluer en disant : « Rendons grâces à Dieu. » Quant à la nourriture qu'elle recevait de la main de l'Ange, elle la prenait pour elle-même; et celle que lui donnaient les prêtres du temple, elle la distribuait aux pauvres. L'Ange paraissait s'entretenir tous les jours
avec elle, et lui obéir comme à une soeur ou à une mère bien-aimée. » Ainsi s'exprime saint Jérôme.
A sa quatorzième année, la Vierge bienheureuse fut fiancée à Joseph d'après une révélation divine, et elle revint à Nazareth. Comment tout cela se fit-il? Vous le trouverez dans la légende de sa nativité. Telles sont les choses que nous pouvons méditer, comme ayant précédé l'Incarnation du Seigneur Jésus. Repassez-les bien en votre esprit, faites-en vos délices, confiez-les avec amour à votre mémoire, et mettez-les en pratique : car elles sont pleines de piété.
Venons maintenant à l'incarnation
Lors donc que la plénitude du temps fut accomplie (1), après que la Trinité suprême eut arrêté de pourvoir au salut du genre humain par l'Incarnation du Verbe, et que la Vierge bienheureuse fut revenue à Nazareth, Dieu, cédant à cette charité ardente qu'il nourrissait pour les hommes, à sa miséricorde qui l'excitait, et aussi aux instantes prières des Anges ; Dieu, dis-je, appela l'archange Gabriel et lui dit : « Va trouver Marie, notre Fille bien-aimée, qui est fiancée à Joseph : c'est, parmi toutes les créatures, la plus chère à notre coeur; et dis-lui que mon Fils s'est épris de sa beauté, et qu'il l'a choisie pour sa mère. Prie-la de le recevoir avec effusion de joie ; car c'est par lui que j'ai résolu d'opérer le salut du
genre humain, et que je veux oublier l'injure qui m'a été faite. »
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Soyez attentive et rappelez-vous ce que je vous ai recommandé plus haut, afin de vous rendre présente à tout ce qui se dit et se fait. Imaginez-vous ici et regardez Dieu selon que vous le pourrez, car il est incorporel. Représentez-le-vous comme un grand souverain , assis sur un trône élevé , avec un visage plein de bénignité, tendre et paternel, prononçant ces paroles comme embrasé du désir de se réconcilier le monde, ou comme si déjà il se l'était réconcilié. Représentez-vous aussi Gabriel : son air respire l'allégresse et la félicité ; il fléchit les genoux et incline le front par crainte et par respect ; il reçoit avec une attention profonde les ordres de son Seigneur. Ensuite il se lève plein de joie et de bonheur, part des régions célestes, et, en un instant, parait sous une forme humaine en présence de la vierge Marie, qui était alors dans l'endroit le plus secret de sa petite maison. Cependant son vol ne fut pas tellement rapide qu'il ne fût prévenu par Dieu : aussi trouva-t-il en arrivant à cette demeure, que la sainte Trinité y avait précédé son messager.
Vous devez savoir que l'Incarnation est l'oeuvre par excellence de la Trinité entière, bien que la personne du Fils se soit seule incarnée. Il en arriva alors comme si quelqu'un, voulant prendre un vêtement, était aidé par deux personnes qui se tiendraient à ses côtés , et
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qui soulèveraient les manches de ce vêtement. Maintenant regardez bien, et, comme si vous étiez présente à cette action, appliquez-vous à comprendre tout ce qui se dit et tout ce qui se fait. Oh ! qu'elle dût être et qu'elle doit être encore en ce moment, dans votre méditation, cette petite maison, où se trouvent de tels hôtes, où se passent de telles choses ! Bien que la sainte Trinité soit en tous lieux, pensez cependant qu'elle est ici d'une façon particulière, à raison de l'opération toute singulière qui s'y accomplit.
Gabriel, le fidèle envoyé, entra donc vers la vierge Marie, et lui dit : « Je Vous salue pleine de grâce; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Mais la Vierge fut troublée et ne répondit pas. Son trouble n'eût rien de coupable, et il ne fût point causé par la vue de l'Ange, car elle était bien accoutumée aux visites de ces esprits célestes; mais elle fut troublée d'un pareil discours : elle pensait à la nouveauté d'une telle salutation , car ce n'était point ainsi que les Anges avaient coutume de la saluer. Comme elle se voyait, en cette circonstance, louée de trois choses à la fois, il était impossible que cette humble souveraine ne ressentit aucun trouble. On la félicitait de ce qu'elle était pleine de grâce, de ce que le Seigneur était avec elle, et de ce qu'elle était bénie par-dessus toutes les femmes. Or, une
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personne humble ne saurait entendre ses louanges sans rougir et sans se troubler. Elle fut donc troublée d'une confusion qui fait honneur à sa modestie et à sa vertu. Elle commença aussi à craindre qu'il n'en fût point ainsi, non qu'elle crût que l'Ange ne parlât point selon la vérité, mais parce que c'est le propre de ceux qui sont humbles de ne point examiner leurs vertus, et d'avoir sans cesse leurs défauts devant les yeux, afin d'avancer davantage ; et qu'ainsi ils regardent une grande vertu comme bien faible encore , et un faible défaut comme quelque chose de très-considérable. C'est donc par prudence , par précaution , par crainte et par pudeur , qu'elle ne répondit pas. En effet , qu'eût-elle pu répondre? Apprenez-vous aussi à son exemple à aimer une vie silencieuse, et à être sobre en vos paroles; car c'est une vertu bien grande et d'une immense utilité. On lui parle deux fois avant qu'elle ait ouvert la bouche. C'est en effet une chose indigne de voir une Vierge aimer à bavarder. Mais l'Ange, connaissant la cause de son hésitation , lui dit : « Ne craignez pas, Marie, et ne vous troublez point des louanges que je vous donne, car elles sont conformes à la vérité. Non-seulement vous êtes pleine de grâce , mais vous avez recouvré la grâce pour tout le genre humain, et vous l'avez
retrouvée en dieu. Voilà que vous concevrez et que
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vous mettrez au monde le Fils du Très-Haut , qui vous a choisie pour sa mère, et qui sauvera tous ceux qui espèrent en lui. »
La Vierge alors répondit, sans cependant admettre ni rejeter les louanges dont elle était l'objet, mais toute pleine du désir de s'assurer d'un autre point, savoir si elle ne perdrait point sa virginité ; car c'était la manière dont cette promesse s'accomplirait qui la tenait surtout en suspens. Elle demanda donc à l'Ange comment elle deviendrait mère. « Comment cela se fera-t-il, lui dit-elle, car j'ai voué inviolablement à Dieu ma virginité, pour être à jamais étrangère à tout homme? » Et l'Ange ajouta : « Ce sera par l'opération de l'Esprit-Saint, dont vous serez remplie d'une façon extraordinaire. Vous concevrez par sa vertu, en conservant votre virginité, et ainsi le fils qui naîtra de vous s'appellera le Fils du Très-Haut. Rien n'est impossible à Dieu , et voilà que votre cousine Elizabeth, quoique avancée en âge et stérile, est enceinte de six mois d'un fils qu'elle a conçu par la vertu d'en haut. »
Regardez, pour Dieu, je vous prie, et considérez comment la Trinité tout entière est ici, attendant la réponse et le consentement de sa fille chérie, et contemplant avec amour et allégresse sa modestie, sa pudeur et son langage. Considérez aussi comment
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l'Ange l'amène avec zèle et sagesse à donner sou consentement; comment il coordonne ses paroles en se tenant incliné et respectueux, avec un visage calme et serein, remplissant fidèlement son message, observant attentivement les paroles de sa Souveraine, afin d'y répondre convenablement, et d'accomplir parfaitement la volonté de Dieu dans cette oeuvre magnifique. Considérez encore comment cette Souveraine se tient dans la crainte et dans l'humilité , le visage couvert de confusion de se voir ainsi prévenue par l'Ange. Il ne s'élève en elle, à ces paroles, aucun sentiment, indélibéré d'orgueil ; elle ne se répute point quelque chose. Elle entend en son honneur des merveilles dont jamais aucune créature ne fut l'objet , et elle en renvoie tout l'honneur à Dieu. Apprenez donc, à son exemple à être humble et à avoir une timidité pudique; car sans cela la virginité sert de bien peu.
Cette vierge très-prudente se réjouit alors, et après avoir entendu les paroles de l'Ange, elle donna son consentement. Elle se mit à genoux avec une dévotion profonde, ainsi qu'il est rapporté dans ses révélations, et, joignant les mains; elle dit : « Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole. » Alors le Fils de Dieu entra tout entier aussitôt et sans retard dans le sein de la
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Vierge , se fit chair de sa chair, sans cependant cesser d'être tout entier dans le sein de son Père.
Vous pourrez pieusement vous représenter comment ce Fils, recevant de son Père un ordre aussi difficile et une mission aussi laborieuse, s'inclina en sa présence , se recommanda à lui ; comment au même instant son âme fut créée et infuse à sa chair, et comment il devint homme parfait selon toutes les proportions de son corps, bien que tout-à-fait petit enfant. Ainsi, il croissait dans la suite naturellement dans le sein de sa mère, comme les autres enfants; mais l'infusion de son âme ne fut point différée, ni la distinction de ses membres , comme il arrive aux autres. Il était Dieu parfait et homme parfait, sage et puissant comme il l'est maintenant.
Alors Gabriel se mit à genoux avec sa souveraine, et un peu après se levant avec elle, s'inclinant de nouveau jusqu'à terre et lui disant adieu, il disparut, s'en revint à la patrie céleste où il raconta ce qui venait d'avoir lieu ; et ce fut un nouveau bonheur, une nouvelle fête, une cause d'allégresse sans limites. Quant à la Vierge, enflammée et embrasée de l'amour de Dieu plus que jamais, sentant qu'elle avait conçu, elle se prosterna en terre et rendit grâces à Dieu d'une faveur si extraordinaire, le suppliant humblement et pieusement de daigner l'instruire lui-même , afin
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qu'elle pût s'acquitter sans défaut des devoirs qu'elle aurait à remplir à l'égard de son Fils.
Vous devez aussi considérer combien grande est la solennité de ce jour, vous réjouir en votre coeur et passer ce temps dans la joie; car c'était une chose inconnue aux siècles passés, et jamais, jusqu'à ce jour, on n'a rien vu de semblable. C'est aujourd'hui la solennité où Dieu le Père a fait les noces de son Fils en le fiançant à la nature humaine, qu'il s'est unie d'une manière inséparable ; c'est la solennité des noces du Fils et le jour de sa naissance dans le sein de sa mère ; ce ne sera que plus tard que l'on célébrera sa naissance sur la terre. C'est aujourd'hui la solennité de l'Esprit-Saint, à cause de cette opération admirable et extraordinaire de l'Incarnation qui lui est attribuée, et dans laquelle il a commencé à montrer la tendresse singulière qu'il portait au genre humain. C'est aujourd'hui la solennité glorieuse de notre Reine, car c'est en ce jour qu'elle a été reconnue et prise pour fille par le Père, pour mère par le Fils, pour épouse par le Saint-Esprit. C'est aujourd'hui la solennité de toute la cour céleste, car la réparation de ses ruines est commencée. C'est aujourd'hui surtout, la solennité de la nature humaine, car son salut et sa rédemption et aussi la réconciliation du monde entier, ont pris naissance en ce jour; en ce jour, nous avons été relevés
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et déifiés. Aujourd'hui le Fils a reçu de son Père une mission nouvelle : l'accomplissement de notre salut; aujourd'hui, sortant du haut des cieux , il s'est élancé comme un géant pour parcourir sa course (1), et il s'est renfermé dans le parterre du sein de la Vierge ; aujourd'hui il est devenu un d'entre nous, notre frère, et il a commencé à être voyageur avec nous ; aujourd'hui la lumière véritable est descendue du ciel pour chasser et mettre en fuite les ténèbres; aujourd'hui le pain vivant, qui donne la vie au monde, se prépare dans la fournaise du sein virginal ; aujourd'hui le Verbe s'est fait chair, afin d'habiter parmi nous (2); aujourd'hui les cris et les désirs des Patriarches et Prophètes ont été exaucés et satisfaits. Ils criaient avec des soupirs inénarrables, et ils disaient : « Envoyez, Seigneur, envoyez l'Agneau qui doit être le dominateur de la terre (3). » Et encore : « O cieux, versez votre rosée d'en haut (4).» Et encore : « O Dieu, si vous ouvriez les cieux et que vous en descendissiez (5) !» Ou bien : « Seigneur, inclinez vos cieux et descendez (6). Seigneur, montrez-nous votre face, et nous aurons le salut (7). » Et une multitude d'autres désirs dont l'Ecriture est remplie. Car ils
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attendaient avec une ardeur qu'ils ne pouvaient contenir le jour présent. C'est aujourd'hui le principe et le fondement de toutes nos solennités, le commencement de tout notre bien. Jusqu'à ce jour, le Seigneur avait été indigné contre le genre humain, à cause de la transgression de nos premiers parents; mais désormais en voyant son Fils fait homme, il ne se mettra plus en colère. C'est donc aujourd'hui la plénitude des temps. Vous voyez une oeuvre admirable et combien est solennel ce qui s'est passé : tout y est délectable et plein d'allégresse; tout y est désirable et mérite d'être contemplé dans la joie et le tressaillement du coeur ; tout y est digne de la. vénération la plus profonde. Méditez donc ces choses ; faites-en votre bonheur et votre félicité, peut-être le Seigneur vous en découvrira-t-il de plus considérables encore.
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La Sainte Vierge, se rappelant ensuite les paroles que l'Ange lui avait dites touchant sa cousine Elisabeth (1), se proposa de la visiter, afin de la féliciter et de lui rendre quelques services. Elle partit donc de Nazareth en compagnie de Joseph, son époux, pour aller en la maison d'Elisabeth, qui était distante de quatorze ou quinze milles environ de Jérusalem. Elle n'est point retardée par la longueur et la difficulté du chemin; mais elle s'avance avec hâte, car elle ne voulait point paraître longtemps en public, et elle n'était point chargée du fruit qu'elle portait dans son sein, comme il arrive aux autres femmes : le Seigneur Jésus ne fut point un fardeau pour sa mère.
Regardez donc ici comment s'avance, seule avec
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son époux, la Reine du ciel et de la terre ; elle n'a point de monture , elle est à pied ; elle n'est point environnée de gardes ni de seigneurs; elle n'a point une longue suite de femmes d'honneur ni de servantes. Mais avec elle marchent la pauvreté, l'humilité, la modestie et le cortège de toutes les vertus. Le Seigneur est avec elle, accompagné d'un entourage nombreux et honorable, mais qui n'a rien de la vanité, ni de la pompe du siècle.
Lorsqu'elle entra dans la maison, elle salua sa cousine en disant : « Je vous salue, Elisabeth, ma Sur! » Mais celle-ci, tressaillant d'allégresse, débordant de joie, embrasée par l'Esprit-Saint, se lève, la serre tendrement dans ses bras en s'écriant hors d'elle-même : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de votre sein. Et d'où me vient ce bonheur que la Mère de mon Seigneur vienne me visiter ? Car aussitôt que la voix de votre salutation s'est fait entendre à mes oreilles, l'enfant que je porte en mon sein a tressailli de joie (1). Vous êtes bien heureuse d'avoir cru, car tout ce qui vous a été dit de la part du Seigneur recevra son accomplissement. » Au moment oit la Vierge salua Elisabeth, Jean fut rempli du Saint-Esprit dans le
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sein de sa mère, et sa mère en fut également remplie. Elle n'en fut pas remplie avant son fils; mais le fils, en étant rempli d'abord, en remplit sa mère, non pas en produisant par lui-même quelque effet en son âme, mais en méritant que le Saint-Esprit fit paraître en elle quelque marque de sa présence ; car la grâce de cet Esprit divin brillait plus abondante en lui, et il éprouva le premier ses faveurs; et de même qu'Elisabeth vit Marie la première, ainsi son fils sentit le premier l'arrivée du Seigneur. C'est pourquoi il tressaillit d'allégresse, et sa mère prophétisa.
Voyez quelle vertu il y a dans les paroles de Marie, puisqu'à leur accent l'Esprit-Saint se communique : elle était si abondamment remplie de ce divin Esprit, qu'elle méritait d'en remplir aussi les autres.
Marie répondit à Elisabeth en ces termes : « Mon âme glorifie le Seigneur ; » et elle acheva tout entier ce cantique de jubilation et de louange. S'asseyant ensuite, la très-humble Vierge se mit à la dernière place aux pieds d'Elisabeth ; mais celle-ci, ne pouvant le souffrir, se leva aussitôt, et la força de s'asseoir sur un siège semblable au sien. Alors Marie raconta comment elle était devenue mère, et Elisabeth l'entretint aussi des faveurs de Dieu à son égard. Ces récits les remplissent d'une joie mutuelle ; elles louent Dieu des merveilles opérées en elles, lui en rendent leurs ac-
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actions de grâces, et passent ainsi des jours de félicité. Notre Souveraine demeura en ce lieu, trois mois environ, servant et se vouant autant qu'elle le pouvait à tous les offices de la maison avec humilité, révérence et empressement, comme si elle ne se fut point souvenue qu'elle était la mère de Dieu, et la reine du monde entier.
Oh ! quelle maison, quelle chambre, quelle couche que celle où demeurent et reposent en même temps de telles mères ; Marie et Elisabeth enceintes de tels fils, Jésus et Jean-Baptiste ! Il y a aussi en ce lieu de glorieux vieillards : Zacharie et Joseph. Le temps donc étant arrivé, Elisabeth mit au monde un fils, que Marie prit dans ses bras et revêtit avec empressement selon que sa position l'exigeait. Or, cet enfant fixait ses regards sur elle, comme s'il eût compris qui elle était ; et lorsqu'elle voulait l'offrir à sa mère, il inclinait sa tête vers la Vierge et semblait ne trouver de plaisir qu'en elle : Marie le caressait avec bonheur, le serrait dans ses bras et le couvrait de ses baisers.
Considérez la gloire de Jean. Jamais personne au monde ne reposa dans les bras d'une telle créature. Nous trouvons en outre beaucoup de privilèges dont il fut comblé ; mais je ne m'y arrête pas pour le moment.
Le huitième jour, l'enfant fut circoncis et appelé
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Jean. Ce fut alors que la langue de Zacharie se délia, et qu'il prophétisa en disant : Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, etc.; et ainsi cette maison entendit la première ces deux magnifiques cantiques : Magnificat et Benedictus. Pour Marie, elle se tenait en ce moment derrière un rideau, dans un endroit à l'écart, pour n'être point exposée aux regards des personnes qui étaient présentes à la circoncision de l'enfant; elle écoutait attentivement ce cantique où il était fait mention de son Fils, et elle repassait soigneusement toutes ces choses en son coeur. Enfin, disant adieu à Élisabeth, à Zacharie, et bénissant Jean-Baptiste , elle revint à sa maison de Nazareth. Rappelez-vous encore sa pauvreté en ce retour; car elle retourne en cette maison où elle ne doit trouver ni pain , ni vin , ni aucune des choses nécessaires à la vie. Elle n'avait ni bien, ni argent. Elle est demeurée pendant trois mois , auprès de personnes qui étaient peut-être riches. Maintenant elle revient à sa pauvreté , et c'est en travaillant de ses mains qu'elle pourvoira à sa subsistance. Compatissez-lui, et embrasez-vous d'amour pour la pauvreté.
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Marie et Joseph, son époux, habitaient la même demeure , et Jésus croissant dans le sein de sa mère, Joseph remarqua qu'elle était enceinte, et il s'en affligea outre mesure. Remarquez combien vous pouvez ici apprendre de belles choses. Si vous ignorez pourquoi le Seigneur a voulu que sa mère eût un époux, alors que son intention était qu'elle demeurât toujours vierge, on vous répondra que ce fut pour trois raisons : 1° Afin qu'étant devenue enceinte, sa réputation ne fut en butte à aucune flétrissure ; 2° afin qu'elle pût être aidée par les services de cet époux, et qu'il lui servit de société ; 3° pour que l'Incarnation du Fils de Dieu restât ignorée du Démon.
Joseph considérait donc de temps à autre l'état de son épouse; et il s'attristait, se troublait et lui laissait voir sur son visage l'anxiété qui l'agitait. Il détournait même les yeux de dessus elle, comme si
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elle eût été coupable, car il soupçonnait en elle le fruit de l'adultère. Vous voyez comment Dieu permet que les siens soient en proie aux tribulations et qu'ils soient tentés (1), pour augmenter l'éclat de leur couronne. Or, Joseph songeait à renvoyer son épouse , en secret, et l'on peut dire qu'à cette occasion son éloge est écrit dans l'Évangile ; car il y est dit qu'il était un homme juste (2) et, en effet, sa vertu était grande. On sait que c'est l'ordinaire que l'infidélité d'une épouse produise en son époux les effets les plus violents de honte, d'amertume et de fureur; mais pour lui, il se contenait vertueusement et ne voulait porter aucune accusation ; il souffrait avec patience cette injure souveraine sans chercher à se venger ; et , vaincu par la pitié , résolu à se séparer , il voulait au moins renvoyer son épouse secrètement.
Mais , de son côté , la Vierge ne passa pas ce temps sans avoir sa part de tribulation : elle considérait Joseph , reconnaissant son anxiété, et elle en éprouvait une inquiétude profonde ; cependant elle se taisait avec humilité et cachait le don de Dieu. Elle aimait mieux être réputée une misérable que de trahir le secret du ciel, et d'avancer à son avantage quelque chose qui eut pu être considéré comme un
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effet de l'orgueil. Mais elle priait le Seigneur de vouloir bien lui-même apporter le remède qui les délivrerait tous les deux d'une telle angoisse.
Vous voyez combien grands étaient la tribulation et le tourment de ces époux. Mais le Seigneur vint au secours de l'un et de l'autre. Il envoya donc son Ange dire en songe à Joseph, que son épouse avait conçu par l'opération de l'Esprit-Saint, et qu'il pouvait demeurer avec elle sans crainte et avec joie. Aussitôt la tribulation cessa et fit place à une consolation ineffable. Ainsi nous arriverait-il, si, dans les épreuves, nous savions conserver la patience, car Dieu, après la tempête, ramène la tranquillité. Vous ne devez point douter que, si Dieu permet que l'affliction se fasse sentir aux siens, ce ne soit pour leur avantage.
Joseph interroge alors son épouse sur les circonstances de cette conception glorieuse, et la Vierge s'empresse de satisfaire entièrement à son désir. Il renonce donc à son dessein, et demeure plein de joie avec cette épouse de bénédiction. Dès ce moment surtout, il conçoit pour elle un amour chaste qui surpasse tout ce qu'on pourrait imaginer, et lui prodigue les soins les plus vigilants. La vierge demeure avec lui dans une confiance entière , et ils vivent heureux dans leur pauvreté.
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Quant au Seigneur Jésus, il demeure renfermé dans le sein de sa mère jusqu'au neuvième mois, comme les autres enfants; il y demeure dans la paix; il y souffre avec patience et attend le moment prescrit. Compatissez-lui de ce qu'il a voulu descendre à une profondeur d'humilité si étrange. Mais en même temps c'est pour nous un devoir d'ambitionner cette vertu et de ne jamais nous gonfler d'orgueil, en cherchant à nous élever ou en faisant sonner notre réputation , alors que nous voyons le Seigneur de toute majesté ainsi abaissé. Jamais nous ne pourrons lui témoigner dignement notre reconnaissance pour le bienfait de cette longue captivité qu'il endure pour nous. Montrons-lui au moins par les sentiments de notre âme , que nous le comprenons , et rendons-lui grâces avec tout l'amour possible de ce qu'il a daigné nous choisir de préférence à tant d'autres, pour reconnaître un peu le bienfait qu'il nous a accordé et nous consacrer entièrement à son service. Car c'est là une faveur de sa part, et non la récompense de nos mérites; c'est une faveur extraordinaire qui doit nous être précieuse et mériter toute notre vénération. Ce n'est pas afin de nous punir, c'est pour notre sûreté que nous sommes enfermés et établis dans la religion comme dans une citadelle, à l'abri des dangers. Les flèches empoisonnées de ce monde pervers, les flots
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tumultueux de cette mer ne peuvent nous y atteindre que par notre témérité. Efforçons-nous donc autant qu'il est en nous, de vaquer à Jésus avec un esprit bien solitaire et bien séparé de toutes les choses caduques, et avec un coeur pur, car la réclusion du corps ne sert de rien, ou du moins de bien peu, si l'on n'y joint celle de l'esprit.
Compatissez aussi à ce même Jésus, de ce qu'il est dans une affliction continuelle. Il y a été depuis le premier instant de sa conception jusqu'à sa mort, car il savait que son Père , l'objet de son souverain amour, était délaissé et déshonoré par les pécheurs enchaînés au culte des idoles; il ressentait une vive douleur en voyant que ces âmes créées à son image, encouraient presque universellement l'éternelle damnation , et cette douleur était telle que les tourments qu'il endura en son corps, ne sauraient lui être comparés. En effet, ce fut pour en détruire la cause qu'il se soumit à ces tourments. Vous voyez combien de mets abondants vous sont offerts ici : Si vous voulez en savourer la douceur, faites-en souvent et avec soin l'objet de vos méditations.
La fin du neuvième mois approchant, il survint un édit de l'empereur qui ordonnait le recensement de tout l'empire (1), et que chacun eût pour cela à se présenter en sa ville natale. Joseph résolut de se rendre à Bethléem, le lieu de sa naissance, et comme il savait que le temps où son épouse devait enfanter était proche, il la conduisit avec lui. Marie entreprend donc encore un long voyage, car Bethléem est à cinq ou six milles de Jérusalem. Ils mènent avec eux un boeuf et un âne, et s'avancent ainsi comme de pauvres marchands qui s'en vont en foire. Arrivés à Bethléem, comme ils étaient pauvres et que la raison qui les amenait y avait conduit, beaucoup de monde, ils ne purent trouver
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de maison où loger. Témoignez votre compassion à Marie, et considérez cette Vierge faible et délicate, à peine âgée de quinze ans, fatiguée par une longue marche, demeurant avec confusion au milieu de cette grande foule, cherchant un lieu pour se reposer et n'en trouvant point. Tous la refusent, elle et son époux, et ainsi, ils sont forcés de s'acheminer vers un endroit couvert, où les gens du pays avaient coutume de s'abriter en temps de pluie. Joseph, qui était charpentier de son état, en ferma sans doute l'entrée comme il put.
Maintenant, remarquez bien tout ce qui se passe, surtout ce que j'ai intention de vous raconter : c'est la, Vierge qui l'a révélé elle-même et fait connaître, selon que je l'ai appris d'un saint religieux de notre ordre, homme tout à fait digne de foi et à qui, je pense, fut faite cette révélation.
L'heure de l'enfantement divin était arrivée : c'était au milieu de la nuit du dimanche. La Vierge se levant, s'appuya contre une colonne qui se trouvait en cet endroit. Joseph était assis, l'âme pleine de tristesse, sans doute, de ce qu'il ne pouvait offrir ce qui était convenable en pareille circonstance. Se lovant donc et prenant du foin de la crèche, il l'étendit aux pieds de Marie et se retira d'un autre côté. Alors le Fils du Dieu éternel, sortant du sein de sa mère sans lui faire ressentir aucune douleur, sans lui faire éprouver aucune
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lésion, se trouva à l'instant même transporté miraculeusement sur le foin qui était aux pieds de sa mère. Marie, s'inclinant aussitôt, le recueillit dans ses bras, et, l'embrassant tendrement, le plaça contre son coeur. Instruite par l'Esprit-Saint, elle commenta à laver et à arroser son corps du lait dont le ciel avait rempli ses mamelles avec abondance. Prenant ensuite le voile qui couvrait son front, elle l'en enveloppa et le mit dans la crèche. Aussitôt le boeuf et l'âne, fléchissant le genou, approchèrent leurs têtes au-dessus de la crèche et y répandirent leur haleine, comme si, doués de raison, ils eussent reconnu que cet enfant si pauvrement vêtu, avait besoin d'être réchauffé dans une saison aussi rigoureuse. Sa mère, se prosternant, l'adora et rendit grâces à Dieu en ces termes : «Je vous rends grâces, ô Seigneur, Père saint, de ce que vous m'avez donné votre Fils ; je vous adore, ô Dieu éternel, et vous aussi, ô Fils du Dieu vivant et mon Fils. » Joseph l'adora de même, et prenant la selle de l'âne il en détacha les coussins, qui étaient de laine ou de bourre, et les mit auprès de la crèche , afin que la Vierge pût s'asseoir. Elle s'y plaça donc et appuya son bras sur la selle elle-même. Ainsi se tenait la Reine du monde, le visage penché sur la crèche, les yeux et le coeur entièrement fixés sur son Fils bien-aimé. Voilà ce que dit la révélation.
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Après avoir découvert toutes ces circonstances à cet homme dont nous rapportons le récit, la Vierge disparut; mais l'ange demeura et lui raconta des choses merveilleuses, qu'il me redit ensuite, mais que je n'ai pas eu la précaution de retenir, ni d'écrire. Vous avez vu la naissance de notre Prince adorable, vous avez contemplé l'enfantement de la Reine des cieux, et, dans l'un et l'autre, vous avez pu remarquer la pauvreté la plus rigoureuse , le manque d'une foule de choses de première nécessité. Le Seigneur a retrouvé cette très-haute vertu; elle est la perle de l'Evangile pour l'achat de laquelle il faut tout vendre (1) ; elle est le premier fondement de tout l'édifice spirituel, car l'âme ne saurait monter à Dieu avec le fardeau des choses de la terre. C'est d'elle que le bienheureux François disait : « Vous saurez, mes frères, que la pauvreté est la voie spirituelle du salut, la nourrice de l'humilité et la racine de la perfection. Ses fruits sont nombreux, mais ils sont cachés. » Ce doit donc être pour nous un grand sujet de confusion de ne pas embrasser cette vertu de toutes nos forces et de demeurer chargés de superfluités, quand le Maître
du monde et la Reine, sa mère, l'ont gardée si strictement et avec tant d'amour. C'est de la pauvreté que
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saint Bernard a dit : « Elle abondait dans le monde et nul n'en connaissait le prix; c'est pourquoi le Fils de Dieu, épris de passion pour elle, descendit des cieux, afin de la choisir pour son partage et de la rendre chère aux hommes, par l'estime qu'il en ferait. Ornez votre demeure, mais avec l'humilité et la pauvreté : c'est dans ces langes qu'il met ses complaisances, et Marie lui rend témoignage que c'est de telles parures qu'il se plaît à être revêtu. Immolez donc à votre Dieu les abominations de l'Égypte (1). » Ainsi parle saint Bernard. Dans un discours sur la Nativité, qui commence par ces mots : « Béni soit Dieu, qui est notre père, » il s'exprime ainsi : « Enfin le Seigneur a consolé son peuple. Voulez-vous connaître quel est ce peuple ? Le soin du pauvre, Seigneur, a été remis entre vos mains (2) dit l'homme qui est selon le coeur de Dieu; et le
Seigneur lui-même s'écrie dans l'Evangile : « Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation en ce monde (3) ! » Qu'a-t-il besoin, en effet, de consoler ceux qui ont leurs consolations ? L'enfance de Jésus-Christ ne console point ceux qui aiment à se répandre en paroles ; ses larmes ne consolent point ceux qui trouvent leur bonheur dans les rires
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bruyants; les langes de Jésus ne consolent point ceux qui marchent au milieu des parures ; l'étable et la crèche de Jésus, ne consolent point ceux qui ambitionnent les premières places dans les synagogues. C'est aux bergers qui veillent, que la joie de la lumière est annoncée ; c'est pour eux qu'il est dit qu'un Sauveur est né; c'est pour les pauvres, pour ceux qui sont dans la peine, et non pour vous, riches, qui avez votre consolation et vos domaines (1). » Ainsi s'exprime saint Bernard.
Vous avez pu aussi remarquer en Jésus et en Marie, l'humilité profonde dont ils font preuve en cette naissance. Ils n'ont pas dédaigné l'étable, les animaux, le foin et tout ce qu'il y avait de misérable en cette demeure. Le Seigneur et sa sainte et glorieuse Mère ont observé, avec une perfection consommée, cette vertu dans tous leurs actes, et nous l'ont recommandée. Efforçons-nous donc de l'embrasser avec toute l'ardeur dont nous sommes capables; car sans elle il n'y a point de salut, puisqu'aucune de nos oeuvres, avec l'orgueil, ne saurait être agréable à Dieu. Selon saint Augustin : « L'orgueil a fait des Anges des démons, et
l'humilité a rendu les hommes semblables aux anges (2). » Et saint Bernard ajoute : « Quel homme,
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croyez-vous, choisira-t-on pour occuper la place de « l'Ange déchu et exilé? L'orgueil a porté une fois le trouble dans ce royaume ; il en a ébranlé les murs, il en a renversé une partie et une partie non médiocre. Dès lors, cette cité céleste n'aura-t-elle pas en haine et en abomination profonde un semblable fléau? Soyez-en sûrs, mes frères, celui qui n'a point pardonné à l'orgueil des Anges, ne pardonnera pas davantage à l'orgueil des hommes, car il ne saurait être contraire à lui-même (1). » Ainsi parle ce saint.
Vous avez pu remarquer en Jésus et en Marie, mais surtout en Jésus, une extrême affliction de coeur. C'est ainsi qu'en parle saint Bernard : « Le Fils de Dieu devait prendre naissance. Il était en son pouvoir de choisir la saison qui lui conviendrait le mieux ; or, il a choisi le temps le plus rude, surtout pour un enfant et pour le fils d'une mère pauvre, qui avait à peine des langes pour l'envelopper, une crèche pour le coucher. Et cependant dans une si grande nécessité, je ne vois point qu'il soit question de fourrures. » Plus bas il ajoute : « Jésus-Christ qui assurément ne se trompe point dans ses opérations, a choisi ce qu'il y avait de plus pénible pour la chair. C'est donc le meilleur, c'est donc ce qu'il y a
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de plus utile, ce qu'il faut choisir de préférence ; et si quelqu'un enseigne ou insinue autre chose, il faut donc se défier de lui comme d'un séducteur. » Puis il continue un peu plus loin : « Cependant, mes frères, c'est là cet enfant qui fut promis autrefois par Isaïe, cet enfant qui sait réprouver le mal et choisir le bien. C'est donc un mal que la volupté du corps ; c'est donc un bien que ce qui en est le tourment, puisque cet enfant de sagesse, le Verbe enfant, a choisi l'un et réprouvé l'autre (1).»
Ainsi parle saint Bernard. Allez aussi vous et faites de même, mais avec discrétion toutefois et de façon à ne pas excéder vos forces. Au reste nous pourrons parler ailleurs de ces vertus ; revenons au lieu de la Nativité.
Le Seigneur étant né, les Anges, dont la multitude était présente en ce lieu, adorèrent leur Dieu, puis s'en allèrent aussitôt trouver les bergers, qui restaient environ à un mille de là, leur annoncèrent cette naissance et leur en firent connaître le lieu. Ensuite ils re-montèrent au ciel, au milieu des cantiques et des chants de jubilation, et y annoncèrent également ce dont ils avaient été témoins à tous les habitants de la patrie bienheureuse. Toute la cour céleste,
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transportée de joie, comme en un grand jour de fête, après avoir offert à Dieu ses louanges et ses actions de grâces, vint tout entière, suivant les rangs de sa hiérarchie , pour contempler la face du Seigneur son Dieu, et après lui avoir rendu ses hommages avec le respect le plus profond, ainsi qu'à sa mère, elle fit retentir, en l'honneur de son Maître, ses chants d'allégresse et ses cantiques d'amour. Et, en effet, quel est celui de ces esprits qui, ayant appris ce qui venait d'arriver, eût pu demeurer dans le ciel et ne pas aller visiter son Seigneur si humblement établi sur cette terre? Non, un tel orgueil n'eût su trouver place en aucun d'eux. C'est pourquoi l'apôtre s'écrie : « Lorsque le Seigneur eût introduit son premier-né dans le monde, il dit : Que tous les Anges de Dieu l'adorent (1). » Je pense qu'il vous sera agréable de méditer ce que je viens de vous raconter des Anges, de quelque manière que cela ait pu se passer en réalité.
Les bergers vinrent aussi à la crèche, adorèrent le Seigneur, et racontèrent ce que les Anges leur avaient appris. Sa mère, toute pleine de prudence, conservait. en son coeur tout ce qu'ils dirent de lui. Pour eux, ils s'en retournèrent comblés de joie.
Maintenant, fléchissez le genou, c'est assez avoir
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différé, et adorez le Seigneur votre Dieu ; offrez aussi vos hommages à sa mère, et saluez respectueusement le saint vieillard Joseph. Approchez ensuite vos lèvres des pieds de l'Enfant-Jésus, couché dans sa crèche, et priez notre Souveraine de vouloir bien vous le présenter ou vous permettre de le prendre vous-même. Placez-le entre vos bras, pressez-le contre votre coeur, contemplez avec empressement son visage, couvrez-le de vos baisers respectueux, et réjouissez-vous en lui avec confiance. Vous pouvez agir ainsi, car il est venu trouver les pécheurs afin d'opérer leur salut; il a demeuré avec eux dans l'humilité, et enfin il s'est . donné à eux en nourriture. Ainsi sa bénignité souffrira bien que vous le portiez dans vos bras; elle ne l'imputera pas à la présomption, mais à l'amour. Cependant qu'en tout cela, le respect et la crainte ne vous abandonnent jamais, car il est le saint des saints. Rendez-le ensuite à sa mère et considérez attentivement avec quel soin, quelle sagesse elle s'occupe de ce qui le concerne, le nourrit de son lait, et lui rend tous les autres services dont il a besoin. Venez-lui en aide si vous le pouvez ; trouvez en cela votre bonheur, faites-en votre félicité, souvenez-vous d'y puiser le sujet fréquent de vos méditations; rendez à notre Reine et l'Enfant-Jésus tous les services que vous pouvez, et contemplez souvent cette face sur laquelle les
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Anges désirent reposer leurs regards (1). Mais cependant que ce soit toujours, ainsi que je vous l'ai dit, avec crainte et respect, de peur que vous ne soyez rejeté; car vous devez vous juger bien indigne de converser avec de tels personnages.
Il faut aussi méditer avec bonheur combien grande est la solennité de ce jour. C'est aujourd'hui que le Christ est né, et ainsi c'est véritablement le jour de la naissance du roi éternel et du Fils de Dieu vivant; c'est aujourd'hui qu'un fils nous a été donné et qu'un enfant nous est né (2); c'est aujourd'hui que le soleil de justice qui jusqu'alors avait été voilé, a brillé avec éclat; aujourd'hui que le chef des élus de l'Eglise fondée dans le Saint-Esprit, est sorti de sa chambre nuptiale ; aujourd'hui qu'il nous a montré sa face si longtemps désirée, et qu'il nous est apparu le plus beau des enfants des hommes (3). C'est aujourd'hui que nous avons entendu cette hymne des anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux... (4) ; aujourd'hui que la paix a été annoncée aux hommes, ainsi que nous le lisons dans la même hymne; aujourd'hui, comme le chante l'Eglise partout l'Univers , que les cieux ont eu la douceur du miel, et que la terre a entendu les concerts des Anges. Aujourd'hui, qu'a
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apparu pour la première fois la bénignité, ainsi que l'humanité de notre divin Sauveur ; aujourd'hui que Dieu est adoré sous la ressemblance d'une chair de péché. C'est aujourd'hui que se sont accomplis ces deux miracles qui surpassent toute intelligence, et que la foi seule peut embrasser : un Dieu qui naît, une vierge qui devient mère; aujourd'hui que d'autres miracles sans nombre brillent à nos yeux. Enfin tout ce qui a été dit de l'Incarnation, revêt en ce jour un éclat plus lumineux. Jusqu'alors ce n'était qu'une annonce; c'est aujourd'hui la manifestation. Aussi ayez soin de réunir toutes ces choses dans vos méditations.
C'est donc justement que ce jour est appelé un jour de jubilation , d'allégresse et de joie excessive. A Rome, dans une taverne nommée la taverne de la Solde , parce que c'était en ce lieu que les soldats se rendaient et dépensaient leur solde dans l'achat des choses dont ils avaient besoin, il sortit de terre une source abondante d'huile , et elle forma pendant tout le jour un large ruisseau. Une couronne, semblable à l'arc-en-ciel, environna le soleil, et fut visible par tout le monde. A Rome encore, une statue d'or que Romulus avait placée dans son palais , et dont il était
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prédit qu'elle se tiendrait debout, jusqu'au jour où une vierge enfanterait, tomba aussitôt que Jésus-Christ fut né. C'est en ce lieu que le pape Calixte éleva l'église qu'on appelle maintenant Sainte-Marie, au-delà du Tibre.
Or, le huitième jour l'enfant fut circoncis. Deux grandes choses eurent lieu en ce jour. L'une, c'est que le nom de Salut qui avait été imposé à l'enfant dès l'éternité, annoncé par l'Ange avant qu'il fût conçu dans le sein de sa mère, a été déclaré et manifesté au monde, car on lui donna le nom de Jésus. Or, Jésus veut dire Sauveur, ce qui est un nom au-dessus de tout nom, et il n'est pas, dit l'apôtre saint Pierre, d'autre nom en qui nous puissions trouver le salut (1). La seconde chose, c'est qu'aujourd'hui, le Seigneur a pour la première fois répandu son sang pour nous. Il a voulu sans tarder souffrir pour nous, lui qui n'avait point commis le péché ; pour nous , il
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a voulu dès ce jour commencer à en porter la peine. Témoignez-lui donc votre compassion et pleurez avec lui, car sans doute que ses larmes auront coulé en cette occasion. Dans nos solennités, nous devons nous réjouir beaucoup en vue de notre salut; mais nous devons aussi compatir et nous attrister profondément en vue des angoisses et des douleurs de Jésus.
Vous avez vu quelle affliction et quelle détresse il eut à souffrir dans sa naissance. Or, entre autres choses qui y contribuèrent, il y eut celle-ci : sa mère, voulant le coucher dans la crèche, fut obligée de mettre sous sa tête une pierre qu'elle plaça sans doute sous le foin. J'ai appris cette circonstance d'un de nos frères qui a vu cette pierre , et pour en conserver le souvenir, elle a été fixée dans le mur en ce lieu-là. Vous croyez bien que Marie eût préféré un oreiller, si elle en eût eu un à sa disposition; niais, comme elle n'avait rien autre chose, elle se servit de cette pierre avec amertume de cur. Je vous ai dit aussi que Jésus a versé son sang en ce jour : en effet, sa chair reçut une incision à l'aide d'un couteau de pierre. N'y a-t-il pas lieu de lui compatir? Oui sans doute, et vous devez également compatir à sa mère. L'enfant jésus a donc pleuré aujourd'hui à cause de la douleur
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qu'il ressentit en sa chair , car il avait un corps véritable et passible comme le reste des hommes. Mais tandis qu'il pleurait, croyez-vous que sa mère ait pu contenir ses propres larmes? Elle pleura donc aussi ; et son fils , qui reposait dans son sein, voyant ses larmes, étendait ses petites mains vers sa bouche, les passait sur son visage, comme si par ces signes il l'eût priée de modérer sa douleur, car il voulait que celle qu'il aimait si tendrement, cessât de verser des larmes. De son côté , Marie, dont les entrailles étaient si profondément émues par la douleur et les pleurs de son fils , le consolait par ses caresses et ses paroles. Comme une personne pleine de sagesse, elle comprenait ses désirs, bien qu'il ne parlait pas encore, et elle lui disait : « Mon fils , si vous voulez que je cesse de pleurer, veuillez cesser aussi de votre côté, car je ne saurais me contenir en voyant vos larmes ». Et par compassion pour sa mère, le fils arrêtait ses sanglots. Alors la mère essuyait ses yeux et les yeux de son fils: elle appuyait son visage contre le sien, l'allaitait et le consolait par tous les moyens. qui étaient. en son pouvoir. Ainsi faisait-elle toutes les fois qu'il pleurait, ce qui lui arrivait peut-être comme aux autres enfants, pour montrer les misères de la nature humaine qu'il avait prise, et pour se cacher, afin de n'être point connu du
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démon. En effet, l'Eglise chante de lui : « Enfant, il pousse des gémissements dans l'étroite demeure de la crèche où il est placé ». Aujourd'hui la circoncision corporelle a cessé , et nous avons le baptême dont la grâce est plus considérable et la peine moindre. Mais nous devons porter la circoncision spirituelle , et rejeter tout ce qui est superflu. C'est là, du reste ce que la pauvreté recommande, car l'homme vraiment pauvre a véritablement en soi la circoncision de l'esprit, et selon saint Bernard : « L'apôtre nous l'enseigne en peu de mots , quand il nous dit : Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous de ces choses (1) ». La circoncision de l'esprit doit aussi exister dans tous les sens de notre corps, dans la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher. Usons donc en tout d'une grande réserve , mais surtout dans nos paroles.
Le besoin de parler est un vice détestable et odieux, qui déplaît à Dieu et aux hommes ; aussi devons-nous être circoncis en notre langage , c'est-à-dire parler peu et utilement. Causer beaucoup est un signe de légèreté : c'est pourquoi le silence a été établi dans les communautés. Saint Grégoire dit à ce sujet : « Celui-là sait parler selon la vérité, qui a bien appris à se
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taire ; car la pratique du silence est comme la nourriture d'une bonne conversation (1). » Et ailleurs, il s'exprime ainsi : « Ceux dont l'esprit est léger, seront précipités dans leurs paroles ; car ce qu'une conscience légère conçoit, la langue se hâte de le répondre avec plus de légèreté encore (2). » Saint Bernard traite aussi le même sujet dans un discours sur l'Épiphanie, qui commence par ces mots dans les uvres du Seigneur : « Pour ce qui regarde la langue, dit-il, qui ne sait combien de fois elle nous a souillés par de vains entretiens et des mensonges, par des médisances et des adulations, par des paroles de malice ou de jactance. C'est pourquoi nous avons besoin de la cinquième urne de Cana, le silence, qui est le gardien de la religion et dans lequel réside notre force (3).» Et ailleurs: « L'oisiveté est la mère des frivolités et la marâtre des vertus; parmi les séculiers, ces frivolités ne sont que des paroles sans portée ; dans la bouche des prêtres, ce sont des blasphèmes. Si des plaisanteries nous arrivent, sans doute il faut les supporter, mais ne jamais les redire. Vous avez consacré votre bouche à l'Évangile, il ne vous est plus permis de l'ouvrir maintenant à de telles choses (4). »
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Le treizième jour, l'Enfant- Jésus se manifesta aux nations, c'est-à-dire aux Mages qui étaient gentils. Remarquez, touchant ce jour, que c'est à peine si vous trouverez une fête qui soit autant solennisée par l'Eglise et dont le nom revienne aussi souvent dans les antiennes, les répons, les leçons et tout ce qui tient à cette solennité ; non qu'elle soit plus grande que les autres, mais parce qu'en ce jour le Seigneur Jésus a fait de belles et grandes choses, surtout en faveur de son Eglise D'abord, c'est aujourd'hui qu'il l'a reçue en la personne des Mages, car l'Eglise a été assemblée d'entre les nations. En effet, au jour de sa naissance, il s'est montré aux Juifs en la personne des bergers, et ils n'ont point reçu le Verbe à l'exception d'un petit nombre; mais en ce jour il apparaît aux nations, et c'est parmi elles, que se recrute
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l'Eglise des élus. Aussi la fête d'aujourd'hui est-elle proprement la fête de l'Eglise et des fidèles chrétiens.
En second lieu, c'est aujourd'hui que l'Eglise a été prise par Jésus pour épouse, et lui a été véritablement unie par le Baptême qu'il a voulu recevoir après avoir accompli sa vingt-neuvième année. C'est pourquoi on chante avec allégresse : Aujourd'hui l'église a été unie à l'Époux céleste, etc. (1). En effet, c'est dans le Baptême, que l'âme devient l'épouse de Jésus-Christ, baptême qui tire sa vertu de celui du Sauveur, et l'assemblée des âmes ainsi régénérée, s'appelle l'Eglise.
En troisième lieu, c'est aujourd'hui qu'un an après son baptême, le Seigneur fit son premier miracle aux noces de Cana (1), ce que l'on peut adapter également à l'Eglise et aux noces spirituelles. Il semble que c'est encore en ce jour qu'il fit le miracle de la multiplication des pains et des poissons (1) ; mais l'Eglise ne s'occupe que des trois premiers faits que nous venons d'indiquer, et non de ce dernier. Vous voyez donc combien est vénérable ce jour que le Seigneur a choisi pour des uvres si magnifiques et si dignes d'admiration. Aussi l'Eglise, considérant tous les bienfaits
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prodigieux que son Epoux répand sur elle aujourd'hui, et voulant se montrer reconnaissante, fait éclater sa joie, se livre à l'allégresse et à la jubilation, et déploie toute sa magnificence afin de célébrer un tel jour.
Parlons donc du premier sujet de cette fête, car les autres viendront à leur tour, selon l'ordre de la vie de Jésus-Christ. Et même sur ce point, je veux dire sur l'arrivée des Mages vers le Sauveur, mon intention n'est pas de vous rappeler les explications et les enseignements divers que les Saints nous ont donnés avec tant de soin. Ainsi , comment ces sages vinrent-ils d'Orient à Jérusalem? Que se passa-t-il entre eux et Hérode? Comment furent-ils conduits par l'étoile? Pourquoi firent-ils de semblables présents? Vous pouvez lire tout cela dans l'Evangile et dans les explications des Saints. Pour moi, je me propose ici, comme dans les autres actes de la vie de Jésus, selon que je vous l'ai dit en commençant, de toucher seulement quelques points en nous aidant des images offertes par l'imagination, et que l'âme perçoit diversement selon que les faits se sont réellement accomplis, ou que nous pouvons croire qu'ils ont dît s'accomplir. Quant aux explications, j'ai résolu de m'y livrer rarement, tant à
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cause de mon insuffisance, qu'à cause des longueurs qu'une semblable méthode entraînerait. Tenez-vous donc présente au mystère qui nous occupe, et considérez-en bien toutes les circonstances, car ainsi que je vous l'ai dit ailleurs, c'est en cela que consiste tout le secret de ces méditations.
Ces trois rois vinrent donc accompagnés d'une grande multitude et d'une suite honorable. Les voilà en présence de l'étable où est né le Seigneur Jésus. Sa mère entend du bruit et du mouvement, et elle prend l'enfant dans ses bras. Les Mages entrent dans la petite demeure, se mettent à genoux, et adorent avec respect l'Enfant-Jésus, leur Seigneur. Ils lui rendent leurs hommages comme à un roi ; ils l'adorent comme leur Maître suprême. Voyez combien grande fût leur foi. Qu'y avait-il qui les portât à croire que ce petit enfant, si pauvrement vêtu, trouvé avec une mère si pauvre, dans un lieu si abject, sans société, sans entourage, sans rien qui sentît sa splendeur; qu'y avait-il, dis je, qui les portât à croire qu'un tel enfant fût roi, qu'il fût le vrai Dieu? Et cependant ils ont cru l'un et l'autre. Il fallait que nous eussions de tels chefs et de tels commencements. Ils se tiennent donc à genoux en présence de Jésus, s'entretiennent avec sa Mère, soit par interprète, soit par eux-mêmes, car c'étaient des sages et peut-être connaissaient-ils la langue
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hébraïque. Ils s'informent de tout ce qui a rapport à cet enfant. La Vierge le leur raconte, et ils ajoutent une foi entière à ses paroles. Remarquez bien comme ils parlent et écoutent avec respect et attention. Considérez aussi notre Souveraine : elle est émue dans ses paroles, ses yeux sont abaissés vers la terre, et elle n'ouvre la bouche qu'avec confusion, car elle ne trouve aucune joie dans les conversations ; elle n'aime point à être exposée aux regards des hommes. Le Seigneur cependant, lui donna le courage nécessaire en cette grande occasion ; car ces rois représentaient l'Eglise universelle qui devait être formée des nations. Contemplez aussi l'Enfant-Jésus : il ne parle pas encore, mais il montre une maturité et une gravité qui annoncent qu'il comprend ; il regarde avec bénignité ces rois, et eux trouvent en lui un bonheur ineffable, bonheur causé tant par la lumière qui remplit leur esprit, car il les instruit intérieurement et les illumine, que par le spectacle qu'ils ont sous les yeux, spectacle du plus beau des enfants des hommes (1). Enfin, après avoir goûté une profonde consolation, ils lui offrent à lui-même de l'or, de l'encens et de la myrrhe (2). Ils ouvrent leurs trésors, en tirent quelque étoffe ou quelque tapis, l'étendent à ses pieds, et chacun d'eux verse dessus
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ces trois présents en grande quantité, mais surtout de l'or. En effet, il ne leur eût pas été nécessaire d'ouvrir leurs trésors, s'il ne se fût agi que d'une légère offrande ; ils auraient pu facilement la prendre des mains de leurs chambellans. Ensuite ils baisèrent les pieds de l'enfant avec respect et dévotion. Qui sait si cet enfant, plein de sagesse, afin de les consoler davantage et de les affermir dans son amour, ne leur offrit pas sa main même à baiser? Toujours est-il qu'il imprima sur eux son signe et qu'il les bénit. S'inclinant donc et lui faisant leurs adieux, ils se retirèrent comblés d'une grande joie, et s'en retournèrent en leur pays par un autre chemin.
Que pensez-vous que l'on fit de cet or, qui était d'un prix si considérable ? Notre Souveraine le garda-t-elle par devers soi, ou le mit-elle en dépôt? S'en servit-elle pour acheter des maisons, des champs et des vignes ? Loin de nous une telle pensée : celle qui aime la pauvreté ne s'inquiète pas de pareilles choses. Pleine d'un zèle ardent et courageux pour cette vertu, comprenant la volonté de son fils qui l'instruisait intérieurement et lui manifestait sa pensée par des signes gnes extérieurs, car il détournait peut-être les yeux de cet or et semblait le traiter avec mépris, Marie distribua en peu de jours le tout aux pauvres, et se délivra de l'embarras, soit de garder ce fardeau, soit de le porter où elle allait. Aussi elle avait si bien dépensé
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tout ce qu'elle avait reçu, que lorsqu'elle se présenta au temple, elle n'eut pas même de quoi acheter un agneau, afin de l'offrir pour son fils, et qu'elle dût se borner à présenter deux colombes. Ainsi, il est raisonnable de croire que l'offrande des Mages fut considérable et que Marie, par amour pour la pauvreté, la distribua aux pauvres qu'elle chérissait tendrement.
Vous voyez l'éloge de la pauvreté, et vous pouvez la considérer dans ces deux circonstances. D'abord, l'Enfant-Jésus reçut l'aumône comme un pauvre et sa mère aussi. En second lieu, non-seulement ils ne s'inquiétaient point d'acquérir ou d'amasser, mais ils ne voulaient pas même garder ce qui leur était donné, tant l'amour de la pauvreté effective allait s'augmentant en eux.
Mais n'avez-vous rien remarqué touchant l'humilité ? Si nous y faisons bien attention, nous découvrons ici toute la profondeur d e cette vertu. Il y en a qui se réputent vils et abjects dans leur âme et ne s'élèvent pas à leurs propres yeux ; mais ils ne veulent point paraître tels aux yeux des autres ; ils ne souffrent point d'être vilipendés ou tournés en dérision par eux, et ils verraient avec peine que leur bassesse et leurs défauts fussent connus et devinssent l'objet des mépris de leurs frères. Ce n'est pas ainsi qu'agit en ce jour l'Enfant-Jésus , le Seigneur de toutes choses : il a voulu que sa bassesse fût connue des
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siens et des autres, et non pas d'un petit nombre, ni de personnages d'un faible rang ; mais des grands et de la multitude, c'est-à-dire des rois et de ceux qui les accompagnaient. Et cela dans un temps et des circonstances où il y avait beaucoup à craindre; car les Mages, étant venus pour reconnaître le roi des Juifs, qu'ils pensaient bien aussi être un Dieu, pouvaient douter en le voyant dans une telle abjection, s'ils ne se retireraient pas sans foi et sans dévotion , se regardant comme des insensés qu'une illusion avait séduits. Mais cet amant de l'humilité ne laissa point échapper l'occasion de nous en donner l'exemple, de peur que, sous prétexte de quelque bien apparent, nous ne fissions défaut à cette vertu, et aussi afin igue nous apprissions à paraître volontiers vils et abjects aux yeux des autres.
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Les Mages étant donc partis pour retourner en leur pays, et, toutes leurs offrandes étant distribuées, la Reine du monde se tient encore auprès de la crèche avec l'Enfant-Jésus et son père nourricier, le saint vieillard Joseph, et elle demeure patiemment en ce lieu, attendant le quarantième jour, comme si elle eût été une femme ordinaire et l'Enfant-Jésus un homme commun, qui fût astreint à l'observation de la loi; mais, ne voulant d'aucune prérogative qui les distinguât, ils observaient la loi comme le reste des hommes. Ce n'est pas ainsi qu'agissent plusieurs qui , vivant en communauté, exigent pour eux des distinctions, veulent par ce moyen se faire remarquer et être considérés comme étant d'un rang plus honorable : une vraie humilité ne s'accommode point de tout cela. Marie demeurait donc là, attendant le jour où il lui serait permis d'entrer dans le temple. Elle y demeurait pleine de vigilance et toute dévouée à la garde de son Fils bien-aimé. O Dieu ! avec quelle sollicitude et quel empressement elle
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s'occupait de tout ce qui le concernait, afin qu'il ne manquât de rien dans les plus petites choses ! Avec quelle révérence, quelle précaution, quelle crainte elle le touchait et fléchissait les genoux quand elle le prenait dans sa couche et l'y replaçait, à la pensée qu'il était son Dieu et son Seigneur! Mais aussi, avec quelle joie, quelle confiance, quelle autorité maternelle elle le serrait dans ses bras, le couvrait de baisers, l'étreignait doucement contre son coeur, prenait en lui son bonheur en se souvenant qu'il était son fils ! Combien de fois considérait-elle, avec attention et amour, son visage et chaque partie de son corps sacré ! Avec quel soin, quelle attention elle enveloppait de langes ses membres délicats ! Car si elle était la plus humble, elle était aussi la plus prudente des créatures. Aussi, dans tous les devoirs et dans tous les services qu'elle lui rendait, qu'il fut éveillé ou qu'il sommeillât,déployait-elle le plus grand soin, et non-seulement dans son enfance, mais alors même qu'il fût devenu plus grand. Oh ! avec quel bonheur elle le nourrissait de son lait ! Il est impossible qu'elle n'ait pas ressenti en allaitant un tel fils, une félicité inconnue aux autres mères. Quant à saint Joseph, saint Bernard dit qu'il croit que l'Enfant-Jésus lui souriait fréquemment, alors qu'il le tenait sur ses genoux.
Marie demeure donc auprès de la crèche; demeurez-y
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avec elle, et réjouissez-vous souvent avec le divin Enfant, car une vertu sort de lui. Toute âme fidèle, et surtout toute personne consacrée à Dieu, devrait, depuis la naissance du Seigneur jusqu'à sa présentation, visiter au moins une fois par jour la Reine des cieux auprès de la crèche, rendre ses hommages à l'enfant et à sa mère , et méditer amoureusement leur pauvreté, leur humilité et leur bénignité.
Le quarantième jour étant arrivé, selon qu'il était marqué dans la loi (1), Marie sortit avec l'enfant et Joseph, et ils allèrent de Bethléem à Jérusalem, qui en est à cinq ou six milles, afin de paraître devant le Seigneur et de se conformer aux prescriptions de Moïse (2). Allez, vous aussi, avec eux ; aidez-les à porter l'enfant, et regardez attentivement tout ce qui se dit et se fait; car tout respire la dévotion la plus tendre. Ils conduisent
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donc au temple du Seigneur, celui qui est le Seigneur du temple. Lorsqu'ils furent entrés, ils achetèrent deux tourterelles, ou deux petits de colombes, afin de les offrir pour lui en sacrifice, ainsi qu'il se pratiquait pour les pauvres. Comme leur indigence était grande, nous devons croire qu'ils choisirent deux petits de colombes, car le prix en était moins élevé, et c'est pour cela que la loi les mentionne en dernier lieu. L'Évangéliste ne parle point de l'agneau, parce que c'était l'offrande des riches.
Ce fut alors que le juste Siméon vint dans le temple, conduit par l'Esprit-Saint, afin d'y voir le Christ du Seigneur, selon qu'il lui avait été promis. Il arrive à la hâte, et dès qu'il est en sa présence, l'Esprit prophétique le lui fait connaître ; il se jette aussitôt à genoux et l'adore dans les bras de sa mère. L'enfant bénit le vieillard, et, regardant sa mère, il s'incline, contrant ainsi qu'il veut aller à lui, ce que Marie comprit, bien que surprise, et elle le présenta à Siméon. Celui-ci, le recevant dans ses bras avec transport et respect, se leva en bénissant Dieu et s'écriant : « C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir en paix votre
serviteur, selon la parole que vous lui en avez donnée (1)». Ensuite il prophétisa la passion du Sauveur.
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Anne la prophétesse survint aussi, et, ayant adoré l'Enfant, elle parlait de lui comme le vieillard. Pour Marie, admirant toutes ces choses, elle les conservait précieusement dans son coeur. Alors l'Enfant-Jésus tendant les bras vers sa mère, lui est rendu, et ensuite tous s'avancent vers l'autel, en l'ordre que l'on voit représenté aujourd'hui par la procession qui se fait dans le monde entier. Ces deux vieillards vénérables, Joseph et Siméon, marchent les premiers se tenant par la main et tressaillant d'une joie et d'un bonheur inénarrables. Ils chantent : « Louez le Seigneur parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (1) Le Seigneur est fidèle en toutes ces paroles (2). C'est ici qu'est notre Dieu, c'est ici qu'il est pour l'éternité ; c'est lui qui régnera sur nous dans tous les siècles. O Dieu ! nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre temple (3) . » Marie suit, portant Jésus, notre Roi, et Anne l'accompagne, se tenant à côté d'elle, pleine d'une joie respectueuse, et louant le Seigneur avec une allégresse indicible.
C'est donc de ces personnes que se compose cette procession. Ils sont en petit nombre, mais ils représentent de grandes choses ; car il y a parmi eux toutes
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les conditions de la vie : des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants, des vierges et des veuves. Lorsqu'ils furent arrivés à l'autel, la mère de Jésus se mit à genoux avec respect, et offrit son Fils bien-aimé à Dieu, son père, en disant : « Recevez, ô Père très-bon ! votre Fils unique, que je vous offre selon le commandement de votre loi, parce qu'il est le premier-né de sa Mère. Mais je vous prie, ô Père excellent, de vouloir bien me le rendre. » Et se levant, elle le déposa sur l'autel.
O Dieu ! quelle offrande est celle-ci ! Il n'y en a pas eu de semblable depuis le commencement des siècles ; il n'y en aura jamais. Considérez bien chaque chose : l'Enfant-Jésus demeure couché sur l'autel comme un enfant ordinaire; il jette un regard tranquille sur sa mère et les autres, et attend avec humilité et patience ce qui doit avoir lieu. Les prêtres s'approchent, et le Seigneur de toutes choses est racheté comme un esclave au prix de cinq sicles, qui était le prix commun. Le sicle était une monnaie du temps. Joseph les ayant payés au Grand-Prêtre, la Mère reprit avec joie son Fils. Elle reçut aussi des mains de Joseph, les oiseaux dont nous avons parlé, afin de les offrir ; alors, se mettant à genoux et les tenant dans sa main, les yeux élevés et attachés au ciel, elle dit : « Recevez, ô Père très-clément, cette offrande, ce faible présent, ce
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premier don que votre petit Enfant vous offre aujourd'hui de sa pauvreté. » L'Enfant-Jésus, étendant ses mains vers les oiseaux, levait aussi les yeux au ciel, et, bien qu'il ne parlât pas encore, il les offrait avec sa mère par ses mouvements ; et ensuite on les déposa sur l'autel.
Vous avez vu quels sont ceux qui offrent; la Mère et le Fils. Un tel sacrifice, bien que chétif en apparence, a-t-il pu être repoussé? Non sans doute ; mais il fut porté par la main des Anges dans la cour céleste, accepté avec amour, et toute l'assemblée bienheureuse en tressaillit de joie. La Vierge sainte partit ensuite de Jérusalem et alla visiter Élisabeth, désirant voir Jean encore une fois, avant que de s'éloigner de ces contrées. Allez aussi avec elle, sans jamais l'abandonner, partout où elle ira, et aidez-la à porter l'Enfant-Jésus. Lors donc qu'elle fut arrivée vers sa cousine, ce fut une grande fête surtout à cause de leurs enfants. Ces enfants étaient aussi l'un pour l'autre l'objet d'une joie mutuelle, et Jean, comme s'il eût été déjà doué d'intelligence, témoignait de son respect pour Jésus. Recevez aussi dans vos bras Jean-Baptiste, car cet enfant est grand en présence du Seigneur, et demandez qu'il vous bénisse. Après être demeurés quelques jours, ils se retirèrent dans l'intention de se diriger sur Nazareth. Maintenant, si vous
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voulez, d'après ce que nous avons dit, vous instruire dans l'humilité et la pauvreté, vous le pouvez facilement en considérant, et cette oblation, et ce rachat, et cette soumission à la loi.
Lors donc qu'ils s'avançaient vers Nazareth, ne sachant rien des desseins de Dieu sur ce retour, et ignorant qu'Hérode se préparait à faire mourir l'Enfant, l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et lui dit de fuir en Egypte avec l'Enfant et sa mère, parce qu'Hérode voulait enlever la vie à l'Enfant (1). Joseph se réveillant, et éveillant ensuite Marie, lui raconta ce qu'il venait d'apprendre. Se levant; aussitôt, elle
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voulut partir sans retard, car ses entrailles avaient été ébranlées à cette nouvelle, et elle craignait de se rendre coupable de la moindre négligence en ce qui concernait la vie de son fils. Ils se mirent donc aussitôt en route au milieu de la nuit, et se dirigèrent du côté de l'Egypte. Considérez et méditez ce qui vient d'être dit et ce que nous allons dire tout à l'heure. Voyez comment ils emportent l'Enfant-Jésus au milieu de son sommeil; témoignez-leur votre compassion et apportez ici toute l'attention dont vous êtes capable, car vous trouverez à considérer beaucoup d'excellentes choses. D'abord, remarquez comment Notre Seigneur reçoit en sa personne, tantôt ce qui peut réjouir, tantôt ce qui est un sujet d'affliction ; et lorsqu'il vous arrivera quelque chose de semblable, ne vous montrez point impatiente ; car à côté de la montagne, vous rencontrerez la vallée. Voilà que dans sa nativité, Jésus-Christ est glorifié comme un pieu par les bergers, et peu de jours après, il est circoncis comme un pécheur. Les Mages viennent ensuite et lui rendent les plus grands hommages ; et néanmoins il demeure dans l'étable au milieu des animaux; il pleure comme ferait l'enfant d'un homme ordinaire. Il est présenté au temple ; Siméon et Anne l'exaltent avec éclat; et maintenant l'Ange lui annonce qu'il faut fuir en Egypte. Vous pourrez encore tirer le même enseignement de
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beaucoup d'autres endroits de sa vie, et les rapporter à notre instruction. Lors donc que vous éprouvez la consolation, attendez la tribulation ; et lorsque vous avez la tribulation, croyez que la consolation est peu éloignée. Ainsi nous ne devons ni nous laisser élever par l'une , ni nous laisser abattre par l'autre; car le Seigneur nous donne des consolations, afin de ranimer notre espérance et nous empêcher de nous éloigner de la voie ; il nous donne des tribulations pour nous conserver dans l'humilité, afin que, connaissant notre misère, nous demeurions toujours dans la crainte. Pensons donc qu'en ces circonstances, notre Sauveur a agi ainsi pour notre instruction, et en même temps pour n'être pas reconnu par le démon.
Considérez ensuite, par rapport aux bienfaits et aux consolations de Dieu, que celui qui en est favorisé, ne doit point se préférer à celui qui en est privé, et que celui qui en est privé, ne doit point laisser son âme s'abattre, ni porter envie à celui qui en est comblé. Je parle ainsi, parce que les entretiens de l'Ange avaient lieu avec Joseph et non avec Marie, quoiqu'il fût de beaucoup inférieur à elle. Sachez aussi, que celui qui reçoit ces faveurs, bien qu'il ne les reçoive pas suivant ses désirs, ne doit point se montrer ingrat ni murmurer, puisque Joseph, qui était si grand aux yeux de
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Dieu, ne jouit des entretiens de l'Ange qu'en songe, et non dans la plénitude de sa raison.
Remarquez, en troisième lieu, comment le Seigneur permet que les siens soient soumis aux persécutions et aux tribulations. C'était alors une tribulation bien grande pour Marie et Joseph, de voir qu'on cherchât l'Enfant pour le mettre à mort. Que pouvaient-ils apprendre de plus triste? C'était aussi pour eux une peine bien vive que cette fuite : car, bien qu'ils sussent que Jésus était le Fils de Dieu, leur sensibilité pouvait cependant être ébranlée, et ils pouvaient dire : « Seigneur Dieu tout-puissant, qu'est-il besoin que votre Fils prenne la fuite? Ne pouvez-vous le défendre en ces lieux? » C'était encore pour eux un sujet d'affliction, d'être obligés d'aller dans un pays éloigné et inconnu, par des chemins difficiles, pour eux surtout qui étaient si peu propres à voyager : Marie à cause de sa jeunesse, Joseph à cause de son âge avancé; et l'Enfant lui-même qu'ils devaient emporter, n'avait que deux mois. Il fallait demeurer dans une terre étrangère ; ils étaient pauvres et ne possédaient rien. Ce sont autant de sujets de douleur. Vous donc, lorsque vous êtes dans la tribulation, prenez patience, et ne vous attendez pas que Jésus vous fera une grâce qu'il s'est refusée à lui-même, et qu'il a refusée à sa Mère.
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Quatrièmement, méditez sur la bénignité du Seigneur. Vous voyez combien promptement il est en butte à la persécution et forcé de fuir la terre où il a reçu le jour, et comme il cède à la fureur de celui qu'il est en sa puissance de perdre en un instant. C'est là une humilité profonde et une patience insigne; car il ne voulût ni rendre à son persécuteur le mal qu'il en recevait, ni lui faire de la peine, mais seulement se soustraire à ses embûches par la fuite. Ainsi sommes-nous tenus de ne point opposer de résistance à ceux qui nous font des reproches, nous reprennent, nous persécutent, mais de les supporter avec patience, de céder à leurs emportements, et, qui plus est, de prier pour eux, comme le Seigneur nous l'enseigne ailleurs en son Évangile (1). Le maître fuyait donc devant le serviteur, et, qui plus est, devant le serviteur du démon ; sa mère, jeune et d'une délicatesse extrême, le portait en la société de saint Joseph, vieillard fort avancé en âge. Ils se dirigeaient vers l'Egypte par un chemin sauvage, obscur, rempli de branchages, rude et désert, par un chemin d'une longueur considérable. On dit que les courriers mettent de douze à quinze jours à le parcourir ; pour Marie et Joseph, il fallut peut-être deux mois et plus; car ils allèrent; dit-on,
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par le désert que les enfants d'Israël traversèrent, ét où ils demeurèrent durant quarante ans. Mais comment faisaient-ils pour porter de quoi vivre avec eux Où trouvaient-ils à se retirer durant la nuit? Comment prenaient-ils leur repos? les habitations sont rares en ce désert. Montrez-leur donc votre compassion, car ils endurent une fatigue longue, pénible et difficile, tant pour eux que pour l'Enfant. Accompagnez-les et aidez-les à porter Jésus, et rendez-lui tous les services qu'il est en votre pouvoir de lui rendre. Nous ne devrions pas regarder comme une peine de faire pénitence pour nous-mêmes, quand nous voyons de tels personnages se soumettre si souvent pour nous à des fatigues aussi considérables.
Quant à ce qui se passa dans le désert et durant le voyage, je ne m'y arrêté pas; parce que nous n'avons aucun récit authentique sur ce sujet. Lors donc qu'ils entrèrent en Egypte; toutes les idoles de cette contrée tombèrent à la renverse , selon qu'il avait été prédit par Isaïe (1). Arrivés à une ville appelée Héliopolis, ils y louèrent une maison , et y demeurèrent pendant sept ans, comme des étrangers et des voyageurs, dans la pauvreté et la gêne.
Mais ici se présente un sujet de réflexion tout-à-fait
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fait beau, pieux et propre à porter à la compassion. Remarquez bien ce qui suit. Pendant un si long temps, où trouvaient-ils de quoi soutenir leur vie? Comment vivaient-ils? Était-ce en mendiant? On lit de Marie qu'elle gagnait ce qui était nécessaire à son entretien et à celui de son fils, à l'aide de son fuseau et de son aiguille. Ainsi la reine du monde, véritable amante de la pauvreté , s'occupait à filer et à coudre. Jésus et Marie aimèrent la pauvreté avec passion et sous tous les aspects, ils lui gardèrent jusqu'à la mort une fidélité inviolable. Mais la Vierge allait-elle elle-même par les maisons demandant du travail et de quoi gagner sa vie? Sans doute, car il fallait bien que l'on sût dans le voisinage, qu'elle s'employait à de tels travaux; autrement, elle eût manqué d'ouvrage, et les femmes de l'endroit ne pouvaient le deviner. Mais lorsque Jésus arriva à l'âge d'environ cinq ans, se chargeait-il lui-même des commissions de sa mère? Allait-il demander pour elle l'ouvrage qu'elle devait confectionner? Il devait en être ainsi, car elle n'avait pas d'antre serviteur. Reportait-il l'ouvrage une fois terminé , et en demandait-il le prix de la part de sa mère? L'enfant-Jésus, le Fils du Dieu très-haut , ne rougissait-il pas de pareilles choses, et sa mère n'était-elle point confuse de l'envoyer ainsi ? Mais qu'était-ce, lorsque reportant l'ouvrage et en demandant
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le prix, quelque femme superbe, querelleuse et emportée, lui répondait par des injures, prenait l'ouvrage, mettait l'enfant à la porte sans le payer, et qu'ainsi il s'en revenait à la maison les mains vides? Oh! combien d'outrages cuisants les étrangers ont à dévorer! Et le Seigneur n'était pas venu pour s'y . soustraire, mais bien pour s'y soumettre. Qu'était-ce donc encore, si, rentrant à la maison et souffrant de la faim , comme il arrive aux enfants , il demandait du pain alors que sa mère n'avait pas de quoi lui en donner? Ces choses et autres semblables ne déchirèrent-elles pas profondément les entrailles de Marie? Elle consolait son Fils par ses paroles et cherchait à satisfaire ses besoins, selon qu'elle le pouvait ; elle retranchait même ce qui était nécessaire à sa nourriture, afin de le conserver pour lui.
Vous pouvez méditer ce que je viens de vous exposer et autres sujets semblables, touchant l'enfance de Jésus; je n'ai fait que vous les indiquer. Pour vous, étendez-les et attachez-vous-y selon que vous le jugerez à propos. Soyez petite avec le petit Enfant-Jésus, et. ne dédaignez pas de faire sur lui des considérations si humbles et qui peuvent sembler puériles. Car toutes ces choses donnent de la dévotion, augmentent l'amour, allument la ferveur, excitent la compassion, confèrent la pureté et la simplicité, alimentent la
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force de l'humilité et de la pauvreté , entretiennent la familiarité avec Jésus , établissent la conformité entre nous et lui, et élèvent notre espérance.
Nous sommes impuissants , il est vrai , à atteindre ce qui est sublime; mais ce qui est insensé en Dieu est plus sage que toute la sagesse des hommes, ce qui est faible en lui l'emporte en puissance sur toutes les forces de la terre. La méditation de pareils sujets semble aussi être de nature à abaisser notre orgueil, à affaiblir notre cupidité , à confondre notre curiosité. Voyez-vous que de biens en découlent? Soyez donc, comme je vous. l'ai dit, petite enfant avec ce petit enfant; croissez à mesure que vous le verrez croître, mais pourtant en vous conservant toujours dans l'humilité ; suivez-le partout où il ira, et contemplez sa face en tout temps.
Mais n'avez-vous pas remarqué aussi dans ce qui a été dit, combien fut laborieuse la pauvreté de ces saints personnages? Combien elle était de nature à leur causer de la confusion? S'il leur fallait chercher leur vie dans le travail de leurs mains, que dirons-nous de leurs vêtements? Que dirons-nous des objets de leur ménage, des lits et autres choses qui sont nécessaires dans une maison? Avaient-ils deux fois le même objet? Possédaient-ils quelque chose de superflu, quelque chose de remarquable? Tout cela est
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contraire à la pauvreté , et quand même il eût été en son pouvoir de le posséder, la Vierge, cette vraie amante de la pauvreté , n'en eût point voulu. Mais au moins notre Souveraine, en travaillant de son aiguille ou autrement, ne confectionnait-elle point par charité pour les autres, quelque objet rare et curieux? Loin d'elle une pareille occupation ; qu'ils s'emploient à des travaux semblables, ceux qui ne s'inquiètent nullement de perdre leur temps! Elle ne pouvait dans une pauvreté aussi extrême consumer le sien en frivolités, et l'eût-elle pu, qu'elle ne l'eût point fait. C'est là un vice très-dangereux , et surtout de nos jours. Voulez-vous savoir comment? Remarquez premièrement que le temps qui est accordé pour louer le Seigneur, est employé contre lui-même en des futilités ; car un travail rare, prend beaucoup plus de temps qu'il ne convient, et c'est déjà un grand mal. En second lieu, une pareille occupation devient un motif de vaine gloire pour celui qui s'y consacre. Oh ! combien de fois il regarde, passe et repasse en son esprit, alors même qu'il est loin de son travail, alors qu'il devrait être appliqué à louer Dieu, quelle belle oeuvre il est en train d'exécuter ; et par là , il se répute quelque chose, il veut être considéré de même. C'est, en troisième lieu, une cause d'orgueil, car c'est par un aliment semblable que le feu de la superbe se nourrit
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et s'embrase de plus en plus. De même que ce qui est ordinaire et grossier entretient l'humilité , ainsi des travaux recherchés entretiennent l'orgueil. Quatrièmement, c'est une occasion à l'âme de s'éloigner de Dieu, « car, dit saint Grégoire, le coeur se détache d'autant plus de l'amour supérieur qu'il se délecte en l'amour inférieur » Cinquièmement, c'est une nourriture pour la concupiscence des yeux, une des trois auxquelles se rattachent tous les péchés qui sont dans le monde. Car les curiosités ne servent à rien autre chose qu'à repaître dans la suite vainement les regards. Or, autant de fois l'oeil se nourrit vainement et se délecte en de semblables objets, autant de fois celui qui en est l'auteur et celui qui en fait usage se rendent coupables. Sixièmement, c'est un piège et une ruine pour beaucoup; car ceux qui regardent de telles choses peuvent pécher de plusieurs manières, soit en ayant un mauvais exemple qui les conduise au mal, soit en les contemplant avec plaisir, soit en désirant quelque chose de semblable, soit en jugeant ceux qui en font usage, soit en murmurant, soit en se livrant à la médisance. Pensez donc combien de fois Dieu peut être offensé avant que cette curiosité soit détruite ; or, celui qui a prêté
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ses mains à un tel ouvrage est la cause de tout cela. C'est pourquoi, si je vous priais de faire pour moi de pareils objets, ou si vous saviez certainement que je dusse en faire usage, vous devriez me refuser votre coopération; car on ne doit consentir au péché en aucune façon , et il faut s'abstenir en toute manière de ce qui peut offenser Dieu. Mais combien donc vous rendez-vous plus coupable si vous agissez ainsi de vous-même, par pure complaisance, plus désireuse de plaire à la créature qu'au Créateur! C'est ainsi que font ceux qui vivent selon le siècle, car de tels objets sont les ornements du monde , et un blasphème contre Dieu. Mais ce qui m'étonne, c'est que celui qui se propose de vivre avec une conscience pure, ose se prêter aussi à de semblables occupations et se couvrir d'une pareille souillure. Vous voyez combien de maux proviennent d'une telle recherche. Il y a encore quelque chose de pire en une pareille affectation, c'est qu'elle est directement opposée à la pauvreté, et que pardessus tout, elle est l'indice d'une âme légère, vaine et inconstante. Je me suis étendu longuement sur ces ornements recherchés, mais c'est afin que vous les évitiez. Ayez donc soin de ne vous livrer jamais à de tels travaux, de ne jamais faire usage de semblables objets : de la sorte, vous vous préserverez du contact d'un serpent qui vous donnerait
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la mort. Cela ne veut pas dire pourtant, qu'il ne soit jamais permis d'exécuter quelque bel ouvrage surtout en ce qui peut servir au culte divin, mais cependant il faut toujours se tenir souverainement en garde contre toute attache désordonnée, contre toute complaisance intempestive, et en conserver son âme fortement éloignée. Touchant cette recherche, saint Bernard s'exprime ainsi : « Quels profits, je vous demande, rapportent au corps de vains spectacles? Quel avantage confèrent-ils à l'âme? Assurément, vous ne trouverez rien en l'homme qui en retire quelque utilité. C'est une consolation tout-à-fait frivole, vaine et futile, et je ne sais si je pourrais souhaiter quelque chose de plus affligeant que d'avoir toujours selon ses désirs, à celui qui, fuyant la paix d'un repos délectable, trouve son bonheur dans une recherche pleine d'inquiétude »
Mais revenons à notre Souveraine, que nous avons laissée en Égypte. Nous nous sommes éloignés d'elle, afin de flétrir ce vice maudit de la curiosité. Considérez-la dans ses occupations, travaillant de l'aiguille, filant, tissant; et néanmoins elle a le soin le plus vigilant de son fils et du maintien de sa maison; elle
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est toujours appliquée, autant qu'elle le peut, aux veilles et à la prière. Vous donc, compatissez-lui de tout votre coeur, et remarquez que ce n'est pas du tout; gratuitement, que la Reine des cieux en a obtenu l'empire. Il arrivait aussi peut-être que quelques femmes riches et bonnes, voyant sa pauvreté, lui faisaient quelques dons, qu'elle recevait avec humilité et actions de grâces.
En même temps , le saint vieillard Joseph s'emploie de son côté aux travaux de son état. Vous avez donc de toute part matière à une grande compassion. Laissez-vous y aller pendant quelque temps; ensuite demandez la permission de vous retirer après avoir reçu à genoux la bénédiction d'abord de l'Enfant-Jésus, puis de sa mère et de Joseph, et dites-leur adieu en versant des larmes et en leur témoignant la part que vous prenez à leurs peines : ils sont bannis et ils demeurent, sans l'avoir mérité, exilés loin de leur patrie ; et c'est pendant sept ans qu'il leur faudra résider en ce lieu, et y gagner leur vie à la sueur de leur front.
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Sept années étant accomplies depuis que le Seigneur était en Egypte, l'Ange apparut en songe à Joseph et lui dit : « Prenez l'enfant et sa mère et allez dans la terre d'Israël, car ceux qui cherchaient la vie de l'enfant sont morts. Il prit donc l'enfant et sa mère et revint dans la terre d'Israël. Lorsqu'il en approchait, ayant appris qu'Archélaüs, fils d'Hérode, régnait en ces lieux, il craignit d'aller jusque-là. Averti de nouveau par l'Ange, il se retira en Galilée, dans la ville de Nazareth (1). » Ce retour eut lieu vers la fête de l'Epiphanie, c'est-à-dire le second jour, comme on le lit dans le martyrologe.
Vous voyez encore ici comment le Seigneur, ainsi que je vous l'ai dit dans le chapitre précédent, se plaît à ne donner que des consolations et des révélations
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complètes, et non aussi entières que notre désir les demanderait. Ce qui se passe en cette circonstance, vous est une preuve nouvelle de cette vérité, car c'est en songe et non ouvertement pendant le réveil qu'ont lieu ces apparitions; ce n'est pas d'un seul coup, mais en deux fois que Joseph apprend où il doit aller. Et la Glose dit que le Seigneur en agit de la sorte , parce que la fréquence de ses visites nous donne une certitude plus grande. Au reste, quelles qu'elles soient, nous devons les regarder comme ayant une grande valeur et en demeurer reconnaissants, car, pour ce qui est de son côté, notre Seigneur fait toujours ce qu'il sait nous être le plus utile.
