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LES CINQ FÊTES DE L'ENFANT-JESUS.
Première Solennité. De la Conception de l'Enfant-Jésus. Seconde Solennité. De la naissance de l'Enfant-Jésus. Troisième Solennité. De l'imposition du nom de Jésus. Quatrième solennité. De l'adoration des mages. Cinquième Solennité. De la Présentation de l'Enfant-Jésus dans le Temple.
Préface.
Selon le sentiment et la doctrine d'hommes vénérables, qui ont été favorisés dans l'Église de Dieu d'une abondance plus grande de lumières et embrasés des ardeurs les plus intenses de la céleste piété, la méditation de la personne du doux Jésus, la divine contemplation du Verbe incarné, enivre l'âme dévote de suavité et de délices auxquelles on ne saurait comparer ni la douceur du miel, ni l'odeur des parfums les plus exquis, en même temps qu'elle la console et la fortifie d'une manière qui ne laisse rien à désirer. C'est pour cela que, m'étant dérobé un peu au tumulte des affaires, et réfléchissant en moi-même sur quel point de l'Incarnation divine je pourrais occuper mon âme pendant ce temps, afin de recevoir quelque consolation spirituelle, de goûter, au moins comme en un miroir, quelque douceur surnaturelle en cette vallée de larmes, et de mépriser ensuite plus parfaitement toute consolation passagère et trompeuse, il me vint en esprit, et cela d'une manière presque irrésistible, qu'une âme pieuse pouvait concevoir spirituellement, par la vertu du Très-Haut, enfanter et, appeler de son nom le Verbe béni, le Fils unique de Dieu le Père, le chercher et ladorer
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avec les bienheureux Mages, et enfin l'offrir avec bonheur dans le temple à Dieu son Père, selon la loi de Moïse ; qu'ainsi, comme une vraie disciple de la religion chrétienne, cette âme pouvait célébrer, avec une ferveur pleine de tout respect, les cinq fêtes que l'Église a établies en l'honneur de l'Enfant-Jésus. Comme j'ai conçu avec humilité ce projet, je l'ai écrit en paroles humbles et j'ai omis, pour être plus court, les passages des auteurs qui pouvaient s'y rapporter. Si quelqu'un, se servant de cet humble et faible traité pour ses, méditations, sent naître en le lisant quelque légère étincelle de dévotion envers le très-doux Jésus, qu'il loue, bénisse et glorifie ce même Seigneur comme le principe, la source et l'auteur de tout bien ; s'il n'éprouve rien ou s'il éprouve moins qu'il n'espérait et qu'il navait droit d'attendre, qu'il l'attribue et l'impute à celui qui a écrit ces lignes, à moins peut-être qu'il ne doive en demander compte à son peu de dévotion et à son manque d'humilité.
Première Solennité. De la Conception de l'Enfant-Jésus.
C'est après avoir purifié son intelligence par les larmes de la contrition, après l'avoir enflammée et élevée par l'ardeur dévorante de l'amour, par de chastes méditations et de pieuses pensées, que l'on doit considérer comment ce Fils béni de Dieu, Jésus-Christ, est conçu spirituellement en l'âme dévote. Lorsque cette âme, poussée et stimulée par l'espoir de la suprême récompense, ou par la crainte du supplice éternel, ou enfin par l'ennui d'un trop long séjour en cette vallée de larmes, est visitée par de nouvelles lumières, elle s'embrase par de saintes affections et se plonge dans
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l'anxiété par de célestes méditations. Alors , rejetant et méprisant ses anciens défauts, ses désirs des premiers temps, acceptant le nouveau genre de vie qui lui est proposé par le Père des lumières, de qui vient tout bien excellent et tout don parfait, elle devient spirituellement féconde parle souffle de la grâce. Mais en ce moment, que se passe-t-il en elle, sinon que la vertu du Très-haut survient, l'ombrage d'un rafraîchissement tout divin, apaise les feux de sa concupiscence, communique eux yeux de son esprit une force nouvelle et une aptitude plus grande, et que le Père céleste répand en cette âme une semence divine, la rend enceinte et la féconde ? Après cette conception sacrée, son visage devient pâle dans les conversations, sous l'impression d'une humilité réelle; elle éprouve en soi du dégoût pour toute nourriture, parce qu'elle est pleine de mépris pour ce qui est de ce monde et le rejette entièrement. Ses désirs ont varié dans leurs objets, depuis qu'elle a en vue des biens d'un ordre différent. Quelquefois même elle se sent languissante et malade du besoin qu'elle éprouve de détruire sa volonté propre. Elle s'avance triste et agitée à cause des péchés commis autrefois, du temps perdu et de l'obligation où elle est de vivre et de converser dans le monde avec des hommes dont la vie est toute profane. Et même, de jour en jour, tout ce qui est extérieur , tout ce qui frappe les yeux du corps, commence à lui devenir plus à charge, à lui être un sujet d'ennui , parce qu'elle voit intérieurement , parce qu'elle entend intérieurement.
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O heureuse conception qui est suivie d'un tel mépris du monde, d'un tel désir des opérations célestes ! L'esprit. n'a fait qu'en ressentir un peu les effets, et déjà la chair est un fardeau et une source de gémissements, déjà l'âme s'élève avec Marie vers les montagnes; tout ce qui est terrestre lui devient insipide après une telle conception ; ce qui est céleste et éternel est son seul désir. Déjà l'âme se met avec Marie à servir Elisabeth, c'est-à-dire ceux que la grâce divine embrase davantage d'amour. Et ce qui est. vraiment digne de remarque et à quoi il est nécessaire que beaucoup fassent attention, c'est qu'alors plus on se sépare du monde, plus on se rend aimable et plus on s'unit à ceux qui sont bons, en sorte qu'à mesure que la société des méchants devient plus insipide, la société des justes et des hommes spirituels devient plus douce, touche et enflamme davantage notre coeur. La raison, c'est que, selon saint Grégoire (1), « celui qui s'attache à un homme saint trouve dans lassiduité de ses rapports avec lui , dans l'habitude de ses entretiens , dans les exemples de sa vie, quelque chose qui l'embrase d'amour pour la vérité, dissipe les ténèbres du péché et le fait soupirer avec ardeur après la divine lumière. » C'est pour cela que saint Isidore s'écrie (2) : « Recherchez la société des bons, car il arrivera que , si vous êtes le compagnon de leur vie, vous le serez de leurs vertus. » Que l'âme fidèle pense donc combien purs et combien saints étaient les entretiens
