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OEUVRES SPIRITUELLESDES. BONAVENTURE
De l'Ordre des Frères Mineurs, Cardinal-Évêque d'Albane,
TRADUITES PAR M. L'ABBÉ BERTHAUMIER, CURÉ DE SAINT-PALLAIS.
TOME PREMIER
Contenant : Les Méditations sur la Vie de Jésus-Christ. l'Arbre de Vie. Les cinq Fêtes de l'Enfant-Jésus. Les Louanges de la Croix. Philomèle. Les sept Paroles de Jésus en Croix.
PARIS. LOUIS VIVÈS, LIBRAIREÉDITEUR, RUE CASSETTE , 23 1854.
Beaugency. Imprimerie de GASNIER INTRODUCTION.
Il y a quelques années seulement, les ouvrages de saint Bonaventure étaient étrangers à peu près à tout le monde. Sa vie sainte était respectée et préconisée; mais ses écrits étaient au nombre de ceux qu'on ne lit plus et que leur réputation d'autrefois n'a pu préserver de l'oubli, quand trois traductions des Méditations sur la vie de Notre Seigneur par le Saint parurent successivement et à des intervalles rapprochés. On commença alors à s'apercevoir que de tels ouvrages étaient dignes d'attirer l'attention , et la traduction de quelques autres opuscules suivit bientôt les Méditations. Nous n'avons point à juger du mérite de ces traductions diverses. Nous dirons seulement que si quelqu'un des hommes honorables qui ont commencé à faire connaître le Docteur séraphique, eût annoncé l'intention de nous donner ses oeuvres spirituelles complètes, nous VI
n'eussions point pensé à entreprendre cette traduction, et que nous nous serions estimé heureux de nous procurer leur travail pour en faire l'objet de nos méditations et de nos lectures les plus chères. D'où vient donc ce délaissement d'ouvrages qui, pendant trois siècles furent, surtout en France, entre les mains de tout le monde (1) ? Les oeuvres des grands mystiques de l'Espagne ont paru en notre langue et ont acquis parmi nous une réputation qui n'a point diminué. Et cependant ces oeuvres, quelque fût leur mérite incontesté, ne s'offraient point à nous entourées de témoignages plus imposants que les écrits de saint Bonaventure. Pourquoi cette différence? Pour nous, il nous semble qu'il faut en chercher la cause dans l'époque où vécut ce saint Docteur. Né au moyen-âge, il a partagé le sort fait depuis longtemps aux grands hommes de cette époque. Nous savons comment, pendant plus de deux siècles, presque tous les écrivains, bons ou mauvais, se sont entendus pour déprécier ces temps. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner la justice ou l'injustice de pareils jugements. Ce travail a été fait de nos jours par des hommes de mérite , avec une ferveur qui semblerait indiquer le dépit d'avoir trop longtemps jugé et erré sur la parole des autres, et les idées se reforment sur un point aussi important. On veut connaître par soi-même , et à mesure qu'on avance dans ses recherches , on s'étonne de trouver qu'en des âges regardés jusqu'alors comme tout au plus dignes de pitié, on pensait aussi profondément