Maintenant, appliquez-vous à ce retour du Seigneur, et remarquez qu'il y a là un sujet abondant de pieuse méditation. Revenez donc en Egypte pour y visiter l'Enfant-Jésus. Vous le trouverez peut-être hors de la maison, au milieu des autres enfants ; mais aussitôt qu'il vous apercevra, il viendra au-devant de vous, car il est plein de bénignité, d'affabilité et d'empressement. Pour vous, prosternez-vous, baisez ses pieds, prenez-le lui-même dans vos bras , et reposez-vous un peu avec lui ; ensuite il vous dira sans doute : « Nous avons reçu la permission de retourner en notre pays ; c'est demain que nous devons partir d'ici. Vous êtes arrivée à la bonne heure, car vous reviendrez
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avec nous. » Répondez-lui vivement que vous avez une grande joie d'une telle nouvelle; que vous désirez le suivre partout où il ira; et réjouissez-vous en vous entretenant de la sorte avec lui.
Je vous l'ai déjà dit, de pareilles considérations peuvent sembler puériles à méditer ; mais on en retire un grand profit, et elles nous amènent à des choses plus élevées. Jésus vous conduira ensuite vers sa Mère, et il lui rendra ses hommages avec empressement. Pour vous, fléchissez les genoux, faites-lui une profonde révérence ainsi qu'au saint vieillard Joseph, et reposez-vous avec eux.
Le lendemain matin, vous verrez quelques excellentes femmes, et même quelques hommes venir, afin de les accompagner jusqu'aux portes de la ville, en mémoire du séjour saint et pacifique, qu'ils ont fait au milieu d'eux. En effet, ils avaient annoncé dans le voisinage, plusieurs jours à l'avance, qu'ils allaient partir, car il n'était pas convenable qu'ils sortissent de ce lieu à la dérobée. Il en fut autrement, il est vrai, quand ils vinrent en Égypte ; mais alors, ils craignaient pour la vie de l'Enfant.
Les voilà donc en marche : Joseph précède avec les hommes, et la Vierge suit de loin avec les femmes. Pour vous, prenez l'Enfant par la main et placez-vous au milieu de cette troupe devant la Mère, car elle ne
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permet pas que son fils vienne après elle. Lorsqu'ils sont à la porte, Joseph ne souffre pas que ces hommes l'accompagnent plus loin. Alors un d'entre eux, qui était riche , compatissant à leur pauvreté, appelle l'Enfant afin de lui donner quelques deniers pour les dépenses du voyage. L'Enfant rougit de les recevoir; cependant, par amour pour la pauvreté , il tend la main, prend l'argent modestement et remercie. Plusieurs de ceux qui étaient présents lui firent aussi leurs offrandes. Il est appelé ensuite par les femmes qui font de même. La Mère ne rougit pas moins que son Fils; cependant elle remercie humblement. Vous pouvez véritablement leur compatir, en voyant que celui à qui appartient la terre et tout ce qu'elle renferme, a choisi pour lui, pour sa mère et son père nourricier, une misère si rigoureuse et qu'il a vécu dans une si grande détresse. La sainte pauvreté brille en eux du plus vif éclat, et ils nous la montrent toute digne de notre amour et de notre imitation. Enfin, après avoir offert leurs remercîments, ils disent adieu à tout le monde, et se mettent en route.
Mais comment reviendra ce Jésus, cet enfant si tendre encore ? Pour moi, le retour semble encore plus difficile que la venue : quand il vint en Egypte, il était si petit qu'on pouvait le porter; maintenant il est si grand qu'il ne saurait l'être, et si petit qu'il ne saurait.
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marcher lui-même. Mais peut-être quelqu'un de ces hommes excellents lui donna-t-il ou du moins lui prêta-t-il un âne sur lequel il pût revenir. O Enfant charmant et délicat, Roi du ciel et de la terre ! combien vous avez souffert pour nous, et comme vous avez commencé de bonne heure ! C'est bien justement que le prophète s'est écrié en parlant de votre personne : « Je suis pauvre et dans les peines depuis ma plus tendre jeunesse (1). » Vous avez pris sur vous en tout temps la détresse la plus grande, les travaux pénibles et les souffrances du corps ; vous avez eu comme de la haine pour vous à cause de nous. Assurément cette fatigue, dont nous nous occupons en ce moment eût dû suffire pour notre rédemption.
Prenez donc l'Enfant-Jésus et placez-le sur son âne; conduisez-le vous-même fidèlement, et lorsqu'il voudra descendre, recevez-le avec joie dans vos bras, gardez-le quelques instants, au moins jusqu'à ce que sa Mère soit arrivée, car elle marche plus lentement. Alors l'Enfant ira la trouver, et ce sera pour la Mère un grand repos que de recevoir son Fils.
Ils s'avancent donc et marchent à travers le désert par lequel ils sont venus, et, pendant ce voyage, vous pourrez leur compatir, car ils goûtent peu de repos.
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Considérez comme ils sont fatigués et abattus parla peine, tant du jour que de la nuit. Arrives aux confins du désert, ils y trouvèrent Jean-Baptiste, qui avait déjà commencé à faire pénitence, bien qu'il ne fût coupable d'aucun péché. On dit que l'endroit du Jourdain où Jean baptisa, est celui qui fut traversé par les Israélites quand ils vinrent de l'Egypte par ce désert, et que c'est proche de ce lieu, dans le même désert, qu'il fit pénitence. Ainsi , il est possible que l'Enfant-Jésus, passant par là à son retour, l'ait rencontré. Considérez donc comment il les reçut avec empressement, comment, demeurant quelque temps en ce lieu, ils mangèrent avec lui, les aliments grossiers dont il faisait sa nourriture ; et enfin comment, après avoir puisé ensemble une immense force d'esprit, ils lui dirent adieu. Et vous, à l'arrivée et au départ, mettez-vous à genoux devant Jean-Baptiste, baisez ses pieds, demandez-lui qu'il vous bénis se, et recommandez-vous à lui ; car cet enfant est parfait, et tout à fait admirable dès son berceau. C'est lui qui l'ut le premier ermite, le principe et la voie de ceux qui veulent pratiquer la vie religieuse. Il fut vierge sans la moindre tache, prédicateur illustre, plus que prophète et martyr glorieux.
La sainte famille, traversant ensuite le Jourdain, arriva à la maison d'Élisabeth, et ce fut pour tous une fête pleine de joie et d'allégresse. C'est en ce lieu que
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Joseph, apprenant qu'Archélaüs, fils d'Hérode, régnait en Judée, craignit, et qu'averti en songe par l'Ange, il se retira avec Marie et Jésus en la ville de Nazareth.
Voilà que nous avons ramené Jésus de l'Égypte. A son arrivée, accourent les soeurs de Marie et ses autres parents et amis, afin de les visiter. Quant à eux, ils établissent leur séjour à Nazareth, et y mènent une vie pauvre. Désormais, jusqu'à la douzième année de l'Enfant-Jésus, on rie lit plus rien de lui. On dit pourtant, et c'est une chose vraisemblable, qu'on voit encore la fontaine où le divin enfant allait puiser de l'eau polo sa Mère ; car l'humble Seigneur rendait à Marie de pareils services, attendu qu'elle n'avait point d'autre serviteur que lui. Vous pouvez aussi vous re-présenter Jean l'évangéliste, venant dans cette demeure avec sa mère, qui était saur de la mère de Jésus. Il avait alors cinq ans, car on lit de lui qu'il mourut la soixante-septième année après la Passion du Seigneur et la quatre-vingt-dix-neuvième de son âge; et ainsi, au temps de la Passion, il avait trente et un ans, alors que Jésus en avait trente-trois ou un peu plus. Comme à son retour le Seigneur avait sept ans, Jean devait en avoir cinq. Considérez-les réunis ensemble, et conversant, selon que Dieu vous l'inspirera; car c'est jean qui, dans la suite, fut le disciple que Jésus aimait d'un amour plus intime.
Lorsque Jésus fut âgé de douze ans, il monta à Jérusalem, selon la coutume et le précepte de cette fête, qui durait huit jours. Ce divin enfant se livre ainsi aux fatigues de longs voyages, et il va pour honorer son Père céleste dans les fêtes qui lui sont consacrées ; car il y a un amour extrême entre le Père et le Fils. Mais celui-ci ressentait une affliction plus grande, une douleur plus acerbe, du déshonneur que son Père recevait des péchés sans nombre qui se commettaient, qu'il n'éprouvait de joie des honneurs qui lui étaient rendus en ce jour, et des pompes extérieures de cette solennité. Le Seigneur de la loi était donc le fidèle observateur de la loi, et il se tenait humblement parmi les autres comme un pauvre ordinaire.
Les jours de la fête étant terminés, et ses parents se retirant, Jésus demeura à Jérusalem. Apportez toute votre attention, et considérez-vous comme présente
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à tout ce qui se dit et se fait, car il y a là un sujet de méditation tout-à-fait pieux et profitable. Je vous ai déjà dit que Nazareth où le Seigneur demeurait, est à quatorze ou quinze milles environ de Jérusalem. Lors donc que sa Mère et Joseph, s'en retournant par des chemins divers, arrivèrent le soir au lieu où la marche de ce jour se terminait, et où ils devaient passer la nuit, Marie voyant que Joseph était sans Jésus, qu'elle croyait avec lui, lui demande : « Où est l'Enfant? Je ne le sais pas, répondit Joseph ; il n'est pas revenu avec moi ; je pensais qu'il s'en était retourné avec vous ». Alors Marie, saisie d'une douleur indicible, s'écria avec larmes : « Il n'est point revenu avec moi. Je vois que je n'ai pas
bien gardé mon fils ». Et elle se mit à aller promptement par les maisons, et les parcourut toutes ce soir même , avec la modestie la plus convenable , demandant à chacun s'il n'avait point vu son fils. A peine se sentait-elle, tant la véhémence de sa douleur et l'ardeur de son désir étaient grandes. Joseph la suivait en pleurant. Ne l'ayant point trouvé , jugez vous-même quel repos ils pouvaient prendre, surtout Marie qui l'aimait plus profondément encore. Bien que ses amis cherchassent à fortifier son courage , elle ne pouvait cependant se consoler. En effet que n'était-ce point pour elle que la perte de Jésus? Considérez-la
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bien et ayez pour elle une compassion profonde, car son âme est dans l'angoisse, et dans une angoisse telle que depuis sa naissance jusqu'à ce jour, elle n'avait jamais rien éprouvé de semblable.
Ne nous troublons donc point quand nous sommes sous le coup des tribulations , puisque le Seigneur n'a pas épargné sa propre mère. Il permet qu'elles arrivent aux siens , et elles sont des signes de son amour. Pour nous, il nous est avantageux de passer par là.
Enfin Marie, se renfermant dans sa chambre , eut recours à la prière et aux gémissements. Elle s'adressa à Dieu en ces termes : « O Dieu ! Père éternel, plein de clémence et de bénignité, il vous a plu de me donner votre Fils, mais voilà que je l'ai perdu; je ne sais où il est; daignez me le rendre. O mon Père ! délivrez-moi d'une pareille amertume , et montrez-moi mon Fils. Regardez, ô mon Père ! l'affliction de mon cur , et non ma négligence ; j'ai agi avec imprudence, mais je l'ai fait sans le savoir. A cause de votre bonté, rendez-le-moi, car je ne puis vivre sans lui. O mon Fils bien-aimé ! où êtes-vous? Que vous est-il arrivé? Où avez-vous choisi votre demeure? Êtes-vous retourné dans le ciel vers votre Père? Je sais bien que vous êtes Dieu, que vous êtes le Fils de Dieu; mais comment ne
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m'auriez-vous pas averti d'un pareil dessein? Seriez-vous tombé dans des embûches qu'on vous aurait tendues? Je sais que vous êtes véritablement
homme et né de moi ; je sais que déjà Hérode vous a cherché pour vous faire mourir, et qu'alors je vous portai en Egypte. O mon Fils ! que votre Père vous garde de tout malheur ! Indiquez-moi où vous êtes, et j'irai à vous; ou bien, revenez à moi. Pardonnez-moi pour cette fois; car jamais il ne m'arrivera d'avoir la moindre négligence à votre égard. Me suis-je rendue coupable de quelque offense vis-à-vis de vous, ô mon Fils? Pourquoi donc vous êtes-vous retiré de moi? Depuis votre naissance
jusqu'à ce jour, je n'ai jamais été séparée de vous; je n'ai jamais pris ni nourriture ni sommeil, éloignée de vous; c'est pour la première fois que j'ai à déplorer votre absence. Me voilà sans vous, et je ne sais comment il a pu en arriver ainsi. Vous savez que vous êtes mon espérance, ma vie, tout mon bien, et que je ne puis être sans vous; indiquez-moi donc où vous êtes, et dites-moi comment je pourrai vous trouver. »
Ainsi durant la nuit, se livrait à l'angoisse sur son Fils bien-aimé, la Mère de Jésus. Le lendemain de grand matin, elle sortit de sa maison avec Joseph , et ils le cherchèrent encore dans les environs, car il y
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avait plusieurs chemins pour revenir de Jérusalem , de même que pour revenir de Sienne à Pise on peut prendre sa route par Puy-Bonnichi ou par Colle ou d'autres lieux. Le jour suivant, ils parcoururent d'autres chemins, le cherchant parmi leurs parents et leurs amis. Et ne le trouvant point, sa Mère était plongée dans une anxiété si profonde qu'on eût dit qu'elle eût perdu tout espoir, et que rien ne pouvait la consoler. Enfin le troisième jour, retournant à Jérusalem, ils le trouvèrent dans le temple assis au milieu des docteurs. En le voyant, Marie fut pénétrée de la joie la plus vive , et , se mettant à genoux , elle rendit grâces à Dieu en versant des larmes de bonheur. Or, l'Enfant-Jésus apercevant sa Mère , vint à elle , et elle le reçut dans ses bras , le pressa contre son coeur, l'embrassa avec ivresse , colla son visage sur le sien , le tint quelques temps contre son sein, et se reposa ainsi en lui; car, dans ce premier moment, la grandeur de sa joie l'empêchait de proférer aucune parole. Ensuite arrêtant ses regards sur lui, elle lui dit : « Mon Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi à notre égard? Votre père et moi nous vous cherchions en pleurant. » Et pourquoi me cherchiez-vous ? leur répondit-il. Il faut que je m'emploie aux choses qui regardent le service de mon Père ». Mais ils ne comprirent point cette parole. Sa mère
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lui dit donc : « Mon Fils, nous allons retourner en notre maison, ne voulez-vous point revenir avec nous? « Je ferai, reprit-il, ce qui vous sera
agréable. » Et il revint avec eux à Nazareth.
Vous avez vu l'affliction de Marie en cette circonstance; mais que devint cet Enfant durant ces trois jours. Regardez-le attentivement : comment il se rend vers quelques-uns des lieux où l'on recevait les indigents; comment il demande avec modestie à y être reçu; comment Jésus, pauvre, mange et demeure avec les pauvres. Regardez-le assis au milieu des docteurs, les écoutant avec un visage calme, où reluit la sagesse et le respect. Il les interrogeait comme s'il eût ignoré, mais il le faisait par humilité, et aussi pour qu'ils n'eussent point à rougir, en écoutant ses réponses admirables.
Vous pouvez considérer dans ce qui vient d'être dit, trois choses dignes de remarque.
Premièrement, c'est que celui qui veut s'attacher à Dieu, ne doit point demeurer parmi ses parents, mais s'en éloigner. L'Enfant-Jésus s'est séparé d'une Mère qu'il aimait tendrement, lorsqu'il voulut s'appliquer aux oeuvres de son Père. On le chercha ensuite, mais on ne le trouva ni parmi ses parents, ni parmi ses amis.
Secondement, c'est que celui qui veut vivre
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spirituellement, ne doit point s'étonner s'il sent son âme aride, s'il lui paraît qu'il est abandonné de Dieu, puisqu'il en est arrivé ainsi à la Mère de Dieu elle-même. Qu'il ne se laisse donc point défaillir en son esprit, mais qu'il cherche avec empressement son Seigneur en persévérant en de saintes méditations et dans les bonnes oeuvres, et il le retrouvera.
Troisièmement, c'est qu'on ne doit point s'attacher à son propre sentiment ou à sa volonté particulière. Le Seigneur avait dit qu'il fallait qu'il s'occupât aux oeuvres de son Père, et il changea de dessein, suivit la volonté de sa Mère, s'en retourna avec elle et saint Joseph, et il leur était soumis, en quoi vous pouvez encore admirer son humilité, dont nous parlerons bientôt plus abondamment.
Le Seigneur Jésus étant donc sorti du temple, et revenu de Jérusalem avec ses parents en la ville de Nazareth, leur était soumis, et, il demeura avec eux
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depuis ce moment jusqu'au commencement de sa trentième année. On ne trouve point dans les Ecritures qu'il ait fait quelque chose durant tout ce temps, ce qui semble tout-à-fait étonnant. Que pourrons-nous donc admirer en lui, et quelles oeuvres nous figurerons-nous qu'il ait faites? S'est-il tenu oisif durant un si long temps, en sorte qu'il n'y ait en cette partie de sa vie rien qui mérite d'être raconté ou écrit? S'il avait agi, pourquoi n'en serait-il point parlé, comme de ses autres actions? Cela semble donc tout-à-fait extraordinaire.
Mais apportez ici toute votre attention, car vous pourrez voir bien clairement qu'en ne faisant rien il fit des choses admirables. Tout dans sa conduite est plein de mystère. De même qu'il agissait par vertu, de même il se taisait, se reposait, se séparait de tout par vertu.
Ce Maître suprême, devant donc un jour enseigner les vertus et le chemin de la vie, a commencé dès sa jeunesse à accomplir des oeuvres de vertu, mais d'une manière admirable, inconnue et inouïe aux temps qui avaient précédé , c'est-à-dire en se montrant aux yeux des hommes, abject, insensé et inutile, ainsi que vous pouvez vous le figurer dévotement et sans aucune témérité. Cependant, dans cette méditation, je ne prétends rien affirmer, et c'est ce que je fais quand je n'ai point pour appui les Ecritures ou les
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Docteurs : je vous en ai averti dès le commencement.
Jésus se séparait donc de la société et des entretiens des hommes. Il allait à la synagogue, comme nous dirions à l'église; il y restait longtemps en oraison , mais à l'endroit le moins en évidence. Il revenait ensuite à la maison, y demeurait avec sa Mère, et aidait quelquefois son père nourricier dans ses travaux. Il passait, allant et revenant parmi les hommes, comme s'il n'eût vu personne. Tous étaient dans l'étonnement qu'un jeune homme qui promettait autant, ne fît rien qui semblât digne de louange; ils attendaient de lui des choses merveilleuses, et qui décelassent un homme habile. Car, lorsqu'il était enfant il croissait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes; mais depuis l'âge de douze ans jusqu'à sa trentième année et au-delà, on ne vit plus dans ses oeuvres rien qui annonçât la capacité ni l'aptitude. Aussi, on s'étonnait, on se moquait de lui et l'on disait : « C'est un être inutile et un idiot, c'est un homme de néant, un sot et un insensé ». Il n'apprit pas même à lire, et c'était un proverbe parmi ses concitoyens : qu'il était grand de taille et faible d'esprit. Cependant, il tenait si fortement à ce genre de vie, il y persévérait avec tant de constance que tous communément le regardaient comme un être vil et
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abject. C'était bien en effet ce que le prophète avait dit en parlant de lui : « Je suis un ver de terre et non un homme; je suis l'opprobre des hommes et l'abjection de mon peuple (1).»
Vous voyez donc ce qu'il opérait en ne faisant rien. Il se rendait, comme je l'ai dit, vil et abject aux yeux de tous. Mais cela vous semble-t-il peu de chose? Pour lui, il n'en avait aucun besoin; mais il n'en était pas ainsi de moi. Assurément je n'estime rien de plus grand parmi nos actions, et je ne connais rien de plus difficile. Il me semble être parvenu à un degré très-élevé, celui qui du fond du coeur et sincèrement sait vaincre et dominer de telle sorte son esprit et les prétentions superbes de la chair, qu'il ne veut plus être considéré comme quelque chose, mais se réjouit d'être regardé comme méprisable et digne de dédain ! Il est plus glorieux d'agir ainsi que de s'emparer des villes par son courage, selon ces paroles de Salomon : « L'homme patient l'emporte sur l'homme fort, et celui qui commande à son coeur, sur celui qui sait prendre les villes dans un combat (2) ». Ne vous imaginez donc pas avoir fait quelque chose, jusqu'à ce que vous soyez parvenus à ce degré. En effet, puisque, selon la parole du Seigneur, nous sommes
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véritablement des serviteurs inutiles (1), alors que nous avons bien fait toute chose : jusqu'à ce que nous soyons arrivés à ce degré d'abjection, nous ne sommes rien véritablement, mais nous demeurons et nous marchons dans la vanité. C'est ce que l'Apôtre nous montre aussi très-clairement , lorsqu'il nous dit : « Celui qui pense être quelque chose, alors qu'il n'est rien, se trompe lui-même (2) ». Si vous me demandez pourquoi le Seigneur Jésus agissait ainsi, je vous répondrai que ce n'était pas qu'il en eût besoin , mais afin de nous instruire. Aussi serons-nous inexcusables si nous demeurons sans intelligence. C'est vraiment une abomination de voir un vermisseau, destiné à être la pâture des vers, s'enfler d'orgueil, après que le Seigneur de toute majesté s'est humilié jusqu'à l'abjection.
Mais s'il semble absurde à quelqu'un, que Jésus soit demeuré ainsi inutile, et s'il dit que les Evangélistes ont omis beaucoup de choses, on peut lui répondre qu'il n'était pas inutile de donner un exemple d'une vertu si grande; que c'était même d'une utilité considérable; que c'était poser le fondement vrai et inébranlable de toutes les vertus. D'ailleurs lui-même s'exprime en ces termes dans l'évangile de saint Jean :
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« Lorsque le paraclet que je vous enverrai de la part de mon Père; sera venu, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de
moi , et vous en rendrez témoignage aussi, parce que vous êtes avec moi dès le commencement (1) », c'est-à-dire : comme prédicateurs. Et saint Pierre., lors de l'élection de saint Matthias : « Il faut, dit-il, que nous choisissions un de ces hommes qui ont été en tout temps en notre
compagnie, depuis le jour où le Seigneur a commencé à converser avec nous jusqu'au jour où il s'en est séparé, en remontant jusqu'au baptême de Jean (2) ». Mais alors Jésus commençait sa trentième année, et Jean n'eût pas été son précurseur si la prédication du Seigneur eût commencé auparavant. D'ailleurs, s'il eût prêché déjà, comment n'eût-il pas été connu de ses voisins durant tant d'années , et cependant ils disaient : « N'est-ce point là le fils du charpentier (3)? » Surtout lorsqu'il ne lui fallut dans la suite que peu de jours pour être appelé fils de David par ceux qui l'accompagnaient. Si donc, il eût commencé plutôt ses prédications, s'il se fût rendu remarquable par quelque action considérable, les Evangélistes nous en auraient rapporté quelque chose,
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et ils ne se seraient point accordés à garder le silence sur tout ce temps. Au reste, ce que j'avance semble être aussi le sentiment de saint Bernard, ainsi que vous le verrez dans le prochain chapitre, où je cite son autorité après celles que je viens de rapporter. Quoiqu'il en soit d'ailleurs, de la vérité de cette assertion, je pense qu'on en peut tirer un pieux sujet de méditation, comme nous allons le faire.
Le Seigneur Jésus, en agissant ainsi, fabriquait donc le glaive de l'humilité, selon qu'il avait été dit par le Prophète : « Ceignez votre glaive sur votre cuisse, ô vous qui êtes très-puissant (1). » Et nul glaive ne lui convenait mieux pour terrasser son superbe adversaire, que celui de l'humilité. Aussi, nous ne lisons pas qu'il se soit servi de celui de sa grandeur , au temps où il en avait le plus besoin, je veux dire au temps de sa Passion, mais plutôt de celui qui lui était opposé. Le même Prophète, élevant ses plaintes vers. Dieu le Père en faveur de son Fils, lui dit : « Vous avez éloigné la force de son glaive, et vous ne l'avez point secouru au jour du combat (2). » Vous voyez donc que le Seigneur a commencé par faire avant que d'enseigner, car il devait dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cur (3). » Il a
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voulu d'abord le mettre en pratique, et ce n'était point une apparence chez lui, mais une réalité ; car il était véritablement doux et humble du fond du coeur. La feinte ne pouvait avoir en lui aucun accès ; mais il s'établit et s'enfonça si profondément en l'humilité, l'abaissement et l'abjection, il s'anéantit si parfaitement, aux yeux de tous les hommes, qu'après qu'il eut commencé à prêcher et à enseigner la doctrine la plus élevée et la plus divine, à opérer des oeuvres miraculeuses et pleines d'éclat, on ne faisait aucun cas de lui, mais on le vilipendait, on se moquait de lui en disant : « Qu'est-ce que cet homme ? N'est-ce point là le fils du charpentier (1) ? » Et autres paroles semblables de dérision et de mépris. Et ainsi s'accomplit en ce sens cette parole de l'apôtre : « Il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme d'un esclave (2). » Et non-seulement la forme d'un esclave quelconque , mais d'un esclave inutile par sa vie humble et méprisable.
Voulez-vous savoir avec quelle puissance il s'est ceint de ce glaive, considérez chacun de ses actes ; l'humilité y jette toujours un vif éclat. Vous l'avez reconnu dans ce que nous avons dit déjà; rappelez-le en votre mémoire. Nous allons voir fréquemment en ce
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qui va suivre, qu'il conserva à cette vertu une fidélité qui va en s'augmentant jusqu'à sa mort, et même après sa mort, même après son Ascension. En effet, n'est-ce pas à la fin de sa vie qu'il a lavé les pieds à ses disciples ? Ne s'est-il pas humilié au-delà de tout ce qu'on peut imaginer en souffrant le supplice de la croix ? N'est-ce pas après sa Résurrection , alors qu'il était glorifié, qu'il appela ses Apôtres, ses frères? « Allez, dit-il à Madeleine, et dites à mes frères que je monte vers mon Père et vers votre Père (1). » N'est-ce pas après son Ascension qu'il s'est adressé à saint Paul comme à un égal, et qu'il lui a dit avec humilité : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous (2)? » Il ne s'appelle pas du nom de Dieu, et il appel Saul par son nom. N'est-ce pas assis sur le trône de sa majesté, qu'il doit s'écrier au jour du jugement : « Toutes les fois que vous l'avez fait à un de mes frères, les plus petits qui sont ici, c'est à moi que vous l'avez fait (3)».
Ce n'est point sans raison que Jésus a aimé autant cette vertu : il savait que, de même que l'orgueil est la source de tout péché , de même l'humilité, est le fondement de tout bien et de tout salut. Sans ce fondement, c'est en vain que l'on construit l'édifice. Aussi
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n'ayez aucune confiance en votre virginité, en votre pauvreté, en aucune de vos vertus ou de vos oeuvres, si elles ne s'appuient sur l'humilité. C'est ici qu'il l'a mise au jour, c'est-à-dire qu'il a montré comment elle peut, s'acquérir, et cela par l'humiliation et l'abjection de lui-même à ses yeux et aux yeux de tous les hommes, par l'exercice continuel d'actions qui respirent l'humilité. Allez donc, et faites de même si vous voulez arriver à cette vertu ; car il faut que l'humiliation précède, c'est-à-dire l'abaissement de soi-même et l'accomplissement assidu d'oeuvres humbles et viles. Voici comme en parle saint Bernard : « L'humilité, à laquelle l'humiliation conduit sûrement, est le fondement de tout l'édifice spirituel. L'humiliation est la voie de l'humilité, comme la patience l'est de la paix, comme la lecture l'est de la science. Si vous désirez l'humilité, ne refusez pas de marcher par la voie de l'humiliation; car si vous ne pouvez être humilié, vous ne pourrez point parvenir jusqu'à l'humilité (1). » Et ailleurs : « Celui dont les efforts tendent à ce qu'il y a de plus haut, doit avoir d'humbles sentiments de soi-même, de peur qu'en s'élevant au-dessus de soi , il ne tombe au-dessous, s'il n'est point solidement
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affermi en soi-même par une vraie humilité. Et, comme les grandes choses ne s'obtiennent jamais qu'au prix de cette vertu, voilà pourquoi celui qui doit y arriver, est humilié par les châtiments et mérite ces faveurs par son humilité. Lors donc que vous avez à subir l'humiliation, regardez cela comme un signe heureux. C'est, en effet, la marque
de la grâce qui approche ; car, de même qu'avant sa ruine, le coeur s'élève, de même avant d'être élevé, il est humilié. Vous lisez l'un et l'autre dans l'Ecriture, à savoir : « Que Dieu résiste aux superbes, et qu'il donne sa grâce aux humbles (1). » Et, un peu après, saint Bernard ajoute : « C'est peu, lorsque Dieu nous humilie par lui-même, que nous l'acceptions volontiers, si nous n'agissons de même lorsque Dieu nous humilie par le moyen des autres. C'est pourquoi, considérez un exemple admirable de cette manière d'agir dans le saint roi David : Un jour il fut maudit par un serviteur; mais il fut insensible aux injures dont on l'accablait, car il pressentait la grâce. « Quelle communauté d'intérêts
y a-t-il entre vous et moi, enfants de Sarvia (2)? dit-il à ceux qui voulaient punir le coupable. » O homme vraiment selon le coeur de Dieu, que cet
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homme qui a jugé qu'il valait mieux se fâcher et se mettre en colère contre ceux qui voulaient le venger que contre celui qui l'outrageait ! » Aussi s'écriait-il avec une conscience assurée (1) : « Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'avaient injurié; je consens à succomber sous les efforts de mes ennemis (2). » Contentons-nous, pour le moment, de ce qui vient d'être dit de l'humilité.
Revenons à considérer les actes et la vie du Seigneur Jésus, notre modèle, comme c'est notre but principal. Tenez-vous donc, comme présente à tout, ainsi que je vous l'ai dit souvent. Voyez cette famille bénie entre toutes, mais observant une pauvreté rigoureuse, et menant une vie tout-à-fait humble. L'heureux vieillard Joseph tirait ce qu'il pouvait de son état de charpentier. Marie trouvait quelques moyens de subsistance, dans son aiguille et son fuseau ; elle s'occupait aussi des autres charges de la maison, lesquelles sont multipliées, comme vous le savez bien ; elle préparait à manger à son époux et à son Fils, et faisait toutes les autres choses nécessaires en un ménage, car elle n'avait personne pour la servir. Compatissez-lui donc, en la voyant ainsi travailler de ses mains. Compatissez aussi au Seigneur Jésus,
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qui l'aidait et s'employait avec empressement en tout ce qu'il pouvait faire; car il n'est pas venu pour être servi, mais pour servir (1), ainsi qu'il le dit. Il l'aidait donc à mettre leur petite table, à préparer les lits, et dans les choses les plus communes qu'exige le soin d'une maison. Contemplez-le s'acquittant avec perfection de ces humbles emplois, et tenez en même temps vos regards attachés sur sa Mère. Considérez aussi comment ces trois saints personnages mangent chaque jour ensemble, à une même table, nullement inquiets d'avoir une nourriture exquise et recherchée, mais contents d'un repas où se montrent la sobriété et la pauvreté. Après le repas, ils se livrent à des entretiens où rien d'inutile et de vain n'apparaît, mais où respirent la sagesse et l'Esprit-Saint; et ainsi l'esprit ne reçoit pas une nourriture moins abondante que le corps. Après s'être de la sorte récréés quelques moments, ils se retirent pour prier dans leurs petites cellules, car leur maison n'était pas grande. Considérez ces chambres ; il y en a une pour chacun. Remarquez le Seigneur Jésus qui, après avoir prié, se couche chaque soir sur la terre nue, aussi humblement, aussi pauvrement, que le dernier d'entre les malheureux, et cela pendant le cours d'un temps si long. Aussi
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devriez-vous chaque soir le contempler en cet état sans jamais vous lasser. O Dieu caché, pourquoi affligiez vous ainsi votre corps innocent? La fatigue d'une seule nuit devait suffire à la rédemption du monde. C'était votre amour immense qui vous portait à agir ainsi; vous étiez consumé d'un zèle dévorant pour la brebis perdue; vous vouliez la rapporter sur vos épaules dans les pâturages célestes. O Roi des rois, Dieu éternel, c'est vous qui subvenez à la misère de tous les hommes ; c'est vous qui leur donnez toutes choses avec abondance, selon que l'exige la condition de chacun ; et vous avez choisi pour vous une si grande pauvreté, un tel abaissement, tant de rigueur dans vos veilles, dans votre sommeil, dans vos repas, dans vos jeûnes, dans tous les autres actes de la vie, et cela pendant un temps si long ! Où sont donc ceux qui cherchent le repos du corps? Ceux qui courent après les vêtements curieux et brillants ? Ce n'est pas ainsi que nous avons été instruits à l'école de notre Maître, nous qui soupirons après ces choses. Sommes-nous plus sages que lui ? Il nous a enseigné, par ses paroles et par ses exemples, l'humilité, la pauvreté, la mortification du corps et le travail. Suivons donc notre Maître suprême : il ne veut point nous tromper ; il ne saurait se tromper; et ayant, selon la doctrine de l'Apôtre, la nourriture et le vêtement, sachons nous
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en contenter (1) : c'est assez pour subvenir convenablement à ce qui nous est nécessaire; évitons la surabondance. Appliquons-nous aussi continuellement, sans jamais nous relâcher et avec une vigilance entière, aux exercices des autres vertus et au soin de notre avancement spirituel.
Jésus était donc parvenu à la fin de sa vingt-neuvième année, ayant vécu aussi péniblement et aussi humblement que nous l'avons raconté; alors il dit à sa Mère : « Il est temps que je m'en aille, et que je glorifie mon Père en le faisant connaître ; il est temps que je me montre, et que j'opère le salut du monde pour lequel mon Père m'a envoyé ici-bas. Demeurez donc forte, ô bonne Mère, car je reviendrai bientôt à vous. » Et le Maître de l'humilité, se mettant à genoux, lui demanda sa
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bénédiction. Mais, s'agenouillant elle-même, et l'embrassant avec larmes, elle lui dit, pleine de tendresse : « O mon Fils béni! allez avec la bénédiction de votre Père et la mienne ; souvenez-vous de moi, et ayez soin de revenir au plus tôt. » Il lui fit donc respectueusement ses adieux, ainsi qu'à Joseph, son père nourricier, et il se dirigea de Nazareth vers Jérusalem, pour se rendre au Jourdain, où Jean baptisait, en un lieu éloigné de dix-huit milles de cette ville.
Le Maître du monde s'avance seul, car il n'avait pas encore de disciples. Pour Dieu, contemplez-le avec attention; voyez comment il poursuit sa marche sans aucune société , nu pieds, pendant un voyage aussi long, et témoignez-lui une compassion profonde. O Seigneur ! en quel lieu vous rendez-vous? N'êtes-vous pas au-dessus de tous les rois de la terre? O Seigneur ! où sont donc les grands, les généraux, les soldats, les chevaux, les chameaux, les éléphants, les chars, les serviteurs et toute la suite de votre cour? Où sont ceux qui doivent vous environner et vous défendre contre les abords indiscrets de la foule, comme c'est la coutume des rois et des grands? Où sont et l'éclat des trompettes, et le retentissement de tous les instruments de musique, et les étendards de votre royauté ? Où sont les hommes qui vous précèdent, afin
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de préparer les logements et tout ce qui est nécessaire en pareil cas ? Où sont les honneurs et les pompes que nous autres vermisseaux avons coutume de déployer en ces circonstances? Seigneur ! les cieux et la terre ne sont-ils pas pleins de votre gloire ? Comment donc allez-vous ainsi sans nul éclat? N'est-ce point vous qu'un million d'Anges s'empressent de servir dans votre royaume (1)? N'êtes-vous point celui que mille millions d'esprits environnent? Pourquoi donc vous avancez-vous ainsi sans que personne vous accompagne, et foulant la terre de vos pieds nus? Mais vous n'ôtes pas dans votre royaume; c'est là, je crois, la cause d'une telle conduite ; votre royaume n'est pas de ce monde (2). Vous vous êtes anéanti en prenant la forme d'un esclaves et non d'un roi ; vous vous êtes rendu comme un d'entre nous, étranger et voyageur comme tous nos pères; vous vous êtes fait esclave, afin que nous devinssions des rois; car vous êtes venu pour nous conduire à votre royaume; et vous avez placé la voie devant nos yeux, afin que nous puissions y monter. Mais pourquoi négligeons-nous de parcourir cette voie? Pourquoi ne vous suivons-nous pas? Pourquoi ne nous humilions-nous point nous-mêmes ? Pourquoi recherchons-nous et retenons-nous avec tant
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d'ardeur les pompes et les honneurs, ce qui est vain et caduc? Sans doute, parce que notre royaume est de ce monde ; parce que nous ne nous considérons pas comme des voyageurs ; et ainsi, nous nous jetons, tête baissée, dans tous ces maux. O pauvres enfants des hommes ! pourquoi prenons-nous ce qui est vain pour ce qui est véritable, ce qui est débile pour ce qui est inébranlable et assuré, ce qui finit avec le temps pour ce qui est éternel? Pourquoi l'embrassons-nous avec autant d'ardeur? Assurément, ô bon Jésus, si nous considérions bien fermement que nous ne sommes que des voyageurs et des étrangers, nous vous suivrions facilement, et, nous bornant à ne prendre de ces choses visibles que ce qui nous est absolument nécessaire, nous ne mettrions aucun retard à courir après l'odeur de vos parfums ; nous serions alors sans fardeaux ; nous regarderions ces choses passagères comme déjà passées, et nous les mépriserions avec bonheur.
Le Seigneur Jésus s'avance donc humblement en continuant sa marche de chaque jour, jusqu'à ce qu'il atteigne les bords du Jourdain. Y étant enfin arrivé, il trouve Jean qui baptisait des pécheurs, et une foule nombreuse qui était accourue à ses prédications ; car on pensait qu'il était le Christ. Or, le Seigneur Jésus lui dit : « Je vous prie de m'admettre au baptême
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avec ces hommes. » Mais Jean l'ayant regardé, l'Esprit-Saint le lui fit reconnaître ; et aussitôt, rempli de crainte, il lui dit : «Seigneur, c'est moi qui dois recevoir le baptême de vos mains. » Jésus lui répondit : « Laissez-moi faire pour cette heure; car c'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice Ne dites rien pour le moment et ne me faites pas reconnaître : mon temps n'est pas encore venu; mais baptisez-moi. C'est maintenant le temps de l'humilité : voilà pourquoi je veux accomplir toute humilité. »
Méditez donc encore ici sur l'humilité ; car c'est le lieu oit il nous faut en traiter : vous devez savoir qu'en cet endroit la Glose dit : « L'humilité a trois degrés : le premier, c'est de se soumettre à celui qui est plus élevé, et de ne pas se préférer à son égal; le second, de se soumettre à son égal, et de ne pas se préférer à son inférieur; le troisième, de se soumettre à son inférieur. C'est ce degré que Jésus-Christ nous révèle aujourd'hui en sa personne ; et ainsi il a accompli toute humilité. » Vous voyez combien s'est augmentée cette humilité depuis le dernier chapitre : ici Jésus se soumet à son serviteur, il s'abaisse, tandis qu'il justifie celui-ci, qu'il le glorifie.
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Elle s'est accrue encore d'une autre manière : jusqu'à présent, Jésus a vécu sans apparence, comme un homme inutile et abject; mais aujourd'hui, il veut se montrer comme un pécheur, car Jean prêchait la pénitence aux pécheurs ; il les baptisait, et Jésus est parmi eux ; il demande le baptême en leur présence.
Voici ce que dit saint Bernard sur cette circonstance : « Il est venu au baptême de Jean parmi la foule du peuple ; il s'est présenté comme s'il eût été un homme ordinaire, lui qui seul était sans péché. Qui le croirait le Fils de Dieu? Qui se douterait qu'il est le Seigneur de toute majesté? O Seigneur ! vous vous humiliez profondément, vous aimez trop à vous cacher; mais vous ne pourrez point tromper les regards de Jean (1).» Ainsi parle saint Bernard.
Il est permis de dire la même chose de la circoncision, parce qu'alors il voulut paraître un pécheur; mais en ce jour il y a plus encore : c'est publiquement qu'il se montre ainsi, en présence de la foule, et non aux yeux de quelques témoins seulement. Au moins, n'y avait-il pas lieu d'appréhender, puisque son intention était de s'appliquer bientôt à la prédication, qu'il ne fût méprisé comme un pécheur? Cette considération
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n'a pas empêché le Maître de l'humilité de s'humilier le plus profondément possible. Il a donc voulu paraître ce qu'il n'était pas, pour s'abaisser et se rendre méprisable, mais aussi pour nous instruire en même temps ; et nous, au contraire, nous voulons apparaître ce que nous ne sommes pas, afin de nous attirer des louanges et des honneurs. S'il y a en nous quelque semblant de perfection, nous en faisons parade; mais pour les défauts, nous les cachons, alors que nous sommes vraiment pécheurs et méchants. Quelle est donc notre humilité?
Écoutez, non point ma parole, mais celle de saint Bernard sur ce sujet : « Il est une humilité que la charité forme et enflamme ; il est une humilité que la vérité produit en nous, et elle n'est point enflammée. Or, celle-ci consiste dans la connaissance ; celle-là dans l'amour. Si vous vous considérez bien vous-même au flambeau de la vérité , si vous vous jugez sans vous flatter, assurément vous vous humilierez, et cette connaissance vraie de vous-même vous rendra plus vil à vos yeux que vous ne l'êtes, bien que peut-être vous ne consentiez pas à le paraître aux yeux des autres. Vous serez donc humble, mais ce ne sera que l'oeuvre de la vérité, et l'infusion de la charité ne paraîtra point encore. Car, si l'amour agissait sur vous aussi efficacement
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que la vérité qui, vous illuminant de son éclat, vous a montré si véritablement et si salutairement ce que vous étiez , si , dis-je , l'amour agissait ainsi sur vous, nul cloute que vous ne voulussiez, autant qu'il est en vous, que tous pensassent de vous comme la vérité vous a appris à en penser vous-même ; j'ai dit que vous le voudriez autant qu'il est en vous, car, le plus souvent, il ne convient pas que tous connaissent ce que nous savons de nous-mêmes; la charité de la vérité et la vérité de <c la charité nous empêchent de rendre public ce qui peut être un scandale à qui en serait instruit. Mais si c'est par amour-propre que vous retenez au-dedans de vous le jugement de la vérité, qui peut douter que vous n'ayez que peu d'amour pour elle, puisque vous lui préférez votre intérêt particulier ou votre honneur? » Et plus loin : « Si déjà vous êtes bien humilié en vous-même de cette humilité inévitable, que la vérité qui sonde les reins et les
coeurs, imprime dans l'âme vigilante, appelez le secours de votre volonté, et de nécessité faites vertu ; car il n'y a aucune vertu sans le consentement de la volonté. C'est ce qui aura lieu si vous ne cherchez pas à paraître au-dehors autrement que vous n'êtes intérieurement. S'il n'en est point ainsi, alors craignez qu'on ne lise pour vous ces
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paroles : « Il a agi avec tromperie en présence du Seigneur, en sorte que son iniquité l'a rendu l'objet de sa haine (1) ». « Le double poids, dit l'Ecriture, est une chose abominable aux yeux de Dieu (2) ». Quoi donc! dans la balance de la vérité vous vous dépréciez sans rien craindre en secret, et, ensuite , usant au-dehors d'une autre mesure , vous voulez vous vendre à nous à un poids plus considérable que vous n'avez été marqué par la vérité? Craignez Dieu, et gardez-vous de faire une chose si abominable, que de permettre à votre volonté de vous élever alors que la vérité vous humilie : agir ainsi, c'est résister à la vérité, c'est combattre
contre Dieu. Acquiescez plutôt au Seigneur; que votre volonté soit soumise à la vérité, et non-seulement qu'elle lui soit soumise , mais qu'elle lui soit dévouée. Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu (3) , dit, le Prophète? Mais c'est peu d'être soumis à Dieu, si vous ne l'êtes aussi à toute créature sur la terre à cause de Dieu, soit à votre abbé, comme revêtu du commandement, soit aux prieurs comme institués par lui. Je dis plus : c'est à vos égaux que vous devez vous soumettre, c'est à vos inférieurs; car il convient, dit le Seigneur,
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que nous accomplissions toute justice. Prévenez, vous aussi, celui qui est au-dessous de vous, si vous voulez être parfait en justice; témoignez de la déférence pour votre inférieur, inclinez-vous devant celui qui est moindre que vous (1). »
Ainsi parle saint Bernard, et il ajoute ailleurs : « Quel est celui qui est juste, sinon celui qui est humble? Lorsque le Seigneur se mettait dans les mains de Jean-Baptiste, son serviteur, lorsqu'il s'abaissait devant lui, et que celui-ci tremblait devant sa Majesté »; « Laissez, dit-il , car il convient que nous accomplissions toute justice (2), faisant consister la consommation de la parfaite justice dans la perfection de l'humilité. Le juste est donc celui qui est humble (3). »
Or, cette justice apparaît en toute vérité dans l'homme humble, en ce qu'il rend à chacun ce qui lui est dû. Il ne prend rien de ce qui est à autrui; mais il donne à Dieu la gloire, et il retient pour lui l'abaissement. Vous comprendrez encore mieux cela, si vous voulez considérer l'injustice de l'orgueil, qui s'empare pour son compte des biens du Seigneur. Le même saint Bernard s'exprime ainsi sur ce point : « De même que de grands maux ont coutume de sortir de
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grands biens, lorsque nous nous servons des dons du Seigneur, sans les considérer comme un présent de sa bonté, et sans lui en renvoyer la gloire, de même ceux qui paraissent les plus grands à cause de la grâce qu'ils ont reçue, sont réputés les plus petits à ses yeux pour ne la lui
avoir pas rapportée. Pour moi, je vous épargne. Je me suis servi de paroles trop faibles lorsque j'ai dit : les plus grands , les plus petits ; je n'ai point exprimé toute la vérité. J'ai voilé la disproportion qui existe entre ces sortes de personnes , je la mettrai à nu; j'aurais dû dire : les meilleurs et les pires. Car, véritablement et sans aucun doute, celui-là est d'autant plus mauvais, qu'il est jugé meilleur; ce qui le rend meilleur, il se l'attribue à soi-même. Et je dis que c'est la pire des choses. Si quelqu'un dit (Dieu nous en préserve) : Je reconnais que c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (1) ; et qu'aussitôt il mette toute son occupation à courir après la gloire , en raison de la grâce qu'il a reçue, n'est-il pas un
voleur et un larron? Qu'il écoute sa sentence, celui qui en est là : « Serviteur méchant, c'est d'après vos paroles que je vous juge (2). » Qu'y a-t-il
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de plus méchant, en effet, qu'un serviteur qui usurpe la gloire de son maître (1)? » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous voyez comment la perfection de la justice consiste dans l'humilité ; que c'est ainsi qu'elle ne ravit point l'honneur qui est dû à Dieu, et qu'elle ne s'attribue point ce qui ne lui appartient pas. Assurément, elle ne blesse pas non plus les droits du prochain. Celui qui est humble ne juge personne, ne se préfère à aucun , se regarde comme le plus petit entre tous, et choisit pour lui la dernière place. Saint Bernard parle ainsi sur ce sujet : « Que savez-vous, ô hommes, si celui-là seul que vous réputez le plus vil et le plus misérable de tous, celui dont vous avez en horreur la vie criminelle et tout-à-fait abominable, que vous jugez pour cela digne de vos mépris , que vous placez non-seulement au-dessous de vous, qui avez la confiance peut-être de vivre dans la sobriété, la justice et la piété, mais au-dessous de tous les scélérats comme le plus scélérat de tous; que savez-vous, dis-je , si un jour, par un changement de la main du Très-Haut en sa personne , il ne sera pas meilleur que vous et eux? Si déjà il n'est pas ainsi dans la pensée de Dieu, qui
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est vérité ? Voilà pourquoi le Seigneur n'a pas voulu que nous ne prissions qu'une place peu distinguée, ni même l'avant-dernière, ni que nous fussions rangés parmi les derniers; mais asseyez-vous, dit-il, à la dernière place (1), en sorte que vous soyez seul le dernier entre tous, et que vous n'ayez pas la présomption , je ne dis pas de vous préférer, mais même de vous comparer à aucun (2). »
Cette vertu d'humilité est encore recommandée en un grand nombre d'endroits par le même saint Bernard ; car c'est ainsi qu'il en parle : « C'est une mère glorieuse et sublime que la vertu d'humilité qui mérite d'apprendre ce qui ne s'enseigne pas; qui est jugée digne d'acquérir ce que la science ne peut donner; digne de concevoir du Verbe et par le Verbe ce qu'elle-même est impuissante à expliquer par ses paroles. Pourquoi cela? Ce n'est point qu'elle l'ait mérité, mais parce qu'il a plu qu'il en fût ainsi au Père de Jésus-Christ, notre Seigneur, le Verbe époux de nos âmes, qui est notre Dieu béni sur toutes choses dans tous les siècles (3) ». « L'humilité est une vertu par laquelle l'homme ,
fondé sur une vraie connaissance de soi-même,
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devient vil à ses propres yeux (1) » « La vertu d'humilité seule est la réparation de la charité injuriée (2)». « L'humilité seule n'a point coutume de se glorifier, elle ignore la présomption, et n'est point dans l'usage de disputer. Celui qui est vraiment humble, n'a point la prétention de ne point errer; il ne cherche point à soumettre les autres à son jugement. Or, l'humilité nous réconcilie avec Dieu, qui aime à la voir en nos coeurs (3)». « La vertu d'humilité a toujours coutume d'être l'amie intime de la grâce divine. C'est la charité de Dieu qui, pour conserver en nous l'humilité, fait que, plus on avance dans la vertu , moins on croit
avoir fait de progrès; et si quelqu'un arrive jusqu'aux degrés les plus élevés de la vie spirituelle, il lui restera encore quelque chose de l'imperfection du premier degré , en sorte qu'il croira à peine avoir
acquis même ce premier degré (4) ». C'est une belle union que celle de la virginité et de l'humilité. Elle ne plaît pas médiocrement, cette âme dont
l'humilité recommande la virginité, et dont la virginité sert d'ornement à l'humilité. Mais de quelle vénération, croyez-vous que sera digne, celle dont la fécondité exalte l'humilité, et dont l'enfantement
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consacre la virginité ? Vous avez entendu celle qui est vierge; vous avez entendu celle qui est humble. Si vous ne pouvez imiter la virginité de
celle qui est humble, imitez au moins l'humilité de la Vierge. C'est une vertu digne de louanges que la virginité ; mais l'humilité est plus nécessaire. Celle-là est conseillée, celle-ci est ordonnée. Vous êtes invitée à l'une, on vous commande d'avoir l'autre. De l'une l'on vous dit : « Que celui qui peut comprendre, comprenne (1) » ; de l'autre , au contraire : « Quiconque ne deviendra point semblable à ce petit enfant , n'entrera point dans le royaume des cieux (2) ». L'une reçoit donc une récompense, l'autre est exigée. Vous pouvez vous sauver sans la virginité, vous ne le pouvez pas sans l'humilité. L'humilité qui déplore la virginité perdue, peut, dis-je, être agréable. Sans l'humilité, j'ose le dire, la virginité de Marie n'eût pas trouvé grâce. « Sur qui, dit le Seigneur, reposera mon esprit, sinon sur celui qui est humble et pacifique (3) ? » Si donc Marie n'eût pas été humble, l'Esprit-Saint ne se fût point reposé sur elle , il ne l'eût point rendue mère; car comment aurait-elle conçu de lui sans lui? Ainsi, il est clair que pour
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qu'elle ait conçu du Saint-Esprit, il a fallu qu'il regardât l'humilité de sa servante plutôt que sa virginité; ainsi, il est certain encore que si la virginité a été agréable, c'est à l'humilité qu'elle a dû cette faveur. Que dites-vous, ô vierge orgueilleuse? Marie oublie sa virginité, elle se glorifie de son humilité; et vous , laissant de côté l'humilité , vous vous complaisez dans votre virginité ! « Il a regardé, dit-elle, la bassesse de sa servante (1) ». Quelle est celle qui tient ce langage? C'est la Vierge vraiment sainte, la Vierge sobre, la Vierge dévouée. Êtes-vous plus qu'elle? Votre dévouement est-il plus grand? Votre pureté est-elle par hasard plus agréable que la pureté de Marie? Sera-t-elle suffisante pour plaire sans l'humilité, quand la sienne ne l'a pu? Enfin, plus vous êtes recommandable par le don singulier de la chasteté, plus vous vous faites injure à vous-même, si vous souillez l'éclat de votre vie par le mélange de l'orgueil (2) ». « La charité, la chasteté, l'humilité, n'ont en apparence aucun éclat; cependant elles en ont un réel, non médiocre, qui peut réjouir même les regards de Dieu. Qu'y a-t-il de plus brillant que la chasteté qui a rendu pur celui dont l'origine était impure, qui
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d'un ennemi a fait un habitant de la maison, un ange de celui qui n'était qu'un homme? L'homme pudique et l'ange différent, il est vrai, entre eux; mais c'est par la félicité , et non par la vertu. Et si la chasteté de l'un est plus heureuse dans son bonheur, celle de l'autre est empreinte d'une force plus grande. La chasteté seule , dans ce lieu et ce temps où nous sommes soumis à la mort, représente d'une certaine manière l'état glorieux de l'immortalité. Seule, elle revendique pour soi, en repoussant les solennités nuptiales, ce qui est en usage dans cette région bienheureuse, où l'on ne se marie pas; et elle nous fait expérimenter en quelque façon cette vie céleste. Cependant ce vase fragile que nous portons, ce vase avec lequel nous courons des dangers fréquents, la chasteté le conserve dans un état de sanctification, comme un parfum odorant conserve les cadavres contre les atteintes de la corruption. Elle contient et enchaîne nos sens et nos membres, de peur qu'ils ne se dissolvent dans le repos, qu'ils ne se corrompent dans leurs désirs et que les voluptés de la chair ne les fassent
tomber en putréfaction... Cependant, de quelque éclat que la chasteté semble briller par elle-même, saris la charité elle n'a ni prix ni mérite. Et en cela rien d'étonnant : quel bien, en effet, offre
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quelque valeur sans la charité ? La foi? Mais non, pas même lorsqu'elle transporte des montagnes. La science? mais non, pas même celle qui parle le langage des Anges. Le martyre? mais non, pas même, dit l'Apôtre, celui ois je livrerai mon corps aux flammes (1). Sans elle aucun bien n'est considéré, mais avec elle le plus léger ne saurait être rejeté.
La chasteté sans la charité, c'est une lampe sans huile : ôtez l'huile , la lampe ne jette aucune éclat; enlevez la charité , et la chasteté cesse de plaire. Des trois vertus que nous nous sommes proposé de traiter, il ne reste plus que l'humilité qui est tellement nécessaire aux deux premières, que, sans elle, elles ne semblent point être des vertus. En effet, c'est l'humilité qui nous fait obtenir la chasteté et la charité, et c'est aux humbles que le Seigneur donne sa grâce L'humilité conserve aussi les vertus que nous avons reçues, parce que l'Esprit de Dieu ne se reposera que sur celui qui est pacifique et humble Elle consomme ce qu'elle a conservé, car la vertu devient parfaite dans l'infirmité , c'est-à-dire dans l'humilité. Elle détruit l'orgueil, cet ennemi de toute grâce et le commencement de tout péché , et elle éloigne, tant de soi
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que des autres vertus, sa tyrannie superbe. Et comme c'est de tous les biens qui lui sont étrangers, quels qu'ils soient, que l'orgueil a coutume
surtout d'accroître sa force, l'humilité seule, se plaçant comme un avant fort et un rempart de toutes les vertus , résiste à sa malice et court au-devant de sa présomption (1). »
Vous venez d'entendre du très-véridique et très-humble saint Bernard, beaucoup de choses magnifiques sur l'humilité. Appliquez-vous aussi à bien comprendre ce qu'il dit, en passant, des autres vertus , et à le mettre en pratique. Mais revenons au baptême du Seigneur. Lorsque Jean eut vu la volonté de Jésus, il se soumit et le baptisa.
Maintenant, considérez attentivement votre Sauveur. Voilà que le Dieu de toute majesté se dépouille comme le dernier des hommes; il est plongé dans les eaux pendant une saison rigoureuse. Poussé par son amour pour nous, il opère notre salut en établissant le sacrement de Baptême et en lavant nos crimes. Il prend donc pour épouse l'Église universelle, et en particulier toutes les âmes fidèles ; car c'est dans la foi du baptême que se forme notre union inséparable avec Jésus-Christ, le Prophète ayant dit en sa personne :
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« Vous deviendrez mon épouse par la foi (1).» Voilà pourquoi cette solennité et. cette action sont grandes et d'une utilité immense. Et si nous chantons qu'en ce jour l'Eglise s'est unie à son céleste Epoux, c'est qu'en ce jour, il a lavé ses crimes dans le Jourdain. En cette oeuvre excellente, toute la Trinité s'est manifestée d'une manière singulière : l'Esprit-Saint est descendu et s'est reposé sur Jésus-Christ en forme de colombe, et la voix du Père a fait entendre avec éclat ces paroles : « C'est là mon, Fils bien-aimé en qui j'aimas mes complaisances (2).» Saint Bernard s'écrie à cet endroit : « Écoutez-le, nous dit le Père : au moins maintenant, Seigneur Jésus, daignez nous parler; vous en avez reçu le pouvoir de
votre Père. Combien de temps, vous qui êtes la vertu et la sagesse de Dieu, vous cacherez-vous parmi le peuple, comme un homme faible et in-
sensé? Combien de temps, ô glorieux Roi, Roi du ciel! souffrirez-vous qu'on vous appelle et qu'on vous croie le fils d'un ouvrier? En effet, saint Luc rend témoignage qu'on le regardait encore comme le fils de Joseph. O humilité de Jésus-Christ! combien tu confonds le superbe de ma vanité ! Je ne sais que peu de chose, et il me semble que je sais beaucoup ;
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et je ne puis garder le silence. Je me laisse aller à mon imprudence et à ma témérité ; je me montre avec orgueil plein d'empressement à parler, prompt à enseigner et lent à écouter. Et Jésus-Christ lorsqu'il gardait un silence si prolongé, lorsqu'il se cachait si soigneusement, craignait-il donc
la vaine gloire? Cependant qu'aurait-il pu redouter de ce côté, lui qui est la vraie gloire du Père ? Il craignait néanmoins, mais non pour lui ; il craignait pour nous ce qu'il savait être véritablement à craindre. Il prenait des précautions pour nous, il nous instruisait ; sa bouche gardait, le silence, mais ses oeuvres étaient une prédication, et déjà, par son exemple, il criait ce qu'il a enseigné dans la suite par ses paroles : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cur (1). J'ai appris bien peu de choses de l'enfance du Seigneur, et jusqu'à sa trentième année, je ne trouve rien. Mais maintenant il ne peut plus demeurer caché, puisque son Père le fait connaître ouvertement. » Ainsi parle saint Bernard. C'est là le passage que j'ai indiqué dans le chapitre précédent pour vous montrer comment le Seigneur Jésus garda humblement le silence pour notre instruction.
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Vous voyez donc comment sa vie répand un parfum d'humilité. Je vous parle volontiers de cette vertu, parce que c'est une vertu vraiment magnifique et dont nous avons le plus pressant besoin ; une vertu que nous devons chercher avec d'autant plus d'empressement, chérir avec d'autant plus d'affection, que le Seigneur s'est appliqué en toutes ses actions à la pratiquer d'une manière toute singulière.
Aussitôt que le Seigneur Jésus eut été baptisé, il s'en alla dans le désert sur une montagne qui est à quatre milles environ de là, et qui est appelée la montagne de la Quarantaine. Là, il jeûna durant quarante jours et
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quarante nuits, et, selon saint Marc (1), il demeurait au milieu des bêtes sauvages. Considérez donc et regardez attentivement le Seigneur ; car il vous donne ici des exemples de plusieurs vertus. Il s'en va dans la solitude, il jeûne, il prie, il veille, il couche et dort sur la terre nue, et il demeure humblement au milieu de vils animaux. Compatissez-lui donc, car toujours et partout, mais ici surtout, sa vie est remplie de peines et afflictive pour son corps. Apprenez, à son école à vous exercer aux choses que vous admirez en lui. Il y en a quatre d'indiquées en cet endroit; elles ont rapport à la vie spirituelle, et s'entr'aident admirablement les unes les autres ; ce sont : la solitude, le jeûne, la prière et la mortification du corps. C'est par ces choses surtout que nous pouvons arriver à la pureté du coeur, pureté extrêmement désirable, puisqu'elle renferme en quelque sorte en elle toutes les vertus. Elle comprend la charité , l'humilité, la patience et les autres vertus, ainsi que l'éloignement de tous les vices; car la pureté du coeur ne saurait subsister avec le vice ou avec le défaut de vertu. Voilà pourquoi, dans les conférences des saints Pères (2), il est enseigné que tous les efforts d'un moine doivent être d'arriver à la pureté du coeur, car c'est par elle que l'homme mérite de voir
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Dieu, le Seigneur ayant dit lui-même dans l'Evangile : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (1). » Et selon saint Bernard : Celui qui est plus pur approche davantage de Dieu; mais celui dont la pureté est parfaite est déjà arrivé jusqu'à lui. »
Pour obtenir la possession de cette pureté , une oraison assidue et fervente peut beaucoup; et l'on vous en instruira plus amplement dans la suite; mais l'oraison qui se fait lorsque le corps est chargé de boisson et de viandes, lorsqu'il se traîne dans la mollesse et l'oisiveté, une telle oraison est de peu de valeur. C'est pour cela qu'on demande le jeûne et la mortification du corps, avec discrétion pourtant, car l'indiscrétion est un obstacle à tout bien. En outre, la solitude semble être la consommation de tout ce que nous venons de dire ; car l'oraison ne peut se faire convenablement au milieu du tumulte et du bruit, et il est presque impossible de voir et d'entendre beaucoup de choses sans contracter quelque souillure, sans commettre. quelque offense : la mort entre dans l'âme par les fenêtres (2). A l'exemple du Seigneur, allez donc dans la solitude; c'est-à-dire, séparez-vous de la société des autres autant que vous le pourrez,
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et devenez solitaire si vous voulez vous unir à lui, et le contempler par la pureté de votre coeur. Fuyez encore les longs entretiens, surtout avec les personnes du siècle. Ne cherchez point de nouvelles dévotions, ni de nouvelles amitiés ; ne remplissez point vos yeux ni vos oreilles de vains fantômes. Tout ce qui peut troubler le repos de votre coeur et la tranquillité de votre esprit , évitez-le comme un poison qui donnerait la mort à votre âme. Ce n'était pas sans raison que les saints solitaires se retiraient dans les déserts et dans les lieux les plus éloignés de la visite des hommes ; ce n'était pas sans raison qu'ils recommandaient à ceux qui vivaient dans les monastères, d'être aveugles, sourds et muets. Pour mieux comprendre tout cela , écoutez ce qu'en dit saint Bernard : « Si vous êtes sensible aux mouvements de l'Esprit-Saint, si vous brûlez de donner tous vos soins à rendre votre âme l'épouse de Dieu , asseyez-vous dans la solitude , selon la parole du prophète; car vous vous êtes élevé
au-dessus de vous-même en voulant vous unir si intimement au Seigneur des Anges. N'est-ce pas en effet quelque chose au-dessus de vous, que de vous attacher à Dieu et d'être un même esprit avec lui? Demeurez donc solitaire comme la tourterelle; que
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rien n'arrive jusqu'à vous de la foule ; qu'il n'y ait rien entre vous et la multitude ; oubliez même votre peuple et la maison de votre père (1) ; et le roi s'éprendra d'amour pour votre beauté. O sainte âme ! soyez seule afin de vous conserver à celui à qui seule vous appartenez, à celui que vous avez choisi « entre tous pour votre partage. Fuyez le public; fuyez les gens de votre maison ; séparez-vous de vos amis, de vos intimes, de celui-là même qui vous sert. Ne savez-vous pas que votre époux est un époux d'une modestie extraordinaire, et qu'il ne veut point demeurer avec vous en présence des autres? Séparez-vous donc, non de corps, mais d'âme, mais d'intention , mais d'affection, mais d'esprit; car devant vous le Seigneur Jésus est esprit, et l'esprit n'a pas besoin de la solitude du
corps , quoique cependant il ne vous soit pas inutile de vous séparer parfois du monde , même de corps, lorsque vous le pouvez convenablement, surtout au temps de l'oraison. »
« Vous êtes seul si vous n'occupez pas votre pensée des affaires de la vie, si vous ne vous inquiétez pas des choses présentes, si vous méprisez ce que beaucoup estiment, si vous avez du dégoût pour
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ce que beaucoup désirent, si vous évitez les disputes, si vous êtes insensible aux torts qui vous sont faits, si vous oubliez les injures. Autrement, ce n'est point parce que vous serez seul de corps que vous serez dans la solitude. Voyez-vous que vous pouvez être seul au milieu de la foule, et qu'étant seul vous pouvez être au milieu d'un grand nombre ? Vous êtes seul, quelle que soit la multitude au milieu de laquelle vous viviez; prenez garde seulement de n'être pas un explorateur curieux ou un
juge téméraire de la conduite des autres (1). » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous voyez comment la solitude est nécessaire et comment aussi la solitude du corps est insuffisante si elle n'est accompagnée de celle de l'esprit. Mais, pour posséder la solitude de l'esprit, il faut que la solitude corporelle soit très-profonde, de peur que l'esprit ne s'échappe au moyen de ce qui est extérieur, et qu'il ne puisse se recueillir avec son Époux. Efforcez-vous donc, autant que vous le pourrez, et de toute l'ardeur de votre âme, d'imiter le Seigneur Jésus, votre Époux, par la solitude, la prière, le jeûne et la discrète mortification du corps.
En le voyant demeurer au milieu des animaux, apprenez encore à vivre humblement au milieu des autres,
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et à les supporter avec patience, même ceux qui vous paraissent quelquefois agir d'une manière irraisonnable. Visitez souvent le Seigneur en cette solitude. Vous remarquerez comment il y fait son séjour, et surtout comment, durant la nuit, la terre lui sert de couche. Toute âme fidèle devrait l'y visiter au moins une fois le jour, surtout depuis l'Épiphanie jusqu'à la fin du temps qu'il y a passé.
Les quarante jours étant accomplis, le Seigneur eut faim. Alors le tentateur s'approcha de lui, voulant sonder si véritablement il était le Fils de Dieu, et il le tenta par la gourmandise en lui disant : « Si vous
êtes le Fils de Dieu , dites que ces pierres se changent en pain (1) ». Mais il l'ut impuissant à tromper le Maître souverain qui lui répondit et se conduisit de telle façon qu'il ne succomba point à la tentation de gourmandise, et que son adversaire ne put savoir ce qu'il désirait, car il ne nia ni n'affirma qu'il fût le Fils de Dieu; mais il déjoua son ennemi par l'autorité de la sainte Écriture. Remarquez bien ici qu'à l'exemple du Seigneur, il faut résister à la gourmandise; et c'est par là qu'il faut commencer, si nous voulons surmonter nos vices. Il semble en effet que celui qui succombe à la gourmandise, se rend impuissant à
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vaincre les autres vices. Car c'est ainsi que s'exprime la glose sur cet endroit de saint Mathieu : « Si l'on ne commence par mettre un frein à la gourmandise , c'est en vain que l'on travaille à dominer les autres vices ».
Ensuite le tentateur prit Jésus et le transporta à Jérusalem , qui est à environ dix-huit milles de cet endroit. Ces distances de lieux que je mentionne de temps à autre dans cet ouvrage, je les ai apprises de ceux qui ont voyagé en ces contrées. Considérez ici la bonté et la patience du Seigneur : il a bien voulu se laisser porter et toucher par cette bête féroce, qui avait soif de son sang et de celui de tous ses serviteurs fidèles. Le plaçant donc sur le haut du temple, il le tenta de vaine gloire, toujours avec l'intention de découvrir s'il était le Fils de Dieu. Mais ici encore, il est vaincu par l'autorité de la sainte Écriture , et frustré dans ses espérances. Dès ce moment, selon saint Bernard (1) , comme le Seigneur ne montrait rien de sa divinité , l'ennemi commun fut persuadé qu'il n'était qu'un homme, et il l'attaqua en troisième lieu comme un homme. Le prenant donc de nouveau , il le reporta sur une montagne élevée, à environ deux milles seulement de la montagne de la Quarantaine, et alors il le
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tenta d'avarice; mais encore ici cet esprit homicide succomba.
Vous avez vu comment le Seigneur Jésus fut touché et tenté par le démon. Vous étonnerez-vous maintenant si nous sommes tentés nous-mêmes? Mais ce ne fut point là la fin de ses tentations. C'est pourquoi saint Bernard dit : « Celui qui ne connaît point d'autre tentation du Seigneur, ignore l'Écriture qui dit (1) : « que la tentation est la vie de l'homme sur la terre (2). » L'apôtre saint Paul dit aussi que Jésus a éprouvé comme nous toutes sortes de tentations, sans cependant que le péché eût accès en lui Ayant donc remporté la victoire, les Anges vinrent et le servirent. Apportez-ici toute votre attention et regardez le Seigneur qui mange entouré seulement des Anges, et considérez bien toutes les choses qui vont suivre, car elles sont belles et pleines de dévotion. Je vous demande ce que les Anges lui servirent à manger, après un jeûne si long? L'Ecriture n'en parle pas; c'est pourquoi nous pouvons nous figurer ce repas qui suit la victoire, selon notre volonté. Et même si nous considérons sa puissance, c'est une chose facile à imaginer; car il pouvait créer ce qu'il voulait, ou se le procurer de suite parmi les choses créées, selon
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son désir. Mais nous ne trouvons pas qu'il ait fait usage de sa puissance ni pour soi ni pour ses disciples : il ne s'en est servi que pour la foule qu'il a nourrie deux fois malgré son grand nombre avec quelques pains (1). Quant à ses disciples , nous lisons que, lui présent, la faim les forçait à broyer des épis et à s'en nourrir. Et lorsque, fatigué d'une longue course , il était assis au bord du puits , s'entretenant avec la Samaritaine (2), il n'est point dit qu'il ait créé de quoi oranger, mais qu'il envoya ses disciples à la ville pour en rapporter de la nourriture. Il n'est donc pas vraisemblable qu'il ait fait un miracle en cette circonstance qui nous occupe : c'était pour l'édification des autres et en présence de plusieurs qu'il les faisait; mais dans le désert il n'y avait que des Anges. Que pourrons-nous donc nous figurer sur ce sujet? On ne trouvait en ce lieu aucune habitation humaine, et par là même aucun aliment qu'on pût lui offrir; mais les Anges lui en apportèrent de préparé ailleurs, comme il arriva pour Daniel (3). Car vous savez que le prophète Habacuc ayant apprêté à dîner pour ses moissonneurs, l'ange du Seigneur le transporta de Judée à Babylone auprès de Daniel, afin de sustenter celui-ci au moyen de ce repas, et qu'ensuite il le
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reporta en un moment dans son pays. Arrêtons-nous donc ici, et choisissons ce moyen; réjouissons-nous avec le Seigneur dans ce festin, et que sa très-sainte Mère prenne part aussi à notre joie et à sa victoire.
Méditons pieusement et dévotement de la façon suivante : les Anges viennent en nombre considérable, aussitôt que Satan est repoussé , vers le Seigneur Jésus, et se prosternant contre terre, ils l'adorent en lui disant : « Salut, ô Jésus, notre Dieu et notre Seigneur ! » Et le Seigneur les reçoit avec humilité et bénignité, inclinant la tête et se rappelant qu'en se faisant homme, il s'est abaissé un peu au-dessous des Anges (1). Ils lui disent : « Seigneur, vous avez jeûné longtemps , que voulez-vous que nous vous préparions? » Et il leur répond : « Allez trouver ma Mère
bien-aimée, et si elle a quelque chose de prêt, apportez-le moi ; car je n'aime rien tant que ce qui est préparé de ses mains ». Alors, deux d'entre eux partent et sont en un instant cher Marie ; ils la saluent respectueusement et lui font part du sujet de leur ambassade. Ils emportent alors un petit ragoût qu'elle avait. préparé pour elle et pour Joseph, du pain, une nappe et ce qui était nécessaire; peut-être même Marie leur procura-t-elle quelques petits poissons, si elle le put.
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Etant donc de retour, ils mettent le tout à même la terre, et bénissent solennellement la table. Considérez bien notre Seigneur dans chacune de ses actions : il s'asseoit sur la terre avec modestie et dignité, et il mange sobrement. Les Anges entourent leur Seigneur et le servent : l'un lui offre du pain, l'autre du vin, un autre prépare les petits poissons, d'autres chantent les cantiques de Sion, se livrent à la joie et célèbrent un jour de fête en sa présence. S'il est permis de le dire, à cette fête se mêle une compassion bien grande, et qui devrait nous faire verser des larmes. Les Anges arrêtent respectueusement leurs regards sur Jésus; ils voient leur Dieu et leur Maître, le Créateur de l'univers , celui qui donne la nourriture à tout ce qui a vie; ils le voient, dis-je, dans une telle humiliation, ayant besoin , lui, d'être sustenté par un aliment matériel , mangeant comme le reste des hommes; et cette vue les remplit d'une compassion profonde. Pour vous, vous devriez vous écrier et lui dire : « O Seigneur, quelles grandes choses vous avez faites ! Vraiment toutes vos oeuvres me remplissent d'étonnement; venez à mon secours, afin que je souffre un peu pour vous, qui avez enduré pour moi des peines si nombreuses et si considérables ». Assurément ce devrait être assez de ce que vous voyez, pour vous embraser ardemment de son amour.
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Enfin ayant pris son repas , il dit aux Anges de re-porter les objets dont il s'est servi, et d'annoncer à sa Mère qu'il reviendra bientôt vers elle. Lors donc qu'ils furent de retour, il leur dit à tous : « Retournez-vous-
en à mon Père et à vos félicités véritables; pour moi, il faut que je demeure encore; seulement, je vous prie de me recommander à mon Père et à toute la Cour céleste ». Alors les Anges se prosternant contre terre, lui demandèrent qu'il les bénît, remontèrent vers la patrie où ils accomplirent ses volontés , et racontèrent à toute la céleste Assemblée sa victoire et les merveilles dont ils avaient été témoins.
Pour le Seigneur, voulant revenir vers sa Mère, il partit aussitôt et descendit de la montagne. Considérez-le bien encore en ce voyage; voyez comment le Maître de toutes choses s'avance seul et nu-pieds , et témoignez-lui votre compassion profonde. Il vient au Jourdain, et Jean le voyant s'avancer, le montre du doigt en disant : « Voici l'agneau de Dieu, celui qui porte les péchés du monde. C'est sur lui que j'ai vu l'Esprit-Saint descendre lorsque je le baptisai (1). » Le jour suivant, voyant Jésus qui se promenait sur les bords du Jourdain , il dit encore : « Voici l'Agneau de Dieu.» Alors André et un autre
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des disciples de Jean suivirent Jésus. Le Seigneur qui avait soif de leur salut, leur dit : Que cherchez-vous? Ils lui répondirent : Maître, où demeurez-vous ? Et il les conduisit à la maison où il se retirait en cet endroit, et ils demeurèrent tout un jour avec lui. Ensuite André amena Pierre, son frère, à Jésus qui le reçut avec joie, car il savait ce qu'il devait faire de lui. Il lui dit : Vous vous appellerez Céphas ; et c'est ainsi qu'il commença à lier connaissance et amitié avec eux. Le Seigneur voulant ensuite retourner en Galilée vers sa Mère, quitta ces lieux et se mit en route. Contemplez-le encore maintenant avec compassion, et tenez-lui toujours compagnie; car il est seul, selon sa coutume, et il marche nu-pieds pendant une course de quatorze milles. Lorsqu'il fut arrivé à la maison, sa Mère, en le voyant, se leva remplie d'une joie qui ne peut s'exprimer, courut à sa rencontre et le reçut dans ses bras avec amour. Pour lui , il s'inclina respectueusement devant elle et devant .Joseph, son père nourricier, et il demeura avec eux comme auparavant.
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QUATRIÈME FÉRIE.
Jusqu'ici nous avons , par la grâce de Dieu , raconté la vie du Seigneur Jésus , sans presque rien omettre de ce qui lui est arrivé ou de ce qu'il a fait; mais il n'en sera pas de même dans la suite. Il serait trop long de réduire en méditations tout ce qu'il a dit ou accompli. D'ailleurs, notre but doit être, surtout à l'exemple de la bienheureuse Cécile, de porter continuellement dans le secret de nos coeurs les actions de Jésus-Christ. Choisissons donc quelques-unes de ces actions, que nous méditerons assidûment, et cela jusqu'à sa Passion; car arrivés là, il ne faudra plus rien omettre. Nous ne devons pas cependant. laisser entièrement de côté les autres circonstances de sa vie sans les méditer selon le temps et le lieu où nous pouvons nous en occuper. Je n'ai pas non plus l'intention de m'étendre bien longuement, si ce n'est en de rares occasions, dans les méditations qui vont suivre. Il suffit maintenant que vous placiez devant les yeux de
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votre esprit ce que Jésus a fait ou dit, que vous vous en entreteniez avec lui et que vous entriez dans son intimité. Au reste, je crois que l'on trouve en cela une douceur plus grande, une dévotion plus efficace, et que presque tout le fruit de ces méditations consiste à contempler pieusement le Sauveur en tout temps et en tout lieu dans chacun de ses actes, soit qu'il demeure avec ses disciples, soit qu'il réside au milieu des pécheurs e t s'entretienne avec eux, soit qu'il prêche à la foule, soit qu'il soit en marche ou assis, soit qu'il dorme ou qu'il veille, soit qu'il mange ou qu'il serve les autres, soit qu'il guérisse les malades ou qu'il fasse d'autres miracles. Dans toutes ces choses et autres semblables, considérez chacun de ses mouvements, surtout contemplez son visage si vous pouvez vous le représenter, ce qui me semble plus difficile que tout ce que je vous ai dit. Observez aussi avec attention s'il daigne abaisser sur vous un regard de bonté. Que cela vous serve de recours et d'enseignement pour tout ce qui va suivre et tout ce que je raconterai. Si je n'exprime aucune réflexion particulière, ou si j'omets les détails, suivez cette méthode , et ce vous sera suffisant. Maintenant commençons notre récit.
Après son retour du lieu où il avait reçu le Baptême, Jésus, le maître de l'humilité, continua à vivre humblement comme par le passé. Il commença
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pourtant à se manifester peu à peu à quelques personnes, les enseignant et les instruisant en secret; car on ne dit pas que, pendant toute l'année qui suivit, il ait exercé publiquement l'office de la prédication , c'est-à-dire jusqu'au miracle des noces qui eut lieu le même jour qu'il fut baptisé, un an plus tard. Si quelquefois il prêchait, et si ses disciples baptisaient, ce n'était pourtant pas, soit qu'il le fît par lui-même ou par les siens, aussi fréquemment qu'après l'emprisonnement de Jean-Baptiste. Il nous donnait un exemple d'humilité étonnante en marquant ainsi , comme on peut le conclure pieusement de ce qui a été dit plus haut, une déférence si profonde pour Jean, qui lui était si inférieur dans ce ministère de la prédication. Ce ne fut donc pas avec éclat et avec pompe qu'il commença, mais humblement et peu à peu.
Or, un jour de sabbat, étant avec les autres dans la synagogue, il se leva pour lire dans le livre des prophéties d'Isaïe (1) et il lut l'endroit où il est dit: « L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi ; c'est pourquoi il m'a rempli de son onction, et il m'a envoyé pour prêcher l'Évangile aux pauvres (2). » Alors ayant fermé le livre, il dit : « Cette prophétie
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que vous venez d'entendre, reçoit aujourd'hui son accomplissement. » Voyez donc comme il remplit avec humilité l'office de lecteur, comme il lit dans l'assemblée et expose le sens de l'Écriture avec un visage plein de calme et de bénignité ; voyez comment il commence humblement à se manifester lorsqu'il dit : Cette prophétie a reçu aujourd'hui sou accomplissement , c'est-à-dire : Je suis celui dont il est parlé en cet endroit. Tous les regards étaient fixés sur lui à cause de l'efficacité de ses paroles et de son aspect plein d'humilité et de beauté; car il fut le plus beau des hommes, en même temps qu'il en fut le plus éloquent; et c'est de ces deux choses que veut parler le prophète quand il dit : « Vous surpasse; en beauté les enfants des hommes, et la grâce est répandue avec abondance sur vos lèvres (1). »
Alors le Seigneur Jésus commença à appeler des disciples à sa suite, et à se montrer plein de sollicitude pour notre salut, mais toujours en observant les
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règles de l'humilité. Il appela Pierre et André par trois différentes : la première, dont il a été parlé plus haut, quand il était sur les bords du Jourdain (1), et alors ils commencèrent à lier un peu connaissance avec lui; la seconde, dans le bateau de Pierre, à l'occasion de la pêche miraculeuse , selon que le raconte saint Luc (2); ils le suivirent alors avec l'intention de revenir à leurs filets, mais ils commencèrent pourtant à apprendre sa doctrine ; la troisième , lorsqu'étant dans leur barque, il leur dit, comme le rapporte saint Matthieu : « Suivez-moi, je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes (3). » Alors ayant quitté leurs filets, ils le suivirent. Il appela aussi Jacques et Jean en ces deux dernières fois, et il en est l'ait mention à l'endroit même où il est parlé de Pierre et d'André. Il appela encore Jean le jour des noces de Cana, selon saint Jérôme (4); mais l'Évangile n'en dit rien. Il appela Philippe en lui disant : Suivez-moi (5). Il en fut de même pour Matthieu, le publicain (6). L'Écriture ne dit rien de la manière dont il s'attacha les autres.
Considérez le Seigneur dans ces divers appels et dans sa façon de vivre avec ses disciples, et voyez avec
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quelle affection il leur parle, comme il se montre affable envers eux, comme il leur témoigne de l'amitié et des égards, les attirant à la fois intérieurement et extérieurement, comme il les conduit ensuite à la maison de sa Mère, et comme il va avec simplicité dans leurs demeures. Il les enseignait , les instruisait, et avait d'eux un soin aussi tendre qu'une mère pour son fils unique. On dit que saint Pierre racontait que, lorsqu'il dormait en quelque lieu avec eux, il se levait pendant la nuit, et que s'il trouvait que quelqu'un d'eux fût découvert, il le recouvrait avec soin, car il les aimait avec une tendresse incroyable. Il savait, en effet, à quoi il les destinait, et, quoiqu'ils fussent des hommes d'une condition basse et qu'ils appartinssent à une nation alors sans éclat, il devait pourtant les établir princes du monde entier et chefs de tous les fidèles dans la guerre spirituelle qu'il allait entreprendre. Considérez, je vous prie, par quels hommes l'Église a commencé. Le Seigneur n'a pas voulu choisir les sages et les puissants du siècle, de peur qu'on n'attribuât à leurs talents le succès de leurs entreprises ; mais il s'en est réservé la gloire, et c'est à sa bonté, à sa puissance et à sa sagesse que nous devons notre rédemption.
