MIROIR

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MIROIR DE LA BIENHEUREUSE VIERGE.

 

MIROIR DE LA BIENHEUREUSE VIERGE.

PROLOGUE.

LEÇON PREMIÈRE. Que dans la Salutation angélique se trouvent cinq sentences d'où se répandent en l'honneur de la bienheureuse vierge cinq louanges pleines de douceur.

LEÇON II. Que la bienheureuse Vierge a été exempte de la triple malédiction de la faute actuelle, de la triple malédiction de la faute originelle, et de la triple malédiction de la peine de l'enfer.

LEÇON III. Des significations du nom de Marie, et que la bienheureuse Vierge est très-justement appelée mer d'amertume, étoile de la mer. illuminatrice et reine souveraine.

LEÇON IV. Que le nom de Marie convient parfaitement à la Vierge  bienheureuse, et en même temps qu'elle a été exempte de tout vice et ornée de toute vertu.

LEÇON V. Que la grâce de la bienheureuse Marie est vraie, immense, multiple et vraiment utile.

LEÇON VI. Que dans Marie il y a une grâce que nous devons considérer sous quatre points de vue : la grâce des dons, la grâce des paroles, la grâce des privilèges et la grâce des récompenses. — De chacune de ces grâces en particulier.

LEÇON VII. Qu'il y a en Marie neuf plénitudes qui représentent les plénitudes des neuf choeurs des Anges dans la gloire.

LEÇON VIII Que le Seigneur dont il a été dit à Marie LE SEiGNEUR EST AVEC VOUS, est le Seigneur universel de tontes choses; qu'il est très-puissant , très-sage, très-opulent, très-immuable, et que c'est à tous ces titres qu'il est avec elle.

LEÇON IX. Que le Seigneur dont il a été dit à Marie : LE SEIGNEUR EST APEC VOUS, est d'une manière spéciale le Seigneur très-bon, très-juste, très-fidèle, très-illustre de la créature raisonnable, et que c'est à ces titres aussi qu'il est avec Marie.

LEÇON X. Que le Seigneur dont il a été dit à Marie : LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS, est avec elle d'une manière si particulière qu'elle est sa très-noble Fille, sa très-digne Mère, sa très chaste Épouse, et sa servante toute dévouée.

LEÇON XI. Que Marie, et pour elle-même et par rapport à nous, est très-justement comparée à l'aurore.

LEÇON XII. Commuent la bienheureuse Marie est une tige, et une tige fleurie.

LEÇON XIII. Comment la bienheureuse Marie est comparée à une reine qui entre avec le roi dans son palais.

LEÇON XIV. Comment Marie est bénie à cause de la plénitude de la grâce qui est en elle, à cause de la grandeur de son Fils, à cause de l'étendue de sa miséricorde, et à cause de la magnificence de sa gloire.

LEÇON XV. Que Marie est bénie à cause de sept vertus qui en elle sont opposées aux sept péchés capitaux.

LEÇON XVI. Quel est le fruit du sein de la bienheureuse Vierge Marie; quelle est sa grandeur.

LEÇON XVII. A qui appartient le fruit de la bienheureuse Marie, et à qui il est dû.

LEÇON XVIII. A quels besoins est nécessaire le fruit du sein de la bienheureuse Vierge, et de douze avantages qu'il procure.

 

PROLOGUE.

 

IL n'est personne qui ne sache, comme le dit saint Jérôme (1) , que tout ce que nous pouvons offrir d'hommages à la Mère de Dieu se rapporte entièrement à la gloire et à la louange du Très-haut. C'est pourquoi, désirant, pour la gloire et l'honneur de Jésus-Christ Notre-Seigneur écrire quelque chose à la louange et à l'honneur de sa très-glorieuse Mère, j'ai jugé convenable de prendre pour sujet la salutation pleine de douceur que nous lui adressons.

Mais je confesse sans hésiter ma parfaite et totale insuffisance pour une oeuvre semblable, soit à cause des immenses difficultés d'un si vaste sujet, soit à cause de la faiblesse extrême de ma science, de la sécheresse désolante de mon langage, de l'indignité profonde de ma vie, soit enfin à cause des louanges sans limites dont est digne la personne que j'entreprends de célébrer. Qui doutera , en effet , que cette matière ne soit vraiment au-dessus de nos forces, alors que saint Jérôme ne craint pas de s'écrier : « Ce que la nature n'a point eu en sa puissance, ce que la coutume n'avait point connu, ce que la raison avait ignoré, ce que l'esprit de l'homme ne comprend

 

1 Epist. 10.

 

2

 

point, ce que le Ciel ne voit qu'avec effroi et la terre avec stupeur, ce qui remplit d'étonnement toute créature, même céleste , voilà tout ce qui est annoncé par Gabriel à Marie de la part de Dieu, et tout ce qui s'accomplit par Jésus-Christ (1). » C'est pour cette raison que ,je m'avoue indigne de traiter un si grand et si vaste sujet.

Et ensuite , comment l'incroyable faiblesse de ma science et la profonde obscurité de mon esprit seraient-elles suffisantes à produire des louanges dignes de Marie, alors que saint Anselme, cet homme d'un esprit si éclairé, se sent défaillir en pareille circonstance? C'est ainsi qu'il s'en exprime. « Ma langue me fait défaut , car mon esprit est insuffisant. O Souveraine! O Souveraine! toutes les facultés de mon âme sont en travail afin de vous rendre grâces de vos immenses bienfaits; mais je ne puis former aucune pensée qui soit digne de vous; j'ai honte d'en proférer d'indignes. »

Saint Augustin aussi, s'adressant à Marie, s'écrie : « Que dirai-je de vous, moi, pauvre d'esprit, alors que tout ce que je pourrais exprimer est une louange au-dessous de ce que votre dignité mérite (2). » Comment donc ma langue si grossière, comment mon esprit si plein d'aridité ne seraient-ils pas impuissants à publier la gloire de Marie, alors qu'Augustin , cette langue si diserte nous dit : « Que pourrons-nous , hommes de néant? que pourrons-nous, faibles enfants, rapporter à la louange de

 

1 Epist. 10. — 2 Serm. 35, de Sanctis.

 

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Marie , alors que nul ne saurait-être capable de la louer, quand même les membres de chacun de nous deviendraient autant de langues (1) ? »

La louange n'est pas belle dans la bouche d'un pécheur : comment donc un misérable, un homme criminel comme moi; comment un avorton dont la vie est comblée d'indignités, oserait-il faire entendre sa voix en l'honneur de Marie, alors que saint Jérôme, dont la vie fut si vénérable, est saisi d'effroi en présence d'une pareille entreprise : « Je crains beaucoup, dit-il, et je tremble véritablement qu'en voulant aider à votre avancement, je ne sois considéré, à cause de la méchanceté de ma vie, comme un panégyriste indignez. » Assurément la sainteté et l'éloquence sont trop faibles en moi pour que je puisse louer comme il convient la Vierge bienheureuse et glorieuse. A quoi bon d'ailleurs ajouter une goutte d'eau à la mer? A quoi bon joindre un faible caillou à une montagne? Marie a été exaltée par la bouche de Dieu et de ses anges : Que peut notre infirmité et surtout la mienne ajouter à sa gloire? Enfin le même saint Jérôme parlant d'elle dit encore : « Pour m'exprimer selon la vérité, j'avouerai que tout langage humain me semblera toujours au-dessous des louanges qu'elle a reçues du Ciel, car elle a été célébrée et glorifiée par la voix de Dieu et de ses anges; elle a été prédite par les prophètes, montrée en figures et en énigmes aux patriarches, manifestée et annoncée par les évangélistes, et

 

1 Serm. 35, de Sanctis. — 2 Epist. 10.

 

4

 

saluée avec respect et vénération par les anges (1). »

Toutes ces choses pesées avec soin , le lecteur pieux et l'auditeur charitable devront donc facilement se sentir portés à me pardonner tout ce qu'ils découvriront de faiblesse et d'insuffisance en cet ouvrage. Comment , en effet , moi , si incapable, pourrai-je exprimer tout ce qui conviendrait à la louange d'une. Vierge si glorieuse, tout ce que les dévots serviteurs de cette admirable Vierge seraient en droit d'attendre, alors que ce grand zélateur et prédicateur de Marie , saint Bernard , se trouve lui-

même impuissant à une pareille tâche? « Il n'est rien , dit-il , qui me réjouisse autant que de m'entretenir de la gloire de la Vierge Mère; il n'est

rien qui me remplisse autant d'effroi ; car tous s'attachent à elle , l'honorent et la vénèrent avec une telle ardeur de dévotion, et cela est bien juste, que tous désirent parler d'elle; et cependant tout ce qu'on dit de cette Vierge ineffable , par-là même qu'on peut le dire, est moins agréable, cause moins de bonheur et trouve moins grâce à nos yeux que ce qui en elle se montre inexprimable (2). »

Saint Jérôme pourtant m'encourage et me console en disant : « Personne, il est vrai, n'est apte à un pareil emploi; cependant le pécheur ne doit point cesser de faire entendre ses louanges de toute la force de son âmes. » Et saint Augustin, montrant comment le Fils de Dieu a apporté la fécondité à

 

1 Epist. 10. — Serm. 4, de Assumpt. — 3 Ubi supr.

 

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sa Mère en se faisant homme , et comment en sa naissance il a conservé intacte sa virginité, ajoute un peu après : « Nous ne pouvons assurément raconter un tel don de Dieu; nous ne sommes que de petits enfants incapables d'en exprimer la grandeur, et cependant nous sommes forcés de le louer, de peur qu'en gardant le silence nous ne soyons considérés comme des ingrats. En effet, la pauvre veuve n'offrit que deux deniers, et son sacrifice fut agréable à Dieu. Elle ne crut point devoir s'abstenir de faire son offrande parce qu'elle ne pouvait donner davantage; et ainsi offrant, tout ce qui était en son pouvoir elle plut au Dieu suprême. »

C'est pour cela que reconnaissant la faiblesse de mon esprit , la pauvreté extrême de. ma science et de mon éloquence, je me suis enhardi jusqu'à offrir ce petit don , ce tout pauvre écrit en l'honneur d'une Reine si glorieuse, afin qu'en lui, comme dans un miroir bien obscur assurément , ses serviteurs les moins instruits puissent contempler au moins faiblement et sa grandeur et sa dignité. Et parce que cet écrit, semblable à un miroir grossier, doit présenter une légère image de la vie, de la grâce. et de la gloire de Marie, on peut sans difficulté l'appeler le Miroir de Marie.

Ainsi, ô Marie, ma souveraine charitable! ayez donc pour agréable ce faible. présent que vous offre votre pauvre ami. C'est avec ce don tout petit, avec cet opuscule de votre salutation, que je vous salue; que prosterné en terre, le front incliné, je vous salue de coeur et de bouche, et que je m'écrie : Je vous salue, Marie.

 

LEÇON PREMIÈRE. Que dans la Salutation angélique se trouvent cinq sentences d'où se répandent en l'honneur de la bienheureuse vierge cinq louanges pleines de douceur.

 

« Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de votre ventre est béni. »

 

Ecoutez , ô très-douce Vierge Marie! écoutez des choses merveilleuses, écoutez des choses admirables. Ecoutez, ô fille! ouvrez vos yeux et ayez l'oreille attentive. Ecoutez Gabriel, ce messager glorieux. Ecoutez la manière miraculeuse dont vous deviendrez féconde. Ayez l'oreille attentive afin de donner un consentement abondant en résultats. Ecoutez ce qui va vous être annoncé de la part de Dieu le Père. Voyez comment le Fils va prendre un corps de vous. Ayez l'oreille attentive à l'Esprit-Saint qui opérera au-dedans de vous. Puisque vous avez des oreilles pour entendre , ouvrez-les donc aux choses qui vont vous être annoncées, et d'abord à cette salutation inusitée : Je vous salue, Marie...

Ce nom de Marie n'a point été prononcé par Gabriel, mais il a été ajouté par la piété des fidèles et par l'inspiration de l'Esprit-Saint. Cette dernière parole :

 

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« Béni est le fruit de votre sein, » n'est pas non plus dans le salut de l'Ange, mais elle a été ajoutée par Elisabeth, alors qu'elle était remplie de l'esprit prophétique. Disons donc chacun en particulier, disons tous en commun : Je vous salue, Marie, pleine de grâce, etc... O salutation vraiment aimable et vénérable! ô salutation vraiment glorieuse et admirable, qui convient d'autant mieux à la dignité de Marie, comme le dit le vénérable Bède, qu'elle est plus éloignée du langage accoutumé des hommes (1)!

Dans cette très-douce salutation sont renfermées cinq sentences pleines de suavité qui nous découvrent autant de louanges délicieuses en l'honneur de la Vierge. O lumière vraiment aimable à nos yeux ! En ces paroles nous voyons combien pure, combien accomplie, combien inébranlable, combien digne, combien utile est Marie, cette vierge bienheureuse. Elle est pure, dis-je , par l'absence de toute faute ; elle est accomplie par l'affluence de toute grâce; elle est inébranlable par la présence de la divinité; elle est digne par la vénération que mérite sa personne; elle est utile enfin par l'excellence de celui qu'elle a conçu.

Combien Marie a été pure par l'absence de toute. faute, nous le voyons insinué lorsque nous entendons ces mots : « Je vous salue, Ave; » car c'est avec raison qu'on dit : « Je vous salue, Ave, » à celle qui fut à l'abri de toutes les malédictions du péché. Et il était juste que la Mère de Dieu reçût une telle faveur

 

1 De Annunt.

 

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« Il était convenable , dit saint Anselme, que la conception de cet homme-Dieu eût lieu d'une mère exempte de tache; il était convenable qu'elle brillât d'une pureté telle qu'après Dieu on n'en pût imaginer de plus grande , cette Vierge à qui le Père avait arrêté de donner le Fils unique qu'il a engendré de son coeur égal à soi-même , afin qu'il fût en même temps Fils de Dieu et Fils de l'homme (1). »

Combien Marie a été accomplie par l'abondance de toute grâce, nous le découvrons aisément en ces paroles : Vous êtes pleine de grâce. En effet , elle est vraiment remplie de grâce et remplie outre mesure , comme l'atteste le même saint Anselme, en s'écriant dans l'ardeur de son amour : « O femme pleine de grâce, remplie de grâce au-delà de toute limite ! C'est de l'abondance de votre plénitude que la terre a été arrosée ; c'est en cette abondance que toute créature a retrouvé la vie. »

Combien Marie a été inébranlable par la présence de la divinité, nous le voyons clairement en ces paroles : Le Seigneur est avec vous. C'est avec raison que Marie est tout-à-fait, inébranlable, par la présence du Seigneur, par la demeure du Seigneur en elle, puisqu'avec elle se trouve Dieu le Père , Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit , comme avec une âme chérie d'une façon toute spéciale, ainsi que nous l'apprend ce langage de saint Bernard : « Non-seulement le Seigneur que nous appelons le Fils et que vous avez conçu est avec vous, mais avec vous est le

 

1 De Concept. Virg.

 

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Seigneur Dieu le Saint-Esprit de qui vous avez conçu , avec vous est le Seigneur Dieu le Père qui « a engendré celui que vous concevez (1).»

Combien Marie a été digne par le respect dû à sa personne, reconnaissez-le dans ce qui suit : Vous êtes bénie entre toutes les femmes. Comment, en effet, n'aurait-elle point une dignité incomparable, après qu'une bénédiction aussi éclatante l'a rendue si vénérable ? C'est pourquoi saint Anselme s'écrie dans un nouvel étonnement : « O Vierge bénie et bénie par-dessus tout ! par votre bénédiction toute créature est bénie , et non-seulement elle est bénie du Créateur, mais encore elle bénit son Créateur. »

Enfin combien Marie a été utile par l'excellence de celui qu'elle a conçu , on nous le fait entendre par cette sentence : Et béni est le fruit de votre sein. Elle a été en effet utile à la délivrance du monde , en nous donnant un fruit de salut excellent et puissant. Aussi le même saint Anselme s'adresse-t-il encore à elle en ces termes : « Par votre fécondité ,

ô Souveraine , le pécheur immonde a été justifié , le damné a recouvré le salut, l'exilé a été ramené  dans sa patrie ; car celui que vous avez enfanté , ô Reine, a racheté le inonde de sa captivité, guéri les infirmes et ressuscité les morts. »

Vous voyez donc, mes bien-aimés, comment Marie. par l'absence et l'exemption de toute faute, mérite d'entendre ces paroles : Je vous salue, Ave; comment par l'abondance et l'immensité de la grâce qui

 

1 Homel. 5. super missus est.

 

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est en elle, elle est appelée, en vérité, pleine de grâce ; comment, par la présence de la divinité et son intimité avec elle , on lui dit avec justice : Le Seigneur est avec vous; comment , par la vénération due à sa personne et par sa dignité, elle peut sans contestation être déclarée bénie entre toutes les femmes; comment enfin, par l'excellence de celui dont elle est mère, et par l'avantage qui nous en revient, c'est justement qu'on proclame béni le fruit de son sein.

Mais maintenant il nous faut traiter avec ordre de chacune de ces choses.

 

LEÇON II. Que la bienheureuse Vierge a été exempte de la triple malédiction de la faute actuelle, de la triple malédiction de la faute originelle, et de la triple malédiction de la peine de l'enfer.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâce, etc. Redisons à haute voix ce salut comme une parole excellente et suave, qui a commencé notre rachat de la malédiction éternelle; faisons-le retentir tous ensemble avec effusion d'amour et disons : Salut, ô Marie! salut, salut, et encore salut et mille fois salut! C'est avec justice, mes bien-aimés, que ce salut est adressé à la très-sainte vierge Marie, au commencement de la salutation angélique, ainsi que

 

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je vous l'ai dit plus haut, à cause de l'absence totale en elle du péché et de son exemption de toute faute; à cause de l'innocence sans réserve et de la pureté entière de sa vie. C'est un salut de bonheur assurément et il exclut toute malédiction.

Or, il nous faut considérer qu'il y a une triple malédiction dont fut tout-à-fait exempte celle qui reçoit ce salut : il y a une malédiction de péché, une malédiction de misère et une malédiction de peine. Il y a la malédiction de la faute actuelle, la malédiction de la misère originelle, la malédiction de la peine éternelle. Ce n'est pas sans raison que nous appliquerons à ces trois malédictions ce que nous lisons dans l'Apocalypse : « J'ai entendu, dit saint Jean , la voix d'un ange rapide comme l'aigle, qui volait par le milieu de l'air et qui disait à haute voix : « Malheur! malheur ! malheur aux habitants de la terre (1) ! « Mais voici que ces trois malédictions se multiplient, hélas! chacune par trois autres malédictions, en sorte que nous avons ensemble neuf malédictions dont Marie est déclarée exempte lorsqu'elle s'entend dire: Je vous salue. Il y a trois malédictions de la faute actuelle, trois malédictions de la misère originelle, trois malédictions de la peine éternelle ; et c'est l'absence de ces trois malédictions qui permet justement à Marie d'être saluée par cette parole de bonheur : Je vous salue.

Il faut donc considérer, en premier lieu , mes bien-aimés, qu'il y a une triple malédiction de la faute

 

1 Apoc., 8.

 

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actuelle, à savoir : une malédiction des fautes du coeur , une malédiction des fautes de la langue , une malédiction des fautes d'action. Et l'on peut dire aussi, touchant ces trois malédictions : Malheur! malheur! malheur aux habitants de la terre ! Malheur donc aux pécheurs pour les fautes qu'ils commettent en leur coeur, selon cette parole d'Isaïe : « Malheur à vous qui vous retirez dans les profondeurs de vos coeurs pour cacher à Dieu même vos desseins (1) ! » Oui, assurément, malheur à ceux dont le coeur est profond pour commettre le mal, parce que les profondeurs du coeur des méchants sont des sentines ténébreuses où le démon fait son séjour, des sépulcres cachés, remplis de la corruption de tous les vices. Malheur donc à eux , selon qu'il est dit dans saint Matthieu : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis qui au dehors paraissent beaux aux yeux des hommes, mais qui au-dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute sorte de pourriture (2) ! » Oh ! combien éloigné d'une telle malédiction fut le coeur très innocent de Marie, puisque selon saint Bernard : « Jamais elle ne connut le péché pour l'avoir commis, et son coeur très-pur n'eut jamais besoin de repentir (3)! » Comment, en effet, le coeur de Marie eût-il dû se repentir , puisque jamais il ne s'ouvrit à rien qui pût être une cause de regret? Aussi ce coeur d'une éclatante pureté ne fut pas une sentine du démon , un sépulcre de vices, mais le jardin, le paradis de l'Esprit-Saint,

 

1 Is., 29. — 2 Mat., 23. — 3 Serm. in Assumpt.

 

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comme il est dit au livre des Cantiques : Ma soeur mon épouse est un jardin fermé (1). « Ce jardin, dit saint Jérôme, est un jardin de délices, dans lequel sont plantées des fleurs de toutes sortes , et d'où s'exhalent les parfums de toutes les vertus (2). » Puisque Marie fut si éloignée de cette malédiction, c'est donc avec raison qu'on lui dit : Je vous salue.

Malheur aux pécheurs à cause des fautes de leur langue ! « Malheur à vous, dit Isaïe, qui appelez mal ce qui est bien et bien ce qui est mal (3) ! » Malheur à tous ceux qui pèchent par leur bouche , selon cette parole du Psalmiste : « Le venin de l'aspic repose sur leurs lèvres (4)! » — « Il n'y eut, dit saint Ambroise, rien de faux dans le regard de Marie , rien de trop libre dans ses paroles, rien d'immodeste dans ses actions (5). » Il n'y eut donc par-là même ni le fiel ni le venin du démon; mais le miel et le lait de l'Esprit-Saint, comme il est dit dans les Cantiques : « Vos lèvres, ô mon épouse, sont comme un rayon d'où distille le miel; le miel et le lait sont sous votre langue (6). » En effet le lait le plus pur n'était-il pas sous la langue de Marie lorsqu'elle répondit à l'Ange : « Comment cela se fera-t-il (7) ? » Le miel le plus doux n'était-il pas sous sa langue quand elle ajouta cette parole si pleine de suavité : « Voici la servante du Seigneur? » Puisque Marie fut aussi éloignée des fautes de la langue, c'est donc avec justice qu'on lui dit : Je vous salue.

 

1 Cant., 4. — 2 Epist. ad Paul. — 3 Is., 5. — 4 Ps. 13. — 5 De Virg., lib. 2. — 6 Cant., 4. — 7 Luc., 1.

 

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Malheur aux pécheurs à cause des fautes de leurs oeuvres! Il est dit au livre de l'Ecclésiastique : « Malheur à ceux qui ont le coeur double, dont les lèvres, sont infâmes, et dont les mains commettent le mal (1) ! » Malheur aux coeurs doubles pour les fautes du coeur ! Malheur aux lèvres infâmes pour les fautes de la bouche ! malheur aux mains qui opèrent le mal pour les fautes d'action ! Oh ! combien éloignée d'une semblable malédiction furent tous les actes ou plutôt toute la vie de Marie ! C'est pourquoi saint Bernard s'écrie : « Il convenait que la Reine des vierges, par un privilège de sainteté toute spéciale, passât sa vie sans aucun péché, afin qu'en mettant au monde le destructeur de la mort et du péché, elle pût mériter à tous les hommes le bienfait de la vie et de la justice (2). » Notez bien que ni dans son coeur, ni dans sa bouche, ni dans ses oeuvres, le souffle du péché n'eut aucun accès, en sorte que le Seigneur pût lui dire véritablement... « Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée, et il n'y a point de tache en vous (3). » Ainsi , la très-sainte et innocente Marie a été exempte de malédiction en son coeur, exempte de malédiction en sa bouche, exempte de malédiction en ses oeuvres, et c'est pourquoi il lui a été dit : Je vous salue.

En second lieu , mes bien-aimés , il nous faut considérer que Marie a été non-seulement préservée de la triple malédiction de la faute actuelle , mais encore de la triple malédiction de la misère originelle : c'est-

 

1 Eccles., 1. — 2 Epist. 174. — 3 Cant., 4.

 

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à-dire de la malédiction de misère de ceux qui naissent, de la malédiction de misère de ceux qui enfantent, de la malédiction de misère de ceux qui meurent. La malédiction de misère pour ceux qui naissent , est la malédiction qui appelle la concupiscence et sa faiblesse en celui qui vient au monde; la malédiction pour celle qui enfante, est la malédiction de toutes les douleurs qui la torturent en ce moment ; la malédiction de misère pour celui qui meure, est la malédiction qui opère la dissolution du corps soumis à la mort et le réduit en poussière. Et à cause de ces trois malédictions on peut dire aussi : Malheur! malheur! malheur aux habitants de la terre !