1 Actes de la canonisation du saint.
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qu'aujourd'hui, on jugeait avec autant de justesse et on agissait plus sagement; on s'étonne de découvrir dans les écrits de ce temps les sentiments les plus délicats des vertus aimables, la sensibilité la plus exquise, la connaissance la plus vraie du coeur humain et le zèle le plus tendre pour en guérir les misères. On avait été presque tenté de croire que dans l'église du Seigneur la chaîne du bons sens avait vu ses anneaux se rompre à l'inondation des Barbares pour se renouer seulement à la Renaissance ; et l'on demeure surpris en voyant cette Église toujours la même, non-seulement dans le maintien de la vérité, mais encore dans l'expansion de son amour et dans l'effusion de ses douceurs. Tout annonce un retour en faveur de ces temps si méconnus; tout porte à croire que bientôt on jugera autrement que par le passé d'un âge qui eut en son sein assez de forces pour résister pendant plus d'un siècle aux envahissements des Barbares du nord et aux écarts d'une société encore mal assise; assez de génie pour couvrir toutes les parties de son sol de monuments destinés à traverser les siècles ; assez de patience pour sauver de la ruine les trésors intellectuels de l'antiquité; assez de grands hommes pour ajouter à ces trésors des richesses nullement indignes de figurer à leur côté; et enfin assez de vertus pour ouvrir des asiles à toutes les infortunes et soulager toutes les misères. Des ouvrages destinés à porter la lumière sur ces temps ont paru déjà en assez grand nombre, et ont été accueillis avec un empressement égal par les arts et les lettres; cependant, jusqu'à ce jour, ce n'est encore qu'en petit nombre que les écrits eux-mêmes du
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moyen-âge ont été offerts à l'appréciation publique. Nous savons que de grands travaux s'accomplissent en ce moment, destinés à combler cette lacune, et que bientôt on verra paraître successivement en notre langue les opuscules de saint Thomas d'Aquin, une traduction nouvelle de sa Somme théologique, Vincent de Beauvais, Durand de Mende et quelques autres; et la lecture rendue plus facile de ces hommes illustres ne pourra que dissiper de plus en plus des préjugés qui n'avaient pour fondement que des écrits d'une réputation un peu moins intacte aujourd'hui qu'autrefois. Désireux d'occuper, par des travaux qui nous fussent profitables, les loisirs que nous laissaient les fonctions du saint ministère, nous avons, nous aussi, tenté d'aborder les écrits d'un des hommes éminents du moyen-âge. Nos idées n'avaient pas été meilleures que celles que nous venons de blâmer, et il nous était agréable de juger par l'expérience sur quel fondement elles reposaient. Nous nous sommes donc adressé à l'homme qui nous parut devoir le mieux nous faire connaître la piété telle qu'elle était enseignée alors, à saint Bonaventure, dont les écrits, ainsi que nous l'avons dit, ont couru là France entière pendant trois siècles. Il n'était point facile, croyons-nous, de mieux choisir. Saint Bernard s'offrait bien comme le plus illustre mystique de cette époque; mais il a été de tout temps placé hors ligne dans les jugements portés sur son temps, et ce que nous voulions, c'était un de ces auteurs dont la réputation nous eût paru bonne seulement pour les âges où ils vécurent. Peut-être devrions-nous retracer au moins brièvement
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la vie de l'homme illustre dont les ouvrages nous furent si longtemps inconnus; mais cette vie, on la trouve dans toutes les collections de vies de saints, et ce que nous en pourrions dire n'ajouterait que fort peu de chose à ce qu'en ont lu ou peuvent en lire facilement tous ceux qui posséderont cette traduction. C'est donc de l'écrivain seulement que nous voulons parler. Saint Bonaventure nous semble avoir été destiné par la Providence à faire aimer la vérité, comme saint Thomas l'avait été à la faire connaître. Si, par l'exactitude de sa doctrine, par la sublimité et la profondeur de ses enseignements, celui-ci a environné chacun des dogmes de notre sainte religion comme d'une muraille inexpugnable, celui-là nous a révélé tout ce qu'il y avait de douceur, de tendresse et de suavité dans les présents du ciel à la terre. L'un était appelé à forcer l'esprit à s'incliner devant l'évidence, les yeux à s'ouvrir â la lumière, l'erreur à se déclarer impuissante et sans force; l'autre, à amollir les curs les plus insensibles, à faire répandre de douces larmes à la piété, à embraser les âmes d'une ardeur ineffable et divine, à faire goûter, en un mot, combien le Seigneur est doux et combien son fardeau est léger. Thomas d'Aquin, c'est l'aigle qui s'élance dans les profondeurs de l'éternité pour y découvrir les secrets de Dieu, c'est l'Apôtre qui expose aux regards de l'univers, les mystères insondables de nos dogmes sacrés; Bonaventure, c'est le disciple bien-aimé qui se repose sur la poitrine de Jésus durant la Cène, c'est l'Epouse qui s'élève du désert de cette vie, appuyée sur son Bien-aimé (1).
