XXV MÉMORIAUX

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LES VINGT-CINQ MÉMORIAUX.

 

LES VINGT-CINQ MÉMORIAUX.

PROLOGUE.

MÉMORIAUX GÉNÉRAUX.

MÉMORIAUX PARTICULIERS.

I. De la mortification de notre concupiscence.

II. De l'extirpation des vices.

III. Du retranchement des obstacles.

IV. De la patience dans les tribulations.

V. Ne se plaindre de rien.

VI. De la pauvreté personnelle.

VII. De la fuite des honneurs.

VIII. De la vraie humilité.

IX. De la paix de l'âme et comment on l'acquiert.

X. De la garde des sens.

XI. De la solitude et des veilles.

XII. De l'office divin.

XIII. De la dévotion toute spéciale que nous devons avoir' à la Vierge glorieuse.

XIV. Comment il faut éviter la société des personnes d'un autre sexe.

XV. De la fuite de la tristesse et du dégoût.

XVI. Du bon exemple que nous devons tirer de toutes choses.

XVII. De la garde du coeur.

XVIII. De la charité envers le prochain.

XIX. De la prière unie aux saintes actions.

XX. De la sainte obéissance.

XXI. Il faut tenir cachées les consolations et les peines.

XXII. Qu'il faut en tout temps et en tout lieu avoir la

XXIII. De la garde attentive de soi-même.

XXIV. De la confession sincère des péchés.

XXV. Comment nous devons nous estimer, bien que nous soyons parfaits.

Conclusion de cette lettre.

 

PROLOGUE.

 

Bonaventure de Bagnorea à son bien-aimé en Jésus-Christ, à son frère dans le Seigneur, à celui qui, ayant dépouillé le vieil homme, désire vivre pour Jésus-Christ et mourir au monde.

 

Vous m'avez conjuré avec les instances les plus vives, mon bien-aimé frère dans le Seigneur, lorsque nous demeurions sous un même toit, de vouloir bien vous visiter dans la suite par quelque lettre d'encouragement. Une telle prière, je l'avoue, a ramassé des charbons ardents sur ma tête. Mais, par sa persévérance amoureuse, votre humilité si profonde a vaincu l'orgueil de mon inflexibilité, et j'ai promis de satisfaire votre désir, quoiqu'il eût été beaucoup plus dans l'ordre que je reçusse de vous ce que je m'engageais à vous envoyer. Cependant, puisque l'ardeur incessante de votre tendresse m'a forcé de devenir insensé en ce point, je vais tenter de faire, autant qu'il sera en moi, ce que vous me demandez, sans pourtant m'astreindre à vous écrire rien de spécial, mais me contentant de choses simples et sans apprêt que je m'étais proposé de recueillir pour mon usage, et dont vous connaissez déjà un certain nombre.

Je commence d'abord par avertir votre charité,

 

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mon frère, que, nul ne pouvant servir Dieu d'une manière parfaite s'il ne s'efforce de se séparer totalement du monde , il nous faut , si nous voulons marcher à la suite du Sauveur , obéir sans réserve à la parole du Prophète (1) ; il faut, après avoir rompu les draines du péché, nous décharger encore des fardeaux qui nous accablent, afin que, débarrassés de ce qui tient à la terre, nous puissions suivre notre Rédempteur en toute liberté. « Celui qui est enrôlé au service de Dieu, dit l'Apôtre, ne s'embarrasse point dans les unitives du siècle (2). » Ne promettons dore jamais à notre coeur de conserver la moindre sollicitude pour les choses créées, si ce n'est qu'autant qu'elles excitent en nous l'ardeur du divin amour et de la charité; car la multitude des objets périssables venant à séjourner plus qu'il ne faut en notre esprit, non-seulement y amène la distraction, mais elle y interrompt le repos délicieux dont jouit une âme rendue à la paix. De là naissent ensuite des désirs qui soulèvent en cette âme un ébranlement violent, et la plongent en des agitations tanguantes et importunes. Déposons plutôt le fardeau onéreux de toute affection aux choses terrestres, et, n'ayant plus rien qui retarde notre marche, courons à celui qui nous invite avec amour , à celui en qui se trouvent la nourriture véritable ses âmes et la paix suprême qui surpasse tout sentiment.