La malédiction de ceux qui naissent, est donc la malédiction de la concupiscence innée en nous, et par laquelle, en vertu de la corruption originelle , nous sommes si faibles pour le bien et si enclins au mal que chacun de nous venu au monde avec cet incendie, blessé et affaibli par cette contagion, peut s'écrier avec Jérémie (1) : « Hélas! malheureux que  je suis! je me sens tout brisé; ma plaie est maligne et incurable. Mais je me suis dit à moi-même... C'est moi qui suis l'unique cause de mon malheur, il est juste que je souffre. » Mais , hélas ! ce n'est pas seulement, pour ceux qui naissent, une malédiction de misère et d'infirmité qui les incline au péché lorsqu'ils sont devenu grands, c'est encore une malédiction de souillure et de faute qui rend le petit

 

1 Jer., 10.

 

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enfant un objet de colère. L'Apôtre en parle, lorsqu'il dit que nous naissons enfants de colère (1). Oh ! combien fut à l'abri d'une telle malédiction la très-sainte nativité de Marie , elle que l'on croit , par sa sanctification dans le sein de sa Mère, tellement exempte de la faute originelle et de la misère de la concupiscence en tant qu'elle incline au péché , que jamais elle ne ressentit en ce monde la moindre propension au mal. « Je crois, dit saint Bernard, qu'une grâce plus abondante de sanctification est descendue en elle, grâce qui non-seulement a sanctifié son entrée en ce monde , mais qui a préservé sa vie entière de tout péché (2). » Ainsi la naissance de Marie fut à l'abri d'une telle malédiction : c'est donc à juste titre que l'Ange lui dit : Je vous salue.

La malédiction de misère pour celles qui enfantent est une application de cette malédiction originelle , où il fut dit à Eve : « Je multiplierai vos maux pendant votre grossesse, et vous enfanterez dans la  douleur (3). On peut ici appliquer en général à celles qui deviennent mères, ce que le Seigneur disait seulement à quelques-unes : « Malheur aux femmes enceintes ou qui seront nourrices en ce jour (4)! » Oh! combien fut exempt de cette malédiction le sein fécondé de Marie et pendant qu'il porte son fruit et pendant qu'il le donne au monde. « Oh! qu'heureuse est cette mère, dit saint Augustin, qui a conçu sans souillure et qui a enfanté sans douleur et en demeurant pure, celui qui est

 

1 Ephes. 2. — 2 Epist., 174. — 3 Gen., 3. — 4 Mat., 24.

 

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le remède à nos maux (1). » Puisque Marie a été ainsi à l'abri de la malédiction qui pèse sur celles qui deviennent mères, elle méritait qu'il lui fût dit : « Je, vous salue. »

Enfin, la malédiction qui s'étend â ceux qui meurent , est la malédiction qui les réduit en poussière, malédiction infligée à l'homme quand , après son péché , il s'entendit adresser ces paroles (2) : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Nous pourrons appliquer aussi bien à cette malédiction de ceux qui meurent qu'à celle de ceux qui naissent, ce qui est dit dans l'Ecclésiastique : « Malheur à vous, hommes impies, qui avez abandonné la loi du Seigneur, qui est le Très-haut ! Quand vous « êtes nés, vous êtes nés dans la malédiction, et « quand vous mourrez, vous aurez la malédiction pour partage (3). » Sans doute, les hommes religieux naissent aussi bien que les impies sous la malédiction de la concupiscence, et, après leur mort, ils seront comme eux sous la malédiction qui condamne le corps à la dissolution ; cependant, ce malheur de l'une et l'autre malédiction n'est pas sans raison rejeté sur les impies, parce que pour eux la concupiscence est plus abondante en dangers, et la dissolution corporelle plus affreuse; la misère qui naît de cette concupiscence cause plus de ravages, et la pensée de cette dissolution est plus amère aux pécheurs qu'aux justes. Mais combien fut éloignée du corps très-saint de Marie une telle malédiction! Ce

 

1 Serm. 3, de Nat. B. Mar. — 2 Gen., 3. — 3 Eccles., 41.

 

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corps est l'arche sacrée de Dieu; il était donc convenable qu'il ne le laissât pas tomber en corruption , mais qu'il le ressuscitât , comme il avait fait pour son Fils, avant qu'il en eût ressenti les atteintes. Aussi le Prophète s'écrie-t-il d'une manière bien frappante en parlant tant du Fils que de la Mère : « Levez-vous , Seigneur, pour entrer dans votre repos, vous et l'arche de votre sainteté (1). » Cette arche a été composée de bois incorruptible , parce que, ainsi que nous le croyons , la chair de Marie n'a nullement ressenti la corruption du tombeau. Et c'est pour cela que saint Augustin dit fort bien : « Il est juste qu'un si brillant trésor soit confié plutôt au Ciel qu'à la terre , et c'est avec raison qu'une si grande pureté est suivie de l'incorruptibilité et sauvée des ravages de la dissolution (2). » Si donc Marie , ainsi que nous l'avons dit, a été préservée de la malédiction qui suit l'entrée en ce monde, elle l'a été également de celle qui accompagne la mort, et ainsi l'Ange a pu lui dire : Je vous salue.

Enfin, mes bien-aimés, il nous faut considérer , en troisième lieu , que Marie n'a pas été seulement hors des atteintes de la triple malédiction du péché actuel, hors des atteintes de la triple malédiction de la misère originelle, mais encore hors des atteintes de la triple malédiction de la peine de l'enfer. Cette triple malédiction consiste dans la grandeur, la multitude et la longue durée des peines. Malheur donc aux damnés et à ceux qui doivent l'être ! Malheureux,

 

1 Psal. 131.— 2 De Assumpt. Mar.

 

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dis-je , à cause de la grandeur, malheur à cause de la multitude , malheur à cause de la durée de leurs tourments ! On peut dire aussi de cette triple malédiction : Malheur ! malheur ! malheur aux habitants de la terre !

La malédiction de l'enfer consiste donc dans la grandeur des peines. Ezéchiel parle de cette malédiction , lorsqu'il dit : « Malheur à la ville de sang , dont je ferai un grand bûcher (1). » Or la ville de sang, c'est l'assemblage des impies, qui formera un grand bûcher, alors que des flammes dévorantes environneront les damnés. Oh ! combien la grandeur immense de la grâce et de la gloire de Marie se trouve à l'abri de cette affreuse malédiction d'une peine effroyable , elle à qui le Seigneur , au lieu du supplice horrible des réprouvés, avait préparé une gloire ineffable dans le ciel , afin qu'après avoir été grande par ses mérites elle le fût également par la récompense ! Aussi est-elle ce trône magnifique dont il est écrit (2) : « Le roi Salomon se fit un grand trône d'ivoire. » Oui, ce trône de Salomon est Marie : il est vraiment grand en grâce , il est grand en gloire. C'est pourquoi saint Bernard s'écrie : « Autant Marie , sur la terre , l'a emporté sur les autres par la grâce dont elle fut comblée, autant, dans le ciel , elle est entrée en possession d'une gloire plus élevée (3). » Ainsi Marie a été entièrement à l'abri de cette malédiction, et c'est avec raison qu'on lui dit : Je vous salue.

 

1 Ezech.. 24. — III Reg., 10. — 3 Serm. 1, in Ass.

 

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La malédiction de l'enfer consiste non-seulement dans la grandeur de la peine , niais encore dans la multitude des tourments. Aussi Isaïe a dit: « Malheur à eux , car les maux qu'ils méritaient leur ont été rendus (1)! » Il dit les maux, au pluriel, parce qu'il y en a plusieurs, ou plutôt les maux rendus aux méchants en enfer sont fort nombreux. Mais combien Marie fut-elle garantie de cette malédiction de tourments innombrables par la multitude de ses mérites et de ses récompenses , elle à qui le Seigneur , par opposition aux supplices multipliés des damnés , avait destiné dans le ciel des biens si nombreux qu'aucun des anges, aucun des saints ne saurait entrer en comparaison avec elle pour l'immensité et la réunion inénarrable des récompenses célestes , selon cette parole du Prophète : « Beaucoup de filles ont amassé richesses, mais vous les avez toutes surpassées (2). » Si par ces filles nous entendons les saintes âmes ou les intelligences angéliques, n'est-il-pas vrai que Marie a surpassé les richesses des Vierges , des Confesseurs , des Martyrs, des Apôtres , des Prophètes, des Patriarches et des Anges? En elle se trouvent les prémices de la virginité; elle est le miroir des Confesseurs, la pompe des Martyrs, le livre vivant des Apôtres, l'oracle des Prophètes, la fille par excellence des Patriarches, la reine des Anges. Que lui a-t-il manqué de toutes les richesses de ces bienheureux ? Aussi saint Jérôme dit-il : « Si vous considérez attentivement Marie, vous verrez qu'il n'y a nulle

 

1 Is., 3. — 2 Prov., 31.

 

21.

 

vertu , nulle beauté, nul mérite et nulle gloire qui ne brillent en elle du plus vif éclat (1). » Et ainsi comme une semblable malédiction a passé loin d'elle , c'est justement qu'on lui adresse cette parole : Je vous salue.

Enfin la malédiction de l'enfer ne consiste pas seulement dans la grandeur ni dans la multitude des peines, mais dans leur durée ou leur éternité. C'est pourquoi il est dit dans l'Epître canonique de saint Jude : « Malheur à ces hommes, parce qu'ils ont suivi la voie de Caïn; parce que, marchant sur les traces de Balaam et emportés par le désir du gain, ils se sont abandonnés aux dérèglements, et qu'imitant la rébellion de Coré, ils périront comme lui. » Et un peu après il ajoute : « Une tempête noire et ténébreuse leur est réservée pour l'éternité (2). » Remarquez bien qu'il dit : Pour l'éternité, et pesez quelle sera la longueur de ces peines et de ces ténèbres, qui ne doivent jamais avoir de fin. Mais, combien a été éloignée de cette longue malédiction de l'enfer la gloire sans limite de Marie, à qui , au lieu des ténèbres éternelles de l'abîme, le Seigneur avait réservé dans le ciel une splendeur qui ne doit point finir! De même que l'âme pécheresse étant la demeure du démon , est plongée pour l'éternité dans des ténèbres indicibles , de même Marie , notre médiatrice et le sanctuaire de Jésus-Christ , brille d'une lumière ineffable dans tous les siècles des siècles, selon cette parole du Psalmiste : « Son trône sera éternel

 

1 Episl. 10, ad Paul. — 2 Jud.

 

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en ma présence; il brillera comme le soleil et comme la lune qui est dans son plein (1). » Ainsi, la bienheureuse vierge Marie a été garantie de la triple malédiction de l'enfer, ou plutôt garantie de ces neuf malédictions que nous avons énoncées. C'est pourquoi elle est digne qu'on lui dise : Je vous salue.

Et nous, mes bien-aimés, disons-lui donc tous : Je vous salue. Prions-la tous qu'en l'honneur de ce très-doux salut , elle intercède afin que nous soyons délivrés de toute malédiction par son fils Jésus-Christ Notre Seigneur.

 

LEÇON III. Des significations du nom de Marie, et que la bienheureuse Vierge est très-justement appelée mer d'amertume, étoile de la mer. illuminatrice et reine souveraine.

 

Je vous salue Marie ! — Ainsi que nous l'avons dit plus haut , ce n'est point l'Ange, c'est la piété des fidèles qui a placé le nom de Marie en cet endroit. Le bienheureux évangéliste saint Luc dit d'une façon tout-à-fait remarquable en parlant de ce nom : « Et le nom de cette vierge était Marie (2). » Ce nom très-saint, ce nom très-doux , ce nom très-digne, c'est avec justice qu'il fut donné à une vierge aussi sainte, aussi douce et aussi digne. Marie veut dire mer d'amertume, étoile de la mer; il veut dire illuminée

 

1 Ps.88.—2 Luc., 1.

 

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ou illuminatrice : il veut dire enfin reine souveraine. Or, Marie est une mer d'amertume pour les démons; elle est l'étoile de la mer pour les hommes; elle est illuminée ou illuminatrice pour les esprits célestes ; elle est reine souveraine pour toutes les créatures; Marie, dis-je, est spirituellement une mer d'amertume pour les démons , officieusement l'étoile de la mer pour les hommes , éternellement illuminatrice pour les anges, universellement reine souveraine pour toutes les créatures.

Nous devons donc considérer que Marie signifie mer d'amertume, et cela lui convient parfaitement vis-à-vis du démon. Mais remarquez comment elle est une mer, comment elle est dans l'amertume , et comment en elle est en même temps une mer d'amertume. Marie est une mer par l'affluence de la grâce en elle; elle est dans l'amertume par la compassion qu'elle porte à son fils; et elle est une mer d'amertume par la submersion du démon. Elle est vraiment une nier par la plénitude surabondante de l'Esprit-Saint ; elle est vraiment dans l'amertume par la Passion si douloureuse dc Jésus ; elle est vraiment une mer d'amertume par la mort donnée aux démons dans ses flots.

Considérez d'abord, mon bien-aimé, que Marie est appelée une mer par l'affluence et l'abondance des grâces qui sont en elle. Il est écrit dans l'Ecclésiaste : « Tous les fleuves entrent dans la mer (1) . » Ces fleuves sont les dons de l'Esprit-Saint. Aussi lisons

 

1 Eccles., 2.

 

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nous dans l'Evangile de saint Jean : « Si quelqu'un croit en mot, il sortira de son coeur des fleuves d'eau vive; ce que Jésus entendait de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui (1). » Tous les fleuves entrent donc dans la mer puisqu'en Marie entrent toutes les grâces accordées aux saints. En effet , en elle entre le fleuve de la grâce des Anges, le fleuve de la grâce des Prophètes et des Patriarches , le fleuve de la grâce des Apôtres, le fleuve de la grâce des Martyrs, le fleuve de la grâce des Confesseurs, le fleuve de la grâce des Vierges. Tous les fleuves entrent dans cette mer, ou autrement toutes les grâces affluent en Marie. C'est pour cela qu'elle peut très-bien s'appliquer ces paroles de l'Ecclésiastique : « En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité; en moi est toute l'espérance de la vie et de la vertu (2). » Qu'y a-t-il d'étonnant si toute grâce a pris son cours vers Marie, puisque par elle une grâce aussi abondante s'est répandue sur tous les hommes ? « O Marie, dit saint Augustin, vous êtes pleine de la grâce que vous avez trouvée auprès du Seigneur, et que vous avez mérité de répandre par tout le monde. »

Considérez , en second lieu , mon bien-aimé frère, que Marie, en la Passion de son Fils, a été vraiment abreuvée d'amertume, quand le glaive transperça son âme. C'est bien elle qui a pu s'écrier comme dans le livre de Ruth : « Ne m'appelez plus Noémi, c'est-à-dire belle, mais appelez-moi Mara, c'est-à-dire

 

1 Joan., 7. — Eccles., 24.

 

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amère, parce que le Tout-Puissant m'a toute remplie d'amertume (1). » Noémi fut dans l'amertume parce que ses deux fils étaient morts. Noémi belle et amère signifie Marie belle par la sanctification de l'Esprit-Saint , et amère par la Passion de son Fils. Les deux fils de Marie sont : Dieu et l'homme. Elle est mère de l'un corporellement, mère de l'autre spirituellement. C'est pourquoi saint Bernard lui dit : « Vous êtes la mère du roi et la mère de l'exilé, vous êtes la mère de Dieu et la mère du juge, la mère de Dieu et la mère de l'homme; et comme vous êtes mère de l'un et de l'autre, vous ne pouvez souffrir la discorde entre vos enfants. » C'est pour cela aussi que saint Anselme s'écrie : « O confiance bienheureuse! ô refuge assuré! vous, la Mère de Dieu, vous êtes en même temps notre mère! » Or ces deux fils de Marie sont morts tous deux dans la Passion : l'un en son corps, l'autre en son âme; l'un par les déchirements de la croix, l'autre par l'infidélité de son esprit. Et ainsi les entrailles de Marie out été remplies d'amertume outre mesure, comme l'atteste saint Augustin, quand il dit : « Cette pieuse mère se lamentant avec une affliction horrible, frappant sa poitrine affaiblie, avait accablé son cœur et ses membres d'une telle fatigue que, défaillant dans sa marche, c'est à peine si elle put arriver jusqu'au lieu où Jésus-Christ fut déposé après sa mort. » Ainsi vous avez vu comment Marie est une mer par l'abondance des dons de l'Esprit-Saint , et vous voyez

 

1 Ruth., 1.

 

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comment elle est pleine d'amertume par la mort de son Fils.

Reconnaissez donc , en troisième lieu, comment Marie est une mer d'amertume pour le démon et ses anges accablés par elle , ainsi que la mer Rouge fut une mer amère pour les Egyptiens qui y furent submergés et dont il est dit dans l'Exode : « Le Seigneur ramena sur eux les eaux de la mer (1). » Oh! combien amère et redoutable fut cette mer pour les Egyptiens ! Combien amère et redoutable est Marie pour les démons! « Les ennemis visibles , dit saint Bernard , ne craignent pas autant mie foule innombrable de soldats qui viennent à leur rencontre , que les puissances de l'air redoutent le nom , la protection et l'exemple de Marie. Ils disparaissent et s'anéantissent comme la cire en présence du feu,

partout où ils trouvent un fréquent souvenir , une tendre invocation et une imitation ardente de cette Vierge. » Ainsi vous comprenez comment Marie est une mer par l'affluence des grâces qui la remplissent; comment elle est dans l'amertume par la violence de la Passion du Seigneur, et comment elle est une mer amère par la puissance avec laquelle elle submerge le démon.

Maintenant voyons comment le nom de Marie signifie étoile de la mer. Ce nom lui convient véritablement, car pour nous elle en remplit l'office. On lit, et c'est ainsi que la chose se passe , que c'est la coutume des marins qui se disposent à

 

1 Exod.

 

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naviguer vers un pays quelconque, de choisir une étoile dont la lumière doit leur servir de signe pour atteindre sans se tromper la contrée qu'ils ont en vue. Tel est tout-à-fait le ministère de Marie, notre étoile : elle guide ceux qui naviguent sur la mer de ce monde dans le vaisseau de l'innocence ou de la pénitence vers les rivages de la céleste patrie. C'est pourquoi le pape Innocent dit fort bien. « Par quels moyens les vaisseaux peuvent-ils, au milieu de tant de périls, poursuivre leur course jusqu'aux bords de la patrie? Je n'en vois que deux : le bois et l'étoile , c'est-à-dire par la foi de la croix, et par la vertu de cette lumière que Marie, l'étoile de la mer, a donnée au monde. » Marie peut en effet être justement comparée à l'étoile de la mer par sa pureté , par son éclat et par son utilité ; car elle est une étoile très-pure, une étoile très-radieuse, une étoile très-utile. Elle est une étoile très-pure par la sainteté de sa vie; une étoile très-radieuse par l'enfantement de la lumière éternelle, une étoile très-utile parce qu'elle nous dirige vers les rives de la patrie.

Considérez donc d'abord , mon bien-aimé, comment Marie est une étoile très-pure par la sainteté de sa vie exempte de toute faute. Ainsi nous pouvons lui appliquer cette parole de la Sagesse : « Elle est plus belle que le soleil, plus élevée que toutes les étoiles, et comparée à la lumière elle est plus pure (1). » Quelques-uns disent lu première au lieu de plus pure, mais chacune de ces manières de lire convient

 

1 Sap., 7.

 

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parfaitement bien à notre étoile. Marie est la première, c'est-à-dire qu'elle l'emporte sur toutes les autres étoiles. Marie est plus pure que le soleil, les étoiles et la lumière , parce qu'elle surpasse par sa dignité et sa pureté le soleil, les étoiles et toute lumière corporelle , et même toute lumière spirituelle, ou autrement toute la créature angélique dont il est dit : Dieu sépara la lainière des ténèbres (1), c'est-à-dire les anges fidèles des anges qui étaient tombés. Assurément Marie , comparée à cette lumière angélique , tient le premier rang et est plus pure. Elle tient le premier rang par sa dignité; elle est plus pure par sa sainteté. C'est pourquoi saint Anselme s'écrie : « O bénie entre toutes les femmes! vous surpassez les anges par votre pureté, vous surpassez les saints par votre piété (2). » Ainsi vous voyez comment Marie est une étoile très-pure par la sainteté de sa vie.

Considérez en second lieu comment Marie est une étoile très-radieuse pour avoir fait briller le rayon éternel, pour avoir mis au monde le fils de Dieu. C'est de cette étoile qu'il fut dit en présence d'un peuple innombrable : « Une étoile sortira de Jacob , et un rejeton s'élèvera d'Israël (3). » Ce rejeton est le lits de Dieu , qui est le rayon de Marie , notre étoile. C'est ce rayon dont nous chantons : De même que l'astre envoie son rayon, etc. C'est de lui que saint Bernard dit : « Le rayon ne diminue en rien la clarté de l'astre , et le fils de Marie n'altère aucunement

la virginité de sa mère. O Marie , étoile vraiment

 

1 Gen., 1. — 2 ln invoc. Mat, — 3 Num., 24.

 

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bienheureuse , étoile vraiment radieuse ! votre rayon a pénétré non-seulement le monde, mais encore le ciel; non-seulement le ciel, mais encore l'enfer, selon que l'écrit le même saint Bernard : « Elle est, dit-il , cette étoile brillante et splendide sortie de Jacob. Sa lumière illumine l'univers tout entier; a sa splendeur se répand jusque dans les cieux et s'étend jusqu'aux profondeurs des enfers (1). »

Voilà comment Marie est une étoile très-pure par la sainteté de sa vie; comment elle est une étoile très-radieuse par l'enfantement du fils de Dieu.

Remarquez encore, mon bien-aimé, comment Marie est pour nous une étoile très-utile non-seulement parce qu'elle nous dirige vers la patrie céleste , mais encore parce qu'elle nous conduit à travers la mer de ce monde jusqu'à la grâce de son fils comme au port même du ciel. Ainsi elle est cette étoile qui brille de l'éclat le plus vif et guide , sans déviation aucune, les trois mages jusqu'à Jésus-Christ; elle est vraiment l'étoile dont nous avons besoin au milieu des flots de la vie présente. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « Ne détournez pas vos regards de la splendeur de cet astre , si vous ne voulez pas être submergé par la tempête. Si les vents de la tentation s'élèvent contre vous , si vous vous enfoncez au milieu des écueils de la tribulation, regardez l'étoile, invoquez Marie (2). » Il faut donc, mon bien-aimé, si vous voulez ne pas périr sur la nier de ce monde , il faut que vous imitiez Marie. La suivre ,

 

1 Hom. 2, sup. missus est. — 2 Ibid.

 

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c'est avoir trouvé une sûreté inébranlable , selon que l'atteste le même saint Bernant : « En la suivant , dit-il , vous ne vous écartez pas de la voie ; en la priant , vous êtes à l'abri du désespoir; en méditant sur elle, vous demeurez étranger à l'erreur ; retenu par elle, vous ne tombez point : sous sa protection, vous êtes sans crainte ; sous sa conduite, vous marchez sans fatigue; par sa faveur, vous atteignez le but; et ainsi vous éprouvez par vous-même combien avec raison il est écrit : Le nom de la Vierge était Marie. » Marie est donc une étoile très-pure de tout péché, une étoile très-radieuse en son fils, une étoile très-utile au monde.

Après ces réflexions , il nous faut considérer que Marie signifie illuminée ou illuminatrice. Cette dénomination convient également à une si glorieuse Vierge, qui a été illuminée d'une façon admirable par la présence du Seigneur , selon cette parole de l'Apocalypse : « J'ai vu un autre ange qui descendait du ciel, ayant une grande puissance, et toute la terre fut illuminée de sa gloire (1). » Le Fils de Dieu est l'Ange du grand conseil , et la terre illuminée par la gloire de Dieu est Marie , qui , après avoir été illuminée par sa grâce en ce monde , est maintenant illuminée par sa gloire dans le ciel, afin que, ornée d'une telle splendeur , elle fût illuminatrice pour la terre et le ciel. Il faut donc remarquer que Marie ainsi illuminée est illuminatrice par ses exemples, par ses bienfaits , par ses récompenses. Elle est illuminatrice

 

1 Apoc., 18.

 

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par les exemples de sa vie; elle l'est par les bienfaits de sa miséricorde; elle l'est par les récompenses de sa gloire.

Voyez d'abord, mon bien-aimé , comment Marie est illuminatrice pour beaucoup par les exemples de sa vie si éclatante de lumière. C'est elle dont la vie glorieuse a donné la lumière au monde, elle dont la vie si belle éclaire toutes les églises. Elle est le flambeau allumé par Dieu, flambeau dont la splendeur devait conserver l'Eglise exempte de toutes les ténèbres de ce monde. Que cette Eglise élève donc sa voix , que l'âme l'élève également, et qu'elles disent : « C'est vous qui allumez mon flambeau, Seigneur; éclairez mes ténèbres, ô mon Dieu (1) ! » Le Seigneur a allumé vraiment avec éclat ce flambeau, et par ses rayons lumineux il a dissipé et il dissipe les ténèbres de nos âmes. Aussi saint Bernard, comprenant parfaitement cela , s'écrie : « O Marie ! vous nous provoquez à marcher sur vos traces par les exemples magnifiques de vertus que nous admirons en vous; et ainsi vous éclairez notre nuit; car celui qui s'attache à parcourir vos voies ne marche pas dans les ténèbres, mais il possède la lumière de la vie. » Voilà comment Marie est illuminatrice du monde par les exemples de sa vie resplendissante.