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On doute, il est vrai, de qui étaient les noces qui eurent lieu à Cana, en Galilée, comme le dit. Le Maître dans son Histoire scolastique. Figurons-nous cependant que c'étaient celles de Jean l'évangéliste, comme nous le lisons dans le prologue de saint Jérôme sur cet écrivain sacré, et où il semble le donner comme certain. Marie y assista; mais elle n'y fut pas invitée comme une étrangère; elle s'y trouva comme la première, la plus digne et l'aînée d'entre ses soeurs. Elle fut dans la maison de sa soeur comme dans sa propre maison; elle y fut comme la directrice et l'ordonnatrice de toute la noce; ce qu'on peut conclure de trois circonstances : premièrement, de ce qu'il est dit que la Mère de Jésus était là, tandis que pour Jésus et ses disciples ainsi que les autres qui y assistèrent, on raconte qu'ils y furent invités. Sa soeur, Marie Salomé, l'épouse de Médée, étant allé la trouver à Nazareth, lui n'est éloigné que de quatre milles de Cana, et, lui ayant dit qu'elle voulait faire les noces de Jean, son
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fils, Marie s'en retourna avec elle quelques jours avant la fête, afin de tout préparer, de sorte qu'elle était déjà en la maison lorsque les autres furent invités. Nous pouvons le conclure, en second lieu, de ce qu'elle fut la première à s'apercevoir que le vin manquait; ce qui nous montre qu'elle n'était point là comme les autres convives, mais comme la personne par les mains de qui Tout passait : voilà pourquoi elle sut que le vin allait manquer. En effet, si elle eût été à table, se serait-elle placée, cette mère si modeste, parmi les hommes, auprès de son Fils? Si elle eût été ailleurs, parmi les femme, aurait-elle connu plutôt qu'un autre qu'il n'y avait plus de vin? Si elle l'eût connu , se serait-elle levée de table pour aller trouver son Fils? Tout cela paraît peu convenable; aussi est-il vraisemblable qu'alors elle n'était point à table; car on dit qu'elle aimait beaucoup à servir.
On le conclut, en troisième lieu, de ce que ce fut elle-même qui commanda aux gens qui servaient d'aller trouver son Fils et de faire ce qu'il leur ordonnerait. Ainsi, il paraît qu'elle avait en main le commandement et que tout marchait d'après sa direction; et c'est pourquoi elle se montra empressée à ce que rien ne lit défaut.
Considérez donc le Seigneur Jésus mangeant parmi les autres comme un d'entre eux, assis à l'endroit le
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plus humble, et non parmi ceux qui tenaient le premier rang, ainsi que nous pouvons le conclure de ce qui vient d'être dit. Il ne voulait pas, selon la coutume des orgueilleux, occuper la première place, car bientôt il devait dire aux hommes : «Lorsque vous serez invité à des noces, prenez la dernière place (1).» Or, il commença d'abord par faire avant que d'enseigner. Regardez aussi votre Souveraine, empressée, prompte et inquiète pour que tout se fasse bien, donnant ou montrant à ceux qui servent ce qu'ils doivent porter aux convives et leur faisant remarquer comment ils doivent s'acquitter de leur devoir. Lorsque, vers la fin du repas, ils vinrent lui dire : nous n'avons plus de vin à servir, elle leur répondit : « Je vais m'occuper de vous en procurer ; attendez un peu. » Et, allant trouver son Fils, qui était assis humblement, comme je l'ai dit, au bout de la table, près de la porte de la chambre, elle lui dit : « Mon Fils, le vin manque, notre soeur est pauvre et je ne sais comment nous pourrons en procurer. » Il lui répondit : « Femme, qu'y a-t-il de commun entrevous et moi? » Cette réponse semble dure, mais elle eut lieu pour notre instruction, selon saint Bernard, qui s'exprime ainsi sur cet endroit.: « Qu'y a-t-il entre vous et elle, Seigneur ?
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N'y a-t-il pas ce qui se trouve entre le fils et la mère? Vous demandez ce qui la regarde de votre part, lorsque vous êtes le fruit béni de son sein immaculé?
N'est-ce pas elle qui vous a conçu en conservant sa pureté, et qui vous mit au monde sans aucune atteinte à sa virginité ? N'est-ce pas elle qui vous porta neuf mois dans ses entrailles, qui vous allaita de son
lait virginal, avec qui vous descendîtes de Jérusalem, et à qui vous étiez soumis? Maintenant, Seigneur, pourquoi donc la contristez-vous en lui disant : Qu'y a-t-il entre vous et moi? Il y a beaucoup de toute manière. Mais déjà je vois clairement que ce n'est point avec indignation que vous
parlez ainsi ; je vois que vous ne vous proposez pas de faire rougir la tendre modestie de la Vierge et de la Mère, lorsque vous lui dites :
Qu'y a-t-il entre vous et moi ? Car les serviteurs du festin viennent à vous par son ordre, et sans tarder, vous faites ce qu'elle vous a suggéré. Pourquoi donc, mes frères, pourquoi le Seigneur a-t-il fait d'abord une semblable réponse ? C'est à cause de nous, n'en doutez point, à cause de nous, qui nous sommes convertis au Seigneur, afin que le soin de nos parents selon la chair, ne fût plus pour nous une sujet de sollicitude, et pour que ces empressements à leur égard ne fassent point un obstacle
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à notre avancement spirituel. Tant que nous sommes du monde, il est certain que nous son lues redevables à nos parents ; mais aujourd'hui que nous nous sommes renoncés nous-mêmes, à plus forte raison, sommes-nous libres de ce qui les concerne. C'est pour cela que nous lisons d'un religieux qui vivait dans le désert : qu'avant reçu la visite de son frère, qui venait lui demander un secours, il lui répondit de s'adresser à un autre de ses frères, qui cependant n'était plus au monde. Comme celui qui était venu, surpris d'une telle réponse, répliquait que ce frère était mort, et moi aussi, lui dit l'ermite, je suis mort également. » Le Seigneur nous a donc très-bien enseigné ici à ne point avoir d'inquiétude pour nos proches selon la chair avant que la religion ne nous en fasse un devoir, lorsqu'il a répondu à sa mère, et à une telle mère : « Femme,qu'y a-t-il entre vous et moi? » De même, dans un « autre endroit, lorsque quelqu'un vint lui dire que sa Mère et ses frères se tenaient dehors et qu'ils demandaient à lui parler, il répondit : « Quelle est ma Mère, et qui sont mes frères (1) ? Qu'ils paraissent maintenant ceux qui sont aussi humainement, aussi frivolement inquiets de leurs parents selon la
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chair que s'ils vivaient avec eux et dans la même famille ? » Ainsi parle saint Bernard.
Marie, ne concevant donc aucune défiance d'une pareille réponse , mais présumant tout de la bénignité de son Fils , retourna vers les serviteurs de la noce, et leur dit : « Allez trouver mon Fils, et faites tout ce qu'il vous dira. » Y étant allés, ils remplirent d'eau, par l'ordre du Seigneur, de grands vaisseaux qui étaient là. Ensuite il leur dit : « Puisez maintenant de cette eau, et allez en porter au maître du festin. » Remarquez d'abord la sagesse du Seigneur en ce qu'il fit offrir, avant tout, de cette eau à celui qui était le plus honorable. Remarquez, en second lieu, qu'il était assis loin de cet homme, puisqu'il la lui envoie comme à quelqu'un qui est éloigné. Mais, comme le Maître du festin était assis à la place la plus distinguée, nous pouvons conclure que le Seigneur ne voulut point se placer auprès de lui, et qu'il choisit l'endroit le plus humble. Les serviteurs présentèrent donc cette eau changée en vin au Maître du festin, ainsi qu'aux autres, et ils divulguèrent le miracle, car ils savaient comment cela s'était fait; et les Disciples de Jésus crurent en lui.
Le repas fini, le Seigneur appela Jean à part et lui dit:
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« Renvoyez votre épouse et suivez-moi, car je veux vous appeler à une union plus élevée.» Et il le suivit.
Le Seigneur, en assistant à ces noces, a approuvé le mariage selon la chair comme institué de Dieu. Mais en invitant Jean à renoncer à l'union qu'il venait de former, il a donné clairement à comprendre que le mariage spirituel l'emporte de beaucoup sur le mariage corporel. Le Seigneur partit ensuite dans l'intention de s'appliquer désormais ostensiblement et à la face du monde aux choses qui concernent notre salut. Mais il voulut auparavant reconduire sa Mère en sa demeure, et, en vérité, une telle Souveraine était bien digne d'un pareil honneur. Il la prit donc avec lui, ainsi que Jean et ses autres Disciples, et ils allèrent d'abord à Capharnaüm, proche Nazareth, et, quelques jours après, à Nazareth même. Regardez-les pendant qu'ils sont en route. Voyez comment s'en vont ensemble la Mère et le Fils; ils s'avancent humblement et à pied, mais pleins d'amour l'un pour l'autre. Oh! qu'ils sont grands ces deux personnages! Jamais il n'en parut de semblables sur la terre. Considérez aussi les Disciples qui les suivent avec respect et écoutent la parole du Seigneur; car il ne demeurait jamais oisif, mais il disait ou faisait toujours quelque chose de bien, et l'ennui ne pouvait atteindre aucun de ceux qui étaient dans une telle société.
Le Seigneur Jésus, ayant appelé ses Disciples à lui en dehors de la foule, alla avec eux sur la montagne du Thabor, qui est à environ deux milles de Nazareth, afin de les nourrir de sa doctrine. Il convenait, en effet, qu'il instruisît d'abord, et avec plus de soin que le reste des hommes, ceux qu'il devait établir pour être les maîtres et les guides des autres. Dès ce jour donc, il leur enseigna beaucoup de choses, et le discours qu'il leur adressa fut magnifique et abondant (1). Et en cela rien d'étonnant, car ce fut la bouche du Seigneur qui le fit entendre. Il leur parla des béatitudes, de la prière, du jeune, de l'aumône et d'autres points qui concernent les vertus, et que vous pourrez trouver dans l'Evangile. Lisez ces enseignements avec attention et souvent, et confiez à votre mémoire tout ce qu'ils renferment, car tout y est d'une très-grande élévation. Je ne m'étends pas davantage sur ce sujet qui serait trop long; et puis de telles considérations
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ne me semblent pas toujours être bien propres à la méditation. Cependant, quand l'occasion s'en présentera, je m'en servirai pour votre instruction; j'y joindrai même les réflexions, qui en découlent pour la conduite, et les passages des saints qui y ont quelque rapport. Qu'il me suffise donc, pour le moment, de vous avertir que le Seigneur amis en tête de ses enseignements la, pauvreté, donnant à entendre par là que cette vertu est le fondement principal de toute la vie spirituelle. En effet, il ne saurait suivre aisément Jésus-Christ, le modèle de la pauvreté, celui qui succombe sous le fardeau des choses temporelles ; il n'est point libre, mais esclave, celui qui soumet les affections de son âme à des objets passagers. C'est pourquoi le Seigneur a dit : « Bienheureux les paumes d'esprit. » Si j'aime une chose avec ardeur, je m'en constitue volontiers l'esclave; car l'amour est le poids de l'âme, il l'incline partout où il se porte, comme dit saint Augustin (1). Aussi, rien ne doit être aimé, si ce n'est Dieu, ou si ce n'est purement à cause de Dieu. C'est donc justement qu'il est appelé heureux, le pauvre qui méprise tout en vue de Dieu, puisque déjà il est uni, en grande partie, à son Seigneur. Écoutez saint Bernard sur la pauvreté : « C'est, dit-il, une aile puissante
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que la pauvreté qui nous élève si rapidement au royaume des cieux. Pour les autres vertus qui suivent, la promesse est attachée au temps futur;
mais pour la pauvreté, ce n'est pas tant une promesse qui est faite qu'un don ; c'est pourquoi il est dit, comme d'une chose présente, «que le royaume des cieux leur appartient
» Nous voyons certains pauvres, qui, s'ils avaient la vraie pauvreté, ne seraient point aussi tristes ni aussi pusillanimes,car ils se regarderaient comme des rois et comme les rois du ciel. Il y en a plusieurs qui veulent être pauvres, sans doute, mais à condition que rien ne leur manquera, et ils aiment la pauvreté de façon à n'avoir aucune privation à supporter (1). » Ailleurs, le même saint ajoute : « Si je m'élève au-dessus de la terre, je le dis sans crainte aucune, j'attirerai tout à moi (2) ; et ce n'est pas avec témérité que j'usurpe les paroles de celui qui est mon frère, puisque je me revêts de sa ressemblance. Que les riches de ce monde ne s'imaginent donc pas que les frères de Jésus-Christ ne possèdent que les biens célestes parce qu'ils entendent le Seigneur dire : Bienheureux les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux leur appartient; ils
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sont encore les maîtres de la terre. Ils sont, à la vérité comme s'ils n'avaient rien, mais ils possèdent tout; ils ne mendient point comme des hommes dans la misère, liais comme des maîtres puissants,et d'autant plus maîtres qu'ils ont moins de désirs. Pour l'homme fidèle, tout est richesse en ce monde, tout sans contredit; car l'adversité et la prospérité
concourent également à lui être utiles et tournent à son avantage. C'est donc l'avare qui a faim, comme un mendiant, tandis que le fidèle est plein d'insouciance, comme un possesseur qui abonde. L'un est un mendiant avec ses biens, et l'autre qui les méprise en a la jouissance. Demandez à tous ceux qui soupirent avec un coeur si insatiable après les richesses temporelles, ce qu'ils pensent de ceux qui, vendant ce qu'ils possèdent et le donnant aux pauvres, achètent, au prix d'un bien terrestre , le
royaume des cieux; demandez-leur s'ils agissent avec sagesse ou non ? Sans aucun doute, ils vous diront qu'ils se conduisent sagement. Demandez-leur pourquoi ils ne font point ce qu'ils approuvent avec tant de raison ? Ils vous répondront qu'ils ne le peuvent. Pourquoi? Parce que l'avarice qui les domine ne le permet pas ; parce qu'ils ne sont pas libres ;
parce que les biens qu'ils semblent posséder ne sont point à eux, et qu'il n'est pas en leur pouvoir d'en
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disposer. Si ces biens sont réellement à vous, faites les valoir; échangez ce qui est terrestre contre ce qui est céleste. Si vous ne pouvez agir ainsi, ne dites point que vous êtes le maître de votre argent, mais le serviteur; dites que vous en êtes le gardien et non le possesseur. » Ainsi parle saint Bernard. Mais revenons à notre méditation.
Regardez donc et considérez le Seigneur Jésus assis humblement à terre sur cette montagne, et ses Disciples autour de lui. Voyez comment il est au milieu d'eux comme un d'entre eux ; comme il leur parle avec affection, avec bonté, avec sagesse et efficacité, et comme il les porte à la pratique de ces vertus. Efforcez-vous toujours, ainsi que je vous l'ai dit dans la considération générale, de contempler son visage. Regardez les Disciples et voyez comme ils tiennent leurs yeux fixés avec respect et humilité sur Jésus, comme ils écoutent, avec toute l'attention de leur âme, ces magnifiques enseignements, comme ils les impriment en leur mémoire, et comme ils trouvent un bonheur ineffable à contempler et à entendre leur Maître. Réjouissez-vous aussi en cette considération, et regardez-le comme si vous le voyiez parler ; approchez-vous des disciples, si toutefois vous pensez que le Maître vous appelle, et demeurez avec eux, selon que le Seigneur vous l'accordera.
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Le sermon étant fini , considérez le même Jésus qui descend de la montagne avec ses Disciples et s'entretient avec eux familièrement. Considérez-le encore le long du chemin, et suivi de cette foule nombreuse d'hommes simples, qui marchent à sa suite, non pas dans un ordre habilement disposé, mais comme des poussins qui suivent leur mère, chacun désirant l'entendre de son mieux , et pour cela s'efforçant de l'approcher davantage. Voyez aussi comment la foule se porte avec amour à sa rencontre, et lui offre ses malades à guérir. Pour lui , il les guérissait tous.
Or, il y avait à Capharnaüm un centurion, c'est-à-dire un chef de cent soldats, et il avait un serviteur malade (1). Plein de foi, il envoya quelqu'un trouver le Seigneur, afin qu'il le guérît. L'humble Jésus répondit : J'irai et je le guérirai. Aussitôt que le centurion l'eut appris, il renvoya vers Jésus et lui fit dire (2) : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez
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dans ma maison ; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. Alors Jésus louant la foi de cet homme, n'alla pas plus loin, et guérit le serviteur absent.
Il y avait dans la même ville un petit roi Celui-ci alla en personne trouver Jésus , le priant de venir en sa maison et de guérir son fils qui était malade. Mais le Seigneur ne voulut pas y aller, et cependant il guérit le malade.
Considérez, en tout cela, le mérite de la foi chez le centurion, et l'humilité du Seigneur qui veut bien se rendre auprès du serviteur, mais qui refuse la même faveur au faste du petit roi. Considérez aussi que nous ne devons point faire acception de personnes; car, en cette circonstance, le Seigneur a fait plus d'honneur au serviteur du soldat qu'au fils du roi. Ainsi dans les services que nous rendons, nous ne devons pas consulter ce qui frappe les regards, ni l'exigence de l'éclat extérieur, mais l'intention et le mérite de celui qui a besoin de nos services. Ce ne doit pas être de notre part l'effet d'une vaine complaisance, mais l'oeuvre de la charité.
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Dans la même ville de Capharnaüm , tandis que le Seigneur enseignait dans une maison où étaient assemblés des Pharisiens et des Docteurs de la loi venus de Jérusalem et de tous les endroits de la Judée, quelques hommes arrivèrent portant un paralytique qu'ils voulaient introduire dans cette maison, afin que Jésus le guérît (1). Comme ils en étaient empêchés par la multitude qui était là, ils montèrent sur le toit de la maison , descendirent le malade par cet endroit., et le placèrent aux pieds de Jésus. Le Seigneur, voyant leur foi, dit au malade : « Vos péchés vous sont remis (2).» Mais les Pharisiens et les Docteurs de la loi qui l'observaient avec des intentions mauvaises, disaient en eux-mêmes qu'il avait blasphémé contre Dieu, parce que Dieu seul peut remettre les péchés, et que celui qu'ils regardaient simplement comme un homme s'attribuait cette prérogative. L'humble et miséricordieux Seigneur, qui sonde les reins et les cours; leur dit (3) : « Pourquoi formez-vous en vos
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coeurs des pensées iniques? Et il ajouta : «Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre , levez-
Cous, dit-il au paralytique, prenez votre lit et vous en allez. »
Il y a ici, quatre choses à considérer. La première, c'est la pénétration d'esprit de Jésus-Christ, qui voit les pensées de ces hommes; la seconde, c'est que les infirmités sont une suite de nos péchés, et que leur guérison suit quelquefois l'absolution de nos fautes. Vous avez une preuve nouvelle de cela dans celui qui fut guéri auprès de la piscine et à qui le Seigneur recommande de ne plus pécher à l'avenir, de peur qu'il ne lui arrive pire qu'auparavant (1). La troisième chose, c'est combien est grand le mérite de la foi , car la foi de l'un peut même servir à l'autre , comme vous venez de le voir pour le serviteur du centurion, et comme vous le verrez plus bas pour la chananéenne dont la fille dut sa guérison à la foi de sa mère. Cela arrive tous les jours pour les enfants qui sont baptisés : s'ils meurent avant. l'âge de raison, ils reçoivent, sur la foi d'un autre, un gage qui assure leur salut par les mérites de Jésus-Christ ; c'est ce que nous croyons contre certains hérétiques condamnés. Enfin considérez,
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en dernier lieu , Jésus-Christ assis au milieu de cette foule, répondant avec bonté aux méchants , et opérant un miracle. Recourez pour cela à la règle générale que je vous ai donnée plus haut.
Il arriva que le Seigneur Jésus, étant dans cette même ville de Capharnaüm , s'en alla loger en la maison de Simon-Pierre, dont la belle-mère était en proie à une grosse fièvre (1). L'humble Jésus la prit donc avec bonté par la main et la guérit si bien que, s'étant levée aussitôt, elle le servit lui et ses Disciples. Mais que leur servit-elle? l'Ecriture n'en dit rien. Pensez bien que dans cette maison du pauvre, on n'offrit à celui qui aimait la pauvreté , que des aliments grossiers et d'une préparation facile et prompte. Considérez aussi le Seigneur aidant lui-même à tout disposer, surtout dans la maison de son disciple. Figurez-vous les actes les plus humbles, comme de dresser la table, de ranger les sièges, et autres semblables; car le Maître de l'humilité faisait tout cela, lui qui était venu pour servir
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et non pour être servi. Ensuite il s'approchait de la table sans cérémonie, et mangeait avec joie, surtout lorsque dans le repas brillait la pauvreté qu'il aimait tant.
Le Seigneur Jésus étant entré dans une barque avec ses Disciples, eut besoin de se reposer, et il s'appuya la tête sur un oreiller (1). En effet, il passait la plus grande partie de la nuit dans la prière, et durant tout le jour il s'employait à prêcher. Lors donc qu'il dormait, une tempête s'éleva, et les Disciples craignirent de faire naufrage, mais ils n'osaient le réveiller. Enfin, poussés par la crainte, ils l'appelèrent en lui criant : Maître sauvez-nous, car nous allons périr. S'étant levé, il les reprit de leur peu de foi, commanda à la mer et aux vents, et la tempête se calma. Regardez-le donc et le contemplez dans ces actes, suivant la méthode générale que je vous ai enseignée. Vous pouvez remarquer ici que le Seigneur, bien qu'il paraisse sommeiller en ce qui concerne nos personnes et nos
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affaires, est cependant plein de diligence à veiller à notre garde. voilà pourquoi nous devons être contents dans notre confiance, et ne nous laisser aller à aucune hésitation.
Un jour que le Seigneur s'en allait à la ville de Naïm (1), il rencontra une grande foule de personnes qui portaient en terre un jeune homme, fils d'une veuve, lequel venait de mourir. Or, Jésus ému de compassion, toucha le cercueil, et ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Alors il dit : « Jeune homme , je vous le commande, levez-vous ». Celui qui était mort se leva aussitôt, et il le rendit à sa mère. Tous ceux qui étaient présents demeurèrent dans un grand étonnement, et louèrent le Seigneur. Pour les considérations recourez à la méthode accoutumée.
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Le Seigneur s'étant rendu à la prière d'un des principaux du pays, s'en alla avec lui, afin de guérir sa fille. Une grande foule marchait à sa suite, et parmi cette foule était une femme gravement infirme , que l'on dit avoir été Marthe, soeur de Marie-Madeleine. Elle disait en elle-même : Si je touche seulement la frange de son vêtement, je serai guérie (1). S'étant donc approchée avec crainte, elle le toucha et fut délivrée aussitôt de son mal. Alors le Seigneur Jésus demanda qui l'avait touché. Pierre répondit : Seigneur, la foule vous assiége et vous presse, et vous demandez qui vous a touché? Voyez la patience de Jésus : il lui arrivait souvent d'être ainsi pressé par la foule, car on tenait à l'approcher. Mais il savait bien pourquoi il parlait ainsi, et il ajouta : J'ai reconnu qu'une vertu est sortie de moi. Alors Marthe déclara ce qu'elle avait fait. Le Seigneur la guérit donc volontiers, et, dans la suite, il lui témoigna une grande
affection. Pour le moment, il lui dit : « Votre foi vous a sauvée. » Vous avez en ce miracle un éloge de la foi. Vous y découvrez en même temps que le Seigneur veut que ses miracles soient connus en vue du bien général ; mais qu'il les cachait autant qu'il était en lui, ainsi qu'on le voit encore ici, car ce qui était un effet de sa puissance divine, il l'attribuait à la foi de la personne qui avait été guérie. Vous avez aussi en cet endroit quelque chose de bien digne de remarque, et propre à aider à la garde de votre humilité. C'est ainsi que s'en exprime saint Bernard : « Celui qui sert parfaitement le Seigneur, peut être appelé la frange ou la portion la plus basse de son vêtement, à cause de l'humble idée qu'il a de soi-même. Que celui donc qui en est arrivé à reconnaître que le Seigneur écoute sa prière pour la guérison des infirmes ou pour l'opération d'autres miracles ; que celui-là, dis-je, ne s'élève point à cause d'une telle faveur, qu'il ne l'attribue point à soi-même; car ce n'est pas lui, mais le Seigneur qui a agi. Marthe, il est vrai, a touché le bord de son vêtement, pleine de confiance que par là elle serait délivrée, et il en est arrivé ainsi ; mais ce n'est pas de ce vêtement, c'est du Seigneur que sortit la vertu qui la sauva. Voilà pourquoi il dit lui-même (1) : Jai senti qu'une vertu était
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sortie de moi (1).» Remarquez donc bien cela, et ne vous attribuez jamais aucun bien à vous-même, puisque tout vient du Seigneur Jésus. Enfin, le Sauveur alla à la maison du prince, et, y étant entré, il ressuscita sa fille qu'il trouva morte à son arrivée.
Le Seigneur, toujours plein d'égards envers tous les hommes, ayant été un jour invité à un repas par Simon le lépreux, s'y rendit (2). Il avait coutume d'en agir ainsi, tant par politesse que par bonté, et aussi par le zèle qu'il éprouvait du salut des âmes pour lesquelles il était descendu du ciel. Ainsi, en mangeant et conversant avec les hommes, il les attirait à son amour. La pauvreté, qu'il chérissait si tendrement, le portait encore à tenir une semblable conduite ; car il était profondément indigent, et il n'avait rien pris des biens de ce monde, ni pour lui, ni pour les siens. Jésus, le miroir de l'humilité, étant invité, acceptait donc humblement et avec actions de grâces, selon le lieu et le temps. Or, Madeleine, qui sans doute l'avait déjà souvent
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entendu prêcher, et qui l'aimait ardemment, bien que cet amour fût demeuré caché jusqu'à ce jour, apprit qu'il était à table dans cette maison de Simon. Pénétrée de douleur jusqu'au fond du coeur à cause de ses péchés, embrasée du feu de l'amour de son Sauveur, pleine de la pensée qu'il n'y avait point de salut pour elle sans Jésus, résolue à ne plus différer davantage, elle se dirigea vers le lieu du festin, et, la tête inclinée, les yeux baissés vers la terre, elle passa devant les convives et ne s'arrêta que lorsqu'elle fut arrivée à celui qui était son Seigneur et son bien-aimé. Alors, se prosternant aussitôt à ses pieds, remplie de honte et d'une douleur sincère de ses péchés, abaissant son front et plaçant ses lèvres sur les pieds même de Jésus, avec une certaine confiance, parce que déjà elle l'aimait en son coeur par-dessus toute chose, elle se prit à pleurer fortement, à éclater en sanglots et à lui dire dans le silence de son coeur : « Mon Seigneur, je crois fermement, je sais et je confesse que vous êtes mon Dieu et mon Maître. J'ai offensé Votre Majesté en une foule de circonstances et par les crimes les plus énormes ; j'ai multiplié nies péchés au-delà du nombre des grains de sable qui couvrent les bords de la mer; mais, coupable et pécheresse, je me réfugie au sein de votre miséricorde. Je pleure et je suis abreuvée d'amertume ; je demande grâce, prête à me corriger de
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mes fautes et inébranlablement résolue à ne jamais me soustraire à l'obéissance que je vous dois. Ne me rejetez pas loin de vous, je vous en prie, car je sais que je ne pourrais trouver aucun refuge ailleurs; je n'en veux point hors de vous ; c'est vous seul que j'aime par-dessus toute chose. Ne me repoussez donc pas de votre présence. Punissez-moi de tous mes crimes comme il vous plaira, seulement faites-moi miséricorde. »
Cependant ses larmes, coulant avec abondance, arrosèrent et lavèrent les pieds de Jésus, d'où vous pouvez conclure clairement que le Seigneur marchait nu-pieds. Enfin elle cessa de pleurer, et le considéra attentivement; puis jugeant indigne que ses larmes touchassent les pieds de son Seigneur, elle les essuya avec ses cheveux. Elle se servit de ses cheveux, parce qu'elle n'avait rien de plus précieux dont elle pût user; parce qu'elle se proposait de tourner vers un but d'utilité cette chevelure qui n'avait servi qu'à nourrir sa vanité, et ne voulait poins éloigner son visage des pieds du Sauveur. Aussi, son amour croissant de plus en plus, baisait-elle ces mêmes pieds avec ardeur et sans interruption. Mais, comme la marche les avait couverts de poussière, elle s'appliquait à les embaumer d'un parfum précieux. Regardez-la donc avec attention, el. contemplez longuement ce qui se passe, à
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cause de la dévotion de cette femme, qui fut aimée du Seigneur d'une façon toute particulière, et aussi parce qu'il y a en tout cela quelque chose de très-solennel. Considérez également le Seigneur Jésus, avec quelle bonté il la reçoit, avec quelle patience il permet tout ce qu'elle fait; il s'arrête et cesse de manger jusqu'à ce qu'elle ait terminé. Les convives s'arrêtent aussi, et ils sont tous dans l'étonnement sur un événement si nouveau. Quant à Simon, voyant que Jésus permettait qu'une femme pareille le touchât, il le jugeait sans aucune réserve en son coeur, comme s'il n'eût pas été un prophète et comme s'il eût ignoré quelle était cette femme. Mais le Seigneur, répondant à ses pensées, se montra plein de l'esprit prophétique et renversa ses jugements par l'exemple des deux débiteurs. Voulant faire voir ensuite ouvertement que tout se consomme dans l'amour, il dit : Beaucoup de péchés lui sont re-mis, parce qu'elle a aimé beaucoup. Et s'adressant à Madeleine : Allez en paix, lui dit-il. O parole délectable et pleine de suavité! avec quel bonheur Madeleine l'entendit et avec quelle joie elle se retira! Mais, comme elle était parfaitement convertie à Jésus, elle vécut dans la suite saintement et purement, et s'attacha avec la persévérance au Sauveur et à sa Mère. Méditez donc avec soin ces choses, et efforcez-vous d'imiter un tel amour que le Seigneur a exalté lui-même d'une façon
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toute particulière, et par ses paroles, et par sa manière d'agir. Vous voyez très-clairement ici qu'entre Dieu et le pécheur, la charité rétablit la paix. C'est pourquoi le bienheureux apôtre saint Pierre dit que « la charité couvre la multitude des péchés (1) » Or, comme la charité anime toutes les vertus et qu'aucune ne saurait plaire à Dieu sans elle, pour vous porter à employer tous vos efforts à l'acquérir, cette vertu qui vous rendra agréable à Jésus, votre époux, je vais vous donner quelques passages de saint Bernard sur ce sujet. C'est donc ainsi qu'il en parle (2) : « La charité est un don tout-à-fait excellent, vraiment incomparable , dont l'Époux céleste s'est efforcé de pénétrer en toute circonstance sa nouvelle Épouse. Tantôt il dit : C'est en cela que tous les hommes connaîtront que vous êtes mes Disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres (3).
Tantôt il s'écrie : Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez mutuellement (4). De même, dans sa prière, il demande
que ses disciples soient un comme lui et son Père sont un (5). Enfin, que pouvons-nous imaginer de comparable à cette vertu, qui est placée au-dessus
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du martyre et de la foi qui transporte les montagnes ? C'est donc pourquoi je vous dis : que la paix soit avec vous, que la paix vienne de vous, et que tout ce qui semble vous menacer au dehors vous trouve sans effroi ; car vous n'avez rien à craindre (1). La valeur d'une âme doit s'estimer d'après la mesure de la charité qui l'embrase, et l'on doit regarder comme grande celle dont la charité est grande, comme médiocre, celle dont la charité est faible, et comme de nulle valeur, celle qui en est totalement dépourvue, l'Apôtre disant : Si je n'ai point la charité, je ne suis rien (2). Que si elle commente à en avoir une faible étincelle, si elle s'applique à aimer au moins ceux qui l'aiment, à saluer ses frères et ceux qui la saluent, je ne dirai pas que cette âme n'est rien , puisqu'à raison de ce qui lui est donné et de ce qu'elle reçoit, elle conserve au moins la charité d'égalité. Cependant, selon la parole du Seigneur : Que fait-elle en cela de plus que les autres ? je ne jugerai pasque cette âme ne possède ni largeur ni grandeur, mais qu'elle est étroite et médiocre, puisque sa charité est
aussi minime. Mais si elle grandit et s'accroît, de sorte que, passant les limites de cet amour restreint
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et sans profit, elle aborde, avec une entière liberté d'esprit, les larges confins d'une charité toute gratuite ; si, ouvrant le vaste sein de sa bonne volonté, elle s'applique à y renfermer tous les hommes en aimant chacun comme soi-même, pourra-t-on lui dire alors avec justice : Que faites-vous de plus que ce que vous devez ? puisqu'elle s'est tellement rendue vaste, puisque le sein de son amour s'est tellement dilaté qu'elle embrasse tous les hommes, même ceux qui ne lui sont unis par aucun lien de la chair, ceux vers lesquels elle n'est attirée par l'espoir d'aucun avantage personnel, ceux à qui elle n'est assujettie par la réception d'aucun don, ceux enfin à qui elle n'est enchaînée par aucune dette, si ce n'est cette dette dont il est dit : Ne devez rien à personne, si ce n'est un amour mutuel (1). Mais si à cela vous ajoutez de faire une telle violence au
royaume de la charité, que vous arriviez, comme un pieux envahisseur, jusqu'à en occuper les dernières limites, en sorte que vous ne jugiez point devoir fermer à vos ennemis les entrailles de votre miséricorde; que vous fassiez du bien à ceux qui vous haïssent ; que vous priiez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient; que vous vous appliquiez à être pacifique au milieu de ceux qui ont la paix
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en horreur, alors la largeur de votre âme égalera la largeur des cieux ; sa hauteur sera semblable à la sienne, et sa beauté ne sera point inférieure à sa beauté. En cette âme s'accomplira cette parole : C'est vous qui étendez les cieux comme une tente (1) ; car dans le ciel de cette âme se trouve une telle immensité, une telle hauteur, une telle beauté, « que le Maître suprême , immense et glorieux, y habitera , non-seulement avec condescendance , mais s'y promènera comme dans un espace sans bornes. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez de quelle utilité, de quelle nécessité est la vertu de charité, puisque sans elle il est certainement impossible de plaire à Dieu, puisqu'avec elle chacun, sans aucun doute, lui est agréable. Appliquez-vous donc de tout votre coeur, de toute votre âme, de toutes vos forces, à posséder une vertu qui vous fera supporter volontiers tout ce qui se présentera de dur et de difficile à souffrir pour Dieu et le prochain.
Le glorieux soldat et précurseur du Seigneur Jésus, Jean-Baptiste, avait été jeté dans les fers par Hérode à cause de son zèle à défendre la justice ; car il reprochait à ce prince de retenir en sa demeure l'épouse de son frère encore vivant. Voulant donc amener ses disciples à suivre le Seigneur, il pensa à les lui envoyer, afin qu'ayant entendu ses paroles et y u ses oeuvres, ils s'enflammassent d'amour pour lui et s'attachassent à sa personne. Ils vinrent donc le trouver, et lui dirent de la part de Jean : Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre (1) ? Le Seigneur était alors en présence d'une grande foule. Considérez bien, et voyez comment il reçoit les envoyés de Jean avec un visage plein de douceur, comment il les instruit sagement, d'abord par ses oeuvres, et ensuite par ses paroles. Il guérit donc, en leur présence, des sourds, des muets, des aveugles, fit encore d'autres miracles, prêcha au peuple, et leur dit : « Allez, et rapportez à Jean ce que vous avez vu et entendu.»
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Ils s'en allèrent et redirent à leur Maître ces choses qu'il apprit avec bonheur. Or, ces disciples, après la mort du précurseur, s'attachèrent inviolablement à Jésus-Christ.
Le Seigneur, après leur départ, donna à Jean les louanges les plus magnifiques. Il dit de lui qu'il était. plus qu'un prophète , que parmi les enfants des hommes, sil n'en avait point paru de plus grand que lui, et autres éloges que vous trouverez dans l'Évangile. Pour vous, tenez sans cesse vos regards attachés sur Jésus, et tandis qu'il prêche et tandis qu'il opère les miracles, toujours suivant la méthode ordinaire.
C'est ici que nous pouvons placer une méditation sur la mort du bienheureux Jean-Baptiste. Lors donc qu'Hérode, cet homme pervers, et l'infâme adultère qu'il tenait en sa demeure, eurent pris, sans doute ensemble, la résolution de faire mourir le serviteur de Dieu, afin de ne plus s'entendre reprocher leur péché, il arriva qu'un jour de grand festin la tête de Jean fut
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donnée à une misérable danseuse, fille d'Hérodiade même ; et ainsi il fut décapite dans sa prison (1).
Voyez combien humiliant, combien coupable fut le coup qui frappa un si grand homme, sous le règne et l'empire de la perversité. O Dieu ! comment avez-vous permis un tel forfait? Comment s'imaginer qu'une semblable mort ait été réservée à Jean, cet homme d'une perfection et d'une sainteté telles, qu'on le prenait pour le Christ lui-même? Si donc vous voulez bien fixer dans votre esprit toute cette histoire, après avoir considéré les oeuvres détestables de ceux qui le firent mourir, rappelez-vous la grandeur de Jean, son excellence singulière, et c'est alors que vous pourrez être dans l'étonnement. Je vous ai dit plus haut comment, en diverses circonstances, le Seigneur se plut à faire son éloge ; écoutez maintenant comment le loue saint Bernard dans un de ses discours (2) : « L'Église romaine, dit-il, cette mère et maîtresse de toutes les Églises, cette Église dont il a été dit : Jai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas, a été consacrée et marquée, après le nom du Sauveur, du nom glorieux de Jean-Baptiste. Il était digne, en effet, que cet ami si particulier de l'Épouse, fût exalté là où elle avait établi sa principauté. Pierre meurt
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sur la croix, Paul est frappé par le glaive, et cependant l'honneur principal est réservé au précurseur. Rome est ornée de la pourpre de martyrs innombrables, mais le bienheureux Patriarche revêt une sublimité qui l'emporte sur eux. Jean est plus élevé partout; il tient un rang unique entre Joas, il est admirable par-dessus tous. Quel homme fut jamais annoncé d'une manière aussi glorieuse ? Qui nous apparaît si extraordinairement rempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère? Qui trouverez-vous tressaillant d'allégresse avant que d'être né ? Quel
est celui dont la naissance a été un objet de solennité pour l'Église? Qui a témoigné autant d'ardeur pour la solitude du désert? Qui a vécu d'une
vie aussi sublime? Qui a enseigné le premier aux hommes, et la pénitence, et le royaume des cieux? Oui a baptisé le Roi de gloire ? A qui la Trinité s'est-t-elle révélée si ouvertement pour la première fois? A qui le Seigneur Jésus a-t-il rendu un témoignage aussi éclatant? Qui a reçu de l'Église de pareils honneurs? Jean est un Patriarche, ou plutôt il est la fin et le chef des Patriarches ; Jean est un Prophète et plus qu'un Prophète, car il a montré du doigt celui dont il annonçait la venue ; Jean est un Ange, mais un Ange élu entre les Anges, le Seigneur lui ayant rendu ce témoignage : Voici que j'envoie
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mon ange, etc
Jean est un Apôtre, mais il est le premier et le Prince des Apôtres, car c'est lui qui fut le premier envoyé de Dieu; Jean est un Évangéliste, mais c'est le premier prédicateur de l'Évangile, un prédicateur qui annonce l'Évangile du royaume de Dieu; Jean est une vierge, ou plutôt un miroir éclatant de la virginité , le flambeau de la pudeur, le modèle de la chasteté; Jean est un martyr, mais il est en même temps la lumière des martyrs, il est l'exemple le plus brillant du martyre que l'on rencontre entre la naissance et la mort de Jésus-Christ. Il est la voix qui crie dans le désert, le Précurseur du Juge suprême, le Hérault du Verbe. C'est Élie en personne; c'est à lui que la Loi et les Prophètes ont terminé leur cours ; c'est une lumière « qui éclaire et embrase. Je passe sous silence la prérogative qui l'a placé si glorieusement au milieu des ordres de la hiérarchie angélique, et l'a élevé jusqu'à la hauteur des Séraphins. » Ainsi parle saint Bernard.
Écoutez maintenant comment saint Pierre Chrysologue, archevêque de Ravenne, l'exalte, à son tour, dans un de ses discours (1) : « Jean est une école de vertus, un docteur de la vie spirituelle, un modèle
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de sainteté, une règle de justice. » Si donc vous mettez en comparaison l'excellence et la dignité de Jean et l'abîme des crimes de ceux qui le firent mourir, vous aurez un juste sujet d'étonnement et de murmure, même contre Dieu, s'il est permis de parler ainsi. En effet, un bourreau est envoyé vers un homme aussi glorieux et aussi grand, afin de lui trancher la tête, comme on ferait au dernier des hommes, à un homicide pervers, à un incendiaire. Arrêtez sur lui vos regards avec respect et douleur; voyez comment, au premier ordre de ce vil et méchant bourreau, il tend le cou et fléchit humblement les genoux ; comment, rendant garces à Dieu, il place sa tête vénérable sur un billot ou une pierre, et reçoit, sans se plaindre, les coups qui le frappent jusqu'à ce que son sacrifice soit consommé. Voilà comment s'en va de cette terre l'ami intime, le proche parent du Seigneur Jésus, le confident le plus illustre de Dieu. Vraiment, c'est pour nous un grand sujet de confusion, d'avoir si peu de patience dans chacune îles tribulations qui nous arrivent. Jean-Baptiste, l'innocence même, souffre sans murmure la mort et une mort ignominieuse, et nous, chargés de péchés, dignes de la colère céleste, nous ne pouvons le plus souvent supporter de légères injures, de faibles contrariétés; bien plus, quelques paroles blessantes nous deviennent un fardeau intolérable.
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Le Seigneur Jésus était alors en Judée, mais non à l'endroit où ces choses se passèrent. Lors donc que cette mort lui eut été annoncée, ce Dieu, plein de tendresse, pleura celui qui était un athlète de sa cause, en même temps que son cousin selon la chair. Les disciples unirent leurs larmes à celles de leur Maître, et la Vierge bienheureuse pleura aussi, car elle avait reçu Jean-Baptiste dans ses bras lorsqu'il vint au monde, et depuis elle l'aima toujours fort tendrement. Le Seigneur consolait sa Mère, et elle disait à son Fils: « Pourquoi donc, ô mon Fils, ne l'avez-vous pas défendu, et avez-vous permis qu'il fût victime d'une semblable mort? » « Ma Mère vénérée, répondait Jésus, il ne lui était pas avantageux d'être défendu de la sorte. C'est pour mon Père qu'il est mort ; c'est pore le maintien des droits de sa justice ; ainsi il sera bientôt en possession de sa gloire. Mon Père n'a pas l'intention de défendre ouvertement les siens en ce monde, car ils ne doivent point demeurer trop longtemps sur la terre ; leur patrie n'est point ici-bas, elle est dans les cieux. Jean a été délivré des liens de son corps, et il n'y a plus aucune force qui puisse maintenant le frapper en ce monde. L'ennemi a sévi contre lui autant qu'il a été en son pouvoir; mais il régnera avec mou Père durant l'éternité. Consolez-vous donc, ma Mère bien-aimée, car un bonheur sans partage sera la
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récompense de Jean. » Ensuite, quelques jours s'étant écoulés, le Seigneur abandonna ces lieux et revint en Galilée. Pour vous, considérez-vous comme présente à tout ce que nous venons de dire ; méditez-le avec ferveur, et en quelque lieu que le Seigneur aille, marchez à sa suite.
(1) Lorsque le Seigneur revenait de Judée en Galilée (ce qui fait un voyage de dix-sept milles et plus, ainsi que je vous l'ai dit plusieurs fois), et qu'il passait par la Samarie, il se trouva fatigué de la marche. Pour Dieu, regardez-le et voyez comment en ce lieu il est accablé de fatigue. Il marchait à pied, et il lui arriva souvent d'être ainsi fatigué; car sa vie entière fut une vie de peines. Il s'arrêta donc et s'assit sur le bord d'un puits pour s'y reposer. Ses Disciples s'en allèrent à la ville acheter de quoi manger. Pendant ce temps-là, une femme appelée Lucie, s'en vint à ce puits afin d'y puiser de l'eau. Or, le Seigneur se mit à lui parler, à l'entretenir de choses importantes et à se manifester
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à elle. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans aucun détail sur ce qui fit l'objet de leur entretien, ni sur le retour des Disciples, ni de rapporter comment, sur la parole de cette femme, toute la ville sortit à la rencontre de Jésus, comment il s'en alla avec ce peuple, demeura quelque temps en cet endroit et se retira ensuite ailleurs. Vous avez tout ce récit dans l'Évangile ; lisez-le et considérez le Seigneur en tous ses actes. Mais il y a à faire sur cette histoire quelques belles et utiles remarques.
D'abord , c'est l'humilité de Jésus. Cet humble Seigneur demeure seul, et ses Disciples s'en vont à la ville; car ils agissaient vis-à-vis de lui en toute simplicité. Ensuite il s'entretient humblement avec cette pauvre femme seule des choses les plus élevées et ils parlent ensemble comme si leur condition était semblable. Il n'a aucun dédain pour elle; mais il lui annonce des vérités dignes d'être entendues des hommes les plus sages. Ce n'est pas ainsi qu'agissent les superbes : s'ils répandaient leurs paroles pompeuses, je ne dirai pas en présence d'un seul, vrais en présence d'un petit nombre, ils regarderaient leur temps comme perdu, ils ne jugeraient même pas ce petit nombre digne d'entendre un tel langage.
Considérez, en second lieu, la pauvreté de Jésus et comment il afflige son corps ; l'humilité se trouve encore
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mêlée à tout cela. Vous voyez que les Disciples s'en allèrent à la ville chercher des vivres, et qu'en ayant apporté , ils l'engagèrent à manger. Mais où donc manger? Sans doute sur le bord du puits, ou de quelque ruisseau, ou de quelque fontaine. voilà comment, dans ses fatigues et sa faim, il réparait ses forces. Ne vous imaginez pas qu'il en soit arrivé ainsi cette fois-là seulement et par hasard : c'est de la sorte que les choses avaient coutume de se passer en tout temps. C'est pourquoi vous pouvez conclure de cet endroit que cet humble Seigneur, cet amant de la pauvreté, lorsqu'il allait parle monde, prenait souvent sa nourriture hors des villes et des habitations des hommes, sur le bord d'un ruisseau ou d'une fontaine, bien qu'il fût fatigué et brisé par le travail. Il n'avait pas non plus des mets recherchés, un service précieux, des vins délicats ; il se contentait de l'eau de la fontaine ou du ruisseau. Celui qui fécondait la vigne, qui avait fait jaillir les sources d'eau vive, donné l'être à tout ce qui se meut dans les eaux, celui-là, dis-je, mangeait son pain assis humblement à terre comme le dernier des pauvres.
Considérez, en troisième lieu, comment il était appliqué aux choses spirituelle. Lorsque ses Disciples l'invitent à manger, il leur répond: « J'ai à me nourrir d'une nourriture que vous ne connaissez pas.
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Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » Et il refuse de manger; il attend ceux qui venaient le trouver de la ville, afin de leur annoncer sa parole d'abord , voulant faire passer les choses de l'esprit avant celles du corps , quelque fût son besoin. Considérez-le donc en toutes ces choses, et appliquez-vous à imiter ses vertus.
Lorsque Jésus fut revenu à Nazareth, les habitants de cette ville lui ayant demandé des miracles, il leur montra qu'ils étaient indignes de pareilles faveurs (1). Alors, enflammés de fureur, ils le chassèrent hors de leurs murs. Ce tendre Seigneur fuyait donc devant eux, et ils le poursuivaient. Que vous en semble-t-il? Leur rage s'alluma et crût à un tel point, qu'ils le conduisirent jusqu'au sommet de la montagne, afin de le précipiter de là. Mais, passant au milieu d'eux par sa vertu divine, il se déroba à leurs desseins, car le moment qu'il avait choisi pour mourir n'était point
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encore venu. La Glose dit: « Quon rapporte que le Seigneur, s'étant échappé de leurs mains et descendant de la montagne, afin de trouver une retraite sur ses flancs, un rocher lui servit de refuge et s'ouvrit comme s'il eût été de cire, afin de lui fournir l'asile dont il avait besoin , et que les plis de ses vêtements demeurèrent empreints sur ce rocher comme s'ils y eussent été gravés. Regardez-le donc fuyant ainsi devant ces hommes et se cachant dans ce rocher; compatissez à ses afflictions et efforcez-vous de l'imiter dans son humilité et sa patience.
(1) Un jour de Sabbat, le Seigneur enseignait dans une synagogue, et il y avait là un homme dont la main était desséchée. Jésus le fit placer au milieu de l'assemblée, et demanda aux sages qui l'entouraient : « S'il était pertuis de faire du bien le jour du Sabbat ; mais ils gardèrent le silence. Jésus dit donc à celui
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dont la main était desséchée: Étendes votre main, et il fut guéri. » Jésus fit plusieurs fois des miracles le jour du Sabbat, afin de confondre les Juifs , qui ne jugeaient de la loi que selon la chair, alors que Dieu voulait qu'elle fût observée selon l'esprit; car ce n'était point d'accomplir les oeuvres de charité que l'on devait s'abstenir le jour du Sabbat, mais seulement du péché et des actes serviles. Cependant ces sages prenaient de là un grand sujet de scandale; ils conspiraient contre Jésus et ils disaient : « Cet homme ne vient point de Dieu, car il n'observe pas le Sabbat.» Mais le Seigneur ne laissait pas pour cela de faire le bien; au contraire, il le faisait avec plus de zèle, afin de les tirer de leur erreur. Considérez-le donc en toutes ses actions, et, à son exemple , ne vous lassez pas d'accomplir le bien , quand même les autres en seraient scandalisés injustement. Le scandale du prochain ne doit point être un motif de renoncer à une bonne oeuvre nécessaire au salut de votre âme, ou même seulement utile à votre avancement spirituel. Mais selon l'exigence d'une parfaite charité, il faut vous abstenir, pour ne pas scandaliser votre frère, de ce qui vous rapporterait quelque avantage corporel. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux Romains : « Il est bon de ne point manger de viande, de ne point boire de vin et de ne rien faire en quoi votre frère puisse
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être blessé , ou scandalisé , ou souffrir quelque chose (1). »
(2) Nous lisons que, par deux fois, notre miséricordieux Seigneur a multiplié un petit nombre de pains, et qu'ainsi il rassasia. plusieurs milliers d'hommes. Pour vous, faites de ces deux miracles une seule méditation, et considérez les actions et les paroles du Seigneur en ces circonstances. Il dit d'abord : « J'ai compassion de cette grande multitude d'hommes; car il y a déjà trois jours qu'ils me suivent, et ils n'ont pas de quoi manger. Si je les renvoie à jeun, ils tomberont en défaillance le long du chemin; car plusieurs sont venus de loin. » Ensuite il multiplia les pains de telle sorte que tous eurent de quoi manger en abondance.
Il y a ici à considérer plusieurs choses excellentes et spécialement combien le Seigneur était miséricordieux, bienveillant, reconnaissant, discret et plein de
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prudence. Remarquez donc d'abord combien il était miséricordieux; car c'est la miséricorde qui l'a poussé à venir au secours de ces hommes, et voilà pourquoi il dit : J'ai compassion de cette grande multitude. Aussi la terre entière est pleine de sa miséricorde (1).
En second lieu, il était bienveillant et reconnaissant, et il en assigne la raison : « Voilà trois jours, dit-il, quils me suivent. » Voyez sa bienveillance et sa grande et admirable gratitude. Il parle comme s'il avait reçu d'eux un bienfait, lorsque véritablement, dans cette manière d'agir de ces hommes , se trouvait leur bien et non le sien. Mais il en est ainsi selon qu'il le dit ailleurs : « Ses délices sont d'être avec les enfants des hommes (2), » bien qu'il n'en retire aucun profit personnel, et que ce soit pour nous une source de salut. Le Seigneur aime ceux qui le suivent et qui gardent ses commandements et ses conseils; il ne tient pas sa main fermée pour eux, mais il leur vient en aide selon que leurs besoins l'exigent.
En troisième lieu, il fut discret et prudent, car il considérait leur misère, leur impuissance à trouver quelque secours ; il voyait qu'ils pouvaient défaillir et que quelques-uns d'entre eux étaient venus de loin.
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Remarquez combien douces et suaves sont ses paroles. Ainsi nous arrive-t-il tous les jours spirituellement. Nous n'avons pas de quoi manger, si lui-même ne nous le donne ; s'il nous renvoie à jeun, nous tombons en défaillance le long du chemin, et sans lui il n'est pas en notre pouvoir de faire quelque provision pour aucune de nos affaires spirituelles. Ne pre-
nons donc pas sujet de nous élever lorsque nous recevons quelque consolation de la main du Seigneur, ou lorsque nous reconnaissons que nous avons fait , quelque progrès dans la vie spirituelle ; car ce n'est pas à nous, mais au Sauveur, que nous en sommes redevables. C'est pourquoi, si nous y faisons bien attention, nous verrons que plus ceux qui servent Dieu sont parfaits, proches de lui et riches en dons de toutes sortes, plus ils sont humbles ; car ils ne s'attribuent à eux-mêmes que leurs péchés et leurs défauts. En effet, plus quelqu'un s'approche de Dieu, plus il est pénétré intimement de sa lumière ; par elle, il découvre plus clairement sa magnificence et sa miséricorde, et ainsi l'orgueil et la vaine gloire, qui procèdent de l'aveuglement de l'ignorance, ne peuvent trouver place en son coeur : l'homme qui connaîtrait bien Dieu, ou qui se connaîtrait bien soi-même, ne pourrait jamais s'enorgueillir. La voie aussi est bien longue par laquelle nous venons à Dieu (je parle de moi et de ceux
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qui me ressemblent) ; car, en commettant le péché, nous nous sommes en allés dans une région fort éloignée de lui. Lors donc que nous revenons à lui, c'est avec raison qu'il est dit que nous avons parcouru un long chemin.
Après avoir parlé, Jésus-Christ met à exécution ses desseins. Considérez donc comment , prenant ces pains et rendant grâce à son Père, il les donna à ses Disciples, afin qu'ils les servissent à la foule, et comment il les multiplia en telle abondance que tous en mangèrent selon leur désir, et qu'il en resta de nombreux morceaux. Voyez aussi comment il les regarde manger et jouit de leur bonheur. Fixez également votre attention sur ces hommes ; ils sont dans l'étonnement d'un tel miracle ; ils sont heureux de s'entretenir mutuellement; ils mangent avec actions de grâces, appliqués non-seulement à satisfaire la faim de leur corps, mais encore, quelques-uns du moins, à puiser dans cette nourriture la réfection de leur âme. Mais la Vierge, notre Souveraine, ne se trouva-t-elle pas là, ne s'empressa-t-elle pas d'offrir aussi de ces pains aux femmes, et ne prit-elle point sa part de la joie que leur causait ce miracle? L'Écriture n'en dit rien ; pour vous, vous pouvez, dans cette méditation,vous le figurer, selon que le Seigneur vous l'inspirera.
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(1) Après que le Seigneur eut nourri cette grande foule d'hommes, ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre précédent, ceux-ci voulurent le faire roi. Ils considéraient qu'il pourrait subvenir à leurs besoins, et il leur semblait impossible, sous un tel roi, de jamais manquer de rien. Mais Jésus, connaissant leur dessein, s'éloigna d'eux et s'enfuit sur la montagne, de sorte qu'ils ne surent plus ce qu'il était devenu et qu'ils ne purent le trouver. Le Seigneur ne voulut donc point recevoir d'honneurs temporels, et voyez combien sincèrement et sans arrière-pensée, il s'y déroba en cette occasion. Il envoya ses Disciples par mer, et, pour lui, il se retira sur la montagne, afin que si on le cherchait encore parmi ses Disciples, on ne pût l'y rencontrer. Or, ses Disciples ne voulaient point se séparer de lui, et il fallut qu'il les forçât de monter sur une barque et de traverser la mer. C'était un
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bon désir que celui qu'ils avaient de rester toujours avec leur Maître; mais il en avait ordonné autrement.
Considérez-les donc comment ils s'éloignent de lui à contre-coeur, et comment le Seigneur les y contraint, leur montrant que telle était sa volonté absolue, qu'ils s'en allassent sur une barque et sans lui, et comment ils lui obéissent avec humilité, quelque dur et pénible que cela leur parût. Ainsi tous les jours agit-il avec nous spirituellement. Nous voudrions qu'en aucun temps il ne se séparât de nous ; mais il se conduit autrement avec notre âme ; il s'en va et il revient selon sa volonté; mais toujours pour notre bien. Aussi je veux vous faire connaître ce que dit saint Bernard sur cette manière d'agir du Seigneur en nous. Voici ses paroles : « Lorsque l'Époux a été cherché au prix de longues veilles, de supplications et d'une pluie abondante de larmes, tout-à-coup, alors qu'on croit le tenir en sa possession, il s'échappe et ensuite il « se présente de nouveau à la rencontre de celui qui pleure et court à sa poursuite. Il se laisse saisir, mais il ne souffre point du tout qu'on le retienne; car il s'enfuit aussitôt et semble s'envoler des mains de celui qui le possède. Cependant si l'âme dévote
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persiste dans ses prières et ses gémissements, il reviendra encore et il ne permettra pas qu'elle soit frustrée dans les désirs qu'elle lui exprime; puis il disparaîtra bientôt et on ne le verra plus, à moins qu'on ne le cherche de nouveau de toute l'ardeur de ses désirs. Ainsi, pendant que nous habitons ce corps, nous pouvons jouir fréquemment de la présente de l'Époux; mais nous ne pouvons nous en rassasier, et si sa visite nous pénètre de joie, cette vicissitude nous est un tourment. Il est nécessaire que l'Épouse bien-aimée soit toujours soumise à cette peine, jusqu'à ce qu'une bonne fois, ayant déposé le poids de son fardeau corporel, elle prenne son vol, et que, appuyée sur l'aile de ses désirs, elle dirige librement sa marche à travers les champs de la contemplation et suive, avec une volonté exempte de tout soin, son Bien-aimé partout où il ira. Cependant, il n'en sera point ainsi pour toute âme, même en passant, mais seulement pour
celle qu'une grande dévotion, un désir enflammé, une affection pleine de douceur , déclarent une épouse véritable et proclament digne d'être honorée de la visite du Verbe entouré de tout son éclat et revêtu de la forme d'un époux. » Et ailleurs le même saint ajoute (1) : « Peut-être s'est-il retiré afin
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qu'on le rappelle avec plus d'ardeur, afin qu'on le retienne plus fortement. En effet, quelquefois il feignait d'aller beaucoup plus loin, non que telle fût sa volonté, mais parce qu'il désirait s'entendre dire : «Demeurez avec nous, car il se fait tard (1). Cette pieuse feinte ou plutôt cette condescendance salutaire dont le Verbe donnait corporellement des exemples, il ne cesse pas de s'en servir spirituellement et d'une manière qui lui est spéciale vis-à-vis de l'âme qui lui est dévouée. Il veut être
arrêté lorsqu'il passe; il veut qu'on le rappelle lorsqu'il s'en va. Or, qu'il s'en aille, c'est une économie de ses desseins; qu'il revienne, c'est toujours un acte de sa pure volonté. L'une et l'autre manière d'agir sont toujours pleines d'un jugement secret, et le motif en est connu de lui seul. Maintenant, il est donc bien certain qu'il se passe dans l'âme de telles vicissitudes, que le Verbe s'en va et qu'il revient, selon qu'il le dit (1): « Je m'en vais et je reviens vers vous. Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me reverrez. » O temps de peu de durée et de longue durée! O temps si court et si long ! Bon Seigneur, vous appelez court un temps
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où nous ne jouissons pas de votre présence ! Sauf le respect que je dois à la parole de mon Dieu, ce temps est long, il est d'une longueur démesurée. Cependant, ces deux choses sont vraies : ce temps est court, si l'on considère nos mérites; il est long, si on le met en rapport avec nos désirs. Le Prophète nous exprime ces deux choses : « S'il se fait attendre, dit-il, prenez patience, car il viendra sûrement et il ne tardera pas (1). » Comment donc ne tardera-t-il pas, s'il se fait attendre, si ce n'est que ce qui est suffisant pour le mérite, ne l'est point pour satisfaire nos désirs (2)? Or, l'âme qui aime à se laisser emporter par ses voeux et entraîner par ses désirs, ne considère point ses mérites; elle ferme ses yeux à la Majesté, elle les ouvre au bonheur, elle place son espérance en celui qui est son salut, et elle agit en toute confiance avec lui. Enfin, pleine d'ardeur et sans considération aucune, elle rappelle le Verbe et lui redemande sans défiance ses délices, le nommant avec sa liberté accoutumée, non son Seigneur, mais son Bien-aimé, et lui criant : Revenez, mon Bien-aimé (2). Le Seigneur ne cesse point de faire sentir ces alternatives à ceux qui sont spirituels, ou plutôt à ceux qu'il se
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propose de rendre spirituels ; il les invite dès le matin, et il les éprouve aussitôt. » Ainsi s'exprime saint Bernard.
Vous voyez donc de quelle manière le Seigneur visite l'âme spirituellement, comment il s'éloigne d'elle et ce qu'elle doit faire alors. Il lui faut le rappeler avec sollicitude et avec instance, et cependant supporter avec patience cet éloignement de l'Époux, se soumettre à la tempête, à l'exemple des Disciples qui lui obéissent en entrant sans lui dans la barque, et attendre sa délivrance du secours qu'il voudra bien nous apporter. Mais revenons à la personne même du Seigneur.
Ses Disciples s'étant embarqués, il se retira sur la montagne, et ainsi il échappa à ceux qui le cherchaient. Vous voyez avec quel soin, quelle précaution, il se cache et décline l'honneur de régner. Il nous a donné l'exemple, afin que nous y conformassions notre conduite. Ce n'est pas pour lui, mais à cause de nous qu'il a pris la fuite ; car il connaissait quelle témérité c'est pour nous d'aspirer aux honneurs. L'honneur est, en effet, un des piéges les plus redoutables à la liberté de notre âme, un des fardeaux les plus onéreux et les plus propres à hâter sa ruine que je connaisse, que cet honneur soit un honneur de puissance et de commandement, ou un honneur de science. Il
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est bien difficile que celui qui met sa félicité dans les honneurs, ne soit en péril et sur le bord d'un précipice, ou, ce qui est pire encore, qu'il ne soit déjà tombé dans l'abîme ; et je vous le montrerai par plusieurs raisons:
La première, c'est que l'âme, trouvant dans ces honneurs une joie plus grande qu'elle ne devrait, n'a plus de sollicitude que pour les conserver et les augmenter. Or, selon saint Grégoire, plus un coeur cherche son bonheur dans ce qui est au-dessous de lui, plus il s'éloigne de l'amour céleste (1).
La seconde, c'est que celui qui en est là, s'applique à avoir des amis qui l'imitent et participent à ses goûts, afin que, par leur entremise et leur aide, il affermisse et accroisse les honneurs dont il est en possession; c'est pourquoi bien des circonstances se rencontrent, dans lesquelles, par complaisance pour ces sortes d'amis et pour obtenir leur concours, il agit contre Dieu et sa propre conscience.
La troisième raison, c'est qu'il éprouve de la jalousie pour ceux qui possèdent ces honneurs, il en médit, pensant qu'il sera plus honoré à mesure qu'ils le seront moins, et ainsi il tombe dans la haine et l'envie.
La quatrième raison, c'est qu'il se juge et désire que
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les autres le jugent digne d'honneurs, et ainsi il se rend coupable de vanité et d'orgueil. Selon l'Apôtre : « Celui qui croit être quelque chose, alors qu'il n'est rien, est à soi-même son propre séducteur . » Aussi le Seigneur, dans son Évangile, a-t-il dit : « Lorsque vous aurez fait tout ce que vous devez faire, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles (2).» Mais quand donc celui qui veut être honoré parle-t-il de la sorte ?
La cinquième raison, c'est qu'il ne marche pas selon l'esprit, mais selon la chair; car il n'a point une âme recueillie et élevée vers les choses célestes, mais une âme dissipée et répandue sur une infinité d'objets.
La sixième et dernière raison, c'est que dès lors qu'il commence à prendre son contentement dans les honneurs, il y trouve tant d'attraits qu'il ne peut s'en rassasier, qu'il en cherche tous les jours de nouveaux et de plus grands, et que plus il en obtient, plus ses désirs se multiplient ; car il se croit chaque jour, à ses yeux et aux yeux des autres, plus honorable et plus digne de grandeurs, et ainsi il se précipite dans l'ambition, qui est un vice très-mauvais, la source et la cause d'une foule d'autres vices.
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Écoutez non plus mes paroles, mais ce que dit saint Bernard d'une semblable perversité : « L'ambition, s'écrie-t-il, est un mal subtil, un poison secret, une peste cachée. Elle est une artisanne de fourberie, la
mère de l'hypocrisie, la génératrice de l'envie. En elle vous trouvez la source des vices, le foyer des crimes, la rouille des vertus, la corruption de la sainteté, l'aveuglement des coeurs. D'un remède, elle engendre une maladie; d'une médecine salutaire, elle fait naître une infirmité. Et ceux que cette peste a tristement supplantés, ceux qu'elle fait tomber honteusement, sont en si grand nombre, que les hommes qui sont étrangers jusqu'ici à un tel fléau, doivent trembler en voyant les ruines imprévues qui les environnent. Mais quelle est la nourriture de ce ver rongeur, sinon la dissipation de l'esprit, l'oubli de toute vérité ? Qui recherchera ce traître pour le traduire au grand jour? Qui convaincra de crient cet ouvrier de ténèbres, si ce n'est la vérité ? Et cette vérité, voici son langage (2) : « Que sert à l'homme de gagner le monde entier, s'il
se perd soi-même et s'il est cause de sa ruine (3) ? Les puissants seront tourmentés puissamment. » C'est cette vérité qui rappelle à l'âme avec
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un empresseraient si tendre, combien frivole est la consolation offerte par l'ambition, combien sévère en sera le jugement, de combien de peu de durée en est l'usage, combien cachée et inconnue en est la fin. C'est pour nous instruire de tout cela quo la troisième tentation du Seigneur eut pour objet l'ambition, quand le démon lui promit tous les royaumes du monde si, se prosternant, il voulait l'adorer; et ainsi vous voyez que la voie de l'ambition, c'est l'adoration du démon ; c'est par ce moyen qu'il promet à ses adorateurs de les faire parvenir aux honneurs et à la gloire de ce monde. »
Ailleurs, le même saint s'exprime ainsi : « Nous sommes tous désireux de nous élever, et nous soupirons après ce qui peut nous exalter. C'est que « nous sommes de nobles créatures, et que notre âme est quelque chose de grand, et ainsi nous avons un désir naturel de la grandeur. Mais malheur à nous si nous nous efforçons de suivre celui qui a dit (2) : Je m'assiérai sur la montagne du Testament, du côté de l'Aquilon. Hélas, malheureux! tu veux t'asseoir du côté de l'Aquilon ; cette montagne est glacée, nous ne t'y suivrons pas; car tu n'es possédé que d'un désir insatiable du pouvoir ; tu
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n'ambitionnes que l'éclat de la puissance. Combien cependant, jusqu'à ce jour, suivent tes traces souillées et honteuses ! ou plutôt combien peu ont
pu se soustraire à la passion de régner sur les autres ! Quelles traces suivez-vous, malheureux? Quel guide avez-vous pris? N'est-ce pas là cette montagne sur laquelle l'Ange s'est élevé, et sur laquelle il est devenu un démon ? Remarquez-le bien : après sa chute, cet esprit pervers, dévoré d'envie, malicieusement préoccupé du désir de supplanter l'homme, lui montra une autre montagne semblable à celle sur laquelle il voulut s'élever. Vous serez, dit-il à nos premiers parents , vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal (1). Cette ambition de la puissance a privé l'Ange de la félicité céleste ; cette passion désordonnée de la science a privé l'homme de la gloire de l'immortalité. Que quelqu'un s'efforce de s'élever sur la montagne du pouvoir, combien, pensez-vous , trouvera-t-il de contradicteurs, combien d'opposants , combien d'obstacles, combien la voie lui sera-t-elle difficile? Et s'il lui arrive d'entrer en possession de ce qui fait l'objet de ses désirs, voici l'Écriture qui lui dit : Les puissants seront tourmentés puissamment (2).
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C'est pourquoi je me soustrairai aux sollicitudes de la vie présente et aux anxiétés que la puissance entraîne après soi. En autre est désireux de la science qui enfle : combien il devra travailler! combien son esprit sera en proie aux inquiétudes! Et cependant il s'entendra dire : « Quand tu devrais en mourir, tu n'arriveras pas à l'objet de tes voeux. » Son il se voilera d'amertume toutes les fois qu'il verra quelqu'un supérieur à lui, ou qu'il croira être jugé ainsi par le monde. Enfin, qu'arrivera-t-il lorsqu'il se sera ainsi gonflé d'orgueil? « Je perdrai, dit le Seigneur, la sagesse des sages, et je réprouverai la prudence des prudents (1).» Et pour ne pas m'étendre plus longuement, vous avez compris, je crois, avec quel soin nous devons fuir ces deux montagnes, si la ruine de l'Ange, si la chute de l'homme nous ont inspiré quelque crainte. Montagnes de Gelboé, que la rosée et la pluie du ciel ne descendent point sur vous (2) ! Cependant que faisons-nous ? Il ne nous est pas avantageux de nous élever, mais la concupiscence nous y contraint. Qui nous enseignera donc un sentie
salutaire que nous puissions gravir? Qui, si ce n'est celui dont nous lisons qu'il est monté, il est vrai,
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mais qu'il a commencé d'aborder descendre (1). C'est lui qui nous montrera la voie par laquelle nous devrons nous élever; c'est lui qui nous empêchera de suivre les traces ou les conseils d'un guide ou plutôt d'un séducteur inique. Comme il n'y avait personne qui pût monter, le Très-Haut est descendu, et, en descendant jusqu'à nous, il a consacré une
élévation où se trouve le salut, et que nous pouvons atteindre avec suavité. Il est descendu de la montagne de la puissance et il s'est revêtu de l'infirmité de notre chair; il est descendu de la montagne de la science, car il a plu à Dieu de sauver ceux qui croiraient par la folie de la prédication (2). Que trouvez-vous, en effet, de plus faible que ce tendre corps et ces membres enfantins? Qui peut apparaître plus ignorant qu'un petit enfant qui ne connaît que le sein de sa mère ? Qui a moins de puissance que celui dont les membres sont cloués à une croix et dont les ossements peuvent être comptés? Qui semblera jamais plus insensé que celui qui a livré sa vie aux coups de la mort, et a payé une dette qu'il n'avait point contractée?
« Voyez-vous combien celui qui était descendu si
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profondément, s'est anéanti dans sa puissance ; combien il s'est anéanti dans sa sagesse? Mais il ne pouvait en même temps s'élever plus haut sur la montagne de la bonté; il ne pouvait donner une expression plus éclatante de sa charité ; et ainsi il n'est pas étonnant qu'en s'abaissant, Jésus-Christ se soit élevé, tandis que l'Ange et l'homme, en s'élevant, sont tombés.
« (1) C'est pourquoi, mes bien-aimés, persévérez dans la règle que vous vous êtes imposée d'arriver à vous élever par l'humilité : c'est là la voie, et en dehors de cette voie, il n'en est point d'autre. Celui qui ne la suit point, tombe au lieu de monter; car c'est l'humilité seule qui élève et exalte, elle seule qui conduit à la vie... O perversité, ô ambition des enfants d'Adam ! alors qu'il est si difficile de monter, si facile, au contraire, de descendre, ils montent sans aucune peine et ils ne descendent que très-difficilement. Ils sont toujours prêts à recevoir des honneurs, prêts à entrer en possession des dignités de l'Église, dignités redoutables aux Anges mêmes. Mais s'agit-il de vous suivre, ô Seigneur Jésus, c'est à peine si l'on en trouve un seul qui veuille se laisser entraîner, qui consente à être conduit
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par la voie de vos commandements. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc, par tout ce qui vient d'être dit, quel moyen vous fera arriver au véritable honneur : ce moyen, c'est l'humilité. Vous voyez comment vous devez fuir le faux honneur, l'honneur temporel. Mais peut-être quelques ambitieux de la science et de gloire se flattent-ils sous le prétexte de l'avantage des âmes, comme s'il leur était donné par là de s'appliquer plus utilement au salut du prochain. Écoutez ce que leur répond saint Bernard (1) : « Plût à Dieu, dit-il, que celui qui est entré de la sorte, servît aussi fidèlement, s'il était possible, qu'il a montré de confiance à s'introduire dans le ministère. Mais il est bien difficile, il est impossible même que de la racine amère de l'ambition puisse sortir le fruit
suave de la charité. » Ainsi parle ce saint.
Or, pour avoir des honneurs le mépris qui convient, il est nécessaire que vous possédiez à un degré bien élevé cette excellente vertu d'humilité ; car, selon saint Chrysostome, se bien servir des honneurs, c'est comme si quelqu'un , conversant avec une vierge d'une grande beauté, s'était imposé la loi de ne jamais abaisser sur elle un regard impudique. Aussi
faut-il, sans aucun doute , une âme vraiment forte pour se conduire dans l'usage du pouvoir ou des honneurs qui nous sont accordés, d'une manière irréprochable.
(1) Comme vous l'avez vu dans le chapitre précédent, le Seigneur Jésus força ses Disciples à monter sur une barque, et il se retira ensuite sur la montagne. Achevons donc de dire ce que le Seigneur fit après le miracle, car tout cela s'unit naturellement, et ce que nous racontons en ces chapitres s'est passé en même temps. J'ai différé cependant d'en parler, mais c'était afin que vous pussiez mieux saisir, et afin de vous expliquer plus clairement les enseignements qui y sont contenus.
Lors donc que les Disciples furent montés sur leur barque, le Seigneur se retira sur la montagne, et là il
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se mit en oraison jusqu'à la quatrième veille de la nuit, c'est-à-dire qu'il passa en prières les trois premières parties de cette nuit. Vous voyez par là que le Seigneur avait coutume de consacrer la nuit à la prière, et on lit en plusieurs endroits qu'il s'appliquait à prier. Regardez-le donc comment il prie et comment il s'humilie devant son Père. Il cherche les endroits solitaires ; il y va seul; il se mortifie et veille pendant un temps considérable. Le Pasteur fidèle intercède pour ses brebis ; car ce n'est pas pour lui, mais pour nous qu'il prie, comme étant notre médiateur et notre avocat auprès de son Père (1). Il prie aussi, afin de nous donner l'exemple de prier souvent; car il a souvent averti ses Disciples sur ce point, et re-commandé par ses actions ce qu'il enseignait par ses paroles; il leur a montra, comment la persévérance dans la prière obtient ce qu'elle demande, en leur proposant l'exemple du juge et de la veuve (2), comme vous pouvez le voir dans saint Luc; il leur inspirait aussi la confiance d'obtenir ce qu'ils demandaient, en leur disant : Demandez, il vous sera donné (3). A cela se rapporte encore un autre exemple qu'il propose d'un ami qui, cédant à l'importunité de son ami, lui prête les pains dont il avait besoin, comme on le voit également
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dans saint Luc (1). Or, il donnait tous ces enseignements pour nous faire connaître la vertu de l'oraison.
Cette vertu est, en effet, inestimable; elle est efficace à nous obtenir tout ce qui peut nous être avantageux, et éloigner de nous tout ce qui peut nous nuire. Voulez-vous supporter patiemment l'adversité? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous surmonter les tentations et les tribulations? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous fouler aux pieds les affections perverses ? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous connaître les ruses de Satan et éviter ses pièges? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous faire avec joie l'oeuvre de Dieu, parcourir avec bonheur la voie. du travail et de l'affliction? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous vous exercer à la vie spirituelle, et ne faire aucun cas de la chair en ses désirs? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous mettre en fuite les vains fantômes de votre imagination? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous engraisser votre âme de bonnes pensées, de saints devoirs, de pieuses ardeurs, de dévotion? Soyez un homme d'oraison. Voulez-vous établir votre coeur dans une position forte, dans une résolution constante de se soumettre au bon
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plaisir de Dieu ? Soyez un homme d'oraison. Enfin, voulez-vous extirper les vices, vous remplir de vertus? Soyez un homme d'oraison. Car c'est par elle que l'on reçoit l'onction de l'Esprit-Saint, onction qui instruit l'âme de tout ce qu'elle doit savoir. Enfin, si vous voulez vous élever jusqu'à la contemplation et jouir des embrassements de l'Époux, soyez un homme d'oraison : c'est en s'y exerçant qu'on arrive à contempler et à goûter les choses célestes.
Vous voyez combien grande est la puissance, la vertu de l'oraison. Je pourrais apporter en preuve de ce que je viens d'avancer, les saintes Écritures; mais qu'il vous suffise, comme d'une preuve efficace, de tout ce que nous apprenons et voyons chaque jour en des personnes simples et illettrées, qui sont entrées eu possession de tous les biens que je viens d'énumérer, et de plus grands encore, par cette vertu de l'oraison. Tous ceux qui désirent imiter Jésus-Christ, doivent donc s'adonner de toute leur âme à l'oraison, et surtout les religieux, qui ont une plus grande facilité de s'y appliquer. C'est pourquoi je vous exhorte, et, autant que je le puis , je vous enjoins rigoureusement de la prendre pour votre exercice principal , et de ne trouver , après les soins nécessaires à la vie, de bonheur en rien autre chose qu'en l'oraison; car rien ne doit vous rendre heureuse
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comme de demeurer avec le Seigneur, et c'est par l'oraison que s'établit cette demeure. Mais, afin que vous puissiez jouir des avis d'un meilleur conseiller, écoutez les paroles pleines de douceur que saint Bernard a répandues sur ce sujet : Ceux qui s'exercent fréquemment à l'oraison,
dit-il, ont fait l'épreuve de ce que j'avance. Souvent nous nous approchons de l'autel avec un coeur tiède et aride ; nous nous appliquons à l'oraison, nous y persévérons, la grâce nous pénètre tout-à-coup, notre âme se trouve dans l'abondance, un fleuve de douceur se répand jusque dans nos entrailles, et si quelqu'un désire exprimer le lait de la suavité qu'il renferme en soi, il ne tardera pas à le voir couler avec abondance, comme une source inépuisable.
Le même saint, dans un discours pour le commencement du carême (2) : « Toutes les fois, dit-il, que je parle de l'oraison, il me semble entendre en mon coeur comme certaines paroles de la pensée humaine me dire : d'où vient que, ne cessant jamais de prier, c'est à peine s'il s'en rencontre parmi vous quelques-uns qui aient expérimenté quel est le fruit de la prière? Nous paraissons revenir de loraison comme nous nous en sommes approchés :
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personne ne nous répond un mot; personne ne nous offre aucun don. Mais suivez le jugement de la foi et non votre sentiment propre : ce jugement est conforme à la vérité, et votre sentiment est trompeur. Or, quelle vérité nous enseigne donc la foi, sinon que le Fils de Dieu s'est engagé par promesse, lorsqu'il nous a dit (1): Tout ce que vous demanderez dans vos prières, croyez que vous l'obtiendrez, et cela vous sera accordé? Que personne d'entre vous, mes frères, n'ait de mépris pour l'oraison. Je vous le dis, parce que celui à qui nous nous adressons dans notre prière en fait un grand cas. Avant qu'elle soit sortie de notre bouche, il ordonne de l'inscrire dans son livre ; et nous pouvons , sans aucun doute, espérer une de ces deux choses : ou il nous donnera ce que nous lui demandons, ou ce
qu'il sait nous être plus utile. Nous ne savons pas, nous autres, demander ce qui nous convient; mais le Seigneur a compassion de notre ignorance, et, recevant notre prière avec bénignité,il ne nous accorde point ce qu'il sait ne nous être d'aucun avantage, ou ce dont le besoin ne se fait pas sentir présentement. Cependant notre oraison n'est point, pour cela infructueuse, surtout si nous sommes fidèles à accomplir
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ce que le prophète nous enseigne, si nous nous réjouissons dans le Seigneur; car c'est ainsi que parle le saint roi David : « Réjouissez-vous
dans le Seigneur, et il vous accordera les demandes de votre coeur (1). » Mais remarquez-bien qu'il appelle les demandes du coeur, celles que le jugement de la raison approuve. Ainsi, vous n'avez pas lieu de vous plaindre ; mais, au contraire, de vous répandre de toute votre âme en actions de grâces. En effet, le soin que le Seigneur prend de vous est si grand, que toutes les fois que vous lui demandez quelque chose d'inutile, il vous le refuse et le remplace par un don plus excellent. De même, un père selon la chair donne volontiers du pain à son enfant lorsqu'il lui en fait la demande ; mais s'il désire un couteau qu'il ne juge pas lui être
nécessaire, il se montre opposé à ses désirs et préfère lui-même lui rompre le pain qu'il vient de lui donner.
« Or, croyez bien que les demandes de coeur consistent en trois choses, et je ne crois pas qu'un élu puisse rien demander en dehors. Les deux premières regardent le temps présent; elles embrassent. les biens du corps et, ceux de l'âme; la troisième
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a pour objet la béatitude éternelle. Ne vous étonnez pas si je vous dis que l'on doive demander à Dieu les biens corporels; car tous ces biens sont en sa puissance, comme les biens spirituels. C'est pourquoi il faut les lui demander avec un plein espoir qu'il nous arrivera de pouvoir trouver notre nourriture en le servant. Cependant il faut prier pour les besoins de l'âme et plus fréquemment et avec plus de ferveur , c'est-à-dire, que nous devons demander et la grâce de Dieu et les vertus qui ornent nos âmes. Il nous faut prier aussi avec toute la piété et toute l'ardeur dont notre cur est capable, pour obtenir la vie éternelle; car c'est là que la béatitude du corps et de l'âme sera pleine et parfaite....
« Que pour les choses temporelles la prière se borne donc à ce qui est strictement nécessaire. Pour ce qui concerne les vertus de l'âme, que notre oraison soit libre de tout motif humain et qu'elle n'ait pour but que le bon plaisir de Dieu. Que celle qui regarde la vie éternelle, se fasse en toute humilité, ne présumant rien que de la divine miséricorde
»
« (1) Ce n'est pas seulement le lieu, mais encore le temps, que doit considérer celui qui veut prier. Le temps de fêtes semble plus facile et plus avantageux ;
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mais c'est surtout lorsque le silence de la nuit a tout plongé dans un sommeil profond que la prière s'épanche et plus libre et plus pure. Levez-vous durant la nuit, dit le prophète, louer le Seigneur au commencement de vos veilles, et répandez votre coeur comme de l'eau en présence de votre Dieu (1). Avec quelle sécurité s'élève la prière durant la nuit! Elle n'a pour témoins que Dieu et son Ange qui la reçoit pour l'offrir sur l'autel céleste. Comme elle est belle el brillante ! comme elle apparaît revêtue d'un doux éclat de modestie ! Comme elle est pleine de paix et de sérénité cette prière qu'aucun bruit, qu'aucune clameur ne vient troubler! Enfin , comme elle est pure et sincère , à cette heure où la poussière des sollicitudes terrestres ne saurait se reposer sur elle, où nul regard
approbateur ne peut la contempler, où l'adulation ne songe même pas à l'atteindre de son souffle! C'est pour cela que lÉpouse, avec non moins de modestie que de précaution, recherchait le secret de sa couche et da la nuit. Prier et marcher à la recherche du Verbe, c'est une seule et même chose. Vous ne priez pas bien, si dans vos prières vous cherchez autre chose que le Verbe, ou quelque
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chose qui ne se rapporte point à lui ; car c'est dans le Verbe que tout est renfermé. Là se trouve le remède à nos blessures, le soulagement de nos besoins, le retranchement de nos défauts, les forces pour avancer, enfin tout ce qu'il vous est avantageux de recevoir ou de posséder, tout ce qu'il vous convient d'avoir, tout ce qui vous est nécessaire. C'est donc sans raison que nous demandons autre chose que le Verbe, puisqu'il renferme tout. Si nous paraissons quelquefois agir trop familièrement, lorsque nous sommes forcés de demander ces biens terrestres, pourvu qu'en cela le Verbe soit le terme de notre demande, comme il le mérite bien , ce ne sont plus ces biens qui sont l'objet de nos voeux mais lui seul, puisque c'est à cause de lui que nous les demandons. » Tel est le langage de saint Bernard.
Vous avez entendu les magnifiques paroles d'un contemplatif très-élevé, vous avez entendu Bernard enivré des délices de la prière. Repassez en votre âme, si vous le pouvez, ce qu'il vient de vous dire, afin d'en savourer le parfum. Je cite et j'insère d'autant plus volontiers ses paroles en cet ouvrage, que non-seulement elles sont tout-à-fait spirituelles et propres à pénétrer le coeur, mais encore pleines de beautés et puissantes à entraîner au service de Dieu
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Bernard était l'homme le plus éloquent de son époque; il était rempli de l'esprit de sagesse et, tout brillant de sainteté. Je désire que vous marchiez sur ses traces, et si j'en parle aussi souvent, c'est afin que vous mettiez en pratique ses conseils et ses enseignements. Mais revenons au seigneur Jésus.