« Venez à moi, dit-il, vous tous qui êtes dans lu peine et qui êtes surchargés, et je vous soulagerai (3). »

 

1 Is., 58. — 2 II Tim., 2. — 3 Mat., 11.

 

O Seigneur ! de qui avez-vous besoin? Pourquoi nous appelez-vous ? Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? O parole vraiment toute de tendresse ! Venez à moi, dites-vous, et je vous soulagerai. O condescendance admirable de notre Dieu ! ô charité ineffable ! Qui jamais a agi de la sorte? Qui jamais a entendu , qui jamais a rien vu de semblable? voilà qu'il invite ses ennemis, qu'il exhorte les coupables, qu'il appelle avec amour les ingrats. « Venez à moi, vous tous qui ôtes dans la peine  et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; prenez mon joug sur vous, et vous trouverez le repos de vos âmes. » O douces paroles! paroles déifiques, plus pénétrantes que le glaive le plus aigu ; elles transpercent le coeur jusqu'en ses profondeurs, et par l'excès de leur tendresse elles atteignent jusqu'à la division de l'âme. Réveille-toi donc maintenant, ô âme chrétienne ! à l'effusion d'une telle charité, aux délices d'une telle douceur, au parfum d'une telle suavité. Oui , celui qui n'a point senti un tel langage, est malade ; il est éloigné de la voie, il est proche de la mort. Je t'en conjure, ô mon âme! remplis-toi d'ardeur, engraisse-toi sans réserve, enivre-toi de douceur. Non, que personne ne t'empêche d'entrer, de tenir, de goûter. Que cherchons-nous davantage? qu'attendons-nous encore? que désirons-nous de plus? En Jésus-Christ nous avons tous les biens. Nais, ô folie prodigieuse ! ô infirmité déplorable ! ô méchanceté détestable ! Nous sommes appelés au repos, et nous poursuivons le travail; on nous offre le

 

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soulagement et nous cherchons la douleur; on nous promet la joie et nous soupirons après la tristesse. Oui , notre infirmité est vraiment prodigieuse; notre perversité, vraiment déplorable. Voilà que nous sommes tous devenus comme des êtres insensibles, pires que des simulacres. Nous avons des yeux, et nous ne voyons pas; nous avons des oreilles, et nous n'entendons pas; nous avons une raison, et nous sommes sans discernement; nous regardons comme amer ce qui est plein de douceur, et comme plein de douceur ce qui n'est qu'amertume. O Dieu ! qui corrigera une perversité si profonde? qui pourra satisfaire pour une méchanceté aussi grande? Assurément nous ne trouverons en nous rien qui atteigne un but semblable, à moins que nous ne le recevions de votre bonté. Vous seul, Seigneur, pouvez nous corriger; vous seul pouvez satisfaire pour nos crimes, car vous seul connaissez l'argile dont nous sommes formés ; vous seul êtes notre salut et notre rédemption; mais vous accordez ces faveurs à ceux-là seuls qui , reconnaissant leur misère dans toute sa profondeur , ne mettent leur espérance qu'en vous pour en sortir.

Levons donc avec ardeur les yeux de notre âme vers Dieu, et reconnaissons dans quel abîme nous sommes enfoncés; car celui qui ignore l'excès de sa misère , ne saurait s'inquiéter beaucoup d'en être délivré. Instruits de notre malheur, crions avec force vers le Seigneur du fond de notre détresse, afin qu'il étende jusqu'à nous la main secourable de sa miséricorde , cette main qui ne saurait jamais s'accourcir

 

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toutes les fois qu'il s'agit d'opérer notre salut. Gardons-nous de perdre la confiance qui porte en soi le germe d'une grande récompense. Allons avec cette confiance au trône de la grâce, et remportons le prix de notre foi, qui n'est autre que le salut de nos âmes. Qu'il n'y ait donc en nous aucun retard. Déjà la vie nous appelle, le salut nous attend , la tribulation nous force d'entrer. Que faisons-nous? pourquoi cette paresse ? pourquoi ces vains prétextes? Hâtons-nous d'entrer dans le repos de l'éternelle félicité, où sont des merveilles insondables et sans nombre. Que notre coeur monte à Jérusalem ; soupirons après notre patrie; marchons à notre mère, dont le séjour n'est pas en ce monde; entrons dans la puissance du Seigneur ; contemplons notre Roi assis sur le trône de sa gloire , et que nos coeurs se dissolvent en présence de ses miséricordes ; rendons-lui grâces de toute notre âme de ce qu'il n'a point considéré le vice de notre ingratitude, de ce qu'il n'a point éloigné de nous la charité de sa compassion, alors qu'il nous a inspiré le désir de nous élancer dans la voie de ses commandements, que nul ne saurait parcourir sans un pareil désir. C'est un don que nous devons singulièrement estimer et dont il faut rendre hommage à sa grâce; car le glorieux prophète David nous enseigne qu'il a soupiré après un don semblable lorsqu'il dit : « Mon âme a désiré avoir en tout temps le désir de vos commandements (1). »