1 Greg., hom, 5 in Ezech. 2 Isid. De cont. mun., etc.
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de ces âmes vraiment célestes, combien divins et combien salutaires étaient leurs conseils , combien admirables les oeuvres saintes de leur charité mutuelle , alors qu'elles s'excitaient l'une l'autre, par leurs paroles et leurs exemples, à ce qu'il y avait de plus parfait. Ainsi devez-vous agir, ô âme dévote ! si vous sentez que, par la vertu de l'Esprit-Saint, vous avez connu de nouveaux désirs d'une vie céleste. Fuyez la société des méchants , élevez-vous sur les hauteurs avec Marie, recherchez les conseils des hommes spirituels, appliquez-vous à suivre les traces des parfaits, écoutez les paroles des bons , considérez leurs ouvres et les exemples qu'ils vous donnent. Fuyez les conseils empestés de ceux qui sont pervers; ils ne tendent qu'à vous pervertir vous-même, ils ne s'appliquent qu'a entraver votre marche, ils ne s'agitent que pour mettre en lambeaux les nouvelles inspirations de l'Esprit Saint et souvent, sous une apparence de bien et de piété, ils vous infiltrent le poison d'une tiédeur impie, en disant: « Ce que vous entreprenez est trop grand; ce que vous vous proposez, trop élevé; ce que vous vous faites est intolérable; vos forces ne sont pas suffisantes; la capacité de votre esprit est au-dessous d'une telle tâche; la tête s'y fatigue; les yeux s'y détruisent; les infirmités diverses y trouvent leur aliment, comme la phthisie, la paralysie, l'inflammation du corps, les vertiges, la perte de la vue, l'affaiblissement des sens, l'obscurcissement de la raison , l'anéantissement des forces. Vous serez sujette à toutes cos infirmités, si vous
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ne renoncez à cette entreprise , et si vous ne vous appliquez davantage à soigner votre corps. De telles choses ne conviennent pas à votre état; par là vous perdez votre honneur et le respect qui vous est dû. » Voyez-vous comment celui qui ne sait pas régler sa propre conduite et guérir l'infirmité de son âme , est devenu un directeur habile et un médecin expert du corps? Hélas! hélas! combien ces conseils maudits du monde ont supplanté d'hommes, et quels hommes! Dans combien de coeurs ils ont enlevé la vie au Fils de Dieu conçu en eux par l'Esprit-Saint ! Cette persuasion diabolique est la potion perfide et mortelle qui empêche en beaucoup la conception spirituelle, qui étouffe et détruit le fruit déjà conçu par une résolution bien arrêtée ou déjà même conduit à sa perfection par le lien de la religion. Il y en a d'autres qui semblent bons et religieux, et qui peut-être le sont, mais que je déclare cependant, malgré le respect que je leur dois, d'une timidité excessive. Ils ne remarquent point que la main du Seigneur n'est point raccourcie pour ne pouvoir plus sauver (Isaïe, 59) ; ils ne considèrent point que la charité du Très-Haut n'est point diminuée pour ne plus nous venir en aide. Ils ont le zèle de la gloire de Dieu, il est vrai, mais non un zèle selon la science, quand par une compassion inspirée par les afflictions corporelles, ou bien peut-être par crainte d'une impuissance naturelle, ils éloignent leurs frères des oeuvres de perfection, alors qu'ils en voient d'autres agir généreusement.
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alors qu'ils jugent depuis longtemps eux-mêmes ce genre de vie saint et excellent, quoiqu'ils n'aient jamais eu le courage de le mettre en pratique. Ils dissuadent de tout ce qui excède le train de la vie commune , détruisent les saints conseils de linspiration divine; et leurs conseils sont , par le genre de vie qu'ils persuadent, d'autant plus dangereux qu'ils sont plus écoutés. D'autres encore nous objectent et nous disent avec une adresse vraiment digne de notre antique ennemi: « Si vous faites telle ou telle chose , vous passerez pour un homme saint et excellent, religieux et dévot; mais comme en vous il n'y a pas ce que les autres croient y voir, en présence du Juge suprême qui connaît les grands, les énormes et horribles péchés dont vous êtes chargé, vous serez trouvé coupable ; dans le temps présent vous perdez le mérite de vos bonnes oeuvres, et plus tard vous serez considéré comme un fourbe et un hypocrite. » Ils avancent que de semblables exercices doivent être le partage de ceux qui n'ont fait aucun mal, de ceux qui ont vécu dans la sainteté et l'innocence ; qui ont tout abandonné pour Dieu, et durant leur vie entière se sont attachés à lui d'une manière parfaite. Mais, ô âme dévouée à Dieu, âme chérie de lui, évitez de tels hommes : élevez-vous avec Marie sur la montagne. Paul n'avait pas vécu sans péché; il n'y avait pas longtemps qu'il servait Dieu, quand il fut ravi au troisième ciel et contempla le Seigneur face à face (1). Marie-Madeleine était toute
1 II Cor., 12.
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pleine d'orgueil et d'ambition , toute appliquée aux vanités du monde , toute adonnée aux passions de la chair; et cependant peu de jours s'étaient à peine écoulés depuis une semblable vie, qu'elle prenait place aux pieds de Jésus parmi les saints Apôtres, et écoutait avec l'intention de la mettre en pratique la pieuse doctrine de la perfection. La première, elle mérita bien peu de temps après sa conversion, de voir le Seigneur ressuscité, et elle rendit, sans jamais flotter incertaine, témoignage à la vérité. C'est qu'en Dieu il n'y a pas acception de personnes (1); il n'a point d'égards pour les grandeurs du rang, pour la longueur du temps, ni pour la multitude des oeuvres ; mais il considère la ferveur plus intense, la charité plus vive de l'âme dévote. Il ne regarde pas ce que vous avez été autrefois, mais ce que vous avez commencé à être. Aussi les conseils qui s'éloignent de cotte doctrine seraient très-répréhensibles, s'ils n'étaient excusés par la simplicité de ceux qui les donnent, et l'on ne peut les approuver en aucune façon. Vous donc, ô âme que la semence divine a rendue féconde, fuyez ces conseils insensés. Si vous n'avez pas les yeux du lynx , au moins ne rejetez pas les yeux de l'homme : il est encore meilleur de posséder un bien en partie que d'en être privé de tout en tout. C'est un malheur de perdre parce qu'on a perdu déjà, et c'est une folie de ne vouloir point avancer parce qu'on a reculé. Si vous ne pouvez vous sauver avec l'innocence, tâchez de le faire par la pénitence. Si
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vous ne pouvez être ni Catherine, ni Cécile, ne dédaignez pas d'être Marie-Madeleine ou Marie Egyptienne. Si vous avez perdu votre jeunesse, au moins ne perdez pas votre veillasse. Si, jusqu'à ce jour, vous avez vécu au milieu des agitations de la mer, mourez au moins dans le calme du rivage. Si donc vous sentez que, par une sainte résolution, vous avez conçu Jésus, le très-doux fils da Dieu, fuyez les poisons mortels que je viens de vous faire connaître. Hâtez-vous , désirez, à l'exemple de celle qui a conçu , arriver à un enfantement heureux ; que ce soit l'objet de tous vos soupirs. Vous devez remarquer que la bienheureuse Vierge n'a pas mis au monde son Fils aussitôt après lavoir conçu, mais qu'il s'écoula neuf mois avant ce temps ; ce qui n'est pas sans mystère et nous apprend qu'il ne faut pas croire à tout esprit. Ainsi , ô âme dévote, quand vous serez éclairée de lumières ou de révélations nouvelles, quand vous serez illuminée par des inspirations inaccoutumées, et qu'au dedans de vous-même vous vous sentirez enflammée par des projets d'une grande perfection , ne vous hâtez pas de passer de la pensée à l'exécution, mais délibérez attentivement en vous-même et avec des hommes vertueux, surtout avec ceux qui sont versés en ces sortes de choses, pour savoir si ce qui vous est inspiré est permis, s'il convient, s'il est à propos, s'il s'accorde avec les enseignements des Prophètes, s'il n'est point contraire à la doctrine des apôtres et des saints Docteurs , s'il offre quelque ressemblance ou quelque
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dissemblance avec les exemples des saints; et alors hâtez-vous d'agir suivant les pensées que vous avez reçues ; ou bien débarrassez-en aussitôt votre esprit , car il est dangereux de recevoir fréquemment et de garder longuement en son coeur ces sortes d'inspirations, pour n'en retirer qu'un profit médiocre ou même nul dans l'accomplissement du bien.