Considérez en second lieu que Marie est illuminatrice par les bienfaits vraiment lumineux de sa miséricorde. C'est par cette miséricorde qu'un grand nombre dans la nuit de ce siècle ont été éclairés

 

1 Ps. 17.

 

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spirituellement de même qu'autrefois les enfants d'Israël le furent corporellement par la colonne de feu , selon cette parole du Psalmiste : « Il les conduisit durant le jour avec la nuée qui marchait devant eux, et durant toute la nuit avec un feu qui les éclairait (1). » Marie est pour nous cette colonne en forme de nuée, parce que, semblable à une nuée, elle nous protège contre les ardeurs de l'indignation divine, et nous garantit contre les feux des tentations diaboliques, en sorte qu'il convient de lui appliquer cette parole du Prophète : « Il étendit une nuée pour les mettre à couvert du danger (2). » Marie est aussi une colonne de feu qui nous éclaire ou plutôt qui illumine le monde entier par les bienfaits nombreux de sa miséricorde. Que ferions-nous , infortunés ensevelis dans les ténèbres, que ferions-nous au milieu de la nuit de ce siècle, si nous n'avions devant nous un flambeau si lumineux , une colonne si resplendissante? Que ferait le monde entier s'il n'avait point de soleil? Aussi saint Bernard dit avec une grande justesse : « Otez ce soleil qui éclaire l'univers : que deviendra le jour? Otez Marie, cette étoile de la mer, et que restera-t-il, sinon une obscurité qui enveloppe tout, l'ombre de la mort, des ténèbres impénétrables (3) ? » Vous le voyez donc, Marie est illuminatrice par l'éclat de sa vie; elle est illuminatrice par la splendeur de sa miséricorde. Elle est encore illuminatrice par sa gloire ravissante dont les rayons se répandent sur le ciel tout entier, comme les rayons

 

1 Ps. 77. — 2 Ps. 140. — 3 In Nativ. Virg.

 

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du soleil se répandent sur tout l'univers, nous lisons dans l'Ecclésiastique : « Le soleil embrasse tout dans l'effusion de sa lumière, et l'ouvre du Seigneur est remplie de la gloire de son auteur (1). » Or, Marie est vraiment ce soleil lumineux, elle qui est belle comme la lune, brillante comme le soleil ; belle comme la lune par la grâce qui est en elle, brillante comme le soleil par la gloire dont elle est comblée. L'oeuvre du Seigneur est réellement remplie de sa gloire, car l'oeuvre la plus excellente de ses mains est Marie ; et de même que sur la terre elle a été remplie de la grâce du Seigneur , de même, dans le ciel, elle est remplie de sa gloire. Marie illumine donc par sa gloire, elle embrasse tout de la splendeur de ses rayons, et la clarté de sa lumière s'étend sur tous les anges et sur tous les saints. En effet, qu'y a-t-il d'étonnant que la présence de Marie éclaire le ciel . puisque toute la terre se trouve éclairée par elle. «  L'univers entier, dit saint Bernard, est illuminé par la présence de Marie; mais l'éclat de sa glorieuse virginité répand dans la patrie céleste des rayons plus lumineux encore. (2) » Ainsi Marie n'est pas seulement illuminatrice par sa vie si belle, elle l'est encore par sa gloire incomparable.

Il nous reste à considérer que Marie veut dire reine souveraine. Or, cette interprétation convient parfaitement bien à une reine aussi grande, qui est souveraine au ciel, sur la terre et dans les enfers. Elle est, dis-je, souveraine des anges, souveraine des

 

1 Eccles., 42. — 2 Serm. de Assumpt.

 

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hommes, et souveraine des démons; souveraine de l'ange et de l'homme dans le ciel, souveraine en ce monde, souveraine dans l'enfer.

Voyez d'abord , mon bien-aimé, comment Marie est la souveraine des anges. C'est elle qui nous a été montrée en la personne de la reine Esther, dont il est dit : « Qu'elle s'appuyait avec grâce sur une de ses servantes, et que l'autre suivait sa souveraine, soutenant sa robe, qui tramait à terre (1) . » Par la reine Esther il nous faut entendre Marie ; ces deux servantes dont elle est souveraine et reine , sont la nature angélique et la nature humaine. Oh! combien nous devons nous réjouir, nous infortunés, en voyant que les anges ont un souverain et une reine choisis parmi les hommes ? Oui, Marie est véritablement la souveraine des anges. Aussi saint Augustin , s'adressant à elle, lui dit : « Si je vous appelle le ciel, vous êtes plus élevée ; si je vous nomme la mère des nations, je vous trouve au-dessus d'un tel titre ; si je vous proclame la souveraine des anges , je vois que vous l'êtes de toute manière ; si je vous dit l'image de Dieu, je reconnais que vous méritez un tel nom (2). » Or , l’âme humaine est la servante qui suit Marie , sa souveraine en ce monde,

car elle la suit vraiment en soutenant ses vêtements, c'est-à-dire en recueillant ses vertus et ses exemples. L'ange est la servante sur laquelle Marie s'appuie dans le ciel. Elle s'y appuie en effet en s'unissant aux

anges avec l'amour le plus intime; elle s'y appuie

 

1 Esther., 15. — 2 Serm. 15, de Sanct.

 

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comme une âme d'une délicatesse extrême en s'enivrant de leurs félicités; elle s'y appuie comme remplie de tout don, en leur communiquant de sa plénitude; elle s'y appuie enfin comme une reine toute-puissante en leur communiquant ses commandements , car son empire s'étend sur tous ces esprits célestes. C'est pourquoi saint Augustin s'écrie : « Michel, le chef et le prince de toute la milice céleste obéit à vos ordres avec tous les esprits qui sont comme des ministres, ô Vierge ! soit en défendant les âmes fidèles pendant qu'elles font leur demeure dans le corps, soit en les recevant lorsqu'elles l'abandonnent , et surtout les âmes de ceux qui se recommandent à vous le jour et la nuit, ô souveraine ! » Voilà comment Marie est la reine souveraine des anges dans le ciel.

Considérez en second lieu comment elle est la reine des hommes en ce monde. C'est de cette reine qu'il est dit dans les Psaumes : « Les yeux de la servante sont fixés sur les mains de sa maîtresse (1). » La servante de Marie est toute âme fidèle, ou plutôt l'Eglise universelle. Les yeux de cette servante sont arrêtés sans cesse sur les mains de sa maîtresse, parce que les regards de l'Eglise, les regards de tous les hommes doivent contempler en tout temps les mains de Marie, soit pour en recevoir quelque grâce, soit pour offrir par elle au Seigneur tout le bien que nous pourrions avoir fait. C'est par les mains de cette souveraine, en effet, que nous recevons tout ce que nous possédons

 

1 Ps. 122.

 

36

 

de grâces , et saint Bernard nous l'assure en ces termes : « Dieu, dit-il, a voulu que nous n'eussions rien qui ne passât par les mains de Marie (1). » C'est aussi par ses mains que nous devons présenter à Dieu toutes nos bonnes oeuvres, selon que le même saint Bernard nous y exhorte, en disant : « Ce faible don que vous désirez offrir, ayez soin de l'offrir

par les mains de Marie, ces mains vraiment dignes de le faire accepter , si vous ne voulez pas éprouver de refus (2). » C'est donc pour nous un avantage considérable, nies bien-aimés, d'avoir une telle souveraine dont les mains sont si libérales à répandre sur nous les bienfaits, et dont la puissance est si grande sur son Fils en notre faveur, que nous pouvons tous nous réfugier auprès d'elle avec sécurité. C'est pour cela que saint Anselme s'écrie : « Vous êtes la grande reine à qui l'assemblée bienheureuse des justes rend ses actions de grâces, et vers qui la multitude épouvantée des pécheurs cherche un refuge. Aussi est-ce vers vous, souveraine miséricordieuse et toute-puissante , que je m'empresse,  pauvre pécheur , d'aller chercher un asile au milieu de mes angoisses. » Vous voyez donc que Marie est non-seulement la reine des anges dans le ciel, mais encore la souveraine des hommes en ce monde.

Considérez enfin comment elle est la souveraine des démons aux enfers, comment elle exerce sur eux une domination si absolue qu'il nous est permis de lui appliquer ces paroles du psaume : « Le Seigneur

 

1 Serm. 2, in vigil. Natal. — 2 Serm. in Nativ. Mar.

 

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fera sortir de Sion le sceptre de votre paissance : exercez votre domination au milieu de vos ennemis (1). » Ce sceptre ou cette verge de la puissance , c'est Marie. Elle est en effet la verge fleurie d'Aaron par sa virginité, la verge qui porte des fruits par sa fécondité. Elle est la verge dont il est dit dans Isaïe : « Il sortira une verge de la tige de Jessé (2). » Or, cette verge est une verge de puissance tournée contre les habitants de l'enfer, sur lesquels elle domine avec un pouvoir incomparable; et par-là elle mérite à juste titre, cette souveraine si grande, d'une force si irrésistible, elle mérite que nous l'aimions, que nous lui adressions nos louanges, et que nous soyons fidèles à l'invoquer, afin qu'elle nous protège. contre nos ennemis. Saint Anselme nous en donne l'exemple quand, s'adressant à cette glorieuse reine, il lui dit : « Mon coeur, ô souveraine admirable et vraiment grande, mon coeur soupire après votre amour, ma bouche désire chanter vos louanges, mon esprit ambitionne de

vous offrir ses hommages, mon âme aspire à vous invoquer, et toute ma personne se place sous votre protection. » Ainsi , vous voyez maintenant comment Marie est la souveraine des anges dans le ciel , des hommes sur la terre, des démons dans les enfers.

Vous pouvez donc comprendre par tout ce qui vient d'être dit, que c'est avec une convenance parfaite qu'on a interprété le nom de Marie mer amère, étoile de la mer, illuminatrice et reine souveraine, puisqu'elle est une mer d'amertume pour les démons

 

1 Ps.109.— 2 Es. 11.

 

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pervers, l'étoile de la mer pour les hommes convertis illuminatrice pour les anges fidèles, reine souveraine pour toute créature.

Prions, mes très-chers frères, prions avec une profonde dévotion, prions Marie et disons-lui : « O Marie, mer d'amertume! venez-nous en aide, afin que nous nous plongions entièrement dans l'amertume de la pénitence. O Marie, étoile de la mer! soyez notre secours, afin que notre âme s'avance sans se tromper à travers la mer de ce monde. O Marie, illuminatrice ! soyez notre protection , afin que nous soyons illuminés éternellement dans la gloire. O Marie, reine souveraine ! soyez notre appui, afin que nous marchions comme des enfants sous votre direction et sous votre empire. Nous vous le demandons par Notre Seigneur , qui vit et règne dans tous les siècles. Ainsi soit-il. »

 

LEÇON IV. Que le nom de Marie convient parfaitement à la Vierge  bienheureuse, et en même temps qu'elle a été exempte de tout vice et ornée de toute vertu.

 

Je vous salue, Marie ! — Ce nom affectueux et si doux, ce nom si gracieux et si plein de noblesse, ce nom glorieux et si digne convient véritablement à la vierge bienheureuse, notre souveraine. C'est avec une convenance parfaite qu'une vierge si pieuse a été

 

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appelée Marie, car elle renferme véritablement en elle toute la signification de ce nom , cette vierge qui fut exempte de tout vice et brillante de toute vertu. Elle est digne de s'appeler Marie , dis-je, celle qui a été entièrement à l'abri des sept vices capitaux. En effet, à l'orgueil elle oppose la profondeur de son humilité; à l'envie, sa charité très-affectueuse; à la colère, sa douceur pleine de mansuétude; à la paresse, son activité infatigable; à l'avarice, sa pauvreté si dénuée; à la gourmandise, sa sobriété rigoureuse; à la luxure, sa très-chaste virginité. Nous pouvons conclure toutes ces choses des endroits de l'Ecriture où nous trouvons le nom de Marie exprimé.

D'abord Marie a été très-profonde en humilité. C'est d'elle que parle saint Luc, quand il dit : « Or, Marie répondit : Voici la servante du Seigneur (1). » O humilité vraiment admirable et profonde de Marie! C'est un archange qui lui parle et la proclame pleine de grâce; la descente du Saiht-Esprit en elle lui est annoncée, elle est choisie pour être la mère du Seigneur, elle est préférée à toutes les créatures, elle devient souveraine du ciel et de la terre, et, dans toutes ces prérogatives, elle ne trouve aucun motif de s'élever; au contraire, en présence de tant de faveurs elle s'abaisse avec une incomparable humilité et elle dit : Je suis la servante du Seigneur. C'est pourquoi le vénérable Bède dit fort bien : « Marie ne s'est point enorgueillie des dons du ciel comme s'ils fussent venus d'elle-même; mais, pour se rendre

 

1 Luc., 1.

 

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de plus en plus digne des grâces divines, elle a placé l'avancement de son âme sous la sauvegarde de l'humilité, en répondant à l'Ange : Voici la servante du Seigneur (1). » Ces paroles s'adressent à beaucoup qui, dans la prospérité et les honneurs, en recevant des grâces et en s'adonnant aux vertus, ne s'humilient point avec Marie et Jésus, ruais s'enflent d'orgueil avec Eve et Lucifer.

Et cette humilité de Marie ne se montre pas seulement par des paroles, mais encore par des actions; elle ne brille pas seulement dans cette magnifique réponse , mais encore dans le fait de sa purification au temple. Ce n'est pas seulement de bouche qu'elle s'abaisse comme la plus vile des servantes , mais c'est encore par sa conduite qu'elle se regarde comme une coupable et une pécheresse. Car c'est d'elle qu'il est dit dans l'Evangile : « Lorsque les jours de la purification de Marie furent accomplis selon la loi de Moise (2), etc. » O orgueil infortuné et insensible! O dureté superbe et malheureuse du pécheur! Marie se soumet à la loi de la purification sans avoir encouru la moindre tache , et toi , misérable rempli de toutes sortes de péchés, tu refuses de te soumettre à la loi de la satisfaction !

Voyez maintenant , mon bien-aimé , combien Marie a été affectueuse et pleine de charité. C'est d'elle qu'il est dit dans saint Luc : « Marie partit et s'en alla en diligence au pays des montagnes, en une ville de la tribu de Juda (3). » Elle s'en alla , dis-je, pour

 

1 Hom. de Sanct. — 2 Luc., 2. — 3 Luc., 1.

 

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visiter, saluer et servir Elisabeth. Voyez comment cette visite de la Vierge est abondante en charité. Dans le récit qui nous en est fait, le nom de Marie est prononcé quatre fois , afin de nous montrer avec plus de plénitude sa charité envers Dieu et envers le prochain. Cette charité du prochain doit exister et être entretenue par le coeur, la bouche et les oeuvres. Or, Marie eut la charité du prochain en son coeur, et c'est pour cela qu'elle partit et s'en alla en toute hâte au pays des montagnes. Qui l'aurait porté à s'empresser autant pour accomplir les devoirs de la charité, sinon cette même charité qui consumait son coeur? Nous lisons que les bergers s'en vinrent avec diligence à la crèche, que Marie s'en alla avec diligence pour rendre service, que Zachée descendit avec diligence pour recevoir le Seigneur. Malheur donc à ceux qui n'ont aucun empressement pour les oeuvres de charité! — Marie entretenait la charité par ses paroles , car c'est d'elle qu'il est parlé en ce passage : « Dès qu'Elisabeth entendit la voix de Marie qui la saluait (1), etc. » La charité, dis-je, doit être en tout temps entretenue par des salutations affectueuses au prochain et par un langage plein d'amour. Ainsi l'Ange salue Marie, Marie salue Elisabeth, le Fils de Marie salue les saintes femmes qui revenaient du sépulcre, en leur disant : Je vous salue. Malheur à ceux qui par haine refusent le salut à leurs frères ! Malheur à ceux qui les saluent perfidement à l'exemple de Judas , qui dit à Jésus : Maître, je vous salue! Oh ! avec quelle douceur

 

1 Luc., 1.

 

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Marie sait offrir ses saluts ! Daignez donc , ô Marie! nous saluer par votre grâce. Assurément elle nous saluera avec libéralité par ses bienfaits et ses consolations, si nous la saluons fréquemment par notre obéissance et nos prières. Elle nous saluera volontiers avec amour, si nous la saluons de grand coeur en lui disant : Je vous salue, Marie.

Enfin la charité de Marie n'existait pas seulement dans son coeur, elle n'était pas seulement entretenue par ses paroles; elle était de plus exercée par des oeuvres. C'est d'elle qu'il est dit : « Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois (1). » Elle demeura avec Elisabeth pour la servir et la consoler. C'est pour cela que saint Ambroise s'écrie        Celle qui était venue pour servir , s'appliquait à servir (2). » Marie eut en tout la charité envers le prochain; mais elle fut par-dessus tout remplie d’amour pour Dieu, car c’est elle qui s’écrire : « Mon âme glorifie le Seigneur (3), etc. » L'âme glorifie ce qu'elle aime et fait éclater sa joie en ce qui fait l'objet de ses affections. L'âme de Marie a glorifié Dieu avec un respect très-profond, et a tressailli d'allégresse en lui avec une assurance inébranlable, parce qu'elle l'aima de la façon la plus excellente. C'est de cet amour que Hugues de Saint-Victor a dit cette parole bien juste : « Comme le feu de l’Esprit-Saint brûlait dans le coeur de Marie d'une manière toute particulière, la vertu de ce même Esprit opérait des merveilles en sa chair (4). »

 

1 Luc.,1.— 2 Comm. in Luc., 1. 2, c. 1.— 3 Luc., 1. — 4 Hug., de Mar. Virg.

 

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Considérez en troisième lieu combien fut parfaite la douceur de Marie , combien elle fut patiente à l'encontre de toute adversité. C'est à elle que Siméon adressait ces paroles que nous lisons en saint Luc : « Cet enfant est établi pour la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël et pour être en butte à la contradiction, et votre âme, à vous, sera percée d'un glaive (1). » Ce glaive désigne la Passion très-douloureuse de son Fils. Le glaive matériel ne peut tuer l'âme ni la blesser. Ainsi la Passion si amère de Jésus, bien qu'elle eût transpercé de douleur l'âme de sa Mère , ne lui a point donné la mort en faisant naître la haine en elle; elle ne l'a point blessée en y soulevant l'impatience. Marie, en effet, n'a jamais haï les meurtriers de son Fils; jamais elle ne s'est emportée contre eux. Les autres martyrs ont été très-patients sans doute dans ce qu’ils souffraient en leurs corps, mais combien plus Marie, notre martyre, fut-elle patiente dans tous les tourments auxquels son âme fut en proie ! C'est de son noble martyre que saint Jérôme dit : « Puisqu'elle a ressenti en esprit et de la manière la plus cruelle le glaive de la Passion de Jésus-Christ, elle est plus que martyre (2). « O patience! ô mansuétude admirable de Marie! Ce n'est pas seulement tandis que son Fils était crucifié en sa présence qu'elle montra cette vertu, mais ce fut encore, lorsqu'avant le crucifiement, pendant la prédication de l'Evangile, Jésus était méprisé à cause d'elle, lorsqu'on disait , ainsi qu'il est rapporté dans

 

1 Luc., 2. — 2 Epist. 10.

 

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saint Marc : « N'est-ce pas là cet ouvrier, Fils de Marie (1) ! » et qu'on se scandalisait à son sujet. Sans doute Jésus-Christ est un ouvrier, mais un ouvrier qui a fabriqué l'aurore et le soleil. Hélas! combien sont éloignés de cette vertu de la très-douce Marie ces hommes si violents, si impatients et si irascibles , ces hommes qui l'ont ressentir si souvent les effets de leur colère à ceux qui mangent à la même table qu'eux , à ceux qui habitent la même maison et jusqu'à leurs voisins !

Voyez, en quatrième lieu , mon cher frère , combien elle fut empressée et infatigable dans la pratique des bonnes oeuvres. Car c'est de cette Marie qu'il est dit dans les Actes des Apôtres. « Ils persévéraient tous unanimement dans la prière avec les femmes qui avaient suivi le Seigneur pendant sa vie et Marie, mère de Jésus (2). » En persévérant ainsi sans se lasser dans la prière, Marie nous a donné l'exemple; il nous faut l'imiter et ne point nous rebuter. Ensuite si Marie a prié avec tant de diligence pendant qu'elle était sur la terre, comment ne priera-t-elle pas avec assiduité pour nous dans le Ciel? Aussi saint Augustin nous excite fort bien par ces paroles à nous adresser à elle : « Implorons tous et de toutes nos forces la protection de Marie , nous dit-il , afin que , voyant les humbles hommages que nous nous empressons de lui rendre sur la terre, elle daigne, par une prière amoureuse, intercéder pour nous dans le Ciel (3). » Mais ce n'est pas seulement dans des

 

1 Marc., 6. — 2 Act., c. 1. — Serm. 35 , Sanct.

 

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prières vocales, c'est encore dans les saintes méditations que Marie fut vigilante et infatigable. Nous lisons dans l'Evangile de saint Luc : « Marie conservait le souvenir de toutes ces choses et les repassait dans son coeur (1). » Et comme la paresse n'avait en elle aucun accès, elle n'était à charge à personne; car, non contente d'exercer son esprit en de pieuses méditations, sa langue en de saintes prières, elle exerçait encore ses mains à de lionnes œuvres. C'est pour cela, ainsi qu'il a été dit plus haut, qu'elle demeura trois mois chez Elisabeth : « C'était, dit le vénérable Bède , afin qu'elle, jeune vierge, pût offrir sans cesse ses services à cette femme qui était avancée en âge (2). » Hélas! combien sont éloignés de cette vertu de Marie ces paresseux infortunés dont l'esprit, les mains, la langue sont si souvent vides de mérites.

Considérez cinquièmement la stricte pauvreté de Marie. C'est d'elle qu'il est parlé dans ce passage de l'Evangile où il est dit : « Les bergers trouvèrent Marie et Joseph et l'Enfant couché dans une crèche (3). » Les bergers pauvres trouvèrent Marie pauvre et l'Enfant pauvre couché dans une pauvre crèche, en un lieu misérable et non point en un palais pompeux. Sans doute cette mère si indigente se fût procuré un bon logement si ce n'eût été sa détresse profonde. Si vous pesez bien attentivement toutes ces choses, vous comprendrez clairement quelle était la pauvreté de Marie. « Voyez , dit saint, Jean Chrysostome, combien grande est l'indigence

 

1 Luc., 2. — 2 Hom. in Deip. — 3 Luc., 2.

 

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de Marie, et que celui qui est dans le besoin trouve là sa consolation. » Assurément celui qui est pauvre volontairement et de plein gré à cause de Dieu , ou même celui qui l'est par la force des choses, mais avec patience; celui-là , dis-je , peut puiser une grande consolation dans la pauvreté de Marie et de Jésus. Mais il sont loin d'une telle consolation , ces riches coupables qui en cherchent une autre toute différente. C'est pourquoi le Seigneur a dit : « Malheur à vous, riches, qui avez ici-bas votre consolation (1) ! » Je ne veux pas désespérer les riches , car ce ne furent pas seulement les pauvres bergers , mais encore les rois riches, qui trouvèrent Marie pauvre et son Fils pauvre , selon qu'il est dit dans saint Matthieu : « Les Mages entrant dans la maison trouvèrent l'Enfant avec Marie, sa mère, et se prosternant ils l'adorèrent; puis ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe (2). » Ainsi les riches qui vinrent apporter des présents , trouvèrent aussi Jésus et Marie. Les pauvres reçoivent donc la consolation de leur pauvreté ; les riches, de leur libéralité. Les pauvres sont semblables à Jésus-Christ par leur indigence , les riches le deviennent par la profusion de leurs bienfaits.

Voyez en sixième lieu combien tempérante fut la sobriété de Marie ; car c'est à elle qu'il est dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce (3). » Remarquez bien cette parole : « Vous avez trouvé

 

1 Luc., 6. — 2 Mat., 2. — 3 Luc., 1.

 

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grâce. » Jamais Marie n'eût trouvé une grâce semblable, si cette grâce ne l'eût trouvée elle-même d'une tempérance parfaite dans le boire et dans le manger. La grâce et la gourmandise ne sauraient habiter en un même ieu , car il est impossible que l'homme soit agréable à Dieu par la grâce et qu'il soit ingrat envers lui par la gourmandise. C'est donc une chose excellente de chercher la grâce et de fuir la gourmandise. Saint Paul dit : Qu'il est bon d'affermir son coeur par la grâce, et non par une abondance de nourriture qui n'a été d'aucun avantage pour ceux qui en ont été les esclaves (1). Remarquez bien aussi qu'il est dit à Marie : « Vous concevrez dans votre sein (2). » Jamais elle n'eut conçu dans son sein si ce sein eùt été engraissé aux dépens de l'honneur de Dieu , si ce sein eùt fermenté sous l'action du vin , car le sein échauffé de la sorte est bientôt la proie de la concupiscence. Ce sein qui devait porter le Dieu incarné n'a donc jamais été appesanti par le boire ni par le manger. C'est pour cela que saint Jean Chrysostome dit : « Marie ne fut jamais une femme de bonne chère ni adonnée au vin (3). » Hélas ! combien éloignés de cette vertu de Marie sont ceux qui, si souvent dans le boire et le manger, passent les bornes de la tempérance !