Mais ce désir même s'affaiblit de temps en temps

 

1 Ps., 118

 

en nous par la tiédeur excessive de notre paresse et de notre négligence, c'est pourquoi j'ai pensé, pour le ranimer en nos coeurs, à noter certains mémoriaux qui nous rappelleraient ce que nous devons éviter et ce que nous devons faire. Tâchons , en les méditant avec une ferveur amoureuse , de reprendre notre vigueur première , et de croître infatigablement, par la charité divine, en vertus et en grâces jusqu'à ce que soit formé en nous le désir parfait des collines éternelles. Exposons (l'abord ce qui est général en ces mémoriaux , et ensuite nous descendrons à ce qui est particulier.

 

MÉMORIAUX GÉNÉRAUX.

 

Il y a certaines vertus recommandées aux jeunes gens et qui sont autant d'échelons de salut. Ceux qui s'y exercent peuvent sans aucun doute atteindre sûrement par elles à la perfection et au comble de la gloire. Ces vertus sont la sainte modestie en toute chose et dans tous nos actes, l'amour du silence, l'empressement à obéir, l'assiduité à prier, la fuite de l'oisiveté et de la dissipation , la confession fréquente et sincère , une volonté prompte à servir les autres et l'éloignement de toute société inutile. Ce sont autant de perles brillantes qui rendent agréable à Dieu et aux anges celui qui les possède. Lors donc que vous serez parvenu à plaire à celui qui vous a séparé dès le sein de votre mère, et vous a appelé par sa grâce afin de montrer en vous l'image de son Fils

 

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en vous faisant passer de la servitude misérable de l'Egypte à la liberté des enfants de Dieu; lorsque vous aurez ainsi commencé à porter vos pas dans la voie du nouvel homme , dans cette voie d'humilité tracée entre la crainte et l'amour, vous pourrez en vous élevant monter vers des régions plus hautes, vous exercer à des pratiques plus sublimes ; et c'est pour vous aider en cela que j'ai recueilli les mémoriaux suivants.

 

MÉMORIAUX PARTICULIERS.

I. De la mortification de notre concupiscence.

 

Il faut avant tout, puisque vous désirez marcher sur les pas de Jésus, que votre espérance soit tout entière fixée dans le Seigneur, et que vous renonciez sans réserve aux consolations de ce monde.

 

II. De l'extirpation des vices.

 

Vous devez, autant que le permet la condition humaine , vous appliquer à vous purifier entièrement de tout vice et de toute inclination mauvaise, afin de pouvoir, après avoir rejeté le vieux levain de toute malice et de toute perversité, marcher à la suite de Jésus-Christ dans une vie nouvelle. Si vous ne vous efforcez d'abord de briser ces chaînes d'iniquité, votre

 

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âme, toujours environnée de ténèbres, sera impuissante à s'élever aux choses célestes.

 

III. Du retranchement des obstacles.

 

En troisième lieu, éloignez de vous et rompez tout enchaînement extérieur, afin que vous puissiez vous lier à Dieu avec un esprit libre et sans obstacle.

 

IV. De la patience dans les tribulations.

 

Il faut encore que, pour l'amour du Très-Haut et de Jésus-Christ votre Epoux, vous supportiez avec égalité d'âme toutes les persécutions de ce monde. Bien plus, s'il est possible, il faut les recevoir avec joie, ne trouver de bonheur que dans les souffrances du Sauveur, refuser toute consolation temporelle , tressaillir d'allégresse au milieu de ces tribulations, et bien croire qu'elles ne vous ont été préparées que pour vous purifier de vos péchés et enrichir votre âme.

 

V. Ne se plaindre de rien.

 

Vous reconnaissez que vous avez offensé celui qui est le Créateur de toute chose et le vôtre; dès-lors ne demandez donc pas qu'aucune créature vous rende raison de sa manière d'agir à votre égard.