Seconde Solennité. De la naissance de l'Enfant-Jésus.
Remarquez , en second lieu, et considérez comment le Fils béni de Dieu naît spirituellement en notre âme. Il y prend naissance, lorsqu'après avoir formé un sage dessein, après avoir suffisamment mûri l'affaire, après avoir invoqué le secours d'en haut, on amène à effet cette sainte résolution. Il y prend naissance lorsque l'âme commence à agir et à réduire en oeuvre ce qu'elle a médité longuement au dedans d'elle-même, lorsqu'elle se met à exécuter courageusement ce qu'elle s'était proposé d'accomplir depuis longtemps, sans toutefois oser l'entreprendre par la crainte de défaillir dans son entreprise. Or, en cette naissance bienheureuse, les Anges font éclater leurs jubilations; ils glorifient Dieu et annoncent la paix. Car c'est lorsque l'âme exécute par les bonnes oeuvres ce qu'elle a conçu longuement, que la paix intérieure se rétablit. En effet, dans le royaume de l'âme, la paix divine n'est jamais bien stable quand la chair est en lutte avec l'esprit et l'esprit avec la
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chair; quand l'esprit soupire après la solitude et la chair après le tumulte; quand l'esprit cherche le repos de la contemplation avec Dieu et que la chair ambitionne les honneurs d'un haut rang dans le siècle; quand Jésus-Christ attire l'esprit et le monde la chair. Au contraire, lorsque la chair est placée sous le joug de l'esprit, lorsque le bien, longtemps empêché par la chair, s'accomplit enfin, la paix se rétablit et l'allégresse intérieure commence à renaître. En cette naissance, on n'entend point de cris lamentables, on ne sent point de douleurs déplorables, on n'est point soumis à des déchirements cruels, mais on est dans l'admiration à la vue de la pureté qui l'accompagne, dans l'allégresse en présence du prodige nouveau que Dieu opère, et on le glorifie du courage et de la facilité qu'on éprouve. Oh! que bienheureuse est cette naissance qui produit une joie si vive chez les Anges et chez les hommes! Oh! qu'il serait doux et délectable de voir la nature en arriver là, si sa folie n'y niellait obstacle ! A peine cette folie est-elle calmée, que la grâce sourit à ce qui est naturel en nous et que déjà nous éprouvons combien vraies sont ces paroles de l'Évangile (1) : «Prenez mon joug sur loin; apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau léger. Mais il faut bien remarquer, ô âme dévote, que si vous voulez trouvez une joie vive en cette naissance si aimable, il faut auparavant que vous soyez Marie. Or,
1 Mat., 11.
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Marie signifie mer d'amertume, illuminatrice et souveraine. Soyez donc une nier d'amertume par une contrition toute de larmes. Pleurez amèrement les péchés que vous avez commis, gémissez profondément sur le bien que vous n'avez point accompli et affligez-vous sans cesse des jours négligés et perdus. Soyez illuminatrice par une vie sans tache, par la pratique des vertus, par votre zèle à établir les autres dans le bien. Soyez enfin souveraine de vos sens, des concupiscences de votre chair et de toutes vos opérations diverses. Faites toutes vos actions selon la droite lumière de votre raison, et en toutes choses désirez et cherchez votre salut, l'édification du prochain , la louange et la gloire de Dieu. Elle est vraiment heureuse, cette Marie qui pleure et gémit sur les fautes commises, est ornée et toute brillante de vertus, et règne avec domination sur toutes les inclinations de la chair. C'est de cette Marie que Jésus-Christ ne dédaigne pas de naître spirituellement dans la joie et sans lui faire ressentir ni douleur, ni fatigue. Après cette naissance heureuse, elle connaît et elle goûte combien suave est le Seigneur Jésus En effet, il est vraiment suave quand il est nourri par de saintes méditations, quand il dst désaltéré aux sources brûlantes des larmes de la dévotion, quand il est revêtu du voile des chastes désirs, quand il est porté dans les bras de la sainte charité, quand il reçoit pour baiser les mouvements répétés d'une tendre piété, quand il est bercé dans le sein d'un esprit tout intérieur. Lorsqu'il naît ainsi, ce n'est pas pour être éloigné aussitôt
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de l'âme qui lui a donné le jour, mais c'est pour être gardé avec le plus grand soin, comme l'enfant des rois. Et ici remarquez bien, âme fidèle, qu'en vous s'opèrent spirituellement ces prodiges qui eurent lieu visiblement à la naissance de Jésus-Christ ; car, selon la doctrine et le sentiment des Docteurs, il s'en accomplit beaucoup en cette naissance bénie. A Rome, les murs du temple de la paix s'écroulèrent jusque dans leurs fondements. Dans le monde entier, ceux qui se livraient aux péchés de Sodome furent frappés de mort subite. Les vignes d'Engaddi fleurirent cette nuit-là et donnèrent un fruit embaumé. Une source d'eau pure fut changée en une source d'huile, et elle coula sans interruption la nuit entière jusque dans le Tibre. Une grande étoile apparut ayant la forme d'un bel enfant sur la tête duquel une croix resplendissait. Trois soleils se montrèrent à la fois en Orient, et peu après ils se réunirent en un seul corps lumineux. En plein jour, un cercle d'or environna le soleil, et, au milieu de ce cercle, on vit une vierge brillante de beauté et portant un enfant sur son sein. Et que dirai-je de plus? Les Anges publiaient d'une manière admirable cette naissance bienheureuse, les bergers l'annonçaient à haute voix, les animaux privés de parole la reconnaissaient. Voilà par quels signes et par quels prodiges la naissance élu Sauveur fut manifestée ostensiblement. Maintenant considérez avec soin, ô âme fidèle, qui désirez être mère de Jésus par la grâce, considérez si
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ces signes, si ces changements merveilleux se renouvellent spirituellement en vous, de façon à pouvoir de quelque manière vous assurer si cette naissance a eu lieu. Remarquez avec la plus vive attention, pensez fréquemment si quelque temple s'est écroulé en vous: je veux dire le désir de la vaine gloire et de l'orgueil ; si l'idole a été renversée, c'est-à-dire l'amour des biens trompeurs et la passion de l'avarice; si les habitants de Sodome s'y rencontrent encore, c'est-à-dire les plaisirs et la concupiscence de la chair. En effet les premiers signes de cette naissance bénie sont quo l'âme se sente débarrassée de l'ambition par la vertu d'humilité, étrangère à l'avarice par le désir de la pauvreté , purifiée des taches de la luxure par l'amour de la chasteté. Considérez ensuite, avec une attention non moins grande, si votre vigne a produit un fruit qui ait le parfum du baume, c'est-à-dire une foule de saintes affections ; si une fontaine d'huile a pris sa source en vous, c'est-à-dire si de votre coeur se répandent les oeuvres de miséricorde. Considérez si trois soleils, c'est-à-dire les trois vertus théologales, se lèvent en Orient, ou autrement dans l'âme dévote, et s'ils se réunissent en un seul par une alliance intime; si une étoile d'une clarté nouvelle, c'est-à-dire la connaissance divine, vous illumine de ses rayons ; si un cercle dor environne le soleil, c'est-à-dire si la charité sainte est en vous l'égale de la lumière; si la Vierge est assise là avec son enfant, c'est-à-dire si une oraison pure accompagnée dune dévotion sincère, possède
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votre amour. Voyez si les animaux offrent leurs adorations, c'est-à-dire si vos sens obéissent parfaitement ; si les rois viennent à la recherche de l'Enfant, c'est-à-dire si les vertus de votre intelligence sont, poussées vers Jésus par des désirs réitérés, par des affections sans cesse renouvelées ; si les Anges, c'est-à-dire toutes les habitudes vertueuses, font éclater leurs jubilations au milieu de l'allégresse où l'âme est plongée; s'ils annoncent la paix par la tranquillité dont jouit l'esprit, et s'ils publient Jésus par la sérénité répandue dans le coeur. Enfin, considérez en dernier lieu, et toujours avec une attention soutenue, si les bergers, c'est-à-dire les saintes méditations, vont trouver dans la crèche Jésus qui rient d'y prendre naissance, le petit Enfant qui vous a été donné. La crèche, c'est votre conscience, fermée en bas par le mépris des choses de ce monde, ouverte en haut par le désir des biens éternels. C'est là le lieu de repos du Roi pauvre; c'est le lieu où sa Mère l'a placé après sa naissance, le lieu où les bergers l'ont trouvé. O crèche bienheureuse qui renfermes le Roi de gloire ! En toi il m'apparaît sans voix comme une bête de somme, et cependant il est le pain qui sustente les Anges. C'est de toi que se nourrissent les animaux sans parole, de toi que se rassasie l'âme dévote ; et bien qu'improprement, je te déclare bienheureuse. Mais pourtant je dis plus heureuse encore la conscience fidèle : elle n'est pas par sa nature, il est vrai, ce que tu es toi-même ; mais celui que
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tu contiens en son corps, elle le renferme spirituellement en elle-même.