Voyez enfin en dernier lieu comment la chasteté de Marie fut parfaite en sa virginité. C'est d'elle qu'il est dit : « Le nom de la vierge était Marie (4) » Nous avons pour témoins de cette admirable chasteté l'Evangéliste,

 

1 Hebr., 13. — Luc., 1. — 2 Hom. 1, in Mat. — 3 Luc., 1.

 

 

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nous avons Marie elle-même, nous avons la personne de l'Ange. Elle a été chaste en sa chair virginale , selon que l'atteste l'Evangile, en disant : Le nom de la vierge était Marie. Plus chaste encore en son âme, comme elle nous l'atteste elle-même lorsqu'elle dit à l'Ange : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? » Enfin elle a été d'une chasteté au-delà de tout ce qu'on peut dire dans le fruit sacré de son sein , selon que l'Ange en rend témoignage lorsqu'il dit à Joseph : « Joseph, fils de David, ne craignez point de prendre avec vous Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle est l'ouvrage de l'Esprit-Saint (1). » Dès lors que la vierge Marie devient féconde par l'action du Saint-Esprit et qu'elle conçoit un fruit tout divin , sans aucun doute sa virginité ne souffre aucune atteinte d'une semblable fécondité. Au contraire, elle est glorifiée d'une manière admirable par la présence glorieuse de celui qui s'incarne. Oui, ô Marie ! votre virginité a été approuvée par le fruit de votre sein, par lui elle a été consacrée, par lui ennoblie , par lui dotée et enrichie, par lui scellée et affermie. C'est pourquoi saint Augustin nous dit : « C'est en toute vérité que nous proclamons Marie Vierge et Mère. Sa fécondité réelle a comblé de gloire sa virginité, et cette virginité sans tacite a exalté sa fécondité indubitable. » Saint Bernard dit aussi : « Ce que je trouve de plus glorieux, c'est cette virginité qui prend un nouvel éclat dans la fécondité, et cette fécondité

 

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qui tire sa gloire de la virginité (1). » Hélas! combien sont éloignés de cette vertu de Marie ceux qui ne font nul effort pour conserver la pureté, ceux qui sont ennemis de la chasteté !

Puis donc que le nom très-doux de Marie, ainsi qu'il a été dit plus haut, est si plein de grâce et de vertu, invoquons sans crainte ce nom, et écrions-nous dans nos prières avec saint Bernard : « Que par vous, ô reine très-clémente, vos pauvres serviteurs qui invoquent votre très-aimable nom , voient se répandre sur eux les trésors de la grâce de Jésus-Christ , votre Fils, qui vit et règne avec son Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles. Ainsi soit-il (2).

 

LEÇON V. Que la grâce de la bienheureuse Marie est vraie, immense, multiple et vraiment utile.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâce. Nous avons montré comment Marie, par l'innocence très-pure de sa vie, a mérité d'être saluée d'un salut d'amour et de bénédiction. Il nous faut maintenant faire voir comment, par l'abondance admirable de la grâce en elle, elle était vraiment digne d'être appelée pleine de grâce. — Je vous salue donc, ô pleine de grâce!

Considérons, mes bien-aimés, cette grâce si admirable de Marie. Considérons, dis-je, la vérité de la grâce de Marie , son immensité , sa multiplicité et son

 

1  Hom. in Verb. Apoc. — 2 Id. 4, in Assumpt.

 

 

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utilité; car la grâce de Marie est une grâce très-véritable , une grâce très-immense , une grâce très-multiple , et enfin une grâce très-utile.

Considérons donc premièrement la vérité de la grâce en Marie. Vous avez trouvé grâce auprès de Dieu, lui dit l'Ange. Sans doute qu'elle est véritable cette grâce qui se trouve auprès du Dieu qui est vérité. Il dit auprès de Dieu et non auprès du démon, car le démon offre bien la grâce d'une prospérité perfide, afin d'engager plus facilement à pécher. Aussi Holopherne, qui est la figure du démon , dit-il : « Buvez maintenant et mangez avec joie, parce que vous avez trouvé garce auprès de moi. (1)» Il dit auprès de Dieu et non auprès du Inonde , parce qu'auprès du monde, c'est-à-dire chez les hommes mondains, souvent il y a une fausse grâce, une fausse compassion. C'est pourquoi il est dit dans l'Ecclésiastique : « Ne découvrez point votre coeur à toute sorte de personnes, de peur que celui à qui vous vous confiez ne vous montre une fausse bienveillance et qu'il ne médise ensuite de vous (2). » L'Ange dit auprès de Dieu et non auprès des hommes, ce qui fait dire à saint Bernard : « Cherchons la grâce, mais la grâce auprès de Dieu et non auprès des hommes; car la grâce qui se trouve auprès des hommes, est une grâce fausse (3). » Auprès de Dieu et non auprès de la chair, car toute la grâce de la chair est mensongère , comme la beauté et autres avantages de la chair. C'est pourquoi Salomon a dit : « La grâce est

 

1 Judith. — 2 Eccles., 8. —  3 ln Nat. Virg.

 

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trompeuse et la beauté est vaine (1). » Marie, cette vierge très-grave, a méprisé la grâce perfide du démon, la grâce passagère du monde, la vaine grâce de la chair; et c'est pour cela qu'elle a trouvé auprès de Dieu une grâce pure et véritable, une grâce qu'aucun mélange étranger n'avait altérée, en sorte qu'elle pouvait s'écrier avec l'Ecclésiastique : « Mon parfum est comme celui d'un baume très-pur et sans mélange (2). » Ce baume de Marie, c'est l'onction de la grâce dont elle a été comblée avec une abondance sans mesure. C'est pourquoi saint Bernard, parlant sur cette parole : l'Esprit-Saint descendra en vous (3), dit : « Ce baume, ô Marie ! vous sera donné avec une telle effusion, et il se répandra en vous avec une telle plénitude, qu'il débordera de toutes paris sans jamais s'épuiser (4). »

Le baume a coutume d'être mélangé avec le miel et l'huile quand on veut l'altérer. Mais assurément le baume de l'Esprit-Saint en Marie n'a subi aucun mélange, et il n'a été vicié ni par le miel des douceurs de la chair ou d'une consolation mondaine, ni par l'huile d'une vainc louange ou d'une fausse adulation. Aussi , la grâce de Marie se trouvant si véritable et si pure, saint Jérôme s'écrie : « Ce qui s'est accompli en Marie est tout entier pureté et simplicité, tout entier grâce et vérité, tout entier miséricorde et ,justice; c'est la justice qui a brillé sur nous du

haut des cieux (5). » Que ceux donc qui désirent

 

1 Prov., 51. — 2 Eccles., 24. — 3 Luc., 1. — 4 Hom. in Nat. Virg. — 5 Epist. 10.

 

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trouver avec Marie une grâce véritable, s'approchent avec elle, pleins d'ardeur et d'empressement, de celui en qui cette grâce résida. L'Apôtre nous y exhorte quand il nous dit : « Allons donc nous présenter avec confiance au trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours dans nos besoins (1). » Remarquez bien que celui qui veut trouver, doit chercher ; que celui qui veut obtenir, doit s'abaisser. Qu'il s'abaisse donc avec Marie par une humilité véritable, celui qui désire avec elle trouver une grâce véritable; car il est dit dans l'Ecclésiastique : « Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses, et vous trouverez grâce devant Dieu (2). » Marie, parce qu'elle s'est abaissée par une humilité très-réelle , a trouvé une grâce très-véritable, en sorte qu'elle a pu s'écrier : « Le Seigneur a regardé mon humilité (3). »

Voyons maintenant, mes chers frères, l'immensité de la grâce de Marie, qui lui a mérité d'être appelée pleine de grâce. Elle fut assurément immense cette grâce, puisqu'elle en fut remplie. Un vase d'une capacité immense ne saurait être plein, à moins que l'objet qu'il reçoit ne soit immense lui-même. Or, Marie fut un vaisseau très-immense puisqu'elle a pu contenir celui qui est plus grand que le ciel. Mais quel est celui dont la grandeur surpasse l'étendue du ciel? Sans doute , c'est celui dont Salomon a dit : « Si le ciel et les cieux des cieux ne peuvent vous comprendre, combien moins cette maison que j'ai bâtie (4) ? » En

 

1 II. Cor. — 2 Eccles., 3. — 3 Luc., 1. — 4 III. Reg., 8.

 

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effet, ce ne fut point cette maison bâtie par Salomon qui put comprendre Dieu en son enceinte, mais la maison dont, celle-ci n'était. que l'image. Vous êtes donc , ô très-immense Marie! plus étendue que les cieux , puisque celui que les cieux mêmes ne peuvent contenir, vous l'avez porté dans votre sein. Vous êtes plus grande que le monde, puisque celui que l'univers entier ne saurait comprendre s'est enfermé dans vos entrailles. Mais si telle a été la capacité du sein de Marie, combien plus grande est celle de son finie ! Et si celte capacité si immense a été pleine de grâce, il a donc fallu que la grâce qui a pu remplir une si vaste capacité fût immense. Mais qui pourra mesurer cette immensité? Voilà qu'il est dit dans l'Ecclésiastique : « Qui a mesuré la hauteur du ciel, l'étendue de la terre et la profondeur de l'abîme (1) » Or, le ciel , c'est Marie, tant parce qu'elle a été douée an plus haut degré d'une pureté toute céleste, d'elle clarté toute céleste, et de toutes les autres vertus dans un degré tout céleste , que parce qu'elle est le trône le plus élevé du Seigneur, selon cette parole du Prophète : « Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel (2). » Marie est aussi la terre, puisque c'est elle qui nous a produit ce fruit dont le même Prophète a dit : « La terre a donné son fruit (3). » Marie est également l'abîme par la profondeur de sa bonté et de sa miséricorde, et c'est pour cela qu'elle invoque sans cesse pour nous la miséricorde très-profonde de son Fils, comme un abîme invoque un autre abîme (4).

 

1 Eccles., 1. — 2 Ps., 102. — 3 Ps. 60. — 4 Ps. 41 .

 

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Ainsi Marie est le ciel, elle est la terre, elle est l'abîme. Or, qui a mesuré la hauteur de ce ciel , l'étendue de cette terre , la profondeur de cet abîme?

Qui , dis-je, a mesuré l'immensité de Marie, si ce n'est celui qui l'a rendue si élevée, si étendue, si profonde , non-seulement en grâce et en gloire , mais encore en miséricorde? C'est pourquoi saint Bernard, parlant spécialement de cette miséricorde, s'écrie : « Qui pourra, ô Vierge bénie! comprendre la longueur, la largeur, la sublimité et la profondeur de votre miséricorde ? Sa longueur s'étend jusqu'à leur dernière heure sur tous ceux qui l'invoquent, elle vient en aide à tous. Sa largeur a couvert le

inonde entier , et la terre en a été toute remplie. Sa sublimité s'est élevée jusqu'à réparer les ruines de la cité céleste, et sa profondeur s'est abaissée jusqu'au rachat de ceux qui étaient assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. (1)»

Méditons , en troisième lieu , qu'elle a été la multiplicité de la grâce de Marie. C'est d'elle que l'Ecclésiastique a dit : « J'ai étendu mes branches comme le térébinthe , et mes branches sont des branches d'honneur et de grâce (2). » Le térébinthe, selon la Glose et Pline, est un grand arbre qui croit en Syrie, et dont les rameaux sont nombreux et très-étendus. Le mâle de cet arbre ne porte aucun fruit, mais seulement la femelle. Ce fruit est d'une double espèce : rouge et pâle, et il répand une odeur délicieuse. Or, cet arbre élevé et qui croit en

 

1 Serm. 4, in Assumpt. — 2 Eccl., 24.

 

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Syrie, est la bienheureuse vierge Marie, car le mot Syrie veut dire une terre arrosée. En effet, la vie entière de Marie a été vraiment arrosée par la grâce, puisque dès le sein de sa mère cette vierge a commencé à croître à la fraîcheur des eaux divines. D'ailleurs , qu'y a-t-il d'étonnant que Marie grandisse ainsi arrosée par les courants de la grâce, puisque sans cette rosée céleste il n'est aucune plante qui ne se dessèche? Et c'est pour cela qu'il est dit en saint Luc : « Une partie de la semence ayant levé, se sécha, parce qu'elle n'avait pas d'humidité (1). » Les rameaux de cet arbre qui sont des rameaux d'honneur et de grâce , sont les vertus , les exemples et les bienfaits de Marie. Ces rameaux nombreux sont les mérites abondants de sa grâce; ce sont ses vertus et ses exemples de chaque jour, ses miséricordes et ses bienfaits incalculables. Les oiseaux célestes, c'est-à-dire les saintes âmes , font volontiers leur demeure à l'ombre de ces rameaux , et viennent avec empressement y goûter le bonheur , en sorte qu'on peut appliquer à cet arbre cette parole de Daniel : « Les oiseaux du ciel demeuraient sur ses branches (2). » Oh ! combien largement cet arbre , qui est la bienheureuse vierge Marie, étend ses rameaux ! comme il les porte au loin ! comme il les élève ! Il les étend au large sur les hommes, il les porte au loin jusqu'aux anges, il les élève en haut jusqu'à Dieu. Mais comment Marie étend-elle ainsi sur tous les hommes les rameaux de ses grâces et de ses bienfaits? Saint Bernard nous le

 

1 Luc., 9. — 2 Dan., 4.

 

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dit en ces paroles : « Marie a ouvert à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous puissent recevoir de sa plénitude : le captif la rédemption , le malade la guérison , l'homme abattu par la tristesse la consolation , le pécheur le pardon , le juste la grâce , l'ange la joie, enfin la Trinité entière la gloire, et la personne du Fils la substance pour se faire homme (1). »

Maintenant le fruit de cet arbre est celui dont il est dit : « Béni est le fruit de votre sein.(2) » Ce fruit est devenu rouge par le sang qu'il a versé, et pâle par les coups de la mort. C'est pour cela que l'épouse, ou autrement l’âme sainte, s'écrie dans les Cantiques: «  Mon bien-aimé est éclatant entre tous les autres par sa blancheur et sa rougeur (3). » Elle pourrait dire également : Mon bien-aimé est pâle, est rouge. Ce fruit répand aussi , pour les âmes dévotes , une odeur délicieuse. L'apôtre saint Jean l'avait sentie lorsqu'il dit au Seigneur : « L'odeur de vos parfums a excité en moi des voluptés toutes célestes. « O âme ! ô âme ! tu es insensible à l'odeur de miséricorde exhalée par ce fruit! Oh! si tu l'avais ressentie, tu te bâterais de courir à sa suite selon qu'il est dit dans les Cantiques: « Nous courons à l'odeur de vos parfums (4). »

C'est aussi une chose digne de remarque, que ce n'est point le mille du térébinthe , niais la femelle qui a coutume de porter du fruit. Ainsi le fruit de vie, Jésus-Christ, a été produit par une femme, et par une femme vierge qui est demeurée tout-à-fait

 

1 Hom. in Verb., Apoc., 12. — 2 Luc., 1. — 3 Cant., 4. — 4 Id., 1.

 

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étrangère à l'homme. C'est pourquoi saint Augustin a dit: « Pour être sa mère, une vierge a été choisie , qui dût concevoir la chair sans aucune concupiscence de la chair, et enfanter un homme saris avoir jamais connu l'homme. »

Considérons , en quatrième lieu , mes bien-aimés, l'utilité de la grince de Marie. C'est d'elle qu'il est dit: « La femme modeste et pleine de grâce trouvera la gloire (1). » Telle est l'utilité de la grâce de Marie : elle a trouvé une gloire éternelle. Cette grâce a été d'une utilité incomparable et pour Marie et pour nous. Elle a été, dis-je, d'une utilité incomparable pour Marie, car c'est cette grâce qui l'a comblée de délices , cette grâce qui l'a rendue miraculeuse , cette grâce qui l'a couronnée de gloire. Elle l'a comblée de délices en son âme, rendue miraculeuse en son Fils, couronnée de gloire dans le ciel. En effet, Marie a été vraiment enivrée de délices dans le plus profond de son coeur ; elle a été vraiment miraculeuse dans le fruit de sou sein virginal; elle est véritablement glorieuse sous l'éclat du diadème éternel. Et ces délices dont elle surabonde en son âme , ces délices qui en font le paradis où le Dieu vivant trouve son bonheur, c'est à la grâce qu'elle en est redevable , selon cette parole de l'Ecclésiastique : « La grâce est comme un jardin délicieux et béni du ciel (2). » Elle a été , en vérité , ce jardin délicieux du Seigneur, ce jardin comblé de bénédictions et abondant en toutes sortes de félicités spirituelles. C'est ce qui fait s'écrier à saint Bernard :

 

1 Prov., 11. — 2 Eccles., 40.

 

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« De quel autre nom que du nom de délices appellerai-je cette splendeur de la virginité unie au don de la fécondité , cet éclat de l'humilité , ce rayon de la charité d'où distille le miel , ces entrailles de miséricorde , cette plénitude de grâce , cette prérogative de gloire toute singulière (1). »

La grâce a rendu Marie miraculeuse en son fils, miraculeuse en sa conception, miraculeuse en son enfantement; car c'est un miracle qu'une vierge ait conçu, un miracle plus grand encore qu'elle ait conçu un Dieu , qu'elle ait enfanté un Dieu. Aussi est-ce avec raison qu'il lui est dit de cette grâce : « Vous avez trouvé grâce devant Dieu; vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus (2). » Et à l'occasion d'un tel nom saint Bernard s'adresse ainsi à Marie : « Comprenez , ô Vierge prudente ! par le nom même du Fils qui vous est promis, combien grande, combien spéciale est la grâce que vous avez trouvée devant Dieu (3). »

Enfin la grâce a rendu Marie glorieuse. Aussi est-ce avec vérité qu'il est dit, selon que nous l'avons rapporté plus haut : « La femme pleine de grâce trouvera la gloire. » Avec quel bonheur Marie l'a trouvée, elle dont la gloire est si grande dans le Inonde , si incomparable dans le ciel ! Non , jamais une simple créature ne reçut une grâce aussi étonnante sur la terre , ne trouva une gloire aussi élevée auprès de Dieu. Assurément sa gloire a égalé sa grâce,

 

1 Serm. 4, in Assumpt. — 2 Luc., 1. — 3 Hom. 3, sup. missus est.

 

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car le Prophète a dit : « Le Seigneur donnera la grâce et la gloire (1). » Mais cette grâce de Marie n'est pas seulement utile à elle-même, elle l'est encore à nous, mes chers frères, elle l'est à tout le genre humain , car cette grâce recueille les méchants , enrichit les bons, et délivre tous les hommes. Elle recueille les méchants en les arrachant au crime , elle enrichit les bons en les comblant de grâce, elle délivre tous les hommes de la mort éternelle.

Je dis donc que Marie recueille les méchants pour en faire l'objet des miséricordes célestes, pour les rendre à l'Eglise. C'est ce que nous voyons bien exprimé dans la grâce que Ruth a trouvée, alors qu'elle ramassait les épis laissés par les moissonneurs, et qu'elle dit à Booz : « J'ai trouvé grâce devant vos yeux, ô mon Seigneur (2) ! » Ruth signifie celle qui voit ou celle qui s'empresse , et elle désigne la bienheureuse Vierge qui a vraiment vu dans la contemplation , et qui s'est vraiment empressée de répandre sur nous sa miséricorde. Booz signifie la vertu, et il nous marque celui dont il est dit dans les Psaumes : « Le Seigneur est grand , et grande est sa vertu (3). » Ruth a donc trouvé grâce aux yeux de Booz, Marie aux yeux du Seigneur, afin qu'il lui fût permis de recueillir les épis , c'est-à-dire les âmes délaissées par les moissonneurs, et de les recueillir pour les faire participer au pardon. Quels sont ces moissonneurs , sinon les docteurs et les pasteurs de l'Eglise? Oh ! elle est vraiment grande, cette grâce de Marie qui recueille,

 

1 Ps. 83. — 2 Ruth., 2. — 3 Ps. 146.

 

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pour les offrir à la miséricorde , un nombre si considérable de ceux que les docteurs et les pasteurs ont abandonné comme incorrigibles. C'est pourquoi saint Bernard s'écrie : « O Marie! vous embrassez et vous réchauffez en votre sein le pécheur qui est un objet de mépris pour le monde entier, et vous n’abandonnez pas cet infortuné que vous ne l'ayez réconcilié avec son juge redoutable (1). »

La grâce de Marie enrichit les bons de l’abondance de la grâce. Ainsi il est dit dans l'Ecclésiastique : « L'agrément d'une femme soigneuse sera la joie de son mari , et elle répandra la vigueur dans ses os (2). » Cette femme soigneuse , c'est Marie, dont Bède loue la diligence en ces termes : « Marie était attentive à sonder les secrets de Dieu dans le silence et avec un coeur toujours vigilant (3). » Quel est le mari de cette femme, sinon celui qu'elle a contenu dans son sein , celui dont Jérémie a dit : « Le Seigneur a créé sur la terre un prodige nouveau : une femme environnera un homme en son sein (4) ? » Les ossements de cet homme sont tous ceux qui sont forts en son corps, c'est-à-dire en son Eglise. Ces ossements, par la faveur de Marie , deviennent vigoureux sous l'onction de la grâce; ils se remplissent, dis-je, de la vigueur de l'Esprit-Saint dont le Prophète désirait recevoir l'abondance lorsqu'il disait : « Que mon âme soit remplie de votre divine miséricorde; qu'elle en soit comme rassasiée et engraissée (5) ? » Oh ! qui pourra compter

 

1 De laud. Virg., — 2 Eccl., 26. — 3 Hom. de Sanct. — 4 Jer., 31. — 5 Ps. 61

 

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combien d'âmes aidées du secours de Marie sont ainsi rassasiées et engraissées de la grâce? Ou plutôt, qui dira combien grande fut en Marie cette abondance de grâce, puisque sa faveur enrichit ainsi tant de milliers d'âmes? Qui dira combien elle fut féconde en vertu, celle dont la demeure fut enrichie par-dessus toute créature de toute vertu sans exception ; car saint Jean Damascène nous dit : « Marie a été plantée comme un olivier fécond dans la maison du Seigneur et enrichie de son esprit; elle est devenue le sanctuaire de toutes les vertus (1). »

Enfin la grâce de Marie délivre de la mort éternelle tous ceux qui en sont préservés. C'est elle qui est figurée par Esther, dont nous lisons : « Le roi l'aima par-dessus toutes les autres femmes; elle trouva grâce et faveur devant lui, et il lui mit sur la tête le diadème royal (2). » Or, cette grâce qu'Esther trouva devant le roi eut une double utilité : d'abord elle lui valut à elle le diadème royal, et ensuite elle lui servit à obtenir le salut de sa nation condamnée à mourir. Ainsi en est-il de notre Esther, de la bienheureuse Marie. Elle a obtenu une grâce si abondante que, non-seulement par elle, elle est parvenue à la couronne, mais qu'elle est encore venue en aide au genre humain dévoué à la mort. C'est pourquoi saint Anselme s'écrie : « Quelles actions de grâce convenables pourrai-je rendre à la mère de mon Dieu et de mon Seigneur ? Par sa fécondité , j'ai été racheté de l'esclavage ; par son enfantement divin , j'ai été

 

1 Dam., lib. 4 , de Fid. ortlrod. — 2 Esth., 2.

 

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délivré de la mort éternelle: par celui dont elle est la mère , j'ai été rétabli dans les biens que j'avais perdus, et de l'exil de la misère ramené à la patrie de la céleste béatitude. »

O Mère de la grâce, rendez-nous donc des enfants de grâce; faites que par votre grâce très-véritable nous soyons recueillis pour recevoir pardon et miséricorde, enrichis de la grâce d'une piété sincère et délivrés de la mort de la damnation. Nous vous en prions par Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi soit-il.

 

LEÇON VI. Que dans Marie il y a une grâce que nous devons considérer sous quatre points de vue : la grâce des dons, la grâce des paroles, la grâce des privilèges et la grâce des récompenses. — De chacune de ces grâces en particulier.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâce. — Il nous reste encore , mes frères bien-aimés, quelque chose à vous dire touchant la grâce de la très-douce Marie. Cette grâce s’offre à nos considérations sous quatre points de vue divers : c'est la grâce des dons, la grâce des paroles, la grâce des privilèges, la grâce des récompenses.