 

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VI. De la pauvreté personnelle.

 

N'ayez que du mépris pour vous-même; désirez d'être méprisé de tous et pratiquez avec ardeur la très-sainte pauvreté dans tout ce qui vous concerne. Recherchez, autant qu'il est en vous, ce qui est grossier et de nulle valeur, et contentez-vous de peu. Mais n'exigez pas la même chose pour les autres ; concevez, au contraire, de la joie et du bonheur de tout ce qui peut consoler vos frères, et assistez-les en leur obéissant et en les servant comme il convient , pensant qu'ils sont dignes de toute consolation , à moins (ce dont Dieu nous préserve !) que vous ne voyiez si clairement en quelqu'un l'offense, que vous ne puissiez l'excuser en aucune sorte. Alors il faudrait gémir autant qu'il est en vous sur un tel malheur, y compatir , et concevoir pour vous une crainte profonde.

 

VII. De la fuite des honneurs.

 

Vous devez vous tenir en tout temps dans la crainte et fuir sans réserve, autant que vous le pouvez, les flatteries de ce monde, les honneurs, les louanges, les faveurs et tout souffle de vaine gloire, et les re-regarder comme des pestes qui donnent la mort. Pour cela, tenez-vous continuellement renfermé en vous-même , et ayez de vous une défiance sans cesse

 

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persévérante; car si vous remportez la victoire sur vous-même, nul ennemi , intérieurement ni extérieurement , ne pourra vous nuire.

 

VIII. De la vraie humilité.

 

Il faut que, pour l'honneur de Celui qui, étant le Seigneur de toutes choses au ciel, sur la terre et dans les enfers, a pris pour nous la forme avilissante d'un esclave, et en cet état s'est soumis sans réserve à la puissance des hommes; il faut, dis-je, que vous humiliant vous-même, vous considériez tout homme comme votre maître; que vous vous estimiez en toute vérité le serviteur de tout le monde, et qu'en tout ce qui concerne les hommes vous ne vous jugiez pas plus qu'un esclave. Vous serez de la sorte toujours en paix et uni avec tous, et vous demeurerez à l'abri de tout scandale.

 

IX. De la paix de l'âme et comment on l'acquiert.

 

Soyez étranger à ce qui est en dehors de votre bien spirituel; ou autrement : ne vous inquiétez d'aucune chose , ne vous embarrassez en aucune affaire, tant intérieurement qu'extérieurement, et sous quelque prétexte que ce soit , dès-lors que vous n'y trouvez aucun profit pour votre âme, et ne vous laissez jamais jeter par personne en ces embarras.

 

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X. De la garde des sens.

 

Exercez une vigilance si complète sur votre vue et sur tous les sens de votre corps , que jamais vous ne leur permettiez de voir, d'entendre ou de toucher autre chose que ce qui est avantageux à votre âme. Réprimez aussi votre langue avec le soin le plus rigoureux , et ne parlez jamais sans être interrogé ou sans y être contraint par la nécessité ou une utilité évidente. Alors même ne parlez qu'avec la retenue d'une âme timorée, avec douceur, brièveté et à voix basse si vous le pouvez, ayant soin d'éviter toujours toute profusion de paroles, et coupant court aux occasions autant qu'il est en vous.

 

XI. De la solitude et des veilles.

 

Soupirez après les douceurs d'une sainte solitude; regardez en tout temps comme précieux l'exercice des veilles, et offrez toujours à Dieu vos prières avec une attention soigneuse aux paroles, une dévotion fervente et une humilité profonde.

 

XII. De l'office divin.

 

Lorsque vous devez célébrer, recueillez-vous au-dedans de vous-même et oubliez tout ce qui est

 

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terrestre, afin que votre esprit, entièrement attentif aux célestes mystères, vous permette de les accomplir avec autant de dévotion, de respect, de joie et de crainte que si vous étiez placé au milieu des anges , et qu'il vous fût donné d'offrir avec eux vos hommages à la majesté divine présente à vos regards.