Troisième Solennité. De l'imposition du nom de Jésus.
Il nous faut voir, en troisième lieu, quel nom il convient de donner à ce petit Enfant qui vient de prendre une naissance toute spirituelle. Pour moi, je pense qu'on ne saurait lui donner un nom plus convenable que le nom de Jésus, car il est écrit (1) : « Il fut appelé du nom de Jésus, qui était le nom que l'Ange lui avait donné avant :qu'il fût conçu dans le sein de sa Mère. » C'est le nom très-saint annoncé par les Prophètes, le none par excellence, plein de vertu, de grâce, de félicité, de délices et de gloire. C'est un nom de vertu, parce qu'il surmonte les ennemis, rassemble les habitants dispersés de la cité, répare les forces, rappelle les esprits dans la voie véritable. Cest un nom plein de grâce, parce qu'en lui nous trouvons le fondement de notre foi, le soutien de notre espérance, l'accroissement de notre charité, le complément de notre ,justice. C'est un nom de félicité, parce qu'il est pour le coeur une jubilation, pour l'oreille une mélodie, pour la bouche un miel exquis, pour l'esprit une splendeur éclatante. C'est un nom de délices, parce que médité il est une nourriture, proféré un adoucissement, invoqué une onction, écrit une réparation de nos forces, et mis en pratique un guide et un soutien.
1 Luc., 2.
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C'est vraiment un nom de gloire, car il a rendu la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, la vie aux morts et l'usage de leurs jambes aux boiteux. O nom béni qui nous apparaît suivi de tant de prodiges! O âme, soit que vous écriviez, soit que vous lisiez, que vous enseigniez ou que vous fassiez quelqu'autre chose, que rien ne vous réjouisse, que rien ne vous soit agréable, s'il n'y a point le nom de Jésus. Que l'Enfant qui est engendré spirituellement. en vous porte donc le nom de Jésus, qu'il soit appelé Fils de Dieu, Splendeur de la gloire, Image parfaite de la substance paternelle, Verbe du Père, Vertu du Tout-Puissant, Héritier de toutes choses, Roi des rois, Seigneur des seigneurs. Qu'il possède ce nom auquel est joint celui de Christ, qui veut dire oint, et à juste titre, car il a reçu l'onction sacrée pour être un prophète, ainsi qu'on le voit par l'abondance de sa doctrine; pour être un combattant, ainsi qu'il l'a prouvé en vainquant le démon ; pour être un prêtre, comme il l'a montré en nous réconciliant avec son Père; pour être un roi, comme il le manifestera au jour oit il distribuera les récompenses. Mais qu'il ait pour lui tous ces titres auxquels il fera participer les enfants de sa gloire. Que pour vous , Jésus soit seulement un Sauveur dans cet exil et les misères de la vie. Qu'il vous sauve, dis-je, de la vanité de ce monde qui vous attaque ; des ruses du démon qui vous assiège ; de la fragilité de la chair qui vous persécute. Criez, ô âme dévote, criez au milieu des fléaux nombreux de cette vie : « O Jésus,
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sauveur du monde ! sauvez-nous, vous qui nous avez rachetés par votre Croix et au prix de votre sang. Sauvez-nous, ô très-doux Jésus, en for- tillant celui qui est faible, en consolant celui qui est dans les larmes, en secourant celui qui se sent tomber, en affermissant celui qui vacille. » Mais hélas ! il est une chose que je rapporterai en pleurant, une chose qui n'est pas sans mystère. C'est que ce n'est pas aussitôt après sa naissance qu'il est circoncis et qu'il reçoit son nom ; mais il faut, selon la loi, attendre le huitième jour. Je pense que par le nombre sept, qui est renfermé en ce premier nombre, est figurée l'universalité des vertus divines et morales avec l'unité et le lien de la paix. Car c'est après avoir supporté toute adversité par la force, après avoir sustenté les pauvres et les indigents par la justice, après avoir vaincu la concupiscence par la tempérance, après avoir évité les embûches du monde et de l'antique ennemi par la prudence, après avoir compris par la foi que Dieu est le créateur de toutes choses, après avoir, en toutes ses oeuvres, fixé sur lui les regards de son espérance, connue sur le rémunérateur suprême, après l'avoir aimé de tout son coeur, comme l'auteur de tout bien, enfin, après avoir, le huitième jour, circoncis l'âme de ses imaginations fantastiques, de ses pensées vaines et inutiles, après avoir apaisé tous ses mouvements et réglé ses affections désordonnées, qu'on arrive à la faire reposer doucement dans le Seigneur par l'exercice de la contemplation. C'est alors que l'Enfant est nommé, alors qu'on lui impose
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le doux nom de Jésus, alors qu'on sent et. qu'on goûte toute la suavité de ce nom, qu'on expérimente sa vertu, qu'on en perçoit la félicité. Oh ! quelle effusion réitérée de bonheur éprouve, après l'imposition de ce nom, l'heureuse mère selon la nature de cet Enfant, et sa vraie mère selon l'esprit, cette Vierge Marie, lorsqu'elle voit que tous les démons prennent la fuite, les aveugles recouvrent la vue, les malades sont guéris, les morts ressuscitent, les miracles se multiplient. Ainsi, ô âme spirituelle, devez-vous vous réjouir et tressaillir d'allégresse, quand vous voyez que Jésus votre bis béni, met en fuite les démons en pardonnant les péchés ; qu'il éclaire les aveugles, en répandant dans les coeurs la connaissance de la vérité ; qu'il ressuscite les morts par le bienfait de sa grâce ; qu'il guérit les infirmes, rend aux boiteux l'usage de leurs jambes, et redresse les membres paralysés et contractés, en répandant dans les âmes la, force et la vigueur ; en sorte que par la grâce, ceux que naguère leurs fautes avaient rendus faibles et débiles, se trouvent remplis de courage et de vie. Oh ! que bienheureux et salutaire est ce nom qui a mérité posséder une si grande vertu et une telle efficacité! Tantôt il réjouit, tantôt il répand l'ivresse dans l'âme, tantôt il la pénètre de toute sa douceur.