Considérez donc d'abord en Marie la grâce des dons de l'Esprit Saint. Marie peut, dans sa reconnaissance, en présence de cette grâce , s'écrier avec l'Ecclésiastique : « En moi est toute la grâce de la vie et de la

 

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vérité (1). » Qu'y a-t-il d'étonnant qu'elle soit pleine de la grâce de la vie et de la vérité puisqu'elle est la mère de celui que nous voyons rempli avec une surabondance si admirable des dons de l'Esprit-Saint, et que sur la fleur de sa virginité ce même Esprit s'est reposé avec une effusion inénarrable de ses grâces? Car Marie est ce rejeton, et le fils de Marie est cette fleur dont il est dit dans Isaïe : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine; et l'Esprit da Seigneur se reposera sur cette fleur, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; et il sera rempli de l'esprit de la crainte du Seigneur (2). » En cette fleur, l'abondance de l'Esprit-Saint est vraiment admirable, car l'influence s'en fait sentir d'une manière si ineffable sur toute l'Eglise, que le bienheureux évangéliste saint Jean s'écrie : « Nous avons tous reçu de sa plénitude la grâce intérieure pour la grâce extérieure de la loi (3). » Mais, puisque la grâce qui s'est écoulée de cette fleur a ainsi arrosé le jardin tout entier , combien plus se sera-t-elle répandue sur la tige qui la portait, sur Marie? Que la Vierge s'écrie donc sans crainte : « En moi se trouve toute la grâce de la vie et de la vérité. » Car cette grâce de la vie et de la vérité consiste sans doute dans les sept dons de l'Esprit-Saint dont nous venons de parler. C'est par eux qu'elle s'est communiquée à Marie. La grâce de la vérité a établi Marie dans la vérité au-dessus, au-dessous , au-dedans et au-dehors d'elle-même. Elle

 

1 Eccles., 24. — Is., 11. — 2 Joan., 1.

 

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l'a, dis-je, établie dans la vérité au-dessus d'elle-même par le don de sagesse, au-dessous par le don de conseil , au-dedans par le don d'intelligence, au-dehors par le don de science. Cette grâce a établi vraiment l'âme de Marie dans la vérité au-dessus d'elle-même en la faisant contempler sagement les choses dont elle devait jouir; au-dessous d'elle en lui faisant prévoir avec un admirable à-propos ce qu'elle devait fuir; au-dedans en lui donnant une connaissance très-assurée de ce qu'elle devait croire; au-dehors en lui faisant discerner avec plénitude de raison ce qu'elle devait faire.

La grâce de la vie a réglé la vie de Marie dans le bien par rapport au démon , par rapport au prochain, par rapport à Dieu. Cette grâce, dis-je, a réglé la vie de Marie dans le bien par rapport au démon par le don de force, par rapport au prochain par le don de piété, par rapport à Dieu par le don de crainte. Elle a réglé la vie de Marie par rapport au démon en la portant à lui résister fortement; par rapport au prochain en lui inspirant une bienveillance pleine de tendresse; par rapport à Dieu en mettant en son coeur un respect accompagné de la dévotion la plus sincère. Aussi le Saint-Esprit a-t-il désigné Marie de la manière la plus juste par cette demeure que la sagesse incréée s'est bâtie d'une façon si admirable, qu'elle a appuyée sur sept colonnes qui ne sont autre chose que les sept dons de ce divin Esprit. Celui donc qui commence à soupirer après ces colonnes de l'Esprit de Dieu, peut en contempler la beauté dans cette maison,

 

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et s'il veut en obtenir la possession, c'est là qu'il doit venir répandre ses désirs et ses prières. Celui qui poursuit de toute l'ardeur de son âme cette grâce de l'Esprit divin , montrée à nos yeux sous sept formes diverses, doit chercher la fleur de cet Esprit dans la tige qui l'a portée : c'est par la tige que nous parviendrons à la fleur, par la fleur que nous arriverons à l'Esprit qui a fixé en elle son repos. Par Marie nous nous approchons de Jésus-Christ , et par Jésus-Christ nous trouvons la grâce du Saint-Esprit. C'est pour cela que saint Bernard , s'adressant à Marie, lui dit : « Par vous nous avons accès auprès de votre Fils, ô Vierge bénie, qui avez trouvé la plénitude de toute grâce, génératrice de la vie, mère du salut, et par vous nous sommes reçus de celui qui nous a été donné par vous (1). »

Considérez, en second lieu, en Marie la grâce de ses paroles, dont il est dit au psaume : « La grâce est répandue sur vos lèvres (2). » En effet, la grâce répandue sur les lèvres de Marie a été si grande que la Vierge peut très-bien être représentée par Judith , dont il est dit : « Il n'y a point dans toute la terre une femme semblable à celle-ci, soit pour l'air et la beauté du corps. soit pour le sens et la sagesse des paroles (3). » En vérité il n'est pas, il n'y a pas eu et il n'y aura jamais de femme sur qui Marie ne l'emporte par l'éclat de sa vie glorieuse, par la beauté de sa conscience si pure, et par la sagesse des paroles sorties de sa bouche si éloquente. Cette grâce attachée aux paroles que la bouche de

 

1 Serm. 2, de Adv. — 2 Ps. 44. — 3 Judith., 11.

 

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Marie a prononcées, nous la découvrirons facilement si nous voulons recueillir soigneusement tout ce que l'Evangile nous en a conservé. Nous y trouvons sept paroles diverses , qui sont comme autant de rayons d'où distille un miel plein de douceur, et qui s'échappent de ses lèvres en nous indiquant combien délicieuse était cette grâce dont il est dit au Cantique des Cantiques : « Vos lèvres sont comme un rayon d'où distille le miel (1). » Ces sept rayons de miel sont les sept paroles si suaves que nous lisons avoir été dites par Marie à l'Ange, à l'homme et à Dieu : deux sont adressées à l'Ange, deux à l'homme et trois à Dieu.

Les deux paroles qu'il fut donné à l'Ange d'entendre sont une parole de chasteté et une parole d'humilité. La parole de chasteté vint se placer sur les lèvres de Marie quand elle dit à l'Ange : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme (2)? » Cette parole est dirigée contre les impudiques, dont les lèvres ignorent ce qui est chaste et pur, et ne savent s'ouvrir qu'à ce qui est impur, honteux et détestable. La parole d'humilité adressée par Marie à l'Ange eut lieu quand elle lui répondit si humblement : « Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole (3). » Et cette parole est dirigée contre les superbes et les arrogants qui n'ont d'eux-mêmes que des sentiments élevés, et dont les lèvres ne résonnent que de paroles de jactance et de vaine gloire.

Les paroles de Marie à l'homme sont une parole de

 

1 Cant., 4. — 2 Luc., 1. — 3 Id.

 

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charité et une parole de vérité une parole de charité dans la salutation qu'elle fit, une parole de vérité dans l'instruction qu'elle donna. Or , cette parole de charité adressée à l'homme eut lieu quand Marie salua avec tant de tendresse la mère du Précurseur que l'enfant porté par celle-ci en son sein en tressaillit. Cette parole est dite contre les hommes haineux qui ne parlent jamais avec charité au prochain, ou même qui dédaignent de lui adresser la parole. Marie prononça une parole de vérité, quand le vin venant à manquer, elle dit à ceux qui servaient : « Faites tout ce qu'il vous dira (1). » Et cette parole est une leçon pour ceux qui n'instruisent pas les autres dans le bien, mais les portent au mal et leur donnent des conseils pervers.

Enfin Marie adressa trois paroles au Seigneur , et ainsi elle s'entretint davantage avec Dieu qu'avec l'Ange et avec l'homme, puisqu'elle ne parla que deux fois avec chacun de ces derniers et trois fois avec Dieu. Hélas ! hélas ! que cet exemple crie fortement contre un grand nombre qui conversent si peu avec le Seigneur dans l'oraison, et si fréquemment avec les hommes dans des entretiens inutiles et souvent même nuisibles! Or, Marie adressa à Dieu une parole de reconnaissance , une parole de plainte , une parole de compassion. Une parole de reconnaissance de ce qu'il avait abaissé son regard sur elle ; de plainte lorsqu'elle perdit son Fils ; une parole de compassion lorsque le vin manqua.

 

1 Joan., 9 .

 

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Cette parole de reconnaissance de Marie à Dieu eut lieu quand le Seigneur ayant abaissé ses regards sur son humilité, elle lui dit : « Mon âme glorifie le Seigneur (1). » Et cette parole est dirigée contre les ingrats qui, hélas! après avoir reçu de Dieu des bienfaits nombreux et considérables ne lui rendent que de faibles actions de grâces, et qui même se servent quelquefois de ses dons pour s'enorgueillir contre lui. Marie eut sur les lèvres une parole de plainte quand elle dit à son Fils perdu depuis trois jours : « Mon Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi vis-à-vis de nous? Votre père et moi nous vous cherchions en pleurant (2).» Et cette parole est dite contre les indévots qui ne cherchent pas Jésus avec douleur, quand, par la soustraction de la dévotion, ils l'ont perdu pendant un temps considérable. Enfin Marie adressa à Dieu une parole de compassion quand, aux noces de Cana, elle dit à son Fils : « Ils n'ont point de vin (3). » Ce qui est à l'adresse de ceux qui sont sans pitié; ceux que les défauts de leurs frères ne touchent point et qui ne s'intéressent en faveur du prochain ni auprès de Dieu ni auprès des hommes. Et maintenant, ô Marie, notre avocate, nous avons besoin, nous aussi, que vous suggériez à votre Fils que beaucoup d'entre nous n'ont point de vin; qu'ils n'ont point le vin de la grâce du Saint-Esprit, le vin de la componction, le vin de la dévotion , le vin des consolations spirituelles. C'est à ce propos que saint Bernard dit: « Combien de fois ne suis-je point obligé

 

1 Luc., 1 — 2 Luc., 2 —  3 Joan., 2.

 

après avoir entendu vos plaintes accompagnées de larmes, de prier la mère de miséricorde qu'elle daigne suggérer à son tendre Fils que vous n'avez point de vin. Sachez-le donc, mes bien-aimés frères; si vous la suppliez avec ferveur, elle ne vous fera pas défaut, car elle est miséricordieuse , elle est la mère de la miséricorde. Si elle a compati à la confusion de ceux qui l'avaient invitée, combien plus compatira-t-elle à vos besoins quand vous l'en conjurerez pieusement (1)? » Pesez maintenant, par tout ce que nous venons de dire, combien le Roi des rois a aimé Marie, puisqu'il a trouvé sur ses lèvres une grâce si abondante, car il est écrit : « Celui qui aime la pureté du coeur aura pour ami le Roi da

ciel, à cause de la grave qui est répandue sur ses lèvres (2). »

Considérez, en troisième lieu , mes chers frères, la grâce des privilèges en Marie. C'est d'elle qu'il est dit: « Vous avez trouvé grâce auprès du Seigneur: vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils et vous l'appellerez du nom de Jésus. Il sera grand et il sera appelé le fils du Très-Haut (3). » Vous voyez comment Gabriel, assurant à Marie qu'elle a trouvé grâce, ajoute aussitôt en lui indiquant quelle est celte grâce : « Vous concevrez dans votre sein. » Oh ! combien grand et inconnu à tous les siècles fût ce privilège, qu'une vierge ait pu concevoir en son sein et enfanter le Fils du Très-Haut! Nous pouvons distinguer sept privilèges en Marie; et cette faveur d'être

 

1 Serm. 2, in Dom. I post Epiph. — 2 Prov., 22. — 3 Luc., 1.

 

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ainsi remplie de grâces immenses, Marie seule l’a reçue de Dieu.

Le premier de ces privilèges, c'est que Marie a été par-dessus tous les hommes pure de tout péché. En effet, dès le sein de sa mère elle fut comblée d'une grâce de sanctification si abondante que, durant le cours entier de sa vie, elle n'éprouva aucune inclination même pour le péché véniel le plus léger. C'est pourquoi saint Bernard a dit : « Il convenait que la reine des vierges, par un privilège de sainteté particulière, passât sa vie loin de tout péché, puisqu'en mettant au monde le destructeur de la mort et du péché, elle répandait sur tous les hommes le don de la vie et de la justice (1). »

Le second privilège de Marie, c'est qu'elle a été remplie de grâce d'une manière plus excellente que tout le reste des hommes; ce qui a fait dire à saint Jérôme : « La grâce n'est accordée aux autres qu'avec mesure ; mais, pour Marie, la plénitude entière de la grâce se répand sur elle. (2) » Aussi est-ce avec raison que le même bienheureux docteur, comparant la grâce de Marie à la grâce des anges et lui donnant la préférence , ajoute : « Nous devons croire que la sainte et glorieuse vierge Marie a été jugée digne des privilèges les plus considérables de vertu , et qu'elle a reçu une grâce admirée des anges eux-mêmes. »

Le troisième privilège de Marie , c'est qu'elle seule a été mère en conservant une virginité inaltérable.

 

1  Epist. 174. — 2 Epist. 10

 

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Saint Bernard, exaltant cette faveur, nous dit : «  Marie a choisi pour elle la meilleure part; oui, assurément la meilleure, car la fécondité dans le mariage est bonne et la chasteté est meilleure; mais la fécondité virginale, ou autrement la virginité fécondée l'emporte par-dessus tout le reste, et cet avantage singulier de Marie ne passera point à une autre, car il ne saurait lui être ravi (1). »

Le quatrième privilège de Marie, c'est qu'elle seule est la mère très-ineffable du Fils de Dieu, seule la mère de ce Fils dont Dieu seul est le Père; et ce qui remplit d'admiration outre mesure, c'est qu'un tel privilège ait été accordé à une créature. « C'est une gloire vraiment propre à la Vierge, dit saint Bernard , une prérogative extraordinaire qui n’appartient qu'à Marie, d'avoir mérité d'avoir un Fils qui est en même temps le Fils de Dieu le Père (2). »

Le cinquième privilège de Marie, c'est d'avoir, plus qu'aucune créature, joui de la société de Dieu de la manière la plus intime. Car ce qui n'a jamais été accordé, ce qui ne le sera jamais à personne dans toute la suite des siècles, c'est qu'elle ait, pendant neuf mois, porté Dieu dans son sein, c'est qu'elle ait nourri Dieu de son lait par un miracle sans cesse renouvelé; c'est qu'elle ait prodigué ses. soins à Dieu avec un bonheur ineffable pendant un grand nombre d'années; qu'elle ait vu Dieu soumis à sa volonté; qu'elle ait pu presser Dieu dans de chastes embrassements et le couvrir des baisers de son autour , comme

 

1 Serm. 4, in Assumpt. — 2 Serm. 2, de Annunt. Dom

 

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saint Augustin nous le dit clairement en ces paroles : « Il n'est pas étonnant, ô Marie, que le Dieu qui règne dans les cieux daigne trouver son bonheur en vous, dès-lors qu'il vous a été accordé sur la terre, après l'avoir mis au monde comme homme, de le presser tant de fois dans vos bras aux jours de son enfance (1). »

Le sixième privilège de Marie, c'est qu'elle l'emporte auprès de Dieu en puissance sur toute créature. Ce qui a fait dire à saint Augustin : « Obtenez-nous ce qui fait l'objet de nos demandes , excusez ce qui est de nature à nous inspirer de la crainte; car nous ne trouvons personne qui soit au-dessus de vos mérites, vous qui avez été digne d'être la mère de notre Rédempteur et de notre Juge (2). » Assurément c'est un privilège considérable de l'emporter auprès de Dieu en puissance sur tous les saints, selon que le déclare le même saint Augustin : « Il n'est pas douteux , dit-il , que celle qui a été digne d'offrir le prix de notre délivrance, ait un pouvoir plus grand que celui de tous les saluts dans les voeux qu'elle offre en notre faveur. » Mais de quoi nous servirait cette puissance si grande de Marie si elle était insensible à ce qui nous concerne? Aussi, mes bien-aimés, devons-nous tenir pour certain et en rendre des actions de grâces incessantes, que, si elle est auprès de Dieu la plus fondée en pouvoir , elle est aussi la plus empressée pour tout ce qui touche à nos intérêts, comme l'atteste le même docteur en s'adressant ainsi à

 

1 Serm. 15, de Sanct. — 2 Ibid.

 

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la Vierge : « Nous savons, ô Marie, que seule, vous avez pour la sainte Eglise plus de sollicitude que tous les saints ensemble , et que c'est vous qui obtenez un délai aux transgresseurs, afin qu'ils aient le temps de renoncer à leurs erreurs. »

Le septième privilège de Marie, c'est qu'elle a été comblée d'une gloire plus excellente que la gloire de tous les saints. C'est pour cela que saint Jérôme dit : « La sainte Eglise de Dieu chante sans crainte par tout l'univers, ce qu'il n'est permis de croire d'aucun autre saint , savoir : que Marie a été élevée en gloire au-dessus des anges et des archanges. » Et cette faveur n'a point été accordée à la Vierge comme un don de la nature ; c'est par un bienfait de la grâce qu'elle la possède. C'est un privilège vraiment glorieux pour elle, d'être après Dieu la plus élevée en gloire. C'est un privilège admirable, que tout ce qu'il y a après Dieu de plus beau , tout ce qu'il y a de plus délicieux, tout ce qu'il y a de plus délectable en la céleste patrie , soit Marie , soit en Marie ou par Marie. C'est un privilège tout-à-fait éclatant qu'après Dieu notre plus grande gloire et notre félicité la plus ineffable se trouvent en Marie. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « Après le Seigneur , le comble de la gloire, ô Marie! c'est de vous voir, c'est de s'attacher à vous , c'est de demeurer sous le rempart de votre protection. »

Voilà donc quels sont les sept privilèges glorieux de Marie, et c'est à leur faveur que nous obtenons la vie de la grâce. Aussi pouvons-nous adresser à la

 

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Vierge bienheureuse la prière qu'Abraham adressait à Sara : « Dites, je vous en supplie , que vous êtes ma soeur, afin que je sois traité favorablement à cause de vous , et que ma vie soit conservée en votre considération (1). » Dites, ô Marie, ô notre Sara, dites que vous êtes notre soeur, afin que Dieu nous soit favorable à cause de vous, et que nos âmes, en votre considération, puissent continuer à vivre en Dieu. Dites, ô bien-aimée Sara, que vous êtes notre soeur, afin que les Egyptiens, c'est-à-dire les démons, nous respectent, afin que dans le combat, les anges. s'unissent ù nous à cause d'une telle soeur, afin que. le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient compassion de nous.

Considérez enfin , mes chers frères , la grâce des. récompenses en Marie. Nous en avons déjà touché un mot dans le septième privilège. On peut entendre de cette grâce cette parole de l'Ecclésiastique : « La femme sainte et pleine de pudeur est une grâce qui passe toute grâce (2). » Cette femme pleine de pudeur et sainte sur toutes les autres femmes, c'est Marie , en qui chaque grâce l'a emporté sur une autre grâce; la grâce de la gloire sur la grâce de cette vie , la grâce des récompenses dans le ciel sur la grâce des mérites en ce monde. Or, cette grâce de la béatitude de Marie consiste en sept qualités du corps et de l'âme. Car, tout corps glorifié renferme quatre qualités glorieuses: une clarté admirable, une subtilité prodigieuse, une agilité ineffable , une impassibilité inaltérable. Mais si

 

1 Gênes., 19. — 2 Eccles., 26.

 

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Dieu a comblé de ces quatre faveurs les corps de tous les bienheureux , avec combien plus de magnificence en aura été gratifiée celle qui a donné le jour au Glorificateur de tous les corps? Qu'y a-t-il d'étonnant qu'elle soit dans le ciel toute resplendissante de clarté, celle dont la sainteté a jeté un éclat si lumineux sur la terre? Aussi saint Bernard lui dit-il : « Alors que vous demeuriez au milieu des pécheurs, vous avez tellement brillé devant Dieu par votre sainteté, que seule vous avez été digne d'approcher du trône du Roi éternel. » Qu'y a-t-il d'étonnant qu'elle possède au plus haut degré le don de subtilité, celle que son humilité avait rendue d'une simplicité si parfaite durant sa vie? Ce qui fait dire encore à saint Bernard : « Jamais elle n'eût été élevée au-dessus du choeur des anges si auparavant elle ne fût descendue par l'humilité au-dessous de tous les hommes. » Qu'y a-t-il d'étonnant que son agilité surpasse celle de tous les bienheureux dans le ciel , puisque sa piété a été si empressée sur la terre? Elle s'est en allée avec hâte au pays des montagnes pour en remplir les devoirs; et saint Ambroise , parlant de cet empressement plein de diligence, dit : « Où peut aller avec tant de hâte celle qui est pleine de Dieu, si ce n'est aux lieux les plus élevés? La grâce de l'Esprit-Saint ne souffre pas une action languissante (1). » Enfin qu'y a-t-il d'étonnant si son impassibilité l'emporte sur celle de tous les saints , alors que sa patience et sa longanimité étaient si admirables que jamais elle n'éprouva la plus

 

1 In Luc., lib. 2.

 

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légère atteinte d’impatience ou de haine, même lorsque le glaive de douleur transperça son âme. Nous ne lisons nulle part et nous ne croyons pas que l'apparence même de la haine ou de la colère se soit jamais montrée en Marie. C'est pourquoi saint Bernard dit: « Parcourez avec soin toute la suite de l'histoire évangélique, et si vous trouvez en Marie quelque chose de dur , quelque chose de sévère , ou enfin le moindre signe de l'indignation la plus légère, alors défiez-vous d'elle et craignez de vous en approcher . »

Mais si telle a été la gloire du corps bienheureux de Marie, quelle sera , pensez-vous, la gloire de soit âme très-sainte ? L'âme bienheureuse possède trois qualités qui concourent à son bonheur : une connaissance admirable, un amour indicible et une jouissance inépuisable ; ou , pour m'exprimer selon certains auteurs modernes : la vision , la jouissance et la possession. Mais de quelque manière qu'on appelle ces qualités de l'âme, il est certain qu'elles sont en Marie à un degré incomparablement plus grand que dans les autres aines bienheureuses. Et effet, si toutes ces aimes sont enivrées de félicité par la possession de ces qualités, combien plus doit l'être celle qui a conçu et donné au monde celui qui est l'auteur de toute félicité dans le ciel? Qu'y a-t-il d'étonnant que l'âme de Marie soit toute illuminée de la science la plus claire et la plus brillante, elle dont l'union à la lumière éternelle avait été si intime? Ce qui a fait dire à saint

 

1 Serm. in Verb. Apoc.

 

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Bernard : « Elle a pénétré l'abîme insondable de la sagesse divine au-delà de ce que nous pourrions croire , puisqu'elle a été unie à cette lumière inaccessible aussi étroitement que le peut souffrir la condition de l'humanité en dehors de l'union d'une personne divine (1). » Qu'y a-t-il d'étonnant que l'âme de Marie soit plongée dans un amour inénarrable? Qu'y a-t-il d'étonnant, dis-je, qu'elle aime plus que tous les saints , elle qui a été aimée par-dessus tout? Oui , par-dessus tout, car saint Augustin dit : « Le Roi des rois vous aime plus que tous les saints, et en vous il associe dans l'embrassement de son amour sa mère véritable et son épouse brillante de beauté (1). » Enfin qu'y a-t-il d'étonnant que l’âme de Marie soit enivrée d'une jouissance surabondante de délices , elle qui s'est nourrie avec tant de douceur du fruit béni de son sein? Aussi le même saint Augustin nous dit : « L'âme de Marie jouit de la clarté de Jésus-Christ, elle est toujours présente à ses embrassements glorieux , elle le contemple sans cesse , et , alors qu'elle demeure toujours altérée de sa vue , elle se nourrit de lui d'une manière inestimable (3). »

Ainsi Marie ne surpasse pas les autres saints seulement par la grâce de la vie ni par celle des mérites , mais encore par la grâce de la gloire et des récompenses. C'est pourquoi elle est parfaitement désignée par la reine Esther , dont nous lisons que, conduite à

 

1 Serm. in Verb. Apoc. — 2 Serm. 35 de Sanct. — 3 Lib. de Sanct.

 

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la chambre d'Assuérus, elle trouva grâce et considération devant lui de préférence à toutes les autres femmes, et que le roi plaça sur sa tête le diadème royal (1). Esther signifie celle qui est délivrée et élevée. Or , tout cela convient très-bien à Marie, dont saint Jérôme a dit : « Elle est élevée au-dessus des choeurs des anges , afin qu'elle puisse contempler la beauté et la splendeur du Sauveur qu'elle avait aimé, qu'elle avait désiré de toute l'ardeur de son coeurs. » Cette reine Esther, cette bienheureuse vierge Marie a été conduite au jour de son Assomption en la chambre du roi Assuérus, du Roi éternel, dans cette chambre dont saint Augustin, parlant à la Vierge, a dit : « Vous résidez, brillante de perles et de parures précieuses, au milieu des délices de la demeure du Rois. » Conduite dans cette demeure de l'éternel repos, Marie, devenue reine, a trouvé grâce aux yeux d'Assuérus, c'est-à-dire du Roi véritable, par-dessus toutes les autres femmes, ou autrement par-dessus toutes les intelligences angéliques et toutes les âmes bienheureuses , en sorte que la grâce de Marie surpasse la grâce de tous les habitants de la bienheureuse patrie. Le Roi des rois a posé sur sa tête un diadème royal , diadème tellement inappréciable , tellement délectable et admirable , que nulle langue ne saurait en parler dignement , nul esprit en reconnaître la valeur.