Pendant qu'il priait sur la montagne, ses Disciples étaient sur la mer en un grand travail et dans de profondes angoisses ; car le vent leur était contraire et la barque était agitée par la tempête et les flots. Considérez-les donc et témoignez-leur votre compassion, car ils sont dans la tribulation et la détresse la plus pénible : l'orage les a assaillis, il fait nuit, et le Seigneur n'est point avec eux. Mais à la quatrième veille de la nuit il descendit de la, montagne, et s'approcha de la barque en marchant sur la mer. Pour Dieu, considérez-le bien et voyez comment, fatigué par une telle veille et une oraison aussi prolongée, il descend sans être accompagné de personne, nu-pieds et au milieu de la nuit, de cette montagne dont. la pente est si rapide à parcourir et peut-être couverte de rochers ; voyez-le s'avancer d'un pas ferme sur les eaux comme sur la terre ferme. La créature reconnut donc son Créateur. Or, lorsqu'il approcha de la barque, ses Disciples, saisis d'effroi, poussèrent un cri, pensant que c'était un fantôme; mais le tendre Maître, ne voulant
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pas plus longtemps les tenir dans la peine, les rassura en disant : C'est moi, ne craignez point. Alors Pierre, tout plein de confiance en la puissance du Seigneur, commença, aussi lui, par son ordre à marcher sur les eaux ; mais ensuite, sa foi chancelant, il allait être submergé, lorsque la main de son maître le soutint et l'empêcha de couler à fond. La Glose, sur cet endroit, dit : « Il le fait marcher sur les flots, afin de manifester sa puissance divine ; il permet qu'il s'enfonce , afin qu'il n'oublie pas sa faiblesse, qu'il ne se juge pas égal à Dieu, et no prenne pas sujet de
s'enorgueillir. » Aussitôt que le Seigneur fut entré dans la barque, l'agitation de la mer cessa et tout rentra dans le calme. Pour les Disciples, ils le reçurent avec le respect le plus profond , éprouvèrent une grande joie de son retour, et demeurèrent dans une grande tranquillité. Considérez donc bien Jésus et ses Disciples en toutes choses, car il y a vraiment de quoi admirer et s'édifier. Vous pouvez, dans ce fait, méditer pour votre instruction que le Seigneur agit ainsi chaque jour vis-à-vis de nous, mais spirituellement. Il souffre et il permet quo ses élus soient en ce inonde dans l'affliction, tant en ce qui concerne l'homme intérieur quo l'homme extérieur, mais toujours en père qui châtie chacun des enfants qu'il affectionne. Pour ceux qui ne sont point sons sa verge, selon le langage
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de l'Apôtre, ils ne sont point des enfants, mais des fruits de l'adultère (1). Il nous est donc avantageux d'être dans la tribulation et l'affliction ici-bas : c'est par là que nous sommes instruits, que nous acquérons des vertus, que nous conservons celles que nous avons acquises, et, qui plus est, que nous attendons les biens futurs et les récompenses éternelles. Ainsi, loin de nous laisser abattre par ces traverses, loin de nous montrer impatients à les supporter, nous devons ambitionner et les chérir. Mais l'immense utilité des tribulations est inconnu au grand nombre, et c'est pourquoi elles semblent fâcheuses et intolérables. Afin de vous instruire de ce qui les concerne et de vous apprendre à les soutenir, je vous apporte, comme j'ai coutume de le faire, l'autorité de saint Bernard : « (2) Elle est avantageuse, dit-il, cette tribulation qui produit l'épreuve et qui conduit à la gloire. Je suis avec lui dans la tribulation, dit le Seigneur. Rendons donc grâces au Père des miséricordes, qui veut bien être avec nous dans la tribulation et nous consoler dans nos peines. Comme je vous l'ai dit, elle est nécessaire cette tribulation qui se convertit en gloire, qui se change en félicité ; et, sans aucun doute, elle sera longue, elle sera
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grande, elle sera pleine et entière cette félicité que personne ne pourra nous ravir. C'est une chose nécessaire que cette nécessité qui enfante la couronne. Loin de nous le dédain, mes frères ; la semence est bien faible, mais le fruit qui s'en élève est vraiment grand. Peut-être cette semence est-elle sans saveur, peut-être est-elle pleine d'amertume, c'est peut-être la graine du sénevé. En grâce, ne considérons pas ce qui frappe nos regards en elle, mais ce qu'elle renferme d'invisible. Car ce qui luit à nos yeux n'a qu'un temps, et ce que nous ne voyons pas est éternel Je suis avec lui dans la tribulation, dit le Seigneur; et moi, je ne veux plus chercher d'autre bonheur que la tribulation, car il m'est avantageux de m'attacher au Seigneur; et non-seulement cela, mais il m'est avantageux de placer mon espérance en mon Dieu (2) qui a dit : Je délivrerai et je comblerai de gloire celui avec qui je suis dans la tribulation. Mes délices, nous dit-il encore, sont d'être avec les enfants des hommes (3). Il est descendu, afin d'être proche de ceux dont le coeur est en proie au chagrin, afin d'être avec nous lorsque la tribulation nous assiège, et il y sera encore lorsque nous serons
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enlevés dans les nuées, à travers les airs, pour être conduits au-devant de Jésus-Christ. Ainsi, nous serons toujours avec le Seigneur, si toutefois nous mettons tout notre soin à le conserver en tout temps avec nous. Il m'est plus avantageux, Seigneur, d'être dans la tribulation, pourvu que vous soyez avec moi, que de régner sans vous, que d'être dans l'abondance loin de vous, que d'être glorifié sans vous posséder. La fournaise éprouve les vases d'argile, et le feu de la tribulation , les justes. Qu'avons-nous à redouter? Pourquoi ces retards? Pourquoi nous soustraire à cette fournaise? Le feu sévit, il est vrai, mais le Seigneur est avec nous dans la tribulation. Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous? Si c'est lui qui nous délivre, qui pourra nous arracher de sa main ? Enfin, si c'est lui qui nous glorifie, qui pourra nous plonger dans l'humiliation ?
« (1) Non-seulement nous conservons l'espérance, mais nous plaçons notre gloire dans l'humiliation. Je me glorifierai volontiers dans mes infirmités, dit l'Apôtre, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi (2). Désirable infirmité, qui se trouve suppléée par la vertu de Jésus-Christ ! Qui me donnera,
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non-seulement d'être infirme, mais d'être dépouillé, de défaillir de moi-même, afin d'être affermi par la vertu du Seigneur des vertus ; car c'est
dans l'infirmité que la vertu devient parfaite? Enfin, ajoute l'Apôtre : Quand je suis faible, c'est alors que je me sens plus fort et que je suis puissant (1).
« (2) Aussi, lÉpouse n'appelle pas son Bien-aimé un faisceau, mais un petit faisceau ; car l'amour lui rend léger tout ce qu'elle entrevoit de fatigues et d'angoisses. C'est vraiment un petit faisceau, car les souffrances de cette vie ne sont pas clignes d'entrer en comparaison avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous (3) ; et le moment si court et si léger des tribulations du temps présent, opère en nous le poids éternel d'une gloire souveraine et incomparable (4). Ce qui n'est maintenant qu'un petit faisceau de myrrhe, sera donc un jour pour nous le comble d'une glorification immense. Mais déjà n'est-ce pas un faisceau bien faible que celui dont le joug est doux et le fardeau léger ? Non qu'il soit léger en lui-même, ce fardeau, car la violence de la passion n'est point légère, non plus que l'amertume de la mort; mais il est léger pour celui qui aime. »
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Le même saint s'exprime ainsi sur le verset 6 du psaume 90 : « S'il nous est ;permis d'arrêter nos regards sur le grand corps de l'Église, nous remarquerons assez aisément que les hommes spirituels de ce corps sont attaqués avec beaucoup plus de violence que les hommes charnels. C'est la malice superbe et toujours envieuse de notre ennemi qui agit de la sorte, et le fait se prendre avec plus de véhémence à ceux qui sont parfaits, selon cette parole de l'Écriture : « Sa nourriture est une
nourriture choisie (1). » Il agit ainsi, dis-je, et ce n'est pas sans une disposition particulière des desseins de Dieu, qui ne permet pas que les imparfaits soient tentés au-dessus de leurs forces, et qui leur fait tirer avantage de la tentation , tandis qu'il prépare à ceux qui sont plus parfaits des triomphes, non-seulement plus glorieux, mais encore plus nombreux sur l'ennemi... Notre adversaire s'applique avec une sollicitude beaucoup plus grande et des ruses plus multipliées à nous blesser, tant à droite
qu'à gauche, et il ne s'inquiète pas tant de nous ravir les biens du corps que ceux du coeur.
« C'est là qu'il faut résister avec le plus de soin, où la nécessité paraît plus pressante, où le fort du
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combat se fait sentir, où le gain de la bataille réside tout entier. Aussi est-ce là que se prépare notre sort : une captivité ignominieuse, si nous sommes vaincus, une gloire triomphante, si nous remportons la victoire... C'est de ce côté que se trouve la grâce et la miséricorde du Seigneur envers ses serviteurs; c'est de ce côté que son regard s'abaisse sur ses
a élus; et, tandis qu'il paraît indifférent à ce qui se passe à leur gauche, il se montre un protecteur empressé de leur droite. C'est pourquoi le prophète parle ainsi de soi-même : J'avais toujours le Seigneur en ma présence, car il se tenait à ma droite pour que je ne fusse pas ébranlé (1)... Plaise a à Dieu, ô bon Jésus ! que vous soyez en tout temps
tellement à ma droite que vous me teniez sans cesse par la main, car je sais et je suis assuré qu'aucune adversité ne saurait me nuire, si nulle iniquité ne domine en mon coeur. Que ma gauche soit a dépouillée, qu'elle soit meurtrie, qu'elle soit abreuvée d'injures et saturée d'opprobres, je l'expose à tout cela sans regret, puisque je suis gardé par a vous , puisque votre protection met ma droite à couvert.
« (2) Autre chose est d'être conduit en son esprit par
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la force ; autre chose d'être gouverné par la sagesse; autre chose de dominer par la force; autre chose de s'enivrer de suavité; car bien que la sagesse soit puissante et la force suave, cependant, pour rendre à chaque mot sa signification propre, la vigueur a s'attache à l'idée de force, et la tranquillité de l'âme,accompagnée d'une certaine douceur spirituelle, à
celle de sagesse. C'est ce qu'a voulu désigner l'Apôtre, je crois, lorsqu'après des exhortations multipliées qui ont rapport à la force, il ajoute que la a sagesse se trouve dans la suavité qui réside en l'Esprit-Saint. Ainsi, résister, repousser la violence par a la violence, ce qui doit se ranger dans les attributions de la force, c'est assurément un honneur, a mais c'est aussi un travail; car ce n'est pas la même chose de défendre votre honneur avec fatigue, que de le posséder en repos; ce n'est pas la même chose d'être conduit par la force, que de jouir de la force. Tout ce que la force enfante, la sagesse en a la jouissance ; tout ce que la sagesse ordonne, résoud et conduit, c'est la force qui l'exécute. Traitez de la sagesse au sein du repos, dit le sage (1). Le repos de la sagesse est donc son travail, et plus ce repos est profond, plus sou action est active en son genre.
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La force, au contraire, est d'autant plus brillante qu'elle est plus exercée, d'autant plus digne de louanges qu'elle se montre plus empressée à agir.
Si quelqu'un définit la sagesse, l'amour de la vérité, il ne me semblera pas s'éloigner de la réalité. Or, où il y a amour, il n'y a pas travail, mais jouissance, et peut-être le mot de sagesse tire-t-il son origine de celui de saveur, parce qu'elle se joint à la vertu comme un assaisonnement qui rend suave ce qui de soi était amer et repoussant. Aussi je ne jugerai pas digne de blâme celui qui définira la sagesse, la saveur du bien.
« Ainsi, soutenir courageusement les tribulations, c'est le domaine de la force; se réjouir dans les tribulations appartient à celui de la sagesse. Affermir votre coeur et être inébranlable dans l'attente du Seigneur, c'est de la force; goûter et voir combien le Seigneur est doux, c'est de la sagesse. Et, pour mieux montrer le bien de chacune d'après le fond même de leur nature, je disque la modestie de l'âme indique la sagesse, et que la constance montre l'homme de force. C'est à juste raison que la sagesse vient après la force, car celle-ci est comme un fondement inébranlable sur lequel celle-là édifie sa demeure...
« (1) Heureux celui qui règle de telle sorte les souffrances
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de son corps selon la justice, que tout ce qu'il endure, il l'endure à cause du Fils de Dieu ! Heureux celui dont le coeur est étranger au murmure, dont la bouche se répand en actions de grâces et en chants de louanges! Celui qui s'est élevé ainsi, s'est chargé de son grabat et il s'en va dans sa demeure. Notre grabat, c'est notre corps ; nous y étions couchés languissants et esclaves de nos désirs et de nos convoitises. Nous le portons lorsque nous le forçons d'obéir à notre esprit.
« (1) L'Esprit qui souffle en tant de manières sur les enfants des hommes que nul ne peut se soustraire à son influence céleste, est véritablement multiple ; car il leur est accordé, soit pour l'utilité de la vie,
soit pour faire des miracles, soit pour opérer leur salut, soit pour les secourir, les consoler ou les embraser. Il est accordé pour l'utilité de la vie, car il répand avec tant d'abondance les biens sur les bons et sur les méchants, sur ceux qui sont dignes et ceux qui sont indignes, qu'il semble ne garder aucune règle de discernement. Il est, bien ingrat celui qui, en toutes ces choses, ne reconnaît pas les bienfaits de l'Esprit-Saint. Il est accordé pour les miracles, comme il le paraît par les signes, les prodiges,
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les différents effets de sa puissance qu'il opère par l'entremise de quelques hommes. C'est lui qui renouvelle les miracles anciens, afin d'affermir par ce que nous voyons de nos yeux la foi à ce qui eut lieu aux temps passés. Mais parce que quelques-uns ne tirent aucune utilité propre de cette grâce, cet Esprit vient en nous pour aider à notre salut, connue lorsque nous nous convertissons au Seigneur notre Dieu dans toute la sincérité de notre coeur. Il nous est donné pour nous secourir, lorsque, dans nos luttes, il vient au secours de notre infirmité. Et lorsqu'il rend témoignage à notre esprit, c'est alors que son souffle nous console. Enfin
il nous est donné pour allumer en nous la ferveur, lorsque, soufflant avec plus de force dans le coeur de ceux qui sont parfaits, il excite en eux le feu dévorant de la charité , en sorte que non-seulement ils se glorifient dans l'espérance de la gloire réservée aux enfants de Dieu, mais encore dans les tribulations, réputant les injures une gloire, les opprobres un bonheur, le mépris un sujet de joie immense. L'Esprit-Saint a été donné à chacun de nous pour opérer notre salut, si je ne me trompe. Mais il n'en est pas de même pour la ferveur; car il y en a bien peu qui soient remplis de cet Esprit, bien peu qui soupirent après sa possession. Nous
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nous contentons de vivre à l'étroit, nous ne faisons aucun effort pour respirer à l'aise dans cette atmosphère de liberté ; nous n'élevons même pas vers elle un désir.»
Vous voyez de quelles nombreuses et doctes raisons se sert l'éloquent saint Bernard pour nous montrer combien les tribulations sont avantageuses. Ne vous étonnez donc pas que le Seigneur permette que ses Disciples soient en proie aux coups de la tempête, lui qui connaît l'utilité qu'ils doivent en retirer. Nous lisons en plusieurs endroits que leur barque fut agitée par les flots et les vents, mais jamais qu'elle fut submergée. Ayez donc soin d'affermir et de régler votre coeur par ses avis afin que, dans les contrariétés et les malheurs qui vous arriveront, vous puissiez vous maintenir dans la patience et la joie, et afin aussi de vous exercer de telle sorte dans les voies de l'Esprit, que, remplie de ferveur, vous désiriez même être en proie à la tribulation pour l'amour du Seigneur Jésus qui a tenu et enseigné cette voie élevée en sa personne et celle des siens.
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(1) Tandis que le Seigneur Jésus allait de côté et d'autre, avec de grandes fatigues, prêchant et guérissant les malades, une femme Chananéenne, c'est-à-dire de la terre de Chanaan, habitée par les Gentils et non par les Juifs, s'approcha de lui, le priant de délivrer sa fille qui était tourmentée du démon. Elle avait confiance qu'il pouvait lui accorder ce qu'elle désirait . Le Seigneur ne lui donnant aucune réponse, elle insistait néanmoins et persévérait en criant et demandant qu'il voulût lui faire miséricorde, et cela avec tant d'insistance, que les Disciples prièrent Jésus pour elle. Mais le Seigneur ayant déclaré qu'on ne devait. pas donner aux chiens le pain des enfants, cette femme s'humiliant conjura qu'il lui fût permis, à ia façon des chiens, de ramasser les miettes qui tombaient de la table du Maître, et ainsi elle mérita d'être exaucée.
Considérez en tout cela le Seigneur et ses Disciple,
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selon la méthode générale que je vous ai donnée plus haut. Ne laissez pas non plus passer inaperçues les vertus de cette femme, et tirez-en tout l'avantage qu'elles vous offrent. Ces vertus sont au nombre de trois surtout : la première, ce fut la grande foi de cette femme, foi qui s'étendit jusqu'à sa fille et que le Seigneur exalta par ses louanges; la seconde fut la persévérance dans la prière, et non-seulement la persévérance, mais l'importunité, importunité que le Seigneur apour agréable, et à laquelle il invite, ainsi que je vous en ai touché quelque chose dans le chapitre précédent ; la troisième, ce fut une humilité profonde, car elle ne rejeta point la qualification que le Seigneur lui donnait et ne se jugea pas digne de prendre rang parmi les enfants, ni de recevoir un pain entier, mais elle se contenta de ramasser les miettes. Et parce qu'elle s'était humiliée profondément, elle obtint ce qu'elle avait demandé. Ainsi en sera-t-il pour vous, si, persévérant dans la prière avec un coeur sincère, pur et fidèle, vous vous humiliez en présence de votre Dieu, vous réputant indigne de tout bien de sa part. Tenez fermement pour assuré que tout ce que vous lui demanderez, il vous l'accordera. Et de même que les Apôtres prièrent pour la Chananéenne, ainsi votre Auge priera pour vous et offrira votre demande au Seigneur.
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Écoulez saint Bernard parlant sur ce sujet (1): «Lorsqu'une âme soupire fréquemment, dit-il, ou plutôt lorsqu'elle prie sans interruption et se lamente dans l'ardeur de ses désirs, de temps en temps il arrive que celui qu'elle cherche et appelle par de tels voeux, se laisse toucher de compassion et se montre à elle. C'est alors, je crois, qu'il lui convient,
d'après l'expérience qu'elle en fait, de s'écrier avec le saint prophète Jérémie (2) : « Vous êtes bon, Seigneur, pour ceux qui espèrent en vous, pour l'âme qui vous cherche. Mais son Ange, qui est un des amis de l'Époux, son Ange, que Dieu a député pour l'aider en pareille circonstance, et qui est, sans aucun doute, l'agent et le témoin de cette entrevue mutuelle et secrète; son Ange, dis-je, comme alors il tressaille de joie ! comme il est heureux et se livre avec elle à l'allégresse ! Il se tourne vers
le Seigneur et lui dit : « Je vous rends grâces, Seigneur de toute majesté, de ce que vous lui avez accordé selon les désirs de son coeur, et de ce que vous ne l'avez pas frustrée de l'objet de ses voeux. C'est cet Ange qui en tout lieu, se montrant un serviteur empressé pour cette âme, ne cesse de l'exciter et de l'avertir par des inspirations assidues ;
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c'est lui qui lui crie sans cesse : Réjouis-toi dans le Seigneur, et il t'accordera les demandes de ton coeur (1). Attends le Seigneur et garde sa voie. S'il est en retard, attends-le, car il viendra sûrement, et il ne saurait tarder (2). C'est cet Ange qui crie aussi au Seigneur (3) : Comme le cerf soupire après les eaux abondantes, ainsi, Seigneur, cette dite soupire après vous. Ses désirs se sont dirigés vers vous durant la nuit, et dès le matin elle s'est éveillée pour penser à vous de toute l'étendue de son esprit et de son coeur. Durant tout le jour, elle a étendu ses mains vers vous. Accordez-lui sa demande, afin qu'elle s'en aille, car elle crie après vous. Laissez-vous toucher enfin, et montrez-vous sensible à sa prière. Abaissez un regard du haut des cieux, et voyez ; et daignez visiter cette âme qui est dans sa désolation. » Ce fidèle ami de l'Époux, instruit, mais non jaloux de l'amour mutuel de l'âme et de Dieu, ne cherche point sa propre gloire, mais celle du Seigneur. Il va et vient du Bien-aimé à la Bien-aimée; il offre les voeux, rapporte les dons, excite celle-ci, apaise celui-là. Quelquefois aussi, bien que rarement, il les réunit tous deux en sa présence, soit en ravissant l'une, soit en
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inclinant l'autre ; car il est un serviteur et un ami dans le palais, et il ne craint pas d'être repoussé ; tous les jours il contemple la face du Père céleste. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous voyez avec quelle fidélité nos Anges nous servent; et c'est ce qui me donne occasion de vous dire quelque chose de ces esprits bienheureux. Je désire que vous sachiez bien que nous devons avoir pour eux le respect le plus profond, que nous sommes tenus de les louer, de les honorer et de leur rendre chaque jour nos actions de grâces; et qu'en leur présence, qui est continuelle, c'est pour nous un devoir de ne rien penser, de ne rien dire, de ne rien faire qui soit illicite ou honteux. Saint Bernard nous donne encore des avis à ce sujet dans un de ses discours sur le psaume 90e; c'est ainsi qu'il parle : « Dieu a ordonné à ses Anges de prendre soin de vous et de vous garder dans toutes vos voies. Quel respect une telle parole doit vous inspirer! Quelle dévotion elle doit allumer en vous! Quelle confiance elle doit faire naître en votre coeur! Vous devez le respect à la présence de l'Ange, la dévotion à ses bienfaits, la confiance à ses soins empressés. Marchez avec précaution en toutes vos voies où sont présents les Anges, selon le commandement qu'ils
en ont reçu. En quelque demeure, en quelque coin
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de terre que vous vous trouviez, ayez du respect pour votre Ange. Ne vous permettez jamais en sa présence ce que vous n'oseriez faire devant moi... Ces Anges ne sont pas seulement avec vous, ils sont là pour vous. Ils sont présents pour vous protéger, ils sont présents pour vous être utiles. Que rendrez-vous au Seigneur pour tous les bienfaits dont il vous a comblé? Car c'est à lui seul qu'appartiennent et la gloire et l'honneur. Pourquoi à lui seul? Parce que c'est lui qui a donné des ordres à ses Anges; parce que c'est de lui seul que vient tout don excellent. Cependant, bien que ce soit lui qui ait commencé, il ne nous est pas permis d'être ingrats envers ceux qui lui obéissent avec tant d'amour et nous viennent en aide en des besoins aussi pressants. Soyons donc dévots , soyons reconnaissants envers des gardiens si glorieux; rendons-leur
l'amour qu'ils nous témoignent et honorons-les autant que nous le pouvons, autant que nous le devons. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Tout ce que vous venez d'entendre doit vous faire estimer l'obéissance des Anges, les secours que nous en recevons et la vertu de la prière. Appliquez-vous à vous exercer à celle-ci, et témoignez à ceux-là le plus de respect qu'il sera en votre pouvoir.
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Ne vous étonnez pas si quelquefois nos paroles et nos actions sont une occasion de scandale, quelque fidélité et quelque soin que nous apportions, puisqu'il en a été de même en plusieurs circonstances pour le Seigneur, qui cependant ne pouvait se tromper. Un jour, les Pharisiens lui demandaient pourquoi ses Disciples ne se lavaient pas les mains lorsqu'ils voulaient manger; et il leur répondit en les reprenant sévèrement de ne faire cas que de la pureté extérieure, et nullement de celle qui est intérieure. Ils furent scandalisés d'une pareille réponse; mais le Seigneur ne s'en mit point en peine (1).
Une autre fois qu'il donnait dans la synagogue des enseignements fort spirituels, quelques-uns d'entre ses Disciples, hommes tout-à-fait matériels, ne comprenant pas ses paroles, l'abandonnèrent. Mais alors il dit aux douze : Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? Saint Pierre lui répondit , tant en son nom qu'en celui des autres : Seigneur , à qui
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irions-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle (1).
Considérez-le donc en ces circonstances et autres semblables ; voyez comment il parlait avec puissance et enseignait la vérité sans s'inquiéter du scandale des méchants ou des insensés. Il faut remarquer d'abord que nous ne devons pas, à cause du scandale du prochain, abandonner les voies de la justice; en second lieu, que nous devons avoir beaucoup plus à coeur la pureté intérieure que celle qui est simplement extérieure, ce que le Seigneur a enseigné ailleurs dans saint Luc d'une manière bien plus formelle; en troisième lieu, qu'il faut vivre si spirituellement que les paroles de Jésus-Christ ne nous paraissent point incompréhensibles et singulières, comme il arriva à ses Disciples qui, l'entendant dire : Si vous ne mangez la chair du fils de l'homme
ne purent soutenir un pareil langage et se retirèrent. Pour nous, reconnaissons plutôt que ses paroles sont les paroles de la vie éternelle, et, nous unissant aux douze, marchons sur ses traces.
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(1) Un jour que le fidèle et prudent disciple Simon-Pierre demandait au Seigneur, en son nom et en celui des autres Apôtres, quelle serait leur récompense, le Seigneur, leur répondit entre autres choses, que tous ceux qui, renonçant aux biens temporels, s'attacheraient à le suivre, recevraient le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre. Remarquez bien quelle est cette récompense ; concevez-en une grande joie, et offrez au Seigneur vos actions de grâces et vos louanges de ce qu'il vous a conduite à une telle entreprise, que le travail de vos mains vous rapportât cent pour un, et après cela encore la vie éternelle. Or, ce centuple doit s'entendre des biens spirituels et non de ce qui est temporel; il doit s'entendre des consolations intérieures et des vertus que nous connaissons par l'expérience que nous en faisons et non par aucun enseignement. Lorsque l'âme respire le parfum de la pauvreté, l'éclatante beauté de la chasteté, de la patience et des autres vertus, et qu'elle se délecte en ce
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sentiment, ne vous semble-t-elle pas avoir reçu le centuple? Et si elle s'élève assez haut pour mériter la visite de l'Époux et se glorifier de sa présence, ce qu'elle ressent alors ne l'emporte-t-il pas mille fois et plus sur tout ce qu'elle a pu abandonner pour lui, quelles qu'en fussent la splendeur et la richesse? Vous voyez comment s'accomplissent en réalité les promesses de la Vérité, et qu'elle ne trompe pas en assurant le centuple en ce monde. Et même le Seigneur ne se borne pas à l'accorder une fois, mais il renouvelle plusieurs fois ses dons; il les réitère souvent à l'âme dévote, et il agit si efficacement sur elle, qu'elle regarde comme de la boue, non-seulement ce qu'elle a abandonné, mais le monde entier, pourvu qu'il lui soit donné d'entrer en possession de son Époux. Mais, afin de vous instruire plus amplement sur ce centuple, écoutez ce qu'en dit saint Bernard (1) : « Peut-être quelque habitant du siècle me dira-t-il : Montrez-moi ce centuple que vous me promettez , et j'abandonne tout
sans réserve. Pourquoi vous le montrer? La foi n'a plus de mérite quand la raison humaine nous fait voir ce qu'elle promet. Croiriez-vous plutôt à l'homme qu'à la Vérité qui s'engage envers vous? Vous vous réduisez au néant en voulant vous
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enquérir avec trop de soin. Si vous ne croyez d'abord, vous demeurez sans intelligence. C'est une manne cachée, c'est un nom nouveau qui est promis au vainqueur dans l'Apocalypse de saint Jean, et que personne ne connaît, si ce n'est celui qui l'a reçu (1)... Eh quoi! ne possède-t-il pas toutes choses, celui au bien duquel tout s'empresse de concourir? N'a-t-il pas le centuple de tout ce qu'il a abandonné, celui qui est rempli de l'Esprit-Saint, celui qui porte Jésus-Christ en son coeur? A moins que vous ne disiez que c'est beaucoup plus que le centuple de recevoir la visite de l'Esprit consolateur, de jouir de la présence de Jésus. Combien est grande l'abondance de votre douceur, ô Seigneur, que vous tenez en réserve pour ceux qui vous craignent, et que vous avez rendue pleine et parfaite pour
ceux qui espèrent en vous (2) ! Vous voyez comment l'âme sainte déborde au souvenir de cette suavité si abondante, comment, dans ses efforts pour l'exprimer, elle multiplie ses paroles. Combien est grande cette abondance! s'écrie-t-elle. Voilà donc quel est ce centuple : c'est l'adoption des enfants, ce sont ses prémices, et la liberté de l'esprit, les délices de la charité, la gloire de la conscience, le règne
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de Dieu qui est en nous. Ce n'est plus le boire ou le manger, c'est la justice, la paix, la joie dans l'Esprit-Saint. C'est une joie qui ne réside pas seulement dans l'espérance de la gloire, mais dans les tribulations ; c'est le feu que Jésus-Christ a désiré avec tant d'ardeur voir se répandre; c'est la vertu qui a fait embrasser la croix à André, qui a inspiré à Laurent des moqueries pour ses bourreaux, qui a prosterné Étienne contre terre, afin de prier pour ceux qui le lapidaient; c'est la paix que le Seigneur a laissée aux siens, lorsqu'il leur donna sa paix, puisque le don et la paix sont réservés aux élus de Dieu ; c'est, en effet, la paix du Père céleste, c'est le don de la gloire future; c'est cette paix qui surpasse tout sentiment, et qui ne saurait être mise en comparaison avec rien de ce qui plaît sous le soleil, avec rien de ce qui fait la concupiscence du monde ; c'est la grâce de la dévotion, c'est l'onction qui instruit de toute chose , que celui-là seul comprend qui en a fait l'expérience, et qui est ignorée de celui qui ne la goûta jamais ; onction que personne ne connaît, si ce n'est celui qui l'a reçue. » Ainsi parle saint Bernard.
Réjouissez-vous donc et soyez dans une joie vive,
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ainsi que je vous l'ai dit ; rendez grâces à Dieu de ce que vous avez été appelée à recevoir ce centuple, et entrez souvent dans ce jardin de délices ; c'est par une oraison fréquente que vous pourrez y parvenir.
(1) Le Seigneur étant venu dans le pays de Césarée de Philippe, demanda à ses Disciples ce que les hommes disaient de lui, et ensuite ce qu'eux-mêmes en pensaient de leur côté. Quelques-uns répondirent : Les uns disent que c'est Jean-Baptiste, les autres Jérémie, etc. Mais Pierre, prenant la parole, dit en son nom et au nom des autres : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Le Seigneur lui répondit : « Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église , et les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. » Alors il lui donna, et pour lui et pour ses successeurs, les clefs du royaume des cieux pour lier et délier sur la terre.
Considérez donc le Seigneur et en même temps ses
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Apôtres, selon la méthode générale que je vous ai indiquée plus haut. Notez bien que Pierre, si magnifiquement glorifié, est appelé Satan peu de temps après par le Seigneur, parce que, n'agissant qu'en vertu de l'amour tout humain qu'il avait pour lui, il le dissuadait de se livrer aux tourments de sa Passion. Vous en avez l'histoire dans le même endroit de l'Évangile. Ainsi, à l'exemple du Seigneur, regardez comme vos ennemis ceux qui, sous prétexte de soulager votre corps, chercheraient à vous détourner de vos exercices et de ce qui peut concourir au bien de votre
âme.
(1) Le Seigneur, ayant pris avec lui trois d'entre ses Apôtres, alla avec eux sur la montagne de Thabor, et, se transfigurant en leur présence, il se montra resplendissant de gloire à leurs regards. Moïse et Élie vinrent le trouver, et ils s'entretenaient ensemble de la Passion qu'il devait souffrir. Or, ils lui disaient : « Seigneur, il n'est pas nécessaire que vous mourriez,
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puisqu'une goutte de votre sang suffit pour racheter le monde. » Mais le Seigneur Jésus leur répondit : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (1), et il faut que je fasse de même. » L'Esprit-Saint se rendit aussi présent en cette occasion sous la forme d'une nuée lumineuse, et la voix du Père se fit entendre du sein de la nuée en ces termes : « C'est ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances, écoutez-le. » Or, les Disciples tombèrent la face contre terre, et lorsqu'ils se furent relevés, ils ne virent plus personne que le Seigneur. Considérez bien toutes ces choses et agissez comme si elles se passaient sous vos yeux; car tout en cette circonstance est plein de magnificence.
(2) Jésus chassa par deux fois ceux qui vendaient et achetaient dans temple, ce qui est compté parmi ses grands miracles. Bien qu'en d'autres circonstances ces boulines n'eussent que du mépris pour lui, cette fois
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pourtant ils prirent la fuite en sa présence, et, quoique en grand nombre, ils ne se défendirent pas, mais il les chassa sans autre arme que quelques cordes. Or, il en fut ainsi , parce que son visage revêtit à leurs yeux quelque chose de terrible. En effet, il fut enflammé d'un zèle. dévorant à la vue du déshonneur que son Père recevait de la part de ces hommes, surtout dans le lieu où il devait être le plus honoré ; et c'est pour cela qu'il les chassa. Considérez-le bien et ayez pour lui de la compassion; car lui-même est plein d'une douleur de compassion. Cependant ne laissez pas que de concevoir de la crainte; car, ayant été choisis pour demeurer dans le temple de Dieu par une faveur toute spéciale et une grâce singulière, si, au lieu de nous appliquer à célébrer ses louanges, comme c'est notre devoir, nous nous embarrassons dans les affaires du siècle à l'exemple de ces hommes, c'est justement que nous pouvons redouter son indignation et craindre d'être chassés par lui. Si donc vous désirez n'être point en proie à une frayeur semblable, ne vous avisez jamais d'aller vous mêler aux affaires et aux embarras du monde. Ne vous livrez pas non plus à des travaux trop recherchés, qui vous enlèvent un temps que vous devez employer à louer Dieu, et qui sont un reflet des pompes mondaines.
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(1) Il y avait à Jérusalem un réservoir d'eaux considérables qui servaient à laver les brebis que l'on devait offrir en sacrifice. C'est en ce lieu, dit-on, que fut planté l'arbre qui servit à faire la croix du Sauveur. Chaque année, l'Ange du Seigneur agitait l'eau, et celui des malades qui descendait dedans le premier, après le mouvement imprimé par l'Ange, était guéri. C'est pourquoi beaucoup d'infirmes se tenaient constamment en cet endroit. Or, il y avait parmi eux un paralytique, couché dans son lit et malade depuis trente-huit ans; et Jésus le guérit un jour de Sabbat.
Considérez le Sauveur s'avançant humblement vers ce malade et lui parlant à sa manière accoutumée. il y a dans ce fait trois choses à observer : la première, c'est que le Seigneur demande au paralytique s'il voulait être guéri. Ainsi en agit-il vis-à-vis de nous ; il ne nous sauvera pas sans notre consentement, et les pécheurs
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sont inexcusables de ne point consentir à ses désirs et de ne point vouloir leur salut. Car, selon la parole de saint Augustin (1), « celui qui vous a créés sans vous, ne vous justifiera pas sans vous. » En second lieu, nous devons prendre garde de ne pas nous séparer de nouveau du Seigneur ; car si, une fois guéris par lui, nous retombons dans le péché, ce sera avec raison que notre ingratitude recevra une punition plus sévère que par le passé, selon cette parole de Jésus : Allez et ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire qu'auparavant. La troisième chose à remarquer, c'est que les méchants font de tout une cause de ruine, tandis que les bons trouvent partout une occasion de profit. Comme ce malade, étant guéri, emportait son grabat, et que les Juifs lui disaient qu'il faisait ce qui n'était pas permis un jour de Sabbat, il leur répondit : Celui qui ma guéri, m'a dit : Emporte ton grabat. Ils ne demandaient pas quel était celui qui l'avait guéri ; mais ils s'occupaient de ce qui pouvait prêter à leurs blâmes, et non de ce qui pouvait être un sujet de louanges. Ainsi, les hommes charnels jugent-ils souvent en mauvaise part ce qui frappe leurs regards, et trouvent-ils presque partout une occasion de se perdre. Ceux, au
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contraire, qui vivent spirituellement, rapportent tout à la louange de Dieu, soit la prospérité, soit l'adversité, et ils ne doutent point que tout n'arrive comme il faut, Dieu agissant en tout avec rectitude, ou permettant tout avec justice ; ainsi ils interprètent tout en bonne part, selon la doctrine de saint Bernard qui s'exprime en ces termes (1) :
« Gardez-vous d'être un examinateur curieux ou un juge téméraire de la vie des autres. Alors même que vous découvririez quelque crime, ne jugez pas pour cela votre prochain; mais excusez son intention si vous ne pouvez excuser ses oeuvres. Supposez l'ignorance, supposez l'erreur, supposez une surprise. Que si l'évidence des choses empêche toute excuse, persuadez-vous que la tentation a été trop violente et dites-vous à vous-même : Que serait-il arrivé de moi, si l'ennemi avait pu user contre mon cime d'une telle puissance ? »
Maintenant, que ceux qui sont spirituels tirent de tout leur profit, même de leurs péchés et de ceux des autres des choses qui leur sont nuisibles, et aussi des oeuvres du démon, c'est ce que le même saint Bernard enseigne en ces paroles (2) : « L'animal irraisonnable et grossier ne peut, il est vrai, atteindre à ce
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qui est spirituel; cependant nous savons qu'il aide par son concours corporel et passager à en prendre possession ceux qui rapportent au bonheur éternel toute jouissance des choses de la terre, ceux qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient pas
Si, parmi les êtres animés, il s'en trouve dont lusage est difficile ; s'il s'en trouve de nuisibles et de pernicieux au bien-être temporel des hommes, cependant leurs corps ne sont pas tellement dépourvus de qualités qu'ils ne puissent tourner à l'avantage de ceux qui, selon le dessein de Dieu, ont été appelés saints; et si ce n'est en leur fournissant de quoi se nourrir ou en leur prêtant leur secours, c'est du moins en exerçant leur esprit et en les faisant avancer dans cette science qui est présente à quiconque se sert de sa raison et leur enseigne que ce qui est invisible en Dieu devient intelligible à l'aide des créatures qui frappent nos regards (1). Le démon et ses satellites désirent nous nuire, car leur intention est toujours perverse; mais si nous sommes zélateurs du bien, loin de nous faire aucun mal, ils nous servent grandement, et, sans le vouloir, ils coopèrent au bien des justes.
« Il en est qui opèrent le bien contre leur volonté :
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ce sont, ou les méchants, ou les Anges déchus ; et il est certain que ce qui se fait par eux ne tourne pas à leur avantage, puisque nul bien ne saurait être profitable à celui qui y est opposé. Ils ont donc été seulement chargés de le dispenser; mais je ne sais comment il se fait que le bien qui nous arrive par un dispensateur pervers, nous cause plus de plaisir et de bonheur. Voilà pourquoi Dieu fait du bien à ceux qui sont bons par l'entremise des méchants, sans cependant avoir besoin de leur concours pour accorder ses faveurs.
« (1) Pourquoi vous enorgueillir, vous qui n'êtes que cendre et poussière? Le Seigneur s'est éloigné des Anges en maudissant leur orgueil. Que leur réprobation serve donc de correction aux hommes. Il a
été écrit pour leur enseignement : « Que la méchanceté du démon coopère à ce qui m'est avantageux, a et que je lave mes mains dans le sang du pécheur (2). Comment cela, me direz-vous? Écoutez ma réponse : C'est une malédiction effrayante et terrible qui a été lancée contre l'orgueil du démon... Mais s'il en a été ainsi de lui, qu'en sera-t-il de moi, qui ne suis que cendre et poussière? Il était dans le ciel lorsqu'il s'enfla d'orgueil, et moi j'habite dans la
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fange. Qui dira que l'orgueil n'est pas plus tolérable chez le riche que chez l'homme en proie à la misère ? Malheur donc à moi ! Si Dieu a sévi aussi sévèrement contre celui à qui il avait donné la puissance, que ne fera-t-il pas contre moi, homme faible, misérable et superbe ? »
Saint Bernard, parlant de l'Église, qui est l'Épouse et qui est venue au Seigneur après de nombreux péchés, puisqu'elle a été formée des nations adoratrices des idoles, tourne ainsi à son avantage les reproches que lui en faisait la synagogue : « (1) C'est là celle à qui il a été remis beaucoup, et qui aime davantage (2). Ce que sa rivale lui reproche avec amertume, elle s'en fait pour elle-même un sujet de gain. C'est par là
qu'elle devient plus douce en ses réprimandes, plus patiente en son travail, plus ardente à l'amour, plus prudente à se garder; c'est par là qu'elle est plus humble en elle-même, plus aimable en sa modestie, plus prompte à obéir, plus vive et plus empressée à rendre ses actions de grâces. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez comment ceux qui vivent spirituellement interprètent tout en bonne part, et savent tirer profit de tout. Soyez donc spirituelle et tout vous
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viendra un bien. Cette considération est propre aussi à nous faire supporter avec patience les tribulations et les tentations, et à procurer le repos à nos âmes. Je ne doute pas que, par un exercice continuel de ce qui vient d'être dit, on ne puisse arriver à une si grande tranquillité d'esprit, que c'est à peine si, à de rares intervalles, on se sentira troublé par la moindre chose, et qu'on ne puisse appliquer à celui qui agit ainsi cette parole du sage (1) : Quoi qu'il arrive, le juste n'en sera point contristé.
(2) Un jour de Sabbat, les Disciples du Seigneur Jésus ayant faim et ne pouvant se procurer de quoi manger, s'en allèrent par les champs où se trouvaient des blés mûrs, et ils broyèrent des épis dans leurs mains, afin d'en manger le grain. Or, les Pharisiens les reprenaient en disant qu'il n'était pas permis d'agir ainsi le jour du Sabbat; mais le Seigneur prit leur défense, et il faisait lui-même en ce jour diverses actions qui
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semblaient serviles , comme je l'ai dit plus haut en parlant de la guérison d'un homme dont la main était desséchée. Pour vous, contemplez les Disciples et ayez de la compassion pour eux en les voyant dans un besoin si grand bien, que, de leur côté, ils éprouvent une grande joie d'en être réduits là, et cela par amour pour la pauvreté que leur ?naître et Seigneur leur avait recommandée avant toute autre vertu et toute autre béatitude. Quels sentiments devons-nous éprouver en pensant que les princes du monde, en présence du Créateur de toutes choses, sont dans une telle pauvreté qu'il leur faille soutenir leur vie avec de pareils aliments, à la manière des animaux? Le Seigneur les regardait faire et il leur compatissait, car il les aimait avec beaucoup de tendresse ; mais il se réjouissait aussi, tant pour eux, parce qu'il savait. qu'ils méritaient beaucoup par là, que pour nous à qui il laissait ainsi un exemple. Or, en cet exemple nous pouvons découvrir une occasion d'avancer en plusieurs vertus; car la pauvreté y brille d'une manière admirable, les pompes du inonde y apparaissent tout-à-fait dignes de nos mépris, la somptuosité et les apprêts trop recherchés dans les repas y rencontrent leur ruine, l'avidité de la gourmandise, sa délicatesse honteuse et son désir insatiable n'y trouvent qu'anéantissement total. Portez donc là vos regards, et, animée par un
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exemple si glorieux, embrassez de toute l'ardeur de votre âme cette pauvreté qui a jeté un si brillant éclat dans le Seigneur, dans notre Souveraine, sa Mère, dans les Princes du monde, les Apôtres, et dans tous ceux qui ont voulu marcher parfaitement sur leurs traces. Mais remarquez bien de quelle pauvreté j'ai intention de parler. Je sais qu'établie dans un monastère, vous avez embrassé par voeu cette vertu, et que vous ne pouvez rien avoir en propre ; rendez-en grâces à votre Dieu et soyez inviolablement fidèle à vos engagements. Mais je désire que vous vous éleviez plus haut, ce qui, du reste, est conforme à votre profession; ou plutôt cette profession, comprise autrement, serait vide de sens et n'offrirait que des paroles sans effet. Je veux donc parler de cette pauvreté qui a sa racine dans le cur, car c'est là que toutes les vertus sont implantées, et non dans ce qui est extérieur. Ainsi vous observez parfaitement votre vu de pauvreté si c'est du fond de votre cur que vous en remplissez les actes. Mais si c'est extérieurement que vous souffrez la privation de bien des choses, si c'est uniquement parce que vous n'êtes pas dans l'abondance, comme le voudrait votre sensualité, si intérieurement vous avez des désirs, si, de propos délibéré, vous ambitionnez plus qu'il ne vous est nécessaire, ce n'est plus dans la pauvreté que volis vivez, mais dans
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la misère. Ce n'est plus là cette pauvreté qui est une vertu et une source de mérites ; c'est une détresse pénible, il est vrai, mais indigne d'aucune récompense; car pour perdre le mérite d'un acte, pour commettre un péché, c'est assez du désir accompagné du consentement. Et ne croyez pas, avec une telle pauvreté, pouvoir vous élever jusqu'à l'oraison ou la contemplation, ou jusqu'à la récompense du centuple. Quoi ! un coeur aggravé par le poids des cupidités terrestres pourrait-il monter si haut ? Pourrait-il, souillé par la fange et la boue, plongé dans la matière, grossièrement affecté, s'approcher de la pureté de Dieu et des esprits célestes? Aimez donc du fond de votre âme cette pauvreté ; prenez-la pour votre mère; que sa beauté vous ravisse, mettez en elle tout votre bonheur, et, pour aucune chose au monde, ne consentez à la contrister. N'ayez rien et ne désirez absolument rien avoir en dehors de ce qui vous est nécessaire.
Mais vous me demanderez quelle est l'étendue de cette nécessité? Je vous répondrai que plus vous aimerez profondément la pauvreté, plus il vous sera facile de juger sainement de ce qui vous est nécessaire. Ces choses nous sont nécessaires sans lesquelles nous ne pouvons être. Voyez donc les choses dont il vous est facile de vous passer, et ne consentez jamais ni à les posséder, ni à les demander, ni à vous les procurer,
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ni à les recevoir de ceux qui voudraient vous en faire présent. Cependant, vous ne pourrez point encore avec tout cela imiter parfaitement le Seigneur Jésus dans sa pauvreté, quoique vous vous restreigniez rigoureusement, et je ne vois pas que notre pauvreté puisse entrer en comparaison avec la sienne, quelque effort que nous apportions à bien garder cette vertu. Je vais vous le montrer par une seule et belle raison, laissant de côté celles que nous pourrions trouver en considérant qu'il est Dieu, souverainement riche, le maître de toutes choses, suprême en perfection, et autres semblables.
La raison qui me fait parler ainsi, c'est que le Seigneur ne s'est pas borné à prendre la détresse de la pauvreté; il en a choisi l'opprobre. Notre pauvreté, à nous, a été adoptée volontairement et pour l'amour de Dieu; c'est pourquoi elle est regardée comme une vertu et elle en est véritablement une. Aussi est-elle considérée par les méchants eux-mêmes comme exempte de toute honte et comme honorable. Mais il n'en a pas été ainsi de Jésus : on ne le connaissait pas, on ignorait entièrement que sa pauvreté fût volontaire, et la pauvreté qui naît du besoin produit la honte et le mépris. Étant donc, à la connaissance de tous, sans maison, sans biens, sans aucune des choses de ce monde, il en était méprisé davantage. En effet,
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de pareils pauvres sont foulés aux pieds de tous les hommes. S'ils ont de la sagesse, on n'y ajoute pas foi ; s'ils sont d'une illustre origine, on les tourne en dérision, on les méprise. Qui plus est : noblesse, sagesse, probité, ou, pour mieux dire, toute qualité semble éteinte en eux dans l'appréciation de tout le monde. Ils sont rejetés presque partout, en sorte que l'amitié ancienne, les liens du sang, ne leur servent de rien le plus souvent; car chacun se refuse à avoir de tels parents ou de tels amis. Vous voyez bien maintenant qu'il vous est impossible d'atteindre à sa pauvreté, ni même de l'imiter dans l'abjection si profonde de sa détresse et de son humiliation. Voilà pourquoi les pauvres du monde qui nous offrent l'image du Seigneur lui-même, ne doivent pas être méprisés. Elle est donc bien désirable cette vertu de pauvreté, surtout pour nous qui en avons fait voeu. Aussi appliquez-vous à la mettre en pratique avec tout le soin et toute la dévotion dont vous êtes capable. Si vous désirez entendre saint Bernard, écoutez comment il parle sur ce point :
« (1) Imitons, autant que nous le pouvons, celui qui a tant aimé la pauvreté, que, bien qu'il eût en sa main les confins de la terre, il n'a cependant point possédé
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où reposer sa tête, et que nous lisons des Disciples qui s'attachèrent à lui, qu'en passant à travers les champs couverts de moissons, ils furent forcés, pour apaiser leur faim, de broyer quelques épis. »
« (1) Pourquoi le Seigneur, qui a en sa puissance l'or et l'argent, a-t-il consacré en sa personne la sainte pauvreté ? Ou bien pourquoi cette même pauvreté est-elle mise au jour avec tant de sollicitude par l'Ange? Voici, dit-il, le signe auquel vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes (2). Vos langes, ô Seigneur Jésus, « ont été placés pour être un signe, mais c'est un signe auquel, jusqu'à ce jour, beaucoup ont contredit. Il nous a donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses traces
Et, en vérité, une cuirasse de fer est plus utile dans le combat qu'une robe de lin, bien que l'une soit un fardeau et l'autre un vêtement d'honneur.
« C'est véritablement un grand abus, un abus qui passe toute limite , qu'un misérable vermisseau veuille être riche, quand le Dieu de majesté, le Seigneur des armées, a voulu se faire pauvre à cause de lui. »
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« (1) Ce n'est pas la pauvreté qui est réputée une vertu, mais l'amour de la pauvreté.
« (2) L'amitié des pauvres nous rend amis des rois, mais l'amour de la pauvreté nous constitue rois. En un mot, le royaume des cieux est le royaume du pauvre. Heureux celui qui ne s'est point en allé à la poursuite de ces biens qui sont un fardeau pour ceux qui les possèdent, une cause de souillure pour ceux qui les aiment, un tourment pour ceux qui les
perdent ! »
Vous voyez donc par l'exemple des Apôtres, par les passages de saint Bernard que je viens de vous citer et les autres que je vous ai rapportés plus haut en parlant de la naissance du Sauveur et du sermon sur la montagne ; vous voyez de quelle manière vous devez soupirer après la pauvreté comme après une vertu pleine d'excellence. Mais que dirons-nous contre la gourmandise et à la louange de l'abstinence qui brille également dans le fait que nous venons de raconter ? Il est, à la vérité, en dehors de mon but principal de traiter de ces vertus, surtout à cause de la multitude des autorités que nous aurions à produire. ; mais, comme je considère votre propre utilité, que je vous sais sans expérience pour toutes ces choses, que vous
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n'avez point la facilité de vous en instruire , ni de livre où vous puissiez les apprendre , voilà pourquoi je vous en entretiens avec un soin plus particulier, afin qu'au moins vous connaissiez un peu la nature des vertus que vous pouvez imiter dans le Maître des vertus, dont la vie fait l'objet principal de nos méditations.
Vous devez donc savoir qu'il faut agir avec force contre la gourmandise, lui faire une guerre continuelle et s'en défendre sans réserve. C'est contre ce vice que les saints Pères et tous ceux qui se sont adonnés aux exercices de la vie spirituelle ont tourné leurs efforts. Écoutez comment en parle saint Bernard (1) : « D'où vient une pusillanimité aussi grande ? D'où vient une abjection si déplorable, qu'une créature excellente, capable de la vie éternelle et de la gloire du Dieu suprême, puisqu'elle a été créée de son souffle, marquée à sa ressemblance, rachetée de son sang, dotée de sa foi, adoptée par son esprit ,d'où vient, dis-je, qu'une telle créature ne rougisse pas de traîner une servitude misérable en suivant les appétits d'un corps qui s'en va en pourriture? Et c'est avec justice qu'il est impossible de les satisfaire à celle qui, abandonnant son Époux, se livre à
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de tels corrupteurs
C'est un travail bien insensé que de nourrir celle qui est stérile et ne saurait rien produire, et de refuser de faire du bien à celle
qui est dans la viduité ; de mettre de côté le soin de son coeur et de ne s'occuper à répondre qu'aux désirs de la chair, d'engraisser un cadavre qui tombe en corruption et qui sera bientôt la proie des vers, comme nous le savons tous. »
Vous voyez donc comment il faut éviter la gourmandise, mais cependant nous pouvons condescendre aux exigences de notre corps selon ses besoins et pour en conserver la santé. C'est pourquoi le même saint Bernard s'exprime ainsi à ce sujet : « De tous les biens du corps, il n'y en a qu'un seul que nous lui devions : c'est la santé. Hors de là, nous ne lui sommes nullement redevables, il n'a rien à réclamer de nous, et il nous faut l'enchaîner et le tenir dans cette limite, puisque ses fruits sont nuls et que la mort en est le terme
Que si nous servons la sensualité, ce n'est plus la santé; cela n'est plus une conséquence de la nature, mais quelque chose en dehors de la nature, qui alors donne la main à la mort en choisissant la sensualité pour son guide. C'est ainsi que beaucoup sont descendus, ou, pour
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parler mieux, selon la vérité, sont tombés en des goûts si conformes à ceux de la bête, qu'ils ont préféré la sensualité à la santé, et se sont livrés
avec transports à ces excès qu'ils savent bien être suivis des passions les plus dangereuses et les plus difficiles à surmonter. Or, de même que la santé est le besoin du corps, de même la pureté est le besoin du coeur; car l'oeil qui est dans le trouble ne verra point Dieu, et pourtant le coeur de l'homme a été créé pour jouir de la vue de son Créateur. Si donc
il faut pourvoir avec soin à la santé du corps, il faut aussi d'autant plus de sollicitude à conserver la pureté du coeur, que, sans contradiction aucune, cette partie de nous-mêmes est plus noble que l'autre. »
« (1) Cette recherche dans la nourriture fait naître en moi quelque soupçon; pourtant, si c'est d'après l'ordre du médecin que vous agissez ainsi, nous ne reprendrons pas le soin que vous avez de votre chair, car jamais personne n'a eu de la haine pour elle. »
Cependant, il ne faut pas suivre cette règle avec trop d'anxiété, ni trop de soin, ni l'étendre au-delà de justes limites. Aussi, lorsque nous ne ressentons actuellement aucune indisposition corporelle de nature à
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légitimer le choix de la nourriture, nous ne devons point nous en mettre en peine, ni vivre avec tant de minutie. C'est pourquoi saint Bernard nous dit (1) : « Comprenez que, d'après le sentiment de mon Maître, la sagesse de la chair se trouve condamnée, cette sagesse à l'aide de laquelle la sensualité se change en dissolution, et le soin de la santé s'étend au-delà des limites convenables
A quoi bon s'éloigner des plaisirs, s'il faut donner des soins de chaque jour à s'occuper des complexions diverses et à mettre de la variété dans la nourriture? Les légumes, dit-on, gonflent trop ; le fromage charge l'estomac; le lait porte à la tête; l'eau nuit à la poitrine ; les choux nourrissent la mélancolie ; les poireaux échauffent la bile ; le poisson d'étang ou nourri dans de l'eau boueuse est tout-à-fait contraire à mon tempérament. Quoi donc! c'est à peine si parmi les fleuves, les champs, les jardins et les maisons d'approvisionnement, on pourra trouver de quoi vous donner à manger ! Je pensais, voyez-vous, qu'un moine n'est pas un médecin, que ce n'est pas son affaire de juger de son tempérament, mais de sa profession. Je vous en prie, ayez pitié d'abord de votre propre repos; ensuite
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prenez en compassion la peine de ceux qui vous servent, prenez en compassion la pauvreté du monastère, prenez en compassion la conscience. Je dis la conscience, parce que je n'entends pas la
vôtre, mais celle de votre frère qui, assis à vos côtés, mange ce qui lui est présenté et se sent porté à murmurer du jeûne singulier qu'il vous voit observer. Vous lui êtes un sujet de scandale, soit par votre odieuse exigence, soit par les soupçons qu'il est porté à concevoir sur la charité de celui qui est chargé de pourvoir à votre nourriture
C'est en vain que plusieurs se flattent de trouver une excuse dans l'exemple de saint Paul, qui exhorte son disciple à ne point boire d'eau, mais à user d'un peu de
vin à cause de son estomac et de ses fréquentes maladies. Ils devraient faire bien attention d'abord que ce n'est pas pour soi-même que l'Apôtre donne un pareil conseil, et que, de son côté, le disciple n'en fait nullement la demande. Ensuite, ce n'est pas à un moine que cet avis s'adresse, mais à un évêque dont la vie importait extrêmement à l'Église, dont la faiblesse était grande encore et dont la durée ne comptait que quelques jours. D'ailleurs, ce disciple, c'était Timothée. Donnez-moi un autre
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Timothée, et si vous le voulez, donnez-lui l'or pour nourriture et le baume pour breuvage. Et encore, « c'est vous-même qui vous dispensez, touché de compassion pour votre personne propre. Cette dispense que vous vous accordez à vous-même, est suspecte, je vous l'avoue, et je crains bien que sous le manteau et le nom de la discrétion, ne se cache la prudence de la chair qui se joue de vous. Au reste, si l'autorité de l'Apôtre, permettant de boire du vin, trouve en vous tant de faveur, n'oubliez pas, je vous en avertis, ce qu'il a dit : Un peu de vin. »
Vous voyez donc, par ce qui vient d'être dit, qu'on peut s'occuper de la santé du corps, mais qu'il faut s'abstenir de toute recherche minutieuse dans le choix de la nourriture.
Mais que dirions-nous de l'abstinence? Écoutez non ma parole, mais celle de saint Bernard qui s'écrie (1) : « La chair et l'esprit, le chaud et la tiédeur ne sauraient habiter en un même lieu, surtout après qu'il a été dit de la tiédeur : qu'elle a coutume de provoquer au vomissement le Seigneur lui-même. Si donc les Apôtres attachés à la chair du Seigneur (cependant elle était sainte, puisqu'il était le Saint des saints), si, dis je, les Apôtres ne purent être
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remplis du Saint-Esprit tant que cette chair ne fut point enlevée de leur présence, pensez-vous qu'attaché à la vôtre, qui n'est que souillure et un repaire de tous les fantômes les plus immondes, vous puissiez recevoir cet Esprit de toute pureté, si vous ne vous efforcez de renoncer entièrement aux consolations qu'elle vous offre? Sans doute, lorsque vous commencerez, la tristesse remplira votre coeur; mais si vous persévérez, votre tristesse se changera en joie. Alors vos affections seront purifiées, votre volonté se renouvellera, ou plutôt une volonté nouvelle prendra vie en vous; en sorte que tout ce qui vous paraissait difficile et même impossible, vous l'accomplirez avec une douceur ineffable et avec avidité. »
« (1) Ne nous fâchons point contre Paul, s'il châtie son corps et le réduit en servitude en s'abstenant du vin, car c'est dans le vin que réside la luxure. Si, dans mes infirmités, je m'en permets un léger usage selon le conseil de l'Apôtre, je m'abstiendrai néanmoins d'admettre la viande parmi mes aliments, de peur qu'en nourrissant trop la chair, je ne pourrisse les vices de la chair. Je m'appliquerai même à manger mon pain avec mesure, de peur que mon
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estomac trop appesanti ne s'ennuie de la prière, et que le Prophète ne me reproche de m'en charger jusqu'à l'excès. Qui plus est, j'aurai soin de ne pas m'abreuver d'eau outre mesure , de peur que la dilatation qui en serait le résultat n'allât jusqu'à exciter les mouvements de la concupiscence. »
« (1) Le vin et un pain exquis, un breuvage miellé et des mets bien apprêtés combattent en faveur du corps et non de l'esprit : ce n'est point l'âme, mais la chair qui s'engraisse d'aliments préparés avec soin. Le poivre, le gingembre, le cumin, la sauge et mille autres sortes de condiments semblables flattent, il est vrai, le palais, mais allument la volupté. Celui qui vit avec prudence et sobriété n'a besoin pour assaisonnement que de la faim et d'un peu de sel. La faim seule étant absente, il vous faut alors recourir à je ne sais quels mélanges de sucres
étrangers qui piquent le palais, provoquent l'appétit, excitent l'estomac. »
« (2) Dès que l'esprit a commencé à se réformer à l'image de son Créateur, bientôt la chair, venant à renaître, commence à son tour, par sa volonté propre, à se réformer à l'image de l'esprit; car c'est alors
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qu'elle s'accoutume, contre l'exigence de ses sens,à trouver sa joie en ce qui réjouit l'esprit. Et même, poussée par la multitude de ses défauts, par la peine fréquente que ses péchés lui font éprouver, brûlant de la soif de son Dieu, elle s'efforce de précéder l'esprit qui doit lui servir de guide. Nous ne perdons pas pour cela nos jouissances, mais nous les transportons du corps à l'âme, des sens à la conscience. Le pain de son et l'eau pure, les choux et les haricots ne sont point assurément des choses
délectables; mais ce qui est véritablement délectable, c'est de pouvoir avec bonheur satisfaire, par amour pour Jésus-Christ et dans le désir de jouissances intérieures, un corps bien soumis, avec de pareils aliments. Combien de milliers de pauvres pourvoient délicieusement à leurs besoins avec seulement une partie de ces choses? Il serait facile, il serait vraiment agréable, en apportant l'amour de Dieu pour assaisonnement, de vivre selon les simples besoins de la nature, si notre folie permettait qu'il en fût ainsi, car à peine est-elle guérie qu'aussitôt la nature sourit à ce qui est naturel. Il en est de même du travail : l'homme des champs a les nerfs endurcis et les bras pleins de vigueur; c'est l'exercice qui fait tout cela : donnez-lui un long repos, il s'affaiblira. La volonté produit l'action, l'action
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l'exercice, et l'exercice donne des forces en a tout genre de travail. »
Vous voyez clairement par ces témoignages que l'abstinence doit avoir une place toute particulière dans votre estime. Nos anciens Pères, aussi bien que le bienheureux François et la bienheureuse Claire, votre fondatrice, l'ont observée très-rigoureusement, ainsi que nous le lisons en leurs vies. Cependant, selon le même saint Bernard (1), il y a trois cas où la mortification doit être tempérée : c'est premièrement, quand elle a lieu contre la volonté des supérieurs, ce qu'il ne faut se permettre en aucune façon ; en second lieu, quand elle serait, pour ceux avec qui vous vivez, la cause d'un scandale notable ; car il y a plus d'avantage pour l'âme à user de la vie commune par charité, que d'exercer des mortifications en dehors de cette vie au scandale des frères ; le troisième cas, c'est lorsqu'elle serait au-dessus des forces corporelles, car une mortification indiscrète n'est pas une vertu, mais un vice. Saint Bernard parle ainsi de ceux qui ne se soumettent pas à ces règles : « Vous ne pouvez vous contenter de la vie commune. Ce n'est pas assez pour vous des jeûnes de la règle, des veilles solennelles, de la discipline qui vous est imposée, de
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la mesure que nous vous faisons dans les vêtements et dans les aliments. Vous préférez ce qui est particulier à ce qui est commun ; mais comment donc, après nous avoir confié le soin de ce qui vous regarde , allez-vous vous entremêler de vos personnes? Cette volonté propre, qui tant de fois
(votre conscience en est témoin) a été cause que vous vous êtes rendue coupable envers Dieu, vous la prenez maintenant pour votre guide, et cela de préférence à votre supérieur l C'est elle, n'en doutez pas, qui vous enseigne à ne point avoir d'égards pour ce qui est naturel; à ne pas acquiescer à ce qui est raisonnable ; à dédaigner le conseil et l'exemple des anciens; à ne pas nous obéir. Ne savez-vous pas que bien des fois l'Ange de Satan se transfigure en Ange de lumière ? Dieu est sagesse, et non-seulement il veut qu'on l'aime avec douceur, mais avec sagesse. C'est pourquoi l'Apôtre dit (1) : Que votre obéissance soit conforme à la raison.
D'ailleurs, l'esprit d'erreur se jouera facilement de votre zèle, si vous mettez de côté la science. Cet ennemi rusé n'a pas de moyen plus sûr pour enlever d'un coeur la charité, que de le faire s'avancer imprudemment et d'une manière contraire aux règles de la raison.
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« (1) O honte ! voyez comme ils demandent sans cesse avec importunité ce qui est superflu, eux qui « refusaient, il n'y a pas longtemps, avec obstination ce qui était. de pure nécessité. Et quand même ils demeureraient invincibles en leur obstination, en continuant à se mortifier sans discrétion, en troublant, par une singularité si notable, ceux avec qui ils devraient vivre sous une même règle, dans la même maison, je ne sais véritablement s'ils pourraient se flatter de conserver encore la vraie piété; pour moi, il me semble que de tels hommes sont rejetés bien
loin. En effet, que ces hommes, sages à leurs propres yeux, qui ont arrêté en eux-mêmes de ne point se rendre aux conseils ni aux commandements, que ces hommes, dis-je, voient ce qu'ils répondront,
non point à moi, mais à celui qui a dit : « C'est une espèce de magie de ne vouloir point se soumettre, et un crime semblable à l'idolâtrie de faire sa volonté propre (2). Or, il avait commencé par dire : L'obéissance est meilleure que la victime, et il vaut mieux obéir que d'offrir la graisse du bélier, c'est-à-dire la mortification faite en dehors de l'obéissance.
« (3) Quel est ce trouble qui s'élève si fréquemment
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et d'une manière si pénible au sein de cette maison ? J'ai en vue la mortification de quelques-uns qui, parmi nous, exercent une abstinence superstitieuse qui les rend à charge à tout le monde et à eux-mêmes. Comment donc un désaccord si général n'est-il pas la ruine de leur propre conscience, et autant qu'il est en eux, un renversement étrange de cette vigne que la droite élu Seigneur a plantée, je veux dire de votre communauté où tout doit être unanime? Malheur à l'homme par qui le scandale vient en ce monde ! Celui, dit le Seigneur, qui aura scandalisé un de ces petits enfants
et ce qu'il ajoute est dur; mais quels châtiments plus durs ne méritera donc pas celui qui scandalise une si nombreuse et si sainte assemblée ? Quel qu'il soit, sans aucun doute, il encourra le jugement le plus sévère.
« (1) Il me reste à signaler à ceux qui parviennent à la grâce de la dévotion, un danger et un danger tout-à-fait à craindre de la part du démon du midi ; car Salan lui-même se transfigure en Ange de lumière (2). Voici donc ce que doit redouter celui qui accomplit toutes choses avec tant de bonheur : c'est qu'en suivant sa ferveur, il ne détruise pas sa santé
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par un exercice immodéré, de peur qu'ensuite il ne soit contraint, au grand détriment de l'édifice spirituel, qu'il a élevé, de s'occuper plus qu'il ne faut d'un corps trop affaibli. Celui qui court bien, afin de ne pas tomber dans ce piège, a besoin d'être éclairé du flambeau de la discrétion qui est la mère des vertus et la consommation de la perfection. C'est elle qui doit l'instruire à ne faire rien de trop, ni rien de moins qu'il ne faut. C'est là le jour huitième dans lequel l'enfant est circoncis, car la vraie discrétion est une circoncision qui empêche qu'il n'y ait ni trop ni pas assez. Celui qui fait trop, coupe le fruit de la bonne oeuvre, il n'en opère pas la circoncision; mais aussi celui qui est tiède fait moins qu'il ne doit. C'est donc en ce jour qu'un nom est imposé, et ce nom est un nom de salut; je
ne craindrai pas de le dire : celui qui vit de la sorte accomplit son salut. Jusqu'à ce jour, les Anges seuls ont pu être instruits de son nom, car ils
connaissent les célestes secrets; mais aujourd'hui, pour la première fois, je lui donne avec confiance ce nom de salut. Et parce que c'est une chose bien rare sur la terre que la discrétion, au moins que l'obéissance tienne en vous la place de cette vertu, mes frères , en sorte que vous ne fassiez ni plus, ni moins, ni autrement qu'il ne vous a été commandé.
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« (1) Il y a des exercices dans lesquels il est nécessaire que le corps se fatigue, comme sont les « veilles et autres choses semblables ; mais ces exercices, loin d'être un obstacle à l'avancement spirituel, aident à l'assurer, s'ils sont faits avec raison et discrétion. Au contraire, si le vice de l'indiscrétion s'y mêle, de façon que le corps tombant en langueur et l'esprit venant à défaillir, les exercices spirituels en soient empêchés, celui qui a agi de la sorte a enlevé à son corps un bien excellent, à son âme la ferveur, au prochain l'exemple, à Dieu l'honneur; il est un sacrilège, et il s'est rendu coupable envers le Seigneur de toutes ces choses. Non pas que, selon le sentiment de l'Apôtre, il ne me semble naturel, juste et convenable, que la tête qui s'est fatiguée souvent jusqu'à la douleur à la poursuite des vanités du siècle, ne souffre quelquefois au service de Dieu; que l'estomac, qui s'est rempli souvent jusqu'à l'excès, ne souffre la faim jusqu'à en crier; mais en tout il faut garder une mesure. Le corps doit être affligé quelquefois, mais il ne faut point le briser; car si l'exercice corporel a quelque petite valeur, la piété est utile à tout. Quand je parle d'une valeur médiocre, je ne prétends point
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flatter la concupiscence ; cependant je soutiens qu'il faut donner quelque soin à la chair, mais avec sobriété et avec une certaine mesure spirituelle, en sorte que, ni dans le mode, ni dans la qualité, ni dans la quantité, on ne découvre rien qui soit indigne d'un serviteur de Dieu. » Ainsi parle saint
Bernard.
Mais, afin que vous connaissiez mieux cette vertu de discrétion, écoutez encore ce que le même saint dit à sa louange (1) : « La vertu de discrétion sans la ferveur de la charité ne fait que traîner, et la ferveur embrasée, si elle n'est tempérée par la discrétion, pousse au précipice. C'est pourquoi celui-là est digne de louange à qui ni l'une ni l'autre de ces vertus ne manquent, de façon que la ferveur anime la discrétion, et la discrétion règle la ferveur. La discrétion établit l'ordre de la vertu, l'ordre lui donne le mode, l'éclat et la perpétuité. C'est en suivant l'ordre que vous leur avez tracé que les jours se succèdent, dit le Prophète (2), et il appelle jour la vertu. La discrétion n'est donc pas tant une vertu que la modératrice et le guide des vertus, la régulatrice des affections et la science des moeurs. Enlevez-la, et la vertu deviendra un vice,
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« l'affection la plus naturelle se changera en trouble et sera la ruine même de la nature. »
Vous voyez donc, par ce qui vient d'être dit, comment l'exemple des Disciples détruit la superfluité et la gourmandise. Mais je ne vous ai point encore fait remarquer comment la pompe du monde y trouve aussi sa condamnation. Bien que je n'aie pas l'intention de poursuivre ce sujet, je ne veux pourtant pas l'omettre entièrement. Qu'il nie suffise donc de dire que dans cet exemple on voit renouveler la bienheureuse simplicité du premier âge dans lequel les hommes se contentaient du fruit des arbres, des racines, des herbes et de l'eau pure. S'il en était ainsi aujourd'hui, nous n'aurions besoin ni de moulin, ni de four, ni d'ustensiles, ni d'un appareil incroyable d'objets de ménage, ni de meubles pompeux et variés, choses dans lesquelles le genre humain est embarrassé d'une manière inextricable.
(1) Un jour Jésus, étant allé à Béthanie, descendit dans la maison de Marthe et de Marie. Comme elles
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l'aimaient de tout leur coeur, elles le reçurent avec le respect le plus profond et l'empressement le plus grand. Marthe, soeur de Marie, se mit aussitôt en action afin de préparer au Seigneur et à ses Disciples un festin tout-à-fait splendide. Mais Marie se plaça aux pieds de Jésus. Or, tandis que le Seigneur, ne pouvant demeurer oisif, répandait les paroles de la vie éternelle, Marie, les yeux attachés sur lui, les oreilles ouvertes à tout ce qu'il disait, trouvait dans ses discours un bonheur inexprimable, et nulle autre pensée n'avait accès en son âme. Marthe souffrit tout cela avec peine, et elle demanda au Seigneur qu'il voulût bien forcer sa soeur à partager son travail ; mais elle reçut une réponse contraire à ses désirs, car il lui fut dit que Marie avait choisi la meilleure part. Celle-ci, qui prenait son repos dans les paroles de Dieu, s'éveillant comme d'un profond sommeil aux réclamations de sa soeur, craignit que son inaction ne fût coupable, et se tint les yeux fixés vers la terre en gardant le silence. Mais après la réponse du Seigneur, elle s'assit de nouveau, plus tranquille et plus heureuse encore qu'auparavant. Ensuite, le repas étant prêt, et le Seigneur cessant de prêcher, elle se lève, lui offre de l'eau afin qu'il puisse laver ses mains, et, sans jamais s'éloigner de lui durant tout le repas, elle le sert avec empressement. Considérez attentivement
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le Seigneur entrant dans cette maison, et ces femmes le recevant avec la joie la plus vive. Arrêtez-vous ensuite à tout ce que vous venez de voir dans les actions diverses que j'ai rapportées , car tout est réellement plein de beauté.
Or, vous devez savoir que, par ces deux soeurs, les saints nous disent qu'il faut entendre les deux voies de la vie spirituelle : la voie active et la voie contemplative. Il y aurait une ample matière à traiter en parlant de ces deux voies; mais je crois qu'il vous est avantageux que je ne m'étende pas trop longuement. Cependant, je veux vous en écrire quelque chose, car saint Bernard a parlé avec abondance sur ce sujet en divers endroits; ses enseignements sont de la plus haute utilité, de la spiritualité la plus élevée, et de la nécessité la plus grande. D'ailleurs, nous vivons continuellement selon ces deux voies, et nous ignorons fréquemment comment nous devons nous y conduire ; de là un grand danger et une perte non légère, surtout pour ceux qui mènent la vie religieuse.
La vie active est donc celle qui est désignée par Marthe ; mais cette vie renferme deux parties, comme je puis le conclure de la doctrine de saint Bernard. La première est celle dans laquelle l'âme s'exerce principalement à ce qui concerne son avantage personnel, en se corrigeant de ses défauts, en se purifiant de ses
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vices et en s'ornant de vertus. La même chose se fait aussi secondairement, dans l'intérêt glu prochain, par l'accomplissement des oeuvres de justice et des devoirs de la piété et de la charité. La seconde partie de cette vie consiste à rapporter son exercice principalement à l'utilité du prochain, quoique l'avantage le plus grand en revienne à celui qui agit; et c'est ce qui a lieu quand on dirige et qu'on enseigne les autres, quand on aide au salut des âmes, comme tous les prélats, les prédicateurs et autres.
Entre ces deux parties de la vie active se trouve la vie contemplative; et tel est l'ordre qui s'y observe : premièrement, c'est que chacun s'exerce et s'applique à l'oraison, à l'étude des saintes lettres, aux autres bonnes oeuvres et devoirs de la vie vis-à-vis de ses frères, en ayant soin de se corriger de ses vices et d'acquérir les vertus; secondement, c'est qu'on se repose dans la contemplation en cherchant la solitude et en vaquant à Dieu seul de tout son pouvoir; troisièmement, c'est qu'à l'aide de ces deux exercices, étant rempli des vertus, illuminé par la vraie sagesse, embrasé de ferveur, on s'applique au salut des autres.
Il faut donc d'abord , comme je l'ai indiqué, que dans la première partie de la vie active, l'esprit se dégage, se purifie du péché, se fortifie par l'exercice des
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vertus ; ensuite, qu'il s'établisse solidement, s'illumine et s'instruise dans la vie contemplative; après quoi, il peut avec confiance travailler à l'avancement du prochain et lui venir en aide. Que ce soit l'ordre véritable, on le prouve par les témoignages que je vais apporter. D'abord, commençons par montrer que la première partie de la vie active précède la vie contemplative.
Saint Bernard dit (1) : « Jésus entrant dans ce village, deux soeurs, Marthe et Marie, c'est-à-dire l'action et l'intelligence, le reçurent. Or, Jésus étant arrivé à elles, leur donna à chacune ce qui leur convient, la vertu et la sagesse ; la vertu à l'action, la sagesse à l'intelligence. Voilà pourquoi il est appelé par les Apôtres : la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu (2). Mais d'où vient que Marthe le reçoit, lorsqu'il entre, qu'elle s'empresse et qu'elle sert, tandis que Marie, après qu'il est entré, se place à ses pieds, suspend son coeur à ses paroles, si ce n'est que l'action marche la première et que la contemplation la suit? Quiconque désire parvenir à l'intelligence, doit nécessairement commencer par s'exercer avec empressement aux bonnes oeuvres, selon qu'il est écrit :
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« Mon fils, si vous désirez la sagesse, conservez la justice, et Dieu vous l'accordera (1). » Et ailleurs : « C'est dans vos commandements que j'ai trouvé l'intelligence (2). « Et encore : « C'est par la foi qu'il purifie leurs coeurs (3). » Par quelle foi? Par la foi qui opère par l'amour.
« (4) Peut-être, vous aussi, soupirez-vous après le repos de la contemplation? Vous faites bien, mais n'oubliez pas les fleurs dont nous lisons que le lit de l'Épouse était couvert. Ayez donc soin d'environner pareillement le vôtre des fleurs de vos bonnes oeuvres, et de prévenir, par l'exercice des vertus, le saint repos, comme la fleur précède le fruit. C'est
vouloir goûter un repos trop mou que de désirer en jouir sans s'être fatigué par l'exercice, et de soupirer après les embrassements de Rachel, en dédaignant la fécondité de Lia. C'est un renversement de l'ordre que d'exiger la récompense avant le mérite, et de prendre sa nourriture avant d'avoir travaillé, l'Apôtre nous disant : Que celui qui ne travaille
pas, ne mange pas (5). C'est dans vos commandements que je trouve l'intelligence, dit le Prophète ; et cela, afin que vous sachiez que les délices de la contemplation ne sont véritablement dues qu'à l'obéissance aux commandements. Ne vous imaginez pas que l'amour que vous avez du repos doive vous porter à vous soustraire aux actes de la sainte obéissance ou aux règles des anciens. S'il en
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était ainsi, l'Epoux ne saurait reposer avec vous, sur une même couche, alors surtout que vous auriez recouvert cette couche des roseaux et des orties de la désobéissance. Il n'exaucerait pas vos prières, et, quand vous l'appelleriez, il ne se rentrait pas à vos invitations ; car ce grand amant de l'obéissance, qui a mieux aimé subir la mort que de se soustraire à ses lois, ne se livrera pas sans mesure à celui qui désobéit. Et il ne saurait approuver le vain repos de votre contemplation, celui qui a dit : Je me suis fatigué à souffrir (1), marquant par ces paroles le temps où, exilé du ciel et de la patrie du suprême repos, il a accompli le salut du monde en demeurant au milieu de nous.
« J'admire beaucoup l'impudence de quelques-uns qui résident dans cette maison, et qui, après nous avoir troublé par leur singularité, nous avoir irrité par leur impatience, nous avoir méprisé par leur entêtement et leur rébellion, osent néanmoins inviter, avec l'instance réitérée de la prière, le Seigneur de toute pureté à partager la couche souillée de leur conscience ; « Mais, leur répond-il, lorsque vous élèverez vos mains, je détournerai mes regards, et lorsque vous aurez multiplié votre prière, je ne vous exaucerai pas (2). » Quoi donc ! votre couche n'est point couverte de fleurs, mais plutôt elle est toute immonde, et vous voulez y attirer le Roi de gloire ! Est-ce pour l'y faire goûter le repos ou pour vous moquer de lui que vous agissez
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ainsi? Continuez donc à étendre durant tout le jour vos mains vers Dieu, vous qui ne cessez jamais de fatiguer vos frères, vous qui portez atteinte à leur union si parfaite, vous qui vous séparez de l'unité. Que voulez-vous que je fasse, direz-vous? Ce que je veux, c'est que vous commenciez par purifier votre conscience de tout levain de colère, de contradiction, de murmure et d'envie, et que vous vous empressiez de retrancher de la demeure de votre âme tout ce que vous savez être contraire, ou à la paix de vos frères, ou à l'obéissance que vous devez aux anciens. Ensuite, ce que je veux, c'est que vous vous environniez des fleurs de toutes sortes
de bonnes oeuvres et de pensées louables, en même temps que des parfums des vertus, c'est-à-dire de tout ce qui est n'ai, de tout ce qui est juste, saint et aimable, de tout ce qui respire la bonne renommée de tout ce qui est vertu, de tout ce qui est digne de louange dans le règlement des murs (1). Occupez votre esprit de toutes ces choses et appliquez-vous à vous y exercer. C'est dans une demeure ornée de la sorte que vous pourrez appeler en sûreté l'Époux; car lorsque sous l'y aurez introduit, il vous sera permis de lui dire avec vérité : Notre couche est couverte de fleurs, votre âme respirant non-seulement la piété, mais la paix, mais
la mansuétude, mais la justice et l'obéissance, mais la joie et l'humilité. »
Ainsi parle saint Bernard, et, par ses paroles, vous
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voyez comment la partie de la vie active, qu'il appelle la première, marche avant la vie contemplative.
Nous allons voir maintenant comment la vie contemplative précède la vie active dans sa seconde partie, et se trouve ainsi placée entre les deux parties de cette vie active. Saint Bernard dit donc : « Sans aucun doute, il faut prendre garde de ne point donner ce que nous avons reçu pour notre usage propre, et de ne point retenir ce qui nous a été accordé
pour être distribué aux autres. Or, vous gardez en votre possession ce qui appartient à Jésus-Christ, si, par exemple, étant plein de vertus et brillant en même temps à l'extérieur des dons de la science et de l'éloquence, vous enchaînez néanmoins dans un silence inutile ou plutôt damnable, soit par crainte ou par paresse, soit par une humilité hors de saison, la parole de bien qui aurait pu servir à un grand nombre. Assurément vous serez maudit, parce que vous cachez ce qui était destiné à nourrir les peuples. D'un autre côté, vous répandez et vous perdez ce qui était destiné à vous seul, si, avant d'être abreuvé tout entier, si, à moitié rempli, vous vous
hâtez de vous prodiguer, si, agissant ainsi contrairement
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à la loi, vous labourez avec le premier-né de vos boeufs, et vous enlevez la toison, à celle d'entre vos brebis qui a vu le jour la première (1). Sans aucun doute, vous Vous privez du salut et de la vie que vous donnez aux autres, tandis que, vide de toute intention bien réglée, vous vous gonflez du souffle de la vaine gloire, vous vous imprégnez du venin de la cupidité terrestre, et vous vous corrompez au milieu des ravages de leur action mortelle. C'est pourquoi, si vous êtes sage, vous serez un réservoir et non un canal; car celui-ci répand presque à l'instant même ce qu'il reçoit, tandis que celui-là attend qu'il soit rempli, et communique ainsi ce qui déborde sans éprouver aucune perte, sachant que la malédiction pèse sur celui qui fait sa part moindre.
« Au reste, vous, mon frère, dont le salut n'est pas encore assez affermi, dont la charité est nulle encore, ou du moins si tendre et si semblable à un roseau qu'elle cède au souffle le plus léger, qu'elle croit
à tout esprit et se laisse entraîner à tout vent de doctrine; ou plutôt : vous dont la charité est si grande que, dépassant le commandement, vous aimez le prochain plus que vous-même, et en même temps si médiocre que, contre le commandement, elle se dissout au contact de la faveur, se laisse abattre par la crainte, troubler par la tristesse, resserrer par l'avarice, retarder par l'ambition, inquiéter par les soupçons, ébranler par les injures, épuiser par les
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affaires, gonfler par les honneurs, dessécher par l'envie: vous, dis-je; qui sentez ce que vous êtes en vous considérant, quelle folie, je vous le demande, vous porte à désirer vous charger du soin de ce qui vous est étranger, ou vous incline à en accepter le fardeau ? Écoutez ce que conseille une charité prudente et vigilante : « Que les autres, dit l'Apôtre, ne soient pas trop soulagés, et que vous ne soyez pas surchargés, mais qu'il y ait égalité (1). » Ne veuillez donc point être trop juste (2) ; c'est assez que vous aimiez votre prochain comme vous-même (3); car c'est en cela que je trouve l'égalité.