 

XIII. De la dévotion toute spéciale que nous devons avoir' à la Vierge glorieuse.

 

Ayez en même temps les sentiments les plus élevés, de vénération pour notre glorieuse Reine, la Mère bénie de Notre-Seigneur. Dans tous vos besoins, dans vos dangers et vos peines , tournez-vous vers elle comme vers un refuge assuré , lui demandant le secours de sa protection. Choisissez-la pour votre avocate et confiez-lui votre cause avec amour et sécurité , car elle est la mère de miséricorde. Appliquez-vous aussi chaque jour à lui rendre quelque hommage spécial et particulier. Et pour que votre dévotion lui soit agréable et que vos voeux trouvent grâce à ses yeux , efforcez-vous d'offrir, en votre âme et en votre corps , une image de son innocence et de sa pureté , et de marcher sur ses traces par votre humilité et votre mansuétude

 

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XIV. Comment il faut éviter la société des personnes d'un autre sexe.

 

Ayez soin , en quelque lieu que vous soyez , d'éviter la société des femmes, des vierges et des jeunes gens en général, à moins que la nécessité ou une utilité évidente ne vous commande d'agir autrement. Partout où vous vous trouverez , choisissez-vous pour directeur un homme saint, pieux et discret, plus éclairé par l'expérience d'une vie de bonnes oeuvres que par les enseignements de la science, afin que par ses paroles, par ses exemples efficaces et salutaires il vous instruise et vous enflamme du divin amour, et qu'en tous vos besoins vous puissiez re-courir à lui et en recevoir du soulagement pour votre âme.

 

XV. De la fuite de la tristesse et du dégoût.

 

Ayez un empressement extrême à chasser loin de vous toute froideur ayant pour principe le dégoût et la tristesse, car là-dessous se trouve cachée une voie de confusion qui conduit à la mort, et soyez toujours intérieurement et extérieurement calme et serein. Ne contredisez personne en aucune chose, et ne résistez en quoi que ce soit; mais plutôt acquiescez à tous en toute occasion et en toute manière, pourvu qu'il n'y ait rien de contraire à l'honneur de Dieu et au salut de votre âme

 

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XVI. Du bon exemple que nous devons tirer de toutes choses.

 

Appliquez-vous à conformer toutes vos affections et vos volontés à la volonté de Dieu. Que tout soit pour vous un sujet d'édification, et que rien en ce monde ne puisse porter atteinte à l'innocence et à la pureté que vous avez reçues de la bonté divine. Ne vous laissez point ébranler par les défauts du prochain, et, pour ne pas ajouter l'iniquité à l'iniquité en vous souillant des péchés des autres , prenez garde , en voulant les arracher à l'abîme, de ne point tomber vous-même dans un abîme plus profond. Faites mieux : tous ceux à qui vous ne pouvez être utile sans vous nuire à vous-même, couvrez-les d'une charité bienveillante et abandonnez-les à la suprême sagesse , qui sait pour chacun tirer le bien du mal ; et ainsi au milieu du bien, au milieu du mal, vous trouverez toujours, avec l'aide du Seigneur, quelque avantage spirituel.

 

XVII. De la garde du coeur.

 

Conservez votre coeur en toute vigilance; qu'il ne soit appliqué qu'aux exercices spirituels, et qu'aucun désir des objets visibles ne vienne s'imprimer en lui. De la sorte , devenu étranger à toutes les créatures , il pourra librement se consacrer à la contemplation du créateur de toutes choses.

 

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XVIII. De la charité envers le prochain.

 

Voyez dans tous les hommes l'image et la ressemblance de la divine majesté, et ainsi aimez-les tous avec l'ardeur d'une charité sincère et efforcez-vous de leur rendre les services que vous pourrez, surtout aux malades et aux indigents, pourvu cependant que ce ne soit point pour vous la source d'une dissipation nuisible à votre avancement spirituel. Agissez comme une tendre mère qui chérit avec amour un fils unique et lui consacre ses soins.

 

XIX. De la prière unie aux saintes actions.

 

Que votre âme soit en tout temps de telle sorte unie à Dieu que tout travail ou exercice, tant du corps que de l'âme, devienne une prière, et toutes vos actions, surtout les plus humbles, se feront avec une charité aussi fervente que si vous voyiez Jésus-Christ corporellement présent. Vous pouvez, au reste, le considérer ainsi en toute assurance et en toute vérité, puisqu'il a dit dans l'Evangile : « Ce que vous faites au plus petit de ceux qui m'appartiennent, c'est à moi que vous l'avez fait (1). »

 

1 Mat., 23.

 

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XX. De la sainte obéissance.