Quatrième solennité. De l'adoration des mages.
La quatrième solennité de l'Enfant-Jésus, c'est l'adoration des Mages. Lors donc que l'âme, par la grâce,
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a conçu spirituellement, mis au monde et appelé de son nom ce très-deux Enfant, les trois rois, c'est-à-dire les trois puissances de l'âme, que l'on peut bien appeler rois, puisqu'elles commandent à la chair, dominent sur les sens et s'occupent uniquement, comme il convient à ceux qui sont vraiment rois, des choses divines ; ces trois puissances, dis-je, jugent qu'elles doivent chercher, par des affections multipliées, l'Enfant qui leur a été montré dans la ville royale, c'est-à-dire dans, l'étendue du monde entier. Elles le cherchent donc dans leurs méditations, elles se mettent à sa poursuite par leurs affections, elles demandent par de pieuses pensées (1) : « Où est celui qui est né? Nous avons vu son étoile en Orient. » Nous avons vu sa lumière briller en l'âme dévote, nous avons contemplé sa splendeur, dont les rayons pénétraient les profondeurs de cette âme. Nous avons entendu sa voix, dont la douceur est ineffable; nous avons goûté sa tendresse pleine de suavité; l'odeur de ses parfums est arrivée jusqu'à nous, et nous avons joui des délices de ses embrassements. Maintenant, Hérode, réponds-nous; montre-nous notre Bien-aimé, montre-nous l'Enfant de nos désirs. Nous ne sommes pas venus pour contempler ta gloire ; nous n'avons pas hâté notre course pour obtenir tes faveurs ; nous n'avons pas mis tout cet empressement pour adorer ta majesté : ta gloire est son ouvrage, ta majesté est l'oeuvre de ses mains, ton bonheur un acte de sa puissance, ton opulence n'est qu'une ombre de lui-même ; ta noblesse et ta magnificence ne
1 Mat., 2.
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sont qu'une faible étincelle de sa splendeur et de son infinie bonté. En toi, nous avons trouvé un moyen de le connaître, de l'aimer, de le désirer, mais non un objet qui puisse reposer notre ardeur. Ta gloire et ton éclat ne sont qu'un rayon affaibli de sa beauté ineffable. Dis-nous donc , sans nous faire attendre plus longtemps, où est celui qui est né? Où est cette longueur abrégée, cette grandeur sans apparence, cette hauteur abaissée, cette immensité restreinte? Où est la lumière qui brille, l'eau qui altère, le pain qui affame? Dis-nous en quel lieu la puissance s'est faite obéissante, la sagesse a besoin d'être dirigée, la puissance sustentée; en quel lieu le Verbe du Père est nourri d'un peu de lait. Dis-nous où le Fils éternel de Dieu nous apparaîtra un enfant; où nous verrons la splendeur de la gloire du Père enveloppée de langes ; où nous entendrons vagir dans une crèche Celui qui est la consolation des misérables. Dis-nous où nous découvrirons, comme un petit enfant qu'on porte entre ses bras, Celui qui est le conservateur et le soutien des Anges, des hommes, des cieux et de toutes les créatures. C'est lui que nous désirons, lui que nous cherchons avec ardeur. O très-doux, très-aimable, éternel Enfant, Enfant dont les jours sont si anciens, quand apparaîtrons-nous en vota e présence? Nous réjouir sans Vous n'est qu'affliction : nous réjouir et pleurer aces vous, voilà notre bonheur. Tout ce qui vous est opposé est pour nous un tourment ; votre bon plaisir est notre bonheur invariable, c'est l'objet de nos désirs. Oh ! s'il est si doux de pleurer sur vous, que sera-ce donc de se réjouir avec
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vous? Où êtes-vous donc, vous que nous cherchons? Où êtes-vous, vous que nous désirons, après qui nous soupirons en tout et par-dessus tout? Où est le Roi des Juifs qui vient de naître, la loi de ceux qui servent Dieu, le guide des malheureux, la lumière des aveugles, la vie des mourants, le salut éternel de ceux qui vivent éternellement? Alors se fait entendre une réponse favorable : « C'est à Bethléem de Juda que vous le trouverez. » Bethléem signifie la maison élu pain ; Juda veut dire celui qui confesse. Jésus-Christ est montré là où, après l'aveu de ses crimes, le pain de la vie céleste, c'est-à-dire la doctrine évangélique est entendue, méditée et retenue par l'âme dévote, afin d'être mise en pratique par les oeuvres et proposée aux autres comme règle de conduite. Jésus-Christ est trouvé avec Marie, sa Mère, là où, après une contrition féconde en pleurs, après une confession fructueuse, on goûte, quelquefois au milieu de larmes très-abondantes, la douceur des célestes consolations; où l'oraison qui a,pris l'âne presque dans le désespoir, l'a laissée pleine de joie et de confiance en la miséricorde. O heureuse Marie, par qui Jésus est conçu, de qui il est né, et avec qui on le trouve avec tant de bonheur et de félicité ! Mais il faut remarquer qu'il est dit que les Rois ont cherché Jésus afin de lui offrir, avec tout le respect possible, leurs adorations ; les Docteurs, afin d'écouter de sa bouche avec une attention suprême les enseignements de la vérité ; l'Épouse, afin de goûter dans le secret de ses entretiens la douceur de sa suavité ; Marie,
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sa Mère, afin de le retrouver après l'avoir perdu, et de ne plus s'en séparer. Ainsi vous, ô rois, c'est-à-dire farces naturelles de l'âme dévote, cherchez-le avec leu rois de la terre, afin de l'adorer, afin de lui offrir des présents. Que vos adorations soient accompagnées de respect, parce qu'il est Créateur, Rédempteur et Rémunérateur : Créateur pour le bienfait de la vie temporelle, Rédempteur pour la réparation de la vie spirituelle, Rémunérateur pour le don de la vie éternelle. O rois, adorez-le avec crainte, parce qu'il est souverainement puissant; adorez-le avec des hommages de respect, parce qu'il est un maître plein de sagesse ; adorez-le avec joie, parce qu'il est un prince très-libérai; adorez-le, dis-je, avec joie, parce qu'il est le chef de toute justice ; adorez-le avec modestie , parce qu'il est la lumière de la vérité ; adorez-le avec ferveur, parce qu'il est le flambeau de la charité. Ne vous contentes pas de votre raison seule, mais qu'une offrande l'accompagne. Offrez-lui l'or d'une charité brûlante, offrez-lui l'encens d'une consolation pieuse et tendre, offrez-lui la myrrhe d'une contrition très-amère. Offrez-lui l'or de l'amour , à cause des biens que vous en avez reçus; l'encens de la dévotion , à cause des joies qu'il vous prépare; la myrrhe de la contrition, à cause des péchés que vous avez commis. Offrez l'or à son éternelle divinité, l'encens à la sainteté de son âme, la myrrhe à la passibilité de son corps. Cherchez le aussi avec les Docteurs , ô rois , afin, qu'il vous ouvre les secrets de son insondable