1 Joan., XIII. Cant. 8.
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La mission de saint Bonaventure est donc de faire aimer. Il est brillant de lumière, sans doute, il illumine ; mais qu'on lise ses oeuvres, et l'on verra qu'il a reçu avant tout le don d'embraser. Il a parlé sur tous les degrés de la vie spirituelle, depuis les humbles commencements de l'âme qui sort du péché, jusqu'aux ravissements de l'extase; et partout il s'est exprimé comme un homme qui a médité, approfondi et expérimenté ce qu'il avance; partout il a répandu les douceurs ineffables d'un coeur brûlant de la divine charité. Aucun des mouvements de l'âme ne lui est étranger ; on dirait qu'il l'a sondée jusque dans ses replis les plus intimes, mais toujours pour la dépouiller de ce qui est terrestre et la pénétrer de l'amour des biens célestes. Ce n'est point ici un panégyrique que nous écrivons. Nous en appelons à quiconque voudra l'expérimenter comme nous par une lecture attentive et sérieuse. On verra s'il est possible de porter l'homme plus puissamment au mépris de soi-même, à la pratique sincère de l'humilité, au dépouillement parfait et sans réserve de tout ce qui est humain, à l'amour de la pauvreté, à la charité envers le prochain, à l'union à Dieu, en un mot, pour me servir du langage de l'Apôtre, « à tout ce qui est véritable, à tout ce qui est honnête, â tout ce qui est juste, à tout ce qui est saint, à tout ce qui peut rendre aimable, à tout ce qui est une source de bonne odeur, à tout ce qui est vertueux, à tout ce qui est louable dans le règlement des bonnes moeurs (1). » Et dans sa doctrine rien ne dé-, courage l'âme, rien n'attriste le coeur. Il sait balbutier
1 Philip., 4.
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avec ceux qui sont simples, être aimable et caressant aveu les faibles, élevé et sublime avec ceux qui sont plus avancés. A tous il laisse continuellement entrevoir l'espérance d'atteindre les voies les plus avancées de la perfection et de l'amour. Cependant, qu'on ne croie pas que dans ces ouvrages se puisse rencontrer le moindre danger pour l'âme sans expérience. Le Docteur séraphique surabonde d'amour, il est vrai, mais il excelle en sagesse et en prudence. Il nous entraînera à aimer ; mais ce sera en nous donnant pour appui l'humilité, pour guide l'obéissance et pour aide toutes les vertus propres à éloigner de nous l'illusion. Saint François de Sales met, en tête des ouvrages qu'il conseille, les Méditations de notre saint sur la vie de Jésus-Christ. Et, certes, personne n'accusera le livre de l'Introduction à la vie dévote de manquer de discernement dans le choix des écrits qu'il indique. Nous citerons, dans un instant, quelques témoignages illustres en faveur des autres ouvrages, et ce sera assez, croyons-nous, pour lever tout doute à ce sujet. Saint Bonaventure n'est pas seulement un Docteur illustre, il est Gomme l'écho des auteurs du moyen-âge et même des siècles les plus brillants de l'Église. Saint Bernard, saint Anselme, Hugues et Richard de Saint-Victor, et un grand nombre d'autres auteurs moins connus, lui sont familiers. Il les cite comme un homme pénétré de leur doctrine, comme un disciple qui s'attache à marcher sur leurs traces. Saint Ambroise, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Jérôme, saint Jean de Damas, le vénérable Bède, saint Grégoire le Grand, saint Denis l'Aréopagite, viennent tour-à-tour embellir ses écrits de leur