 

Efforcez-vous de rendre à tous l'honneur et le respect que vous leur devez , et de conserver hors d'atteinte, avec autant de soin que la prunelle de vos yeux, la pieuse règle de la très-sainte obéissance, non-seulement vis-à-vis des grands, mais encore vis-à-vis des plus petits, obéissant et vous soumettant avec un renoncement parfait de vous-même pour Jésus-Christ et à ceux qui sont au-dessus de vous, comme les prélats, et à tous ceux qui tiennent un rang moindre, quels qu'ils soient. Dans ce qui est bien ou indifférent, cherchez à faire toujours la volonté des autres, ne vous montrant à charge à aucun, mais plutôt les aimant tous dans le Seigneur et vous rendant agréable à tous sans exception. Fuyez les liaisons , les amitiés , les familiarités particulières. Apportez le plus grand soin à ne jamais, par vos paroles, par vos actions, par votre manière d'agir, par vous-même ou par d'autres, sous quelque prétexte ou raison que ce soit, être cause d'aucune inimitié, d'aucune haine, d'aucune parole trop vive, d'aucune injure, d'aucun trouble, d'aucun murmure, d'aucun scandale , d'aucune médisance , d'aucune flatterie ou autre chose semblable.

 

XXI. Il faut tenir cachées les consolations et les peines.

 

Vous devez, autant qu'il est en vous, cacher à tout le monde les choses extraordinaires ou les grâces spirituelles que la divine miséricorde daigne répandre en vous ou accomplir par vous, vos tribulations et vos combats , vos résolutions de vertu et autres choses semblables, â l'exception pourtant de ce qu'il vous faut découvrir au prêtre dans la confession , et à moins aussi que, pour votre avantage spirituel, vous ne révéliez ces choses à un ami spécial et bien connu, dont vous espérez alors recevoir des conseils et des lumières qui vous soient profitables. Toujours et partout soyez avare du temps, afin de pouvoir vous appliquer à l'oraison accoutumée et à la sainte méditation, car c'est en demeurant solitaire que vos désirs s'élèveront aux choses célestes.

 

XXII. Qu'il faut en tout temps et en tout lieu avoir la

pensée de Dieu.

 

Débarrassez-vous de tout ce qui est créé , et appliquez votre esprit à votre créateur avec un tel effort, un désir si fervent, que, devenu comme étranger aux choses qui vous environnent, quoi que vous fassiez, en quelque lieu que vous vous trouviez, en quelque affaire que vous soyez employé, le jour et la

 

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nuit, à toute heure et à tout moment, vous ayez toujours Dieu en votre pensée, croyant que vous êtes véritablement en sa présence, vous souvenant que partout ses regards vous contemplent. Mais cette pensée doit être accompagnée d'un respect profond , de crainte et d'amour , et d'une grande attention. Tantôt, prosterné aux pieds de son immense majesté, le coeur plein d'amertume, demandez pardon de vos péchés. Tantôt, vous arrêtant auprès de la croix de votre Sauveur, soyez transpercé du glaive de la compassion; à la vue des souffrances adorables du Fils de Dieu , plongez-vous dans la tristesse et versez des larmes. Tantôt , après avoir parcouru sa vie tout entière, placez-la devant vos yeux comme une ligne dont la droiture redressera les travers de votre conduite. Repassez aussi en votre esprit les bienfaits infinis et inénarrables que vous avez reçus de Dieu, et efforcez-vous de lui en rendre grâces. Une autre fois, profondément percé de l'aiguillon de son amour, contemplez-le en toutes ses créatures. Une autre fois encore considérez ou sa puissance , ou sa sagesse , ou sa bonté et sa clémence, et louez-le avec une vive ardeur en toutes ses oeuvres. Ou bien, épris du désir de la céleste patrie, poussez vers ce même Dieu des soupirs et des gémissements. Ou encore, tenant vos yeux fixés sur les profondeurs de son inestimable charité, que votre coeur et votre âme se sentent dé-faillir en lui dans l'excès de leur joie et de leur étonnement. Ou, si vous le voulez, considérez-vous vous-même, tantôt prenant la fuite, tantôt vous précipitant

 

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inconsidérément , tantôt succombant au milieu du danger, et Dieu venant en aide à votre frayeur, vous retenant et vous attirant à lui, et aussi vous trouvant ingrat en toutes choses; mais alors voyant ouvertes les entrailles ineffables de la miséricorde divine, élancez-vous-y avec un entraînement irrésistible d'amour , et là répandez-vous tout entier en larmes. Quelquefois enfin réfléchissez avec une vive attention aux jugements si cachés, si profonds, si obscurs et si étonnants de sa justice, et vous montrant fidèle et persévérant en tout , réservé, humble et suppliant, rendez-lui vos adorations avec un amour suprême, avec crainte et tremblement. Mais par-dessus tout conservez en votre coeur et en votre esprit un souvenir vivant et jamais interrompu de la très-sainte Passion.