« Commencez d'abord par vous remplir vous-même, et ensuite appliquez-vous à répandre ce que vous avez de trop. La charité, qui est pleine de bénignité et de prudence, a coutume d'être dans l'abondance
et de ne point laisser s'écouler ce qu'elle possède. Mon fils, dit Salomon, ne laissez point échapper ce que vous avez (4) . » Et l'Apôtre saint Paul : « Nous devons, dit-il, observer les choses que nous avons entendues, de peur que anus ne soyons semblables à des vases qui laissent s'écouler ce qu'on y met (5). » Or, qu'y a-t-il de plus saint que Paul? Qu'y a-t-il de plus sage que Salomon?
« Mais écoutez maintenant combien de choses sont nécessaires à notre propre salut, et combien elles sont importantes ; combien de choses considérables dont il nous faut remplir avant que nous
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osions entreprendre de les répandre sur les autres... Le médecin s'approche de celui qui est blesse, et c'est l'esprit qui vient au secours de l'âme. Quelle âme rencontrera-t-il qui n'ait été frappée du glaive du démon ? Quel est donc le premier besoin de cette âme ? C'est qu'avant tout la tumeur de l'ulcère, qui a sans doute recouvert la plaie et qui peut
empêcher la guérison , disparaisse. Or , l'ulcère d'une habitude invétérée disparaîtra sous le fer aigu de la contrition. Mais la douleur à supporter est
acerbe. Il faut donc, pour l'adoucir, le parfum de la dévotion, qui n'est autre chose que la joie causée par l'espérance du pardon ; et cette joie, c'est la victoire sur le péché et la puissance de s'en abstenir qui la produit. Mais déjà celui qui en est là rend grâces et s'écrie : « Vous avez brisé mes liens,c'est pourquoi je vous offrirai en sacrifice une victime de louange (1). » il faut ensuite appliquer le remède de la pénitence, qui est un composé de jeûnes, de veilles, d'oraisons et de tous les autres exercices qui sont le partage des pénitents. Dans le travail, l'esprit veut être soutenu par la nourriture des bonnes oeuvres, de peur qu'il ne tombe en défaillance. Que les bonnes oeuvres soient une nourriture, vous l'apprenez par ce qui suit : Ma nourriture, dit le Seigneur, est de faire la volonté de mon Père (2). Ainsi, que les travaux de la pénitence soient donc accompagnés des oeuvres de la piété qui donnent la force. « L'aumône, dit le sage, sera
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le sujet d'une grande confiance devant le Dieu suprême (1). »
« La nourriture engendre la soif : il faut se désaltérer. Qu'à l'aliment des bonnes oeuvres vienne donc se joindre le breuvage de l'oraison qui dispose, au profit de la conscience, tout ce qu'une action sainte a mis en elle, et le fait valoir aux yeux de Dieu. C'est dans l'oraison que l'on boit le vin qui réjouit le coeur de l'homme, le vin de l'esprit qui remplit d'ivresse, plonge dans l'oubli des voluptés charnelles, rafraîchit l'intérieur d'une conscience desséchée, rend facile la nourriture des bonnes oeuvres et la fait pénétrer dans les diverses parties de l'âme en fortifiant la foi, en affermissant l'espérance, en vivifiant et réglant la charité, en purifiant toutes les inclinations.
« La faim une fois rassasiée, et la soif calmée, que reste-t-il à faire au malade, sinon de demeurer en paix et de se livrer au repos de la contemplation après avoir été arrosé des sueurs de l'action? S'il s'endort de ce sommeil, c'est Dieu qui sera l'objet de ses songes ; car c'est comme en un miroir et en des énigmes qu'il lui est donné de le voir, et non face à face. Cependant, c'est alors qu'il s'enflamme de l'amour de celui qu'il s'est plutôt représenté qu'il ne l'a entrevu, et cela comme à la dérobée, à
la lueur d'une étincelle qui s'évanouit, de celui qu'il a à peine senti légèrement; c'est alors qu'il s'écrie : « Mon âme nous a désiré durant la nuit, et
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mon esprit a soupiré après vous jusqu'en ses profondeurs (1).» Un tel amour porte en soi le zèle; c'est l'amour qui convient à l'ami de l'Époux, et il est nécessaire que le serviteur fidèle et prudent, établi par le Seigneur pour prendre soin de sa famille, en soit tout brûlant. C'est l'amour qui remplit, embrase et fermente, l'amour qui répand sans danger ce qu'il possède, car il déborde et ne peut être contenu; il s'écrie : Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je brille de douleur (2) ? » Qu'il se livre donc à la prédication, qu'il produise des fruits abondants, qu'il renouvelle les anciens prodiges, qu'il enfante des miracles. La vanité ne saurait trouver à se mêler là où la charité est en possession de tout. En effet, la plénitude de la loi et du coeur, c'est la charité, pourvu toutefois qu'elle soit pleine et entière. Enfin, Dieu est charité, et il n'y a rien en aucun objet qui puisse remplir une créature faite à l'image de Dieu, si ce n'est le Dieu qui est charité ; car lui seul est plus grand que cette créature. Celui qui n'a pas encore acquis cette charité, de quelque vertu qu'il semble briller aux yeux des autres, celui-là, dis je, ne saurait être mis en avant sans le danger le plus imminent. Quand même il serait en possession de toute la science, quand même il aurait livré son
corps pour être la proie des flammes, sans la charité, il n'est rien, dit saint Paul (3).»
« Voici de combien de choses il faut être rempli,
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afin d'oser en verser la surabondance. C'est d'abord la componction ; en second lieu, la dévotion ; troisièmement, le travail de la pénitence ; quatrièmement, les oeuvres de piété ; cinquièmement, l'application à l'oraison ; sixièmement, le repos de la contemplation; septièmement, la plénitude de la charité. C'est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses par une action qui s'appelle infusion, afin que ce que l'on appelle effusion puisse s'accomplir saintement et par cela même sans danger pour l'honneur et la gloire de Jésus-Christ, notre Seigneur. »
« (1) La contemplation sainte et véritable a pour résultat de remplir quelquefois l'âme qu'elle a embrasée du divin amour, d'un zèle si grand et dun tel désir de gagner à Dieu ceux qui peuvent l'aimer comme elle , qu'elle interrompra avec empressement son repos pour se livrer aux travaux de la prédication; et ensuite, une fois qu'elle a satisfait ses désirs en ce point, elle revient avec d'autant plus d'ardeur à son premier exercice, qu'elle se rappelle l'avoir interrompu de la manière la plus fructueuse. Après s'être rassasiée de nouveau des délices de la contemplation, elle s'élance avec plus de force encore et avec la joie la plus vive à la poursuite des gains qu'elle a déjà connus. »
« Au reste, il arrive le plus souvent que lâme est flottante entre ces deux objets; elle craint et elle éprouve une angoisse profonde dans la pensée
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qu'elle s'attache peut-être plus qu'il ne convient,soit à la prédication qui la distrait de ce qui fait ses délices, soit à la contemplation, et qu'ainsi elle s'éloigne tant soit peu de la volonté divine. C'est peut-être quelque chose de semblable que souffrait le saint homme Job quand il disait : « Si je m'endors, je dis aussitôt : quand me lèverai-je? Et étant levé, j'attends le soir avec impatience (1). » « C'est-à-dire : dans mon repos, je m'accuse de négliger le travail, et dans le travail je me reprends d'avoir troublé mon repos. Vous voyez que ce saint homme flotte, agité par une inquiétude cruelle, entre le fruit qu'il voit dans son travail et le repos qu'il goûte dans la contemplation; et, bien que sa vie se passe tout entière à faire le bien, cependant il fait sans cesse pénitence comme s'il avait mal agi, et il
demande à tout moment avec soupirs à connaître la volonté de Dieu. En effet, l'unique remède ou plutôt l'unique refuge en cette circonstance, c'est la prière; car c'est par elle que s'élèvent vers Dieu nos gémissements fréquents , afin qu'il daigne nous montrer sans cesse ce qu'il attend de nous , quand et comment il veut que nous agissions. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous voyez maintenant comment la vie active renferme deux parties ; comment entre elles se trouve placée la, vie contemplative, et par là même, de quelle manière et en quel ordre il faut les ranger. Il reste à les considérer chacune en particulier; mais je n'ai pas
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l'intention de vous entretenir du sujet que nous devrions traiter en dernier lieu, c'est-à-dire de la seconde partie de la vie active; car il a pour but d'enseigner comment il faut s'employer au salut des âmes et à ce qui concerne l'utilité du prochain, et votre état n'a pas besoin de ces instructions. C'est assez pour vous d'appliquer tous vos efforts à vous corriger de vos défauts et à vous remplir de vertus par la première partie de la vie active, afin de pouvoir vaquer à votre Dieu par la contemplation.
Vous connaissez en partie, il est vrai, ce qui concerne la vie active, surtout par ce que je vous ai cité du sermon 46° de saint Bernard sur le Cantique des cantiques. Cependant je veux encore vous apporter d'autres passages du même saint, afin que vous puissiez fuir le vice avec plus de prudence dacquérir plus abondamment la vertu. C'est donc ainsi qu'il s'exprime dans le même ouvrage : « Sentez pour vous dans la justice, moissonne: l'espérance de la vie, et faites enfin briller à vos yeux; la lumière de la science, dit le Prophète Vous voyez que c'est en dernier lieu qu'il place la science, parce qu'elle est comme une peinture qui ne saurait
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subsister sans un corps qui la reçoive. Ainsi, il met en avant les deux premières choses, et il leur joint la science ensuite, comme si d'abord il eût voulu préparer un fond qui dût recevoir la peinture. C'est donc sans crainte que je m'appliquerai à la science, si je possède d'abord le bienfait de l'espérance, qui sera pour ma vie un gage de sécurité. Vous avez semé pour la justice, si, par une vraie connaissance de vous-même, vous avez éveillé en vous la crainte de Dieu, si vous vous êtes plongé dans l'humiliation, si vous avez versé des larmes, si vous avez répandu des aumônes, si vous vous êtes appliqué aux autres oeuvres de la piété, si, par les jeûnes et les veilles, vous avez affligé votre corps, si vous avez fatigué votre poitrine en la frappant, et le ciel en y faisant monter vos cris. C'est là ce qu'on appelle semer pour la justice. La semence, ce sont les
bonnes oeuvres, les saints exercices ; la semence, ce sont les larmes. Ils s'en allaient, dit le Prophète, et ils jetaient leur semence en versant des
larmes (1). »
(2) Le même saint, en la personne de l'Épouse qui s'adresse aux amis de l'Époux, et demande qu'il lui donne un baiser, c'est-à-dire le ravissement de la contemplation, s'exprime ainsi : « S'il a pour moi quelque sollicitude, qu'il nie donne un baiser de sa bouche; je ne suis point ingrate , mais je l'aime
Voilà déjà un grand nombre d'années que je mefforce de vivre purement et sobrement dans la grâce,
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que je m'exerce aux saintes lectures, que je résiste à mes penchants, que je m'applique fréquemment à l'oraison, que je veille contre les tentations, que je repasse mes années dans l'amertume de mon âme; je pense que j'ai vécu, autant qu'il a été en moi, sans contestation au milieu de mes frères , je me suis soumise aux puissances placées au-dessus de moi ; soit en sortant, soit en rentrant, j'ai connu l'autorité de celui qui me précédait en âge. Je ne désire rien de ce qui appartient à mes frères, j'ai
même donné ce qui m'appartenait, je me suis donnée moi-même ; et cependant je mange mon pain à la sueur de mon front. Tout ce que je viens d'énumérer, l'habitude l'accomplit, mais la douceur n'y est pour rien
Peut-être observé-je les commandements d'une manière passable ; mais mon âme est en ces exercices comme une terre qui est privée d'eau. Afin que mon holocauste devienne plus digne de ses regards, qu'il me donne un baiser de sa bouche. »
« (1) Et vous aussi, si vous partagez volontiers avec nous, qui sommes vos compagnons, le don que vous avez reçu d'en haut; si vous vous montrez sans cesse au milieu de nous empressé à rendre service, plein d'affection et d'amabilité, si vous êtes doux, si vous êtes humble, tous vous rendront témoignage que vous répandez autour de vous l'odeur d'un parfum excellent. Celui qui, parmi nous, non content de supporter avec patience les infirmités
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corporelles et spirituelles de ses frères, s'efforce encore, autant qu'il lui est permis et qu'il est en son pouvoir, de les aider de ses services, de les fortifier par ses entretiens, de les animer par ses conseils, et qui, ne le pouvant à cause de la règle, ne cesse, par des prières réitérées, de consoler celui qui est faible; celui dis-je, qui agit ainsi exhale tout-
à-fait la bonne odeur parmi ses frères, l'odeur des parfums les plus précieux, et le baume coule de ses lèvres ; on le montre du doigt et l'on dit : Voilà celui qui aime vraiment ses frères et le peuple d'Israël ; voilà celui qui répand de fréquentes prières pour le peuple et pour la sainte cité tout entière (1). »
« (2) Tels sont les maîtres qui ont appris du Maître de toutes choses, avec une plénitude plus parfaite,les voies de la vie et qui nous en instruisent jusqu'à ce jour. Que nous ont donc enseigné et que nous
enseignent les saints Apôtres? Ce n'est point le métier de la pêche, ni l'art de faire des tentes, ni rien de semblable ; ce n'est point à lire Platon, ni à comprendre les subtilités d'Aristote; ce n'est point à toujours apprendre et à n'arriver jamais à la connaissance de la vérité. Ils m'ont enseigné à vivre. Croyez-vous que ce soit une chose médiocre que de savoir vivre :? C'est quelque chose de grand et même de très-grand. Il ne vit pas, celui qui est enflé par l'orgueil, souillé par la luxure, ou infecté d'autres vices; car ce n'est pas là vivre, c'est prendre le
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change sur la nature de la vie, c'est s'approcher jusqu'aux portes de la mort. La vie que je juge bonne, c'est de souffrir le mal, de faire le bien et
de persévérer ainsi jusqu'à la mort. On dit vulgairement : celui qui se nourrit bien, vit bien ; mais l'iniquité s'est aveuglée sur ce qui la regarde, car celui-là vit bien seulement qui fait le bien. Je pense que vous qui êtes en communauté, vous vivez bien si vous vivez avec ordre, avec amabilité, avec humilité; avec ordre vis-à-vis de vous-même, avec amabilité vis-à-vis des autres, avec humilité vis-à-vis de Dieu ; avec ordre, en vous montrant empressé dans toute votre conduite à bien diriger vos voies
en présence du Seigneur et en présence de vos frères, évitant pour vous ce qui serait péché et pour eux ce qui serait scandale; avec amabilité, en vous appliquant à vous faire aimer et à aimer vous-même, en paraissant toujours plein de tendresse et d'affabilité, en supportant non-seulement avec patience, mais de bon cur, les infirmités tant spirituelles que corporelles de vos frères; avec humilité, en vous efforçant, lorsque vous aurez fait toutes ces choses, de rejeter loin de vous l'esprit de vanité qui a coutume de prendre naissance au milieu de tels exercices; si alors il se fait sentir à vous, quel qu'il soit, refusez-lui votre consentement. De même en souffrant le mal; comme il est triple, il faut avoir une triple prévoyance; car ce que vous avez à souffrir vient de vous, du prochain et de Dieu : de vous, c'est l'austérité de la pénitence ; du
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prochain, c'est la peine qui naît de sa méchanceté; de Dieu, c'est la verge de la correction céleste. Pour ce qui vient de vous , vous devez en faire un sacrifice tout-à-fait volontaire ; pour ce qui est du prochain, il faut le supporter avec patience; pour ce qui est de Dieu, recevez-le sans murmure et avec actions de grâces. »
Tels sont les enseignements de saint Bernard, et c'est assez pour le montent sur l'exercice de la première partie de la vie active.
Il nous faut parler maintenant de la vie contemplative. C'est ainsi que saint Bernard s'exprime sur ce sujet (1) : « L'Époux, plein de douceur, a placé sa main gauche sous la tête de l'Épouse, afin de la faire reposer et dormir sur son sein ; et maintenant, comme un gardien diligent, il veille sur elle avec amour et tendresse, de peur que, inquiétée par les besoins multipliés et divers de celles qui la suivent, elle ne soit forcée de s'éveiller
Je ne puis contenir ma joie en voyant qu'une telle majesté ne dédaigne point de s'incliner jusqu'à notre infirmité par une union si intime et si douce, et que le Dieu suprême ne juge pas indigne de lui de contracter avec une âme exilée un mariage tout céleste. Ainsi je ne
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doute pas qu'il n'en soit dans les cieux, comme je lis qu'il en est sur la terre : l'âme y goûtera assurément tout ce qui est contenu dans le texte sailli, et même je pense que l'écrivain sacré est impuissant à exprimer non-seulement tout ce que l'âme pourra embrasser alors, mais encore tout ce qu'elle peut ressentir à présent. Que pensez-vous, en effet, qu'elle éprouvera dans le ciel, si dès ce monde elle est comblée d'une telle tendresse qu'elle se sent pressée dans les bras de Dieu, réchauffée dans le sein de Dieu, gardée par les soins et la vigilance de Dieu, de peur que, dans son sommeil, elle ne soit éveillée avant qu'elle me l'ait voulu? »
« Or, ce sommeil de l'Épouse n'est pas un sommeil corporel..., mais un sommeil plein de vie, où l'on ne cesse de veiller, un sommeil qui illumine l'oeil intérieur, met en fuite la mort et donne la vie éternelle. C'est un sommeil qui ne plonge pas les sens dans l'assoupissement, mais les ravit à eux-mêmes. Ce sommeil est une mort, je le dis sans hésiter, car
l'Apôtre parle ainsi, en faisant leur éloge, de quelques-uns qui vivaient encore dans la chair : Vous êtes mort et votre vie est cachée en Dieu avec
Jésus-Christ...(1). Ce n'est donc pas une absurdité de ma part de donner au ravissement de l'Épouse le nom de mort. C'est une mort qui ne lui enlève pas la vie, mais qui la soustrait aux pièges de la vie, en sorte qu'elle peut s'écrier : Notre âme a été arrachée comme un passereau au filet des
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chasseurs (1). L'âme en cette vie marche au milieu des pièges ; elle n'a rien à en redouter toutes les fois que, par quelque sainte et ardente pensée, elle est enlevée à elle-même, pourvu cependant qu'elle s'en éloigne assez et qu'elle vole assez haut pour être étrangère aux habitudes et aux usages des pensées terrestres ; car c'est en vain que le filet est
étendu devant les yeux de ceux qui ont des ailes (2). En effet, qu'y a-t-il à craindre de la luxure, quand la vie ne se fait plus sentir? Et, dans le ravissement de l'âme, le sentiment de la vie, sinon la vie elle-même, venant à s'éloigner, il est nécessaire que la tentation qui s'attache à la vie devienne insensible. Ah! qui me donnera des ailes, comme à la colombe, et je m'envolerai et je me plongera dans le repos (3) . Plût à Dieu qu'il me fût donné de tomber souvent sous les coups d'une semblable mort! J'éviterais ainsi les filets de la mort véritable, je ne sentirais plus les caresses homicides d'une vie que la sensualité entraîne, ou du moins je serais comme stupide aux amorces du plaisir, aux ardeurs de l'avarice, à l'aiguillon de la colère et de l'impatience, aux angoisses des sollicitudes humaines, aux ennuis des soins de cette vie. Que mon âme meure de la mort des justes, afin qu'aucun piège ne l'enchaîne, qu'aucune iniquité
ne la séduise ! heureuse mort qui n'enlève point la vie, mais l'échange contre une meilleure ! Mort précieuse ! Le corps ne tombe point sous ses coups ;
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mais lâme se trouve dégagée et élevée au-dessus d'elle-même. Cependant, ce n'est là que la mort naturelle à l'homme.
« Mais, s'il m'est permis de parler ainsi, que mon âme meure aussi de la mort des Anges, afin que, perdant le souvenir des choses d'ici-bas, non-seulement elle se dépouille du désir des choses corporelles, mais encore de leurs images , et qu'ainsi sa demeure soit sans interruption avec ceux dont elle imite la pureté. Un tel ravissement, si je ne me
trompe, s'appelle , ou simplement, ou par-dessus tout, contemplation; car n'être pas entraîné par la cupidité en vivant sur la terre, c'est le propre de la vertu humaine; mais demeurer étranger aux images des corps en les ayant sans cesse sous les yeux, c'est l'effet d'une pureté angélique. Cependant, en l'un et l'autre, il faut reconnaître un don de Dieu : le premier, comme le second, est un ravissement ; de part et d'autre, il y a élévation au-dessus de vous-même; mais, d'un côté, vous êtes à grande
distance ; de l'autre, vous avez parcouru peu de chemin. Bienheureux celui qui peut dire : Je me suis éloigné dans nia fuite, et je suis demeuré
dans la solitude (1). Il ne s'est pas contenté de sortir, il a voulu aller au loin afin de se reposer. Vous êtes arrivé au-delà des plaisirs de la chair ; vous n'obéissez en aucune sorte à ses concupiscences et vous n'êtes retenu par aucune de ses amorces. Vous vous êtes séparé par votre marche; mais vous ne
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vous êtes pas encore éloigné entièrement parla pureté de votre âme, si vous ne vous élevez au-dessus des fantômes des images corporelles qui vous assiègent de tous côtés. »
« Gardez-vous jusqu'à présent de vous promettre le repos. Vous vous trompez si vous espérez trouver en deçà de ces plaisirs un lieu de tranquillité, le silence de la solitude, l'éclat de la lumière, le séjour de la paix. Mais donnez-moi quelqu'un qui soit arrivé là où je vous dis, et de suite je déclarerai qu'il jouit du repos et que c'est avec justice qu'il peut s'écrier : Rentre, ô mon âme, rentre dans ton repos, car le Seigneur t'a comblée de ses biens (1). Sa demeure est vraiment dans la solitude et son séjour au sein de la lumière. »
« Je pense donc que c'est en cette solitude que l'Épouse s'en était allée, et qu'enivrée par la beauté du lieu, elle s'était endormie avec bonheur entre les bras de l'Époux, c'est-à-dire, que son âme était ravie hors d'elle-même quand les jeunes filles qui venaient à sa suite furent empêchées de l'éveiller jusqu'à ce qu'elle le voulût (2). Mais comment cela se passa-t-il? Ce ne fut point d'une manière ordinaire, ni par un simple avertissement, ainsi qu'on a coutume de faire, qu'elles furent arrêtées, mais par une supplication tout-à-fait nouvelle et inouïe jusqu'alors, par une supplication faite an nom des chevreuils et des cerfs de la campagne. Et par ce genre d'animaux se trouvent très-convenablement
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désignés, tant il cause de la pénétration de leur vue que de la rapidité de leur course, les âmes saintes dépouillées de leurs corps et les Anges qui sont avec Dieu ; car nous savons que ces deux qualités conviennent aux Anges et aux âmes. Ils s'élancent avec facilité aux extrémités les plus élevées, et ils pénètrent sans peine ce qu'il y a de plus profond. Leur séjour, placé au milieu des campagnes, signifie clairement les mouvements libres et sans embarras que l'on trouve en la contemplation. Mais que veut donc dire cette adjuration faite en de tels noms ? Assurément, elle a pour but d'empêcher ces jeunes filles remplies d'inquiétude, d'oser tirer lÉpouse bien-aimée d'une société si vénérable et aux entretiens de laquelle elle se mêle, sans doute , autant de fois qu'elle sort d'elle-même par la contemplation. C'est donc avec raison qu'elles
sont effrayées par l'autorité de ceux qui composent cette assemblée, quand leurs importunités tendent à en éloigner l'Épouse. Et l'on voit par
là qu'il est en la volonté de celle-ci de s'occuper d'elle-même et d'employer ses soins à ce qui concerne ses compagnes, selon qu'elle le jugera nécessaire, puisqu'il leur est défendu de l'éveiller avant qu'elle ne le veuille. L'Époux sait de quelle charité l'Épouse est embrasée envers le prochain; il sait que cette tendre mère est assez excitée par son propre coeur en ce qui touche à l'avancement de ses enfants ; que, sous aucun prétexte, elle ne leur soustraira et ne leur refusera rien de ce qui leur est
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nécessaire, et cela aussi souvent que leurs besoins se feront sentir. C'est pourquoi il a jugé qu'il fallait s'en rapporter sans crainte à sa sagesse dans la distribution de ses soins. »
Or, vous devez savoir qu'il y a trois sortes de contemplation. Les deux principales sont pour les parfaits et la troisième pour les imparfaits. Pour les parfaits, c'est la contemplation de la majesté de Dieu et la contemplation de la cour céleste. Pour les imparfaits, c'est la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ, et c'est elle que je m'applique à décrire en cet ouvrage. C'est par là qu'il vous faut commencer si vous voulez arriver à ce qui est plus grand ; autrement, loin de vous élever, vous retournerez plutôt en arrière : voyez donc combien vous est nécessaire l'enseignement de ce livre, puisque jamais vous ne pourrez concevoir l'espérance d'atteindre, par votre esprit, à ce qu'il y a de sublime en Dieu, si vous ne vous exercez avec soin et longtemps à cette sorte de contemplation. Voici comment sur ce sujet parle saint Bernard : « Il y a deux sortes de contemplation : l'une qui se rapporte à l'état, la félicité et la gloire de la cité d'en haut. C'est dans l'exercice ou le repos de cette
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contemplation que vit la multitude immense de ses célestes habitants. L'autre regarde la majesté, léternité et la divinité du roi suprême. Pour l'une, il faut traverser la muraille; pour l'autre, creuser dans le rocher. Mais plus celle-ci offre de difficultés à vos efforts, plus ce que vous pouvez en extraire renfermera de suavité. »
« Or, l'Eglise entière ne saurait entreprendre de percer le rocher, car il n'est pas donné à tous de pénétrer les secrets de la volonté divine, ni de sonder les profondeurs de Dieu. C'est pourquoi une demeure est offerte non-seulement dans le creux de la pierre, mais dans l'enfoncement de la muraille. Ainsi, les parfaits, à qui la pureté de la conscience permet d'oser, et la capacité de l'intelligence de pouvoir contempler et pénétrer les mystères de la sagesse divine, les parfaits, dis-je, habitent dans le creux de la pierre. Pour les autres, ils font leur séjour dans l'enfoncement de la muraille. Impuissants par eux-mêmes à creuser le rocher, ou du moins
s'en jugeant incapables, ils perceront avec bonheur la muraille, ils contempleront en esprit la gloire des saints. »
« S'il se trouve quelqu'un à qui il soit impossible d'atteindre jusque-là, alors proposez-lui, sans difficulté, Jésus, et Jésus crucifié, afin qu'il puisse aussi habiter au milieu des ouvertures de la pierre; mais sans qu'il lui en coûte aucune peine et sans qu'il se soit fatigué à la creuser. Ce fut l'ouvrage des Juifs : il entrera en possession des travaux de ceux qui
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furent infidèles, afin d'être fidèle; il n'a à redouter aucun refus, car on l'invite à entrer : Entrez, dit le Prophète, dans les trous de la pierre, et
cachez-vous dans les ouvertures de la terre pour vous mettre à couvert de la terreur du Seigneur et de la gloire de sa majesté (1). La terre est montrée toute ouverte à l'âme encore infirme et sans vigueur, afin qu'elle puisse s'y cacher jusqu'à ce qu'elle ait recouvré et accru ses forces, jusqu'à ce qu'elle soit capable de se creuser par elle-même, c'est-à-dire par son énergie et sa pureté , une ouverture dans le rocher, et de pénétrer ainsi jusqu'à l'intérieur du Verbe divin.
« Si, par la terre qui est ouverte, nous entendons celle qui a dit : Ils ont percé mes pieds et mes mains (2), il n'y aura plus à douter en aucune façon du prompt rétablissement de l'âme blessée qui y aura fixé sa demeure. Car où trouvera-t-on, pour guérir les plaies de l'âme, pour purifier les yeux de l'esprit, où trouvera-t-on un remède aussi efficace
que la méditation continuelle des plaies sacrées de Jésus-Christ? Mais jusqu'à ce que cette âme soit parfaitement purifiée et guérie, je ne vois pas comment il lui serait possible de s'entendre adresser ces paroles : « Montrez-moi votre face; que votre voix vienne frapper mes oreilles (3). « Comment, en effet, oserait-elle montrer son visage et élever la voix, alors qu'il lui est recommandé de se cacher : « Mettez-vous à couvert dans l'ouverture de la
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terre, lui dit le Prophète. Pourquoi? Parce que son visage ne respire aucune beauté et n'offre rien qui puisse attirer les regards. Elle ne sera donc pas un objet digne d'être vu, tant qu'elle ne sera pas apte à voir elle-même. »
« Mais lorsque, par un long séjour dans l'ouverture de la terre, elle aura tellement avancé la guérison de son regard intérieur qu'elle sera devenue capable, elle aussi, de contempler à découvert la gloire de Dieu; alors, ce qu'elle verra, elle l'exprimera sans crainte, car sa voix et les traits de son visage seront pleins de grâce. Elle sera nécessairement agréable, cette face qui pourra demeurer fixée sur la clarté de Dieu. Elle ne saurait arriver jusque-là si elle n'était brillante, si elle n'était pure, ou plutôt si elle n'était transformée en l'image de la clarté même qu'elle contemple ; autrement, sa difformité, frappée d'une splendeur si inconnue, la ferait reculer en arrière. Lors donc que la pureté de l'âme lui permettra de fixer ses regards sur la clarté sans tache, l'Époux aussi désirera contempler sa face, et par conséquent entendre sa voix. »
Vous voyez combien il vous est nécessaire de méditer la vie de Jésus-Christ, puisque, d'après les enseignements que vous venez d'entendre, si vous ne vous purifiez dans cette méditation, vous n'arriverez jamais à ce qu'il y a d'élevé en Dieu. Il faut donc vous y exercer avec le plus grand soin et sans interruption. Vous avez vu qu'il y a trois sortes de contemplations : celle de l'humanité de Jésus-Christ, celle de la cour
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céleste et celle de la majesté divine. Or, vous devez savoir que dans chacune d'elles il y a deux ravissements de l'âme : le ravissement intellectuel et le ravissement affectif. Saint Bernard en parle ainsi : « Comme il y a deux ravissements dans la contemplation bienheureuse, l'un de l'intelligence et l'autre de l'affection, l'un de lumière et l'autre de ferveur, l'un de connaissance et l'autre de dévotion, sans aucun doute l'affection pieuse, l'amour brillant du coeur, l'infusion de la sainte dévotion et le zèle ardent dont l'esprit est dévoré, ne sauraient sortir d'ailleurs que des celliers où l'Époux a renfermé son vin. »
Saint Bernard dit donc touchant cette première sorte de contemplation (2) : « Il y a en nous deux choses qu'il faut purifier : l'intelligence et la volonté; l'intelligence, afin qu'elle connaisse ; la volonté, afin qu'elle veuille. L'intelligence, dis-je, est abaissée alors qu'elle se répand sur une foule d'objets, lorsqu'elle néglige de se recueillir en une seule et unique méditation, qui est, formée à l'image de cette cité dont toutes les parties ont une parfaite union
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entre elles. Quant aux affections qui subissent l'influente d'un corps corrompu par des passions diverses, elles ne sauraient jamais être apaisées, pour ne pas dire guéries, si la volonté ne cherche un seul objet, ne tend à un seul objet
Mais Jésus-Christ illumine l'intelligence, Jésus-Christ purifie la volonté ; car le Fils de Dieu est venu, et il a fait de si grands et de si nombreux miracles, afin de détourner notre intelligence de toutes les choses de ce monde, et afin que notre pensée ne fût occupée
que des merveilles dont il est l'auteur, et qu'il nous a offertes comme un sujet inépuisable. Vraiment il a laissé à notre intelligence des espaces immenses à parcourir, et le torrent de pensées qu'ils renferment est d'une profondeur insondable. En effet, qui peut suffire à se représenter comment le Dieu de l'univers nous a prévenus, comment il est, venu à nous, comment il nous a secourus, comment cette majesté sans pareille a voulu mourir pour nous donner la vie, être esclave pour nous faire rois,
être dans l'exil pour nous ramener à la patrie, et s'abaisser jusqu'aux oeuvres les plus humiliantes pour nous établir sur toutes choses ? »
« (1) D'où nous viendra la vérité au milieu de si épaisses ténèbres? D'où naîtra la charité en ce siècle pervers, en ce monde qui a été placé tout entier sous la puissance du malin esprit ? Pensez-vous qu'il y aura quelqu'un pour éclairer notre intelligence, pour enflammer noire coeur? Oui , sans
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doute, si nous nous convertissons à Jésus-Christ, afin qu'il enlève le voile étendu sur nos coeurs.»
« (1) Mon bien-aimé est pour moi comme vu bouquet de myrrhe ; il demeurera sur mon sein. Pour moi, mes frères, au commencement de ma conversion, afin de remplacer les mérites dont je savais bien être dépourvu, je me suis appliqué à former, et j'ai pris soin de placer sur mon coeur ce bouquet composé de toutes les peines et de toutes les amertumes de mon Seigneur. Ce sont d'abord les privations de son enfance, ensuite les travaux de ses prédications, les fatigues de ses courses, les veilles de ses prières, les tentations de son jeûne, les larmes de sa compassion, les embûches de la part de ses ennemis, les dangers de la part des faux frères, les injures, les crachats, les soufflets, les moqueries, les reproches, les clous et autres choses semblables que nous savons tous avoir été produites en abondance par la forêt évangélique et
pour le salut du genre humain
Je me suis dit que méditer ces choses, c'était la sagesse par excellence. C'est là que j'ai placé pour moi la perfection de la justice, là que j'ai vu la plénitude de la science, les richesses du salut, l'abondance des mérites. C'est là que j'ai puisé tantôt le breuvage salutaire de l'amertume, tantôt l'onction suave de la consolation. C'est là ce qui me relève dans l'adversité, me contient dans la prospérité, sert de guide infaillible à mes pas, tandis que je m'avance dans le
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chemin royal de cette vie parmi les tristesses et la joie, ce qui chasse loin de moi les dangers qui me menacent de tous côtés. Ce sont ces choses qui me rendent favorable le Juge de ce inonde, en me montrant doux et humble celui qui est formidable aux puissances, en me faisant voir non-seulement facile à apaiser, mais facile à imiter, celui qui est inaccessible aux principautés, terrible envers les rois de la terre. voilà pourquoi ces choses sont l'objet fréquent de mes discours, ainsi que vous le savez; pourquoi elles sont continuellement en mon coeur, ainsi que Dieu en est témoin; pourquoi elles sont si familières à mes écrits, ainsi qu'on le voit pourquoi ma philosophie la plus sublime et la plus subtile est de connaître Jésus et Jésus crucifié. »
Contentez-vous de ces paroles de saint Bernard pour ce qui regarde la contemplation de l'humanité du Seigneur ; car tout ce livre se rapporte à ce même sujet. Sachez cependant que la vie active ne doit point marcher avant cette sorte de contemplation, car elle a pour objet des choses corporelles, c'est-à-dire les actions de Jésus-Christ selon son humanité. C'est pour cela qu'on l'offre comme plus facile, non-seulement à ceux qui sont plus parfaits, mais encore aux plus grossiers. Ensuite, en cette contemplation, nous nous purifions de nos vices, nous nous remplissons de vertus comme en la vie active, et ainsi elle concourt avec cette vie. Lors donc qu'on dit que la vie active doit précéder la vie contemplative, il faut l'entendre de ses autres espèces qui ont pour objet la contemplation de
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la cour céleste et de la majesté suprême, ce qui est réservé à ceux-là seulement qui sont parfaits. Aussi cette première sorte de contemplation serait-elle plus justement et mieux nommée méditation sur l'humanité de Jésus-Christ, que contemplation. Voyons maintenant ce qu'enseigne saint Bernard sur les deux autres espèces de contemplation dont nous avons parlé.
C'est ainsi que ce saint s'exprime touchant la contemplation de la cour céleste : « (1) Il sera permis à chacun de nous, même pendant le temps de cette vie mortelle, de visiter tantôt les Patriarches, tantôt de saluer les Prophètes, de nous mêler au sénat des Apôtres, de nous unir aux choeurs des Martyrs, tantôt de parcourir, dans toute la joie de notre âme, les rangs et les demeures des vertus bienheureuses en commençant par le dernier des Anges pour nous élever jusqu'aux Chérubins et aux Séraphins, selon que notre dévotion nous y portera. Ceux vers qui nous
nous sentirons entraînés davantage par l'Esprit-Saint qui se communique à chacun de nous dans la mesure qu'il juge convenable, ceux-là, dis-je, si nous nous arrêtons et si nous frappons, ouvriront sans retard. »
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« (1) Heureux celui dont la pensée est toujours en présence du Seigneur, et qui repasse en son coeur, par une méditation diligente, les félicités inépuisables de la droite de Dieu Que pourra-t-il rencontrer de pénible, alors que son âme sera profondément convaincue que les souffrances de ce temps ne sont point dignes d'entrer en comparaison avec la gloire à venir? Que pourra-t-il désirer en ce siècle pervers, lui dont l'oeil voit sans cesse les biens du Seigneur dans la terre des vivants, dont le regard contemple sans interruption les récompenses éternelles? Qui m'accordera que, nous levant tous ensemble et que placés dans les cieux, il nous soit donné de voir le bonheur immense que le Seigneur nous prépare?... Que l'âme puisse demeurer au milieu des félicités, alors que le corps ne saurait le pouvoir encore, quel bien plus précieux, ou plutôt à quoi donner le nom de bien en comparaison de ce bien?... Quel est celui d'entre vous qui, pensant en soi-même à cette vie future, c'est-à-dire à la joie, à l'allégresse, à la béatitude et à la gloire des enfants de Dieu; quel
est celui, dis-je, qui, repassant en soi de telles choses avec une conscience paisible, ne s'écrie aussitôt dans l'abondance de la suavité qu'il éprouve : Seigneur, il nous est bon d'être ici (2) ? Non pas sans doute dans ce pèlerinage d'amertume où notre corps nous enchaîne, mais dans cette méditation salutaire et suave où notre coeur est appliqué. Qui me
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donnera des ailes comme à la colombe, et je m'envolerai et je goûterai le repos (1).»
« Je vous en conjure, mes frères, que vos coeurs ne soient point appesantis par les soins du siècle; déchargez, je vous en supplie, ces coeurs du lourd fardeau des pensées terrestres.... Édifiez en eux, non-
seulement les tentes des Patriarches et des Prophètes, mais tous les palais, toutes les demeures de cette céleste cour, imitant l'esprit de celui qui les parcourait en immolant dans le tabernacle du Seigneur une hostie de louanges, et en chantant ce cantique : « Que vos tabernacles me sont chers, Seigneur Dieu des vertus ; mon âme soupire après les parvis du Seigneur ; elle est presque en défaillance par l'ardeur de ce désir (2)». Et vous aussi, mes frères, parcourez en offrant une victime de ferveur et de dévotion, et visitez en esprit ces demeures élevées et nombreuses qui sont dans la maison de notre Père. Prosternez humblement vos
coeurs devant le trône de Dieu et de l'Agneau. Offrez avec respect vos supplications à tous les ordres des Anges. Saluez l'assemblée des Patriarches, l'armée des Prophètes, le sénat des Apôtres. Contemplez les couronnes des Martyrs, brillantes de fleurs empourprées. Admirez les choeurs des Vierges répandant au loin le parfum des lis. Et, autant que le
permet la faiblesse de votre coeur, prêtez une oreille attentive aux suaves accords du cantique nouveau :
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« Je me suis souvenu de ces choses, dit le Prophète, et j'ai répandu mon cime au-dedans de la demeure; car j'ai l'espérance que je passerai dans le lieu du tabernacle admirable, que j'irai jusqu'en la maison de mon Dieu (1). »
Telles sont les paroles de saint Bernard, el qu'elles nous suffisent pour ce qui regarde la contemplation de la cité céleste.
Arrivons maintenant à la contemplation la plus élevée, à laquelle je crois que bien peu atteignent : je veux dire la contemplation du Seigneur. Écoutons avec respect ce qu'en dit saint Bernard, afin qu'une fois introduits à cette sorte d'exercice, nous tentions, si Dieu daigne le permettre, d'en recueillir quelque fruit délicieux. Ce saint s'exprime donc ainsi en parlant des compagnons de l'Époux, c'est-à-dire des Anges qui s'écrient : Nous vous ferons des diclines d'or marquetées d'argent.
« (2) L'or, c'est l'éclat de la divinité, c'est la sagesse qui brille du haut des cieux. Ces ouvriers célestes à qui ce ministère a été confié, s'engagent à fabriquer
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avec cet or certains objets brillants ornés de variétés, et à les entrelacer aux oreilles intérieures de l'âme. Pour moi, je ne pense pas qu'il s'agisse d'autre chose que de composer certaines images spirituelles, et d'offrir aux regards de l'âme contemplative les sens les plus purs de la sagesse divine qui y sont enfermés, afin qu'elle voie en énigme et comme en un miroir (1) ce qu'elle ne peut encore considérer face à face. Ce sont des choses divines que nous exprimons, des choses inconnues à celui qui n'en a point fait l'épreuve; car nous racontons comment, dans un corps mortel, sous le règne de la foi, alors que la substance de cette lumière éclatant, et cache n'a pas encore été manifestée, la contemplation de la vérité sans tache peut quelquefois tellement nous faire sentir ses effets, ou du
moins quelques-uns de ses effets, qu'il soit permis à plusieurs d'entre nous à qui cette faveur a été donnée d'en haut, de s'écrier avec l'Apôtre : Maintenant, je connais en partie; et encore : Nous connaissons en partie, nous prophétisons en partie (2). Mais lorsque, subitement et avec la rapidité de l'éclair, quelque chose de plus divin brille aux regards de l'âme ravie, aussitôt, soit pour adoucir l'éclat de cette splendeur trop lumineuse, soit afin de nous en faciliter l'enseignement aux autres, aussitôt, et je ne sais comment, naissent en l'esprit certaines images des choses inférieures, adaptées aux sens alors divinement pénétrés. A l'aide de ces images,
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ce rayon splendide et sans tache de la vérité, se trouvant comme ombragé, devient plus tolérable à l'âme elle-même et plus facile à comprendre à celui à qui on voudra le faire connaître. Je pense cependant que de pareilles images sont formées en nous par l'entremise des saints Anges, de même que les images opposées et mauvaises sont en nous, sans aucun doute, l'oeuvre des Anges pervers. »
« (1) Heureuse l'âme qui s'applique à creuser fréquemment dans la muraille, mais plus heureuse encore celle qui creuse dans la pierre même! Il est permis, sans doute, de creuser cette pierre, mais il est besoin pour cela que le regard de l'âme soit plus pur, que son désir soit vraiment plus intense, que les fruits de sa sainteté soient plus exquis. Quel est celui qui sera capable d'arriver jusque-là ? Celui qui a dit : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en
Dieu dès le commencement (2). Ne vous semble-t-il pas que Jean se soit plongé dans les profondeurs mêmes du Verbe, et que des secrets de son coeur il ait tiré comme une moelle sacrée de sa sagesse la plus intime ? »
« Mais plus vous creusez difficilement dans la pierre, plus ce qu'il vous est donné d'en extraire vous offre de suavité. Ne craignez pas les menaces que l'Écriture adresse aux scrutateurs de la majesté divine ; apportez seulement à ce travail un oeil pur
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et simple, vous ne serez point opprimé par sa gloire, mais vous serez admis à la contempler, à moins que vous ne cherchiez votre gloire à vous, et non celle de Dieu. Mais alors ce n'est pas la gloire de Dieu qui vous opprime, c'est la vôtre; car tandis que vous vous abaissez vers elle, il ne vous est point permis de lever en haut votre tête appesantie par la
cupidité. Rejetant donc de côté cette vaine gloire, scrutons sans inquiétude les secrets de la pierre où se trouvent cachés les trésors de la sagesse et de la science. Peut-être conservez-vous encore quelque
appréhension ; mais écoutez la pierre elle-même qui vous dit : Ceux qui travaillent en moi ne pécherons pas (1). Ah ! qui me donnera des ailes
comme à la colombe, et je prendrai mon vol, et je goûterai le repos (2). C'est là qu'il a trouvé le repos, celui qui est doux et simple, tandis que l'homme trompeur, superbe et soupirant après la vaine gloire, est dans l'oppression. »
« Il n'est pas opprimé celui qui n'est point un scrutateur de la majesté, mais de la volonté de Dieu. Quant à la majesté, il est bien vrai que parfois il ose arrêter ses regards sur son éclat, mais c'est entraîné par l'admiration et non pour la sonder. Si quelquefois il lui arrive, dans son extase, d'être ravi en cette majesté, c'est que le doigt du Seigneur est là ; c'est sa bonté qui élève l'homme et non la témérité de l'homme qui le pousse à pénétrer insolemment les profondeurs de Dieu. Lorsque l'Apôtre ne
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rappelle ses ravissements que pour excuser ce qu'il vient de dire, quel autre sur la terré osera s'enfoncer, appuyé sur ses seuls efforts, dans le secret terrible de cette majesté suprême, et, comme un contemplateur hors de saison, s'élancer dans ces mystères redoutables ? Je pense donc que les scrutateurs de la majesté divine , représentés comme des envahisseurs, ne sont pas ceux qui sont ravis par elle, mais ceux qui veulent l'atteindre de force. Aussi sont-ils opprimés par sa gloire. C'est donc une chose redoutable de scruter la majesté de Dieu, mais s'enfoncer dans la recherche de sa volonté, c'est un exercice aussi sûr que pieux. Pourquoi n'emploierais-je pas toute mon activité à approfondir le secret glorieux de sa volonté, dès lors que je sais que c'est un devoir pour moi de lui obéir en tout? Elle est douce, la gloire qui n'a point d'autre source que la contemplation de la suavité même de Dieu, que la vue des trésors de sa bonté, de ses miséricordes innombrables. Enfin, nous l'avons vue,
cette gloire, gloire digne de la grandeur du Fils unique du Père (1), et tout ce que nos yeux en ont contemplé était plein de bénignité et vraiment paternel. »
« Non, une pareille gloire ne saurait m'opprimer, quand même je fixerais sur elle toute l'ardeur de mes regards; et même j'imprimerai en elle la trace de mes efforts ; car, contemplant sans voile cette gloire de Dieu, nous sommes transformés en la
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même image et nous avançons de clarté en clarté par l'illumination de l'Esprit du Seigneur (1). Or, nous sommes transformés en lui lorsque nous devenons conformes à lui. Loin donc de moi l'audace d'établir cette conformité en la gloire de sa majesté, plutôt qu'en une humble soumission à sa volonté. Ma gloire, la voici : c'est de pouvoir entendre un jour dire de moi : J'ai trouvé un homme selon mon coeur (2). Le coeur de l'Époux, c'est le cur de son Père, et quel est-il? Soyez miséricordieux, dit-
il, comme voire Père qui est dans les Cieux est miséricordieux lui-même (3). Telle est la beauté qu'il désire contempler lorsqu'il dit à son Église : Montrez-moi votre face, (4) ; beauté de douceur et de mansuétude. C'est cette beauté qu'elle élève en toute confiance vers la pierre à qui elle est semblable. Approchez-vous de lui, dit le Prophète, et soyez, éclairés de sa lumière, et votre visage ne sera point couvert de confusion (5). Comment, en effet, la confusion viendrait-elle sur celle qui est humble, de la part de celui qui est humble lui-même, sur celle qui est sainte, de la part de celui qui est la piété même, sur celle qui respire la modestie, de la part de celui qui est plein de mansuétude ? Non, la face sans tache de l'Épouse ne concevra pas plus d'effroi de la pureté de la pierre, que la vertu n'en
conçoit de la vertu, que la lumière n'en conçoit de la lumière. »
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« (1) Marthe et Marie représentent les deux voies suivies par ceux qui aiment la pauvreté. Il en est dont la sollicitude, s'unissant à Marthe, prépare deux mets au Seigneur Jésus : la correction de leurs actes empreinte du sel de la contrition, et le travail de la piété accompagné de l'assaisonnement de la dévotion. Mais ceux qui, avec Marie, vaquent à Dieu seul, considérant ce qu'il est dans le monde, ce qu'il est dans les hommes, ce qu'il est dans les Anges, ce qu'il est en lui-même, ce qu'il est dans les réprouvés, ceux-là reconnaissent que Dieu est le soutien et le gouverneur du monde, le libérateur et l'aide des hommes, la nourriture et la gloire des Anges, le principe et la fin de lui-même, la terreur et l'effroi des réprouvés. Ils le contemplent admirable en ses créatures, aimable dans les hommes, désirables dans les Anges, incompréhensible en lui-même, terrible dans les réprouvés. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Or, dans la contemplation de la majesté divine, nous agissons de quatre manières dont le même saint Bernard parle ainsi : « (2) Il y a quatre sortes de contemplation : la première et la principale consiste à admirer la Majesté suprême. Elle veut, pour cela un cur purifié, afin que, le trouvant libre de tout vice, déchargé de tout péché, elle puisse l'élever facilement vers les hauteurs célestes et le tenir de temps à autre livré à l'admiration et suspendu au moins pendant
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quelques instants par l'étonnement et l'extase. »
« La seconde sorte de contemplation est nécessaire à la première : c'est celle qui considère les jugements de Dieu. En effet, tandis que cette vue terrible frappe avec véhémence l'esprit de celui qui s'y arrête, elle met le vice en fuite, fonde la vertu, initie à la sagesse et conserve l'humilité. »
« La troisième sorte de contemplation s'occupe ou plutôt se repose dans le souvenir des biens reçus, et, pour ne pas laisser ingrat celui qu'un pareil souvenir remplit, elle le pousse à l'amour de son bienfaiteur. »
« La quatrième, laissant dans l'oubli les choses passées , se repose dans la seule attente des biens promis, et, comme elle embrasse l'éternité, car les biens promis sont éternels, elle nourrit la patience et donne la force à la persévérance. »
Ainsi s'exprime saint Bernard, et contenions-nous, pour le moment, de ces enseignements touchant la contemplation de la majesté de Dieu.
Après nous être entretenus de l'exercice de l'une et l'autre vie, c'est-à-dire de la première partie de la vie active et de la vie contemplative, ainsi que des espèces
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ces diverses de cette dernière, il nous reste à voir quelle règle il nous faut tenir pour y arriver plus facilement et la posséder plus efficacement. Vous devez donc savoir que la première partie de la vie active demande que l'on demeure avec les autres, de même que la contemplation exige la solitude; il faut habiter au milieu de ses frères, parce qu'ou arrive plus promptement, par ce moyen, au but qu'on se propose. En effet, parmi les autres on rougit des vices auxquels on est sujet et de la privation des vertus qu'on ne possède pas; et ainsi, on se corrige en ces deux points, ce qui n'arriverait pas dans la solitude , car on n'y ferait nulle attention; vous ne trouveriez personne pour Vous reprendre, personne qui vous fit rougir. En outre, dans la vie commune, on profite des corrections qui sont faites aux autres et des bons exemples qu'ils donnent ; car naturellement on s'applique à éviter les défauts que l'on voit repris et qui déplaisent dans les uns, et à acquérir les vertus que l'on entend louer et que l'on aime dans les autres. C'est donc ainsi qu'il, vous faut agir, tant que vous serez dans la vie active , si vous voulez prudemment découvrir et éviter les défauts qui sont en vous et dans les autres, selon qu'il vous a été dit plus haut en plusieurs endroits, surtout en traitant de l'exercice de la vie active. Méditez avec soin ce qui vous a été enseigné alors touchant les vertus et les vices, et efforcez-vous de vous y conformer. Pensez de quelle manière vous devez vous examiner vous-même et considérer les vertus des autres, les imiter, tirer de là sujet de vous
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humilier et d'être toujours dans la crainte en voyant que vous ne possédez rien de semblable. Voici ce que vous enseigne saint Bernard :
« (1) Ce n'est pas sans raison que depuis hier et même plus longtemps, je me suis trouvé envahi par une langueur d'âme, par un affaiblissement d'esprit et par une inertie inaccoutumée en toutes mes
facultés. Je marchais bien ; mais voilà qu'une pierre d'achoppement s'est rencontrée sur mon passage, je l'ai heurtée et. je suis tombé. L'orgueil a été trouvé vivant en moi, et le Seigneur s'est détourné dans sa colère de son serviteur. C'est de là que sont venus la stérilité de mon âme et le manque de dévotion que je ressens. Continent mon coeur s'est-il desséché? comment s'est-il épaissi comme le lait? Comment est-il devenu comme une terre sans eau ? Me voilà impuissant à verser des larmes, tant est grande la dureté de ce coeur! Je ne trouve plus mes méditations
accoutumées. Où est cet enivrement de l'esprit? où est cette sérénité, cette paix de l'âme, cette joie dans le Saint-Esprit? Au lieu de tout cela, je me trouve paresseux pour le travail des mains, engourdi dans les veilles, prompt à la colère, persévérant dans la haine, facile aux exigences de ma langue et de mon palais, lent et sans pensée aucune pour la prédication. Hélas! le Seigneur a visité toutes les montagnes qui m'environnent, il ne s'est point approché de moi... Je vois l'abstinence étonnante de l'un, la patience admirable de l'autre,
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l'humilité profonde et la mansuétude de celui-ci, la miséricorde et la douceur de celui-là; j'en vois quelques-uns ravis fréquemment dans leur contemplation, d'autres qui frappent et pénètrent dans les cieux par l'instance de leurs prières, et d'autres enfin qui brillent au milieu de nous par d'autres vertus. Je les considère tous, dis-je, pleins de teneur, pleins de dévotion, unanimes en Jésus-Christ dans l'abondance des dons célestes et de la grâce; ils sont des montagnes vraiment spirituelles que le Seigneur a visitées et que l'Époux se plaît à parcourir. Pour moi, qui ne trouve en mon coeur rien de semblable, comment me regarder, sinon comme une des montagnes de Gelboé, que celui qui visite toutes les
autres avec tant de bénignité, a passée dans sa colère et son indignation? Mes petits enfants, cette pensée abaisse l'orgueil des yeux ; elle attire en nous la grâce, elle prépare la voie aux visites de l'Époux... Je veux que vous ne vous épargniez pas, que vous vous accusiez vous-mêmes toutes les fois que vous découvrirez que la grâce s'est affaiblie en vous, même presque insensiblement, et lorsque la vertu commence à languir
C'est ainsi que doit agir l'homme qui se considère soi-même avec attention, qui sonde ses voies et ses occupations et qui redoute en toutes choses que le vice de l'orgueil ne trouve à se glisser en son coeur. J'ai appris dams la vérité que rien n'était aussi efficace pour mériter, conserver et recouvrer la grâce, que de se tenir en tout temps devant Dieu sans concevoir des pensées
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superbes, et dans la crainte. Heureux l'homme qui est toujours tremblant (1) ! »
« Apprenez à vous commander à vous-même, à régler votre vie, à composer l'ensemble de votre conduite, à vous juger. Apprenez à vous accuser vous-même auprès de vous-même , à vous condamner souvent, et à ne jamais vous laisser aller impuni. Que la justice soit assise pour vous juger, que devant elle se tienne votre conscience coupable, et qu'elle soit elle-même votre accusatrice. Personne ne vous aime plus tendrement, personne ne vous jugera plus fidèlement que vous. Le matin, faites-
vous rendre compte de la nuit qui vient de se passer, et prenez vos précautions pour le jour qui commente. Le soir arrivé, exigez le rapport de toute la journée et prenez vos mesures pour la nuit qui survient. Avec cette sévérité, il ne vous sera pas libre de vous écarter de la droite ligne. Distribuez à chaque heure ses exercices selon la règle de votre institut; au temps marqué pour les exercices spirituels, donnez les exercices spirituels ; aux moments désignés pour ce qui est temporel, donnez ce qui est
temporel. En tout cela, que l'esprit rende si bien tout ce qu'il doit à Dieu, et le corps tout ce qu'il doit à l'esprit, que si quelque chose a été omis, ou négligé, ou bien se trouve entaché d'imperfection quant à la manière , au lieu , au temps, rien ne demeure impuni ou sans une juste réparation. »
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« (1) Combien j'admire, croyez-le bien, combien je vénère en mon coeur, combien j'embrasse dans l'ardeur de ma charité ceux qui, vivant comme s'ils ignoraient les hommes au milieu desquels ils sont, arrêtent leurs regards sur un, deux, ou plusieurs qu'ils voient marcher dans une plus grande ferveur d'esprit, les distinguent entre tous les autres, et,
alors qu'eux-mêmes l'emportent peut-être sur ceux qu'ils observent ainsi, se les proposent cependant sans cesse comme des modèles, et ont toujours devant les yeux leurs saints élans vers le Seigneur, leurs oeuvres corporelles ou même leurs exercices spirituels. »
« Malheur à moi, me dit un jour un des nôtres, car j'ai remarqué durant nos veilles un religieux en qui j'ai compté trente vertus, dont une à peine se trouve en moi, si toutefois il y en a même une seule. Et cependant ce religieux dont il me parlait n'en possédait peut-être aucune qui s'élevât au degré où l'humilité qui causait cette sainte jalousie était montée. Que le fruit que vous retirerez de ce discours soit donc de vous appliquer à considérer toujours ce qu'il y a de plus élevé dans les autres ; car c'est en cela que consiste la plénitude de l'humilité. Peut-être en quelque joint vous semblera-t-il que vous avez été favorisé d'une grâce plus considérable que quelqu'un d'entre vos frères; mais si vous êtes rempli d'une sainte émulation, il vous sera facile de vous juger en beaucoup de choses inférieur aux autres.
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Qu'aurez-vous à prétendre, en effet, quand vous pourriez jeûner plus que celui-ci, si de son côté il vous surpasse en patience, s'il est plus avancé que vous dans l'humilité, s'il l'emporte par la charité? Pourquoi vous bercer durant tout le jour en la folle pensée de ce que vous croyez posséder? Soyez plutôt inquiet de savoir ce qui vous manque; car c'est
là ce qui vous est le plus avantageux. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous voyez combien c'est une chose grande de se considérer et de s'examiner soi-même, et en même temps de considérer et d'examiner les autres, afin de tourner leurs bons exemples à notre avantage. Exercez-vous donc beaucoup à cette pratique pendant que vous êtes dans la vie active, en remplissant toujours avec soin les devoirs de la charité, de l'humilité et de la piété. Mais, sur toute chose, soyez fidèle à la méditation de la vie de Jésus-Christ et à l'oraison, car c'est par là que vous serez illuminée d'une manière admirable touchant les vertus et les vices ; par là, plus que par aucun autre exercice, que vous avancerez dans la pureté de l'âme, à laquelle vous devez tendre de toutes vos forces, comme je vous l'ai dit en vous parlant du jeûne du Seigneur. Et si vous avez bien compris les passages que je vous ai apportés sur la contemplation, vous devez savoir que plus l'on désire arriver à une contemplation élevée, plus il faut se fortifier en la pureté du coeur. Or, l'âme se purifie par la méditation de la vie de Jésus-Christ et surtout de sa Passion, ainsi que vous l'avez vu plus haut par les extraits
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du discours soixante-douzième de saint Bernard sur le Cantique des cantiques. Elle se purifie encore dans l'oraison qui est voisine et proche de la contemplation ; et ce que l'oraison obtient par un travail pénible, la contemplation le savoure dans un repos délicieux. Voilà ce que j'avais à vous dire sur la manière de vivre dans la vie active.
Mais dans la vie contemplative, il faut se conduire autrement et d'une manière bien différente. Le contemplatif doit vaquer à Dieu seul et demeurer dans la. solitude, au moins celle de l'esprit, comme vous avez pu le remarquer plus haut, lorsque je vous ai entretenu du jeûne du Seigneur. Il n'a donc rien à voir dans les choses communes, ni dans celles qui lui sont propres; rien touchant le prochain, quant aux services corporels qui regardent le temps présent, mais seulement par la prière, par la dévotion et la compassion ; rien non plus dans ce qui concerne sa, propre personne. Il doit, sans tarder, rejeter tout derrière lui et demeurer, afin de pouvoir s'occuper de Dieu seul, comme insensible et comme mort, à moins que la nécessité n'exige qu'il n'en soit autrement que ses désirs ne le voudraient. C'est dans le repos qu'il doit apprendre cette sorte de sagesse, ainsi que je vous l'ai dit en citant le
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sermon quarantième de saint Bernard sur les Cantiques. Il faut qu'il agisse le moins possible et qu'il se taise, à l'exemple de Marie, de quelque manière qu'on l'interpelle; quelque réitérées que soient ces interpellations, qu'à son exemple, il laisse le Seigneur répondre et agir pour lui, et qu'il remette toutes choses aux soins charitables de sa providence. Mais plutôt écoutez saint Bernard traitant ce sujet avec son éloquence habituelle :
« (1) Marthe en agissant nous offre, dit-il, l'exemple d'une personne qui travaille parfaitement. Mais pour Marie, tandis qu'elle demeure assise, tandis qu'elle est dans le silence et qu'interpellée, elle ne répond rien, elle nous présente l'image du contemplatif. Elle est tellement appliquée de toute l'ardeur de son âme à la parole de Dieu, que, repoussant tout le reste, elle puise à longs traits le seul bien qu'elle aime, la connaissance de ce qui est divin ; et, ravie intérieurement dans la contemplation ineffable des joies de son Dieu, elle est devenue comme étrangère à ce qui est extérieur. Ne nous étonnons pas si nous entendons celui qui travaille et agit parfaitement murmurer contre son frère qui se tient dans le repos, puisque nous lisons dans l'Évangile que Marthe a fait la même chose contre Marie. Mais vous ne trouvez nulle part que Marie ait murmuré contre Marthe en refusant de se mêler à son travail. Elle n'eût pu convenablement s'adonner à ces deux e choses à la fois; elle n'eût pu satisfaire aux soins
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extérieurs et vaquer intérieurement à l'amour de la sagesse ; car c'est de cette sagesse qu'il est écrit : « Celui qui agit peu, l'acquerra (1). C'est pourquoi Marie s'assied et se tient immobile; elle ne veut point interrompre le repos de son silence, dans la crainte de perdre la douceur délectable de sa contemplation, surtout lorsqu'elle entend son Dieu lui dire intérieurement : Tenez-vous dans le repos, et voyez combien le Seigneur est plein de suavité. »
« (3) Croyez-vous qu'en cette demeure qui reçoit Jésus, l'accent du murmure puisse se faire entendre? Heureuse la maison, bienheureuse à jamais la communauté où c'est Marthe qui se plaint de Marie ! Il eût été tout-à-fait indigne, tout-à-fait blâmable que Marie eût élevé la voix contre Marthe. Mais où lisez-vous que Marie se soit plaint que sa soeur la laissât seule en son exercice ? Loin, loin de celui qui s'emploie à vaquer à Dieu seul, de soupirer après la vie des frères servants. Marthe semble toujours ne pouvoir se suffire à elle-même et être au-dessous de sa tâche ; c'est pourquoi elle désire vivement se décharger sur les autres en partie. Mais voyez la prérogative de Marie : en toute occasion, elle a un avocat.
Le pharisien s'indigne, Marthe se plaint, les Disciplines mêmes murmurent; partout Marie garde le silence, et le Seigneur parle pour la défendre. »
« Que Marie se tienne donc dans le repos et qu'elle voie combien le Seigneur est suave. Qu'elle voie, dis-je, quelle dévotion de l'âme, quelle tranquillité
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de l'esprit elle doit posséder pour s'asseoir aux pieds de Jésus, pour tenir son coeur toujours en sa présence, pour recevoir les paroles qui sortent de sa bouche, lui dont l'amour est si délectable et le langage si plein de douceur. La grâce est répandue sur ses lèvres, dit le Prophète, et il l'emporte en beauté sur les enfants des hommes (1), et même sur toute la gloire des Anges. Réjouis-toi et rends grâces, ô Marie ! de ce que tu as choisi la meilleure part ; car bienheureux sont les yeux qui voient ce que tu vois ; bienheureuses les oreilles qui méritent d'entendre ce qu'il t'est donné d'entendre. Oui! tu es bienheureuse, toi qui perçois dans le silence le murmure du souffle divin, dans ce silence où il est si avantageux à l'homme d'attendre le Seigneur. Sois simple, non-seulement d'une simplicité sans arrière-pensée, mais d'une simplicité qui rejette la multitude des occupations, afin qu'il puisse converser avec toi, celui dont la voix est pleine de charmes et le visage brillant d'un éclat glorieux. Évite seulement de commencer à abonder en ton propre sens et de vouloir être sage plus qu'il ne faut, de peur qu'en poursuivant la lumière tu ne viennes, sous l'illusion du démon du midi, à tomber dans les ténèbres. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Vous comprenez par là que l'homme contemplatif doit tout mettre de côté, et les occupations, et les exercices corporels. Tout cela. est directement opposé
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à sa vocation, et un des plus graves empêchements qu'il puisse rencontrer; tout cela multiplie les obstacles sur son chemin, et non-seulement lorsqu'il est livré à ces occupations, mais encore lorsqu'il en est sorti. D'abord c'est l'inquiétude et l'anxiété d'esprit, qu'il conçoit sur ce qu'il a bit et sur ce qu'il a à faire; ensuite ce sont les imaginations et les fantômes qui se forment en sou âme et qui s'opposent grandement à la contemplation.
Voyons maintenant quels sont les empêchements que rencontre la contemplation. Ces empêchements sont au nombre de quatre, dont saint Bernard parle ainsi :
« Si par hasard il arrive à certain moment que quelqu'un d'entre nous soit ravi et caché de telle sorte dans le secret de la contemplation, dans ce sanctuaire de Dieu, qu'il n'y soit inquiété ou troublé ni par la faiblesse de ses sens, ni par des soins poignants, ni par le remords de ses fautes, ni par le torrent plus difficile à éloigner, des vaines imaginations corporelles, celui-là revenu à nous pourra se glorifier et dire : Le roi m'a introduit dans le secret de sa demeure. » Ainsi parle saint Bernard.
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Le premier empêchement est donc la faiblesse des sens, c'est-à-dire du corps. L'âme, en effet, est tellement unie au corps que s'il soutire en quelqu'une de ses parties ou en quelqu'un de ses sens une incommodité notable, elle ne saurait trouver de joie dans la contemplation. Ainsi le temps de la maladie n'est pas un temps favorable à cet exercice, à moins que le Seigneur n'intervienne par une laveur spéciale. Il en est de même lorsque le corps est en proie à une faim violente, ou à une soif dévorante, ou à un froid trop rigoureux ou à quelqu'autre souffrance semblable.
Le second empêchement, qualifié de soins poignants, s'entend de la sollicitude des embarras et des occupations; et ce que nous avons rapporté dans le chapitre précédent, pourrait suffire pour éclaircir ce point. Le même saint Bernard, exposant dans un long discours les empêchements de la contemplation, dit entre autres choses : « (1) De même que la poussière tombant dans l'oeil corporel, est un obstacle à la vue, ainsi la sollicitude des choses terrestres obscurcit l'oeil de l'intelligence et l'empêche de contempler la vraie lumière. »
Le troisième empêchement s'appelle la faute qui entendre le remords, ou autrement le péché. Or, cela peut arriver de deux manières : d'abord lorsque le péché existe dans l'âme ; en second lieu, lorsqu'il y a été, et, qu'étant détruit par la contrition et la confession, il revient néanmoins en la mémoire. L'un et
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lautre sont un obstacle à la contemplation, selon que saint Bernard l'exprime au même endroit, où il dit : « De même que les ténèbres empêchent la vue du corps, ainsi le péché, lorsqu'il réside dans l'âme, lui devient un obstacle en la rendant ténébreuse. Et comme pour la contemplation l'âme a besoin de la pureté et de la beauté, elle ne peut en cet état y trouver aucun accès. De même, ajoute-t-il, que le sang ou l'humeur venant à s'épaissir et à couler dans les yeux, empêche l'exercice de la vue, ainsi le péché, lorsqu'il revient en la mémoire, influe sur l'âme, devient un obstacle à son regard.» Vous devez donc, au temps de la contemplation, prendre garde de ne point penser à vos péchés. Sans doute, il nous faut en tout temps nous regarder comme des pécheurs, mais il est nécessaire, lorsque nous voulons nous livrer à la contemplation, de ne point nous arrêter d'une manière distincte sur aucun de nos péchés ; et à ce sujet saint Bernard s'exprime ainsi : « (1) Nous trouvons la contemplation de Marie dans ceux qui, par une longue suite de temps, ont pu s'avancer, aidés de la grâce de Dieu , vers quelque chose de meilleur et de plus délicieux, lorsque, déjà pleins de confiance en la miséricorde, ils ne s'inquiètent pas tant de repasser dans leur âme le triste souvenir de leurs péchés, que de méditer avec assurance la loi du Seigneur le jour et la nuit, et d'y puiser un bonheur insatiable. Parfois aussi le voile qui couvre leurs yeux venant à s'écarter, ils contemplent la gloire de
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l'Epoux avec une félicité ineffable ; ils sont transformés en son image et ils s'avancent de clarté en clarté conduits par l'Esprit du Seigneur.»
Le quatrième empêchement consiste dans les vains fantômes des images corporelles, et c'est là le plus difficile à vaincre. Voilà pourquoi la solitude est tant recommandée dans cet état. Il faut que le contemplatif soit muet, sourd et aveugle ; il faut qu'en voyant, il ne voie pas ; qu'en écoutant, il n'entende point, et qu'il ne trouve pas son plaisir à parler; c'est-à-dire qu'il doit être tellement étranger aux choses passagères et tellement uni à Dieu, que, soit qu'il entende, soit qu'il voie, soit qu'il converse, sa course n'en éprouve aucun ralentissement ; c'est-à-dire encore, qu'il doit fuir toutes ces choses, et, si la nécessité le contraint de s'y mêler, s'efforcer de n'en point rapporter les images en son âme ; car c'est en ces occasions qu'elles font en nous leur entrée comme par une porte ouverte à leur impétuosité. Aussi le contemplatif ne doit pas, comme l'homme de la vie active, observer les actions des autres, de peur que son esprit n'y trouve sujet à de vaines imaginations. A plus forte raison devez-vous vous éloigner de tout entretien avec les personnes du siècle, quelque unie que vous puissiez être avec elles, ainsi que je vous en ai avertie plusieurs l'ois. Cependant si, de temps à autre, l'obéissance, la nécessité, la charité, ou même le besoin de vous récréer vous portent à entreprendre ou à faire quelque chose, acquittez-vous-en fidèlement; mais n'y attachez pas tellement votre volonté, n'y prenez pas un
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plaisir tel que l'image s'en imprime en votre âme, de peur que, voulant ensuite vaquer à Dieu seul, ce ne vous soit un empêchement. C'est ainsi que s'exprime saint Bernard sur ce sujet :
« (1) Quelquefois il faut travailler des mains, selon l'ordre que l'on en reçoit, mais ce n'est pas tant pour réjouir l'esprit pendant quelques instants que pour conserver et nourrir en lui le goût des choses spirituelles. Que notre âme trouve donc en cet exercice un moment de repos, et non pas un sujet de dissipation; et, lorsqu'il nous faudra rentrer en nous-mêmes, qu'il nous soit facile de nous retirer promptement de ces occupations sans éprouver la résistance d'une volonté qui s'attache, sans ressentir la contagion d'un plaisir qui se forme ou d'une imagination qui se remplit de fantômes. L'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. De même les exercices spirituels ne sont pas subordonnés aux corporels, mais ceux qui sont corporels aux spirituels. Ainsi, comme après la création de l'homme un aide lui fut préparé, semblable à lui et de sa propre substance, de même, bien que les exercices corporels soient nécessaires pour aider les exercices spirituels, cependant ils ne paraissent devoir leur être profitables que lorsqu'il y a entre eux ressemblance et affinité ; comme, par exemple, méditer pour écrire et écrire ce qu'on devra lire ensuite. Les exercices du dehors épuisent souvent aussi l'esprit, mais quelquefois de telle
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sorte que dans l'accomplissement plus pénible des travaux manuels, là où le corps éprouve une peine plus considérable, l'on arrive à la contrition et à l'humilité du coeur. Cette grande fatigue, en effet, fait naître souvent en nous l'ardeur d'une dévotion plus intense. Cependant le serviteur fidèle et prudent, toujours attentif à son repos intérieur, dispose son travail et ne s'y dissipe pas, mais par lui il croît de plus en plus dans le recueillement; car il n'a pas tant devant les yeux ce qu'il fait, que ce qu'il se propose. En agissant, ses yeux demeurent toujours fixés sur la fin de toute consommation. »
Vous voyez avec quelle vigilance il vous faut prendre garde de ne point embarrasser votre esprit dans des travaux manuels. Je sais, en effet, quels obstacles ils offriraient à votre contemplation par les inquiétudes qu'ils font naître. Mais contentons-nous de ce que nous venons de dire sur ces empêchements.
Vous pouvez comprendre clairement, par tout cela, combien nuisible est cette curiosité qui s'arrête à tout, affecte l'âme entière et la remplit d'inquiétudes et de souillures; combien déplorable est la cupidité, l'application à amasser des trésors, et par conséquent combien précieuse est la pauvreté qui conserve en tout temps l'âme pure et libre en la présence de Dieu. Au reste, ne vous laissez pas ébranler par ce que je vous ai déjà dit, .que le contemplatif ne s'occupe pas de ce qui concerne le prochain ; car il est tout appliqué à Dieu, et il l'emporte sur l'homme actif dans l'amour qu'il lui porte; tandis que l'homme actif
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remporte sur le contemplatif par l'amour qu'il a pour le prochain.
Voici comment saint Bernard parle en cette occasion : « Je dis que, par la grâce de Dieu qui est en nous, nous possédons, nous aussi, des figuiers et des vignes. Les figuiers sont ceux dont les moeurs sont plus douces et plus suaves ; les vignes, au contraire, ceux dont l'esprit est plus rempli de ferveur. Celui qui, au milieu de nous, agit en union et en paix, celui qui, non content de vivre sans contestation au milieu de ses frères, s'efforce encore de se montrer plein d'amabilité envers tous en embrassant tous les devoirs de la charité, pourquoi serait-il inconvenant de dire que celui-là nous tient la place du figuier ?... Mais ceux à qui nous donnons le nom de vignes, nous apparaissent plus sévères qu'aimables. Ils agissent avec un esprit brûlant de ferveur, ils sont zélés pour la discipline, reprennent le vice avec vigueur, et peuvent justement s'écrier avec le Prophète : « N'ai-je pas haï ceux qui vous haïssaient ? Et ne
séchais-je point de douleur à la vue de vos ennemis (2) ? Ou bien encore : Le zèle de votre maison m'a dévoré (3)! Pour moi, il me semble que les uns sont plus avancés dans l'amour du prochain, et les autres plus élevés dans l'amour de Dieu. »
Vous voyez que les contemplatifs, à qui il appartient surtout d'avoir du zèle pour la gloire de Dieu, sont préférés aux hommes de la vie active en ce qui concerne l'amour divin. Cependant, il faut l'entendre avec
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discrétion, car le contemplatif ne met jamais de côté l'amour du prochain, mais seulement c'est à Dieu qu'il s'applique principalement, et au prochain secondairement, alors même que celui-ci est la cause de sa détermination. Il est tout-à-fait nécessaire, en effet, que celui qui est nouveau et qui commence à entrer dans la voie de la contemplation, vaque à Dieu seul le plus strictement possible, et qu'il demeure dans la solitude d'esprit et même dans celle du corps, autant qu'il le peut, jusqu'à sembler, par amour pour Dieu, négliger la gloire de Dieu, se négliger soi-même et le prochain, puisque la nature même de la solitude demande qu'il en soit ainsi, surtout quand la visite de l'Époux et ses fréquentes apparitions viennent y répandre la joie. S'il agissait d'une manière différente, il pourrait aisément perdre racine ; mais lorsqu'il est devenu parfait et qu'il a grandi dans un long exercice de la contemplation, alors il est plein d'un zèle courageux pour les intérêts de Dieu et pour le salut des âmes, comme vous l'avez vu dans le discours dix-huitième de saint Bernard sur les Cantiques, rapporté dans ce traité lorsque j'ai montré comment la vie contemplative précède la seconde partie de la vie active. Cependant, lorsque la nécessité devient urgente, le contemplatif, quel qu'il soit, quel que soit son degré d'avancement, doit interrompre son repos par amour pour le prochain. Aussi le même saint Bernard s'écrie-t-il à cette occasion :
« (1) Qui doute que l'homme appliqué à l'oraison ne
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s'entretienne avec Dieu? Combien de fois cependant, la charité nous en faisant un précepte, sommes-nous détournés et éloignés de cet exercice par ceux qui ont besoin de notre secours ou de nos consolations ? Combien de fois ce doux repos cède-t-il, par tendresse, la place au tumulte des affaires? Combien de fois une conscience sage met-elle de
côté les saints Livres pour se fatiguer au travail des mains? Combien de fois, nième pour l'administration des choses terrestres, regardons-nous comme un devoir de surseoir aux saintes solennités du sacrifice divin ? C'est l'ordre renversé, mais la nécessité ne connaît point de lois. »
Vous avez vu dans le passage de saint Bernard cité an chapitre précédent, que le contemplatif l'emporte dans l'amour de Dieu sur celui qui mène la vie active : doù il semble que l'on doit conclure que la vie contemplative mérite la préférence sur la vie active. Voici donc comment le même saint nous en parle :
« (1) D'où vient, mes frères, qu'il est dit que Marie a choisi la meilleure part? S'il lui vient à l'esprit de juger inférieur à la contemplation le travail trop ardent de Marthe, comment pourrons-nous lui adresser
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cette parole que nous avons coutume d'employer contre elle : L'iniquité de l'homme vaut mieux que les bienfaits de la femme (1)? Comment appliquer cette autre parole du Seigneur (2) : Si quelqu'un me sert, mon Père le comblera d'honneur ? Ou bien encore cette autre (3) : Que celui qui voudra dure le plus grand parmi vous, soit votre serviteur? Enfin, quelle consolation trouvera celle qui travaille, si, comme pour lui faire injure, on exalte la part de sa soeur? Pour moi, je pense qu'il faut, en cette circonstance, choisir une de ces deux explications : le choix de Marie est loué, parce que c'est vraiment la part que nous devons préférer en tout, autant qu'il est en notre pouvoir ; ou bien il faut dire qu'elle a été parfaite en l'une et l'autre part, qu'elle n'a point précipité son choix d'un côté plutôt que d'un autre, mais qu'elle s'est tenue prête à obéir à son Maître, quelque fût son commandement.
« En effet, qui est fidèle comme David, qui sort et qui rentre selon l'ordre de son roi? Il s'écrie (4) : Mon coeur est prêt, non pas une fois seulement, mais il est prêt autant qu'il le faudra, et à vaquer à vous, Seigneur, et à servir le prochain. C'est là, assurément, la part la meilleure qui ne saurait être enlevée; c'est là l'esprit le meilleur, qui ne subira aucun changement de quelque côté que vous l'appeliez. Car celui qui aura bien servi, se sera acquis un degré excellent ; celui qui aura bien
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vaqué à Dieu seul, un meilleur encore; et celui qui aura été parfait dans l'une et l'autre de ces choses, l'emportera sur tous les autres. J'ajoute encore, si cependant il est permis de concevoir de Marthe un soupçon pareil : Ne semble-t-elle pas juger sa soeur comme une personne oisive, alors qu'elle demande qu'elle lui vienne en aide ? Mais il est véritablement charnel, et il ne comprend en aucune façon les choses qui sont selon l'esprit de Dieu, celui qui ose accuser d'oisiveté l'âme qui jouit de ce repos. Qu'il apprenne donc que c'est là la meilleure part, celle qui demeurera éternellement. Ne doit-on pas regarder comme vraiment ignorante une âme qui, sans expérience aucune de la contemplation
divine, veut pénétrer dans une région où cet exercice fait le travail, l'occupation unique et la vie de tous ceux qui l'habitent? »
« (1) Il y a deux choses dans l'intention qui est appelée la face de l'âme, et elles sont requises nécessairement. Ce sont : l'objet de l'action et sa cause, c'est-à-dire ce que vous vous proposez, et ce pourquoi vous vous le proposez. C'est , sans aucun doute, par ces deux choses qu'on juge de la beauté ou de la difformité de l'âme... Or, s'appliquer à autre chose qu'à Dieu, mais à cause de Dieu, ce n'est pas seulement l'occupation de Marie, mais aussi celle de Marthe. Loin de moi d'avancer que celle qui en est là ait quelque difformité, bien que je n'affirme pas qu'elle soit arrivée à la perfection de la
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beauté. En effet, celle qui est encore pleine de sollicitude et de tourments pour plusieurs objets, ne saurait s'empêcher de porter l'empreinte au moins légère de la poussière soulevée par ses actions terrestres. Cependant, elle pourra la secouer promptement et sans embarras, au moins à l'heure du saint repos, si son intention est pure, si le regard de sa conscience est toujours fixé sur Dieu. Ainsi, chercher Dieu seul à cause de lui seul, c'est donc là véritablement posséder, dans toute leur beauté, les
deux parties du visage brillant d'une intention parfaite; c'est là ce qui est propre et spécial à l'Épouse , ce qui lui donne la prérogative singulière de s'entendre dire avec justice : Vos joues out la beauté de la tourterelle. »
« (1) La solitude et la réclusion sont des noms qui expriment la misère, mais la cellule ne doit, en aucune manière, être une prison ; elle est la demeure de la paix, une porte fermée ; elle n'est point un séjour ignoré, mais une habitation silencieuse et sans tumulte. En effet, celui avec qui Dieu réside n'est jamais moins seul que lorsqu'il est seul ; car c'est alors qu'il jouit librement de son bonheur ; alors qu'il s'appartient pour goûter Dieu en soi et jouir de soi-même en Dieu; alors qu'au lambeau de la vérité et dans le calme d'un coeur pur, sa conscience se
dévoile d'elle-même sans nuage à ses yeux, et que sa mémoire se pénètre et s'impressionne de Dieu ; alors que son intelligence est illuminée, et que sa
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volonté jouit du bien qu'elle possède, ou que le défaut de la fragilité humaine se découvre sans réserve. Ainsi, ayant fixé votre demeure dans les cieux, selon la règle de votre institut, plutôt que dans vos cellules, ayant rejeté le siècle sans partage, vous vous êtes renfermés tout entiers avec Dieu
Vaquer à Dieu seul, ce n'est pas de l'oisiveté, mais l'affaire des affaires. »
Vous voyez donc, par tous ces passages, que la vie contemplative mérite la préférence sur la vie active. Je vous en ai cité encore bien d'autres en cet ouvrage, d'où vous pouvez conclure la même chose, aussi bien que de ce que je vous ai dit plus haut dans le chapitre qui a pour titre : Comment le Seigneur prit la fuite quand la foule voulut le faire roi, le tout tiré du discours trente-deuxième de saint Bernard sur les Cantiques.
Maintenant, laquelle de ces deux vies renferme le plus de mérite ? C'est le secret de Dieu. Pour moi, je serais porté à croire que celui qui est embrasé d'un amour plus ardent mérite davantage. Mais il me semble que c'est dans la contemplation que l'on s'enflamme par-dessus tout en l'amour. C'est, en effet, une grande chose de contempler Dieu, de jouir de Dieu, de converser avec Dieu, de connaître sa volonté ; et tous ces biens sont le partage de l'homme contemplatif. C'est par eux qu'il a un avant-goût des récompenses de la patrie, quoique ce bonheur soit rare et imparfait. Aussi, les saints semblent-ils s'accorder en ce point : que la vie contemplative est une source plus
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abondante de mérites que la vie active. Mais quoiqu'il en soit, le Seigneur eut être servi selon ces deux vies. De même que les membres divers d'un même corps ne remplissent pas tous les mêmes fonctions, de même c'est la volonté de Dieu que les nombreux enfants de son élise s'appliquent à le servir de diverses manières; et puis le même Esprit n'est pas donné à tous, mais à l'un est donné le don d'une haute sagesse, à l'autre le don de la science, etc
(1) Que chacun donc demeure dans la vocation en laquelle il a été appelé; que celui qui est apte à la contemplation s'applique à la contemplation ; que celui qui est porté à s'employer au service du prochain, s'exerce en ce ministère. Si le Seigneur a dit de Marie qu'elle a choisi la meilleure part, il a demandé aussi à Pierre comme un gage de son amour, qu'il prît soin de ses brebis, et il a insisté par trois fois sur cette même chose; et c'est en ce sens qu'il faut entendre les paroles suivantes de saint Bernard :
« (1) Que Marthe reçoive donc le Seigneur en sa maison, puisque c'est à elle que le soin de la maison est confié : qu'ils reçoivent aussi Jésus-Christ, tous ceux qui sont associés à Marthe en ces fonctions; qu'ils le reçoivent chacun selon la qualité de son ministère ; qu'ils le servent et lui prêtent leurs secours en ses membres , celui-ci en soignant ses frères malades , celui-là en s'occupant des pauvres, cet autre en recevant les voyageurs et les hôtes qui nous arrivent ; et, tandis qu'ils sont tout entiers aux
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sollicitudes de ces emplois divers, que Marie voie comment elle doit vaquer au Seigneur, et qu'elle goûte combien il est plein de suavité. »
Et vous donc, puisque votre état. l'exige, adonnez-vous de toutes vos forces à la vie contemplative, après avoir fait marcher en avant cette partie de la vie active par laquelle on y parvient. Réjouissez-vous et rendez grâces au Seigneur Jésus de ce qu'il vous a appelée à cette part qu'il a nommée la meilleure.