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sagesse, afin qu'il vous montre les merveilles de son admirable puissance, afin qu'il vous enseigne le bon plaisir de sa volonté et de ses complaisances. Cherchez, dis-je, avec respect, comment il a tiré avec tant de puissance toutes choses du néant; comment il a réglé tout dans l'univers avec tant de sagesse ; comment il a fait briller en chaque chose, avec tant de clémence, son inestimable bonté. Cherchez humblement, s'il est permis à l'homme de le chercher en cette vie, cherchez comment ces trois personnes égales et coéternelles subsistent en une même et indivisible substance, font une Trinité bienheureuse. Cherchez comment ces trois substances, la chair, lame et la divinité , se réunissent en unité de personne et forment ainsi l'Incarnation très-sainte de Jésus-Christ ; comment, de toute éternité, le Père ne procède d'aucune autre personne, le Fils ne procède que du Père seul, le Saint-Esprit du Père et du Fils. Celui que vous cherchez est le Docteur et le Maître de toute vérité ; c'est en lui qu'il faut aller, avant tout, à la découverte de la vérité. Après lui la vérité s'avance comme après son modèle; elle se dirige et retourne vers lui comme à sa fin. Il est le Docteur qui nous enseigne toute vérité : la venté rie la vie, que la basse gourmandise détruit en beaucoup; la vérité de la doctrine qui, hélas! est obscurcie dans un grand nombre par la vanité du plaisir ; la vérité de la justice, qu'une dangereuse avidité met en fuite. Pour vous , ô rois, cherchez donc Jésus afin qu'il vous apprenne toute vérité : la vérité de la vie, afin
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que vous sachiez comment vous devez vous gouverner vous-mêmes d'une manière avantageuse ; la vérité de la doctrine, afin que vous sachiez diriger convenablement ceux qui vous sont soumis ; la vérité de la justice, afin que vous compreniez comment vous devez servir Dieu sans réserve. Cherchez aussi quelquefois Jésus avec l'Épouse bien-aimée dans le jardin de délices, où il se promène avec les jeunes filles, où il cueille des lis avec les vierges, où il mange le fruit de ses arbres en la société de celles qui lui sont chères. Cherchez-le dans le lieu où il met son vin le plus excellent, où il a préparé son souper, auquel il a invité seulement celles qui ont le plus de part à son amour, celles qui le suivent partout, en quelque lieu qu'il aille. C'est là qu'il les fait asseoir , qu'il se ceint et qu'il les sert lui-même en personne ; là qu'il leur présente les mets divers qui proviennent des richesses de son éternelle, très-noble et très-sacrée divinité ; là qu'il leur offre le breuvage de sa très-douce et très-pure humanité. C'est là que boivent celles qui lui sont chères, c'est là que s'enivrent celles qui sont les premières en son coeur. Enfin, cherchez-le dans sa demeure, où il séjourne avec l'Épouse au milieu des embrassements et des baisers. C'est là qu'il se repose sur le midi, quand la splendeur de l'éternelle vérité verse sa lumière avec plus d'abondance, quand l'ardeur de la céleste charité répand ses flammes avec plus de douceur; là qu'il fait entendre à l'oreille de l'Épouse les
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secrets de sa profonde et impénétrable sagesse ; là qu'il communique les dons inappréciables de sa suprême et incomparable magnificence ; là qu'il se montre familier, caressant et consolateur ; là qu'il dit à sa Bien-aimée : Demandez ce que vous voudrez, et on vous l'accordera. Oh ! que bienheureux sont ceux qui trouvent Jésus dans le secret profond de cette demeure, qui ne craignent point de pénétrer jusque-là. Oh ! qu'il y en a peu qui savent trouver Jésus dans le jardin de délices! Cependant ils sont en plus petit. nombre encore ceux qui le découvrent dans le lieu où il renferme son vin le plus excellent, et en nombre encore plus faible ceux qui osent s'avancer jusqu'au secret de sa demeure, ou plutôt il n'y a que ses amis les plus intimes qui en ont le courage. Aussi est-il écrit : « Je vous conjure, filles de Jérusalem, de ne point éveiller celle que j'aime et de ne point la tirer de son repos, jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle-même (1).» Pour vous, ô rois, qui avez encore des goûts terrestres, qui vous occupez encore de ce qui est temporel, qu'il vous suffise de trouver Jésus dans la crèche, après l'avoir cherché avec le plus grand empressement. Votre conscience n'est peut-être pas encore devenue un jardin de délices, où fleurissent les saintes méditations, où se répandent les parfums des saintes actions, où se montrent dans toute leur vigueur les affections pleines de chastes délices. Peut-être mérite-t-elle encore moins d'être appelée le lieu où l'on met le vin le plus excellent, où les mets célestes répandent leur
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odeur, où l'on se désaltère à la même source que les Anges, faveur accordée quelquefois aux amis pour les consoler durant cette vie. mais hélas! je crains bien qu'elle ne puisse en aucune façon, cette conscience, être appelée une demeure inconnue à toutes les créatures , préparée , tendue et ornée pour l'Époux seul, une demeure où l'Époux se repose avec l'Épouse, le Bien-Aimé avec sa Bien-Aimée, dans le secret le plus profond, au milieu des embrassements ineffables de l'autour; une demeure où l'on entend souvent des choses si intimes qu'on les comprend, il est vrai, mais qu'on ne saurait les redire, soit que les paroles manquent pour les exprimer, soif, que les hommes qui vivent encore selon le monde se trouvent tout-à-fait incapables de les comprendre. Si cependant, par un excès de la charité divine, il vous est arrivé quelquefois, après les larmes et les soupira, après la douleur et les gémissements, après avoir déposé les soins du siècle, de fixer un instant vos regards dans le jardin de délices, ou, pour m'exprimer plus selon la vérité , si , vous tenant devant les portes fermées de ce jardin, vous avez porté par quelque ouverture vos yeux sur le lieu où se conserve le vin, si vous avez vu l'Époux, ceint et paré avec magnificence, aller, venir et servir , offrir à ses amis les mets les plus variés, les vins les plus délicieux; si ensuite, éloignés et repoussés aussitôt par les gardiens comme des hommes inconnus, ignorés et encore indignes d'une telle félicité, vous êtes, hélas ! retournés de nouveau aux choses mondaines , que
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vous aviez aimées jusqu'alors ; et enfin si , rentrés en vous-mêmes, vous vous souvenez de cette société bienheureuse que votre coeur a été si joyeux de contempler ;dans le jardin, de cette félicité ineffable, de cette solennité brillante que vous n'avez fait qu'entrevoir, à votre regret extrême , par une fente légère, et qui a laissé s'échapper jusqu'à vous, comme un souffle presque insensible, je ne sais quelle consolation au-dessus de tout sentiment et de toutes les joies de ce monde ; si, dis-je, vous vous rappelez ces choses, alors cherchez avec Marie, sa mère, .Jésus que vous avez perdu. Cherchez-le dans la douleur et l'amertume ; courez après lui au milieu des gémissements et des soupirs; cherchez-le en répandant des larmes abondantes, et dites-lui : « Oh ! quand vous trouverons-nous , vous le consolateur que nous attendons? Quand vous trouverons-nous, vous le bonheur que nous désirons? Oh! si notre âme pouvait revenir seulement une fois, non pas aux embrassements et aux baisers , mais seulement au lieu où le jardin de délices exhale ses célestes odeurs, où le lieu qui renferme le vin , répand ses parfums pleins de suavité ! » Mais, ô âme, cherchez maintenant par vous-même votre Bien-aimé. C'est le Fils que vous avez conçu, le Fils que vous avez mis au monde : comment l'avez-vous perdu, après en avoir reçu des joies si multipliées et si extraordinaires? O vous, rois glorieux , vous mes princes, mes défenseurs et mes coopérateurs, jusqu'à ce moment