 

XXIII. De la garde attentive de soi-même.

 

Veillez et soyez en tout temps sur vos gardes pour déjouer les ruses de notre ancien ennemi, qui souvent se transfigure en ange de lumière et ne cesse jamais , en toute occasion et en toute voie, de tendre des piéges et des embûches afin de s'emparer des âmes. Déployez donc contre lui une vigilance attentive et sévère; fuyez ses traits, comme le passereau les traits du chasseur , et que vos yeux , par la sainte humilité, deviennent si clairvoyants que les piéges les plus imperceptibles du démon ne puissent vous nuire. Souvenez-vous qu'ils ne sauraient être pour vous un

 

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obstacle ni un danger si vous devenez un nouvel Israël, si les yeux de votre âme contemplent Dieu sans interruption ; car celui qui veillera à votre garde ne s'assoupira point et ne se laissera point aller au sommeil.

 

XXIV. De la confession sincère des péchés.

 

Il faut que, toujours infatigable dans la sévérité de votre saint institut, embrasé de l'ardeur divine des célestes désirs, jaloux de conserver en votre âme la beauté d'une pureté sans tache en votre corps, une innocence immaculée et une délicatesse inviolable de conscience; il faut, dis-je, que vous apportiez le soin le plus empressé à ne jamais vous laisser aller à la tiédeur, et à ne vous relâcher en rien. Mais pour y atteindre plus sûrement et d'une manière plus parfaite, sept fois chaque jour examinez votre vie; et pour cela, soit avant, soit après chacune des heures canoniques , considérez et voyez avec une attention profonde si d'heure en heure vous avez marché dignement et sans tache en la présence de Dieu dans les sentiers de la justice.

Et comme il n'est personne, quelque diligent qu'il soit dans l'observance des règles et des vertus, qui ne néglige ou n'omette quelque chose, il est nécessaire de recourir au bien de la pénitence et d'aller souvent s'y accuser avec gémissement et amertume. Dans cette accusation , découvrez et faites connaître par ordre à votre confesseur, comme si c'était à Dieu

 

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même, tous vos défauts avec intégrité, vérité et simplicité , sans rien excuser , cacher ou pallier. D'abord racontez vos omissions dans les choses qui regardent Dieu et surtout dans la prière, soit vocale, soit mentale; ensuite, vos fautes dans l'accomplissement de ce que vous devez au prochain; enfin, les offenses dont vous vous êtes rendu coupable en gardant mal vos sens , en ne veillant pas assez sur vos affections et vos pensées. La contrition et la satisfaction doivent toujours accompagner cette confession : c'est-à-dire que vous devez pleurer toutes vos offenses, non-seulement celles qui sont considérables, mais encore celles qui sont légères, et, en les pleurant, aviser aux moyens de ne plus les commettre. Appliquez-vous toujours à rompre les causes et les occasions du péché, quelque chères qu'elles puissent vous être; car, selon la parole du Sauveur , il faut arracher l'oeil qui scandalise, ou autrement il faut éviter les occasions d'offenser Dieu, même celles qui nous semblent le plus agréables, et alors même que nous rejetterions avec horreur les pensées qu'elles engendrent. Il y a donc fortement à combattre de ce côté; et c'est pour cela que nous devons, selon le commandement de Dieu, être aveugles, sourds, muets et insensibles à tout ce qui n'apporte aucun profit à notre âme.