Quoique j'aie indiqué plus haut, en divers endroits, que le contemplatif doit vaquer à Dieu seul et laisser tout le reste, sachez que cela n'est vrai qu'en général, mais non en toute circonstance; car il y a trois causes qui le rappellent pour un temps des joies de la contemplation et le ramènent à la vie active.
La première cause, c'est le salut des âmes, comme je vous l'ai dit en vous montrant comment la vie contemplative précède la seconde partie de la vie active. Saint Bernard dit encore à ce sujet :
« Levez-vous, ma bien-aimée, mon Épouse, et venez. L'Époux fait éclater la grandeur de son affection en multipliant les termes de l'amour ; car
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cette répétition est l'expression de sa tendresse. Et lorsqu'il sollicite de nouveau sa Bien-Aimée à travailler à ses vignes, il nous montre quelle est sa sollicitude pour le salut des âmes, car vous savez que par ses vignes, on entend les âmes... Cependant, si je m'en souviens bien, il n'a, dans tout le cours du livre, appelé l'Épouse de son nom dépouse, qu'au moment où il l'invite à aller aux vignes et à s'approcher du vin de la charité. »
L'Épouse, connaissant donc la volonté de son Époux, sa passion pour le salut des âmes, sort pour un temps, c'est-à-dire lorsque cela est nécessaire pour opérer ce salut, et revient ensuite à sa contemplation.
Un autre motif qui fait interrompre la contemplation, c'est le devoir pressant de notre charge; ainsi lorsque le supérieur est contraint de s'appliquer à ce qui concerne les besoins de ceux qui lui sont soumis, c'est alors qu'il doit mettre de côté la contemplation.
Saint Bernard , parlant de lui-même à ses religieux , qui parfois l'assiégeaient avec trop d'importunité, s'exprime ainsi sur ce point : « Il est assez rare que j'aie un moment pour me reposer des visites qui me surviennent
Je m'arrête donc pour ne pas donner aux faibles un exemple d'impatience; car ils sont les enfants du Seigneur, ils croient en lui, et je ne souffrirai pas qu'ils aient à recevoir de ma part aucun scandale. Non, je n'userai pas du pouvoir que j'ai en cette occasion; mais qu'ils se servent
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de moi encore plus, selon leur bon plaisir; qu'ils obtiennent le salut, c'est tout ce que je demande. Ils n'épargneront en ne me ménageant pas ; et c'est en cela que je trouverai mon repos, s'ils ne craignent pas de m'inquiéter toutes les fois qu'ils en auront besoin. J'aurai pour eux autant de bénignité que je le pourrai, et c'est en eux que je servirai mon Dieu avec une charité réelle, tant que je vivrai. Je ne chercherai pas ce qui concerne mes intérêts, mais les intérêts d'un grand nombre, et je n'arrêterai pas ma pensée sur ce qui n'est avantageux qu'à moi seul. Je ne demande qu'une chose : c'est que mon ministère devienne agréable
et profitable à mes frères ; et peut-être qu'ainsi je pourrai, au jour mauvais, trouver miséricorde aux yeux de leur Père. »
Le même saint faisant allusion aux deux motifs que nous venons d'énoncer, s'exprime ainsi (1). « Je vous parle d'après l'expérience que j'en ai faite. S'il m'arrive de trouver que quelques-uns d'entre vous aient profité de mes avis, alors je n'éprouve aucun regret d'avoir préféré à mon repos et à ma tranquillité le soin que mon discours m'a demandé. Ainsi, par exemple, lorsqu'après l'entretien nous voyons celui qui était impatient changé en un homme doux, celui qui était orgueilleux devenu plein d'humilité, et celui qui était pusillanime se remplir de résolution; lorsqu'on reconnaît que celui qui était doux, humble et courageux, a pris
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de l'accroissement dans cette même grâce, et qu'il est meilleur qu'il n'était auparavant; lorsque ceux qui s'étaient attiédis et languissaient pleins de torpeur et de nonchalance, pour tout exercice spirituel, semblent s'être réveillés et ranimés au contact de la parole enflammée du Seigneur; lorsque ceux qui, ayant abandonné les eaux vives de la sagesse, s'étaient creusés dans leur volonté propre des citernes impuissantes à retenir les eaux, et qui pour cela même murmuraient dans l'appesantissement de leur coeur à chaque ordre qu'ils recevaient, car ils ne trouvaient en eux-mêmes aucun des rafraîchissements de la piété ; lorsque ceux-là, dis-je, sons la rosée de la parole, sous l'influence de cette pluie que le Seigneur a réservée dans sa volonté pour son héritage, montrent qu'ils ont refleuri
dans les oeuvres de l'obéissance, dans la soumission et le dévouement de leur volonté en tout; oui, je vous l'assure, lorsqu'il en est ainsi, la tristesse ne saurait avoir accès en mon âme; je ne regrette point d'avoir interrompu l'exercice d'une contemplation délectable. En me voyant environné de telles fleurs et de tels fruits de piété, je m'arrache sans murmure aux embrassements inféconds de Rachel, afin que Lia, me fasse abonder et jouir de vos progrès. Il y a longtemps que la charité , qui ne cherche pas son propre avantage, m'a persuadé sans difficulté de ne jamais préférer ce qui peut m'être agréable à votre utilité. Prier, lire, écrire, méditer et tous les autres gains que l'on
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trouve dans les exercices spirituels, j'ai tout regardé comme une perte à cause de vous. »
La troisième cause qui nous porte à interrompre la contemplation, c'est que l'Époux se retirant suivant sa coutume, l'âme n'éprouve plus ses consolations accoutumées; car l'Époux s'en va et revient selon sa volonté, ainsi que je vous l'ai dit au chapitre XXXV. Lorsqu'il se retire, l'âme devient donc languissante de désir, et elle met tous ses efforts à le rappeler, en s'écriant avec l'Épouse des cantiques : « Revenez, ô mon bien-aimé. » S'il ne se rend pas à ses invitations, elle appelle à son secours les compagnons de l'Époux, c'est-à-dire les Anges, et elle dit : « Je vous conjure, ô filles de Jérusalem si vous voyez mon bien-aimé, de lui annoncer que je languis d'amour (1). » Mais si alors même il ne daigne pas re-venir, l'âme, connaissant la volonté de son époux, se reporte à la vie active, afin de produire au moins de la sorte des fruits pour son bien-aimé; car il ne convient pas que le contemplatif soit indolent. C'est alors que l'Épouse s'écrie : « Soutenez-moi avec des fleurs; fortifiez-moi avec des puits odorants , car je languis d'amour (2). »
Saint Bernard s'exprime ainsi sur ce sujet : (3) « Par les fleurs, comprenez la foi, et par les fruits, l'action. Ce ne sera pas sans raison, je pense, que vous jugerez qu'il doit en être ainsi, si vous remarquez que, à
l'instar de la fleur qui précède le huit nécessairement, il faut que la bonne action soit prévenue par
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la foi. D'ailleurs sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (1), selon le témoignage de saint Paul, et bien plus, d'après l'enseignement du même
apôtre, tout ce qui ne se fait pas selon la foi est un péché (2). Ainsi, sans la fleur il n'y a pas de fruit, et sans la foi il n'y a pas de bonne oeuvre. Mais la foi sans les oeuvres est une foi morte (3), de même que la fleur apparaît en vain, si le fruit ne vient ensuite. C'est clone par les bonnes oeuvres que la foi sincère prendra racine, que l'âme accoutumée au repos recevra la consolation toutes les fois que la lumière de la contemplation lui sera enlevée, ainsi qu'il arrive si souvent. Car quel est celui qui jouit, je ne dis pas continuellement, mais même pendant longtemps de cette lumière de la contemplation, tant qu'il demeure en ce corps mortel? Toutes les fois que l'âme sent la vie contemplative lui devenir impossible, elle doit donc se retirer dans la vie active, pour de là revenir en toute liberté comme d'un lieu voisin au lieu où elle était d'abord; car ces deux vies sont deux coma pagnes , et elles habitent une même demeure. Marthe, en effet, est soeur de Marie. Ainsi, bien que cette âme soit privée de la lumière de la contemplation, elle ne se laisse pas pour cela tomber dans les ténèbres du péché, ou dans le nonchalance de l'oisiveté, mais elle se soutient à la lumière des bonnes oeuvres. Et afin que vous sachiez que les bonnes oeuvres sont aussi une lumière, le Seigneur
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a dit : Que votre lumière brille aux yeux de tous les hommes (1) ; ce qui, sans aucun doute, doit s'entendre des bonnes oeuvres qui peuvent frapper les regards du monde. »
Il y a donc trois causes pour lesquelles le contemplatif doit retourner des délices de sa contemplation à la vie active. Bien qu'il demeure à regret dans cette dernière vie, cependant c'est par une disposition de la volonté divine qu'il y est, et vous avez pu remarquer dans ces enseignements de saint Bernard, que ce n'est que pour un temps et que l'âme revient à la contemplation. Ainsi, que tout cela vous soit donc une preuve que la vie contemplative l'emporte sur la vie active.
Maintenant, grâces en soient rendues à Dieu, nous avons terminé ce qui regardait la contemplation. C'est un traité abondant et vraiment utile, dans lequel vous pourrez trouver à vous instruire, non-seulement de la contemplation elle-même, mais de beaucoup d'autres choses et même presque de tout ce qui concerne la vie spirituelle. Efforcez-vous donc de l'étudier attentivement, et de mettre avec soin en pratique ce que vous en aurez appris. Ne croyez pas cependant que j'ai rapporté dans ce livre tout ce que saint Bernard en a dit; mais contentez-vous de ce que je vous en ai appris.
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Notre Seigneur et Rédempteur, plein de zèle pour le salut des âmes qu'il était venu racheter, au prix de sa vie, s'efforçait de toutes manières de les attirer à lui et de les soustraire aux déchirements de leurs ennemis. Voilà pourquoi il employait, tantôt des paroles douces et caressantes, tantôt un langage dur et sévère; pourquoi il avait recours tantôt à des exemples et à des paraboles, tantôt à des prodiges et à des miracles, tantôt à des menaces et à la terreur. Il variait son genre et ses moyens de salut selon qu'il en voyait la nécessite à raison du lieu, du temps, des personnes diverses qui venaient l'entendre.
(1) Or ce fut en cette circonstance qu'il se servit contre les Princes des Prêtres et les Pharisiens de paroles dures et d'un exemple terrible, mais tellement vrai et bien approprié qu'eux-mêmes s'en firent l'application. Il leur proposa donc la parabole des ouvriers de la vigne qui mirent à mort les serviteurs du Maître, envoyés pour en recueillir les fruits, et traitèrent son Fils de la même manière. Demandant ensuite quelle peine le Maître devrait infliger à de pareils hommes, ceux
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qui étaient présents répondirent : Il fera périr misérablement ces méchants, et il louera la vigne à d'autres ouvriers. Et Jésus, approuvant cette réponse, leur dit : Ainsi le royaume des cieux, c'est-à-dire l'Église, vous sera enlevé et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits, c'est-à-dire aux Gentils, dont nous sommes sortis et dont se compose l'Église universelle.
Ensuite il leur mit devant les veux la parabole de la pierre angulaire, qui signifiait le Sauveur lui-même et qui devait briser les Juifs. Mais ces hommes, comprenant que c'était eux qu'il voulait désigner par cette parabole, loin de se corriger, s'en irritèrent davantage, car leur méchanceté les avait plongés dans l'aveuglement. Pour vous, considérez tout ce qui vient d'être dit, et contemplez Jésus assis humblement au milieu des Pharisiens, mais leur parlant avec autorité et leur annonçant avec puissance et avec nu courage inébranlable ce qui les concernait personnellement.
A mesure que le Seigneur s'efforçait de toute manière d'opérer le salut des Juifs, eux, de leur côté, mettaient en jeu tous les efforts imaginables pour le supplanter et le faire mourir. Ils pensèrent donc à le surprendre par la ruse, mais ce ne fut que pour s'évanouir
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dans leurs projets les mieux concertés. Ils envoyèrent, après s'être entendus entre eux, de leurs disciples avec des partisans du roi Hérode, pour lui demander s'il était permis ou non de payer le tribut à César Ils s'imaginaient que, par une semblable question, ils le rendraient odieux ou à César, ou à la multitude, car il ne pourrait répondre que contre lui-même. Mais celui qui sonde les coeurs, connaissant leur malice, leur dit qu'ils eussent à rendre à Dieu ce qui appartenait à Dieu, et à César ce qui appartenait à César. Il les appela hypocrites, attendu qu'ils cachaient sous un langage mielleux une âme pleine de fourberie. Se voyant donc trompés dans leur dessein, ils se retirèrent couverts de confusion.
Considérez attentivement le Seigneur selon la règle générale que je vous ai donnée plus haut, et remarquez en même temps que ce n'est pas la volonté de notre Sauveur que les supérieurs et maîtres temporels soient privés de ce qui leur est dû. C'est donc un péché et une chose défendue de ne point satisfaire aux péages, aux gabelles, aux dîmes et autres impôts établis avec justice et égalité par nos maîtres sur la terre.
Notre très-miséricordieux Seigneur, qui, dans l'excès de sa charité, était descendu pour notre salut du
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sein de son Père, sachant que le temps de sa Passion approchait, se prépara à monter à Jérusalem afin de la subir. Il l'annonça même alors divinement à ses Apôtres ; mais ils ne comprirent pas ce qu'il voulait leur dire Lors donc qu'il s'approchait de Jéricho, un aveugle qui était assis au bord du chemin pour demander l'aumône, comprenant, par la multitude qui se trouvait là, que c'était lui qui passait, se t à crier de toutes ses forces et à implorer sa pitié. Bien que la foule le reprît, il n'en concevait point de confusion et il continuait à crier. Jésus, abaissant ses regards sur sa foi et sa ferveur, se le fit amener et lui dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? O parole pleine de douceur : Que voulez-vous que je vous fasse! L'aveugle répondit : Seigneur, faites que je voie. Et le Seigneur lui accorda avec bonté sa demande en lui disant : Voyez. Et ainsi il lui rendit la vue.
Regardez donc avec attention le Seigneur Jésus et sa bénignité. Méditez ici sur la puissance dora foi et de la prière, et remarquez que l'importunité de nos demandes ne déplaît, point à Dieu, ou plutôt même qu'il y prend plaisir. Vous avez déjà vu quelque chose de semblable dans la Chananéenne. C'est le Seigneur lui-même qui nous enseigne au chapitre où cette guérison de l'aveugle est racontée, qu'il faut toujours prier et ne jamais se lasser de prier, et il apporte en exemple la veuve qui, par son importunité, obtient du Juge ce qu'elle lui demandait. Ailleurs, il nous montre comment, au milieu de la nuit, un homme prêta
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des pains en cédant également à l'importunité de celui qui venait les emprunter (1). Ainsi en est-il de ceux qui persévèrent dans leur prière. Le Seigneur accorde tout ce qu'ils demandent avec justice et convenance ; il dit à chacun d'eux : Que voulez-vous que je vous fasse ? Et il le fait. Bien plus, souvent même il fait plus qu'on ne demande et qu'on n'eût osé demander, comme vous le verrez dans Zachée dont nous parlerons bientôt. Tenez donc pour certain que tout ce que vous demanderez au Seigneur avec fidélité et persévérance, vous l'obtiendrez. Vous ne devez point rougir d'exposer vos besoins à l'exemple de l'aveugle, de la Chananéenne, de Zachée, qui n'ont point rougi de demander des grâces et les ont obtenues ; nous ne devons point rougir de servir Dieu, de déposer le fardeau du péché, de solliciter les secours dont nous avons besoin. Avoir de la honte et de la retenue, c'est quelquefois une grande vertu, mais aussi quelquefois un grand vice. Voici comme en parle saint Bernard :
« (2) Il est une honte qui traîne après soi le péché, et une honte que suit la gloire. C'est une honte salutaire de rougir d'avoir péché ou de pécher encore, d'avoir d'autant plus de crainte, bien qu'éloigné de tout témoin terrestre, du regard de Dieu que du regard de l'homme, que vous pensez avec plus de vérité que Dieu l'emporte en pureté sur sa créature, et qu'il est d'autant plus offensé par celui qui pèche, qu'il est certain que le péché est plus éloigné de lui. Une telle honte, sans aucun doute, met en fuite
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l'opprobre et nous prépare la gloire, tandis qu'elle empêche entièrement de commettre le péché, ou qu'elle punit par le repentir celui qui a été commis et le rejette bien loin par l'aveu qu'elle en fait. Cette gloire cependant ne nous appartiendra qu'au tant qu'elle sera appuyée sur le témoignage de notre conscience. Mais si quelqu'un rougit de confesser les crimes qui le pénètrent de douleur, une telle honte engendre le péché et anéantit la gloire qui naît du calme d'une bonne conscience, puisque le mal que la componction s'efforce de chasser loin de son coeur, celte honte insensée l'y tient enchaîné et l'empêche d'en sortir. »
« O honte privée de raison, ennemie du salut, sans connaissance aucune de l'honneur et de l'honnêteté ! ... Est-ce donc une honte d'être vaincu par Dieu, un sujet de confusion de s'humilier sous la main puissante du Très-haut?... Au contraire, la victoire la plus glorieuse, c'est de céder à la majesté divine ; c'est le comble de la gloire et de l'honneur de ne pas résister à l'autorité de l'Église notre mère. O perversité ! on n'a pas honte de se souiller et l'on rougit de se purifier. Il est, selon le sage, une honte que suit la gloire (2) : c'est celle qui rougit de pécher encore ou bien d'avoir péché. Par elle, vous conserverez assurément. la gloire, la confusion ramenant celle que le péché avait mise en fuite. »
« (3) Je ne sais si l'on peut observer dans la conduite des hommes quelque chose de plus agréable que la
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pudeur.... Elle est sans aucun doute l'ornement de tous les âges ; mais la douceur de sa grâce paraît plus aimable, brille avec plus d'éclat encore dans un âge plus tendre. Qu'y a-t-il de plus aimable, en effet, qu'un jeune homme plein de pudeur? Combien est brillante, combien est belle cette perle des moeurs dans la vie et sur le visage de ladolescent? Comme elle est une messagère vraie et sans nuage d'une espérance heureuse, et l'indice d'un caractère excellent! C'est pour lui une verge de discipline levée pour arrêter les sentiments qui portent le déshonneur, pour empêcher les mouvements et les actes les plus légers d'un âge si glissant, pour comprimer ceux qui tenteraient de se produire avec insolence. Qui mettra en fuite comme elle les paroles honteuses et tout ce qui est messéant? La pudeur est la soeur de la continence. Rien ne saurait être comme elle le signe manifeste de la simplicité de la colombe ; et voilà pourquoi elle est la compagne de l'innocence. Elle est la lampe toujours brillante de l'âme pure, et à sa lumière rien de honteux, rien de déshonorant, ne saurait prétendre se fixer en cette âme sans être démasqué aussitôt. C'est elle qui attaque le mal, elle qui combat pour la pureté nécessaire à notre âme; c'est elle qui est la gloire principale de notre conscience , la gardienne de notre renommée, la splendeur de notre vie, le siège de la force; c'est en elle que se trouvent les prémices des vertus, la louange de la nature, l'éclat de toute honnêteté. Que de grâces
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et de beauté la rougeur même dont la modestie aura peut-être coloré ses joues, n'a-t-elle pas coutume de répandre sur son visage ! La pudeur est un bien tellement propre à l'âme que ceux-mêmes qui ne craignent pas de faire le mal rougissent cependant de le faire en public, et qu'ils cachent dans les ténèbres les oeuvres de ténèbres, les oeuvres indignes de la lumière... Qu'y a-t-il de cher à un coeur modeste comme le secret de la solitude? Enfin on nous ordonne, lorsque nous voulons prier, de nous enfermer dans notre demeure, et c'est sans doute pour que nous y soyons solitaires. C'est une précaution à notre avantage, de peur qu'en priant
publiquement, la louange des hommes ne nous ravisse le fruit de notre,prière, ne réduise à rien ses effets. Mais qu'y a-t-il de plus particulier à la pudeur que de fuir les louanges qu'elle mérite et d'éviter
toute jactance? Qu'y a-t-il d'inconvenant, surtout pour un jeune homme, comme de faire parade de sa sainteté ?.... C'est une bonne recommandation pour la prière que vous allez faire, si vous mettez
en avant la pudeur. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Les considérations qui s'offrent à vous dans la guérison de cet aveugle, vous pouvez les fa ire également pour deux autres à qui le Seigneur rendit la vue lorsqu'il sortit de Jéricho; car ce fut avant qu'il y entrât qu'il guérit celui dont nous venons de nous occuper. Quant aux deux autres, il en est parlé dans saint Matthieu (1),
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et dans saint Marc (1), et même le nom de l'un d'eux est exprimé. Ce fut de la même manière qu'ils crièrent, que le Seigneur leur répondit et leur rendit l'usage de la lumière.
(2) Lorsque le Seigneur fut près d'entrer dans la ville de Jéricho, Zachée, chef des publicains, l'ayant appris, désira passionnément le voir, et comme il ne pouvait y parvenir à cause de la multitude et parce qu'il était d'une petite taille, il monta sur un sycomore afin de le contempler au moins de cet endroit. Mais Jésus connaissant et ayant pour agréable sa foi et son désir, lui dit : « Zachée, hâtez-vous de descendre, car il faut qu'aujourd'hui je demeure dans votre maison ». Aussitôt il descendit, le reçut avec une joie vive et un profond respect, et fit préparer un grand festin.
Vous avez vu la bénignité du Seigneur Jésus. Il a donné à Zachée plus que celui-ci n'eût désiré : il s'est donné lui-même, ce que Zachée n'eût osé demander. Vous avez là une preuve de la vertu de la prière; car le désir est une voix puissante et une grande prière. C'est pourquoi le Prophète a dit : « Le Seigneur a exaucé le désir de ceux qui sont pauvres, et
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votre oreille, ô mon Dieu, a entendu la préparation de leur cur (1). » Et le Seigneur dit aussi à Moïse : « Pourquoi criez-vous vers moi (2)? » Cependant il ne proférait alors aucune parole, mais il parlait en son coeur.
Contemplez le Sauveur assis et mangeant avec ces pécheurs : il est placé vers le milieu de la table avec Zachée, et il a fait prendre place au premier rang à quelques-uns d'entre eux pour leur faire honneur. La converse avec eux familièrement et simplement afin de les attirer à lui. Considérez aussi les Apôtres conversant sans l'acon avec ces mêmes pécheurs, s'entretenant avec eux et les animant aux bonnes oeuvres; car ils savaient que telle était la volonté de leur Maître et ils désiraient leur salut.
(3) Lors donc que le Seigneur se rendait à Jérusalem, il vit un aveugle de naissance, qui s'appelait, dit-on, Célidonius. L'humble Jésus se baissa, et ayant fait de la boue avec sa salive, il oignit les yeux de cet homme et l'envoya à la fontaine de Siloé afin qu'il s'y lavât. L'aveugle obéit, et s'étant lavé les yeux, il recouvra la vue. Ce miracle fut solennellement examiné par les ennemis du Seigneur et cet
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examen tourna à leur confusion. Voyez l'histoire, telle qu'elle est racontée dans l'Evangile ; elle est assez claire et très-belle.
Or, en tout cela, considérez le Seigneur Jésus selon la règle générale que je vous ai donnée, et remarquez combien fut grande la reconnaissance de cet aveugle. Quoiqu'il n'eût point vu le Sauveur, il prit parti pour lui avec courage et persévérance devant les princes et les anciens des Juifs, et ne les ménagea en aucune de ses paroles.
C'est une vertu bien recommandable et bien agréable à Dieu que la reconnaissance, et un vice bien détestable que l'ingratitude. Voici comment saint Bernard s'exprime à se sujet : « Apprenez à rendre grâces pour chacun des dons que vous recevez. « Considérez avec attention, dit le sage, ce qui vous est accordé. » Et cela afin qu'aucun des dons de
Dieu ne demeure sans l'action de grâces qui lui est due. Je n'excepte aucun don, ni celui qui est considérable, ni celui qui est médiocre, ni celui qui est de peu de valeur. On nous ordonne de ramasser les morceaux de peur qu'ils ne se perdent, c'est-à-dire de ne point mettre en oubli les bienfaits même les plus minimes. Est-ce que le don fait à l'ingrat n'est point perdu? L'ingratitude est ennemie de l'âme; c'est l'anéantissement des mérites, la ruine des vertus, la perte des biens. L'ingratitude est un vent brûlant qui dessèche la source de la piété, la rosée de la miséricorde et les ruisseaux de la grâce.»
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C'est maintenant que commencent les mystères de la Passion du Seigneur. Aussi désormais citerai-je bien rarement les autorités des auteurs, afin de pouvoir m'arrêter plus facilement sur cette Passion et ses préambules.
Un jour donc que Jésus prêchait dans le Temple et que, entre autres choses, disait : « Si quelquun garde ma parole, il ne mourra jamais, » les Juifs lui répondirent : « Vous êtes donc plus grand que notre père Abraham, qui est mort? » Je suis, leur dit le Seigneur, avant qu' Abraham existât.» Aussitôt, prenant occasion de cette parole comme s'il eût avancé un mensonge ou une extravagance, ils saisirent des pierres pour les lui jeter. Mais il se cacha et sortit du Temple, car l'heure de sa Passion n'était point encore venue.
Considérez-le donc bien en cette circonstance avec une douleur profonde. Remarquez comment le Maître de toutes choses était vilipendé par des serviteurs pervers, et comment, pour céder à leur fureur, il se cacha dans quelque coin du Temple, derrière quelque colonne ou parmi quelques personnes. Fixez vos
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regards sur lui et sur ses Disciples qui se retirent tristement, la tête baissée, comme des hommes sans force et sans courage.
Une autre fois, pour la fête de la Dédicace du Temple, tandis que Jésus était sous le portique de Salomon, ces loups ravissants l'environnèrent avec une fureur extrême, et, grinçant des dents, ils lui dirent : «Jusqu'à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens? Si vous êtes le Christ, dites-le nous clairement ! » Mais cet Agneau, plein de douceur, leur répondit avec humilité : « Je vous parle et vous ne me croyez pas. Les oeuvres que je fais au nom de mon Père, rendent témoignage de moi. » Pour Dieu, considérez bien maintenant et le Sauveur et tout ce qui se passe en ce moment. Il leur parlait avec humilité, et eux l'environnaient de toutes parts et criaient contre lui, semblables à des chiens qui aboient avec fureur. Enfin, ne pouvant cacher le venin qu'ils portaient dans leur coeur, ils prirent des pierres pour les lui jeter. Néanmoins, le Seigneur Jésus leur parla avec mansuétude et leur dit : « J'ai fait devant vous plusieurs bonnes autres; pour laquelle voulez-vous me lapider ? » Et ils lui répondirent, entre autres
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choses : « Cest qu'étant homme, vous vous faites passer pour Dieu. » Voyez leur prodigieuse folie : ils voulaient savoir s'il était le Christ; et, après qu'il leur a prouvé, par ses paroles et par ses oeuvres, qu'il l'est véritablement, ils cherchent à le lapider. Ils ne sauraient avoir aucune excuse, car ils ont pu et ils ont dû croire que le Seigneur Jésus était le Fils de Dieu. Mais, comme son heure n'était pas encore venue, il s'échappa de leurs mains, se retira au-delà du Jourdain, au lieu où Jean avait baptisé, qui est distant de dix-huit milles de Jérusalem, et il y demeura avec ses Disciples. Considérez-les, lui et ses Disciples, s'en allant pleins de tristesse, et compatissez-leur de toute votre âme.
Ce miracle, tout-à-fait célèbre et solennel, veut être médité avec dévotion. C'est pourquoi, montrez-vous aussi attentive que si vous étiez présente à tout ce qui fut dit et fait en cette circonstance, et entretenez-vous de grand coeur, non-seulement. avec Jésus et ses Disciples, mais encore avec cette famille bénie, si dévouée au Seigneur et si aimée de lui, c'est-à-dire avec Lazare, Marthe et Marie.
(1) Lazare donc étant malade, ses soeurs, qui étaient très-chères au Seigneur, envoyèrent vers lui au lieu
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où il s'était retiré, c'est-à-dire au-delà du Jourdain, comme vous l'avez vu dans le chapitre précédent, et lui firent. dire : « Lazare notre frère, que vous aimiez, est malade. » Elles n'ajoutèrent rien de plus, soit qu'elles jugeassent que c'était. assez pour celui qui aimait. et comprenait bien ce qu'elles voulaient, soit qu'elles craignissent de le faire venir en ces lieux où elles savaient que les plus considérables d'entre les Juifs lui tendaient des embûches et désiraient sa mort. Le Seigneur, ayant appris cette nouvelle, demeura en repos pendant deux jours, et ensuite il dit à ses Disciples : «Lazare est mort, et je me réjouis à cause de vous de ne m'être pas trouvé là. » Voyez la bonté et l'amour de Jésus, et en même temps son attention pour ses Disciples. Il n'avaient point encore assez de force et de courage ; voilà pourquoi il travaillait de grand coeur à leur avancement. Ils revinrent donc et déjà ils s'approchaient de Béthanie. Aussitôt que Marthe en fut instruite, elle sortit au-devant de Jésus, et, se jetant à ses pieds, elle lui dit : « Seigneur, si vous eussiez été ici, moi frère ne serait pas mort. » Le Seigneur lui répondit qu'il ressusciterait ; et ils s'entretenaient ensemble de cette résurrection. Ensuite il l'envoya chercher Marie, car il avait pour elle un amour tout spécial. Aussitôt que celle-ci fut instruite de sa présence, elle se leva à la hâte, vint le trouver, et, se jetant à ses pieds, lui répéta les paroles que Marthe lui avait déjà dites. Mais Jésus, voyant dans l'affliction, les pleurs et la désolation, à cause de son frère, celle qui lui était chère, ne put
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lui-même s'empêcher de pleurer, et ainsi il versa des larmes.
Maintenant considérez-le bien, et ces femmes et les Apôtres aussi. Croyez-vous que ceux-ci ne pleurèrent pas non plus? Après quelques instants donnés à leur douleur commune, le Seigneur dit : « Où l'avez-vous placé? » Elles lui répondirent : « Venez et voyez. » Et elles le conduisirent au sépulcre. Jésus s'avança donc entre les deux soeurs, les consolant et les fortifiant. Pour elles, elles se trouvèrent tellement soutenues de sa présence, qu'elles étaient tout entières occupées de lui comme si elles eussent oublié et leur douleur et tout le reste. Lors donc qu'ils s'avançaient ainsi tous trois par le chemin, Madeleine lui disait : « Seigneur, que vous est-il arrivé depuis que vous vous êtes retiré du milieu
de nous ? pour moi, votre retraite m'a plongée dans une vive peine ; mais aussitôt que j'ai eu appris votre retour je me suis réjouie grandement. Cependant j'ai conçu des craintes, et même je crains beaucoup encore; car vous savez tout ce que nos Princes et nos Anciens machinent contre
vous. Voilà pourquoi nous n'avons pas osé vous faire prier de venir. Je me réjouis pourtant de vous voir en ces lieux, mais je vous en conjure, pour Dieu, tenez-vous en garde contre vos ennemis. » Et le Seigneur répondait : « Ne craignez point, mon Père y pourvoira. »
Ils arrivèrent au tombeau en s'entretenant ainsi. Alors Jésus ordonna qu'on enlevât la pierre qui le
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couvrait, mais Marthe s'y opposait en disant : « Seigneur, il sent mauvais. car il y a déjà quatre jours qu'il est mort. » O Dieu! Voyez l'amour admirable de ces soeurs pour le Sauveur. Elles ne pouvaient consentir à ce que cette mauvaise odeur arrivât jusqu'à lui. Néanmoins et même à cause de ces exhalaisons, le Seigneur ordonna qu'on enlevât la pierre. Ce qui ayant été fait, Jésus éleva les yeux au ciel en disant : « Mon Père , je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi, je sais bien que vous m'exaucerez toujours ; mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m'environne, afin qu'il sache que c'est vous qui m'avez envoyé. »
Considérez le donc avec attention, faisant cette prière, et voyez son zèle pour le salut des âmes. Après avoir parlé ainsi, il éleva la voix en criant : « Lazare, sortez dehors. » Aussitôt celui-ci revint à la vie et s'élança hors du tombeau, mais lié et dans l'état où il avait été enseveli. Les Apôtres le délièrent sur l'ordre du Seigneur. Aussitôt qu'il fut libre, lui et ses soeurs se prosternèrent aux pieds de Jésus, lui rendirent grâces d'un si grand bienfait et le conduisirent à leur maison. Tous ceux qui étaient présents et qui avaient été témoins de ce qui venait d'arriver, furent dans un étonnement extrême. Le bruit de ce miracle se répandit partout, tellement qu'une grande foule vint de Jérusalem et des autres endroits de la Judée pour voir Lazare. Mais les princes des Juifs se regardant comme confondus, résolurent de faire mourir Jésus.
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Bien que l'on croie que la malédiction du figuier et la présentation de la femme adultère dans le temple aient eu lieu après l'entrée de Jésus à Jérusalem sur un ânon, cependant comme il me paraît plus convenable, après cette même entrée, de ne nous occuper que de la Cène et de la Passion, avec ses diverses circonstances, j'ai pensé qu'il était bon de placer ici ces deux faits.
(1) Lors donc que le Seigneur Jésus s'avançait vers Jérusalem, il eut faim. Voyant un superbe figuier chargé de belles feuilles, il s'en approcha, mais il n'y trouva aucun fruit, et il le maudit. Aussitôt le figuier se dessécha, en sorte que les Disciples en étaient dans l'admiration. Considérez en toute cette histoire le Seigneur et ses Apôtres, selon la méthode accoutumée. Remarquez aussi qu'en cette action de Jésus, il y a un sens mystique, puisqu'il savait bien que ce n'était pas le temps des figues. On peut donc, par cet arbre couvert de feuilles, entendre ceux qui sont abondants en paroles, mais dont les oeuvres ne répondent pas à leur langage, et encore les hypocrites et les fourbes, qui ayant un extérieur parfait, portent cependant une âme vide et dépouillée de fruits.
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(1) Les méchants Princes des Juifs et les Pharisiens persévéraient sans relâche dans leur acharnement contre le Seigneur, et ils agitaient entre eux avec grande inquiétude, les ruses et les fourberies à employer pour le vaincre et le rendre odieux au peuple. Mais leurs traits retournaient invariablement contre eux. Un jour donc qu'ils avaient surpris une femme en adultère, laquelle devait, suivant la loi, être lapidée, ils l'amenèrent à Jésus dans le Temple, lui demandant ce qu'il fallait en faire, voulant le faire passer pour cruel et sans miséricorde, s'il disait qu'il fallait s'en tenir à la loi, ou bien le taxer d'injustice, s'il disait autrement. Mais la sagesse du Seigneur connaissait leurs embûches et savait les éviter. Il se baissa donc avec humilité, et écrivit sur la terre avec son doigt. La Glose dit qu'il écrivait les péchés de ces hommes, et cette écriture avait une telle vertu que chacun d'eux connaissait ses propres péchés. Alors le Seigneur, se levant, dit : « Que celui qui est sans péché, jette à cette femme la première pierre. » Et il s'inclina de nouveau par bonté même pour ses envieux et ses ennemis, afin qu'ils n'eussent pas trop à rougir. Mais ils se retirèrent tous et leurs ruses s'évanouirent. Alors
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Jésus avant averti cette femme de ne plus pécher, la renvoya. Considérez-le avec attention en tous ses actes et en ses paroles.
Le temps arrêté par le Seigneur pour le rachat des hommes au prix de son sang étant proche, le Démon arma ses satellites et anima leurs coeurs contre lui jusqu'à leur faire chercher les moyens de le faire mourir. Ses bonnes oeuvres, la résurrection de Lazare surtout, irritaient de plus en plus leurs esprits et les faisaient connue sécher d'envie Ne pouvant donc plus contenir leur fureur, les Prêtres et les Pharisiens tinrent un conseil où Caïphe prophétisa, et où l'on arrêta de mettre à mort l'Agneau plein d'innocence. O conseil détestable! O chefs pervers du peuple, conseillers d'iniquité ! Que faites-vous, malheureux? Quelle fureur vous agite ? Quels projets formez-vous? Quelle cause vous fait demander la mort du Seigneur votre Dieu? N'est-il pas au milieu de vous, quoique vous le méconnaissiez? N'entend-il pas toutes vos paroles? Ne sonde-t-il pas vos reins et vos coeurs ? Mais il faut qu'il soit fait selon vos désirs : le Père céleste a livré son Fils entre vos mains; il sera mis à mort par vous et
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non pour vous ; il mourra et il ressuscitera afin de sauver son peuple ; et vous, vous périrez.
Cette réunion de principaux d'entre les Juifs fut connue ; mais Jésus, dans sa sagesse, voulant céder à leur colère, et aussi parce que tout ce qu'il avait à faire n'était pas encore accompli, se retira près du désert, en la ville d'Éphrem. Ainsi le Seigneur prit la fuite devant ses serviteurs les plus pervers. Considérez donc ces méchants s'agitant avec fureur dans leur conseil abominable. Regardez aussi Jésus et ses Disciples qui se retirent comme des hommes sans force et sans ressources. Que pensez-vous que Madeleine ait dit alors? Mais surtout quelles étaient les pensées de la Mère du Sauveur, lorsqu'elle le voyait s'enfuir et qu'elle apprenait que c'était parce qu'on voulait le faire mourir. Vous pouvez vous figurer ici que Marie et ses soeurs restèrent chez Madeleine et que Jésus les consola en leur annonçant son prompt retour.
Après avoir pris la fuite avec prudence, comme nous venons de le voir, et pour notre instruction, nous montrant ainsi que nous devions nous soustraire avec soin, selon le temps et le lieu, à la fureur de nos persécuteurs, Jésus nous donne maintenant l'exemple de
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la force, car, le temps marqué approchant, il revint de lui-même s'offrir aux tourments et se livrer aux mains de ses ennemis. De même qu'il nous avait donné plus haut l'exemple de la tempérance en fuyant les honneurs, lorsque la foule voulut le faire roi, il nous a donné celui de la justice en permettant qu'on l'honorât comme un roi, quand le peuple vint à sa rencontre avec des branches d'arbres. Cependant il n'usa de ce triomphe qu'avec une grande modestie, et ce fut pour cela qu'il n'eut qu'un âne pour monture, comme le dit saint Bernard à cet endroit :
« (1) Le Seigneur des vertus fit donc paraître en lui, pour notre instruction, ces quatre vertus : la prudence, la force, la tempérance et la justice. On les appelle vertus cardinales et principales, parce que c'est d'elles que découlent toutes les autres. Il ne faut pas croire pour cela qu'il ait été différent de lui-même ou inconstant ; de même qu'on ne saurait
non plus le penser de celui qui s'exerce, selon les diverses circonstances, à la pratique des vertus diverses. »
Or, le jour du Sabbat, la veille du jour des palmes, Jésus revint à Béthanie, qui n'est qu'à environ deux milles de Jérusalem, et on lui prépara à souper dans la maison de Simon le lépreux (2). Lazare, Marthe et Marie s'y trouvèrent. Peut-être étaient-ils parents ou du moins très-amis de Simon (3). Ce fut alors que Marie répandit sur la tête de Jésus une livre d'un parfum précieux dont elle lui oignit la tête et les pieds. Ce
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qu'elle avait fait autrefois dans la même maison, par douleur de ses péchés, elle le faisait aujourd'hui par amour; car elle aimait le Seigneur par-dessus tout et elle ne pouvait se rassasier de lui rendre ses hommages. Le traître Judas murmura de cette action , mais le Seigneur répondit pour Marie et prit sa défense selon sa coutume. Néanmoins, le traître persévéra dans sa colère et prit de là le motif de sa trahison qu'il accomplit le mercredi suivant, en vendant le Seigneur au prix de trente pièces d'argent.
Considérez donc le Sauveur mangeant avec ses amis et employant à converser avec eux le peu de jours qui lui restent. jusqu'à sa Passion. C'est chez Lazare qu'il réside principalement, car sa maison, qui était aussi celle de ses soeurs, était son refuge habituel. C'est en cette demeure qu'il prenait avec les Apôtres ses repas durant le jour et son repos durant la nuit. C'est là que notre Souveraine, la mère du Seigneur, habitait avec ses soeurs, et tout le monde en cette maison l'honorait grandement, surtout Madeleine qui se tenait sans cesse en sa société et ne s'en séparait jamais. Considérez donc cette Reine qui, glacée d'effroi pour son Fils bien-aimé, ne s'en éloigne en aucun temps. Lorsque le Seigneur défendant Madeleine, dit : « Cette femme, en répandant ce
parfum sur mon corps, l'a fait en vue de ma sépulture (1). » Croyez-vous que cette parole ne fût point comme un glaive qui perça l'âme de sa Mère? Que pouvait-il dire de plus clair touchant sa mort?
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Tous ceux qui étaient présents, furent de même glacés d'ellloi et remplis de pensées d'inquiétude. Ils s'entretenaient un à un, connue il arrive à ceux qui ont à parler de choses pénibles et douloureuses, et ils craignaient surtout toutes les fois qu'ils voyaient. Jésus aller à Jérusalem : ce qui avait lieu tous les jours. En effet, depuis ce jour de Sabbat jusqu'à celui de la Cène, il donna aux Juifs de nombreux enseignements et fit publiquement à Jérusalem beaucoup de choses dont je n'ai pas l'intention de parler, si ce n'est de son entrée triomphante, de peur que notre méditation ne soit arrêtée, car nous touchons à la Passion. Ranimez doue votre attention, recueillez votre esprit tout entier et ne vous laissez distraire par aucune au tre chose, afin que, vide de tous soins, vous puissiez vous occuper avec une vigilance parfaite, tant des mystères qui précèdent, que de la Passion elle-même. Cependant aimez à demeurer à Béthanie avec les personnes que vous y avez rencontrées.
Les mystères devenaient plus nombreux, les Écritures recevaient leur accomplissement de la part du Seigneur, et, le temps étant proche, il brûlait. de donner au inonde, par l'immolation de son propre
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corps, le remède dont il avait besoin. Donc le jour suivant, de grand matin, c'est-à-dire le dimanche , il se prépara à aller à Jérusalem d'une manière nouvelle et inaccoutumée, selon qu'il avait été prédit par le Prophète. Mais, alors qu'il se disposait à se mettre en route, sa Mère l'en dissuadait avec toute la tendresse de son amour en lui disant : « Mon fils, où voulez-vous aller? Vous savez la conspiration qui existe contre vous; comment vous jetez-vous au milieu de vos ennemis ? Je vous en conjure, demeurez. » Ce voyage paraissait également aux Apôtres quelque chose d'impraticable, et ils l'en éloignaient de toutes leurs forces. Madeleine lui disait : « Pour Dieu, Maître, n'y allez pas, vous savez qu'ils désirent
votre mort. Si vous vous mettez entre leurs mains, ils vous prendront dès ce jour et ils accompliront ce qu'ils ont résolu. »
Oh Dieu! comme ils l'aimaient et combien leur était amer tout ce qui pouvait lui nuire! Mais, pour lui, il en avait disposé autrement, car il avait soif du salut de l'univers, et il leur répondait : « C'est la volonté de mon Père que j'y aille. Venez, ne craignez pas, car il nous défendra lui-même, et ce soir nous reviendrons ici sans avoir éprouvé aucun mal. »
(1) Il se mit donc en marche, et cette troupe, petite, il est, vrai, mais fidèle, le suivit. Lorsqu'il fut arrivé à Bethphagé, petit village qui se trouve au milieu du chemin, il envoya deux de ses Disciples à Jérusalem, pour qu'ils lui amenassent une ânesse et son ânon.
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attachés dans un lieu public pour servir à l'usage des pauvres. Ce qui ayant été lait, le Seigneur monta humblement d'abord sur l'ânesse, et un peu après sur lânon, les Disciples ayant eu soin d'étendre auparavant leurs vêtements dessus. Telle était la marche triomphale du Maître du monde. Et, bien qu'il fût véritablement digne des plus grands honneurs, voilà quelle était sa monture au temps de son triomphe, quels étaient les ornements qui la couvraient.
Considérez-le donc avec attention, et voyez comment, en cet honneur qu'il reçoit, il a condamné la pompe brillante du monde. Ces animaux n'avaient ni freins resplendissants, ni selles dorées, ni housses de soie, selon l'usage d'un monde insensé; mais ils étaient couverts de haillons et conduits au moyen de deux cordes. Cependant celui qu'ils devaient porter était le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs.
Aussitôt que la foule fut instruite de son approche, elle alla à sa rencontre et le reçut comme un roi, avec une joie incroyable, au milieu de chants d'allégresse et de louanges, en couvrant la terre de ses vêtements et de branches d'arbres. Mais, pour lui , il mêla ses larmes à cette joie, car dès qu'il vit Jérusalem, il pleura sur elle en disant : Oh ! si tu connaissais au moins en ce jour ce qui peut te donner la paix, tu pleurerais aussi.
Or, vous devez le savoir, nous lisons que le Seigneur a pleuré trois fois différentes : la première sur la mort de Lazare, c'est-à-dire sur la misère de
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l'homme ; la seconde, en la circonstance qui nous occupe, c'était. sur l'aveuglement et l'ignorance du genre humain, car il pleure ici parce que les Juifs n'ont. pas connu le temps de sa visite; la troisième fois, ce fut dans sa Passion, et ces larmes eurent pour cause le péché et la perversité du monde , car il voyait que sa Passion suffisait à tous les hommes, et cependant qu'elle ne servirait pas à tous et serait inutile pour les réprouvés, pour les coeurs durs et impénitents. L'Apôtre fait mention de ces pleurs dans son épître aux hébreux, où, en parlant du temps de la Passion, il dit : « Ayant offert avec un grand cri et avec larmes ses supplications et ses prières, il fut exaucé à cause de son humble respect pour son Père (1).» Le texte sacré ne rapporte que ces trois fois, mais l'Église tient qu'il a pleuré encore d'autres fois dans son enfance, et c'est pour cela qu'elle chante: Enfant, il a gémi, enfermé dans les étroites limites de sa crèche, ce qu'il faisait pour voiler an démon le mystère de son Incarnation.
Considérez-le donc bien versant des larmes, car vous devriez en verser avec pli. il pleure largement et fortement, car sa douleur est sincère et. il s'attriste véritablement sur ces hommes`; car il déplorait avec mi coeur plein d'amertume le danger qu'ils couraient pour leur éternité. Il prédit aussi en ce moment leur ruine temporelle. Regardez encore les Apôtres qui marchent soigneusement près de lui, pleins de crainte et de respect. Ce sont ses Gentilshommes, ses Comtes,
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ses Chambellans et ses Écuyers. Voyez aussi sa Mère, avec Madeleine et les autres femmes qui viennent à sa suite avec empressement. fous ne sauriez croire qu'en le voyant pleurer, sa Mère et les autres aient pu retenir leurs larmes.
Le Seigneur entra donc au milieu de ce triomphe et des honneurs que lui rendait la foule, dans la ville qui en fut toute émue. il alla au temple et il en chassa les vendeurs et les acheteurs. C'était la seconde fois qu'il agissait de la sorte. Alors il se mit à prêcher publiquement au peuple dans le temple, et à répondre presque .jusqu'au soir aux Princes des Prêtres et aux Pharisiens. Mais quoiqu'il eût été reçu avec de tels honneurs, il ne se trouva personne pour l'inviter à boire et à manger. Ainsi lui et ses Disciples jeûnèrent tout le jour, et le soir il revint avec eux à Béthanie. Remarquez donc bien comment celui qui, le matin, était entré avec tant de magnificence, s'en retourne par la ville humblement et sans éclat, entouré d'un petit nombre de personnes. Vous pouvez comprendre par là combien on doit faire peu de cas des honneurs terrestres qui passent avec tant de rapidité. Vous pouvez aussi mous figurer quelle était la joie de Madeleine et des autres en voyant le Seigneur honoré par la foule, et surtout en le voyant revenir sain et sauf à Béthanie.
Nous pouvons placer ici une belle méditation dont cependant l'Écriture ne parle pas. Le mercredi, le Seigneur Jésus étant à table le soir avec ses Disciples en la maison de Marie et de Marthe, et sa Mère prenant aussi son repas avec les autres femmes dans une autre partie de la maison, Madeleine qui servait adressa à Jésus cette prière : « Maître, souvenez-vous de faire la Pâque avec nous je vous en supplie, ne me re-fusez pas celle faveur. » Mais le Seigneur ne voulut en aucune façon consentir à sa demande, et il lui dit que c'était à Jérusalem qu'il ferait la Pâque. Alors elle se retire pleine de douleur, et, versant des larmes amères, elle s'en va trouver la Mère du Sauveur, lui raconte ce qui vient de se passer et la prie d'intervenir elle-même, afin de lui faire faire la Pâque en cet endroit.
Le repas fini, le Seigneur revint à sa Mère, et, s'asseyant avec elle en un lieu à part, ils parlent, s'entretiennent ensemble, et il lui permet de jouir à son aise de sa présence dont elle devra bientôt être privée. Considérez-les assis tous deux et voyez comment notre Souveraine reçoit son Fils avec respect, avec quel amour elle demeure avec lui, et en même temps combien le Seigneur, de son côté, témoigne de respect à sa Mère. Mais, pendant qu'ils s'entretiennent
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ainsi, voilà que Madeleine vient les trouver, et, s'asseyant à leurs pieds, elle dit : « Ma Souveraine, tout-à-l'heure j'invitai le Maître à faire la Pâque avec nous, mais il semble décidé à aller la faire à Jérusalem, afin de s'y faire prendre. Je vous en prie, ne le permettez pas. » Alors Marie s'écrie : « Je vous en conjure, mon Fils, qu'il n'en soit pas ainsi, mais faisons la Pâque en ce lieu. Vous savez que des embûches sont tendues pour s'emparer de vous. » Et le Seigneur lui répond : « Ma Mère bien-aimée, c'est la volonté de mon Père que je fasse la Pâque à Jérusalem, car le temps de la rédemption est arrivé. C'est maintenant que va s'accomplir tout ce qui a été écrit de moi, et que mes ennemis me feront tout
ce qu'ils voudront. »
Or, en l'entendant parler ainsi, elles furent pénétrées d'une douleur profonde, car elles comprirent bien que c'était de sa mort qu'il était question. Sa Mère lui dit donc, ayant à peine la force de proférer une parole : « Mon Fils, ce que vous venez de mannoncer m'a remplie de terreur, et je sens mon cur prêt à m'abandonner. Que votre Père ait soin de vous, car je ne sais plus que dire. Je ne veux point m'opposer à sa volonté ; mais s'il lui plaisait de différer pour le moment, veuillez l'en prier, et faisons ici la Pâque avec nos amis. Il pourra, si tel est son bon vouloir, pourvoir d'une autre manière à la rédemption du monde sains que vous mouriez, car toutes choses lui sont possibles. »
Oh ! s'il vous était donné de voir le Seigneur
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pleurer en écoutant ces paroles, avec retenue et modération cependant, et Madeleine, comme si elle était ivre de son Maître, donner un large cours à ses larmes et éclater en sanglots, peut-être ne pourriez-vous vous empêcher de pleurer aussi. Pensez en quel état Marie et Madeleine pouvaient être pendant cet entretien. Le Seigneur, pour les consoler, leur dit avec tendresse : « Ne pleurez pas; vous savez qu'il faut. Que j'obéisse à mon Père; mais tenez pour assuré que bientôt je reviendrai à vous, et que le troisième jour je ressusciterai. Je ferai donc la Cène sur la montagne de Sion, selon la volonté de mon Père. » Alors Madeleine reprit : « Puisque nous ne pouvons le retenir ici, allons aussi, nous autres, dans notre maison de Jérusalem; mais je crois qu'il ne s'est jamais rencontré une Pâque aussi amère. » Le Seigneur consentit à ce qu'elles fissent la Pâque dans cette maison.
Le temps de la clémence et des miséricordes du Seigneur Jésus étant proche et déjà sur le point d'arriver, ce temps où il avait arrêté de sauver son peuple et de le racheter, non pas au prix dun or ou d'un argent corruptible, mais au prix de son sang
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très précieux (1), il voulut, avant que la mort ne le séparât de ses Apôtres, faire avec eux la Cène d'une manière solennelle, comme gage particulier de son souvenir et aussi afin d'accomplir les mystères réservés pour ce moment. Cette Cène fut vraiment magnifique, et tout ce que le Seigneur y fit, plein de magnificence. Si vous voulez considérer toutes ces choses avec une attention suprême, regardez-vous-y comme présente, car si vous le faites dignement et avec soin, notre miséricordieux Seigneur ne souffrira pas que vous vous en retourniez à jeun. Or, en cette Cène, quatre choses surtout s'offrent à nos méditations. D'abord, c'est la Cène légale elle-même; en second lieu, le lavement des pieds des Disciples par le Seigneur ; en troisième lieu, l'institution du sacrement de son corps très-sacré ; quatrièmement enfin, le magnifique discours qu'il prononça. Nous allons parcourir ces points successivement.
Quant au premier, remarquez que Pierre et Jean s'en allèrent, par l'ordre de Jésus, chez un de ses amis qui demeurait sur la montagne de Sion, et en la maison duquel se trouvait une salle vaste et bien meublée, afin de préparer la Pâque (2). Le jour commençant à baisser, le Seigneur entra dans la ville avec ses autres Disciples et alla, en cette maison. Regardez-le maintenant, il s'est arrêté dans quelque appartement de cette même demeure, et il s'entretient avec ses Apôtres de choses utiles pendant que quelques-uns des soixante-douze Disciples préparent la Pâque dans
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la grande salle. On lit, en effet, dans la légende de saint Martial, que ce jour-là même ce saint fut employé avec plusieurs des soixante-douze à servir le Seigneur pendant qu'il lavait les pieds à ses Apôtres. Alors donc que tout l'ut prêt, Jean, le disciple bien-aimé, qui allait et venait avec empressement pour préparer et aider en tout ce qui était nécessaire, vint trouver le Seigneur et lui dit : « Maître, vous pouvez faire la Cène quand il vous plaira, car tout est prêt. »
Considérez maintenant avec attention et longuement tout ce qui se dit et se l'ait, car tout y est vraiment touchant, et, loin d'abréger les diverses circonstances comme nous avons l'ait pour les autres actions du Seigneur, il nous faut plutôt les étendre. C'est de là que dépend surtout l'efficacité de toutes les méditations qui ont pour objet sa personne, et c'est par un tel moyen que l'on comprend particulièrement la grandeur de son amour, dont il nous a donné des marques si extraordinaires en cette Cène.
Le Seigneur se leva donc et ses Disciples avec lui. Jean se plaça à son côté et ne se sépara plus de lui en aucune façon dans la suite ; car aucun autre ne s'était attaché à Jésus aussi fidèlement et aussi intimement que Jean. Lorsque le Sauveur eut été pris, Jean entra avec lui dans la cour de la maison du Grand-Prêtre, et il ne l'abandonna, ni dans son crucifiement, ni à sa mort, ni après qu'il eut rendu l'esprit, jusqu'à ce qu'il eût été enseveli. Or, dans la Cène, il s'assit auprès de lui, quoiqu'il fût plus jeune que les autres.
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Ils entrent donc tous dans la salle, lavent leurs mains et se placent autour de la table qu'ils bénissent pieusement. Regardez bien chaque chose. Vous devez savoir que la table était placée à terre et qu'ils s'assirent à terre pour manger, selon la coutume des anciens. La table était carrée, ainsi qu'on le croit, et composée de plusieurs planches. Je l'ai vue à Rome dans l'église de Latran et je l'ai mesurée moi-même : elle a sur chaque côté deux coudées et trois doigts ou une palme environ, de sorte que trois Apôtres, comme on le croit, étaient assis de chaque côté, bien qu'un peu étroitement, et le Seigneur s'était placé humblement à un coin, et tous pouvaient manger au même plat. C'est pour cela que les Apôtres ne comprirent pas quand Jésus dit : « Celui qui porte la main au plat avec moi, est celui qui doit me trahir; » car ils la portaient tous.
Le Seigneur ayant donc béni la table de sa main, tous y prennent place, Jean auprès de Jésus; et alors l'Agneau pascal est servi. mais remarquez que vous pouvez les considérer de deux manières : d'abord assis, comme je vous l'ai déjà dit, et ensuite debout, un bâton à la main, mangeant l'agneau assaisonné avec des laitues sauvages, et observant ainsi tout ce qui est ordonné dans la loi ; pourvu, toutefois, que vous les représentiez assis ensuite pour manger quelqu'autre chose, comme on peut le conclure de plusieurs endroits du texte; car Jean n'eût pu se reposer sur la poitrine du Seigneur, s'il n'eût été assis.
L'agneau étant donc servi , celui qui était l'Agneau
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véritable et immaculé, le Seigneur Jésus , qui était au milieu d'eux comme un serviteur, le prit, le partagea en morceaux, le présenta avec joie à ses Apôtres et les encouragea à manger. Ils mangeaient à la vérité, mais sans allégresse, ou plutôt pleins de crainte, car ils redoutaient quelque tentative nouvelle contre leur Maître. Or, pendant qu'ils étaient à table, il leur découvrit plus clairement ce qui allait arriver, et leur dit, entre autres choses : « J'ai désiré arec ardeur manger cette Pâque arec vous avant de souffrir ; mais un d'entre vous doit me trahir (1). » Cette parole pénétra leurs coeurs comme un glaive aigu ; ils cessèrent de manger, et., se regardant les uns les autres , ils s'écrièrent : « N'est-ce point moi, Seigneur ? »
Considérez-les donc avec attention et ayez une grande compassion, tant pour le Seigneur que pour eux, car ils sont plongés dans une douleur amère. Quant au traître, afin qu'on ne s'aperçût pas que ces paroles le regardassent, il ne discontinua pas de manger. Mais Jean, sur l'instance de Pierre, s'adressa à Jésus en disant « Seigneur, quel est celui qui doit vous trahir (2)? » Et le Seigneur le lui découvrit sans difficulté comme au bien-aimé de son coeur. Mais Jean, frappé d'étonnement et percé jusqu'au fond des entrailles, se pencha sur son Maître et s'appuya sur sa poitrine. Quant à Pierre, le Seigneur ne lui fit rien savoir ; car, comme dit saint Augustin, s'il
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eût connu le traître, il n'eût pu s'empêcher de le déchirer de ses dents (1).
Or, par Pierre sont représentés ceux qui mènent la vie active, et par Jean les contemplatifs, comme le dit encore saint Augustin dans la même homélie sur l'Évangile qui se lit pour la fête de saint Jean. Ainsi vous avez une preuve nouvelle que le contemplatif ne se mêle pas des actes extérieurs, et que même il ne demande pas vengeance des offenses commises contre Dieu, mais qu'il en gémit intérieurement, et que s'approchant de Dieu avec plus de ferveur par la contemplation et s'attachant à lui plus librement, il remet tout à la disposition de sa volonté. Quelquefois cependant le contemplatif sort de son repos par zèle pour Dieu et pour les âmes, comme vous l'avez vu plus amplement lorsque nous avons parlé de la vie contemplative. Vous voyez encore ici que Jean ne dit rien à Pierre quoique ce fût sur son désir qu'il eût interrogé Jésus. D'où vous pouvez conclure que le contemplatif ne doit point révéler le secret de son Seigneur. Nous lisons de saint François, que jamais il ne faisait connaître les révélations dont il avait été favorisé dans le secret, à moins qu'il n'y fût poussé par zèle pour le salut de ses frères, ou que l'esprit de Dieu ne l'y excitât.
Considérez donc maintenant quelle est la bénignité du Seigneur, comme il reçoit avec tendresse son bien-aimé sur son sein. Oh! comme ils s'aimaient l'un l'autre profondément! Considérez aussi les autres
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Apôtres : cette parole du Seigneur les a accablés de tristesse; ils ne mangent point, mais se regardent. les uns les autres sans pouvoir s'arrêter à rien sur tout cela. Voilà pour le premier point.
Méditez maintenant le second avec toute la diligence possible. Tandis que les Apôtres sont ainsi livrés à leurs réflexions, le Seigneur se lève de table et eux en font autant, ne sachant point où il veut aller. Il descend avec eux dans un autre appartement de la maison, comme le rapportent ceux qui ont visité ces lieux; il les fait tous asseoir, se fait apporter de l'eau, dépose ses vêtements, se ceint d'un linge et met de cette eau dans un bassin afin de leur laver les pieds. Pierre refuse, et, tout hors de lui, il ne veut pas se prêter à une chose qui, à son jugement, est. indigne de son Maître. Mais en écoutant la menace de Jésus, il change sagement de résolution et se soumet.
Considérez avec attention chacun des actes du Sauveur et contemplez avec admiration ce qui se passe. La Majesté suprême, le Maître de l'humilité s'abaisse jusqu'aux pieds d'un pêcheur; il se tient incliné et à genoux devant ses Disciples assis, il leur lave à tous les pieds de ses propres mains, les essuie et les baise. Mais ce qui exalte encore plus son humilité, c'est qu'il rend ces mêmes devoirs au traître lui-même. O coeur pervers ! ta dureté surpasse toute dureté , si une telle humilité est impuissante à t'amollir, si elle ne te pénètre point de respect pour le Seigneur de Majesté,
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si elle n'arrête point tes projets barbares contre celui qui fut en tout temps ton bienfaiteur, et que tu vis toujours innocent. Malheur à toi, misérable! ton endurcissement enfantera ce qu'il a conçu, et cependant ce n'est pas lui qui périra, c'est toi qui consommeras ta ruine. C'est donc avec justice que nous devons être dans l'admiration en présence d'une humilité si prodigieuse et d'une bénignité si profonde.
Cette action terminée, Jésus revient au lieu de la Cène, et s'étant assis de nouveau, il invite ses Apôtres par son exemple à faire de même. Or vous pouvez remarquer que, dans cette soirée, le Seigneur Jésus nous a été un modèle de cinq grandes vertus, savoir : d'humilité, en lavant les pieds à ses Apôtres, ainsi qu'il vient d'être dit; de charité, en instituant le sacrement de son Corps et de son Sang, et en prononçant ce discours qui est tout plein d'enseignements de charité; de patience, en supportant le traître ainsi que les opprobres dont il fut l'objet quand il fut pris et conduit comme un voleur ; d'obéissance, en allant aux tourments et à la mort par soumission à son Père ; d'oraison, en priant par trois fois dans le jardin. Efforçons-nous de l'imiter en ces vertus. Voilà pour le second point.
En méditant le troisième, soyez comme hors de vous à la vue de cette condescendance pleine d'amour, de cette charité pleine de tendresse qui le porte à se livrer lui-même et à se laisser à nous en nourriture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds à ses Apôtres, il se fut assis de nouveau, voulant mettre fin aux institutions
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et aux sacrifices de la loi, et commencer le Testament nouveau, il se fait lui-même un sacrifice nouveau. Prenant du pain et élevant les yeux au ciel, il établit le très-auguste sacrement de son corps, et, le donnant à ses Disciples, il leur dit : « Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous (1). » Il fait de même pour le calice, en disant : « Ceci est mon sang qui sera versé pour vous. » Pour Dieu , considérez avec attention de quelle manière il accomplit avec soin, fidèlement et pieusement, toutes ces choses, et comme il communie de ses propres mains cette famille bénie et bien-aimée. Enfin, en souvenir de son amour, il ajoute : « Faites ceci en mémoire de moi. » C'est là ce mémorial qui devrait embraser et enivrer tout entière l'âme reconnaissante, lorsqu'elle s'en nourrit, soit dans la communion, soit par une méditation fervente, et la transformer sans réserve en son Seigneur lui-même, par la véhémence de son amour et de sa dévotion. Il ne pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, de plus doux, de plus utile que lui-même. En effet, celui que nous recevons dans le Sacrement, c'est le même qui, ayant pris un corps et étant né de la Vierge, a souffert la mort pour nous ; le même qui ressuscitant et s'élevant glorieusement dans les cieux, est assis à la droite de Dieu. C'est lui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment; lui qui gouverne et régit tout; lui de qui dépend votre salut, en la volonté et en la puissance duquel il est de vous donner ou de vous refuser la gloire
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éternelle. C'est lui qui est offert et vous est présenté sous une hostie d'une faible grandeur. C'est Jésus-Christ notre Seigneur, le Fils du Dieu vivant. Voilà pour le troisième point.
Pour le quatrième, c'est le comble inénarrable et surabondant de toutes les grâces. Considérez donc les autres signes qu'il nous donne de sa charité. Il fait à ses Apôtres un discours ravissant de beauté et de douceur, tout embrasé des ardeurs de l'amour. Lorsqu'ils eurent communié, et l'infâme Judas avec eux, selon le sentiment de saint Augustin (1), bien que, selon d'autres, il n'ait pas été présent au moment de la communion, le Seigneur dit au même Judas : « Ce que vous avez à faire, faites-le promptement » Aussitôt cet infortuné sort et s'en va trouver les Princes des Prêtres à qui la veille il avait vendu son Maître pour trente pièces d'argent, et il leur demande une compagnie de soldats afin de le prendre. C'est pendant ce temps que Jésus l'ait à ses Apôtres le discours dont nous parlons. Je choisis, pour nos méditations seulement, cinq choses de son abondance si brillante, si utile et si digne de nos respects.
La première à méditer, c'est comment, en leur prédisant sa séparation prochaine, il s'applique à les fortifier (2). « Je n'ai plus que quelque temps à être avec vous, leur disait-il, mais je ne vous laisserai pas orphelins. Je m'en vais et je reviens à vous. Je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira. » C'est en ces termes et autres semblables
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que je ne fais que toucher, qu'il leur parlait, et ses paroles allaient jusqu'à leur coeur et le pénétraient profondément, car tout ce qui avait trait à cette séparation leur était intolérable.
La seconde chose à méditer en ce discours, c'est la manière pleine d'amour et d'instance avec laquelle il les instruit touchant la charité. Il leur dit à plusieurs reprises : « Le commandement que je vous donne, c'est de vous aimer les uns les autres. C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes Disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres ; » et autres paroles semblables que vous pourrez trouver plus abondamment dans le texte même de ce discours.
La troisième chose, c'est l'avertissement qu'il leur donne touchant l'observation de ses commandements : « Si vous m'aimez, observez mes commandements. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; » et autres recommandations pareilles.
La quatrième chose, c'est la confiance qu'il leur inspire contre les tribulations qu'il prédit devoir leur arriver : Vous aurez, leur disait-il, de grandes afflictions dans le monde, mais ayez confiance : j'ai vaincu le monde. Si le monde a pour vous de la haine, sachez qu'il en a eu pour moi le premier. Le monde se réjouira, et vous serez dans la peine; mais votre tristesse se changera en joie (1). »
La cinquième chose à méditer en ce discours, c'est
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comment le Seigneur lui-même, élevant enfin ses yeux au ciel, se tourne vers son Père en lui disant : « Mon Père, conservez ceux que vous m'avez donnés. Lorsque j'étais avec eux, je les conservais moi-même ; mais maintenant je viens à vous. Père saint, je prie pour eux ; ce n'est pas pour le monde que je prie. Et ce n'est pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi par eux. Mon Père, je désire que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient, aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire(1).» Et autres paroles vraiment de nature à fendre le coeur.
Il est assurément étonnant que les Apôtres, qui aimaient Jésus avec tant d'ardeur, aient pu continuer à vivre en entendant un tel langage. Si donc vous examinez avec attention ce qui a été dit en ce discours, si vous le repassez soigneusement dans vos méditations, et si vous en savourez avec paix la douceur, vous pourrez avec raison être embrasée en présence d'une telle condescendance, d'une telle bénignité, d'une telle providence, d'une telle indulgence, d'une telle charité, et rie tout ce qu'il a fait dans cette soirée. Considérez donc, pendant qu'il parle, comme il le fait efficacement, pieusement, agréablement; comme il imprime dans le coeur de ses apôtres tout ce qu'il leur dit; comme il les enivre de la douceur de sa présence et de ses paroles. Voyez aussi les Apôtres, comme ils sont dans la douleur, la tête baissée, les yeux pleins,de larmes; ils poussent des soupirs ; leur tristesse est à
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son comble. Aussi la Vérité elle-même en rend témoignage en ces termes : « Parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cur (1). » Regardez entre autres Jean, qui s'attache au Seigneur avec plus d'amour. Voyez comme il tient ses regards fixés soigneusement et attentivement sur son Bien-Aimé, comme il recueille toutes ses paroles avec une anxiété pleine de tendresse. C'est lui seulement qui, en écrivant ces choses, nous en a laissé un récit plus complet.
Cependant le Seigneur leur dit encore: « Levez-vous, allons-nous en d'ici (2).» Oh! quelle frayeur les pénétra à ce moment! Ils ne savaient, ni où aller, ni comment ils s'en devaient aller, car ils étaient tout tremblants sur leur séparation d'avec Jésus. Néanmoins il leur parla encore, et acheva son discours durant la route.
Considérez donc les Disciples marchant avec lui et à sa suite. Voyez comme chacun s'approche de lui le plus près possible, comme ils s'avancent en groupe, ainsi que nous voyons les poussins suivre leur mère ; comme ils le poussent, tantôt l'un, tantôt l'autre, par le désir d'être plus près de lui et d'entendre ses paroles. Pour jésus, il souffrait cela volontiers de leur part. Enfin, tous les mystères étant accomplis, il se dirige avec eux vers le jardin qui est au delà du torrent de Cédron, et c'est là qu'il attend le traître et les hommes armés qui devaient le prendre.
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C'est maintenant qu'il nous faut traiter de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Celui donc qui désire se glorifier en cette passion et en la Croix du Sauveur, doit s'y appliquer avec persévérance, par une profonde méditation du cur ; car, les mystères et toutes les choses qui s'y sont accomplies, si on les considère avec un regard attentif de l'âme, sont propres à changer, j'en suis convaincu, en un homme nouveau celui qui les méditera. En effet, l'homme qui s'appliquera à cet examen, dans le plus profond de son coeur, dans le plus intime de ses entrailles, y découvrira une foule de chemins inconnus, par lesquels il arrivera à une compassion nouvelle et, par conséquent, à un état nouveau; et tout cela deviendra pour lui un présage et comme un avant-goût de la gloire. Or, pour atteindre à cet état, je crois, dans mon ignorance et je. le dis en balbutiant, je crois qu'il faut tourner vers la Passion du Seigneur toute la vigueur de son esprit, l'oeil vigilant de son cur, et mettre de côté tout autre soin; je crois qu'il faut se regarder comme si l'on était présent à toutes et à chacune des choses qui ont lieu en la Passion, la croix et le crucifiement de Jésus, et agir en cela avec, affection, diligence, amour et
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persévérance. Si donc vous avez apporté une attention sérieuse à ce qui vous a été dit sur la vie du Sauveur, je vous exhorte maintenant à redoubler de vigilance, à appliquer votre esprit. tout entier et. à employer tout votre courage, car c'est ici que se montre surtout cette charité qui devrait, embraser totalement nos coeurs. Recevez tout ce que je vous dirai en la manière accoutumée, c'est-à-dire, qu'on peut le méditer selon que je le raconte ; car je nie propose, en cet ouvrage de n'affirmer aucune chose qui ne soit affirmée ou enseignée par la Sainte Écriture, ou par la parole des Saints, ou les sentiments reçus dans l'Église.
Or, il me semble très-juste de dire que non-seulement ce crucifiement terrible et mortel du Seigneur, mais encore tout ce qui l'a précédé, est de nature à inspirer, dans le plus haut degré, la compassion, l'amertume et l'étonnement. En effet, quel sujet de réflexion, de penser que depuis l'heure de la nuit où il fui, pris, jusqu'à la sixième heure, oh il fut crucifié, Notre Seigneur, le Dieu béni sur toutes choses, a été dans un combat continuel, dans des douleurs horribles, bibles opprobres, les moqueries, les tourments? On ne lui donna pas même le plus léger moment de repos. Mais quelle était cette guerre ? Quel ôtait ce combat ? Écoutez et voyez.
L'un saisit le doux, le tendre, le pieux Jésus ; un autre le lie, un autre se lève contre lui, un autre jette des cris, un autre le pousse, un autre le blasphème, un autre lui crache au visage, un autre le tourmente. un autre le promène autour de la troupe, un autre l'interroge,
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un autre cherche contre lui des témoins de mensonge, un autre s'associe à ces recherches, un autre rend contre lui un faux témoignage, un autre l'accuse, un autre le tourne en dérision, un autre lui voile les yeux, un autre frappe sa face vénérable, un autre lui donne des soufflets, un autre le conduit à la colonne, un autre le dépouille, un autre le bat pendant qu'on le conduit, un autre s'empare de lui pour le tourmenter d'une manière insultante, un autre l'attache à la colonne, un autre se précipite contre lui, un autre le flagelle, un autre le couvre de la pourpre par mépris, un autre le couronne d'épines, un autre met en sa main un roseau, un autre prend ce roseau avec fureur pour en frapper sa tête couverte dépines, un autre fléchit le genou devant lui par moquerie, un autre tourne en dérision ces génuflexions, et autres opprobres dont il est l'objet. On l'emmène, on le ramène, on le couvre de crachats, on le rejette, on le tourne et on le retourne çà et là comme un insensé, comme un homme stupide et idiot, et même comme un voleur et un malfaiteur très-coupable. Tantôt c'est chez Anne, tantôt chez Caïphe, tantôt chez Pilate, tantôt chez Hérode, et puis encore chez Pilate ; et là, tantôt à l'intérieur, tantôt au dehors qu'on le conduit et qu'on l'entraîne. O mon Dieu ! qu'est-ce que tout cela ? Ne vous semble-t-il pas que ce soit une guerre, très-dure, très-amère, une guerre continuelle et formidable ? Mais attendez un peu, et vous verrez des choses plus dures encore.
Contre lui sont là, sans se rebuter, les Princes des Prêtres, les Pharisiens, les Anciens du peuple et une
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foule nombreuse. Tous crient unanimement : Qu'il soit crucifié. Sur ses épaules, déjà meurtries et déchirées, est placée la croix sur laquelle on doit le clouer. De tous côtés accourent en même temps et les habitants de la ville. et les étrangers, les grands, la populace, les gens perdus de moeurs. Ils viennent, non pour compatir, mais pour se moquer indignement. Il n'est personne qui le reconnaisse, mais tous, avec fureur, lui jettent de la boue et autres immondices, le tourmentent, et, tandis qu'il porte son fardeau d'ignominie, le font le sujet de leurs plaisanteries. Ceux qui étaient assis à la porte de la ville parlaient coutre lui, et ceux qui se gorgeaient de vin, le chantaient avec dérision (1). Il est poussé et tourmenté ; on l'entraîne , on le précipite, et, après avoir été ainsi flagellé, accablé de fatigue, tout brisé et saturé d'opprobres au delà de tout ce qui peut s'imaginer, on ne lui permet pas de se reposer, on ne lui donne aucun sursis ; c'est à peine s'il peut respirer jusqu'à ce qu'il soit parvenu au Calvaire, à ce lieu immonde et fétide. Et toutes ces choses s'accomplissent avec emportement et fureur. C'est au Calvaire seulement qu'on met fin à cette guerre dont nous parlons, et que le repos y succède ; mais ce repos est plus dur encore que la guerre : c'est le crucifiement, c'est le lit de douleur.
Voilà quel est son repos. Vous voyez donc quelle longue et cruelle guerre le Seigneur a eu à souffrir jusqu'à la sixième heure. Les eaux ont véritablement pénétré jusqu'à son âme; il a
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été environné par des chiens nombreux , terribles, puissants et féroces; il a été assiégé par l'assemblée des méchants, qui ont cruellement aiguisé contre lui, à l'instar d'un glaive à deux tranchants, et leurs langues et leurs mains (1).
Ce qui vient d'être dit semble devoir suffire pour exprimer ce que nous avions à présenter en abrégé touchant la Passion du Seigneur pour les trois premières heures, jusqu'à sexte, c'est-à-dire pour Matines, Prime, et Tierce. Mais ce n'est pas ainsi, ce n'est pas aussi légèrement que nous devons nous occuper de l'amertume si grande et des peines du Sauveur. C'est pourquoi reportez vos yeux sur cet objet et redoublez d'attention, car il nous reste encore à faire de grandes et nombreuses considérations , des méditations profondément émouvantes et pieuses, pourvu, toutefois, que vous vous appliquiez à vous rendre présente à ce qui se passe, selon que je vous l'ai dit. Tout ce que nous venons de voir n'est qu'un aperçu général. Voyons maintenant avec le plus grand soin chaque chose en particulier. Nous ne devons pas nous ennuyer de méditer ce que le Seigneur lui-même ne s'est point ennuyé de souffrir.
Reprenez donc ces méditations depuis le commencement de la Passion et poursuivez-les avec ordre jusqu'à la fin. Je ne toucherai qu'un peu chaque sujet selon qu'il me semblera nécessaire ; mais pour vous, vous y appliquerez votre esprit à de plus longs développements, selon qu'il vous plaira et que le Seigneur lui-même vous donnera de le faire. Soyez donc aussi attentive à chaque circonstance que si vous étiez là présente, et considérez votre Sauveur lorsque, sortant de la Cène et ayant terminé son discours, il va dans le jardin avec ses Disciples. Enfin, entrez-y avec lui et remarquez comment il parle à ses Apôtres avec affection, bonté et cordialité, et les exhorte à prier ; comment lui-même, s'avançant un peu plus loin, c'est-à-dire à la distance d'un jet de pierre, il se mit à genoux avec humilité et révérence, et s'adresse à son Père. Arrêtez-vous un peu ici et repassez pieusement en votre âme les merveilles du Seigneur votre Dieu.
Jésus prie maintenant. Nous l'avons vu déjà prier en maintes circonstances , mais alors c'était pour nous qu'il élevait la voix, et comme notre avocat; à cette heure, c'est pour lui-même. Témoignez-lui votre compassion et admirez sa très-profonde humilité. Bien qu'il soit, comme Dieu, coéternel et égal à son Père, il
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semble oublier sa divinité, il prie comme un homme, il se tient, en sa prière, devant le Seigneur, comme le dernier d'entre son peuple.
Considérez sa parfaite obéissance. Que demande-t-il ? Il prie son Père d'éloigner de lui l'heure de sa mort, c'est-à-dire qu'il lui serait agréable de ne point mourir, si tel était le bon plaisir de son Père; et il n'est pas exaucé; je veux dire selon quelqu'une des volontés qui étaient en lui, car, qu'il y en eût plusieurs alors, c'est ce que je montrerai bientôt. Et ici, compatissez-lui en voyant que son Père veut irrémissiblement qu'il meure, et qu'il ne l'a pas épargné, bien qu'il fût son fils unique, réel et véritable, mais qu'il l'a livré de la sorte pour notre commun salut ; car il a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique (1). Quant au Seigneur Jésus, il reçoit ce commandement et l'accomplit avec tout le respect possible.
Voyez maintenant, en troisième lieu, la charité indicible, tant du Père que du Fils à notre égard, charité vraiment digne de notre compassion, de notre admiration et de nos hommages les plus respectueux. C'est par amour pour nous que cette mort est ordonnée, c'est également par un excès d'amour envers nous qu'elle est endurée.
Le Seigneur Jésus prie donc longuement son Père en lui disant : « O mon Père! vous qui êtes plein de clémence, je vous supplie d'exaucer ma prière et de ne pas mépriser ma supplication. Regardez-moi favorablement et exaucez-moi, car j'ai été rempli de
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tristesse dans la pensée de mes misères (1) Mon esprit. a été plongé dans l'anxiété, et mon coeur tout pénétré de trouble. Inclinez donc votre oreille sers moi, et soyez attentif à la voix de mes soupirs. Il vous a plu, ô mon Père, de m'envoyer dans le monde pour expier l'injure que vous avez reçue de l'homme. Aussitôt que votre volonté me fut manifestée, je me suis écrié : Je vais l'accomplir ; et comme il est écrit au commencement de votre loi que je ferais votre volonté, ainsi l'ai-je voulu. J'ai annoncé votre vérité et votre salut. J'ai été pauvre et dans les peines depuis ma jeunesse en faisant votre volonté, et tout ce que vous m'avez ordonné, je l'ai exécuté. Je suis prêt à accomplir encore ce qui reste. Si cependant, ô mon Père, cela est possible, éloignez de moi une amertume aussi effroyable que celle qui m'est préparée par mes ennemis. D'où vient, ô mon Père, d'où vient qu'ils ont contre moi tant de haine, qu'ils forment contre ma personne tant et de si terribles accusations, qu'ils ont résolu, en conséquence, de m'arracher la vie ? O Père saint, si j'ai l'ait ce dont ils m'accusent, si l'iniquité a souillé mes mains, si j'ai rendu à mes ennemis le mal pour le mal, il est juste que je succombe sous leurs efforts, que je sois sans force en leur présence (2). Mais tout ce qui vous a été agréable, je me suis appliqué à le faire en tout temps. Pour eux, ils m'ont rendu le mal pour le bien ; ils ont répondu à mon amour par la haine (3). Ils ont corrompu mon disciple
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et ils l'ont mis à leur tête pour consommer ma ruine. Ils lui ont compté trente pièces d'argent en récompense de ce qu'il ferait contre moi, et voilà le prix auquel ils m'ont évalué!
« Oh ! je vous en prie, mon Père, éloignez de moi ce calice. Cependant si vous jugez qu'il doive en être autrement, que votre volonté se fasse et non la mienne (1). Mais levez-vous, ô mon Père, pour me venir en aide ; hâtez-vous de me secourir, car alors rhème, ô Père bien-aimé, qu'ils m'auraient méconnu comme votre Fils, au moins la vie innocente que j'ai menée parmi eux, les bienfaits dont je les ai comblés, auraient dû empêcher leur cruauté contre moi. Car rappelez-vous que je me suis tenu en votre présence pour vous parler en leur faveur, pour détourner d'eux votre indignation. Hélas ! doit-on rendre le mal pour le bien ? Ils ont creusé une fosse pour m'y faire périr, ils m'ont préparé la mort la plus ignominieuse (2). Vous le voyez, ô mon Dieu; ne gardez pas le silence; ne vous retirez pas de moi; car la tribulation est proche, et il n'est personne qui me vienne en aide. Les voici en votre présence, ceux qui me persécutent, ceux qui en veillent à ma vie. Mon coeur n'attend plus que l'opprobre et l'affliction (3).»
Alors le Seigneur Jésus revenant à ses Apôtres, les éveille et les excite à prier. Ensuite il retourne une seconde, puis une troisième fois à sa prière, et il prie en trois lieux différents, éloignés les uns des autres
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d'un jet de pierre, non tel qu'il pourrait être si l'on déployait toute la force de son bras, mais connue on peut se figurer la distance d'une pierre jetée sans effort, ou comme encore nous voyons la longueur de nos maisons. Je le tiens d'un de nos frères qui a visité ces lieux, et l'on voit encore, en ces divers endroits, des vestiges d'églises qui y furent bâties autrefois.