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autorité si grave et si imposante. Il est, dans ses oeuvres, des traités où il semble s'oublier et disparaître pour ne mettre en avant que ces grands personnages ; et ces traités ne sont ni les moins beaux, ni les moins importants. Ils n'en sont pas moins l'oeuvre du Docteur séraphique , car les auteurs qu'il appelle à son secours ne font qu'ex-poser la pensée qui lui est propre, et lorsque Bernard, Anselme, Augustin, Grégoire nous parlent, c'est toujours Bonaventure qui nous ouvre son coeur et nous enseigne par la bouche de ceux que son humilité lui a montrés comme plus aptes que lui à nous dire les choses du ciel. Il se rencontre, de temps à autre, quelques citations extraites d'ouvrages attribués de son temps à des auteurs d'un nom glorieux et que depuis on reconnaît leur être étrangers. Nous n'avons pas cru devoir noter ces passages, car, outre que ces ouvrages sont graves en eux-mêmes, les endroits cités par un Docteur de l'Église nous ont paru, par cela seul, mériter autant de considération que le reste de ses écrits ; ils ne sont que l'expression de sa pensée, l'énoncé de ses doctrines. D'ailleurs, l'Église, en plaçant un écrivain au rang de ses Docteurs, a commencé par examiner ses oeuvres, et l'honneur qu'elle fait à ses enseignements, en l'élevant à un degré si haut, nous marque assez quelle autorité elle a voulu leur conférer. Devrons-nous maintenant dire quelques mots du style du Docteur séraphique? Tout le monde sait que dans les auteurs mystiques on s'occupe moins de la forme que du fond, et qu'un langage bien compassé n'est pas toujours celui qui est le plus fécond en effets salutaires. Le style de notre saint est humble comme son coeur, alors que sa
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pensée est sublime et magnifique, et cependant il enflamme et il brûle. On oublie sa parole pour admirer son amour; on le sent et on le goûte plutôt qu'on ne l'écoute parler. Son langage est comme la grâce qui s'infiltre dans l'âme sans qu'on sache comment elle y fait son entrée (1). Ne lui demandez pas qu'il s'exprime en périodes- polies et bien cadencées ; il le pourrait s'il le voulait, car il n'est pas insensible à ce qui est beau ; mais ce qu'il lui faut, c'est une démarche libre et sans gêne : peu lui importe le style, pourvu qu'il fasse aimer la vertu, aimer les biens célestes, aimer son Dieu. Cependant, qu'on ne s'imagine pas que la lecture de ses oeuvres soit sans charmes : en le lisant, on oublie l'homme, comme il s'est oublié lui-même ; on rougit de soi-même, on soupire après une perfection plus grande, on se sent animé à tenter les efforts requis pour y parvenir, on goûte combien Dieu est aimable et combien il est 'admirable dans les divines opérations de sa grâce. Certes, les résultats d'une pareille lecture valent bien les agréments souvent sans fruit d'une élocution plus pompeuse. Il est temps maintenant de faire connaître comment saint Bonaventure a été jugé dans les différents âges qui l'ont suivi. On sait combien saint Thomas d'Aquin estimait sa doctrine et combien il l'admirait sincèrement. L'estime seule du plus grand génie du moyen-âge suffirait pour faire la réputation d'un homme; mais après saint Thomas viennent d'autres noms glorieux. D'abord, c'est Gerson. Voici comment il s'exprime :