Mais si vous désirez vous porter avec plus de sollicitude, en ce que nous venons de dire et dans tout le reste, à l'observance des commandements de Dieu et de ses célestes enseignements; si vous désirez vous embraser d'une ferveur plus ardente, efforcez-vous

 

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de rappeler exactement à votre esprit cinq fois le jour ou la nuit, en tout temps, avec amour et attention, les cinq points suivants : « 1° combien est courte notre vie; 2° combien la voie en est glissante ; 3° combien est incertaine l'heure de notre mort ; 4° quelles récompenses sont préparées aux justes; 5° quels supplices attendent les pécheurs. De la sorte le service de Dieu sera pour vous accompagné de crainte , et votre joie sera mêlée de frayeur.

 

XXV. Comment nous devons nous estimer, bien que nous soyons parfaits.

 

Si, aidé du secours de la grâce, il vous arrive de faire le bien , regardez-vous comme un serviteur inutile et un pécheur , et estimez-vous indigne de tout bienfait de la part de Dieu , sans cependant cesser d'avoir une foi inébranlable , d'être rempli de la charité divine , et d'espérer avec une confiance sans bornes que notre très-miséricordieux Père vous ouvrira les entrailles de sa miséricorde. De la sorte vous établirez dans les profondeurs d'une sincère humilité les fondements d'une foi inexpugnable; vous élèverez dessus les murailles brillantes d'une charité fervente et non interrompue, vous les embellirez de l'ornement de toutes les vertus, et enfin vous leur donnerez pour faîte la couronne glorieuse d'une sainte espérance et de désirs ardents. Alors voyant tout disposé avec un ordre si parfait, le Roi suprême

 

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des cieux , le doux hôte des âmes fidèles, dont les délices sont d'être avec les enfants des hommes, daignera sans doute établir sa demeure en vous par sa grâce durant votre exil sur cette terre jusqu'au jour où vous serez digne, en quittant la vie, d'entrer dans la patrie glorieuse de la céleste béatitude, d'être revêtu de la robe de l'immortalité, et de contempler avec tous ses saints, dans l'effusion de la joie, la majesté de son visage. C'est là que nous trouverons la félicité suprême, la béatitude éternelle, la fin et le complément de tous nos désirs.

 

Conclusion de cette lettre.

 

Cependant sachez bien, mon cher frère , et tenez pour indubitable que si vous ne renoncez parfaitement à vous-même, vous ne pourrez suivre les traces du Sauveur ; que vous n'obtiendrez point sa grâce sans une sollicitude continuelle et un travail incessant ; que si vous ne frappez assidûment à sa porte, vous n'entrerez point dans la paix de l'âme, et qu'enfin votre demeure croulera certainement au fond de l'abîme si vous ne vous conservez avec soin dans la crainte de Dieu. Mais si vous vous exercez en tous ces points avec fidélité, constance et persévérance, j'espère de la miséricorde du Sauveur qu'il vous rendra digne de sa grâce dans le temps présent, et qu'il vous fera jouir avec lui. de sa gloire dans la vie future. Qu'il daigne vous l'accorder, celui qui étant trois et un est béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Si je vous ai adressé ces choses, mon bien-aimé,

 

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ce n'est point que je crusse que vous en eussiez besoin ; mais je les avais auparavant recueillies pour mon usage , et voyant combien j'étais enclin à l'inconstance, combien peu je devais compter sur mon courage, j'ai pensé à vous les communiquer comme à un aide fidèle, dans l'espérance que, si par ma paresse et la négligence que le temps apporte avec soi, je venais à me relâcher en quelque point, votre magnanimité et la ferveur de votre sollicitude sauraient y mettre ordre. Ce qui me confirme surtout en cette pensée, c'est que je sais combien tous vos voeux s'accordent avec les miens, et combien vous trouvez de joie dans les choses pleines de simplicité que je viens d'exposer. Ainsi , mon bien-aimé dans le Seigneur , recevez-les donc avec la même charité qui a porté mon coeur à vous les adresser. Appliquez-vous à vous y soumettre en tout point , et excitez-vous-y par l'habitude des pensées du ciel. La peine qui accompagne la pratique de tels enseignements ne semble point, il est vrai, devoir apporter la joie, mais la tristesse; cependant elle fera recueillir dans la suite , au milieu d'une paix profonde, des fruits de justice, et même dans le temps présent leur attente sera pleine de douceur , et elle répandra en votre âme le goût de la piété, elle la remplira d'abondance et de force en Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui vos prières ferventes voudront bien recommander mon aridité et la vaine abondance de mes paroles plutôt que ma dévotion. A lui l'honneur, la gloire, l'éclat et l'empire dans tous les siècles des siècles.

 

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