Ainsi , mes bien-aimés , vous avez vu combien grande a été en Marie la grâce des dons , combien la

 

1 Esth., 1. — Epist. 10. — Serm. 55, de Sanct.

 

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grâce de paroles, combien la grâce des privilèges , et combien abondante la grâce des récompenses. Prions donc cette Vierge qui a trouvé une si grande affluence de grâces, de nous faire aussi trouver grâce auprès du Seigneur par Jésus-Christ, son Fils, qui vit et règne avec lui en l'unité de l'Esprit-Saint dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

LEÇON VII. Qu'il y a en Marie neuf plénitudes qui représentent les plénitudes des neuf choeurs des Anges dans la gloire.

 

Je vous salue, pleine de grâce. — Ce n'est pas assez pour l'Archange de louer simplement la grâce de Marie, il a voulu surtout nous en marquer la plénitude quand il l'a dite : pleine de grâce. Oh oui! elle en est réellement pleine, et d'une plénitude parfaite. Gabriel n'avait point dit encore : « Vous concevrez dans votre sein....; » il n'avait point dit : «  L'Esprit-Saint viendra en vous. » Si donc avant l'arrivée de l'Esprit-Saint , si avant d'avoir conçu le Fils de Dieu , Marie était pleine de grâce , combien plus le fut-elle après? C'est pourquoi saint Anselme dit fort bien : « Elle a été saluée par l'Ange mille fois pleine de grâce, elle a été remplie de l'Esprit-Saint. elle a été comblée de la plénitude de la Divinité. » C'est donc avec raison que Marie est dite pleine de

 

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grâce; elle est, dis-je, pleine de l'illumination de la sagesse , pleine de l'inondation de la grâce , pleine de la possession d'une bonne vie, pleine de l'onction de la miséricorde , pleine de la fécondation d'un fruit béni , pleine de la perfection de l'Eglise , pleine des parfums d'une renommée qui répand en tous lieux sa bonne odeur, pleine de la divine gloire, pleine enfin de la jouissance de l'éternelle félicité. Contemplons en Marie ces neuf plénitudes qui nous représentent les plénitudes des neuf choeurs angéliques.

Considérons d'abord , mes bien-aimés, que Marie est pleine de l'illumination de la sagesse et de l'intelligence. C'est pour cela qu'elle peut justement être représentée par la lune en son plein , dont il est dit dans les Proverbes : « L'homme n'est point à la maison ; il s'est en allé pour un voyage lointain; il a emporté avec lui un sac d'argent, et il ne doit revenir en sa demeure qu'à la pleine lune (1). » Cet homme est celui dont Jérémie a dit : « Le Seigneur a créé sur la terre un prodige nouveau; une feinnae environnera un homme dans son sein (2). » Cette femme c'est Marie, femme seulement par sa nature, mais non par la corruption commune ; c'est la mère de la vertu. Elle a environné Notre-Seigneur en son sein , elle l'a revêtu de l'habit de notre mortalité. Cet homme , si cependant , comme dit Josèphe (3), il est permis de l'appeler un homme, a dans sa demeure trois lieux distincts. En effet il est de la majesté d'un roi d'avoir ainsi en son palais une salle publique, un

 

1 Prov., 7. — 2 Jér., 31. — 3 Antiq. just., I. 18, c. 4.

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cénacle et un appartement privé. La salle publique est le lieu où l'on donne audience; le cénacle, où l'on prend ses repas; l'appartement privé, le lieu où l'on goûte le repos. Ainsi en est-il de notre Roi dont la puissance commande aux vents et à la mer : il a un lieu où il donne audience : c'est le monde; un lieu où il prend sa nourriture: c'est l'Eglise, et c'était autrefois la Synagogue; enfin un appartement privé où il jouit du repos : c'est l'âme raisonnable. Mais hélas ! cet homme, ce Seigneur des vertus a été bien éloigné de sa demeure du monde, de celle de la Synagogue, de celle de l'âme; car le salut est bien loin des pécheurs. Cet homme n'était donc plus dans sa maison quand il a dit, en se plaignant, par Jérémie: « J'ai abandonné ma demeure, j'ai délaissé mon héritage (1). » Il a emporté aussi un sac d'argent avec lui, car il avait caché au monde le trésor de sa miséricorde et de sa grâce. Mais voici que cet homme est revenu au jour de la pleine lune , de cette lune dont il est dit dans les Cantiques : « Vous êtes belle comme la lune (2) . » La lune représente donc Marie, et la pleine lune, la plénitude de Marie. C'est avec justice qu'elle est comparée à la pleine lune , puisqu'elle a été pleinement illuminée par le Soleil éternel de la splendeur de la sagesse et de la vérité. C'est avec justice que son nom signifie illuminée et illuminatrice , car cette lune qui est notre flambeau a été rendue brillante de lumière par le Seigneur , et ensuite elle a éclairé le monde , selon cette parole du Prophète :

 

1 Jér., 12. — 3 Cant., 6.

 

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« C'est vous, Seigneur, qui allumez mon flambeau; éclairez, mon Dieu, mes ténèbres (1). » Or, Cet homme est retourné en sa maison à la plénitude de la lune, quand Jésus-Christ est venu sur la terre en se faisant homme. Oh ! que cette plénitude est véritablement admirable! Si Marie a été remplie de la lumière de la sagesse qui lui fut communiquée par le soleil éternel avant qu'elle l'eût conçu dans son sein, combien plus en fut-elle remplie après qu'elle l'eut conçu dune façon si merveilleuse et qu'elle l'eut reçu en elle aussi entièrement? C'est pourquoi saint Bernard , louant cette plénitude de la sagesse en Marie, nous dit : « La céleste sagesse s'est bâti une demeure en Marie. Elle a tellement rempli son âme de sa plénitude que la Vierge en a été fécondée tout entière et que la chair et la virginité en même temps ont mis au monde, revêtue d'un corps semblable à nous , cette même sagesse qu'auparavant son esprit seul avait conçue. »

Considérons maintenant, en second lieu , comment Marie a été pleine de l'inondation de la grâce en son coeur. Cette inondation fut telle , sa profondeur et son étendue sont si admirables , que c'est avec justice qu'elle peut être appelée une mer pleine, selon cette parole : « Que la mer fasse entendre sa voix et sa plénitude aussi. (2) » De même que dans la mer se trouve l'assemblage des eaux , de même en Marie se trouve la réunion des grâces. C'est pourquoi il est écrit que la mer est appelée la réunion des eaux , et

 

1 Ps. 17. — 2 Paral., 16.

 

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l'Ecclésiastique ajoute : « Tous les fleuves entrent dans la mer (1). » Ces fleuves sont tous les dons des grâces diverses qui sont entrés en Marie , selon cette parole du Sage : « En moi se trouve toute la grâce de la vie et de la vérité (2). » Or, combien pleine est cette mer, combien pleine de grâce est Marie, saint Jérôme nous le montre en ces termes : « Marie , nous dit-il, possède une plénitude véritable; car aux autres c'est par portion seulement qu'on accorde les faveurs, tandis qu'en elle la grâce tout entière s'est répandue tout d'un coup et sans réserve (3). » Ecoutons clone maintenant cette mer si remplie, dont la voix se fait entendre contre les vices. Que la mer tonne donc et sa plénitude aussi; que la mer qui est remplie fasse retentir sa voix; que Marie pleine de grâce fasse entendre sa parole; qu'elle tonne contre la luxure en proposant la chasteté et en s'écriant : « Comment cela se fera-t-il , car je ne connais point d'homme? » Qu'elle tonne contre l'orgueil en nous montrant son humilité et en disant : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » Qu'elle tonne contre l'ingratitude par ses actions de grâces et qu'elle chante : « Mon âme glorifie le Seigneur. » Il est encore dit dans les Psaumes, de la plénitude de cette mer : « Que la mer avec tout ce qui la remplit, soit toute émue (4)! Que la mer soit émue, que Marie soit émue; qu'elle soit émue de nos soupirs et de nos pénitences; qu'elle soit émue de nos larmes et de nos prières; qu'elle soit émue de nos

 

1 Eccl., 1. — 2 Eccli., 24. —3 Epit. 10. — 4 Ps. 95.

 

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aumônes et de tous les respects que nous lui rendons. Qu'elle soit, dis-je, émue pleinement, afin qu'elle répande sur nous de sa plénitude. Remarquons bien ce que saint Bernard nous dit à cette occasion : « Si un vase bien rempli est ébranlé, il se déborde facilement et il répand ce qu'il confient; ainsi la Vierge bienheureuse, si nous l'ébranlons par nos prières, répandra ses grâces sur nous. »

Considérons maintenant comment Marie est remplie réellement de la possession d'une bonne vie. Nous pouvons très-bien entendre de cette plénitude cette parole du Psaume : « La terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur (1). » Marie est parfaitement représentée par la terre , dont il est dit dans Isaïe : « Que la terre s'ouvre et germe le Sauveur (2). » Qu'y a-t-il de plus humble que la terre ! qu'y a-t-il de plus utile? C'est la terre qui soutient nos pas; c'est la terre qui alimente notre vie. D'où en effet tirons-nous la nourriture et le vêtement, le pain et le vin, la laine et le lin , et tous les objets nécessaires à la vie, si ce n'est de la terre et de ce qu'elle renferme ! Qu'y a-t-il donc par conséquent de plus humble? qu'y a-t-il de plus utile? De même qu'y a-t-il de plus humble ? qu'y a-t-il de plus utile que Marie ? Par son humilité , elle est au-dessous de tous, et par sa plénitude, elle est la plus utile entre tous. En cette terre remplie de tous les biens , nous trouvons ce qui peut être nécessaire à la vie de notre âme. C'est pourquoi saint Bernard nous dit : « Elevez vos regards plus haut, et voyez

 

1 Ps. 93.— 2 Is., 45.

 

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avec quelle tendresse de dévotion Dieu a voulu que nous honorions Marie, lui qui a placé en elle la plénitude de tout bien, afin que si nous avons quelque espérance, si nous recevons quelque grâce, si nous conservons quelque chance de salut, nous sachions que c'est à elle que nous en sommes redevables. »

Mais de qui vient une telle plénitude? à qui appartient-elle? Ecoutez le Psalmiste : « La terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur. » Et encore : « La terre est à moi et sa plénitude aussi (1). » Or, la plénitude de la terre consiste dans les fruits et les biens qu'elle renferme selon cette parole : « La terre est toute remplie des biens dont vous la comblez (2). » Or, les fruits et les biens de cette terre inépuisable ce sont : les oeuvres, la conduite, les exemples et tous les divers mérites de la très-sainte vie de Marie; car c'est de tels biens que le Seigneur l'a remplie, ainsi qu'il est dit dans l'Ecclésiastique : « Le Seigneur a abaissé ses regards sur la terre, et il l'a comblée de ses biens (3). » Et saint Jérôme, parlant de cette plénitude, s'écrie : « Il convenait que cette Vierge fût enrichie de dons tels, qu'elle fût pleine de grâce, elle qui a donné la gloire aux cieux et Dieu à la terre; elle qui a répandu la paix au milieu de nous, procuré la foi aux nations, mis un terme aux vices, établi l'ordre en notre vie et la règle en nos moeurs (4). »

Considérons, en quatrième lieu , mes bien-aimés ,

 

1 Ps. 49. — 2 Ps. 103. — 3 Eccl., 16. — 4 Epist. 18.

 

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comment Marie est pleine de Fonction de la miséricorde, pleine de l'huile de la piété. Nous pouvons très-bien la reconnaître en cette femme qui, ayant fermé la porte de sa maison , rassembla tous les vaisseaux qu'elle possédait et les vit se remplir d'huile d'une manière miraculeuse, ainsi qu'Elisée le lui avait prédit. en lui disant : « Lorsqu'ils seront remplis, vous les ôterez (1). » Or, cette femme est vraiment Marie, qui fut appelée du nom de femme par son fils, quand il lui dit : « Femme, voilà votre fils (2). » Les vaisseaux de cette femme, ce sont les affections, les oeuvres , les désirs, les bienfaits qui dans Marie sont tous remplis de l'huile de la miséricorde; ce qui fait dire à saint Bernard : « Il n'est pas étonnant , ô Marie, que le sanctuaire de votre cœur soit rempli d'une huile abondante de miséricorde, puisque cet ouvrage inestimable de miséricorde que le Seigneur a prédestiné avant tous les siècles pour notre rédemption , a été formé d'abord en vous par le Créateur du monde (3). » Disons donc, ô mes bien-aimés, disons à Marie : « Donnez-nous de votre huile (4). » Demandons l'huile de la miséricorde pendant que nous sommes sur la terre, de peur que nous ne la demandions inutilement au jour du jugement.

Que cette maison dans laquelle les vaisseaux furent remplis ait été fermée, cela convient encore parfaitement à Marie , car Ezéchiel parle ainsi de cette fermeture : « Cette porte demeurera fermée; elle ne sera point ouverte et nul homme n'y passera, parce

 

1 IV. Reg., 4. — 2 Joan., 16. — 3 Depr. ad Virg. — 4 Mat., 25.

 

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que le Seigneur, le Dieu d'Israël est entré par elle (2) . » La porte de Marie a été fermée par le sceau de la virginité. Aucun homme n'est passé pal' cette porte , et cette virginité est demeurée parfaitement intacte. C'est dans sa naissance miraculeuse que le Seigneur y est passé. Mais parce qu'on a ramassé chez les voisins de nombreux vaisseaux afin que l'huile fut multipliée davantage, nous pouvons par ces vaisseaux entendre tous ceux qui ont participé à la plénitude de la miséricorde de Marie. Mais qui sont-ils? Saint Bernard nous le fait connaître quand il dit : « Marie a ouvert à tous les hommes le sein de sa miséricorde , afin que tous reçoivent de sa plénitude : le captif, son rachat; le malade , la guérison ; celui qui est triste, la consolation ; le pécheur , le pardon ; le juste , la grâce; l'ange, l'allégresse; enfin la Trinité entière, la gloire, et la personne du Fils, la substance de la chair pour se faire homme (2). »

Considérons comment Marie est pleine de la fécondation d'un fruit divin. Nous pouvons expliquer de cette plénitude ce passage d'Isaïe : « J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et toute la maison était remplie de sa majesté (3). » Cette maison dans laquelle Dieu est assis sur un trône est la vierge Marie dont l'âme offrit un trône au Seigneur. O trône vraiment bienheureux ! ô trône vraiment inébranlable, selon qu'il est dit au livre des Rois : « Votre trône est inébranlable pour l'éternité (4)! » Ce trône est sublime par l'intelligence, il est élevé par l'amour.

 

1 Ezech., 45.— 2 Serm. de Verb. Apoc.— 3 Is., 6.— 4 II. Reg., 18

 

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Il est sublime en présence de tout ce qui est homme. il est élevé au-dessus des hommes. Il est sublime en grâce , il est élevé en gloire. C'est donc sur ce trône de Marie, sur ce trône, dis-je, de son esprit que le Seigneur était assis, et le tabernacle de son corps était rempli de la majesté du Verbe incarné. C'est de cette ineffable plénitude que saint Ambroise a parlé, quand il a dit : « C'est avec raison que seule elle est appelée pleine de grâce, puisque seule elle a été mise en possession d'une grâce que nulle autre n'a obtenue, seule elle a été remplie de l'auteur de la grâce (1). » O demeure vraiment heureuse d'avoir été comblée d'une fécondité si consolante ! « Oui , elle est vraiment pleine de grâce, dit saint Bernard, celle qui a conservé la grâce de la virginité et a acquis la gloire de la fécondité (2). » Ainsi, le Seigneur s'est assis par sa grâce sur le trône de Marie, et en prenant en elle notre nature, il a rempli la demeure de son corps de sa majesté. C'est pourquoi il est dit au troisième livre des Rois : « La gloire du Seigneur avait rempli la maison du Seigneur (3).» Et Salomon s'écria : « Le Seigneur a dit qu'il habiterait dans une nuée.» La maison du Seigneur, qui est Marie, a été remplie de la gloire de la majesté divine par la nuée de l’humanité dont Dieu s'est revêtu; par cette nuée, dis-je, dont il est parlé ainsi dans l'Ecclésiastique : « Le remède à tous les maux se trouve dans l'apparition de la nuée (4). » Et encore : « Il a été comme l'étoile du

 

1 In Luc., lib. 2, c. 1. — 2 Hom. 3, sup. missus est. — 3 C. 8. — 4 Eccl., 43 et 50.

 

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matin au milieu de la nuée. » En effet le Verbe, après avoir pris notre nature, a été vraiment comme l'étoile qui est cachée sous la nuée.

Et maintenant , mes bien-aimés, voyons comment Marie a été remplie de la perfection de l'Eglise universelle. L'Eglise a eu et a encore en ses divers saints des perfections diverses et admirables, et c'est de leur plénitude que Marie semble avoir été comblée, en sorte qu'on peut justement lui appliquer cette parole de l'Ecclésiastique : « Mon partage est dans la plénitude des saints (1). » En effet, son partage a vraiment été dans la plénitude des saints, puisque dans cet admirable partage se trouve le comble de la perfection qui brille dans les saints. Aussi saint Bernard s'écrie : « C'est avec raison que sa possession est placée dans la plénitude des saints, car elle eut la foi des Patriarches , l'esprit des Prophètes , le zèle des Apôtres , la constance des Martyrs, la sagesse des Confesseurs, la chasteté des Vierges, la fécondité de ceux que les liens du mariage ont unis, et, bien plus, la pureté des anges. Car il est écrit dans

l'Ecclésiastique : « Elle sera admirée dans l'assemblée des saints. » Et c'est assurément parce qu'elle se plaît à habiter auprès de ceux qui sont pleins de sainteté, et non auprès de ceux qui sont remplis d'iniquité, que sa possession se trouve dans la plénitude des saints et non dans la plénitude des impies. Mais elle ne se borne pas à conserver ses richesses

établies en la plénitude des saints, elle conserve les

 

1 Eccl., 24.

 

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saints eux-mêmes dans leur plénitude, de peur que cette plénitude ne vienne à s'affaiblir. Elle retient leurs vertus , de peur qu'elles ne s'échappent ; leurs mérites , de peur qu'ils ne périssent ; les démons, de peur qu'ils ne leur nuisent, et son Fils , de peur qu'il ne frappe les pécheurs. Avant Marie, il n'y avait personne qui osât ainsi retenir le Seigneur, selon que le dit le prophète Isaïe : « Il n'y a personne qui invoque votre nom, personne qui se lève et vous retienne (1). »

Méditons, en septième lieu, comment Marie a été remplie du parfum d'une renommée qui répand au loin sa bonne odeur. De même qu'un champ plein de fleurs diverses contient les parfums les plus variés , de même Marie a été remplie des suaves parfums d'une sainte renommée. A cette plénitude convient parfaitement ce que nous lisons dans la Genèse : « L'odeur qui sort de paon fils est semblable à l'odeur d'un champ plein de fleurs que le Seigneur a comblé de sa bénédiction. (2)» Ce champ, c'est Marie en qui le trésor des anges, ou plutôt tout le trésor de Dieu le Père a été caché. Heureux celui qui vend tout ce qu'il possède et achète ce champ ! L'odeur parfaite de ce champ plein de fleurs , c'est la renommée parfaite de Marie, c'est son honneur intact et parfait. C'est pourquoi saint Jérôme s'écrie : « Comme elle avait été remplie du baume d'une multitude de vertus, un parfum très-suave émanait sans cesse de sa personne et enivrait de délices les esprits célestes (3). »

 

1 Isa., 24. — 3 Genes., 27. — 3 Epist. 10

 

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La Vierge sainte peut aussi, en se glorifiant de la bonne odeur de sa renommée , s'appliquer ce passage de l'Ecclésiastique : « J'ai répandu une senteur de parfum comme le cinname et connue le baume le plus précieux, et une odeur comme celle de la myrrhe la plus excellente (1). La bonne odeur de Marie a paru extérieurement comme celle du cinname, dans ses rapports avec les hommes; comme le baume, elle s'est répandue intérieurement dans l'onction de sa piété, et comme la myrrhe, dans l'amertume des coups qu'elle reçut du ciel. La bonne odeur de Marie a été encore comme celle du cinname, dans sa vie active; comme celle du baume, dans sa vie contemplative, et comme la myrrhe, dans sa passion. Oh ! elle est vraiment riche, riche au-dessus de toute mesure, celle qui, outre tant d'autres parfums, a été si abondamment remplie du baume odorant de l'Esprit-Saint que saint Bernard a pu s'écrier sur ces paroles , l'Esprit-Saint surviendra en vous : « Ce baume précieux, ô Marie ! vous a été donné avec tant de libéralité ; il a été versé en vous avec une telle plénitude qu'il se répauul de toutes parts comme un fleuve (2). » Dieu le Père a donc pu s'écrier justement : « L'odeur qui sort de paon fils est connue celle d'un champ plein de fleurs. » Et c'est comme s'il eût dit : « L'odeur qui sort de mon Fils, la gloire de mon Fils découle sans réserve de l'honneur qu'il reçoit a de la plénitude de renommée de sa mère. » C'est pourquoi saint Jérôme dit : « La gloire de la mère se

 

1 Eccl., 24. — 2 Serm., in Nat. Virg.

 

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répand sur celui à qui elle a donné le jour. »

Considérons aussi, mes chers frères, comment Marie est pleine de l'éclat de la divine gloire, selon cette parole de l'Ecclésiastique : « L'oeuvre du Seigneur est remplie de sa gloire (1). » En effet, cette oeuvre. admirable du Seigneur n'est rien autre chose que. Marie, dont il est dit dans le même livre de l'Ecriture : « L'oeuvre du Seigneur est un vase admirable. » Cet ouvrage est véritablement admirable puisque nulle part on n'a rien trouvé qui lui fût semblable. C'est pourquoi il est écrit : « Jamais ouvrage pareil, n'a été vu dans aucun royaume de l'univers (2). » Et, assurément ni dans le royaume des cieux , ni dans le. royaume de la terre, ni dans le royaume des enfers. on ne vit rien de semblable ; car ni le ciel , ni la terre, ni les limbes ne sauraient offrir un tel ouvrage. En effet, cet ouvrage est tout rempli de la gloire du. Seigneur, qui éclate et brille avec une plénitude parfaite en Marie plus qu'en aucune pure créature. Et , si l'on en excepte l'humanité prise par le Verbe incarné, on ne découvrira jamais aucune créature en qui resplendisse une aussi grande abondance de la divine gloire qu'en Marie. Par Marie , le Seigneur possède : dans les cieux, la gloire de la réparation des anges; dans le monde, la gloire de la rédemption; dans les limbes, la gloire de la délivrance des âmes. Il la possède par la plénitude qui est en Marie. C'est pourquoi saint Anselme s'écrie avec justice : « C'est à vous seule que je m'adresse, ô ma souveraine!

 

1 Eccl., 42-43. — 2 III. Reg., 10.

 

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pour proclamer que le monde est rempli de vos bienfaits, qu'ils ont pénétré les enfers, qu'ils se sont élevés au-dessus des cieux. Car, par la plénitude de votre grâce , tous ceux qui étaient dans les limbes se sont réjouis de leur délivrance, et ceux qui étaient dans les cieux ont tressailli de joie en voyant leurs ruines réparées. » Marie, l'oeuvre du Seigneur, est donc pleine de sa gloire; car si, selon la parole d'Isaïe, la terre entière est remplie de la gloire du Seigneur (1), sans aucun doute, Marie, qui est cette terre, en est toute remplie, elle en est remplie sans réserve , puisque la gloire divine jette en elle un aussi vif éclat. Au reste, c'est avec justice qu'on dit qu'elle a été remplie de toutes ces grâces, puisqu'elle a paru si belle aux regards de tous ceux que l'ingratitude n'avait point aveuglés, et que saint Bernard a pu s'écrier : « Oui , vous êtes pleine de grâce , car vous êtes agréable à Dieu , aux anges et aux hommes : aux hommes par votre fécondité, aux anges par votre virginité, à Dieu par votre humilité. »

Enfin considérons , en dernier lieu , comment Marie est pleine de la jouissance de l'éternelle félicité. Qui ne sait qu'elle n'a point été retranchée du nombre de ceux à qui il a été dit : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite (2)? » Si donc la joie des Apôtres, la joie même de tous ceux qui règnent avec Dieu est pleine et parfaite, combien plus la félicité de la Mère de Dieu aura-t-elle une plénitude accomplie? Aussi saint Jérôme, parlant de

 

1 Is., 6 — 2 Joan., 16.

 

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cette plénitude, nous dit : « Celle qui est pleine de grâce , pleine de vertu , pleine de la Divinité , ne saurait ne point posséder pleinement la gloire de l'éternelle clarté. » Qu'y a-t-il d'étonnant qu'elle jouisse dans le royaume céleste avec plénitude et surabondance de la gloire et de la félicité, alors que dans l'exil elle a possédé la plénitude et la surabondance de la grâce? Qu'y a-t-il d'étonnant si dans le ciel ainsi que sur la terre sa plénitude s'élève au-dessus de ce qui se trouve en toute créature, puisque c'est de cette plénitude que toute créature tire sa force? C'est pour cela que saint Anselme s'écrie : « O femme pleine et surpleine de grâce ! c'est dans la surabondance de votre plénitude que toute créature puise sa force et sa vie. »

Ainsi, mes bien-aimés, vous voyez en Marie la plénitude brillante de la sagesse qui l'illumine, la plénitude de la grâce qui l'inonde, la plénitude de la vie qui lui fait porter des fruits abondants, la plénitude d'une miséricorde toujours secourable, la plénitude de la perfection qui se trouve en l'Eglise, la plénitude de la bonne renommée qui s'exhale comme un parfum, la plénitude si éclatante de la gloire divine, enfin la plénitude inénarrable de l'éternelle félicité.