Revenant donc à la prière une seconde et une troisième fois, le Seigneur tint le même langage et ajouta : « Mon Père, puisque vous l'avez décrété ainsi, puisqu'il faut que je subisse irrémissiblement le supplice de la croix, que votre volonté soit faite. Mais je vous recommande nia Mère bien-aimée et mes Disciples, que j'ai gardés moi-même jusqu'à ce jour. Mon Père, soyez leur gardien à cette heure (1).» Et tandis qu'il prolonge sa prière, voilà qu'au milieu de cette agonie ou de ce combat, son sang très-précieux s'échappant de son corps, à la manière d'une sueur abondante, coule jusque sur la terre.
Considérez-le maintenant et voyez dans quelle angoisse son âme est plongée. Remarquez aussi, comme remède à votre impatience, que le Seigneur prie par trois fois avant de recevoir une réponse de son Père.
Or, tandis que la prière de Jésus se prolongeait ainsi dans l'amertume, voilà que l'Ange du Seigneur, le Prince de la milice céleste, Michel, se tient à ses côtés, le fortifiant et lui disant : « Je vous salue, ô Jésus, mon Dieu! J'ai offert votre prière et votre sueur de sang à votre Père en présence de toute la
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cour bienheureuse, et nous prosternant tous, nous l'avons supplié d'éloigner de vous ce calice. Mais votre Père nous a répondu : «Jésus, mon Fils bien-aimé, sait que la rédemption du genre humain que nous désirons si vivement ne peut s'accomplir convenablement sans effusion de sang. C'est pourquoi, s'il veut le salut des âmes, il faut qu'il subisse la mort pour elles. Que choisissez-vous donc? » Alors le Seigneur répond à l'Ange : « Je veux, sans hésiter, le salut des âmes, et ainsi je préfère, pour situer ces âmes que mon Père a créées à son image, la mort à une vie qui n'opérerait pas leur salut. » Et l'Ange reprend : « Ranimez-vous donc et agissez avec courage, car il convient à celui qui est grand d'agir magnifiquement; à celui qui est magnanime, de supporter ce qu'il y a de plus difficile. Les peines passeront bien vite et la gloire leur succédera éternellement. Votre Père a dit qu'il serait toujours avec vous, qu'il gardera votre Mère et vos Disciples, et qu'il vous les rendra sans qu'ils aient eu rien à souffrir. »
Et l'humble Seigneur reçoit avec respect et humilité cet encouragement de sa créature, se considérant connue un peu abaissé au-dessous des Anges, tandis qu'il est dans cette vallée de ténèbres. Il s'attristait comme homme, et c'est ainsi qu'il remercie l'Ange, ainsi qu'il est fortifié par ses paroles et qu'il le prie de le recommander à son Père et à la cour céleste. Il se lève donc de la prière pour la troisième fois, tout. trempé de son sang. Contemplez-le s'essuyant le
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visage, ou peut-être le lavant dans le torrent. Regardez avec respect son affliction profonde et compatissez- du fond de votre cur. Assurément rien de ce que nous venons de voir neût pu lui arriver s'il n'eût été en proie il la violence d'une immense douleur.
Les savants et les interprètes disent que le Seigneur Jésus a prié son Père, moins par crainte des souffrances, que par miséricorde pour un peuple qui se rendrait ainsi plus coupable, et parce qu'il portait compassion aux Juifs dont sa mort cruelle allait causer la ruine. En effet, ils devaient s'abstenir de le faire mourir, et parce qu'il était un d'entre eux, et parce qu'il était soumis à leurs lois, et parce qu'il les comblait des bienfaits les plus insignes alors qu'il priait pour leur salut, disant à son Père : « Je ne refuse pas de mourir pour que la multitude des Gentils vienne à la foi ! Mais si les Juifs doivent être plongés dans l'aveuglement pour que les autres voient la lumière, que votre volonté s'accomplisse et non la mienne. »
Il y eut alors en Jésus-Christ quatre volontés : la volonté de la chair, qui ne voulait la mort en aucune façon; la volonté des sens, qui murmurait et craignait; la volonté de la raison, qui obéissait et consentait à tout; car selon Isaïe : « Il a été offert parce qu'il l'a voulu lui-même (1)» Enfin il y eut en lui la volonté de la Divinité, et c'est elle qui commandait, elle qui dictait la sentence. Comme donc il était vraiment homme, en cette qualité il était plongé dans une angoisse extrême. Aussi compatissez-lui du
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fond de votre âme; considérez et remarquez soigneusement tous les actes et tous les sentiments qui règnent dans le coeur du Seigneur votre Dieu.
Il vient donc à ses Apôtres et leur dit : « Dormez maintenant et reposez-vous. » Et ils dormirent quelque temps en cet endroit ; mais le bon Pasteur veillait à la garde de son troupeau. O amour immense ! Vraiment il a aimé les siens jusqu'à la fin, puisque sous le poids d'une pareille agonie il veille encore à leur repos. Il voyait de loin ses ennemis qui venaient avec des flambeaux et des armes; et cependant il n'éveilla ses Apôtres que lorsqu'ils furent proches et même tous près d'eux, et c'est alors seulement qu'il leur dit : « C'est assez, levez-vous, car voilà que celui qui doit me trahir approche. »
Pendant qu'il parlait encore, l'infâme Judas, ce mercenaire abominable, arriva devant eux et l'embrassa. On dit que c'était la coutume du Seigneur Jésus, lorsqu'il envoyait quelque part ses Disciples, de les recevoir par un baiser à leur retour, et qu'ainsi ce fut en employant ce signe que le traître le livra. Il précédait les autres, et en arrivant il embrassa son Maître, comme s'il eût voulu lui dire : « Je ne fais point partie de cette troupe armée, mais en revenant je vous donne le baiser suivant l'usage et je vous dis : « Salut, Maître (1). »
Considérez bien attentivement le Seigneur et fixez vos regards sur lui. Voyez avec quelle patience et quelle bénignité il reçoit les embrassements et les
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baisers de Judas, de ce traître infortuné dont, peu d'instants auparavant, il avait lavé les pieds et qu'il avait sustenté de la nourriture la plus précieuse; comment il se laisse, prendre, lier, frapper et conduire avec brutalité comme un malfaiteur et comme un homme impuissant à se défendre; comment il compatit à ses Disciples qui viennent de prendre la fuite et errent çà et là. Vous pouvez aussi considérer la douleur de cos mêmes Apôtres; comment ils se retirent à contre-coeur en poussant des gémissements et des soupirs, semblables à des orphelins que la terreur a glacés. Leur douleur s'augmente de plus en plus en voyant leur Seigneur traité si indignement, ces chiens furieux l'entraîner comme une victime, et lui, comme un agneau plein de mansuétude, les suivre sans résistance Regardez comment ces scélérats le conduisent à la bâte et avec inquiétude, depuis le torrent qui coule vers les hauteurs contre Jérusalem. Il a les mains liées derrière le dos; il marche dépouillé de sa tunique, vêtu d'une façon humiliante, la tête découverte, le corps incliné par la fatigue, et on le fait avancer avec une célérité impitoyable. Lorsqu'on le présente aux Princes des Prêtres, Anne et Caïphe, et aux Anciens du peuple, qui étaient assemblés, ces hommes tressaillent connue un lion qui a saisi sa proie. Ils le soumettent à un examen, se procurent de faux témoins propres à le faire condamner, crachent sur sa face très-auguste, lui voilent les yeux, le frappent à coups de poings, le soufflettent en lui disant : « Prophétise qui t'a frappé ». Ils lui font subir des
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opprobres sans nombre qu'il endure sans jamais perdre patience. Considérez-le en toutes ces choses, et témoignez-lui votre compassion.
Enfin, les Anciens se retirèrent après l'avoir l'ait mettre dans une prison souterraine qui se trouvait en ces lieux et qu'on peut voir encore, ou du moins ses traces ; on l'y enchaîna à une colonne de pierre dont une pallie fut brisée dans la suite, et que l'on montre encore, ainsi que je le tiens d'un de nos frères qui l'a vue. Ils enfermèrent aussi avec lui quelques hommes armés pour le garder plus sûrement, et ceux-ci le tourmentèrent pendant tout le reste de la nuit par leurs moqueries et leurs insultes.
Regardez donc comment ces téméraires et ces infâmes se répandent en injures contre lui. « Te croyais-tu meilleur et plus sage que nos Princes ? Quelle folie était la tienne ? Tu ne devais pas ouvrir la bouche contre eux. Comment as-tu osé agir comme tu as fait ? Maintenant ta sagesse se montre au grand jour te voilà venu où tes semblables ont coutume d'arriver. Tu guéri les la mort et, sans aucun doute, tu la subiras. » Telles étaient les insultes que lui adressaient tour à tour ces misérables durant toute la nuit, sans parler de tout ce qu'ils lui firent souffrir.
Que croyez-vous, en effet, que peuvent dire et faire de pareils hommes? Aussi est-il soumis, sans retenue ni respect, aux opprobres les plus humiliants et les plus indignes. Mais voyez-le maintenant : il garde le silence, plein de modestie et de patience; il est comme s'il avait été surpris en crime flagrant; il tient
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ses regards fixés vers la terre. Compatissez-lui du plus profond de votre coeur. O Seigneur ! en quelles mains êtes-vous tombé ? Combien grande est votre patience! Vraiment celte heure est l'heure des ténèbres.
C'est ainsi qu'il demeure debout, lié à cette colonne jusqu'au matin. Cependant Jean s'en va trouver Marie, notre Souveraine, et ses compagnes qui étaient réunies dans la maison de Madeleine, oit elles avaient fait la Pâque, et leur raconte tout ce qui est arrivé au Seigneur et à ses Apôtres. Alors ce fut en cette maison des pleurs, des gémissements et des cris indicibles. Contemplez ces saintes personnes et compatissez-leur ; elles sont dans l'affliction la plus vive et dans la douleur la plus extrême sur leur bien-aimé Seigneur, car elles voient bien et elles croient, sans aucun doute, que l'heure de sa mort est arrivée. Enfin, Marie se retire dans un coin et se met en prière. « Père très-vénérable, s'écrie-t-elle , Père très-pieux , Père rempli de miséricorde, je vous recommande mon très-cher Fils. Ne soyez point cruel à son égard, Vous qui êtes bon pour tous les hommes. Père éternel, Jésus , mon Fils, mourra-t-il? Cependant il n'a fait aucun mal. O Père juste ! vous voulez la rédemption du genre humain, mais, je vous en supplie, qu'elle se fasse d'une autre t'acon, car tout est possible à votre volonté. Je sous en conjure donc, ô Père très-saint ! qu'il vous plaise que Jésus, mon Fils, ne meure pas; délivrez-le des mains des pécheurs et rendez-le-moi. Quant à lui , par obéissance et par respect pour vous, il ne fait rien pour
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se tirer du danger. Il s'est abandonné lui-même, et il est au milieu de ses ennemis comme un homme impuissant et sans force. Mais vous, Seigneur, venez-lui en aide. » Telles étaient les prières et autres semblables que notre Souveraine répandait de toute son âme, de toutes ses forces et au milieu d'une amertume de coeur sans limites. Ayez pour elle de la compassion en la voyant dans une telle affliction.
Or, le matin, de très-bonne heure, les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple revinrent et firent, lier au Seigneur les mains derrière le dos, en lui disant : « Viens avec nous, voleur; viens avec nous au tribunal ; c'est aujourd'hui que tes maléfices vont trouver fin ; c'est tout à l'heure que ta sagesse va apparaître. » Et ils le conduisirent à Pilate. Pour lui, il les suivait comme un coupable, bien qu'il fût un Agneau plein d'innocence.
Lors donc que les saintes femmes et sa Mère, en la compagnie de Jean, car elles aussi étaient sorties de grand matin, lorsque, dis-je, ces saintes personnes l'eurent rencontré au coin d'une rue, il est impossible de dire de quelle douleur elles fuient saisies en le voyant conduit par une si grande multitude d'une façon si indigne et si barbare. Celte rencontre fut, de
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part et d'autre, la cause d'une affliction immense. Car le Seigneur éprouvait une peine cuisante par la compassion qu'il portait aux siens et surtout à sa Mère, et il savait que toutes ces personnes ressentaient de son état une amertume telle qu'elle était suffisante pour leur causer la mort. Considérez donc et regardez attentivement chaque chose, car tout est propre ou plutôt rien ne saurait être plus propre à inspirer la compassion.
(1) Il est donc conduit à Pilate et ces femmes le suivent de loin, car il leur est impossible de l'approcher. On laccuse sur une foule de points, et Pilate l'envoie à Hérode. Or, Hérode qui désirait vivement le voir à cause de ses miracles, en fut dans la joie ; mais il ne put obtenir de lui ni miracle, ni parole. Le considérant donc comme un fou, il le fit vêtir, par dérision, d'une robe blanche, et le renvoya à Pilate. Et ainsi voyez comment il est traité par tout le monde, non-seulement comme un malfaiteur, mais comme un insensé. Quant à lui, il supportait tout avec une patience inaltérable. Considérez-le aussi tandis qu'on le mène et qu'on le ramène; considérez-le s'avançant la tête baissée avec modestie, écoutant les cris, les injures, les mépris de cette multitude, recevant peut-être des coups de pierre et les souillures d'autres immondices. Considérez aussi sa Mère et ses Disciples qui se tiennent au loin et le suivent dans l'accablement d'un chagrin inénarrable. L'ayant ramené à Pilate, ces chiens furieux
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poursuivent leurs accusations avec une audace et une constance infatigables. Quant à Pilate, ne trouvant en lui aucune cause de mort, il faisait ses efforts pour le délivrer. Il dit donc : « Je le châtierai et je le renverrai.» O Pilate! tu châties ton Seigneur! Tu agis sans discernement, car il ne mérite ni la mort, ni les fouets. Que ta conduite serait plus sage si tu la corrigeais selon qu'il le désire ! Il ordonna qu'on le flagellât très-cruellement.
Le Seigneur est donc dépouillé ; on l'attache à une colonne et on le flagelle de diverses manières. Lui, jeune, bien fait, plein de modestie, le plus beau des enfants des hommes (1), se tient nu aux yeux de tous les spectateurs. Cette chair très-innocente, délicate, très-pure et brillante de beauté reçoit les coups douloureux et sanglants de ces infâmes. Ce corps, la fleur de toute chair et de toute la nature humaine, est couvert de coups et de blessures. De toutes parts coule son sang royal. On ajoute plaie sur plaie, meurtrissure sur meurtrissure; on renouvelle, on rend plus profonde sa douleur jusqu'à ce qu'enfin les bourreaux et ceux qui les surveillaient étant fatigués, on ordonne de le détacher. Or la colonne à laquelle il fut lié porte les traces de son sang, ainsi qu'on le lit dans plusieurs histoires. Considérez-le ici soigneusement et longtemps ; et si vous n'éprouvez aucune compassion, croyez bien que vous avez un coeur de rocher. C'est alors que fut accompli ce que dit Isaïe : « Nous l'avons vu, et il n'avait plus aucune forme. Nous
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l'avons regardé comme un lépreux, comme un homme que Dieu a frappé (1). » O Seigneur Jésus ! quel fut l'audacieux, quel fut le téméraire qui vous dépouilla : Quels furent les hommes plus audacieux: encore qui vous lièrent? Quels furent ces hommes dont l'audace passe toute limite , qui vous flagellèrent si cruellement? O soleil de justice! vous avez voilé vos rayons, et les ténèbres se sont faites; elles ont eu la puissance en main, elles vous ont surpassé en puissance. C'est votre amour et notre iniquité qui vous ont rendu si faible. Que maudite soit cette iniquité si affreuse qui vous plonge dans un tel tourment !
Le Seigneur étant détaché de la colonne, on le conduit ainsi nu, ainsi flagellé, par la maison, pour qu'il recueille ses vêtements, que ceux qui l'avaient dépouillé avaient jetés de côté et d'autre. Considérez-le dans cette peine horrible et tremblant d'une façon pitoyable , car il faisait froid, comme le dit l'Évangile. Lorsqu'il veut se couvrir de ces vêtements, quelques-uns des plus impies s'y opposent en disant à Pilate : « Seigneur, cet homme s'est dit roi; revêtons-le et couronnons-le à la royale. » Alors prenant un manteau de soie rouge et dégoûtant, ils l'en couvrent et lui mettent sur la tête une couronne d'épines. Regardez-le donc en ces diverses circonstances et en chacun de ses tourments; il se soumet à tout; il endure tout ce qu'ils veulent lui faire souffrir. Il reçoit la pourpre, il porte sur sa tête la couronne d'épines, il tient en sa main le roseau, et pendant qu'ils
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fléchissent le genou et le saluent comme roi, il se tait et garde le silence avec une patience inaltérable.
Considérez-le maintenant dans l'amertume de votre coeur. Voyez surtout sa tête couverte d'épines, que l'on frappe sans cesse avec le roseau. Voyez son cou qui s'affaisse sous le poids d'une douleur incroyable, alors qu'on le meurtrit sans pitié. Les épines perçaient cruellement sa tète vénérable; son corps était couvert du sang qui en ruisselait. O malheureux ! comme cette tête royale que vous frappez à cette heure vous apparaîtra terrible un jour !
Or, ils se moquaient de lui comme d'un roi qui veut régner et qui ne le saurait faire. Pour lui, il endure tout de leur barbarie poussée à l'excès. Mais ce n'était pas assez d'avoir rassemblé toute la cohorte; afin d'augmenter sa confusion, ils le conduisirent devant Pilate et devant tout le peuple après en avoir fait l'objet de leurs dérisions; et ainsi il parait. couvert d'un vêtement de pourpre et portant en tête la couronne d'épines. Pour Dieu, regardez comment il se tient la tête baissée devant celte multitude qui vocifère et qui crie : Crucifiez-le ; devant cette foule qui ajoute à ses cris les insultes et les moqueries, comme si elle eût possédé une sagesse plus grande que la sienne, et qui déclare combien il a été insensé d'avoir agi comme il a fait contre les Princes des Prêtres et les Pharisiens qui l'ont fait revêtir de la sorte et qui le conduisent à une telle fin. Ainsi ce ne sont pas seulement les douleurs et les tourments, mais les opprobres qu'il reçoit de leur part.
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Toute la multitude du peuple Juif demande donc que Jésus soit crucifié, et ainsi il est condamné à mort par Pilate, son juge infortuné. On ne se rappelle plus ses bienfaits ni ses miracles; on n'est point touché de son innocence, et, ce qui semble cruel, on ne recule point en arrière en considération des peines qu'on lui a déjà fait subir. Mais les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple sont au comble de la joie en voyant leurs projets pervers mis à exécution. Ils font l'objet de leurs dérisions et de leurs moqueries de celui qui est le Dieu véritable et éternel, et ils pressent sa mort. On le ramène donc à l'intérieur du palais, on le dépouille de la pourpre ; il demeure nu en présence de tout le monde et on lui permet de reprendre ses vêtements.
Arrêtez ici votre attention et considérez le corps du Sauveur en ses diverses parties. Et afin de lui compatir plus intimement, afin de trouver en même temps une nourriture abondante à votre aune, détournez un peu les yeux de sa divinité, regardez seulement lhumanité, et vous verrez un jeune homme plein de beauté, de noblesse, d'innocence, d'amabilité, mais déchiré tout entier par la flagellation, tout couvert de sang et de plaies. Vous le verrez recueillant ses vêtements dispersés
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ça et lit et s'en revêtant avec modestie, honte et confusion, en la présence de ses bourreaux qui se moquent de lui, et il vous semblera le plus faible des hommes, un homme abandonné de Dieu et privé de tout secours. Regardez-le avec attention et laissez-vous toucher de compassion, de pitié ; il ramasse ses vêtements l'un après l'autre et s'en revêt en présence de ces misérables.
Revenez ensuite à la Divinité et considérez celte immense, éternelle, incompréhensible et toute-puissante majesté incarnée qui s'incline humblement, s'abaisse jusqu'à terre, relève ses vêtements, s'en couvre avec honte et confusion, comme s'il n'était que le plus vil des hommes, et même un esclave devenu la possession de ceux qui sont présents et qu'on punit et châtie pour quelque faute. Considérez-le donc attentivement et admirez son humilité. Vous pouvez également, en lui exprimant la pitié que ces récits vous inspirent, le contempler lié à la colonne et flagellé avec une aussi horrible barbarie. Après avoir repris ses vêtements on le conduit dehors pour ne point différer sa mort plus longtemps; et alors on place sur ses épaules le bois vénérable de la croix, bois long, gros et pesant, que l'Agneau plein de mansuétude revoit et porte sans murmurer. C'est un sentiment appuyé sur plusieurs ouvrages, que la croix du Seigneur avait quinze pieds de hauteur. Sans tarder on le conduit, on le presse, on l'accable d'opprobres, de la manière que je vous ai dit plus haut en la méditation pour l'heure de Matines. Or, on le fait
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sortie avec ses compagnons, c'est-à-dire avec deux voleurs. Voilà sa société. O bon Jésus! de quelle confusion vous couvrent ces amis! On vous associe des voleurs ! Et pourtant, en imposant à vos épaules de porter la croix, ou vous traite d'une façon plus humiliante encore, et l'on ne dit rien de semblable pour les voleurs eux-mêmes. Ainsi non-seulement il a été mis au rang des scélérats, selon la parole dIsaïe (1), mais il a été regardé comme le plus indigne entre les voleurs. O Seigneur! Votre patience est vraiment ineffable !
Considérez donc bien comment il s'avance, courbé sous sa croix, et comme il est hors d'haleine. Compatissez-lui autant que vous le pourrez, en voyant ses angoisses si nombreuses et les insultes qui recommencent contre lui. Et comme sa mère vraiment accablée d'amertume ne pouvait l'approcher ni le voir à cause de la multitude immense qui s'était rassemblée là, elle s'en alla avec saint Jean et ses compagnons par un nuire chemin plus court afin de devancer la foule, et d'arriver jusqu'à lui. Or, lorsque après avoir passé la porte ide la ville elle se trouva à sa rencontre, au débouché de plusieurs rues, et qu'elle le vit chargé d'un bois si énorme ( ce qu'elle n'avait point aperçu jusqu'à ce moment), elle faillit perdre la vie de douleur et devint incapable de prononcer une parole. Le Seigneur ne put, de son côté, rien lui dire non plus, parce qu'il était pressé par ceux qui le conduisaient à grande hâte à la mort. Cependant ayant fait encore
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quelques pas il se tourne vers les femmes qui pleuraient, et leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous (1)
et le reste comme il est rapport; plus longuement dans l'Évangile.
On voit encore, en ces deux endroits, les traces d'églises qui y furent construites pour conserver aux hommes le souvenir de ces laits, selon que je le tiens d'un de nos frères qui y est allé. Le même frère m'a dit aussi que la montagne du Calvaire était éloignée de la porte de la ville, comme notre monastère l'est de la porte de Saint-Germain. Le chemin parcouru par le Seigneur portant sa croit était donc d'une longueur excessive. Aussi, lorsqu'il se fut avancé encore un peu, il se trouva tellement fatigué et abattu, que, ne pouvant plus porter sa Croix, il la déposa. Mais ces hommes pervers, ne voulant point différer sa mort dans la crainte que Pilate ne révoquai la sentence, car il avait monte; la volonté de le renvoyer, ces hommes, dis-je, forcèrent un autre de la porter à sa place, et, après que Jésus eut été ainsi déchargé, ils le conduisirent au Calvaire, lié comme un voleur.
Maintenant, je vous le demande, tout ce que vous venez de méditer de ses souffrances à Matines, Prime et Tierce, et cela en dehors de son crucifiement, ne vous semble-t-il pas renfermer les douleurs les plus acerbes et les plus amères, aussi bien que les horreurs les plus étonnantes? Je suis persuadé, sans aucun doute, que tous ces motifs sont de nature, non-seulement à produire la compassion, mais encore à causer
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une vive peine. Je crois donc que c'est assez vous avoir parlé de ce qui a rapport à ces trois heures. Voyons à présent ce qui s'est passé au crucifiement et à la mort, c'est-à-dire à la sixième et à la neuvième heure. Ensuite nous verrons ce qui arriva après la mort, c'est-à-dire à l'heure de vêpres et de complies.
Le Seigneur Jésus, conduit par les impies, arriva enfin à la montagne immonde du Calvaire, où vous pouvez considérer les ouvriers d'iniquité s'empressant d'agir de tous côtés selon la malice de leur coeur. Fixez tous les regards de votre esprit sur ce qui se passe comme si vous y étiez réellement en personne ; re-présentez-vous avec le plus grand soin tout ce qui se fait contre votre Seigneur, et tout ce qu'il dit et fait lui-même. Voyez des yeux de votre âme l'un qui plante la croix, un autre qui prépare les clous et les marteaux, un autre qui dispose une échelle et les autres instruments, un autre qui règle tout ce qu'on doit faire, un autre, enfin, qui dépouille le Sauveur, car on le dépouille encore. Il apparaît nu pour la troisième fois en présence de cette multitude, et. l'on renouvelle ses blessures en arrachant ses vêtements collés à sa chair. C'est alors que Marie voit pour la première fois son Fils semblable à un captif, et, comme tel, prêt à subir
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une mort barbare. Elle en conçoit une tristesse qui passe toute mesure, et elle est couverte de confusion en l'apercevant totalement dépouillé, car on ne lui a pas même laissé ses vêtements de dessous. Elle s'élance donc d'un trait, s'approche de son Fils, l'embrasse et enveloppe sa nudité du voile qui couvrait sa tête. Oh! dans quelle amertume son âme est plongée ! Je ne crois pas qu'elle ait pu alors lui adresser une parole. Si il lui eût été libre de faire plus, sans doute la volonté ne lui eût. pas manqué, mais elle était dans l'impossibilité de lui venir davantage en aide. Car il est arraché de ses mains avec fureur au pied même de la Croix.
Considérez soigneusement comment cette croix est disposée; deux échelles sont dresses, l'une par derrière, au bras droit, l'autre au bras gaucho, et les infimes y montent avec les clous et les marteaux. On place en avant une autre échelle qui atteint l'endroit où doivent être attachés les pieds. Observez maintenant chaque chose. Le Seigneur Jésus est forcé de monter vers la croix, au moyen de cette petite échelle, et il se soumet sans résistance ni contradiction à tout ce qu'ils veulent. Lors donc qu'il est arrivé à la croix, il se tourne, ouvre ses bras royaux, étend ses mains pleines de beauté elles offre à ses bourreaux. Il regarde le ciel et dit à son père : « Enfin me voici en ce lieu, ô mon père; vous avez voulu m'humilier jusqu'au supplice de la croix pour l'amour et le salut du genre humain. Je l'accepte de grand coeur, et je m'offre pour ceux que vous m'avez donnés et que vous avez
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voulu rendre mes frères. Acceptez donc aussi, vous, mon Père, ce sacrifice, et désormais soyez facile à apaiser par amour pour moi. Effacez les taches anciennes dont tous les hommes sont souillés; éloignez-les d'eux ; c'est pour eux que je m'offre à vous, ô mon Père. »
Cependant celui qui est derrière la croix saisit la main droite et la cloue fortement au bois. Ensuite celui qui est à l'autre extrémité prend la main gauche, la tire et l'étend autant qu'il le peut, y place un clou, le frappe et l'enfonce dans la croix. Puis il descend et l'on écarte les échelles. Le Seigneur demeure suspendu de toute la pesanteur de son corps, qui l'entraîne en bas, et il n'est soutenu que par les clous qui lui transpercent les mains. Alors un troisième arrive et le tire par les pieds de toutes ses forces; et après qu'il a été ainsi étendu, un autre vient et les lui perce au moyen d'un clou énorme.
Il y en a pourtant qui croient que ce n'est point de cette manière que le Seigneur fut crucifié , mais que la croix demeura couchée sur le sol, et qu'après qu'il y eut été attaché, on l'éleva et on la fixa en terre. Si cela vous plaît mieux, voyez de quelle façon on le prend pour le plus vil des misérables, comme on le renverse avec fureur sur la croix, comme on saisit ses bras et comme après les avoir étendus avec violence, on les cloue cruellement à la croix. Contemplez de la même manière ce qui se passe pour ses pieds que l'on tire sans pitié le plus qu'il est possible.
Voilà le Seigneur Jésus crucifié, et il est étendu sur
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la croix avec une telle violence, que tous ses ossements pourraient être comptés, ainsi qu'il s'en plaint lui-même par le Prophète (1). Des ruisseaux de son sang vénérable coulent de ses cruelles blessures, et il est dans une gêne telle qu'il ne peut faire aucun mouvement, si ce n'est de la tête. Ces trois clous soutiennent tout le poids de son corps; il endure les douleurs les plus atroces, il est dans l'affliction au delà de tout ce qu'on peut dire, de tout ce qu'un peut imaginer. Il est suspendu entre les deux voleurs. De toutes parts, des peines; de toutes parts, des opprobres, des injures. Car, malgré son oppression, on ne lui épargne aucune insulte ; les uns le blasphèment en disant : « Va ! toi qui détruis le temple de Dieu! » d'autres en s'écriant : « Il ne peut se sauver lui-même ; » et d'autres outrages sans nombre, comme ces paroles : « S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix, afin que nous croyions en lui !» Quant aux soldats qui le crucifièrent, ils partagèrent ses vêtements sous ses yeux.
Et tout cela se fait, tout cela se dit en présence de sa Mère abreuvée de tristesse. La compassion qu'elle porte à son Fils accroît la douleur de sa Passion, et réciproquement. Elle était suspendue avec lui sur la Croix, et elle eût mieux aimé mourir avec lui que de vivre plus longtemps. De toutes parts, ce sont des angoisses. On pourrait sentir ces tourments, mais les raconter est chose totalement impossible. La Mère se tenait auprès de la Croix de son Fils, ayant derrière elle la croix d'un voleur; elle ne détournait point ses
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yeux de dessus son Fils ; elle souffrait de chacun de ses tourments, et elle priait son Père de toute l'ardeur de son âme. « Mon Père, Dieu éternel, disait-elle, il vous a plu que mon Fils fût crucifié ; ce n'est plus le temps de vous le redemander. Mais voyez dans quelle agonie son âme est plongée. Je vous en conjure, adoucissez sa peine, s'il vous plaît. Mon Père, je vous recommande mon Fils. » Le Fils priait de même pour sa Mère, et disait silencieusement en son coeur : « Mon Père, vous voyez en quelle affliction est ma Mère. C'est moi qui dois être crucifié et non pas elle ; cependant elle est avec moi sur la Croix. C'est assez que j'y sois, moi qui suis chargé des péchés de tout le peuple; mais pour elle, elle ne mérite rien de semblable. Voyez sa désolation ; durant tout le jour, elle a été oppressée par la douleur (1). Je vous la recommande; rendez-lui donc ses peines tolérables. »
Il y avait aussi auprès de la Croix Jean et Madeleine, et les deux soeurs de la Mère de Jésus : Marie, mère de Jacques, et Salomé et peut-être plusieurs autres encore. Tontes ces personnes , surtout Madeleine , la bien-aimée Disciple de Jésus, pleuraient amèrement sans pouvoir se consoler de leur tendre Seigneur et Maître, et compatissaient à Jésus, à sa Mère et à elles-mêmes. Leur douleur se renouvelait sans cesse, car leur compassion était entretenue par les injures et les outrages qui venaient ajouter un nouveau tourment à la Passion du Seigneur.
Le Seigneur, suspendu à la Croix, n'y demeura pas oisif jusqu'au moment où son aine sortit de son corps ; mais il y lit el. enseigna des choses d'une grande utilité pour nous. Ainsi, il prononça sept paroles que nous trouvons écrites dans l'Évangile. La première fut dans l'acte même de son crucifiement, lorsqu'il pria son Père pour ses bourreaux en disant : « Mon Père, pardonner-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1). » Cette parole nous est la preuve d'une grande patience et d'un grand amour, et, en même temps elle exprime une charité ineffable.
La seconde parole fut à sa Mère, lorsqu'il dit : « Femme, voilà votre fils ; » et à Jean : « voilà votre mère (2)» Il ne lui donne pas le nom de mère, de peur que la tendresse de son amour si ardent n'augmente sa couleur.
La troisième fut au larron pénitent, lorsqu'il lui répondit : « Vous serez aujourd'hui avec moi dans le Paradis (3). »
La quatrième fut : « Eli, Eli, lamma sabacthani ! C'est-à-dire : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné (4) ? » C'est comme s'il eût dit : « Mon Père, vous avez tant aimé le monde, qu'en me
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sacrifiant pour lui, vous sembler m'avoir abandonné. »
La cinquième fut lorsqu'il dit : « J'ai soif (1). » Cette parole fut, pour sa Mère, les Saintes femmes et Jean, la cause d'une grande compassion, et, pour ces barbares, la source d'une grande joie. Car, bien qu'on puisse expliquer cette soif du salut des aunes qu'il désirait avec ardeur, cependant il eut soif véritablement, car l'effusion de son sang l'avait desséché et rendu tout brûlant. Et, comme ces hommes cruels ne pouvaient plus imaginer comment il serait possible de lui nuire davantage, ils saisirent avec empressement cette nouvelle occasion de le tourmenter. C'est pourquoi ils lui offrirent à boire du vinaigre mêlé de fiel. Maudite soit leur fureur, parce qu'elle fut opiniâtre, et qu'ils s'acharnèrent contre lui autant qu'il fut en eux !
La sixième parole fut : « Tout est consommé (2). » Comme s'il eût dit : mon Père, j'ai accompli parfaitement le commandement que j'ai reçu de vous. Commandez à votre Fils tout ce qu'il vous plaira : je suis disposé à accomplir jusqu'au bout tout ce qui peut s'offrir, car je suis prêt à subir tous les tourments (3). Mais tout ce qui a été écrit de moi est consommé. Si telle est votre volonté, mon Père, rappelez-moi à vous maintenant. « Et son Père lui répondit : « venez mon Fils bien-aimé, vous avez bien fait toute chose, je ne veux point prolonger davantage vos souffrances. Venez et je vous recevrai en mon sein, je nous presserai entre mes bras. » Dès lors il commença à languir à la
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manière des mourants, tantôt fermant, tantôt ouvrant les yeux, et à incliner la tête tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, ses forces l'abandonnant tout-à-fait.
Enfin il ajouta une septième parole en jetant un grand cri et en versant des larmes : « Mon Père, dit-il, je remets mon esprit entre vos mains (1). » Et en prononçant ces mots il rendit l'esprit, et baissant sa tête sur sa poitrine, devant son Père, comme pour lui rendre grâces de ce qu'il le rappelait, il lui remit son âme. A ce cri le centurion qui était lit se convertit, et dit en voyant qu'il avait expiré en poussant un tel cri : Il était vraiment le Fils de Dieu (2).» En effet les autres hommes au moment de leur mort sont impuissants à crier; aussi il crut en lui. Or ce cri fut tel qu'il fut entendu jusqu'au fond des enfers.
Oh ! en quel état se trouvait l'âme de Marie, lorsqu'elle voyait son Fils si péniblement s'affaiblir, languir, pleurer et mourir? Je crois qu'elle était absorbée dans la multitude de ses angoisses et rendue comme insensible, ou bien qu'elle était demi-morte en ce moment beaucoup plus que lorsqu'elle se trouva à sa rencontre pendant qu'il portait sa croix. Mais que faisait Madeleine, la fidèle et bien-aimée Disciple ? Que faisait Jean, chéri entre tous les autres? Que faisaient tes deux soeurs de notre Souveraine ? Ou plutôt que pouvaient faire toutes ces saintes personnes remplies d'amertume, abreuvées de douleurs, enivrées d'absinthe ? Toutes elles versaient des larmes irrémédiables.
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Voilà donc le Seigneur suspendu et mort sur la croix. Toute la foule se retire ; mais sa Mère accablée de tristesse demeure en la compagnie de ces quatre personnes. Elles viennent se placer auprès de la croix, contemplent leur bien-aimé, et attendent. que le ciel leur vienne en aide pour avoir son corps et lui donner la sépulture.
Pour vous, si vous avez bien contemplé votre Seigneur, vous pouvez remarquer que, depuis l'extrémité des pieds jusqu'à la tête, il n'y a rien en lui qui soit sans blessures ; qu'il n'est en son corps aucun membre, aucun sens, qui n'ait éprouvé l' affliction ou la souffrance la plus extrême. Je vous ai retracé selon ma faiblesse et selon qu'il m'a paru convenir pour le moment à votre peu de capacité, ce qui est arrivé à la sixième et à la neuvième heure touchant le crucifiement et la mort du Sauveur. De votre côté attachez-vous à toutes ces choses avec dévotion, fidélité et sollicitude. Maintenant parlons de ce qui a suivi sa mort.
Pendant que Marie, notre vénérable Souveraine, Jean, Madeleine et les deux soeurs de la Mère de Jésus demeuraient assis tous ensemble au pied de la Croix, les yeux fixés sans interruption sur le Seigneur
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ainsi suspendu, ainsi crucifié entre deux voleurs, ainsi nu, brisé par les tourments, mort et abandonné de tous, voilà que des hommes aimés viennent en grand nombre de la ville au Calvaire. Ils étaient envoyés afin de rompre les jambes à ceux qui avaient été crucifiés, de hâter leur mort, et de les ensevelir, pour que leurs corps ne demeurassent point en croix pendant le grand jour du Sabbat. Alors Marie et tous les autres se lèvent, regardent et voient ces hommes qui s'approchent. Ils ne savent ce dont il peut s'agir; leur douleur se renouvelle, leur crainte et leur effroi s'accroissent. Marie, surtout, est remplie de frayeur; elle se tourne vers son Fils mort et lui dit : « Mon Fils bien-aimé, pourquoi ces hommes reviennent-ils? Que veulent-ils vous faire de plus? Ne vous ont-ils pas mis à mort ? Mon Fils, je pensais qu'ils s'étaient rassasiés contre vous. Mais, je le vois bien, ils vous poursuivent encore après votre mort. Mon Fils, je ne sais que faire ; je n'ai pu vous défendre de la mort; cependant je viendrai et je me tiendrai à vos pieds auprès de votre Croix. Mon Fils, priez votre Père de les apaiser; pour moi, je ferai ce que je pourrai. » Et tous cinq s'en vont en pleurant et se placent auprès de la Croix du Seigneur Jésus. Or, ces hommes arrivent avec fureur et grand bruit, et, voyant que les voleurs vivent encore, ils leur brisent les jambes, achèvent de les faire mourir, les détachent de leurs croix et les jettent précipitamment dans la première fosse qui s'offre. Ils reviennent ensuite vers Jésus, mais Marie craignant qu'ils ne traitent de même son Fils, et
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percée de douleur jusqu'au plus profond de son coeur, songe à recourir aux armes qui lui sont propres, c'est-à-dire à l'humilité, qui était innée en elle. Se mettant donc à genoux, les bras croisés sur sa poitrine, la voix brisée par la douleur, elle leur parle ainsi : « O vous que j'appelle mes frères! je vous en conjure au nom du Dieu Très-haut, veuillez ne pas m'affliger davantage en la personne de mon Fils bien-aimé. C'est moi qui suis sa Mère infortunée, et vous savez, mes frères, que jamais je ne vous ai offensés, que jamais vous ne reçûtes de moi la moindre injure. Si mon Fils a paru opposé à vos projets, vous vous en êtes vengés par sa mort. Pour moi, je vous pardonne toute injure, toute offense, la mort même de mon Fils. Accordez-moi au moins cette grâce que je vous demande, de ne point rompre ses membres, et permettez-moi de l'ensevelir sans de nouvelles blessures. Il n'y a aucun motif de lui briser les jambes, car vous voyez bien qu'il est mort et que c'en est fait de lui. Il y a une heure déjà qu'il est sorti de ce monde. »
Or, Jean, Madeleine et les soeurs de la Mère du Seigneur étaient à genoux avec elle et tous pleuraient amèrement. O ma Reine! que faites-vous? Vous demeurez aux pieds des scélérats les plus infâmes ; vous priez des hommes inexorables. Croyez-vous fléchir, par la pitié, des barbares et des impies, et, par votre humilité, des coeurs remplis d'orgueil? L'humilité est en abomination aux superbes ; vous vous fatiguez en vain. En effet, l'un d'entre eux, nommé Longin, alors impie et orgueilleux , mais dans la suite chrétien,
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martyr et saint, Longin, méprisant leurs prières et leurs supplications, et agitant de loin sa lance, ouvrit, par une blessure énorme, le côté droit du Seigneur Jésus, et il en sortit du sang et de l'eau. Alors Marie tomba demi-morte dans les bras de Madeleine; mais Jean, poussé par sa douleur, reprenant courage, s'élève contre eux et. leur dit : « Hommes infâmes, pourquoi commettre cette impiété ? Ne voyez-vous pas qu'il est mort? Vous voulez donc aussi faire mourir sa Mère de douleur? Retirez-vous, car c'est nous qui l'ensevelirons. » Alors il plut à Dieu qu'ils s'en allassent. Marie est rappelée à elle, et, se relevant comme une personne qui sort du sommeil, elle demande ce qu'on a fait de son Fils bien-aimé. On lui répond qu'on ne lui a rien fait de plus. Ensuite elle soupire, se livre à l'angoisse, et, regardant son Fils chéri , elle est altérée par une douleur mortelle.
Voyez-vous combien de lois elle a subi la mort en ce jour? fluant de fois sans doute que son Fils a été l'objet d'un nouvel outrage. Aussi a-t-elle vraiment ressenti tout ce que lui avait prédit Siméon, lorsqu'il lui dit : « Pour vous, un glaive transpercera, votre âme (1). » Aujourd'hui, le glaive de cette lance a vraiment percé le corps du Fils et l'âme de la Mère.
Cependant tous reviennent se placer de nouveau au pied de la Croix, ne sachant ce qu'ils doivent faire. Ils ne peuvent descendre le corps ni l'ensevelir, car ils n'ont pas la force suffisante, et ils ne possèdent aucun des instruments nécessaires pour le détacher de
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la Croix. Us n'osent point se retirer et le laisser en cet état ; d'un autre côté, ils ne sauraient demeurer longtemps, car la nuit. approche. Vous voyez dans quel tourment ils sont plongés. O Dieu miséricordieux! comment permettez-vous que celle qui vous est chère entre tous, celle qui est le miroir du monde et le repos de nos coeurs, soit ainsi dans la tribulation? Il serait bien temps qu'il lui frit donné de respirer un peu.
Cependant ils voient plusieurs personnes qui s'en viennent par le chemin. C'étaient Joseph d'Arimathie et Nicodème, amenant avec eux quelques uns lie leurs gens. Ils arrivaient munis d'instruments pour descendre le corps de la croix, apportaient avec eux environ cent livres de myrrhe et d'aloès, et ils venaient pour ensevelir le Seigneur. Aussitôt tous se lèvent, saisis d'une crainte terrible. O Dieu ! combien grande est l'affliction de ce jour ! Mais Jean regardant attentivement, dit : « Je reconnais parmi ces hommes, Joseph et Nicodème. » Alors Marie, reprenant ses forces, s'écrie : « Béni soit notre Dieu, qui nous envoie un secours! Il s'est souvenu de nous et rie nous a pas abandonnés. Mon fils, allez à heur rencontre. » Jean s'en va donc promptement à leur rencontre, et, arrivé vers eux, ils s'embrassent en versant des larmes abondantes sans pouvoir prononcer une
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pendant plus d'une heure, par l'excès de leur compassion, de leurs sanglots et de leur amertume. Ensuite ils se dirigent vers la Croix. Joseph demande quelles sont les personnes qui se trouvent là avec Marie, et où sont les autres Disciples. Jean lui nomme les personnes présentes; quant aux Disciples, il ne peut donner sur eux aucun renseignement, car aucun d'eux n'a paru en ce lieu aujourd'hui. Nicodème s'informe aussi de ce qui s'est passé, par rapport au Seigneur, et Jean lui fait le récit de tout.
Or, lorsqu'ils furent proches du Calvaire, ils se mirent à genoux et adorèrent le Seigneur en versant des larmes. Enfin arrivés là, ils furent reçus avec respect par Marie et ses compagnes à genoux et inclinées jusqu'à terre. Eux de leur côté se prosternèrent également en pleurant amèrement, et ils demeurèrent en cette position pendant une heure. Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de garder le souvenir de votre Maître, car il vous aimait tendrement ; et je vous avoue qu'à votre arrivée une lumière nouvelle a semblé se lever pour moi ; car nous ne savions ce que nous devions faire. Que le Seigneur vous récompense! » Et eux répondent : «Nous déplorons de tout notre coeur tout ce qui a été fait contre notre Maître. Les impies ont prévalu contre le Juste. Nous l'eussions de grand coeur arraché à une injustice si criante, s'il eût été en notre pouvoir de le faire. Au moins nous rendrons à notre Seigneur et Maître cette faible marque de notre amour.» Se levant donc, ils se disposent à descendre de la croix le corps de Jésus.
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Pour vous, considérez soigneusement et avec attention de quelle manière ils agissent, selon que je vous l'ai dit plus haut. On dresse deux échelles aux extrémités opposées de la croix; Joseph monte sur celle qui est au côté droit et s'efforce d'arracher le clou de la main du Seigneur. Mais il éprouve une grande résistance, car le clou est gros et long, et il est profondément enfoncé dans la croix. Aussi semble-t-il impossible de le tirer sans presser fortement la main ; mais ce n'est pas de la part de Joseph de la violence, car il agit avec amour et le Seigneur agrée tout ce qu'il rait. Ce clou arraché, Jean fait signe à Joseph de le lui remettre afin que Marie ne le voie point. Ensuite Nicodème tire celui de la plain gauche et le remet de même à Jean. Après il descend et va au clou qui retenait les pieds. Pendant ce temps-là joseph soutenait le corps de Jésus. Heureux Joseph qui a mérité de serrer dans ses bras le corps du Seigneur ! Marie alors prend avec respect la main droite qui pendait et la porte à sa bouche ; elle la considère et la baise avec des larmes ineffables et îles soupirs douloureux. Enfin le clou des pieds étant arraché, Joseph descend un peu, et tous reçoivent le corps du Seigneur et le déposent à terre. Marie reçoit la tête et les épaules sur son sein, Madeleine les pieds, ces pieds où autrefois elle avait trouvé une grâce si immense; les autres l'environnent et tous poussent sur lui de grands gémissements; tous le pleurent avec une amertume très-profonde, comme on pleure un fils unique.
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Quelque temps après, comme la nuit approchait, Joseph prie Marie de lui permettre d'envelopper le corps dans un linceul et de l'ensevelir. Mais elle s'y opposait et disait : « Je vous en prie, mes amis, ne m'enlevez pas sitôt mon Fils, ou ensevelissez-moi avec lui. » Or, elle pleurait avec des larmes irrémédiables. Elle contemplait les blessures des mains et du côté, tantôt l'une, tantôt l'autre ; elle considérait le visage et la tête du Sauveur, fixait ses regards sur les piqûres des épines, sur sa barbe arrachée violemment, sur sa face souillée de crachats et de sang, sur sa tête sans cheveux, et elle ne pouvait se rassasier de pleurer ni détourner les yeux. On lit dans quelque récit que le Seigneur révéla à une âme dévote, qu'on lui avait coupé les cheveux et arraché la barbe ; mais les Évangélistes n'ont pas tout écrit. En effet, qu'on lui ait coupé les cheveux, et comment cela s'est fait, je ne saurais le montrer par l'Écriture; mais je pourrais prouver qu'on lui arracha violemment la barbe, car Isaïe, parlant en la personne du Seigneur, dit : « J'ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui n'arrachaient la barbe. » Aussi sa Mère considérait tout cela
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et voulait le voir longuement. Cependant, l'heure pressant. Jean lui dit : « Je vous en prie, ma mère, soumettons-nous à la volonté de Joseph et de Nicodème; permettons-leur de tout disposer et d'ensevelir le corps de Notre Seigneur, car trop de retard pourrait leur attirer quelque accusation calomnieuse de la part des Juifs.
A cette parole, pleine de reconnaissance, guidée par la discrétion, et en même temps se souvenant qu'elle avait été confiée à Jean par son Fils, Marie ne s'opposa pas davantage, et, bénissant ce même Fils, elle voulut bien qu'on le disposât et qu'on l'ensevelît. Alors Jean, Nicodème et les autres, commencèrent à envelopper le corps et à l'appareiller avec des linges, comme c'est l'usage chez les Juifs. Sa Mère cependant tenait toujours la tête dans son sein ; elle se réserva le soin de cette partie de l'ensevelissement, et Madeleine celui des pieds. Lors donc qu'après avoir entièrement disposé les jambes, on en fut arrivé là, Madeleine s'écria : « Je vous en prie, laissez-moi me charger de ses pieds, auprès desquels j'ai obtenu miséricorde. » Étant laissée libre, elle tint ces pieds embrassés et semblait défaillir de douleur. Elle les avait autrefois arrosés des pleurs de son repentir ; mais dans ce moment elle les lava bien plus largement dans des ruisseaux de larmes arrachées à sa douleur et à sa compassion. Elle voyait ces pieds ainsi déchirés, transpercés, desséchés et sanglants, et elle pleurait très-amèrement. Et, comme la Vérité a rendu d'elle ce témoignage, qu'elle aima beaucoup, de même elle pleura
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beaucoup, surtout en ce dernier devoir rendu à son Maître et Seigneur ainsi affligé, ainsi flagellé, ainsi déchiré de blessures, ainsi mort, ainsi réduit au néant. C'est à peine si son aune pouvait demeurer en son corps, tant sa douleur était immense ; d'ailleurs, vous pouvez bien penser que si elle en eût eu le pouvoir, elle serait morte volontiers aux pieds de son Seigneur. Elle ne voyait point de remède à son angoisse ; elle n'était point accoutumée à rendre à Jésus de semblables services; et celui qu'elle lui rend en ce moment, c'est pour la première et la dernière fois. En le rendant, son âme s'oppresse d'amertume, car elle ne peut faire ni autant qu'elle voudrait, ni comme il conviendrait. Elle désirerait laver le corps tout entier, l'oindre, et tout disposer de la manière la plus parfaite; mais ce n'est ni le lieu, ni le temps. Ne pouvant rien de plus, ni autrement, elle fait tout ce qui est en son pouvoir. Elle lave au moins les pieds de ses larmes, elle les essuie pieusement, les embrasse, les couvre de ses baisers, les enveloppe, les arrange avec soin, selon qu'elle peut et qu'elle sait le mieux convenir.
Le corps étant donc ainsi disposé, ils regardent Marie afin qu'elle veuille bien terminer, et ils recommencent à pleurer. Alors voyant quelle ne peut différer plus longtemps, elle pose son visage sur celui de son Fils bien-aimé et s'écrie : « O mon Fils ! Je vous tiens mort contre mon sein. La séparation faite par votre mort est bien dure; nous avons conversé ensemble autrefois avec tant de bonheur et de joie! Nous avons vécu au milieu des hommes sans trouble et saris injure de
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notre part, bien qu'on vous oit ;ait mourir comme un coupable, ô mon très-doux Fils ! Je vous ai servi fidèlement, ô mon Fils, et vous m'avez servie de mène. Mais dans ce combat si douloureux votre père n'a point voulu vous venir en aide, et moi, je ne l'ai pu. Vous vous êtes abandonné vous-même, par amour pour le genre humain, que vous avez voulu racheter. Elle est dure, pénible outre mesure, cette rédemption dont je me réjouis à cause du salut des hommes. Mais j'éprouve sur vos douleurs, sur votre mort, une affliction sans limites, en me rappelant que vous n'avez jamais péché, et que, sans cause aucune, vous avez terminé votre vie par un supplice si honteux et si amer. C'en est donc fait ; notre union est détruite, ô mon Fils ! Il faut que je me sépare de vous maintenant. Je vais vous ensevelir, moi, votre Mère abreuvée de douleurs. Mais ensuite où Irai-je ? Je vous ensevelirais bien plus volontiers, si, en quelque lieu que vous fussiez, il m'était permis d'y être avec vous. Mais puisque je ne le puis faire de corps, au moins je m'ensevelirai d'esprit avec vous ; le tombeau qui recevra votre corps, renfermera mon âme; je vous l'abandonne; je vous la recommande, ô mon Fils! Combien: est poignante cette séparation ! »
Alors, de l'abondance de ses larmes, elle lave la figure de son Fils beaucoup plus igue Madeleine n'avait lavé ses pieds. Ensuite, elle essuie cette face de Jésus, baise sa bouche et ses yeux, enveloppe sa tête dans un suaire particulier et l'ajuste avec le plus grand soin : enfin, elle le bénit de nouveau. Aussitôt tous se prosternent et l'adorent; et, ayant baisé ses pieds, ils le
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prennent et le portent au tombeau. Marie tenait la tête et les épaules, Madeleine les pieds, et les autres soutenaient le corps par le milieu. Il y avait un sépulcre proche le lieu du crucifiement, à la distance de la longueur de notre église environ. Ils l'y déposèrent respectueusement et à genoux, en versant des pleurs, poussant des sanglots et des soupirs sans cesse réitérés. Ensuite, sa Mère le bénit encore, l'embrassa et demeura penchée sur son Bien-Aimé. Mais, l'ayant relevée, ils placèrent une grande pierre à l'entrée du tombeau.
Bède dit de ce tombeau « que c'était une demeure d'une forme ronde, taillée dans le rocher, d'une hauteur qu'un homme, en levant la main, pouvait atteindre à peine. L'entrée était à l'orient, et au nord se trouvait l'endroit où fut placé le corps du Seigneur. Ce dernier lieu faisait partie du rocher même et avait sept pieds de longueur. »
Joseph, voulant revenir à la ville après avoir ainsi accompli ce devoir, dit à Marie : « Ma Mère, je vous en prie pour Dieu et pour l'amour de votre Fils et mon Maître, qu'il vous plaise de venir en ma maison. Je sais que vous n'avez point de demeure à vous ; veuillez vous servir de la mienne comme si elle vous appartenait, car tout ce que je possède est à vous. »
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Nicodème fit les mêmes offres. Oh ! quel sujet de compassion ! la Reine du ciel n'a pas où reposer sa tête, et, dans les jours de son deuil et de sa viduité, il faut la retirer sous un toit étranger. Oui, ces jours sont vraiment les jours de sa viduité, car le Seigneur Jésus était pour elle un fils et un époux, un père et une mère; il était tout son bien, et, par sa mort, elle perdit tout. Elle est vraiment veuve et abandonnée; elle n'a point de demeure pour s'y retirer.
S'inclinant donc humblement à l'offre de Joseph et le remerciant, elle lui répond qu'elle a, été confiée à Jean. Comme ils continuaient leurs prières, Jean leur répondit qu'il voulait la conduire sur la montagne de Sion, en la maison où leur Maître avait fait la Cène la veille avec ses Apôtres, et que c'était là qu'il avait intention de demeurer avec elle. Alors ces hommes, s'inclinant devant Marie, et ayant adoré le Sépulcre, s'en allèrent. Marie, Jean et les saintes femmes demeurèrent assis contre le Sépulcre, selon que le dit l'Évangile. Cependant la nuit approchait ; alors Jean dit à Marie : « Il n'est pas convenable de rester ici trop longtemps et de rentrer de nuit dans la ville; c'est pourquoi, s'il vous plaît, ma Mère, retirons-nous. » Aussitôt Marie se lève, et, fléchissant les genoux, elle ombrasse le Sépulcre, puis s'écrie : « Mon Fils, je ne puis rester plus longtemps avec vous; je vous recommande à votre Père. » Et élevant les yeux au ciel, elle ajoute avec larmes et avec un grand sentiment d'amour : « Père éternel, je vous recommande mon Fils
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et mon âme que je laisse ici, » Alors ils mirent en marche pour s'en aller ; tuais lorsqu'ils furent arrivés à la Croix, Marie se prosterna et l'adora en disant : « C'est ici que mon Fils s'est reposé ; voilà son sang précieux. » Et tous firent de même après elle, car vous pouvez bien vous imaginer que ce fut elle qui la première adora la Croix.
Ils s'avancèrent ensuite vers la ville ; mais, durant le chemin, Marie regardait souvent en arrière. Arrivés à l'endroit au delà duquel ils ne pouvaient. plus voir le Sépulcre ni la Croix, elle se retourna, s'inclina, et, se mettant à genoux là, elle l'adora très-pieusement ; et tous firent de même. A l'approche de la ville, les soeurs de Marie la couvrirent, comme une veuve, d'un voile qui lui cachait presque tout le visage, et. elles marchaient devant elle. Elle les suivait dans une profonde tristesse, ayant à ses côtés jean et Madeleine. Madeleine voulant, à l'entrée de la ville, se diriger par la rue qui conduisait à sa maison elles y amener avec. elle, s'y prit à l'avance et dit : « Ma Mère, je vous en prie pour l'amour de notre Maître, allons à notre maison, nous y serons mieux. Vous savez combien lui-même y venait volontiers ; elle est à vous, et tout ce que je possède vous appartient; je vous en conjure, venez. » Et tous recommencèrent à pleurer. Or, Marie gardant le silence et portant ses regards vers Jean, Madeleine fit au Disciple bien-aimé la même prière. Mais jean répondit : « Il est plus convenable que nous allions jusqu'à la montagne de Sion, d'autant plus que c'est ce que nous avons dit à nos amis ;
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mais vous, venez plutôt avec nous. » Alors Marie ajouta : « Vous savez bien que. j'irai partout où elle ira, et que je ne l'abandonnerai jamais. »
A leur entrée dans la ville accourent de toutes parts des vierges et d'excellentes duales qui viennent s'unir à Marie du plus loin qu'elles l'aperçoivent, et la consolent le long du chemin; ruais aussitôt éclatent de nouveaux gémissements. Les hommes de bien aussi qui se trouvaient sur son passage éprouvaient pour elle une grande compassion, et, touchés jusqu'aux larmes, ils disaient : « Certainement une grande injustice a été commise aujourd'hui par nos Princes contre le Fils de cette femme, et Dieu a opéré de grands prodiges en sa faveur. Qu'ils tremblent pour ce qu'ils ont fait.»
Or, lorsqu'on fut arrivé à la maison, Marie se tourna vers les personnes qui l'avaient accompagnée, les remercia et les salua avec affection et reconnaissance. Elles, de leur côté, s'inclinèrent et se mirent à genoux; et alors recommencèrent les gémissements les plus amers. Marie entra ensuite dans la maison, suivie de Madeleine et de ses deux soeurs. Pour Jean, demeurant sur le seuil, il pria toutes ces bonites personnes de retourner en leurs demeures , parce qu'il se faisait tard, et, les ayant remerciées, il ferma la porte.
Alors Marie, parcourant des yeux cette maison, disait : « O mon très-doux Fils, où êtes-vous, car je ne vous vois plus ici ? O Jean, où est mon Fils ? O Madeleine, où est votre Père, lui qui vous aimait si tendrement ?
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O mes soeurs bien-aimées, oit est nuire Fils ? Celui qui était notre joie, notre douceur, la lumière de nos yeux, s'est retiré de nous ; il s'en est retiré au milieu d'une angoisse extrême ; vous en avez été témoins. Et ce qui accroît encore ma douleur, c'est de l'avoir vu se séparer de nous tout couvert de blessures, accablé d'amertume, desséché par la soif, brisé, oppressé et violenté, sans que nous ayons pu le secourir de rien ; c'est de voir que tous l'ont abandonné, et que son Père, le Dieu Tout-puissant, n'ait point voulu lui venir en aide. Et avec quelle promptitude toutes ces choses se sont accomplies, vous le savez! Jamais condamnation contre l'homme même le plus scélérat ne fut si précipitée ni si foudroyante. O mon Fils ! cette nuit-là même vous avez été pris, à la troisième heure condamné, à la sixième crucifié et vous êtes mort! O mon Fils! Combien amère est volte séparation, combien amer le souvenir d'une mort aussi honteuse ! »
Enfin Jean, la priant de modérer sa douleur, la consola. Pour vous, si vous voulez leur donner une preuve de voire amour, vous saurez sans doute obéir à Marie, la servir, la consoler, la fortifier, afin qu'elle prenne un peu de nourriture et qu'elle engage les autres à en faire autant, car tous sont encore à jeun; et ensuite, ayant recta la bénédiction de votre reine et de tous ceux qui sont présents, vous vous retirerez.
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Or, le matin du jour du sabbat, Marie et ses compagnes demeurent avec Jean en la maison, les portes fermées. Elles sont affligées et tristes comme des orphelines que la mort d'un père a abreuvées de douleur. Elles ne parlent pas ; mais, assises ensemble, elles se rappellent ce qui s'est passé, se regardant les unes les autres, comme à la dérobée, ainsi qu'il a coutume d'arriver à ceux qui sont en proie à une peine vive et à une grande calamité. Or, on uni frapper à la porte, et elles furent remplies d'une grande crainte, car tout leur inspirait de l'effroi et leur sécurité les avait abandonnées. Cependant Jean alla à la porte, et, regardant qui c'était, il reconnut Pierre, et dit : « C'est Pierre. » Et Marie répondit : « Ouvrez-lui. » Pierre entra donc couvert de confusion , sanglotant amèrement et versant des larmes. Alors tous recommencèrent à pleurer, et l'excès de leur chagrin ne leur permit pas de prononcer une parole. Ensuite arrivent successivement les autres Disciples, aussi les yeux baignés de pleurs. Enfin leurs gémissements étant calmés, ils commencent à s'entretenir de leur Seigneur.
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Pierre dit donc : « Je rougis de honte en moi-même ; je ne devrais point ouvrir la boucle en votre présence, ni même oser me montrer aux regards de qui que ce soit, après avoir abandonné et renié de la sorte mon Seigneur qui avait pour moi tant d'amour.» Les autres Apôtres s'accusaient de même, en frappant des mains et avec effusion de larmes, davoir abandonné ainsi leur très-doux Seigneur. Alors Marie prend la parole et dit : « Le bon Maître, le Pasteur fidèle s'est séparé de nous, et nous sommes demeurés comme des orphelins. Mais j'ai l'espérance assurée que nous le reverrons bientôt. Vous savez que mon Fils est bon et qu'il vous aimait tendrement. N'ayez donc aucun doute qu'il ne vous réconcilie avec lui, et qu'il ne vous pardonne volontiers tout ce que vous pouvez avoir commis d'offenses ou de fautes envers lui. Par la permission de son Père, la fureur déchaînée contre lui a été si terrible et l'audace des méchants a tellement prévalu que vous n'eussiez pu lui être d'aucun secours, même en demeurant avec lui. Ainsi ne vous troublez donc pas.»
Et Pierre de répondre : « C'est bien vrai, ma Mère, les choses se sont réellement passées comme vous le dites ; car moi, qui n'en ai vu que le commencement, j'ai été tellement frappé de crainte dans la cour de Caïphe, que c'est à peine si je croyais qu'il me fût possible d'échapper, et que j'ai renié mon Seigneur. Je ne me suis rappelé les paroles par lesquelles il m'avait prédit ce malheur qu'après qu'il m'eut regardé. » Alors Madeleine demande à Pierre ce qu'il lui avait prédit,
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et il lui répond en racontant tout ce qui avait rapport à son reniement, et il ajoute qu'il leur dit beaucoup d'autres choses pendant la Cène, touchant sa Passion. Marie reprend aussitôt : « Je voudrais bien entendre le récit de 'tout ce qu'il a dit et fait pendant la Cène. » Alors Pierre fait signe à Jean de répondre à cette demande. Jean commence donc et raconte tout ce qui a eu lieu ; et ensuite les Disciples se redisent mutuellement, non-seulement ce qui s'est passé dans la Cène, mais aussi les autres actions laites par le Seigneur, rapportant tour-à-tour ce qu'ils en savent. C'est ainsi qu'ils passent tout le jour en s'entretenant de lui. Oh ! avec quelle attention Madeleine écoutait tout ! Mais avec quelle attention plus grande encore Marie prêtait l'oreille ! Combien de fois, au milieu de ces récits, s'écria-t-elle: « Que béni soit mon Fils Jésus !»
Regardez-les donc attentivement, et compatissez-leur, car ils furent, durant tout ce jour, dans une grande affliction, ou plutôt dans une affliction extrême. Quel spectacle, en effet, que de voir la Reine du ciel et de la terre, les Princes des Églises et de tous les peuples, les Chefs de toute l'armée divine, remplis d'effroi, enfermés dans une petite maison, ne sachant que l'aire, si ce n'est se fortifier mutuellement en s'entretenant des actions et des paroles de leur très-doux Seigneur! Pour Marie, elle avait l'âme calme et en paix, car elle conservait l'espérance inébranlable de la résurrection de son Fils ; et la foi demeura intacte en elle en ce jour du Sabbat. C'est pour cela
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que ce jour lui est consacré. Elle ne pouvait cependant goûter aucun sentiment de joie à cause de la mort de son très-doux Fils, Jésus-Christ.
Le soir étant venu, après le coucher du soleil, alors qu'il fut permis de travailler. Marie Madeleine et l'autre Marie s'en furent acheter des aromates, pour en composer des parfums. Le soir précédent, en revenant de la sépulture du Seigneur, elles avaient commencé leurs préparatifs jusqu'au coucher du soleil, et ensuite elles étaient demeurées en repos ; car il fallait observer le sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu'au coucher du soleil du samedi. Considérez-les soigneusement : elles s'avancent, le visage triste, à la manière des veuves, s'arrêtent en quelque boutique, peut-être en celle d'un ami du Seigneur, qui leur portait compassion et était prêt à satisfaire volontiers à leurs désirs. Elles demandent donc des aromates et choisissent, autant qu'elles peuvent, les meilleurs, en soldent le prix et s'en vont afin de composer sans re-tard des parfums pour leur Seigneur.
Remarquez attentivement avec quelle humilité , quelle dévotion, quelle fidélité, elles travaillent pour leur Maître bien-aimé, en versant des larmes abondantes et soupirant amèrement. Marie et les Apôtres les regardent, peut-être même leur viennent en aide. Enfin, leur travail terminé, elles demeurent en repos durant la nuis. Tel est le sujet de votre méditation, pour le jour du Sabbat, sur Marie, ses compagnes et les Disciples.
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Maintenant s'offre à notre méditation ce que le Seigneur a fait le jour même du Sabbat. Aussitôt après sa mort, il descendit aux Enfers vers les saints de l'Ancien Testament, et il y demeura avec eux. Dès ce moment, ils jouirent de la gloire, car la vue du. Seigneur est une gloire parfaite. Considérez donc et re-marquez quelle a été sa bénignité de descendre aux Enfers, quelle a été sa charité, son humilité. Il pouvait envoyer un Ange en ces lieux délivrer ses serviteurs et les faire paraître devant lui où il eût voulu ; mais son amour infini ne l'eût pas permis, son humilité ne l'eût pas souffert. Il est donc descendu lui-même, lui, le Seigneur de toutes choses, non plus pour visiter des serviteurs, mais des amis ; et il est demeuré là, avec eux, jusqu'au dimanche, un peu avant l'aurore. Pensez bien à ces choses, admirez-les et vous efforcez de les imiter.
Or, à son arrivée, les saints Pères tressaillirent de joie et furent remplis d'une allégresse immense ; toute peine disparut; ils firent entendre des louanges et des cantiques eu sa présence. Et ces louanges vous pouvez les méditer de cette façon. Représentez-vous ces saints personnages, connue s'ils avaient leurs corps,
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dans l'état où ils seront après la résurrection. Représentez-vous, de la même manière, l'aine très-douce de Jésus-Christ, notre Seigneur. Aussitôt donc qu'ils pressentirent son arrive très-salutaire, ils allèrent à sa rencontre avec !a joie la plus vice, s'exhortant mutuellement et disant : « Beni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui a visité son peuple et opéré sa rédemption. Levez vos têtes, parce que votre rédemption est proche. Lève-toi, lève-toi, Jérusalem ; romps les liens qui enchaînent ton cou; voilà le Seigneur qui vient briser nos chaînes. O princes, élevez vos portes; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire fera son entrée. O Christ ! nous vous adorons ; nous vous bénissons, ô Dieu plein d'amour ! » Et, se prosternant, ils l'adorèrent avec une grande joie et avec une vice allégresse.
Considérez comme ils l'environnent avec respect, tressaillement de bonheur, et la félicité peinte dans tous leurs traits; comme ils redisent tous ces chants en sa présence. C'est dans ces louanges, ces cantiques, ces jubilations qu'ils demeurèrent jusqu'au jour du dimanche, au lever de l'aurore. Là aussi se trouvait la multitude des Anges, se joignant aux accords de leur joie.
Alors le Seigneur prit tous ces saints, les tira des Enfers au milieu de l'allégresse la plus éclatante, et, marchant devant eux glorieusement, il les plaça dans le Paradis de délices. Après être demeuré quelque temps à partager leur bonheur, en la société d'Élie et dHénoch qui le reconnaissaient, il leur dit : « Il est
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temps que je ressuscite mon corps ; il faut que je m'eut aille et que je le reprenne. » Et tous, se prosternant, lui dirent : « Allez, Seigneur, Roi de gloire, et revenez bien vite, s'il vous plaît, car nous avons le désir le plus grand devoir votre corps très-glorieux. »
Vous voyez donc ce que vous pouvez méditer en ce jour du Sabbat, qui précède la résurrection, sur le Seigneur, sa Mère, ses Disciples et les saints Pères. Mais, comme j'ai parcouru toute la Passion du Sauveur sans aucune citation, de peur que votre esprit ne se tournât à autre chose qu'à cette même Passion, j'ai cru qu'il serait bon maintenant de vous rapporter quelques passages, afin de vous exciter à méditer avec plus de ferveur et de dévotion les choses qui nous occupent. Écoutez donc, selon notre coutume, saint Bernard en quelques-unes de ses sentences :
« (1) Vous devez votre vie tout entière à Jésus-Christ, nous dit-il, parce qu'il a sacrifié sa vie pour vous, et enduré des tourments amers, afin que vous n'eussiez point à subir des tourments éternels. En effet, quand même je verrais se réunir devant moi tous les jours des enfants d'Adam, tous les jours des siècles à venir, les travaux de tous les hommes qui ont été et qui sont maintenant, ce ne serait rien en comparaison de ce qu'a souffert ce corps si admirable et si étonnant par les vertus célestes dont il fut orné, par sa conception du Saint-Esprit, sa naissance d'une Vierge, l'innocence de sa vie, l'abondance de sa doctrine, l'éclat de ses miracles, la manifestation
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de ses sacrements. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa vie est élevée au-dessus de la nôtre, et cependant il l'a sacrifiée. Et comme le néant ne peut être mis en comparaison avec ce qui existe, ainsi notre vie ne peut souffrir aucune proportion avec la sienne ; car l'une ne saurait être plus estimable et l'autre plus remplie de misère. Lors donc que je lui offre tout ce qui est en mon pouvoir, c'est moins que si je comparais une étoile au soleil, une goutte d'eau à un fleuve, une pierre à une montagne, un grain à un amas énorme de blé.
« Non, l'anéantissement de Jésus ne fut pas un anéantissement ordinaire ou de peu de valeur, mais il s'est anéanti jusqu'à se faire chair, jusqu'à mourir, jusqu'à être attaché à une croix. Qui pourra peser dignement quelle humilité, quelle mansuétude, quel amour il a fallu pour que le Dieu de majesté se revêtît de la chair, reçût une sentence de mort, et subit le déshonneur de la Croix ? Quelqu'un dira peut-être : Le Créateur ne pouvait réparer son oeuvre sans cet abaissement. Je dis qu'il le pourrait, mais qu'il a mieux aimé choisir l'humiliation, afin que le plus abominable et le plus odieux des vices, l'ingratitude,ne pût trouver en l'homme aucun motif de s'établir. Il s'est soumis à des fatigues nombreuses assurément, mais c'était afin de constituer l'homme redevable d'un grand autour envers lui; c'était afin que la difficulté de son rachat avertît de l'obligation de la reconnaissance celui que la facilité de sa création
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avait laissé trop peu dévoué. Que disait, en effet, l'homme ingrat après avoir été créé ? C'est, il est vrai, sans aucun mérite de ma part que j'ai reçu l'existence, mais c'est aussi sans fatigue et sans peine pour mon Créateur. Il a parlé, et j'ai commencé à exister comme le reste des créatures.
« (1) Mais la bouche de ceux qui proféraient liniquité a été fermée. Maintenant, ô homme, on voit avec une lumière plus brillante que la lumière du jour, combien le Très-haut a dépensé pour toi. Il n'a pas dédaigné de Seigneur se faire esclave, de riche devenir pauvre, de Verbe être chair, de Fils de Dieu être appelé Fils de l'homme. Souviens-toi que si tu as été fait de rien, tu n'as pas été racheté de rien. Le Seigneur a créé l'univers en six jours, et toi avec l'univers. Mais, pour accomplir notre sa- lut, il lui a fallu Le années entières de séjour sur cette terre. Oh ! comme il s'est fatigué en supportant les besoins de la chair, les tentations de l'en- nemi des hommes! N'a-t-il pas aggravé tout cela par l'ignominie de la Croix? N'a-t-il pas mis le comble à tout par l'horreur de sa mort?
« (2) O bon Jésus! sur toute chose le calice que vous avez bu, ce calice, l'oeuvre même de notre rédemption, vous rend aimable à mon coeur. C'est vraiment par là que le Seigneur enchaîne notre amour tout entier ; c'est par là, dis-je, qu'il attire avec plus de suavité notre dévotion, qu'il l'exige avec plus de justice, qu'il l'impose plus étroitement,
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qu'il l'enflamme de plus d'ardeur. C'est dans cette oeuvre que le Sauveur a travaillé prodigieusement, et la création même du monde entier n'a demandé à son Créateur rien de semblable. Car alors il a dit et tout a été fait ; il a commandé et tout a été créé (1). Mais dans l'accomplissement de cette uvre, il a trouvé des contradictions à ses paroles, des observateurs de ses actions, des dérisions en ses tourments, des injures en sa mort.
« (2) Pour comble de tendresse, Jésus-Christ a livré son âme à la mort, et de son côté il a tiré le prix de notre satisfaction par lequel il devait apaiser son Père. Ainsi il mérité qu'on lui appliquât ce verset : La miséricorde habite dans le Seigneur, et on trouve ers lui une rédemption abondante (3) « Oui, elle est vraiment abondante, car ce n'est pas une goutte, mais ce sont les flots de tout son sang qui se sont écoulés par cinq parties de son corps. Qu'a-t-il dû faire pour vous qu'il n'ait pas fait ? Il a éclairé l'aveugle, délivré celui qui était dans les chaînes,retiré celui qui était dans l'erreur, réconcilié le coupable. Qui ne courra volontiers et avec empresse ment à la suite de celui qui délivre de l'erreur, dissimule nos aveuglements, nous offre les mérites de sa vie et nous assure des récompenses par sa mort? Quelle excuse apportera celui qui ne court point à l'odeur de ses parfums? Peut-être dira-t-il que cette odeur n'a point pénétré jusqu'à lui. Mais le parfum de vie qu'elle renferme s'est répandu dans
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le monde entier; car la terre est toute pleine des miséricordes du Seigneur, et sa compassion s'est étendue sur toutes les oeuvres de ses mains (1). Celui donc qui ne s'empresse pas à sa suite, celui-là, dis-je, est mort ou corrompu.
« (2) L'Épouse ne rougit point de cette noirceur qu'elle sait avoir été portée d'abord par son Époux , car quelle gloire pour elle de lui ressembler ! Rien n'est donc plus glorieux que de porter l'opprobre de Jésus-Christ. Voilà pourquoi il vous est donné d'entendre ce cri d'allégresse véritable et de salut : Loin de moi de me glorifier autrement que dans la Croix de Jésus-Christ, notre Seigneur (3). » L'ignominie de la Croix est chère à qui n'est pas ingrat envers celui qui y fut attaché. C'est de la noirceur, il est vrai, mais c'est l'expression, c'est la ressemblance du Seigneur. Allez au saint prophète Isaïe et il vous dira comment il l'a vu en esprit. Quel autre que lui a-t-il appelé un, homme de douleurs, un homme qui connaît les souffrances, et en qui l'on ne trouve plus ni beauté ni éclat ? » Et il ajoute : « Nous l'avons considéré comme un lépreux, comme un homme frappé de Dieu et plongé dans l'humiliation. Or, il a été percé de plaies pour nos iniquités ; il a été brisé pour nos crimes, et c'est par ses meurtrissures que nome avons été guéris (4)... » Enfin, il s'est fait lui-même péché, et je craindrais de dire qu'il est noir !... Regardez-le : il est vraiment déshonoré par les haillons
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dont il est revêtu, livide à force de plaies, souillé de crachats et couvert de la pâleur de la mort. Que pouvait rencontrer de plus difforme et de plus noir l'oeil du spectateur, que celui qui était entre deux voleurs, les mains étendues sur la Croix, objet de dérision pour les méchants et de larmes amères pour les fidèles. Seul, il était le terme des moqueries, lui qui seul pouvait inspirer la terreur et qui seul méritait d'être déshonoré (1).
« (2) La pierre est le refuge des hérissons; et où le faible trouvera-t-il un repos assuré et sans crainte, si ce n'est dans les plaies du Sauveur ? J'habite en ces lieux avec d'autant plus de sécurité que je le sais plus puissant à me sauver. Le monde frémit, mon corps m'accable, le démon me tend des pièges, et je ne tombe pas, car je suis établi sur la pierre ferme. J'ai commis de grandes fautes ; ma conscience en sera dans le trouble, mais elle ne sera pas renversée, parce que je me souviendrai des blessures du Seigneur; je me souviendrai qu'il a été percé de plaies pour mon iniquité. Qui sera tellement sous les coups de la mort qui ne puisse être sauvé par Jésus-Christ?
« Les clous nous crient, les blessures nous annoncent que Dieu est vraiment dans le Christ., qu'il y est se réconciliant le monde. Le fer a transpercé son âme, et il s'est approché de son coeur, afin que dès ce jour il sache compatir à nos infirmités. Le secret de son coeur nous est manifesté par les
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blessures de son corps ; le mystère est dévoilé ; les entrailles de la miséricorde par lesquelles le soleil levant est venu des hauteurs célestes pour nous visites, sont mises à découvert. Et pourquoi ses entrailles n'apparaîtraient-elles point à travers ses blessures ? Comment, Seigneur, pourriez-vous nous montrer avec plus d'éclat que par ces mêmes blessures, que vous êtes plein de charité et de douceur , et que vos miséricordes sont innombrables ? Personne, en effet, eut-il jamais une miséricorde plus grande que celle qui porte à sacrifier sa vie pour ceux qui sont voués et condamnés à mort?»
Saint Bernard dit encore ailleurs : « Méditez la passion de ce corps crucifié, et voyez s'il y a quelque chose en lui qui ne soit pas une prière à Dieu le Père. C'est pour vous que cette tête divine, chargée d'épines innombrables, en est transpercée profondément et cruellement, tandis qu'on les y enfonce avec fureur. Ce peuple, dit le Seigneur par son Prophète; m'a environné des épines de ses péchés.
« Afin que votre tête ne fût point en proie à la clou- leur, afin que votre volonté ne fût point blessée, ses yeux ont été voilés des ténèbres de la mort, ces flambeaux qui éclairent l'univers se sont éteints pendant quelque temps. N'est-ce pas lorsqu'ils s'obscurcirent que les ténèbres couvrirent la face de la terre ; et ces deux grands flambeau ; ne disparurent-ils pas avec les autres? Or, tout cela est arrivé afin que vos yeux
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se détournent pour ne point voir la vanité, ou pour ne point s'y laisser attirer dans le cas où elle les aurait frappés. »
« Ces oreilles qui, dans les cieux , entendent ce cantique : « Saint, saint, saint, est le Seigneur le Dieu des armées, » ont entendu sur la terre ces paroles : « Vous êtes possédé du démon ; » et ces autres : «Crucifiez-le, crucifiez-le (1). » Et pourquoi? Afin que vos oreilles ne fussent pas insensibles au cri du pauvre, afin qu'elles ne s'ouvrissent pas à de vains bruits, et qu'elles ne se laissassent point souiller par le venin de la détraction.
« Cette face si belle, la plus belle parmi celles des enfants des honnies, a été souillée de crachais, meurtrie de soufflets, vouée aux dérisions et aux moqueries. Car c'est ainsi qu'il est écrit : « Ils se mirent à cracher sur lui, à lui frapper le visage et à se jouer de lui, en disant : Prophétise qui l'a frappé (2). » Pourquoi tout cela? Afin que votre face fût illuminée; qu'étant illuminée, elle fût affermie, et qu'on pût dire de vous : « Son visage n'a plus été dans la suite sujet à des changements continuels (3).»
« Cette bouche qui enseigne les Anges et instruit les hommes, qui a dit, et tout a été fait ; cette bouche a été abreuvée de fiel et de vinaigre; et cela afin que votre bouche parlât la vérité et la
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justice ; afin qu'elle confessât le Seigneur son Dieu.
« Ces mains, qui ont fondé les Cieux, sont étendues sur la Croix ; elles sont percées de clous aigus; et c'est afin que vos mains s'étendent vers l'indigent ; afin que vous puissiez dire avec le Psalmiste : « Mon âme est sans cesse dans mes mains. » Ce que nous portons dans nos mains, nous le mettons difficilement en oubli; ainsi celui qui applique son âme aux bonnes oeuvres, ne saurait loublier.
« Ce coeur, dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, a été ouvert par la lance du soldat, afin que votre coeur fût purifié de ses pensées mauvaises, afin qu'étant purifié, il fût sanctifié, et qu'il persévérât en cet état de sainteté.
« Ces pieds, dont nous devons adorer l'escabeau, parce qu'il est,saint, ont été cruellement perds et attachés à la Croix, de peur que vos pieds ne se hâtassent dans les sentiers du mal ; afin qu'ils fussent rapides dans la voie des commandements. Que dirai-je de plus? Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont compté tous mes ossements (2) ! Pour vous, il a sacrifié son corps et son âme, afin de posséder votre corps et votre âme ; enfin, en donnant tout, il a acquis un droit à tout. »
« (3) O mon âme! réveille-toi donc maintenant et
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secoue cette poussière : contemple cet homme que le miroir des paroles évangéliques te montre comme présent à tes yeux. Considère attentivement, ô mon âme, quel est celui qui entre. Il est semblable à un roi, et néanmoins il est couvert de confusion comme le plus méprisé des esclaves. Il s'avance orné d'une couronne; mais cette couronne elle-même est pour lui un tourment, et sa tête si belle est déchirée par des épines nombreuses. La pourpre royale le revêt ; mais, loin de l'honorer, cette pourpre le rend méprisable. Il porte le sceptre en main , mais sa tête vénérable est meurtrie des coups de ce sceptre. On se prosterne devant lui pour l'adorer, on l'acclame comme un roi; mais en mémo temps on s'élance contre lui, on couvre de crachats sa figure si pleine d'amabilité ; ses joues sont meurtries par les soufflets, et son cou si honorable est déshonoré. Vois, ô mon âme, comment cet homme est oppressé et méprisé de toute manière. On lui ordonne de se courber sous le fardeau de la Croix et de porter son ignominie au lieu de son supplice. On l'abreuve de myrrhe et de fiel, on l'élève en Croix, et il dit : « Mon Père, pardonne-leur ; ils ne savent ce qu'ils font. » Quel est-il cet homme qui, dans toutes ses angoisses, n'a pas ouvert une fois la bouche pour faire entendre une plainte ou une excuse, une menace ou une accusation contre ces chiens maudits, mais seulement pour laisser tomber sur ses ennemis, à ses derniers moments, sur des ennemis aussi injustes, une parole
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de bénédiction telle qu'on n'en avait jamais entendu une semblable depuis le commencement du monde? Quand donc as-tu vu, ô mon âme, 'une mansuétude qui égalât la sienne, une bénignité qui pût lui être comparée ?
« Considère-le encore plus attentivement, et tu comprendras combien il se montre digne d'une admiration suprême et de la compassion la plus tendre. Regarde-le nu et déchiré de blessures, au milieu de voleurs , ignominieusement attaché à la Croix avec des clous barbares, abreuvé de vinaigre sur cette Croix, après sa mort le côté pets d'un coup de lance, et répandant des ruisseaux abondants de sang des cinq plaies de ses pieds, de ses mains et de son côté. O mes yeux! versez des torrents de larmes; fonds-toi, ô mon âme, dans l'ardeur de ta compassion, en voyant l'anéantissement de cet homme si digne d'amour, et l'accablement de ses douleurs joint à une mansuétude sans exemple.