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vous l'avez cherché comme un roi, afin qu'il vous couronnât de sa gloire; comme un docteur, afin qu'il vous illuminât de sa sagesse ; comme un consolateur, afin qu'il réparât vos forces par sa clémence. Maintenant, il me reste, moi, à le chercher comme un fils que j'ai perdre , comme un bien-aimé que j'ai laissé s'en aller , ce Jésus, vraiment digne d'amour, que j'ai vu, malheureuse et infortunée, m'échapper dans le temple, après que je me suis tournée vers les vanités, les mensonges et le néant de ce monde. Il m'a laissée dans l'abandon , dans la désolation , et couverte de toutes sortes d'ignominies. Pourquoi ne me suis-je pas soumise à ses conseils ? Pourquoi n'ai-je pas été fidèle à ses avertissements? Tant que j'ai senti sa présence par une urine consolation, j'ai été dans l'abondance de tout bien ; tant que je l'ai possédé, je me suis trouvée riche de toutes choses. Mais hélas! qui dira nia misère et mon infortune ? J'ai quitté les richesses pour la pauvreté, j'ai préféré une vie dure aux délices , j'ai remplacé un repos profond et la joie de l'esprit par les soins et les sollicitudes; je me suis négligée moi-même pour un étranger, et, pour m'occuper d'un homme , j'ai perdu pion Dieu, mon Bien-aimé, mon consolateur, mou très-doux Jésus, mon Fils. Que ferai-je? où irai-je? où le chercherai-je afin de le retrouver? Quelquefois, il est vrai, je l'ai déjà perdu pour tout ce que je viens de dire, niais, aidée et éclairée par le Père très-clément, le Dieu des miséricordes, dans la vigne duquel je travaille, appliquée à accomplir
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sa volonté selon le conseil de mes maîtres, à étendre sa gloire jusqu'à me priver, par l'occupation de raton coeur, des consolations du doux Jésus, exposée, pour le maintien de son honneur, aux tribulations de tout genre ; secourue, dis-je, par sa miséricorde accoutumée, j'ai retrouvé avec une joie immense et incroyable celui que j'avais perdu ; je l'ai trouvé après de longs sanglots et de longs gémissements; je l'ai trouvé au milieu des larmes les plus abondantes. Oh! que ne m'est-il donné de le trouver encore une fois de la sorte ! Je pense que je ne le laisserais pas aller , mais que je le retiendrais de toutes mes forces. Que ferai-je donc? Je me lèverai et je chercherai celui que mon coeur aime (1). Après avoir abandonné mes occupations et mes sollicitudes, je me tournerai vers l'oraison, et, si cela ne suffit pas, je le chercherai parmi mes parents et mes amis, c'est-à-dire parmi les hommes spirituels et dévots. C'est au milieu d'eux qu'il habite, c'est parmi eux qu'il établit sa demeure, quand il est abandonné des autres. C'est en eux qu'il se cache, comme dans une solitude, quand le tumulte déplorable et l'agitation de mes pensées le font fuir loin de moi. Hélas ! quand j'ai été semblable à eux, j'ai eu, j'ai possédé, j'ai serré dans mes bras et couvert de lues baisers ce Jésus, que, maintenant, distraite par tant de soins, embarrassée et accablée par tant de sollicitude, j'ai perdu d'une manière si lamentable. Dites-moi donc, ô hommes religieux, vous qui êtes séparés
1 Cant., 3.
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entièrement de tout, vous qui êtes occupés seulement de méditations divines, n'avez-vous point vu celui que mon coeur aime? Je sais à n'en point douter que vous l'avez en votre possession; je sais ce que vous savez bien vous-mêmes, que vous jouissez de sa présence, que vous goûtez ses félicités. Rendez-moi, par charité ! celui que vous ne perdez point en le donnant, communiquez-moi celui que vous n'abandonnerez point. Si, au milieu de ma dissipation, ta ferveur de l'amour s'est attiédie en moi un instant, au moins, j'en ai la confiance, l'habitude de l'amour ne s'est pas anéantie. Si, pour les occupations de ma charge, j'ai cessé de m'entretenir avec mon Bien-aimé, je n'ai point cependant délaissé sa charité. Si, pour la faible édification que je désire donner à mes frères, je ne me suis point attachée à lui de toute la force de mon esprit, j'ai pourtant conservé toujours en moi le désir de m'en rapprocher. Et, pour parler selon la vérité, je le dis en toute humilité, non pour me glorifier, mais unique-ment pour rappeler mon Bien-aimé que j'ai perdu : ce n'est point pour mon profit, mais pour obéir à ses conseils ; ce n'est point par ambition, mais en vue de son éternité, de sa gloire, de son honneur; ce n'est point par amour de la domination, mais par le désir du salut de mes frères, que je me suis livrée aux soins distrayants et aux sollicitudes. Pourquoi donc, pour m'être chargée de ces occupations, et l'avoir fait avec une intention pieuse, et même comme en gémissant, pourquoi devrais-je n'être plus consolée par la présence de mon Bien-aimé au moins de temps à autre ?
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Il ne serait pas juste, et même, s'il est permis de le dire, il serait injuste et inique de me faire porter une peine que le très-doux Jésus n'a point établie, que nulle part la loi divine n'a approuvée. Souvent, par le vouloir d'un ami, on s'éloigne de sa présence qui nous est chère, pour se retrouver ensuite avec une joie plus grande de part et d'autre. Ainsi, moi, j'ai abandonné quelquefois Jésus à cause de lui-même, lorsque, pour étendre sa gloire, j'ai soutenu les fatigues, les persécutions, les médisances et les attaques de tout genre. Si, après avoir été abreuvée de toutes ces choses et autres semblables jusqu'à en défaillir, je reviens vers lui en gémissant, pourra-t-il refuser de me consoler, afin qu'au moins il me soit donné de respirer un peu dans mes tribulations ? Qu'est-ce donc que mon Bien-Aimé m'enseigne ? Qu'est-ce donc que j'entends crier dans l'Évangile, lorsqu'il dit (1) « Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et surchargés, et je vous soulagerai?» Quoi ! lorsque, pour son honneur, je soutiens le poids du jour et de la chaleur, je ne devrai pas être sustentée au moins des miettes qui tombent de la table de ses amis? Loin de nous cette pensée, que le Bien-aimé n'habite qu'avec vous, ô contemplatifs, et que l'ouvrier accablé de fatigue est méprisé et rejeté de lui. Il faut (lÉcriture en rend témoignage) que l'ouvrier laborieux goûte à l'avance, de temps en temps, des fruits de la céleste patrie (2), et cela, afin qu'il ne succombe pas dans son travail. Ainsi, les Apôtres, au milieu des opprobres, les Martyrs, au milieu des supplices,