Et maintenant , ô Vierge si riche et si abondante , rendez donc participants de votre plénitude ceux que vous voyez si pauvres et si vides, afin que nous puissions atteindre à la plénitude éternelle, par Jésus--Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.

 

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LEÇON VIII Que le Seigneur dont il a été dit à Marie LE SEiGNEUR EST AVEC VOUS, est le Seigneur universel de tontes choses; qu'il est très-puissant , très-sage, très-opulent, très-immuable, et que c'est à tous ces titres qu'il est avec elle.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous. — Nous avons vu plus haut comment Marie, par l'innocence très-pure de sa vie, a été justement saluée par un salut de bénédiction. Nous avons ensuite considéré comment, à cause des richesses d'une grâce très-abondante, elle a été appelée pleine de grâce. Maintenant il nous faut voir comment, par la présence toute spéciale de Dieu, le Seigneur est dit avec raison avoir été avec elle. Le Seigneur est donc avec vous. O glorieux Gabriel ! vous annoncez à l'illustre Marie une grande d'osé de ce grand Seigneur. En effet, c'est quelque chose de grand que ce qui est signifié par cette parole : Le Seigneur est avec vous. Mais montrez-nous combien ou comment il est avec elle? Saint Augustin répondant en la personne de l'Ange dit : « Le Seigneur est avec vous, mais plus qu'il n'est avec moi. Le

Seigneur est avec vous, mais non de la même manière qu'il est avec moi. Il est bien vrai que le

 

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Seigneur est en moi; c'est lui qui m'a créé, mais c'est par vous qu'il doit naître (1). » Le Seigneur est avec vous , ô Marie! niais quel est ce Seigneur? Quelle est sa grandeur? C'est celui qui est d'une manière générale le Seigneur de la terre et de toutes choses; d'une manière spéciale le Seigneur des hommes, d'une manière toute singulière votre Seigneur, ô Marie! Il est, dis-je, en général le Seigneur universel de toute créature, spécialement le Seigneur de la nature raisonnable, singulièrement le Seigneur de votre sein virginal , ô Marie !

Il nous faut donc considérer, mes bien-aimés, que ce Seigneur dont il est dit : Le Seigneur est avec vous, est en général le Seigneur universel de tout ce qui est créé. C'est pour exprimer cette vérité que Judith a dit : « Vous êtes le Dieu des cieux, le créateur des eaux et le Seigneur de toute créature (2). » Et le Sage: « Le Seigneur de toutes choses l'a aimée (3). » Et sans aucun doute il a universellement ce domaine de toutes choses, je veux dire de tout ce qui est visible et invisible. Mais ce Seigneur dont l'empire s'étend ainsi sur tout ce qui existe, a été avec Marie de telle sorte qu'il l'a rendue souveraine de tout ce qui lui est soumis, souveraine du ciel, dis-je, souveraine du monde. C'est pourquoi saint Anselme s'écrie : « 0 Reine du ciel et souveraine du monde , Mère de celui qui purifie le inonde, je confesse devant vous combien mon corps est immonde. » Mais ce Seigneur universel de toutes choses est en même temps un

 

1 Serm. 18, de Temp. — 2 Judith , 9. — 3 Sap., 8.

 

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Seigneur très-puissant , un Seigneur très-sage , un Seigneur très-opulent, un Seigneur très-immuable, car un Seigneur sans puissance, sans sagesse, sans richesse, sans stabilité, ne serait Seigneur que d'une manière imparfaite; et s'il était impuissant, insensé, pauvre et instable, il ne jouirait d'aucune considération. Le Seigneur universel est donc tout-puissant par sa volonté, souverainement sage par sa vérité , infiniment riche par ce qu'il possède en lui-même, et vraiment immuable par son éternité.

Et d'abord , mes chers frères , remarquez comment le Seigneur universel qui fut avec Marie étant tout-puissant par sa volonté , c'est avec vérité que le Prophète a dit de lui : « Il a fait fout ce qu'il a voulu au ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes (1). »Ainsi au ciel, sur la terre et dans les profondeurs de l'enfer, il n'est personne qui puisse résister à la volonté de ce puissant Seigneur, selon cette parole de Mardochée : « Seigneur, Roi tout-puissant, toutes choses ont été placées sous votre empire, et il n'est personne qui puisse faire obstacle à votre volonté (2). » Et voilà, ô Marie, quel grand, quel puissant Seigneur est avec vous ! C'est pourquoi , vous aussi , vous êtes toute-puissante avec lui , toute-puissante par lui, toute-puissante auprès de lui, en sorte que vous pouvez vous écrier avec vérité, ainsi qu'il est dit dans l'Ecclésiastique : « Ma puissance est en Jérusalem (5) ! » Jérusalem signifie l'Eglise qui triomphe dans les cieux, elle signifie l'Eglise qui combat,

 

1 Ps. 145. — 2 Esth., 15. — 3 Eccl., 24.

 

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sur la terre. Et en vérité la Mère très-puissante du Créateur exerce son empire dans le ciel et sur la terre. Saint Anselme reconnaît sa puissance , et il nous le dit quand il s'écrie : « Exaucez-moi , ô Vierge très-tendre; assistez-moi, Vierge miséricordieuse; aidez-moi , Vierge très-puissante , afin que les souillures de mon âme soient anéanties. » Le Seigneur est donc avec vous , ô très-puissante Marie !

Voyez, en second lieu, comment ce Seigneur universel qui est avec Marie , est plein de sagesse par la vérité qu'il possède. C'est de lui qu'il est dit au livre des Psaumes : « Le Seigneur est grand. Sa puissance est infinie et sa sagesse n'a point de bornes. » Oh ! combien en effet est sage ce Seigneur dont rien ne saurait tromper la sagesse, ni se soustraire à sou action , dont le regard embrasse ce qui est exposé au grand jour et ce qui est enseveli dans les ténèbres ! Toutes nos oeuvres bonnes ou mauvaises, toutes nos paroles saintes ou profanes, toutes nos pensées, tous nos désirs , quelle que soit leur nature, le Seigneur connaît tout. Ce qui a fait dire à saint Pierre : « Seigneur, vous savez toutes choses (1). » Tel est donc le Seigneur qui est avec vous, ô Marie; telle est sa sagesse; et comme ce Seigneur infiniment sage est avec vous dans la plénitude de cette sagesse, avec lui vous êtes souverainement sage, par lui vous abondez en sagesse. Aussi avez-vous été marquée par cette Abigaïl , dont il est dit : « C'était une femme très-prudente et fort belle (2). » Marie était aussi prudente

 

1. Joan. 21. — 2 1 Reg., 25.

 

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qu'elle était belle, en sorte que saint Anselme ne craint pas de dire : « En Marie sont tous les trésors de la science et de la sagesse. » Le Seigneur est donc avec vous, ô très-sage Marie !

Considérez maintenant, mes bien-aimés, comment ce même Seigneur est un Seigneur très-opulent par les biens soumis à son empire. C'est de lui que le Prophète a dit avec vérité : « La terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur. Oui, toute la terre et tous ceux qui l'habitent, sont à lui (1). » Et ce n'est pas seulement la terre et toute son étendue, c'est encore le ciel et tout ce qu'il renferme , que possède le Seigneur ; car il est écrit aussi : « Les cieux sont à vous et la terre vous appartient. » Et encore : « Le ciel des cieux est au Seigneur (2). » Ainsi , le Seigneur possède en toute propriété le ciel et la terre. Les choses corporelles et les choses spirituelles, la nature entière, toute grâce, toute gloire céleste font partie de son domaine. Ses richesses sont donc immenses, selon que le dit l'Apôtre : « Il est le Seigneur de tous; il est riche en faveur de tous ceux qui l'invoquent (3). » Voilà donc, ô Marie, quel Seigneur est avec vous! voilà quelles sont ses richesses ! Et comme elles sont infinies , comme c'est avec ces trésors qu'il est avec vous, avec lui, vous êtes abondante en toutes sortes de biens, et l'on peut en toute vérité vous appliquer ces paroles des Proverbes : « Beaucoup de filles ont amassé des richesses, mais vous les avez toutes surpassées (4). » Agnès, Lucie, Cécile, Agathe, Catherine

 

1 Ps. 23. — 2 Ps. 115.— 3 Rom. 10. — 4 Prov., 31.

 

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et une foule d'autres vierges ont amassé des trésors de vertus , de grâces , de mérites et de récompenses ; mais, ô Marie ! vous les avez toutes surpassées de la manière la plus excellente. Oh ! combien Marie est riche dans la gloire, elle qui fut si riche dans le séjour de la misère! Combien elle est riche dans les cieux, quand ses trésors furent tels en ce monde ! Combien elle est riche en son âme, alors qu'elle le fut avec tant d'abondance en sa chair! Aussi saint Bernard s'écrie-t-il : « O Marie, vous êtes riche en toutes choses, vous êtes riche par-dessus tous les

hommes, puisqu'une faible portion de votre substance donnée généreusement a suffi pour détruire les crimes du monde entier. » Le Seigneur est donc avec vous , ô très-opulente Marie !

Voyons enfin comment le Seigneur est souverainement immuable par son éternité. Nous lisons dans l'Exode : « Le Seigneur régnera dans l'éternité et au-delà (1). » Et dans le livre des Psaumes : « Pour vous, Seigneur, vous demeurez éternellement (2). » Et c'est un Seigneur aussi grand , un Seigneur aussi immuable qui est avec vous, ô Marie; et comme il y est avec sa souveraine immutabilité, c'est pourquoi vous êtes avec lui de la manière la plus immuable pour l'éternité. Vous êtes ce trône inébranlable, ce trône éternel, ce trône du Fils dont le Père a dit par le Prophète : « Son trône sera éternel en ma présence comme le soleil, comme la lune qui est dans son plein (3); il y sera éternel et véritablement éternel. » C'est

 

1 Exod. 15. — 2 Ps. 101. — 3 Ps. 88.

 

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pourquoi nous ne parlons pas seulement selon la vérité lorsque nous disons : « Vous demeurez éternellement, Seigneur, » mais nous pouvons encore nous écrier avec la même vérité : « Pour vous, ô notre souveraine, vous demeurez éternellement. » Et qu'y a-t-il d'étonnant que Marie soit immuable pour l'éternité en son Fils , puisque les bienfaits de cette Vierge persévèrent durant l'éternité en ses serviteurs? Car saint Bernard a dit : « En vous, ô Marie, les anges trouvent la félicité; les justes, la grâce; les pécheurs le pardon pour l'éternité. » Le Seigneur est donc avec vous, ô très-immuable Marie !

Réjouissez-vous maintenant, ô Vierge ! Voilà que le Seigneur tout-puissant est de telle sorte avec vous que vous êtes toute-puissante avec lui; le Seigneur très-sage y est de telle sorte qu'avec lui vous êtes pleine de sagesse ; le Seigneur infini en richesses, de telle sorte qu'avec lui vous êtes en possession de toute richesse ; le Seigneur très-immuable , de telle sorte que vous partagez son immutabilité. Et maintenant, ô très-puissante souveraine, venez en aide à notre impuissance sans limites; Reine très-sage, soyez le secours et le conseil de notre folie; Reine très-opulente , enrichissez notre indigence ; Reine très-immuable , donnez la persévérance à nos efforts défaillants en toutes sortes de biens !

 

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LEÇON IX. Que le Seigneur dont il a été dit à Marie : LE SEIGNEUR EST APEC VOUS, est d'une manière spéciale le Seigneur très-bon, très-juste, très-fidèle, très-illustre de la créature raisonnable, et que c'est à ces titres aussi qu'il est avec Marie.

 

Il nous faut donc considérer comment ce Seigneur dont il est dit : « Le Seigneur est avec vous, est d'une manière spéciale le Seigneur de la créature raisonnable , selon que cette même créature le proclame en s'écriant : « Seigneur, qui êtes notre Seigneur, combien votre nom est admirable dans toute la terre (1) ! » De même donc qu'il est en général le Seigneur de toutes choses, de même il l'est pour nous d'une façon toute spéciale. Isaïe nous l'atteste quand il nous dit : « Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, le Seigneur est notre roi (2). » Il est notre législateur en ce monde , notre juge après la mort, et notre roi lorsqu'il nous couronne dans les cieux. Et ce Seigneur si spécial des hommes a été avec Marie de telle sorte qu'il l'a rendue aussi notre souveraine spéciale. C'est ce qu'avait reconnu saint Bernard quand il a dit : « O vous , qui êtes notre souveraine, notre médiatrice, notre avocate, réconciliez-nous avec votre Fils, parlez pour nous à votre Fils,

 

1 Ps. 8. — 2 Is., 33.

 

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présentez-nous à votre Fils. » Mais ce Seigneur si spécial est un Seigneur très-bon, un Seigneur très-juste, un Seigneur très-véridique, un Seigneur très-illustre. Et, en effet , un Seigneur qui ne serait point bon par l'effusion de ses bienfaits , juste dans ses jugements, fidèle dans ses promesses , glorieux parmi les peuples, ne jouirait point de la considération due à sa qualité. Le Seigneur est donc très-bon par sa libéralité, très juste par son équité, très-véridique par sa fidélité, et très-illustre par l'éclat de sa gloire.

Et d'abord , mes bien-aimés, voyez comment celui qui est notre Seigneur spécial est bon par la libéralité de son infinie miséricorde. C'est de lui que le Prophète a dit : « Seigneur, vous êtes rempli de douceur et de bonté, et vous répandez vos miséricordes avec abondance sur tous ceux qui vous invoquent (1). » Les miséricordes du Seigneur sont abondantes dans les nombreux bienfaits temporels , spirituels et éternels dont il nous a comblés et dont il ne cesse de nous combler par la tendresse extrême qu'il nous porte. Puissions-nous n'être point ingrats envers les miséricordes si admirables de notre Dieu! Puissions-nous envers une tendresse si éclatante être pleins de re-connaissance et nous écrier avec Isaïe : « Je me souviendrai des miséricordes du Seigneur; je chanterai ses louanges pour toutes les grâces qu'il nous a faites (2) ! »

Voilà , ô Marie ! quel bon, quel miséricordieux Seigneur est avec vous; et comme il y est avec l'immensité

 

1 Ps. 85. — 2 Is., 63.

 

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de ses miséricordes; vous élis avec lui également surabondante en miséricordes , en sorte que nous pouvons en toute vérité vous appliquer cette parole d'Isaïe : « Son trône sera établi dans la miséricorde, et il s'y assiéra dans la vérité (1). » Marie est ce trône de la miséricorde , elle est la mère de la miséricorde, et en elle tous trouvent les consolations de la miséricorde. Nous avons un Seigneur très-miséricordieux; nous possédons une souveraine également miséricordieuse. Les miséricordes de notre Seigneur sont abondantes sur tous ceux qui l'invoquent; les miséricordes de notre souveraine se répandent avec une pareille abondance sur tous ceux qui l'implorent. C'est pourquoi saint Bernard a dit excellemment : « Qu'il cesse de parler de votre miséricorde celui qui, vous ayant invoquée dans ses besoins, se souviendra de vous avoir trouvée insensible (2). » Le Seigneur est donc avec vous , ô très-miséricordieuse Marie !

Considérez, en second lieu , comment ce Seigneur qui est avec Marie, est juste et équitable, selon que le dit si bien le Psalmiste en ces paroles : « Le Seigneur est juste, et il aime la justice, » et encore : « Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est plein d'équité (3).» Sans aucun doute le Seigneur est juste en tous ses jugements, en toute cause et en toute action, ainsi qu'il est écrit encore dans les Psaumes : « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies (4). » Et il est tellement juste en toute voie de la justice, qu'il ne

 

1 Is., 16. — 2 Serm. in Assumpt. — 3 Ps. 10-118. — 3. Ps. 144.

 

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saurait , en considération de personne, s'en écarter. Aussi est-il dit de ce même Seigneur avec vérité : « Dieu ne fera d'exception pour personne, lui qui est le dominateur de tous, et il ne s'inquiétera pas de la grandeur de qui que ce soit, car il a créé les grands comme les petits, et il a un soin égal de tous (1). » C'est ce Seigneur si plein de justice qui est avec vous, ô Marie ! et comme il est avec vous dans la plénitude de sa justice, avec lui vous êtes aussi souverainement juste. Vous êtes cette verge d'Aaron qui est droite , couverte de fleurs et de fruits. Cette verge est droite, ou plutôt parfaitement droite , par la justice et l'équité ; elle est couverte de fleurs par la virginité ; elle est abondante en fruits par la fécondité. Et quelle verge serait droite, si ce n'était celle d'Aaron? quelle furie serait juste , si ce n'était Marie? Ce qui a fait dire à saint Bernard : « Où serait la justice, si ce n'était en Marie, de qui est né le Soleil de justice (2)?» Le Seigneur est donc avec vous , ô très-juste Marie !

Remarquez, en troisième lieu, comment ce même Seigneur est un Seigneur très-véridique par sa fidélité, et très-fidèle par sa véracité, selon que le Prophète l'atteste, en disant : « Le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles (3). » Rappelez-vous donc ces discours dans lesquels il a promis la couronne aux justes, et l'enfer aux pécheurs , et sachez que ce fidèle Seigneur tiendra fidèlement sa parole, qu'il accomplira fidèlement ce qu'il a avancé, ainsi qu'il le déclare dans Ezéchiel : « C'est moi, le Seigneur, qui ai parlé, et

 

1 Sap., 6. — 2 Serm. de Aquæductu. — 3 Ps. 144.

 

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j'exécuterai ce que j'ai annoncé (1). » Oui , sans aucun doute, ce très-fidèle serviteur tiendra irrévocablement ce qu'il a promis; car il a dit lui-même dans l'Evangile : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point (2) ! Et ce Seigneur si fidèle est avec vous, ô Marie ! Il y est avec cette fidélité saris bornes, et ainsi avec lui vous possédez également une fidélité sans mesure. Vous êtes cette colombe très-fidèle de Noé, qui s'est placée, médiatrice inébranlable, entre le Dieu suprême et le monde submergé par un déluge spirituel. Le corbeau fut infidèle, niais la colombe garda la fidélité. Ainsi, Eve fut infidèle et devint une médiatrice de perdition ; Marie fut pleine de fidélité, et elle est une médiatrice de salut. C'est pourquoi saint Bernard a dit : « Marie a été la médiatrice fidèle qui offrit à tous les hommes le remède du salut (3). » Le Seigneur est donc avec vous, ô très-fidèle Marie !

Enfin, nies bien-aimés, voyez, en dernier lieu, comment ce Seigneur est très illustre par l'éclat de sa gloire. Son nom est grand, au témoignage de Jérémie. qui a dit, en parlant de ce Seigneur : « Il n'est personne semblable à vous, Seigneur; vous êtes grand et votre nom est grand (4). » Le nom du Seigneur est grand chez tous les peuples par la renommée et par les louanges dont il est l'objet, ainsi que nous le montre le Psalmiste , en disant : « Que les rois de la terre et tous les peuples, que les princes et tous les juges de la terre, que les jeunes hommes et les jeunes

 

1 Ezech., 30. — 2 Mat., 15. — 3 Serm. in verb. Apoc. — 4 Jér., 10.

 

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filles, les vieillards et les enfants louent le nom du Seigneur (1). » Mais la louange et la renommée du Seigneur ne s'étendent pas seulement à tous les peuples , elles embrassent encore tous les temps , selon cette parole du même Prophète : « Que le nom du Seigneur soit béni maintenant et dans tous les siècles (2). » Et non-seulement cette louange et cette renommée embrassent tous les temps et tous les peuples, mais encore elles remplissent tous les lieux du monde : « car le nom du Seigneur est digne d'être loué depuis le lieu oit se lève le soleil jusqu'à celui où il se couche. » Tel est, ô Marie! le glorieux Seigneur qui est avec vous; et comme il y est avec tout l'éclat de sa gloire et de sa renommée, avec lui vous êtes aussi très-illustre et très-glorieuse. Aussi avez-vous été bien désignée par cette Ruth dont il est dit « qu'elle soit un exemple de vertu en Ephrata, et que son nom soit célèbre dans Bethléem (3), » c'est-à-dire dans l'Eglise. O Marie, dont le nom est si célèbre, comment ce nom pourrait-il être sans gloire, alors qu'il ne saurait être proféré pieusement sans apporter quelque avantage à celui qui le prononce? Saint Bernard, votre serviteur, nous en est garant quand il s'écrie : « O grande, ô pieuse Marie, ô Vierge digne de toute louange ! Vous ne sauriez être nommée sans embraser d'amour. Ceux qui vous aiment ne sauraient penser à vous sans éprouver de consolation en leurs coeurs; vous ne pénétrez

jamais le sanctuaire d'une mémoire qui vous chérit,

 

1 Ps.148.— 2 Ps. 112.— 3 Ruth, 4.

 

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sans y répandre le parfum de douceur que le Ciel a mis en vous (1). » Marie a donc été marquée, mes bien-aimés frères, par Judith, cette femme d'un nom si glorieux, dont il a été dit : « Elle était très-illustre aux yeux de tous, parce qu'elle craignait le Seigneur, et il n'y avait personne qui dit la moindre parole à son désavantage (2). » Ainsi Marie est illustre par ses vertus et ses exemples si dignes de louanges, plus illustre encore par ses miséricordes et ses inénarrables bienfaits , très-illustre enfin par les grâces et les privilèges qu'elle reçut. Qu'y a-t-il, en effet, de plus admirable que d'être vierge et mère en même temps, que d'être la mère de Dieu? Qu'y a-t-il d'étonnant que Marie soit glorieuse dans le monde par les mille bienfaits de sa miséricorde , quand la seule faveur accordée à Théophile a suffi pour illustrer son nom? C'est, dit saint Bernard, un témoignage glorieux de votre souveraine bénignité , que ce Théophile rétabli par vous dans son premier état. » Le Seigneur est donc avec vous , ô très-illustre Marie !

Et maintenant réjouissez-vous, ô Marie ! Le Seigneur très-misérieordicux est avec vous de telle sorte qu'avec lui vous êtes très-miséricordieuse; le Seigneur très-juste y est de telle façon que vous participez à la plénitude de sa justice; le Seigneur très-fidèle est avec vous pour vous rendre aussi très-fidèle; le Seigneur très-glorieux est avec vous pour vous faire partager la gloire de son nom. En ce jour donc, ô très-douce Marie, par votre tendresse très-miséricordieuse, sauvez

 

1 ln Laud. B. Virg. — 2 Judith, 8.

 

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notre impiété; très juste Marie, sauvez notre injustice par la justice de votre équité; très-fidèle Marie, sauvez notre perfidie par votre inébranlable fidélité; très-illustre Marie, sauvez notre infamie par le parfum plein de suavité de votre renommée.

 

LEÇON X. Que le Seigneur dont il a été dit à Marie : LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS, est avec elle d'une manière si particulière qu'elle est sa très-noble Fille, sa très-digne Mère, sa très chaste Épouse, et sa servante toute dévouée.