1 Joan., 3.
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Les ouvrages de Bonaventure me paraissent les plus propres pour l'instruction des fidèles. Ils sont solides, sûrs, pieux et dévots. On n'y trouve point de ces subtilités ni de ces vaines questions de scolastique qui avaient beaucoup de cours dans le temps. Il n'y a nulle a part une doctrine plus élevée, plus divine et plus capable de conduire à la piété. » D'autres Docteurs sont appelés Chérubins; mais Bonaventure est, en toute vérité, à la fois Chérubin et Séraphin, car il enflamme le coeur et éclaire l'intelligence ; il ramène l'âme à Dieu et l'y unit par un amour ardent (1). » Après Gerson, l'abbé Trithême nous dit : « Les expressions de Bonaventure sont pleines de feu ; elles n'enbrasent pas moins de l'amour divin ceux qui les lisent, qu'elles n'éclairent leur esprit des plus pures lumières. Ses ouvrages surpassent tous ceux des Docteurs du même siècle par leur utilité, si l'on considère l'esprit de charité et de dévotion qui y règne. Le saint Docteur est profond sans être diffus, subtil sans curiosité, éloquent sans vanité Ainsi , quiconque veut être savant et dévot, doit s'attacher à la lecture de ses ouvrages (2). » « Il a écrit de telle sorte sur les choses divines, dit la bulle de sa canonisation , que l'Esprit-Saint semble s'être exprimé par sa bouche. » La bulle qui le met au rang des Docteurs de l'Église, s'exprime d'une manière non moins glorieuse pour lui.
1 De exam. doctr. de libris quos religios., etc. 2 De scrip. ecclesiast.
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« Saint Bonaventure, y est-il dit, persuade et pénètre jusqu'au plus profond du cur celui qui le lit; il le transperce de l'aiguillon du Séraphin, il l'arrose des eaux pleines de suavité de la dévotion. » Le pieux Louis de Grenade, dont les ouvrages ont mérité que le grand pape Grégoire XIII dit de leur auteur, qu'il avait fait plus de bien en les composant que s'il eût rendu la vie aux morts et la vue aux aveugles ; Louis de Grenade, parlant de saint Bonaventure, dit : « Son autorité me semble si considérable, que je ne veux rien dire après lui (1) Le témoignage de ce saint doit être de grande autorité, ce glorieux Docteur ayant été si remarquable, tant en science et en sainteté que dans l'esprit de dévotion qu'il a eu en un haut degré, et qui ne lui a fait écrire sur ce sujet que ce qu'il a su par expérience (2). » Nous pourrions prolonger ces citations; mais celles que nous venons d'exposer sont assez graves pour nous montrer l'importance des écrits du Docteur séraphique. Disons maintenant un mot de chacun des traités renfermés dans ce volume. Le premier est intitulé : Méditations sur la vie de Jésus-Christ. Il fut écrit pour une religieuse de l'ordre de sainte Claire, qui suivait, comme on sait, la règle de saint Francois. C'est un des plus importants ouvrages de notre saint. Fleury en a parlé comme un homme qui a jeté dessus à peine un regard dédaigneux, ou plutôt comme il a coutume de parler de ce qui tient au moyen-âge. Écoutons
1 Traité de l'Amour de Dieu, addition au Mémorial. 2 Mémorial, liv. 3, ch. 10, S'il est bon de communier souvent.
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un témoignage qui vaut bien le sien, celui du grand cardinal Wiseman, une des gloires de l'Église à noire époque. Il est tiré de ses conférences sur les offices de la Semaine sainte. « Il est, dit-il, un autre auteur ayant traité cet inépuisable sujet, qui, plus qu'aucun autre, justifiera tout ce que j'ai dit, et qui, en outre, prouve toute l'influence que les offices de la Passion peuvent exercer sur les sentiments habituels d'un chrétien. Je parle des excellentes Méditations de saint Bonaventure sur la vie de Jésus-Christ, ouvrage dans lequel on ne sait quoi le plus admirer : ou de la richesse d'imagination qu'aucun poète n'a surpassée, ou de la tendresse des sentiments, ou de la variété des applications. Après nous avoir conduits à travers tous les touchants événements de l'enfance et de la vie de notre Sauveur, arrivé aux dernières scènes si impressives, sa marche se ralentit par la variété de ses belles, mais mélancoliques idées ; alors il ne procède plus d'année en année, ou de mois en mois, ni même de jour en jour ; mais chaque heure a sa méditation propre, et chaque acte de la dernière tragédie lui fournit matière à de pathétiques considérations. Quand, à la fin, il en vient à nous proposer une méthode pour réduire en pratique ses saintes contemplations , il les distribue de manière que l'espace compris entre le lundi et le mercredi embrasse toute la vie de notre Sauveur, et que du jeudi au dimanche inclusivement, chaque jour est tout entier consacré au mystère que l'Église, dans la Semaine sainte, lui a affecté. C'est ainsi que, comme l'ont fait beaucoup d'autres, il étend