1 Mat., 11 2 I Tim., 2.
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les Vierges, au milieu des tourments et des tortures, ont éprouvé les consolations de leur Bien-Aimé. Ils s'en allaient pleins de joie de devant leurs juges, louant et bénissant le Seigneur de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (1). Ainsi les Confesseurs et les Ermites, les Moines et les Anachorètes, après leurs veilles et leurs jeûnes, ont éprouvé les joies divines au milieu des larmes et des gémissements. Ainsi les Chefs, les Docteurs et les Maîtres fidèles des églises, après s'être épuisés de soins et de travaux, ont senti leurs coeurs fortifiés avec tendresse et suavité par la bénignité du doux Jésus. Marie ne jouit pas seule de la présence réitérée de Jésus ; Marthe le reçut également avec joie et délices après sa prédication. Et moi aussi, confiante dans le Seigneur, pleine d'espérance en la clémence divine, qui tant de fois m'a été montrée pour me servir d'encouragement, je chercherai le très-aimable Jésus,tantôt avec Marie sa Mère, dans le temple, tantôt avec l'Épouse, dans le secret de sa demeure, tantôt. avec les Disciples, dans l'assemblée des juges, tantôt avec les Rois, dans une étable.
Cinquième Solennité. De la Présentation de l'Enfant-Jésus dans le Temple.
Que l'âme fidèle considère, en cinquième et dernier lieu, comment ce petit enfant, mis au monde par l'accomplissement de plusieurs oeuvres saintes, doté d'un nom par la jouissance des célestes
1 Act.. 5.
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douceurs, cherché, trouvé, adoré et comblé d'hommages par l'offrande des dons spirituels; qu'elle considère comment on doit le présenter au temple et l'offrir au Seigneur par une humble et pieuse action de grâces pour les bienfaits que nous en avons reçus. Lors donc que l'âme fidèle, la mère spirituelle de Jésus par la conception de ee Fils béni, s'est purifiée dans la pénitence; lorsqu'après sa naissance, elle a été quelque peu fortifiée par la grâce; lorsque, par l'imposition d'un nom de bénédiction, elle a été inondée de consolations ; enfin lorsque, dans l'adoration avec les rois, elle a été affermie divinement, que reste-t-il à faire, sinon que le Dieu, fils de Dieu et de la Vierge, soit porté dans la sainte Jérusalem du Ciel et qu'il soit offert dans le temple de la divinité. Montez donc maintenant, ô spirituelle Marie! Montez, non plus sur les montagnes, mais vers les parvis de la céleste Jérusalem, vers la demeure de la bienheureuse Trinité et de l'indivisible Unité. Arrivée en ces palais de la cité suprême, prosternez-vous humblement, et là, devant le trône de son éternité, offrez à Dieu le Père celui qui est votre Fils; et en même temps, louez, glorifiez et bénissez le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Louez avec effusion de joie le Père, dont l'inspiration vous a fait concevoir une bonne résolution . Glorifiez avec allégresse le Fils, par l'opération duquel votre bon propos s'est changé en action. Bénissez et exaltez l'Esprit-Saint, dont la consolation vous a rendue persévérante en votre pieuse entreprise.
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Ô âme ! glorifiez Dieu le Père en tous ses dons et en tous ses biens, parce que c'est lui qui, par une inspiration secrété, vous a tirée du siècle, en vous disant: « Revenez, revenez, ô Sulamite ! revenez, revenez, afin, que nous jouissions de votre présence (1).» Glorifiez Dieu le Fils en toutes ses opérations, parce que c'est lui qui vous a délivrée de l'esclavage du démon par son action mystérieuse, en vous criant : (2) « Prenez sur vous mon joug ; laissez au démon celui qu'il vous impose : il est plein d'amertume ; le mien, au contraire, est plein de suavité. Le joug du démon a pour fin des supplices et des tourments éternels ; le mien offre, y après avoir été porté, des fruits de délices et un repos d'une abondance inépuisable. Si quelquefois le joug du démon présente quelque douceur, c'est une douceur mensongère, une douceur qui ne dure qu'un instant; si quelquefois il élève ses serviteurs, c'est pour les couvrir après d'une éternelle confusion. Au contraire, celui qui m'honore est humilié, il est vrai, un moment, mais c'est pour être glorifié, c'est pour régner éternellement. » Telle a été la doctrine au moyen de laquelle le Fils de Dieu, tantôt par lui-même, tantôt par ses Docteurs et ses amis, vous a délivrée des fausses insinuations du démon, et vous a arrachée aux caresses trompeuses de la chair et du monde. Bénissez et révérez l'Esprit-Saint qui vous a fortifiée dans le bien par la douceur ineffable de ses consolations, lorsqu'il a dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et qui êtes surchargés, et je
1 Cant., 6. 2 Mat., 11.
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vous soulagerai (1). » Comment, en effet, ô âme tendre et délicate, âme fragile et sans force, accoutumée aux délices du monde, enivrée des joies du siècle, comme d'un vin troublé, à la manière des animaux dépourvus de raison ; comment auriez-vous pu, au milieu des pièges si nombreux et si considérables de votre ancien ennemi, au milieu de tant de faux conseils, de tant d'obstacles divers, au milieu des traits innombrables de vos amis, de vos parents et de tous les autres qui vous sont proches, traits lancés pour vous éloigner des sentiers d'une vie pure ; comment, dis je, auriez-vous pu vous soutenir dans le bien ? Comment auriez-vous pu, environnée de tant de piéges du péché, avancer dans la vertu, si vous n'eussiez été secourue par la grâce miséricordieuse de l'Esprit-Saint, et sans cesse consolée et nourrie de sa douceur? Rapportez-lui donc toutes vos bonnes oeuvres, et ne retenez rien pour vous. Dites-lui avec une intention pure et sincère de votre esprit : « C'est vous, Seigneur, qui avez fait en moi toutes mes oeuvres (2) ; je ne suis rien en votre présence, je ne puis rien ; c'est par vota; bienfait que je subsiste, et sans vous je ne saurais rien faire. O Dieu très-clément, Père des miséricordes, à vous appartient ce que je vous offre. Je me recommande et je me confie à vous malgré mon indignité, et je confesse humblement que je me suis montrée ingrate envers vous pour tous les biens dont vous m'avez comblée. A vous les louanges, à vous la gloire, à vous les actions de grâces, ô Père bienheureux, Majesté
1 Mat., 11. 2 Ps., 26.
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éternelle! parce que vous m'avez tirée du néant par votre puissance infinie. O Fils bienheureux, splendeur du Père ! je vous loue, je vous glorifie et vous rends grâces, parce que vous m'avez délivrée par votre éternelle sagesse de la mort éternelle. O Esprit bienheureux et charitable! je vous bénis, je vous vénère, je vous adore, parce que vous m'avez, par votre bonté miséricordieuse et votre clémence, rappelée du péché à la grâce, du siècle à la vie religieuse, de l'exil à la patrie, du travail au repos, du chagrin à l'allégresse et aux délices d'une douceur ineffable. » Daigne nous accorder cette douceur le tendre Jésus qui, avec son Père et l'Esprit-Saint, règne dans tous les siècles des siècles.
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