« Regardez, ô Père très-saint, de votre sanctuaire et des hauteurs de votre céleste demeure, et contemplez cette victime vénérable que vous offre, pour les péchés de ses frères, notre Grand-Pontife, votre saint Enfant, Jésus-Christ, notre Seigneur, et laissez-vous toucher de compassion sur la multitude de nos perversités. Voici que le sang de Jésus-Christ, notre frère, crie vers vous du haut de la Croix : « J'ai été couronné de gloire et d'honneur. » « Maintenant il est placé à la droite de votre Majesté
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pour supplier en notre faveur, car il est notre chair et notre frère.
« Abaissez vos regards, Seigneur, sur la face de votre Christ, qui s'est rendu obéissant à votre volonté jusqu'à subir la mort. Que ses cicatrices soient sans cesse présentes à von yeux, afin que vous vous sou- veniez quelle satisfaction vous avez reçue de lui pour nos péchés. Ah !plût à Dieu que dans la même balance fussent pesés et ces péchés qui ont allumé votre colère, et les calamités dont votre Fils innocent a été victime pour les expier! Celles-ci l'emporteraient sans contredit, et il vous paraîtrait d'autant plus juste de répandre vos miséricordes sur nous que ces calamités ont eu pour but d'empêcher que votre colère enflammée par nos péchés n'en suspendit le cours. Que toute langue, ô Seigneur, vous rende grâces à la vue de cette bonté excessive qui vous a porté à ne point épargner le Fils unique de votre tendresse, mais à le livrer pour nous à la mort, afin qu'en lui nous eussions auprès de vous, dans les Cieux, un avocat d'une fidélité inaltérable.
« Et vous, Seigneur Jésus, zélateur plein de courage, quelles actions de grâces, quels remerciements dignes de vous pourrai-je vous offrir, moi quine suis qu'un homme, moi cendre et poussière,moi vil amas de boue? Qu'avez-vous dû faire pour mon salut que vous n'ayez fait ? Depuis l'extrémité des pieds jusqu'au sommet de la tête, vous vous êtes plongé tout entier dans les eaux de la tribulation, afin de m'arracher tout entier à leur abîme.
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Les grandes eaux ont pénétré jusqu'à votre âme, car vous l'avez sacrifiée afin de me rendre la mienne, qui était perdue. Voilà que je suis engagé vis-à-vis de vous par une double dette, et pour ce que vous m'avez donné, et pour ce que vous avez perdu à cause de moi. Je vous suis redevable pour la vie que vous m'avez donnée deux fois : une fois par la création, une autre fois par la rédemption. Que pourrai-je trouver qui soit plus digne de vous que cette vie même ? Je ne le sais pas. Mais pour votre âme dont le prix est inestimable, pour votre âme ainsi livrée à la tribulation, qu'est-ce que l'homme vous offrira qui mérite de lui être comparé? Je l'ignore. Quand il serait en mon pouvoir de vous sacrifier le ciel, la terre et toutes leurs splendeurs, assurément je n'atteindrais en aucune sorte la mesure de ce qui vous est dû. Pour vous rendre ce que je vous dois, dans les bornes de ce qui m'est possible, il faut, Seigneur, que je t'obtienne de votre munificence. Je dois vous aimer de tout mon coeur, de tout mon esprit , de toute mon âme, de toutes mes forces, et m'attacher à marcher sur vos traces ; mais comment cela saccomplira-t-il, si ce n'est par vous? Mon âme s'attache donc à vous, puisque toute vertu dépend de vous. »
Telles sont les paroles pleines de suavité et de magnificence que le bienheureux Bernard, suivant son aimable coutume, a répandues sur la Passion du Seigneur. Prenez garde de ne point les recevoir en
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vain; mais, animée par un tel langage, appliquez-vous à la considération de cette Passion de tout votre coeur et de toute l'étendue de vos affections; car tout en elle l'emporte sur ce que vous pourriez méditer sur la vie même du Seigneur. Maintenant arrivons à sa résurrection.
Le jour du dimanche, de grand matin, le Seigneur Jésus s'en vint à son tombeau, environné du cortège glorieux d'Anges innombrables, et reprenant son corps très-saint, le ressuscitant, il sortit de ce tombeau sans en ouvrir l'entrée. A la même heure, c'est-à-dire de grand matin, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, après en avoir demandé permission à la Mère du Seigneur, se mirent en route avec des parfums pour aller au lieu de la sépulture. Pour Marie, elle demeura à la oraison et y priait en ces termes ; Père tout clément, Père très-pieux, comme vous le savez, mon Fils est mort attaché à la croix, entre deux voleurs, et moi, je l'ai enseveli de mes mains. Mais, Seigneur, votre puissance peut me le rendre sain et sauf. Je conjure donc Votre Majesté de ne pas différer plus longtemps. Pourquoi tarde-t-il autant à venir me trouver? Accordez-le moi, je vous en supplie, car mon âme ne peut goûter aucun repos qu'elle ne le voie. O mon
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très-doux Fils, qu'êtes-vous devenu? Que faites-vous? Pourquoi tant de retard? Je vous en prie, ne différez pas plus longtemps de me faire jouir de votre présence ; car vous m'avez dit : « (1) Je ressusciterai le troisième jour. » N'est-ce pas aujourd'hui le troisième jour, ô mon Fils ? Ce n'est pas hier, mais avant-hier, qu'a eu lieu ce grand jour, ce jour d'amertume profonde et de calamité, de ténèbres, d'obscurité et de séparation, ce jour de votre mort. C'est donc aujourd'hui le troisième jour, ô mon Fils ! Levez-vous donc, ô ma gloire ! Revenez, vous qui êtes tout mon bien. Sur toute chose, je désire vous voir ; votre départ m'a si cruellement contristée ; que votre retour nie console. Revenez donc, mon bien-aimé; venez, mon Seigneur Jésus; venez, mon unique espérance, ô mon Fils ; venez.»
Pendant qu'elle priait ainsi et versait des larmes de tendresse, voilà que tout-à-coup le Seigneur Jésus apparaît, revêtu d'habits d'une blancheur éclatante et avec un visage serein. Il est brillant de beauté, glorieux et plein de joie ; et, s'approchant de Marie, il lui dit : « Salut, ma vénérable Mère. » Elle, se tournant aussitôt, s'écrie : « Est-ce vous, mon Fils Jésus ? » Et elle se prosterne et l'adore. Jésus lui dit : « C'est moi, ma très-douce Mère; je suis ressuscité, et me voici encore avec vous. »
Alors ils se lèvent tous deux, et Marie, versant des larmes de bonheur, l'embrasse. Elle colle son visage sur le sien, elle le presse avec amour et se repose tout entière sur lui; et, de son côté, il la soutient avec
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joie. Ensuite, s'étant assis l'un proche de l'autre, elle considère avec empressement et avec ardeur le visage de ce cher Fils et les cicatrices de ses mains, et elle s'informe, à chacune de ses blessures, si tonte douleur s'est éloignée de lui. « Ma vénérée Mère, lui dit-il, toute souffrance a disparu ; j'ai vaincu la mort, là, douleur et toutes les angoisses; je n'ai plus rien à souffrir désormais. » Et Marie de s'écrier : « Béni soit votre Père qui vous a rendu à mon amour. Que son nom soit loué et exalté ; qu'il soit glorifié dans tous les siècles. »
Ils demeurent donc ensemble, s'entretiennent avec une allégresse mutuelle, font tous les deux la Pâque avec bonheur et amour, et le Seigneur Jésus raconte à sa Mère comment il a délivré son peuple de l'enfer, et tout ce qu'il a lait pendant ces trois jours. C'est donc aujourd'hui la Pâque par excellence.
Or, Marie-Madeleine et les deux autres Marie s'en allaient, comme je l'ai dit, au tombeau avec des parfums. Étant sorties de la ville, elles rappelaient à leur mémoire les afflictions et les peines de leur Maître, et elles s'arrêtaient un peu aux lieux divers où il avait, souffert ou fait quelque chose de considérable. Elles
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s'agenouillaient, baisaient la terrie, poussaient des soupirs et des gémissements et disaient : « C'est ici que nous l'avons rencontré chargé de sa Croix, quand sa Mère demeura demi-morte ; ici, il s'est tourné vers les femmes de Jérusalem; ici, succombant à la fatigue, il a dépose sa Croix et s'est appuyé un peu sur cette pierre ; ici on l'a poussé cruellement et avec violence, afin qu'il marchât plus vite, et on l'a forcé presque de courir ; ici on le dépouilla de ses vêtements et on le mit tout nu ; ici on l'attacha au gibet de la Croix. » Et alors, poussant un grand cri, versant un torrent de larmes, elles se prosternèrent la face contre terre, adorèrent la Croix encore tonte rouge du sang précieux du Seigneur, et. la couvrirent de leurs baisers. Ensuite, se levant et s'avançant vers le Sépulcre, elles se disaient : « Qui nous enlèvera la pierre qui ferme l'entrée du tombeau ? » Et, élevant les yeux, elles virent la pierre renversée et l'Ange du Seigneur assis dessus, qui leur dit : «Ne craignez point, » et le reste ainsi qu'il est rapporté dans l'Évangile (1).
Mais, trompées dans leurs espérances, car elles pensaient trouver le corps du Seigneur, elles ne firent pas attention aux paroles de l'Ange et s'en revinrent épouvantées vers les Apôtres, en disant que le corps du Seigneur avait été enlevé. Aussitôt Pierre et Jean coururent au tombeau (2). Considérez-les bien ils courent : Madeleine et ses compagnes courent à la suite; tous s'empressent de chercher leur Seigneur, leur
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coeur et leur âme. Ils courent avec fidélité, ferveur et anxiété. Lorsqu'ils furent arrivés au tombeau, ils regardèrent dedans et ne trouvèrent pas le corps; mais, ne voyant que lus linceuls et le suaire, ils se retirèrent.
Compatissez-leur, car ils sont dans une grande affliction. Ils cherchent leur Seigneur et ne le trouvent point, et ne savent plus où le chercher ailleurs. Ils se retirèrent donc pleins de tristesse et en versant des larmes.
Or, les trois,Marie demeurèrent là, et, regardant dans le tombeau, elles virent deux Anges qui se tenaient debout et vêtus de blanc, lesquels leur dirent : « Pourquoi chercher parmi les morts celui qui est vivant (1)? » Mais elles ne firent aucune attention à ces paroles et ne reçurent, pour le moment, aucune consolation de la vue des Anges, car ce n'étaient point les Anges, mais le Seigneur des Anges qu'elles cherchaient. Deux d'entre elles, effrayées et comme hors d'elles-mêmes, se retirèrent un peu et s'assirent, accablées de douleur, à quelque distance de là. Quant à Madeleine, elle ne savait trop que faire : elle ne pouvait vivre sans son Maître, elle ne le trouvait point en ce lieu et elle ignorait où elle devait le chercher. Elle
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resta donc auprès du tombeau, versant des larmes. Regardant de nouveau dans le Sépulcre, car elle espérait toujours le rencontrer là où il avait été placé, elle vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous? » Et elle répondit : « Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis (1). »
Voyez l'action admirable de l'amour. Il n'y a que peu de temps, elle avait entendu un des Anges lui annoncer que Jésus était ressuscité, et tous les deux lui dire qu'il était vivant, et elle ne se le rappelle plus, mais elle s'écrie : « Je ne sais où on l'a mis. » C'est l'amour qui opérait ainsi, car, comme dit Origène (2) , son âme n'était point en elle-même, mais elle habitait où résidait son Maître. Elle ne savait penser, dire et entendre autre chose que lui. Mais pendant qu'elle pleurait de la sorte, sans s'inquiéter de ce que les Anges lui disaient, son Maître ne pouvait lui-même se refuser plus longtemps à son amour. Jésus rapporte donc à sa Mère ce qui se passe, et lui dit qu'il veut aller consoler Madeleine; ce que sa Mère agrée de tout sou coeur en lui disant: Mon Fils béni, allez en paix et consolez-la, car elle vous aime beaucoup et elle a été profondément attristée de votre mort ; mais souvenez-vous de revenir vers moi. » Et l'embrassant, elle le laissa partir.
Il vint donc au tombeau, dans le jardin où était Madeleine, et lui dit : « Femme, qui cherchez-vous? Pourquoi pleurez-vous? » Mais elle, ne le reconnaissant
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pas encore, lui répondit comme une personne ivre : « Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. »
Considérez bien comme elle prie avec supplication et ardeur, le visage baigné de larmes, afin qu'on lui dise où est celui qu'elle cherche, car elle espérait toujours apprendre quelque chose de nouveau sur son Bien-aimé. Alors le Seigneur lui dit : « Marie ! » Et soudain, comme si elle eût recouvré la vie, le reconnaissant à la voix, elle s'écria : « Maître, vous êtes le Seigneur que je cherchais. » Pourquoi vous êtes-vous si longtemps caché à moi? » Et s'élançant à ses pieds, elle voulait les embrasser. Mais le Seigneur, afin d'élever son âme aux choses célestes, afin de lui apprendre à ne plus le chercher sur cette terre, lui dit : « Ne me touchez point, car je ne suis point encore monté à mon Père ; mais dites à mes frères de ma part : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Et il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit que je ressusciterais le troisième jour ? Comment donc me cherchez-vous dans le sépulcre ? » Mais elle lui répondit: « Je vous assure, Maître vénéré, que la violence de votre Passion et de votre mort avait rempli mon âme d'une telle douleur que ais tout oublié, excepté votre corps inanimé et le lieu oit je l'avais enseveli. voilà pourquoi j'avais, ce matin, apporté des parfums. Bénie soit votre Magnificence qui a daigné ressusciter et revenir à nous.»
Ces deux bien-aimés demeuraient donc ensemble enivrés d'allégresse et de bonheur. Madeleine considère
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le Seigneur avec l'attention la plus vive, et en reçoit des réponses qui la remplissent de félicité. Maintenant, ici encore il y a une grande Pâque. Et quoique au commencement le Seigneur lui eût répondu comme nous avons vu, je ne saurais croire sans peine qu'elle n'ait satisfait son amour avant de se retirer, en baisant ses pieds et ses mains. S'il a agi ainsi d'abord, ce fut par une disposition particulière : soit que véritablement il manifestât, en cette circonstance, la volonté actuelle de son coeur, selon le sentiment commun; soit, comme je lai dit, qu'il voulût élever son âme aux choses célestes, selon que saint Bernard semble le penser. Au reste , on peut croire pieusement que dans cette visite si pleine d'amour et si privilégiée qu'il lui faisait, avant tous ceux dont il est parlé dans la suite, il se proposait de remplir son âme de joie et non d'y répandre le trouble. Il y a donc là un mystère et non mi refus obstiné, car le très-miséricordieux Seigneur n'est ni sévère à l'excès, ni dur, surtout envers ceux qui l'aiment.
Quelques instants après , le Seigneur se sépara d'elle en lui disant qu'il fallait aussi qu'il allât visiter les autres. Madeleine, comme altérée et comme si elle n'eût plus voulu jamais s'éloigner de lui, s'écria : « Seigneur, je le vois bien; désormais votre vie ne sera plus avec nous comme par le passé ; mais, je vous en prie, ne m'oubliez pas. Souvenez-vous, Seigneur, de quels nombreux bienfaits vous m'avez comblée, et combien vous en avez usé à mon égard avec intimité et amour. Conservez-en le souvenir, je vous
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en supplie, Seigneur mon Dieu. » Et Jésus lui répondit : « Ne craignez rien, ayez confiance et prenez courage : je serai toujours avec vous. » Alors, ayant reçu sa bénédiction, et Jésus-Christ se retirant, elle vient vers ses compagnes et leur raconte ce qui lui est arrivé.
Celles-ci , pleines de joie de la résurrection du Seigneur, mais attristées de ne l'avoir point vu, s'en retournèrent avec Madeleine. Mais, tandis qu'elles revenaient , avant qu'elles n'arrivassent à la porte de la ville, Jésus leur apparut en leur disant : « Je vous salue. » Et elles, heureuses au-delà de tout ce qu'on pourrait exprimer, se prosternant, embrassèrent ses pieds. Ensuite elles l'interrogent et le considèrent comme Madeleine avait fait ; et elles reçoivent des réponses qui les pénètrent de joie. Ainsi elles font une grande Pâque. Or, le Seigneur leur dit : « Allez, dites à mes frères qu'ils aillent en Galilée : c'est là qu'ils me verront, ainsi que je le leur ai prédit. »
Vous voyez que le Maître de l'humilité appelle ses Disciples ses frères. A-t-il maintenant abandonné cette vertu? Pour vous, si vous voulez avoir l'intelligence de toutes ces choses et y trouver de la consolation, rappelez-vous ce que je vous ai dit plus haut; c'est-à-dire ayez soin d'être présente d'âme comme si vous l'étiez de corps, aux lieux dont nous parlons et aux actions qui s'y accomplissent; et agissez de même pour ce que nous avons encore à dire.
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Le Seigneur s'étant donc éloigné des trois Marie, apparut à Joseph, qui l'avait enseveli. Les Juifs l'avaient arrêté pour cette action et enfermé dans une chambre soigneusement scellée, leur intention étant de le faire mourir après le Sabbat. Le Seigneur Jésus lui apparut donc, lui essuya le visage et l'embrassa ; et ensuite, sans briser les sceaux de sa prison, il le reporta en sa demeure.
(1) Jésus apparut ensuite à Jacques le mineur, qui avait fait voeu de ne point manger avant d'avoir vu le Seigneur ressuscité. Il lui dit donc, ainsi qu'à ceux qui étaient avec lui : « Préparez la table; » et, prenant du pain, il le bénit, le lui présenta et lui dit : « Mangez, mon frère bien-aimé, car le Fils de l'homme est ressuscité d'entre les morts. » C'est saint Jérôme qui rapporte ces circonstances (2).
Or, lorsque Madeleine et ses compagnes furent revenues à la maison et eurent raconté aux Disciples que le Seigneur était ressuscité, Pierre, attristé de n'avoir point vu son Maître et ne pouvant demeurer en place à cause de la véhémence de son amour, quitta les autres et s'en alla seul vers le Sépulcre, car il ne savait trop où le chercher ailleurs. Mais, tandis
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qu'il y allait, le Seigneur lui apparut en lui disant : « La paix soit avec vous, Simon. » Alors Pierre, frappant sa poitrine et se jetant la face contre terre en pleurant, s'écria: « Je vous confesse ma faute, car je vous ai abandonné et renié plusieurs fois. » Et il lui baisa les pieds. Mais le Seigneur, le relevant, l'embrassa et lui dit : « La paix soit avec vous! Ne craignez pas; tous vos péchés vous sont remis. Je savais bien ce qui vous devait arriver et je vous l'ai prédit. Maintenant donc allez, et confirmez vos frères, et ayez confiance, car j'ai vaincu la mort, tous vos ennemis et tous ceux qui vous sont opposés. »
Là aussi il y a une grande Pâque. Ils demeurent et s'entretiennent ensemble ; Pierre le considère attentivement et remarque chaque chose. Ensuite, ayant reçu sa bénédiction, il retourne vers la Mère de Jésus et ses Disciples, et il leur raconte tout.
Vous devez saloir , qu'en ce qui concerne l'apparition faite à Marie, notre Reine, l'Évangile n'en dit rien. Cependant je l'ai rapportée et mise la première, parce que l'Église semble la tenir comme indubitable, ainsi que vous pouvez le voir plus longuement dans la légende de la Résurrection.
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Cependant le Seigneur Jésus, depuis sa résurrection, n'avait pas encore visité les saints Pères qu'il avait laissés dans le Paradis de délices. Après s'être séparé de Pierre, il revient donc à eux et s'avance revêtu d'une robe blanche et environné de la multitude des Anges. En le voyant briller dune gloire si éclatante, ces Bienheureux le reçoivent avec un tressaillement et une jubilation indicibles, au milieu des cantiques et des concerts de louanges. « Voici, s'écrient-ils, voici notre Roi. Venez, allons à la rencontre de notre Sauveur; il est le grand Principe, et son règne n'aura pas de fin. Un jour saint a brillé pour nous; venez et adorons le Seigneur. »
Et se prosternant contre terre, ils l'adorèrent, puis se levant, ils se rangèrent autour de lui avec respect, et continuèrent à célébrer ses louanges, en disant: « Il a vaincu, le lion de la tribu de Juda. Seigneur, notre chair a refleuri. Vous nous remplissez de joie par l'éclat de votre face, et. l'allégresse découle de votre droite pour toujours. Vous êtes ressuscité, ô notre Gloire ! Nous tressaillerons de bonheur et nous trouverons en vous notre joie. Votre règne est le règne de tous les siècles, et votre domination s'étendra de génération en génération. Et nous, nous ne nous séparerons
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pas de vous; vous nous ressusciterez et nous exalterons votre nom. Un précurseur est entré pour nous ans les Cieux et un Pontife nous a été donné pour l'éternité. C'est aujourd'hui le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous en ce jour et soyons dans la joie. C'est aujourd'hui qu'a brillé sur nous le soleil de la rédemption, de l'antique réparation, de l'éternelle félicité. Aujourd'hui, par tout l'univers, les cieux ont versé une rosée douce comme le miel, car le Seigneur a régné par le bois sacré de la Croix, et il s'est revêtu de beauté. Le Seigneur s'est revêtu de force et il s'est ceint de puissance. Chantez-lui un cantique nouveau, car il a accompli des merveilles. C'est sa droite, c'est son bras très-saint qui a opéré notre salut pour sa gloire. Nous sommes son peuple ; nous sommes les brebis de ses pâturages; venez et adorons-le. » Or, l'heure du soir approchant, le Seigneur leur dit : « Je porte compassion à mes frères, car ma cornet les a remplis de tristesse et d'effroi ; ils sont dispersés comme des brebis sans pasteur, et ils désirent ardemment de me voir. J'irai donc et je me montrerai à eux ; je les consolerai et je reviendrai bientôt avec vous. » Et les Bienheureux, se prosternant, lui dirent : « Qu'il soit fait, Seigneur, selon que vous l'avez dit. »
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(1) Deux des Disciples de Jésus s'en allaient au bourg d'Emmaüs. Ils ne conservaient déjà presque plus aucun espoir touchant leur Maître ; aussi s'avançaient-ils, pleins de tristesse, s'entretenant de tout ce qui lui était arrivé. Le Seigneur vint, se joignit à eux sous la forme d'un étranger, et chemina en leur compagnie, les interrogeant, répondant à leurs questions et leur faisant entendre des paroles de salut, ainsi que nous le lisons dans l'Évangile. Enfin, forcé par leurs instances, il entra dans la demeure qu'ils avaient choisie et se manifesta à eux.
Apportez ici une grande attention, et considérez la bonté et la bénignité de votre Seigneur. D'abord, son fervent amour ne peut supporter que les siens soient en proie à l'erreur et à la tristesse. Il agit vraiment en ami sincère, en compagnon fidèle et en Seigneur charitable. Il se joint à eux, s'informe du sujet de leur peine, leur explique les Écritures, enflamme leurs coeurs afin d'en détruire toute la rouille. Ainsi agit-il tous les jours spirituellement à notre égard. Si, en butte à quelque perplexité ou à quelque dégoût, nous nous entretenons de lui, aussitôt il se présente, fortifiant et illuminant nos coeurs et même les enflammant
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de son amour. Aussi est-ce un remède souverain contre de telles extrémités de s'entretenir de Dieu. C'est pour cela que le Prophète a dit : « Que vos paroles me sont douces, ô Seigneur! Elles sont plus douces à mon coeur que le miel le plus délicieux ne l'est à ma bouche. Votre parole est comme l'argent véritablement éprouvé par le feu, et votre serviteur l'aime tendrement. Mon coeur s'est échauffé au-dedans rie moi, et un feu s'y est allumé durant ma méditation (1). »
Considérez, en second lieu, que la bonté du Seigneur non-seulement avait sa source dans son amour, ainsi que je l'ai dit, mais encore dans son humilité profonde. En effet, voyez comme il s'avance humblement avec eux. Il est le Seigneur de toutes choses, et avec les siens il se fait comme l'un d'eux. Ne vous semble-t-il pas qu'il soit revenu aux premiers éléments de l'humilité? C'est un exemple qui nous engage à faire de même. Mais l'humilité du Seigneur se manifeste encore d'une autre manière : c'est qu'il n'a pas dédaigné des Disciples dun degré inférieur. Ceux-ci n'étaient point au nombre des Apôtres, mais ils faisaient partie du corps moins élevé des Disciples ; et cependant il se joint familièrement à eux , marche et s'entretient avec eux. Ce n'est pas ainsi qu'agissent les superbes ; ils ne voudraient converser et avoir de rapports qu'avec les hommes d'un rang élevé et de grandes richesses. Cette humilité se montre encore sous un autre point
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de vue. Si vous avez bien remarqué les superbes, vous avez dît voir qu'ils ne consentent point à traiter de choses importantes devant un petit nombre d'auditeurs. Mais le Seigneur ne fait nulle difficulté d'expliquer ses secrets à deux hommes. Le petit nombre ne fait rien sur lui ; quand même il n'aurait qu'un seul auditeur, il ne témoignerait aucun dédain, comme nous le voyons pour la Samaritaine.
Considérez, en troisième lieu, la bonté du Seigneur dans l'affaire présente, et voyez comment il instruit ses Disciples en leur conduite, comment il les fortifie et les console. Remarquez comme il feint d'aller plus loin pour augmenter leur désir, s'attirer leurs invitations et être retenu par eux; et comme ensuite il entre avec eux, prend du pain, le bénit, le rompt de ses mains sacrées, le leur présente et se fait reconnaître. C'est ainsi que tous les jours il agit invisiblement avec nous ; car il veut que nous le retenions, que nous l'invitions par des désirs, des prières et de saintes méditations. C'est pourquoi il faut prier et jamais ne nous relâcher (1), ainsi qu'il l'a dit, et agir en toutes ces choses comme il l'a fait lui-même, afin de nous instruire, c'est-à-dire afin de nous porter à nous appliquer aux oeuvres de piété et de charité. Il faut aussi nous souvenir qu'il ne suffit point d'entendre ou de lire les saintes Écritures, mais que nous devons les mettre en pratique. Vous pourrez vous instruire plus amplement sur ce sujet en lisant l'homélie de saint Grégoire sur l'évangile de ce jour.
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Or, le Seigneur ne laissa pas les Disciples jouir longtemps de sa présence ; mais aussitôt qu'il leur eut présenté le pain il disparut de devant eux. C'est qu'il voulait aussi aller consoler les autres ; et ceux-ci, du reste, eurent part à cette consolation.
(1) Ces deux Disciples s'en retournèrent aussitôt à Jérusalem, et, ayant trouvé les Apôtres rassemblés, à l'exception de Thomas, ils leur racontèrent ce qui leur était arrivé. Mais on leur dit également que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à Simon. Alors Jésus, entrant dans le Cénacle, les portes fermées, se plaça au milieu d'eux et leur dit : « La paix soit avec vous! » Les Disciples aussitôt se prosternèrent contre terre, confessèrent leur faute de l'avoir abandonné, et le reçurent avec allégresse. Le Seigneur leur dit donc : « Levez-vous, mes frères, car tous vos péchés vous sent remis. » Ensuite il demeure familièrement au milieu d'eux, leur montre ses mains et son côté, et leur ouvre l'esprit afin qu'ils comprennent les Écritures et sa résurrection. Il leur demande s'ils ont quelque chose à manger, et il mange en leur présence une partie d'un poisson rôti et un rayon de
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miel. Ensuite il souffle sur eux et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. »
Vous voyez comme toutes ces choses sont pleines d'allégresse et de joie. Aussi les Disciples sont remplis de bonheur d'avoir vu le Seigneur, et ils se réjouissent en sa présence, eux qui tout-à-l'heure étaient saisis d'effroi. Oh ! avec quel empressement ils lui offrent de quoi manger! avec quelle fidélité ils le servent, et comme ils sont heureux de se tenir auprès de lui ! Considérez aussi Marie présente en ce lieu, car les Disciples avaient coutume de s'assembler auprès d'elle. Voyez comme elle remarque chaque chose avec une félicité indicible, comme elle prend placé familièrement auprès de son Fils, comme elle le sert avec bonheur et selon qu'il convient. Le Seigneur Jésus reçoit volontiers tous les services qu'elle s'empresse de lui rendre, et il l'honore de la façon la plus respectueuse en présence de ses Disciples. N'oubliez pas non plus Madeleine, la Disciple chérie et l'Apôtre des Apôtres. Voyez comme, selon sa coutume, elle est assise aux pieds de son Maître, écoutant ses paroles avec le plus grand soin et le servant aussi avec joie de tout son coeur, autant qu'elle le peut. Oh ! à quoi comparer maintenant cette petite maison? Qu'il fait bon d'y avoir son séjour! Si vous avez quelque sentiment de dévotion, ne vous semble-t-il pas qu'il se fait maintenant une grande Pâque? Vous le comprenez sans doute.
Mais le Seigneur ne demeura pas bien longtemps avec ses Apôtres, car déjà il se faisait tard. Cependant
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peut-être le forcèrent-ils de rester encore un peu, en le priant de ne point se retirer si vite. Croyez-vous flue Madeleine, assise à ses pieds, ne le retint pas par les pans de sa robe, avec confiance et avec une audace respectueuse, pour l'empêcher de s'éloigner si rapidement ? Il était revêtu de vêtements d'une blancheur éclatante, des vêtements de sa gloire. C'est par ces vêtements que Madeleine le retenait, non en agissant avec présomption, mais avec confiance, tant son amour était grand et tant elle se sentait aimée ; et sa hardiesse ne déplaisait point au Seigneur. Il aime à être retenu de la sorte, ainsi que nous l'avons vu pour les deux Disciples d'Emmaüs.
Enfin le Seigneur, ayant offert ses respects à sa Mère et pris congé d'elle, se retira après avoir béni tous ceux qui étaient présents. Pour eux, se prosternant devant lui, ils le conjurèrent de revenir au plus tôt. En attendant, ils demeurèrent affamés et altérés de leur Seigneur dont autrefois ils avaient pu jouir selon tous leurs voeux, et ils le rappelaient par leurs soupirs et les désirs de leurs coeurs.
Vous voyez combien de fois aujourd'hui la Pâque est célébrée ; car toutes ces apparitions eurent lieu le jour de Pâques. Mais peut-être avez-vous entendu et n'avez-vous point senti? Peut-être n'avez-vous point, dans la Passion même, éprouvé de douleur? Car je crois que si vous saviez être touchée en méditant la Passion du Seigneur et posséder une âme recueillie, une fane non répandue sur les choses séculières, sur les objets superflus et de pure curiosité ; je crois, dis-je,
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qu'à chaque fois vous célébreriez une véritable Pâque. Et cela pourrait, se renouveler tous les dimanches, si, tous les vendredis et samedis, vous vous y prépariez avec une résolution bien ferme, par la méditation des tourments du Seigneur, surtout l'Apôtre nous ayant dit (1) : « Si nous sommes les compagnons de ses souffrances, nous le serons de ses consolations. »
(2) Le jour de l'octave de la Résurrection étant arrivé, et les portes du Cénacle étant fermées, le Seigneur apparut de nouveau à ses Disciples; Thomas, qui était absent la première fois, se trouvait avec eux en ce jour. Lorsque les autres lui avaient raconté qu'ils avaient vu le Seigneur, il leur avait répondu : « Si je ne vois dans ses mains les marques des clous, et si je ne mets mon doigt dans le trou des clous et ma main dans la plaie de son côté, je ne croirai point. »
Le bon Pasteur, plein de sollicitude pour son petit troupeau, leur dit donc : « La paix soit avec vous. » Ensuite, s'adressant à Thomas : « Portez, lui dit-il, votre doigt ici, et regardez mes mains ; approchez aussi votre main et la mettez dans la plaie de
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mon côté, et ne soyez pas incrédule, mais fidèle. » Alors Thomas, se prosternant, toucha les cicatrices du Seigneur et lui dit : « Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. » Il ne vit que l'homme en Jésus-Christ, et il crut à sa divinité ; il confessa aussi sa faute d'avoir abandonné son Maître, en la manière que l'avaient fait les autres Apôtres. Le Seigneur, le relevant, lui dit : « Ne craignez pas, vos péchés vous sont remis. »
Or, ce fut par une disposition particulière que le doute de Thomas fut permis, afin que la résurrection du Seigneur fût prouvée par des preuves plus évidentes. Considérez ici soigneusement votre Sauveur et remarquez sa bénignité accoutumée, son humilité, son amour ardent ; de quelle manière, pour leur utilité et la nôtre aussi, il montre ses blessures à Thomas et aux autres Apôtres, afin d'enlever toute obscurité de leurs coeurs. Le Seigneur a conservé les cicatrices de ses blessures pour trois raisons surtout : premièrement, pour affermir ses Apôtres en la foi de sa résurrection ; secondement, pour les montrer à son Père, quand il veut l'apaiser et l'invoquer pour nous, car il est notre avocat ; en troisième lieu, afin de les manifester aux réprouvés au jour du jugement.
Le Seigneur Jésus reste donc pendant quelque temps avec sa. Mère et ses Disciples, leur parlant du royaume de Dieu. Pour eux, ils goûtent une joie ineffable en écoutant des paroles si élevées et en contemplant ce visage où respire la gloire et la félicité. Considérez-les bien se tenant debout autour de Jésus ;
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Marie, sa Mère, s'est placée sans crainte tout près de lui. Remarquez aussi Madeleine qui est à ses pieds. Demeurez vous-même en sa présence, mais au loin, à moins que, touché de compassion pour vous, il ne vous fasse appeler. Enfin, il leur dit d'aller en Galilée, sur le mont Thabor, ainsi qu'on le croit, et que là il se montrera à eux. Ensuite, leur ayant donné sa bénédiction, il se retire. Pour eux, ils demeurent, comme auparavant, affamés et altérés de sa présence, mais grandement fortifiés.
(1) Les Disciples s'en allèrent donc au lieu indiqué, et le Seigneur leur apparut de nouveau et leur dit : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai prescrites. Prenez courage, car je suis avec vous toujours et jusqu'à la consommation des siècles. » Ils l'adorèrent à son arrivée, et maintenant ils se tiennent avec lui, enivrés d'une joie extraordinaire. Considérez avec attention et les Disciples, et les paroles qui leur sont adressées, car elles sont vraiment magnifiques. Jésus leur montre
comment il est le Maître de toutes choses ; il leur donne le commandement de prêcher et la forme du baptême; il leur imprime le courage le plus grand, en leur promettant d'être toujours avec eux. Vous voyez de quelle joie il les comble, et combien de preuves il leur offre de sa charité. Quand tout fut terminé, leur ayant donné sa bénédiction, il se sépara d'eux.
(1) Les Disciples demeurèrent en Galilée. Or, un jour, sept d'entre eux s'en allèrent pêcher dans la mer de Tibériade, et, durant toute la nuit, ils ne prirent rien. Le matin étant venu, le Seigneur leur apparut et se tint sur le rivage de la mer.
Remarquez bien ce qui se passe, car tout est de nature à réjouir vivement. Le Seigneur demanda aux Disciples s'ils avaient pris quelque chose, et eux ayant répondu que non, il leur dit : « Jetez votre filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils le jetèrent et prirent une quantité prodigieuse de poissons. C'est pourquoi Jean dit à Pierre : « C'est le Seigneur. » Pierre, qui était alors nu, se couvrit de sa tunique et s'en vint à lui à la hâte en se jetant à l'eau. Pour les autres, ils s'avancèrent avec leur barque.
Lorsqu'ils furent descendus, ils trouvèrent un poisson placé sur des charbons allumés et du pain tout préparé. C'était le Seigneur lui-même qui avait ainsi tout disposé. Il leur fit apporter encore quelques-uns des poissons qu'ils avaient pris, et, après qu'ils les eurent fait cuire, il mangea avec eux. Ce fut pour eux un grand et joyeux festin que ce repas pris avec Jésus au bord de la mer. Suivant son humilité accoutumée, le Seigneur les servit lui-même, leur rompit et leur présenta le pain, et leur offrit de même du poisson. Ces sept Disciples se tiennent donc respectueusement et pleins de joie en présence de leur Seigneur; ils mangent avec lui, contemplent sa face si désirable et si délectable , et tressaillent d'allégresse en leurs curs. La nourriture qu'ils reçoivent de ses mains sacrées est vraiment délicieuse, et leur âme participe non moins que leur corps à ce festin.
Oh ! qui pourra décrire un tel festin ? Considérez bien ce qui s'y passe. Si vous le pouvez, venez y prendre part avec eux. Remarquez néanmoins ce qui suit, car tout y est beau et d'une très-grande utilité. Lorsque ce festin solennel fut, terminé, le Seigneur dit à Pierre : « M'aimez vous plus que ceux-ci ?» Pierre lui répondit : « Seigneur, vous savez bien que je vous aime. » Et le Seigneur lui dit : « Paissez mes agneaux. » Il l'interrogea ainsi par trois fois et lui recommanda son troupeau. En cela reconnaissez la bénignité ordinaire , la charité et l'humilité du Seigneur; car vous voyez avec quel soin affectueux il insiste et revient sur le commandement
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qu'il donne à Pierre de veiller au bien des âmes. Ensuite le Seigneur prédit à Pierre quelle mort il aura à souffrir, en lui disant : « Lorsque vous étiez plus jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez. Mais lorsque vous serez devenu vieux, vous étendrez vos mains, et un autre vous ceindra et vous conduira où vous ne voudrez pas. » Il marquait par là que c'était par le supplice de la Croix qu'il devait glorifier Dieu. Et comme Pierre disait au Seigneur en parlant de Jean : « Et lui, que deviendra-t-il? » Il lui répondit : « Si je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? » C'est comme s'il lui eût dit : Je ne veux pas que celui-ci nie suive par la voie des souffrances, mais il s'endormira en sa vieillesse dans la contemplation. Cependant les autres Disciples comprirent qu'il ne mourrait point ; mais ce n'eût point été une grande faveur, puisqu'il est bien meilleur que notre corps tombe en dissolution et que nous soyons avec Jésus-Christ. Vous avez remarqué les actions et les paroles nombreuses et magnifiques contenues en cette apparition. Après cela, le Seigneur disparut aux yeux de ses Disciples et s'en alla, selon sa coutume, vers les saints Pères. Les Disciples demeurèrent remplis d'une grande joie et ensuite ils s'en retournèrent à Jérusalem.
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(1) Le Seigneur apparut de nouveau à plus de cinq cents frères assemblés en un même lieu, selon que le dit l'Apôtre. Mais quel est ce lieu ? Quand se fil celle apparition ? C'est, ce qui n'est point écrit. Le tendre Seigneur se tint au milieu d'eux, les instruisant et leur parlant du royaume de Dieu, et il les remplit d'une grande joie.
Vous avez donc douze apparitions du Seigneur depuis sa Résurrection jusqu'à son Ascension, sans compter deux autres dont nous parlerons en même temps que de son Ascension, ce qui l'ait quatorze en tout. Vous devez cependant savoir qu'on n'en compte que dix écrites dans l'Évangile; car on ne trouve nulle part qu'il apparut à sa Mère, mais on le croit pieusement; qu'il se montra à Joseph, on le trouve dans l'évangile de Nicodème. Pour l'apparition à Jacques le Mineur, c'est l'Apôtre qui nous en parle dans son Épître aux Corinthiens, et après lui, saint Jérôme. C'est encore l'Apôtre qui raconte au même endroit celle qui eut lieu pour les cinq cents frères. Les autres sont écrites dans l'Évangile.
Vous pouvez encore vous en représenter plusieurs autres. Car il est vraisemblable que le très-charitable
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Seigneur visitait souvent sa Mère et ses Apôtres, ainsi que Madeleine, sa disciple bien-aimée, aimant ainsi à fortifier et à réjouir les personnes que sa Passion avait si violemment attristées et épouvantées. Saint Augustin semble être de cet avis, quand il dit, en parlant des temps de la Résurrection : « Tout n'a pas été écrit; ses entretiens avec les siens étaient fréquents. » Peut-être aussi les saints Pères, surtout Abraham et David, à qui la promesse du Fils de Dieu avait été faite d'une manière spéciale, venaient-ils avec lui pour voir cette excellente fille sortie de leur race, Marie, la Mère du Seigneur, qui avait trouvé grâce par-dessus tous les autres et avait donné le jour au Rédempteur. Oh! avec quelle joie ils la considéraient! Comme ils s'inclinaient avec respect en sa présence et la comblaient de toutes les bénédictions en leur pouvoir, quoiqu'ils ne fussent point vus d'elle.
Vous pouvez aussi, en toutes ces apparitions, vous représenter, selon la coutume, la bénignité, la charité et l'humilité du Seigneur, vertus dont nous avons fait mention et qui brillent dans toutes ses actions. Souvenez-vous encore qu'après avoir vaincu glorieusement et être ressuscité, il a voulu être voyageur sur cette terre pendant quarante jours, afin d'affermir et de fortifier ses Disciples. Sans doute, après une course de tant d'années, après tant de travaux et d'afflictions, après une mort ignominieuse et cruelle , il pouvait rentrer en triomphateur dans sa gloire, et remettre à ses Anges le soin de confirmer et d'animer ses Apôtres selon sa volonté; mais sa charité ne lui permettait
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point d'agir ainsi, et il voulut converser en personne avec eux, leur apparaissant plusieurs fois d'une manière évidente et les entretenant du royaume de. Dieu qu'ils auraient à établir. C'est peur eux qu'il a agi de la sorte , mais aussi pour nous; et nous n'y faisons point attention. Il nous a aimés avec passion, et nous sommes pour lui sans amour, alors qu'au contact d'un feu si dévorant nous ne devrions pas seulement nous échauffer, mais nous embraser. Maintenant arrivons à l'Ascension.
Il faut que vous redoubliez de vigilance en méditant l'Ascension du Seigneur, et, si jusqu'à cette heure, vous avez réuni tous les efforts de votre âme pour vous rendre présente à ses discours et à ses actions, vous devez maintenant faire beaucoup plus; car cette solennité l'emporte sur toutes les autres, ainsi que vous le verrez plus clairement dans le courant de ce chapitre. Que votre attention soit au moins excitée par cette pensée, que votre Sauveur, ayant terminé le cours de son pèlerinage, va nous priver de sa présence corporelle. Aussi, devons-nous considérer bien plus attentivement ses actions et ses paroles. C'est, en effet, un devoir pour l'âme fidèle d'observer, avec une vigilance sans bornes, son Époux, son Seigneur
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et son Dieu au moment où il va s'éloigner d'embrasser du plus intime de son esprit et ses paroles et ses actes ; de se recommander à lui avec plus de dévotion et d'humilité, et de séparer totalement son coeur de tout le reste.
Ainsi, le quarantième jour après sa Résurrection, Jésus sachant que l'heure est arrivée où il doit passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu'à la fin (1). Tirant donc élu Paradis terrestre les saints pères et les autres fortes qui y résidaient, puis, s'arrêtant à Élie et à Hénoch qui devaient demeurer en ce lieu, car ils sont encore vivants, et, les ayant bénis, il vint à ses Disciples qui étaient enfermés dans le Cénacle sur la montagne de Sion avec sa Mère et les autres, leur apparut et voulut, avant son départ, manger encore avec eux, en signe de joie et de l'amour dont il leur laissait le souvenir.
Lors donc que, remplis d'une grande félicité, tous étaient à table en ce dernier festin de leur Seigneur, il leur dit : « Le temps est arrivé où je dois retourner à celui qui m'a envoyé. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut, car dans peu de jours vous serez remplis de l'Esprit-Saint, selon que je vous l'ai promis. Ensuite vous irez par tout l'univers prêcher l'Évangile et baptiser ceux qui croiront en moi. Vous serez mes témoins jusqu'aux extrémités du monde. » Il leur reprocha aussi leur incrédulité,
parce qu'ils n'avaient point voulu ajouter foi à ceux qui l'avaient vu ressuscité, c'est-à-dire à ses Anges. Il leur fit ce reproche en ce moment surtout où il leur parlait de les envoyer prêcher; comme s'il eût voulu leur dire : « C'était pour vous un devoir bien plus grand de croire aux Anges, même avant de m'avoir vu, que pour les nations qui no me verront point, de croire à vos prédications. » Il agit de la sorte, afin qu'ils reconnussent leur tort et demeurassent plus humbles, leur montrant ainsi, au moment de sa séparation, combien l'humilité lui était chère, et leur en faisant comme une recommandation particulière. Ils l'interrogèrent aussi sur les temps à venir; mais il ne voulut point satisfaire à leur demande, parce que cela ne lui importait aucunement. Ils demeurent donc, mangent, parlent, se réjouissent à cause de la présence de leur Seigneur; mais néanmoins son départ ne les laisse pas sans inquiétude. Ils l'aimaient d'un amour si tendre, que ce mot seul de séparation leur était intolérable.
Que dirai-je de sa Mère assise à table auprès de lui et qui l'aimait par-dessus tous les autres d'une affection si intense? Croyez-vous qu'à ces paroles du départ de son Fils, la tendresse de son amour ne fut pas ébranlée et profondément émue? qu'elle n'inclina point sa tête sur son Fils et ne se reposa point sur sa poitrine ? Si Jean l'a fait durant la Cène, avec combien plus de raison pouvez-vous croire qu'elle agit de même? Elle le priait en soupirant et versant des larmes, et lui disait : « Mon Fils, si vous voulez vous en
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aller, emmenez-moi avec vous. » Mais le Seigneur lui répondit en la consolant : « Je vous en prie, ma Mère bien-aimée, que mon éloignement ne vous cause point de douleur, car je m'en vais à mon Père. Pour vous, il est nécessaire que vous demeuriez encore quelque temps afin d'affermir ceux qui croiront en moi : je viendrai ensuite à vous et je vous emmènerai dans ma gloire. » « Mon Fils bien-aimé, reprit Marie, que votre volonté soit faite. Non-seulement je suis prête à demeurer, mais encore à mourir, s'il le faut, pour les âmes à qui vous avez sacrifié votre vie ; seulement je demande que vous vous souveniez de moi. »
Le Seigneur la consolait donc ainsi que ses Disciples, Madeleine et les autres, en leur parlant ainsi : « Que votre coeur ne se trouble point et soit sans crainte ; je ne vous laisserai point orphelins; je m'en vais et puis je reviendrai à vous, et je serai toujours avec vous. » Enfin, il leur commanda d'aller sur la montagne des Oliviers, parce que c'était en ce lieu qu'il voulait s'élever au Ciel, et il disparut. Sa Mère et tous les autres partirent aussitôt pour cette montagne, qui est à environ un mille de Jérusalem, et là il leur apparut de nouveau. voilà comment vous avez en ce jour deux apparitions. Alors il embrassa sa Mère en lui disant adieu, et sa Mère l'embrassa très-tendrement. Les Disciples, Madeleine et tous les autres, se prosternant, baisèrent ses pieds, mais Jésus releva ses Apôtres et les embrassa avec amour.
Regardez-les bien en ce moment, et voyez tout ce
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qui se passe. N'oubliez pas non plus d'arrêter vos regards sur les saints Pères ici présents, quoique d'une manière invisible, et de remarquer comme ils contemplent Marie avec bonheur et respect ; combien ils bénissent avec amour celle par qui ils ont obtenu un bienfait si grand; comme ils considèrent ces guerriers glorieux, ces chefs de l'armée divine que le Seigneur a choisis entre tous, pour combattre et pour vaincre le monde entier.
Enfin, tous les mystères étant accomplis, le Seigneur Jésus commença à s'éloigner de cette assemblée en s'élevant à travers les airs, et à monter par sa propre ver-tu. Aussitôt sa Mère et tous les autres se prosternèrent contre terre. Marie s'écriait : « Mon Fils bien-aimé, souvenez-vous de moi. » Et elle ne pouvait contenir ses larmes à cause de son départ. Cependant elle éprouvait, d'un autre côté, une joie extrême, en voyant son Fils s'avancer si glorieusement vers les Cieux. Les Apôtres disaient de même : « Seigneur, nous avons tout abandonné à cause de vous, ne nous oubliez pas. » Et lui, les mains élevées, le visage serein et plein de félicité, la tête couronnée à la manière d'un roi, revêtu d'ornements splendides, était porté triomphalement vers les Cieux. Il les bénit, en disant : « Soyez fermes et agissez avec courage, car je serai toujours avec vous. »
Il s'élevait, conduisant cette glorieuse multitude des saints Pères, et lui ouvrant la marche, comme l'avait annoncé le Prophète Michée (1). Il montait
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glorieux, éclatant de blancheur et de grâce, resplendissant de gloire et de félicité ; il les prés lait, leur montrant la voie, et eux faisaient entendre des chants de jubilation, le suivaient, enivrés de bonheur, et disaient : « Chantons un cantique au Seigneur, qui s'élève vers le couchant. Le Seigneur est son nom. Que les miséricordes du Seigneur confessent sa gloire, et qu'il soit loué des merveilles opérées en faveur des enfants des hommes. Vous êtes béni, ô Seigneur notre Dieu, qui opérez le salut de ceux qui espèrent en vous, qui conduisez votre peuple dans l'allégresse et vos élus dans la joie. Élevez-vous au-dessus des cieux, ô Dieu ! et que votre gloire se répande sur la terre entière, afin que vos enfants bien-aimés voient leur délivrance. En montant ainsi dans les cieux, vous nous ouvrez le chemin de la félicité, vous nous conduisez au lieu du rafraîchissement, vous délivrez, par votre puissance, vos captifs de l'esclavage, vous nous accordez le désir de nos curs. Nous entrerons dans votre demeure et nous chanterons vos louanges en présence de vos Anges. Gloire, louange et honneur à vous, ô Jésus-Christ, notre Rédempteur! Royaumes de la terre, chantez un cantique à Dieu, chantez une hymne de joie au Seigneur. »
Cependant Michel, le chef de la cour céleste, étant arrivé dans la patrie glorieuse, annonce l'arrivée du Seigneur. Aussitôt tous les ordres des esprits bienheureux s'élancent, par troupes séparées, à sa rencontre. Il n'en est pas un seul qui ne vienne au-devant de son Seigneur, et, s'inclinant tous avec le respect le plus
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profond, ils le conduisent au milieu d'hymnes et de cantiques ineffables. Qui pourrait, en effet, raconter ces chants et ces jubilations?
Tous les Princes s'avancèrent donc réunis ensemble. Ils chantaient des cantiques et s'écriaient : « Louange à Dieu ! louange à Dieu ! louange à Dieu ! Roi béni, qui venez au nom du Seigneur, nous chantons un cantique d'allégresse à votre triomphe glorieux. Vous êtes béni, ô Seigneur, qui êtes assis sur les Chérubins, et qui sondez les abîmes. »
« Louange à Dieu ! louange à Dieu louange à Dieu ! O Seigneur, vous êtes digne de toute louange et de tout honneur. Louange à Dieu! »
« Vous avez remporté une victoire glorieuse. Louange à Dieu ! Que les cieux, Seigneur, confessent vos merveilles. Louange à Dieu ! Qu'ils confessent votre puissance. Louange à Dieu! C'est maintenant que s'élèvent les tribus du Seigneur. Elles s'élèvent afin de célébrer votre gloire et de dire avec nous : Louange à Dieu! Elles s'élèvent pour prendre partit la joie de votre peuple, afin de joindre, en votre honneur, ses cantiques à ceux que font entendre les héritiers de votre félicité. Louange à Dieu ! louange à Dieu! louange à Dieu ! »
C'est par ces chants et ces hymnes que, tressaillant d'allégresse en sa présence, ils rendaient sans interruption hommage à leur Seigneur, et qu'ils célébraient en son honneur, avec tout la respect possible, une fête éclatante. Qui pourrait raconter la joie de ce jour? Mais surtout qui pourrait dire quels sentiments
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éprouvèrent et ces Esprits bienheureux, et ces Pères si vénérables, lorsqu'ils se rencontrèrent mutuellement ? Ces célestes Esprits, ayant offert d'abord leur respect le plus humble à leur Seigneur et terminé leurs cantiques, disaient aux saints Pères : « Princes des peuples, venez et réjouissons-nous. Louange à Dieu ! Vous êtes réunis en la société de votre Dieu. Louange lui soit rendue ! Vous êtes élevés d'une manière admirable. Louange à Dieu ! Chantez en l'honneur de Celui qui monte au-dessus du ciel des cieux. Louange à Dieu! louange à Dieu ! »
Et les saints Pères leur répondaient avec transport : « Vous êtes les Princes du peuple du Seigneur. Louange à Dieu! Vous êtes nos gardiens et nos aides. Louange à Dieu! A vous la joie et la paix. Louange à Dieu! Et vous aussi, chantez en l'honneur de notre Roi. Louange à Dieu ! Tressaillez d'allégresse en Dieu notre secours. Louange à Dieu ! louange à Dieu! louange à Dieu! »
Et en même temps ils adoraient le Seigneur et se disaient : « Nous nous en allons pleins de joie en la maison du Seigneur. Louange à Dieu! louange à Dieu ! La Cité vénérable de notre Dieu nous réunira dans son sein. Louange à Dieu ! Nous sommes les brebis des pâturages du Seigneur; entrons dans sa demeure, franchissons ses parvis. Louange à Dieu! Franchissons-les au concert des hymnes et des cantiques. Louange à Dieu ! Car le Seigneur des vertus est avec nous. Louange à Dieu ! Il est notre Sauveur. Louange à Dieu ! louange à Dieu ! »
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Vous voyez donc que tous faisaient éclater leur jubilation et chantaient des cantiques d'allégresse ; car selon le Prophète : « Dieu s'est élevé au milieu des jubilations; le Seigneur est monté aux accents de la trompette (1). »
Or, le Seigneur Jésus s'éleva visiblement pour la consolation de sa Mère et de ses Disciples, qui goûtèrent ce bonheur tant qu'ils purent l'apercevoir. Mais aussitôt qu'un nuage l'eut dérobé à leurs yeux, il fut en un instant transporté, avec tous les Anges et les saints Pères, dans la patrie bienheureuse; car c'est ainsi que s'exprime le même Prophète : « Vous assemblez les nuages pour vous élever, et vous marchez sur les ailes des vents (2). » Or, les ailes des vents, ce sont les extrémités des vents, c'est-à-dire ces parties qui s'élancent en avant avec le plus de légèreté. Et le Seigneur s'éleva plus rapidement encore, une fois qu'il eut passé cette nuée. Pendant ce temps, sa Mère, ses Disciples, Madeleine et les autres demeuraient à genoux, et le contemplaient montant vers les cieux, tant qu'il leur fut donné de l'apercevoir.
Oh ! quel spectacle de voir le Seigneur s'élevant d'une manière si glorieuse ! Quel spectacle surtout pour celui qui aurait pu découvrir ces Esprits bienheureux, ces saintes âmes qui lui faisaient cortège ! Peut-être, dans l'excès de sa joie, son âme eût-elle abandonné son corps, et se fût-elle élevée à la suite de cette assemblée glorieuse. Lors donc qu'ils tenaient ainsi leurs yeux fixés vers le ciel, voilà que deux
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Anges vêtus de blancs s'approchèrent d'eux et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêter-vous il regarder au ciel? Ce Jésus, qui s'est séparé de vous et est monté dans les cieux, viendra de la même manière que vous l'avez vu s'y élever. Retournez donc dans la ville et attendez selon qu'il vous l'a dit (1)»
Remarquez ici combien le Seigneur portait de sollicitude aux siens. Car à peine eut-il disparu à leurs yeux qu'il leur envoya ses Anges, de peur qu'eu demeurant plus longtemps ils n'éprouvassent une trop grande fatigue, et aussi afin qu'en voyant le témoignage des Anges s'accorder, touchant l'Ascension de leur Seigneur, avec leur propre témoignage, ils fussent fortifiés. Ayant donc entendu ces paroles, Marie pria humblement les Anges de les recommander tous à son Fils. Et les Anges, s'inclinant jusqu'à terre, reçurent avec joie cette prière. Les Apôtres, Madeleine et tous les autres s'exprimèrent comme Marie. Alors les Anges ayant disparu , ils s'en revinrent tous à la ville et demeurèrent sur la montagne de Sion, attendant, selon le commandement qu'ils en avaient reçu du Seigneur.
Cependant le Seigneur Jésus, environné de cette armée glorieuse et pleine de félicité, ouvrit les portes du Paradis, jusqu'alors fermées au genre humain, y fit son entrée triomphale, et, se prosternant avec bonheur devant son Père , il lui dit : « Je vous rends grâces, mon Père, de ce que vous m'avez donné la
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victoire sur tous nos adversaires. Voici nos amis qui étaient retenus captifs : je vous les présente. Mais j'ai promis à mes frères, à mes Disciples que j'ai laissés dans le monde, de leur envoyer le Saint-Esprit. Je vous prie, mon Père, de vouloir bien accomplir cette promesse, et je vous les recommande. » Alors son Père, le relevant, le fit asseoir à sa droite et lui dit : « Mon Fils béni, je vous ai donné toute puissance et tout jugement; disposez tout pour vos Disciples et la mission de l'Esprit-Saint, selon qu'il vous plaira. »
Tous les saints Pères et les Esprits bienheureux qui s'étaient prosternés profondément en présence du Père pour lui offrir leurs adorations, s'étant relevés, recommencèrent leurs cantiques, leurs louanges et leurs jubilations dosant Dieu. Si Moïse et les enfants d'Israël, après le passage de lamer Rouge, chantaient un cantique au Seigneur, en disant (1) : «Chantons un cantique au Seigneur, parce qu'il a fait éclater sa grandeur et sa gloire; » si Marie, la prophétesse, sa soeur et les autres femmes qui venaient à sa suite, firent entendre aussi leurs hymnes en choeur et au son du tambour, combien plus justement peuvent le faire ceux qui ont surmonté tous leurs ennemis ? Si, lorsque David conduisait l'arche du Seigneur à Jérusalem, tout le peuple chantait les cantiques de la loi ; si David lui-même touchait de la harpe au milieu des chantres (2); si tous faisaient entendre leurs louanges en présence du Seigneur aux accords de leurs lyres et au son de leurs tambours; si le roi dansait de toutes
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ses forces devant le Seigneur, combien plus doivent agir ainsi ceux qui sont vraiment établis en possession du bonheur de Dieu même? Si Jean, ainsi qu'il le rapporte dans l'Apocalypse (1), a entendu dans les Cieux la voix de cent quarante mille personnes jouant de la harpe, et chantant sur leurs instruments comme un cantique nouveau devant le siége de Dieu et de l'Agneau, je puis, quelle que soit la joie exprimée par l'Apôtre, je puis me représenter celle de ce jour comme beaucoup plus éclatante.
Tous ceux qui sont là font retentir le Ciel de leurs accords, tous tressaillent d'allégresse, tous se livrent à la joie, tous chantent de saints cantiques, tous sont enivrés de bonheur, tous éclatent en jubilations, tous redoublent d'applaudissements, tous se forment en choeur, tous s'abandonnent aux impressions de leur félicité, tous se laissent aller aux transports de leur béatitude. Oui, c'est vraiment en ce jour que se fait entendre dans la céleste Jérusalem le cantique de la joie, et que dans toute son étendue ses habitants redisent : Alleluia !
Jamais, depuis l'origine du monde, ne fut célébrée de fêle semblable, de Pâque si solennelle, etjamais il n'y en aura, si ce n'est au jour du jugement, alors que tous les élus y apparaîtront avec leurs corps glorieux. C'est pour cela que je vous disais au commencement que cette solennité, tout bien considéré, l'emporte sur toutes les autres. Parcourez-les toutes eu détail et vous comprendrez la vérité de mes paroles.
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C'est une grande fête que celle de l'Incarnation du Seigneur ; c'est même le commencement de tout notre bien. Mais en cette fête, tout est pour nous, et non pour le Seigneur, car c'est alors qu'il s'est enfermé dans le sein de la vierge. C'est une grande Taque que la fête de sa naissance, mais c'est pour nous et non pour lui, car en ce jour il attire notre compassion en naissant dans une si grande pauvreté, une si profonde humiliation, et une si extrême détresse. Sa Passion est encore pour nous une grande fête, puisque c'est en ce jour que nos iniquités ont été abolies. « En effet, comme dit saint Grégoire, il ne nous eût servi de rien qu'il fût né, s'il n'eût été jusqu'à nous racheter. » Mais à cause des tourments si cruels et de la mort si honteuse qu'il endura, ce jour ne fut point pour lui et ne doit point être pour nous un jour de joie et d'allégresse.
C'est de même une fête vraiment solennelle et une Pâque véritable que la Résurrection du Seigneur Jésus, tant pour lui que pour nous, car il apparaît comme un triomphateur glorieux, et ce fut alors qu'eut lieu notre justification. Aussi ce jour est-il vénérable entre tous, et l'Église, selon saint Augustin (1), chante-t-elle spécialement ces paroles du Prophète: « Voici le jour que le Seigneur a fait : tressaillons d'allégresse et livrons-nous à la joie en ce jour (2).»
Cependant la fête que nous célébrons aujourd'hui est plus sainte que toutes les autres, ainsi qu'on peut le conclure de ce qui a été dit. Ce jour de l'Ascension
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semble plus grand et plus auguste, car bien que le Seigneur soit ressuscité, il est encore voyageur sur cette terre, la porte du Ciel est encore fermée, les saints Pères ne sont pas encore admis en la présence du Père céleste; et c'est dans l'Ascension que tout cela s'accomplit. Si vous considérez bien tout ce que le Seigneur a fait jusqu'à ce moment, vous verrez que c'est la fin qu'il s'est proposée, et que sans elle ses oeuvres demeuraient imparfaites. En effet, le Ciel, la terre, et tout ce qu'ils contiennent, ont été créés à cause de l'homme, et l'homme a reçu la vie pour être possesseur de la gloire. Or, jusqu'à ce jour, aucun, quelle que fût sa sainteté, n'a pu atteindre à la gloire, à cause du péché. Vous voyez donc combien grand et admirable. est ce jour.
C'est également une Pâque tout-à-fait grande que la Pentecôte; l'Église la célèbre avec solennité, et c'est avec justice, car c'est en ce jour qu'elle a reçu le don suprême, c'est-à-dire, l'Esprit-Saint. Mais c'est encore à nous et non au Sauveur que revient l'avantage de cette fête. Au contraire, ce jour de l'Ascension est proprement la fête très-solennelle du Seigneur Jésus, car c'est aujourd'hui qu'il commence à s'asseoir à la droite de son Père et à se reposer de son pèlerinage. C'est aussi d'une manière spéciale la fête de tous les Esprits bienheureux, car ils reçoivent une joie nouvelle de leur Seigneur qu'ils n'avaient point contemplé dans la gloire en la forme de son humanité, et puis c'est en ce jour que, pour la première fois, leurs ruines commencent à être
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restaurées par cette multitude de bienheureux qui accompagnent le Sauveur.
C'est encore proprement la fête de ces Patriarches vénérables, des Prophètes et des saintes âmes à qui il est donné, pour la première fois en ce jour, d'entrer en la patrie céleste. Si donc c'est pour nous un jour de fête, lorsque quelque saint quitte cette terre pour monter dans les Cieux, combien plus devons-nous célébrer cette fête de tant de milliers de saints, cette fête du Saint des saints lui-même? C'est également la fête de Marie, qui voit son Fils, orné du diadème royal, s'avancer glorieux et se placer comme vrai Seigneur au-dessus de tout ce qui est élevé dans la patrie. Et néanmoins cette fête est proprement notre fête, car c'est aujourd'hui que la nature humaine a été exaltée au-dessus des Cieux; et si Jésus-Christ n'y fût monté, ce don même de l'Esprit-Saint, qui fait si justement l'objet d'une de nos solennités, nous ne pouvions le recevoir. Aussi le Seigneur disait-il à ses Apôtres : «Il vous est avantageux que je m'en aille; car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous (1).» Enfin , pour donner plus de poids de mes paroles, j'apporte l'autorité de saint Bernard, qui s'exprime ainsi dans son discours sur l'Ascension du Seigneur : « (2) Cette solennité, mes frères bien-aimés, est vrai- ment glorieuse; car elle est la consommation et le complément des autres solennités ; elle est le terme heureux du voyage de Jésus-Christ, le Fils du Dieu
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vivant. Oui ! c'est réellement un jour de fête et de joie que ce jour de l'Ascension où le Soleil de justice, le Soleil qui illumine les Cieux, s'est offert à nos regards. C'est vraiment un jour de félicité et de tressaillement de bonheur que ce jour où, déchirant le sac de son humiliation, il s'est environné d'allégresse et a consacré les prémices de notre résurrection. Cependant, quel avantage pour moi dans ces solennités, si ma vie demeure encore enchaînée à la terre? Je le dis donc : le séjour de cet exil ne me semble pas beaucoup plus tolérable que l'enfer même. »
« Enfin le Seigneur nous dit : « Si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra point à vous. » Voyez-vous comment la tête que nous célébrons en ce jour est la consommation des autres solennités; « comment elle en montre le fruit et en augmente la grâce? En effet, de même que Celui qui est né pour nous a fait pour nous tout le reste, ainsi a-t-il fait et fait-il encore son Ascension pour nous. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc clairement que ce jour est plus solennel que tous les autres, et que l'âme qui aimerait bien le Seigneur Jésus devrait plus se réjouir en ce jour qu'en aucun autre de l'année. Voilà pourquoi il disait à ses Disciples : « (1) Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez sans doute, parce que je m'eu vais à mon Père. » C'est pour cela que je crois m'être exprimé exactement quand j'ai dit, que jamais jour dans
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le ciel n'avait été célébré avec autant de solennité que celui-ci. Or, la joie et l'allégresse d'une fête si grande durèrent jusqu'au jour de la Pentecôte ; et l'on peut en faire l'objet de ses méditations de cette façon : l'Ascension du Seigneur eut lieu à la sixième heure, car c'était à la troisième qu'il avait mangé pour la dernière fois avec ses Disciples. Et, bien que tous les habitants de la patrie céleste fussent dans une joie que je ne saurais décrire, cependant, en ce premier jour, jusqu'à la sixième heure du jour suivant, les Anges firent une fête spéciale, et le Seigneur Jésus leur montra ou leur fit sentir un amour particulier ou quelque consolation extraordinaire. Le second jour, les Archanges firent de même; le troisième, les Principautés; le quatrième, les Puissances; le cinquième, les Vertus ; le sixième, les Dominations; le septième, les Thrônes; le huitième, tas Chérubins; et le neuvième, les Séraphins; et ce sont les neuf choeurs des Anges. Ainsi celte fête dura jusqu'à la sixième heure de la veille de la Pentecôte, et ensuite les saints Pères firent la fête à leur tour jusqu'à la troisième heure du dimanche.
Ces fêtes étant terminées, le Seigneur Jésus dit à son Père : « Mon Père , souvenez-vous de la promesse que j'ai faite à mes frères touchant l'Esprit-
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Saint. » Et le Père lui répondit : « Mon Fils, je tiens pour agréable ce que vous avez promis. C'est maintenant le temps de l'accomplir. Dites donc à l'Esprit-Saint : Nous vous prions de descendre vers nos Disciples, de les remplir, de les consoler, de les fortifier, de les instruire et de leur conférer le comble des joies et des vertus. »
(1) L'Esprit-Saint vint, aussitôt et descendit en langues de feu sur cent vingt Disciples réunis en un même lieu. Il les remplit d'une félicité ineffable ; et eux, affermis, instruits, embrasés et illuminés par sa vertu, se mirent à parcourir le monde entier et se l'assujettirent en grande partie. Néanmoins, les habitants de la cour céleste louèrent encore le Seigneur après l'accomplissement de ces merveilles, et le louent ;sans interruption. Ils ont encore des jours d'allégresse, des solennités perpétuelles, des actions de grâces et des cantiques de louanges. En effet, il est écrit : « Bienheureux ceux qui habitent en votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans tous les siècles des siècles (2). »
Hâtons-nous donc aussi, nous autres, d'entrer dans ce repos où une joie indéfectible surabonde d'une manière aussi admirable, et soupirons de toutes nos forces après notre patrie. Ayons de la haine pour l'assemblage de ce corps misérable et corruptible, et gardons-nous de faire le moindre cas de ses désirs, car c'est lui qui nous tient enchaînés, lui qui nous force à voyager loin d'un bonheur si inaltérable. Écrions-nous donc avec lApôtre : « Homme infortuné ! qui me délivrera de
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ce corps de mort ? » Et encore : « Tant que nous habitons en ce corps, nous sommes éloignés du Seigneur et hors de notre patrie. Je désire d'être dégagé des liens de ce corps et d'être avec Jésus-Christ (1). » Désirons sa dissolution et demandons-la sans cesse à Dieu, car par nous-mêmes nous ne pouvons l'accomplir avec profit pour notre salut. Au moins mourons au monde, à ses pompes, à ses concupiscences. Séparons-nous avec un coeur courageux et persévérant de toutes ces choses caduques, de ces consolations passagères et misérables des objets sensibles qui souillent et blessent nos âmes. Montons en esprit avec le Seigneur ou plutôt vers le Seigneur, et établissons notre demeure avec lui dans les cieux. En agissant ainsi, nous ne serons pas entièrement comme des voyageurs et des étrangers, et, au temps de sa visite, il daignera nous admettre en sa société, Celui dont nous nous entretenons , Jésus-Christ notre Seigneur, qui est sur toutes choses un Dieu béni et digne de louanges dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Vous avez maintenant, ma fille bien-aimée, dans tout ce qui précède, la plus grande partie de la vie du Seigneur
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Jésus réduite en méditations. Recevez avec respect, empressement et bonheur tout ce que je vous en ai dit, et ne craignez pas de vous en occuper sans cesse avec dévotion, allégresse et sollicitude; car c'est là la voie oit vous devez marcher, c'est là votre vie, c'est-à-dire le fondement sur lequel vous pourrez bâtir un grand édifice. C'est par là que vous devez commencer, si vous voulez atteindre à ce qu'il y a de plus élevé, comme je vous l'ai dit plus haut en plusieurs endroits. Cette méditation de la vie de Jésus-Christ, non-seulement vous sera une délicieuse nourriture par elle-même, mais elle vous conduira à des mets plus exquis encore. Vous y trouverez les actions que le Seigneur a faites en sa chair; mais c'est une chose bien plus admirable de le contempler en esprit, et c'est par cette échelle que vous pourrez y parvenir. Mais c'est ici qu'en attendant il faut fixer votre demeure. Écoutez ce qu'en dit saint Bernard :
« (1) Pour moi, je pense que la raison principale qui a porté le Dieu invisible à se manifester dans la chair et à converser avec les hommes, a été d'attirer d'abord à l'amour de sa chair toutes les affections de ceux qui étaient charnels, afin de les conduire ensuite peu à peu à l'amour des choses spirituelles. Il montrait à ses Disciples le degré d'un
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amour plus élevé quand il leur disait : « C'est l'esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien (1).»
« Qu'il se console donc dans la dévotion envers la chair du Sauveur, celui qui n'a point encore reçu l'esprit qui vivifie, du moins en la manière dont le possèdent ceux qui disent : « Le Seigneur Jésus est un esprit devant notre face, et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus (2). » En effet, on ne saurait nullement aimer Jésus-Christ , même dans sa chair, sans l'Esprit-Saint, bien qu'alors il ne se communique pas dans sa plénitude. Cependant la mesure de cette dévotion est telle que la suavité qui en découle remplit tout notre coeur et l'éloigne entièrement de l'amour de toute chair et de tout plaisir de la chair. C'est là ce qu'on appelle aimer de tout son coeur. S'il en est autrement, s'il m'arrive de préférer à la chair de mon Sauveur une parenté quelconque ou un plaisir de ma chair, et qu'ainsi je sois moins fidèle aux enseignements qu'il m'a donnés en demeurant dans la chair, par ses paroles et par ses exemples, n'est-il pas clair que je ne l'aime point de tout mon coeur, puisque ce coeur est divisé, que j'en donne une partie à sa chair, et que j'en consacre une autre à la mienne propre? Enfin il a dit lui-même : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi (3). » Ainsi, pour tout dire en deux mots : aimer Jésus de tout notre coeur, c'est rejeter loin de nous, par amour pour sa chair vénérable,
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tout ce qui peut être agréable en notre propre chair ou en celle des autres. Et en cela je comprends également la gloire du monde , car la gloire de ce monde est la gloire de la chair, et il n'est point douteux que ceux qui y trouvent leurs délices ne soient des hommes charnels. »
Vous voyez donc quelle est cette méditation, comment elle est encore charnelle, comparée à celle qui est purement spirituelle. Cependant ne prenez point. de là sujet de diminuer votre dévotion; que votre ferveur, au contraire, se porte à des choses plus élevées. Mais sachez bien que pour y arriver il faut passer par là; il faut que votre amour s'enflamme en la méditation présente, afin que vous puissiez ensuite vous plonger sans réserve en l'antre. Elle est bonne assurément, cette méditation charnelle qui détruit la vie de la chair et par laquelle on arrive à mépriser et à vaincre le monde. C'est en vous y livrant que vous affermirez votre esprit, que vous vous instruirez dans la vertu et que vous puiserez la force du coeur, ainsi que je vous l'ai dit dans le prologue. Que toute votre application, votre repos, votre nourriture, votre étude soit donc de méditer cette vie du Seigneur. Non-seulement vous obtiendrez par elle tous les biens dont je viens de vous parler; non-seulement vous y trouverez les degrés qui vous élèveront à la patrie céleste , mais cette méditation sera pour vous une consolation perpétuelle et non interrompue. Ceux qui montent à une contemplation plus élevée ne doivent point pour cela l'abandonner en aucun temps, ni en aucun lieu ; autrement ils montreraient
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qu'ils la méprisent comme une chose vile, ce qui serait un signe de grand orgueil. Au reste , rappelez-vous ce que je vous ai dit plus haut en traitant de la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ, contemplation que saint Bernard n'abandonna jamais, quoiqu'il fût un contemplatif très-élevé. Bien plus, comme nous le voyons en ses discours, il l'embrassa et l'exalta toujours outre mesure.
Je veux maintenant vous tracer la marche que vous devez suivre en ces méditations, de peur que, si vous veniez à croire qu'il vous faut pénétrer et embrasser tout ce que je vous ai tracé, vous ne tombiez dans le dégoût, à cause de la difficulté d'une pareille entreprise, d'autant plus que l'espace d'une semaine entière me semble nécessaire pour ces méditations. Vous devez donc savoir qu'il vous suffit de méditer une seule action du Seigneur, ou une chose qui lui est arrivée, ou les paroles qu'il a prononcées, selon qu'il est rapporté dans l'Évangile, en vous rendant présente aux lieux où les choses se passent , comme si vous y étiez de corps, et en les repassant tout simplement selon que le récit qui vous en a été fait les rappellera à votre esprit. Quant aux moralités et aux passages que j'ai cités pour votre instruction en cet ouvrage,
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il n'est point utile d'en faire l'objet de vos méditations, à moins qu'ils n'offrent de prime abord à votre pensée une vertu à acquérir ou un vice à détester.
Vous choisirez donc, pour ces exercices, quelque heure paisible; ensuite, durant le jour, vous pourrez étudier la moralité, ainsi que les autorités alléguées, et les confier soigneusement à votre mémoire. Il vous est tout-à-fait important d'agir de la sorte, car ces choses sont votre vie, et elles peuvent servir à vous conduire d'une manière parfaite dans toutes les voies spirituelles. Vous diviserez donc ainsi ces méditations : en commençant, le lundi, vous parcourrez jusqu'à la fuite du Seigneur en Égypte. L'ayant laissé en ce lieu, vous y reviendrez le mardi, et vous méditerez jusqu'à l'ouverture du livre, dans la synagogue ; le mercredi, jusqu'au ministère de Marie et de Marthe; le jeudi, jusqu'à la Passion ; le vendredi et le samedi, jusqu' à la résurrection; le dimanche, la résurrection elle-même et jusqu'à la fin de ce livre. Ainsi ferez-vous chaque semaine, afin de vous rendre ces méditations familières, bien assurée que plus vous vous y exercerez, plus elles vous deviendront faciles et agréables. Aimez à converser avec le Seigneur Jésus, et, à l'imitation de la bienheureuse Cécile, appliquez-vous à fixer inséparablement, comme un autre Évangile, sa vie en votre coeur. Au reste, il est temps de mettre fin à ce livre. Mais ce sera en empruntant encore une fois aux discours si abondants de notre bienheureux père saint Bernard,
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discours où j'ai cueilli, polir votre utilité, tant de fleurs magnifiques, et non par mes propres paroles. Que la conclusion se fasse donc au nom de celui qui est le bue scellé, Jésus-Christ, notre Seigneur, à la louange duquel cet ouvrage est consacré. Voici, quant à ce qui regarde le présent sujet, comment s'exprime notre saint. sur ces paroles : Votre nom est une huile répandue :
« (1) Sans doute il y a ressemblance entre l'huile et le nom de l'Époux, et l'Esprit-Saint ne les a pas inutilement rapprochés l'un de l'autre. Pour moi, je dis que le rapport est dans cette triple qualité de l'huile : elle éclaire, elle nourrit et elle oint.; à moins que vous n'ayez quelque explication meilleure à nous donner. Elle entretient le feu, elle nourrit la chair, elle calme la douleur. Elle est une lumière, une nourriture, un remède. Voyez maintenant pour le nom de l'Époux : il éclaire quand on l'annonce, il nourrit quand on le médite, il est un adoucissement et une onction quand on l'invoque. Parcourons chaque chose plus en détail.
« Comment croyez-vous que la lumière de la foi se soit répandue avec tant d'éclat et de rapidité dans tout l'univers, si ce n'est par la prédication du nom de Jésus? N'est-ce point par la lumière de ce nom que Dieu nous a appelés à son admirable clarté? N'est-ce point à ceux qui sont éclairés de ce flambeau, à ceux qui voient la lumière à cette splendeur, que l'Apôtre dit avec tant de vérité : «Autrefois
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vous n'étiez que ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (1).
« Le nom de Jésus n'est pas seulement une lumière, il est une nourriture. Ne vous sentez-vous pas fortifiés toutes les fois que vous vous le rappelez? Quel nom autant que lui engraisse. l'esprit qui le médite? Quel nom repose comme lui les sens fatigués, fortifie les vertus, ranime les moeurs bonnes et honnêtes, entretient les chastes affections? Toute nourriture est sans vertu pour l'âme, si elle n'est empreinte de cette huile ; tout aliment est insipide, s'il n'est relevé par ce sel. Si vous écrivez, je n'y trouve nulle saveur si je n'y lis le nom de Jésus. Si vous discourez ou Si vous conférez, vos discours sont pour moi sans délices, si je n'y entends résonner le nom de Jésus Jésus ! c'est un miel à ma bouche , une mélodie à mes oreilles, une jubilation à mon coeur.
« Mais c'est de plus un remède. Quelqu'un d'entre vous est-il en proie à la tristesse? Qu'il vienne au coeur de Jésus, et que de là il s'approche de sa bouche. Aussitôt que ce nom, qui est la lumière, s'est fait entendre, toute obscurité se dissipe et la sérénité renaît. Quelqu'un est-il tombé dans le crime, dans le désespoir, va-t-il se précipiter sous les coups de la mort ? Qu'il invoque le nom de Jésus, et aussitôt il reviendra à la vie. Qui donc, se tenant en présence de ce nom salutaire, a éprouvé encore la dureté du coeur, dont tant d'autres gémissent, l'engourdissement de la paresse, le désir de la vengeance et
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la langueur de l'ennui? Quel est celui qui, ayant vu la source de ses larmes se tarir, ne les a pas senties couler plus suaves, après l'avoir invoqué? Quel est celui qui, tremblant et glacé d'effroi au milieu des dangers, n'a point , après avoir appelé en aide ce nom puissant , recouvré aussitôt la confiance et banni toute crainte ? Quel est, je vous le demande, celui qui, agité par le doute et flottant à ses hasards, n'a point vu tout-à-coup la certitude renaître à l'invocation de ce nom lumineux? Quel est l'homme plein de défiance, et déjà prêt à s'affaisser au milieu des difficultés, à qui la force ait manqué aussitôt que ce nom secourable s'est fait entendre à ses oreilles ? Et cependant telles sont les maladies et les langueurs de l'âme. Il en est donc le remède.
« Enfin, nous sommes à même de prouver ce que nous avançons. « Invoquez-moi, nous dit-il, au jour de la tribulation : je vous en arracherai, et vous me rendrez vos hommages (1). » Non, rien n'est aussi puissant à comprimer l'élan de la colère, à arrêter lenflure de l'orgueil, à guérir les plaies de l'envie, à s'opposer au torrent de la luxure, à étouffer les flammes de la volupté, à calmer la soif des richesses et à détruire la rouille de tout ce qui dépare l'âme. En effet, lorsque je nomme Jésus, je me représente un homme doux et humble, un homme au coeur plein de charité, sobre, chaste, miséricordieux, et enfin brillant de toute pureté et de toute sainteté ; je me représente en même temps le Dieu tout-puissant
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qui me guérit par son exemple et m'affermit par son secours. Lorsque j'entends le nom de Jésus, tout cela retentit à mon oreille. J'emprunte les exemples à l'humanité, le secours à la toute-puissance. Je me sers des uns, comme de plantes odoriférantes , de l'autre comme d'un instrument pour en tirer parti, et j'en forme un mélange tel que l'art ne saurait jamais offrir rien de comparable. »
« Voilà, ô mon âme, le remède caché sous l'enveloppe de ce nom de Jésus. Oui, le nom de Jésus est un nom salutaire, et qui jamais ne fera défaut à aucune de tes infirmités. Qu'il soit donc toujours en ton coeur, qu'il soit toujours dans tes mains, afin qu'en Jésus tes sens et tes actes trouvent une direction assurée. C'est lui qui te fait cette invitation : « Place-moi, te dit-il, comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras (1). » Mais l'explication de cet endroit viendra plus tard. Tu as, dis je, dans le nom de Jésus, un remède pour corriger ce qu'il y a de mauvais dans tes actes, pour compléter ce qu'ils renferment d'imparfait. Tu as un secours pour préserver tes sens de peur qu'ils ne se corrompent, et pour les guérir s'ils sont corrompus. » « (2) Que vous êtes beau à vos Anges, ô Seigneur Jésus, lorsqu'ils vous contemplent en la forme de votre divinité, au jour de votre éternité, dans les splendeurs des saints ; lorsqu'ils vous voient engendré avant l'étoile du matin, vous la splendeur et la figure parfaite de la substance de votre Père, la lumière de
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la vie éternelle, lumière qui dure durant les siècles des siècles et ne s'affaiblit jamais! Que vous êtes beau à mes yeux, ô mon Seigneur, dans le dépouillement de votre gloire! Lorsque vous vous êtes anéanti, lorsque vous avez voilé les rayons naturels de cette lumière sans affaiblissement., votre tendresse a jeté un éclat. plus radieux, votre charité a paru brillante de plus de clarté, et votre grâce a répandu plus au loin sa lumière. Que vous êtes resplendissante à mes yeux, ô étoile sortie de Jacob ! Que vous êtes éclatante, ô fleur épanouie de la tige de Jessé ! O lumière qui vous êtes levée des hauteurs célestes et m'avez visité dans mes ténèbres, que vous êtes délicieuse à mon coeur ! Que vous êtes admirable et. étonnant, même pour les Vertus d'en haut, dans votre conception de l'Esprit-Saint, dans votre naissance de la Vierge, dans l'innocence de votre vie, dans l'abondance de votre doctrine, dans l'éclat de vos miracles, dans la manifestation de vos mystères ! Combien enfin vous êtes lumineux, même après votre coucher, ô Soleil de justice, lorsque vous ressuscitez des entrailles de la terre ! Combien vous êtes ravissant de beauté, lorsque, ô Roi de gloire, vous montez, revêtu d'un vêtement éclatant, dans les hauteurs des Cieux ! Comptent donc, en présence de ces merveilles, tous mes ossements ne s'écrieront-ils pas : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Je m'imagine que lEpouse avait contemplé quelqu'une de ces choses admirables de son Bien-aimé,lorsqu'elle disait : « Que vous êtes beau, mon
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aimé, que vous êtes ravissant ! » Et non-seulement elle avait vu ces choses, mais, sans aucun doute, elle avait joui de la beauté d'une nature plus élevée, que la faiblesse de nos regards ne saurait considérer, que notre coeur ne saurait goûter. Cette répétition qui exprime son amour, nous désigne donc la beauté de l'une et l'autre substance. »
Ainsi parle saint Bernard. Actions de grâces soient rendues au Dieu qui vit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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