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à toute l'année les solennelles commémorations de la semaine dans laquelle nous allons entrer, faisant par là, dans l'intérêt de la piété et de la sanctification individuelle, ce que l'Église a fait pour le bien public (1). » Pour nous, ce passage seul d'un écrivain dont le monde entier a admiré les écrits, et dont la science universelle est si activement consacrée à l'extension de notre sainte religion, ce passage, disons-nous, a plus de valeur, quand il s'agit d'émettre un jugement sur un auteur du moyen-âge, que tout ce qu'auraient pu en dire Fleury, du Pin et autres auteurs de ce genre. Le second traité c'est l'Arbre de vie. La préface du saint qui se trouve en tête, indiquera le plan de ce charmant. et pieux ouvrage qui fait naturellement suite aux Méditations. Le troisième a pour titre : Les cinq fêtes de l'Enfant Jésus. C'est un des beaux écrits du Docteur séraphique. Il y examine, avec toute l'effusion de son coeur brûlant d'amour, comment l'âme peut concevoir, mettre au monde, appeler du nom de Jésus, adorer arec les Mages et offrir à Dieu spirituellement celui qui a pris naissance de l'auguste vierge Marie pour le salut du genre humain. Le quatrième est un chant en l'honneur de la croix. C'est le bouquet de myrrhe que notre saint, à l'exemple de saint Bernard, avait placé sur son coeur. Il est en prose rimée selon l'usage du temps, ainsi que les deux suivants. Le cinquième s'appelle Philomèle. C'est un hymne
1 Confér. sur les offices de la Semaine sainte : Démonstrat. évangél., t. 16, colon. 575.
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d'amour que l'âme chante à son Dieu au souvenir des bienfaits de la création et de la rédemption, et à la fin duquel elle se détache de son corps pour aller se réunir à celui qui fut l'unique objet de ses désirs sur la terre. La piété la plus touchante règne, d'un bout à l'autre, dans ce petit ouvrage. Le sixième est un pieux souvenir des Sept paroles de Jésus-Christ en croix. On y sent l'âme de notre saint; on y retrouve ce coeur qui ne pouvait se rassasier de ce qui lui rappelait les souffrances de son Dieu. Les volumes suivants comprendront des matières non moins importantes et non moins propres à attirer l'attention des âmes pieuses. Nous en dirons un mot au commencement de chacun de ces volumes. Qu'il nous soit maintenant permis de terminer cette préface déjà bien longue par les paroles d'un homme dont les pieux ouvrages sont entre les mains de tout le monde. Que n'a-t-il tenté de mettre à exécution le voeu qu'il exprime? Son coeur était digne de comprendre et de faire connaître le Docteur séraphique. « Saint Bonaventure, dit-il, cet aigle de saint Jean, sorti du coeur de François, s'éleva à une hauteur infinie; il a contemplé ce que l'oeil vulgaire ne voit pas, il a entendu ce que l'oreille de la foule ne soupçonne pas; et lorsque ce grand saint, que je croirais amoindrir en le comparant à Platon, laisse tomber quelques paroles sur la terre, le génie se tait et écoute religieusement ces échos d'une science surhumaine. J'ai toujours demandé à Dieu la grâce de pouvoir écrire l'histoire de la vie et des doctrines pie saint Bonaventure; je suis
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effrayé d'une lâche aussi grande En prononçant ici ce nom glorieux entre tous les noms, nous avons voulu seulement indiquer comment, sous l'influence franciscaine, la science prit un caractère particulier et forma une grande couronne séraphique. » (Histoire de saint François d'Assise par M. Émile Chavin de Malan (1) .)
Senneçay, le 29 septembre 1853.
1 P. 16.4 |