 

Après ce que nous venons d'exposer, mes bien-aimés, il nous reste encore à considérer que ce Seigneur dont il est dit à Marie : « Le Seigneur est avec vous, n'est pas seulement en général le Seigneur de tout ce qui existe, ni seulement d'une manière spéciale le Seigneur de la créature raisonnable ; ruais qu'il est d'une façon toute singulière le Seigneur du temple virginal de sa très-sainte Mère. Marie est d'une manière vraiment particulière , tant en son corps qu'en son âme, le palais du Seigneur, la maison de Dieu, dont il est dit dans les Psaumes : « Seigneur, la sainteté convient à votre demeure (1). » O demeure singulièrement bienheureuse, qui a seule été digne de recevoir d'une manière aussi extraordinaire un semblable Seigneur ! Aussi saint Bernard s'écrie-t-il :

 

1 Ps. 92.

 

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« Vous seule avez été trouvée digne que le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, descendant des splendeurs de sa gloire, choisit sa première demeure parmi les enfants des hommes dans votre sein virginal (1). » Et ce Seigneur si spécial de Marie a été si particulièrement avec elle, qu'il en a fait une souveraine toute extraordinaire qui avant elle n'avait point eu de semblable, et qui n'en eut point après; car elle est devenue d'une façon toute singulière la fille du Seigneur, la mère du Seigneur, l'épouse 'du Seigneur, la servante du Seigneur. En effet, elle est d'une manière réellement singulière la noble fille du Seigneur, sa mère généreuse , son épouse glorieuse , sa servante inestimable et très-humble. Et si nous voulons la mettre en rapport avec les trois personnes divines , nous pouvons dire que ce Seigneur , qui est si particulièrement avec Marie, est le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui sont trois et un seul Seigneur à la fois. Le Père est son Seigneur, car Marie est sa très-noble fille ; le Fils est son Seigneur , car elle est sa très-digne Mère; le Saint-Esprit est son Seigneur, car elle est son Epousc pleine de justice; enfin le Dieu triple et un est son Seigneur, car clic est sa servante très-soumise. Oui , Marie est la fille de celui qui est la souveraine éternité, la mère de l'éternelle vérité, l'épouse de l'infinie bonté, la servante de la suprême Trinité.

Remarquez donc , en premier lieu , mes chers frères, que ce Seigneur, qui est d'une manière si particulière avec Marie , est celui dont elle est la très-noble

 

1 In Laud. B. Virg.

 

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fille. C'est de lui, c'est de cette fille que l'on peut entendre ce que Booz a dit : « Vous êtes bénie du Seigneur, ô ma fille, car cette dernière miséricorde que vous témoignez surpasse la première (1).» Oui, Marie est vraiment bénie du Seigneur, du souverain Seigneur, dis-je, dont elle est la fille. O fille véritable et glorieuse du très-glorieux Roi ! vous avez été embellie intérieurement d'une grâce si abondante qu'on peut , sans crainte de se tromper , dire de vous : « Toute la gloire de celle qui est fille du Roi, lui vient du dedans d'elle-même (2). » C'est pour cela qu'elle a été appelée, comme la fille du Roi céleste, à régner avec une gloire sans mesure; ce qui fait dire à saint Bernard : « Vous êtes une fille admirable et comblée de toute grâce; vous êtes pleine de charmes au milieu des délices qui vous environnent, et vous avez été élevée à la gloire dont votre beauté était digne; vous avez été exaltée comme un objet d'amour. » Cette fille bénie a dépassé son ancienne miséricorde par celle qui a suivi. En effet, la miséricorde de Marie envers les misérables fut grande pendant qu'elle était en ce monde, mais aujourd'hui qu'elle voit la misère infinie des hommes, elle leur en témoigne une bien plus grande par les bienfaits innombrables qu'elle répand sur eux. Aussi par l'éclat de sa première miséricorde, elle est belle comme la lune, et par la splendeur de celle qu'elle exerce maintenant, elle est brillante comme le soleil. Car, de même que le soleil l'emporte sur la lune par la grandeur

 

1 Ruth, 3. — 2 Ps. 44.

 

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de sa lumière, de même la miséricorde que Marie déploie à notre égard aujourd'hui, l'emporte sur celle qu'elle avait sur la terre. Quel est celui sur qui ne descend point la lumière du soleil et de la lune? Quel est celui sur qui ne brille point la miséricorde de Marie? Ecoutez ce que saint Bernard pense à ce sujet : « De même, dit-il, que le soleil se lève indifféremment sur les bons et sur les méchants , ainsi Marie, étant invoquée, ne discute point les mérites, mais elle se montre exorable à tous, pleine de clémence envers tous; elle compatit avec une abondante affection aux besoins de tous (1). » Le Seigneur est donc avec vous, ô Marie ! comme un père avec sa très-noble fille.

Voyez , en second lieu , mes bien-aimés , comment ce même Seigneur est celui dont Marie est la très-digne Mère. C'est de lui , c'est de cette mère qu'Elisabeth a dit : « D'où me vient ce bonheur que la Mère de mon Seigneur vienne à moi (2) ? » Elle est Mère du Seigneur et Vierge en même temps; elle est sa Mère vraiment digne , la Mère seule qui pût con-venir à un tel Fils , la Mère à qui un tel Fils pouvait seul convenir ; la Mère qu'il n'était pas au pouvoir de Dieu de faire plus parfaite. Il pouvait créer un monde plus grand , un ciel plus élevé; mais il n'était pas en sa puissance de créer une mère plus parfaite que la Mère de Dieu. C'est pourquoi saint Bernard nous dit : « Une mère autre qu'une vierge ne pouvait convenir à Dieu ; un fils autre que Dieu ne

 

1 Serm. in Verb. Apoc. — 2 Luc., 1.

 

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pouvait convenir à une vierge; il ne pouvait naître une mère plus grande parmi les mères, ni un fils plus parfait parmi les hommes (1). » Or, cette Mère est la fleur de la miséricorde, elle est la Mère du soleil de justice , la Mère de la source de la sagesse , la Mère du Roi de gloire. Elle est, dis-je, la Mère de celui dont la miséricorde nous excite à l'amour, la justice à la crainte, la sagesse à le connaître, la gloire à mettre notre espérance en lui. Son Fils, en effet, est véritablement notre amour par sa miséricorde, notre crainte par sa justice , l'objet de notre connaissance par sa sagesse, notre espérance par sa gloire ; en sorte qu'à Marie convient dans la vérité cette parole de l'Ecclésiastique : « Je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la science et de l'espérance sainte. »

Mais est-ce donc seulement de Jésus-Christ que Marie est la Mère? Non, sans doute, et il nous est doux de l'entendre. Marie est à un titre unique et particulier la Mère du Sauveur, mais elle est d'une manière générale la Mère de tous les fidèles. C'est ce qui a fait dire à saint Ambroise : « Si Jésus-Christ est le frère de tous ceux qui croient, pourquoi donc celle qui lui a donné le jour ne serait-elle pas également leur Mère? » Ainsi , mes bien-aimés, réjouissons-nous, et , dans l'ardeur de notre joie ,

écrions-nous : « Béni soit le Frère par qui Marie est devenue notre Mère ! Saint Anselme disait à cette occasion : « O souveraine, notre Mère, par qui nous

 

1 Hom. 2, sup. missus est.

 

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avons possédé un tel Frère, quelles actions de grâces pourrons-nous vous rendre? par quelles louanges pourrons-nous vous célébrer? » Le Seigneur est donc avec vous, ô Marie! comme un fils avec sa très-digne Mère.

Remarquez, en troisième lieu, que ce Seigneur est le même dont Marie est l'épouse très-pure. C'est de ce Seigneur aussi bien que de cette épouse que l'on peut entendre ce passage d'Osée : « Je vous rendrai mon épouse par une alliance de justice et de jugement, de compassion et de miséricorde. Je vous rendrai mon épouse par une inviolable fidélité, et vous saurez que c'est moi qui suis le Seigneur (1). » Telle est la beauté de cette épouse. Par rapport à elle-même , elle est belle par la justice et le jugement ; par rapport au prochain , elle brille par la compassion et la miséricorde; et par rapport à Dieu, elle se montre pleine de charmes par une inviolable fidélité. Oui , elle est belle par la justice de sa vie et par le jugement de sa conscience ; belle par la miséricorde de son amour et par les actes de sa compassion; belle par sa fidélité à embrasser tout ce que la foi offrait de mystères à sa raison , par sa fidélité à croire tout ce qui devait s'accomplir en elle, selon cette parole : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru, car les choses qui vous ont été annoncées par le Seigneur recevront en vous leur accomplissement. » Mais cette épouse de l'Esprit-Saint, de même qu'elle était pleine de grâces dans tous les actes de sa vie, de même elle était pleine

 

1 Ose., 2.

 

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de douceur dans ses paroles, ainsi qu'il est dit dans les Cantiques : « Vos lèvres, ô mon épouse, sont comme un rayon d'où distille le miel, car le miel et le lait sont sous votre langue (1). » Oh ! combien de fois ces lèvres si douces de Marie ont-elles distillé un langage plein de suavité! Le lait et le miel n'étaient-ils pas sous sa langue dans les deux réponses qu'elle fit à Gabriel? Le lait n'y était-il pas lorsqu'elle proféra cette douce parole de continence : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? » Le miel en était-il absent, lorsqu'elle répondit d'une manière aussi délectable que le miel : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole? » C'est par la suavité de ces délicieuses paroles que les cieux sont devenus par le monde entier comme une rosée qui verse le miel. Marie eut encore le miel sous sa langue dans les saintes prières qu'elle répandit en présence de Dieu; elle eut du lait sur ses lèvres dans les entretiens si pleins de charmes qu'elle avait avec le prochain. Voilà donc quel était l'éclat, quelle était la douceur de cette épouse du souverain Consolateur. Quelle est, dit saint Augustin, cette Vierge si sainte que l'Esprit-Saint daigne venir à elle, si belle que Dieu la choisisse pour son épouse (2)? » Le Seigneur est donc avec vous, ô Marie ! comme un époux avec son épouse brillante de beauté.

Enfin, mes bien-aimés, ce Seigneur qui est avec Marie d'une façon si intime, est celui dont elle fut la servante très-dévouée, selon qu'elle l'atteste elle-même

 

1 Cant., 4. — 2 Serm. 55, de Sanctis.

 

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en disant : « Voici la servante du Seigneur. » Marie est la servante du Père, la servante du Fils, la servante du Saint-Esprit. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'elle soit la servante d'un pareil Seigneur, puisque le Fils de Marie est lui-même le serviteur de ce même souverain selon l'humanité qu'il a prise en sa Mère? Car lui-même le confesse dans les Psaumes en disant : « O Seigneur! voilà que je suis votre serviteur et le fils de votre servante. » Oh! combien elle est une servante parfaite, combien excellent est le fils de cette servante ! Mêlas ! combien ne sont que des servantes mauvaises , combien dont les enfants ne sont que des enfants pervers? Mais, que dit l'Ecriture? « Chassez la servante et son enfant (1). » On lit dans la Genèse, de la servante de Sara, que, voyant qu'elle avait conçu , elle méprisa sa maîtresse. La servante mauvaise , Agar, devient mauvaise en devenant féconde, et n'a plus que du mépris pour sa maîtresse ; mais la servante qui est humble attire les regards du Seigneur ainsi qu'elle le confesse avec tant d'humilité quanti elle dit : « Le Seigneur a regardé la bassesse de sa servante. » O âme chrétienne, servante du Seigneur, devenez féconde avec Marie, mais de telle sorte que vous n'abandonniez pas l'humilité. Et pour ne pas vous enfler de la fécondité de quelque bonne couvre , pour devenir, au contraire, plus féconde par l'humilité, tenez les yeux attachés sur l'humble servante, considérez l'humble Marie. « Voici, dit-elle, que je suis la servante du Seigneur. » Ce qui fait que saint

 

1 Gen., 16.

 

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Ambroise s'écrie : « Voyez quelle est son humilité, quelle est sa piété : « elle se dit la servante du Seigneur alors qu'elle est choisie pour en être la mère , et une faveur aussi inattendue ne contribue en rien à l'exalter (1). » O humilité vraiment admirable !

Mais ce n'est pas seulement du Seigneur qu'elle est la servante; elle daigne d'une certaine manière l'être encore des serviteurs mêmes du Seigneur , car elle a été figurée par cette Abigaïl qui , lorsque David l'envoya chercher par quelques-uns de ses gens, répondit : « Votre servante serait trop heureuse d'être employée à laver les pieds des serviteurs de mon Seigneur (2). » Par Marie, la servante bénie, autant de serviteurs du Seigneur ont été lavés, qu'il y en a eu de purifiés de leurs péchés par ses supplications; car autant il s'en est trouvé à qui elle a obtenu les larmes de la componction, autant à qui elle a offert l'eau qui a purifié leurs pieds. Le Seigneur est donc avec vous, ô Marie! comme avec une servante pleine de dévouement; avec vous est le Seigneur que nous appelons le Père, avec vous le Seigneur que nous appelons le Fils, avec vous le Seigneur que nous appelons le Saint-Esprit. C'est pourquoi saint Bernard a dit : « Le Père est avec vous, qui a rendu son Fils votre fils; avec vous est le Fils, qui , pour accomplir en vous un mystère si admirable, s'est ouvert d'une manière si miraculeuse le sanctuaire de votre sein, et a conservé intact le sceau de votre

 

1 In Luc., 2. — 2 I Reg., 21.

 

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virginité ; avec vous est aussi l'Esprit-Saint, qui, avec le Père et le Fils, a sanctifié votre maternité (1). » Le Seigneur est donc avec vous , ce Seigneur dont vous êtes la fille la plus glorieuse, la mère la plus admirable, l'épouse la plus aimable, la servante la plus humble qui fut et qui sera jamais dans toute la suite des temps. Mais, ô notre souveraine, puisqu'un Seigneur aussi grand et aussi illustre est de telle sorte et avec une telle intimité avec vous, faites qu'il soit aussi avec nous par sa grâce.

 

LEÇON XI. Que Marie, et pour elle-même et par rapport à nous, est très-justement comparée à l'aurore.

Le Seigneur est avec vous. — Le dévôt serviteur de Marie, saint Anselme, faisant pieusement allusion à ces douces paroles , s'écrie : « Je vous en supplie, ô Marie, au nom de cette grâce par laquelle le Seigneur a voulu être de la sorte avec vous et que vous fussiez ainsi avec lui , agissez à cause de lui avec moi selon cette même grâce dans toute votre miséricorde; faites que votre amour règne toujours en moi , et que votre sollicitude ne m'abandonne jamais; que votre vigilance sur mes besoins soit aussi persévérante que leur durée, et que le pieux souvenir de votre tendresse m'accompagne chacun

 

1 Homel. 3, super missus est.

 

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des jours de ma vie; faites que je ne cesse jamais de me réjouir de votre béatitude; et vous, ne cessez jamais de compatir à ma misère selon que vous savez qu'il m'est avantageux. » Le Seigneur est donc avec vous, ô Marie ! Oui, il est, il a été, il sera avec vous. Il est avec vous comme le soleil est avec l'aurore qui le précède; il est avec vous comme la fleur est avec la tige qui la soutient; avec vous comme le roi est avec la reine qui s'approche de son trône. Or, le soleil le plus lumineux de tous les soleils, la fleur la plus précieuse de toutes les fleurs , le roi le plus glorieux de tous les rois, c'est Jésus-Christ. Mais aussi l'aurore qui prévient ce soleil est la plus éclatante par sa splendeur, la tige qui porte cette lieur, la plus admirable par sa production , la reine qui s'approche de ce Roi , la plus magnifique dans sa démarche; et cette aurore, cette tige, cette reine, c'est Marie, la Vierge bienheureuse. Examinons chacune de ces choses en particulier.

Le Seigneur est avec vous. Il est avec vous assurément comme le soleil est avec l'aurore qui tire sa naissance de ses rayons, précède son lever et commence le jour au moyen de sa lumière. En effet , Marie, l'aurore du monde, s'est avancée, formée d'une manière admirable par le soleil éternel ; et ainsi merveilleusement éclairée par lui, elle a prévenu son lever et initié la terre à la grâce ineffable qu'il devait produire. « Vous vous êtes avancée, ô Marie, dit , saint Bernard, vous vous êtes avancée en ce monde brillante de lumière quand vous avez devancé la

 

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splendeur du soleil véritable par un tel éclat de sainteté, que le jour du salut, le jour de propitiation, le jour que le Seigneur a fait, ne pouvait mieux marquer son commencement que par une clarté aussi éblouissante (1). » Marie est donc l'aurore dont il est dit : « Quelle est celle-ci qui s'avance brillante comme l'aurore lorsqu'elle se lève (2)? C'est avec raison qu'elle est comparée à l'aurore, tant à cause d'elle-même qu'à cause de nous : à cause d'elle-même d'une façon toute particulière, à cause de nous en général. Marie est comparée pour elle-même à l'aurore selon le sens de l'Ecriture : premièrement, à cause de son éloignement de la nuit du péché ; secondement, à cause de l'accroissement en elle de la lumière de la grâce; troisièmement, à cause du lever du soleil de justice; quatrièmement, à cause du lieu qu'elle occupe dans la gloire. Ainsi , méditons la plénitude de sa sanctification, l'éclat brillant de sa vie, la génération ineffable de son Fils et la gloire inénarrable de son couronnement dans le ciel.

Et d'abord, mes bien-aimés, considérez combien heureusement Marie est une aurore à cause de son éloignement privilégié de la nuit du péché par la sainteté qui fut mise en elle. Job, maudissant la nuit en laquelle il fut dit : « Un homme a été conçu, s'écrie : « Que les étoiles de cette nuit soient obscurcies par les ténèbres; qu'elle attende la lumière et qu'elle ne la voie point paraître, non plus que le lever de l'aurore (3). » Que marque ici l'Ecriture par les étoiles.

 

1 In depr. Virg. M. — 2 Cant., 6. — 3 Job., 3.

 

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la lumière et l'aurore? Par les étoiles, elle désigne les âmes des saints ; par la lumière , le Saint des saints, et par l'aurore, la Reine des saints. En effet, les étoiles sont vraiment les saints qui ne s'éloignent jamais de l'ordre des bonnes moeurs et de la discipline , n'interrompent en aucun temps la course de leur ferveur et de leur pieuse vie, et sont ainsi toujours disposés à combattre contre le démon. Aussi est-il dit de ces étoiles, avec beaucoup de justesse, au livre des Juges : « Les étoiles, demeurant dans leur rang et dans leur cours ordinaire, ont combattu contre Sisara (1). » Sisara s'interprète le ravisseur de celui qui se retire, et il marque le démon qui s'empare de quiconque s'éloigne de Dieu. La lumière désigne fort bien le Saint des saints, selon qu'il le montre lui-même quand il nous dit : « Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres (2). » Suivons , mes frères, suivons cette lumière, de peur qu'en marchant dans les ténèbres nous ne tombions dans le bourbier du péché et dans la fosse de l'abîme. Suivons-la, non pas en nous traînant avec peine, selon le reproche du Prophète , quand il dit : « Jusqu'à quand serez-vous comme un homme qui boîte des deux côtés? Si le Seigneur est Dieu, suivez-le; si, au contraire, Baal est Dieu, suivez-le aussi de même (3). » Cette aurore, dont la nuit n'a pas vu le lever, indique parfaitement Marie dont la nuit du péché originel n'a point ombragé la naissance; car cette nuit, objet de la malédiction de Job, nuit

 

1 Jug., 5. — 2 Joan., 8. — 3 III Reg., 18.

 

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dans laquelle un homme a été conçu, n'est rien autre chose que le péché originel dont nous sommes environnés à notre entrée dans la vie , et c'est ce qui a l'ait dire au Psalmiste : « Ma mère m'a conçu dans le péché (1). Mais comme tous les saints sont conçus et naissent dans le péché, il a été juste de dire que les étoiles sont obscurcies par cette nuit. Et comme Jésus-Christ n'a été ni conçu ni mis au monde dans le péché, il n'est pas moins selon la vérité que cette nuit n'a point vu la lumière. Pour Marie, elle n'est point née dans le péché; son apparition sur la terre n'eut point lieu dans le péché: et c'est pour cela qu'il est écrit que cette nuit n'a point vu la naissance de l'aurore.

Remarquez, en second lieu, mes bien-aimés, comment Marie est une aurore par l'accroissement en elle de la lumière de la grâce, selon cette parole des Cantiques : « Quelle est celle qui s'avance brillante comme l'aurore (2)? » De même que la lumière de l'aurore va toujours croissant en éclat, ainsi Marie s'avançait en la vie brillant chaque jour de plus en plus de la clarté de la grâce et d'une vie sainte. Elle s'avançait, dis-je, de telle sorte en toutes les vertus en général, que leur splendeur réunie la rendait en elle-même comme l'aurore à son lever, aux yeux du prochain belle comme la lune, et aux regards de Dieu brillante comme le soleil. On voyait en elle , en même temps, un progrès particulier dans certaines vertus dont saint Bernard a dit : « La charité de Marie s'embrasait à

 

1 Ps. 50. — Cant., 6.

 

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la recherche de la grâce; sa virginité se montrait radieuse en son corps, et son humilité se faisait remarquer dans son assiduité à rendre service (1). » Marie était semblable à l'aurore par sa glorieuse virginité, belle comme la lune par son éclatante humilité, et brillante comme le soleil par les rayons lumineux de sa charité. Heureux celui qui imitera ces trois splendeurs, ces trois vertus de Marie qui lui ont valu de concevoir en son sein le Dieu et le Maître de toutes les vertus. « Car, dit saint Bernard, celle qui était déjà pleine de grâce a trouvé une grâce telle que, par l'étendue de sa charité, l'intégrité de sa virginité, et la ferveur de son humilité, elle a conçu sans connaître l'homme et est devenue mère sans éprouver les douleurs de l'enfantement (2). »

Voyez maintenant comment elle est une aurore pleine de grâce par le lever si heureux du soleil de justice. Ce soleil de justice, c'est Jésus-Christ, notre Pieu. Il s'est levé sur le monde par l'entremise de Marie , son aurore ; il s'est levé sans l'ombre d'aucun nuage, parce que l'aurore qui l'a précédé possédait tout l'éclat du soleil dont elle annonçait la venue, selon cette parole de l'Ecriture : « Elle est comme la lumière de l'aurore lorsque le soleil se levant au matin brille sans aucun nuage (3). » Cette lumière de l'aurore est donc la sainteté de Marie , sainteté dont le soleil qui devait naître d'elle a daigné la combler avec tant de splendeur. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « C'est justement, ô Marie, que

 

1 In Nativ. Virg. — 2 Ibid. — II Reg., 23.

 

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vous avez rempli l'office de l'aurore ; car le soleil de justice, qui devait naître de vous, prévenant son lever par une certaine illumination du matin, a répandu sur vous avec abondance les rayons de sa lumière (1). » L'éclat de cette aurore se répandait d'une manière admirable lorsque le soleil se leva sans nuages , c'est-à-dire lorsque Jésus-Christ naquit sans être environné des ténèbres du péché originel. Mais il est dit ici que le soleil sc levait sans nuages; il est raconté encore en l'Exode, que le buisson brillait sans se consumer , et dans Daniel, que la pierre s'est détachée sans l'intervention d'aucune main. Or, que veut désigner l'Ecriture par ce soleil , par ce feu, par cette pierre, si ce n'est Jésus-Christ? Je dis donc que Jésus-Christ est le soleil qui illumine l'intelligence, ainsi qu'il est prédit par Malachie : « Le soleil de justice se lèvera sur vous qui craignez mon nom (2). » Voyez si vous avez cette crainte, car il est écrit : « Celui qui craint le Seigneur ne néglige rien. » Jésus-Christ est encore le feu qui embrase nos coeurs , ainsi que dit l'Apôtre : « Notre Dieu est un feu qui dévore (3). » Et ce feu n'a pas seulement fixé son séjour dans le buisson du sein virginal, il habite encore dans celui du coeur dévoué à son amour. C'est ce feu que ressentirent ceux qui dirent : « Notre coeur n'était-il pas brûlant au-dedans de nous pendant qu'il nous parlait (4)? » Enfin , Jésus-Christ est la pierre qui nous rend forts contre le vice, si nous avons soin de bien nous affermir sur cette

 

1 In deprec. Virg. — 2 Mal., 4.— 3 Hebr., 12.— 4 Luc., 24.

 

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pierre. C'est pour cela qu'il est dit dans saint Matthieu : « La pluie est tombée, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur celte maison, et elle n'a point été renversée (1). » En effet, ni l'éloquence de l'hérésie désignée par la pluie, ni les fleuves de la concupiscence mondaine, ni les vents des efforts humains ne sauraient nuire à l’âme qui est fondée sur la pierre qui est Jésus-Christ. Qu'est-ce donc que le soleil qui se lève sans nuages , que le buisson qui brûle sans se consumer , que la pierre qui se détache sans le secours d'aucune main , sinon Jésus-Christ, le soleil de la vérité, le feu de la charité, la pierre de la stabilité ou de l'éternité, qui est conçu et naît sans aucune des ombres du péché originel, sans combustion de la chair, sans intervention de l'homme? En effet, vous ne trouverez dans la conception de Jésus ni le péché de sa race, ni la concupiscence de sa mère, ni le nom d'un père? Que la Vierge l'ait conçu d'une façon si miraculeuse, rien en cela ne dépasse la puissance de celui qui fit paraître tant de fois à l'avance des prodiges , figures de ce mystère, ainsi que le dit saint Augustin en ces termes : « Celui qui a écrit les tables de pierre sans stylet , est le même qui a rempli Marie de l'Esprit-Saint. Celui qui sans culture a produit du pain dans le désert, est celui qui l'a fécondée sans atteindre sa virginité. Enfin celui qui fit fleurir la verge sans rosée aucune, est le même qui a rendu mère la fille de David sans aucun rapport avec l'homme (2). »

 

1 Mat., 7. — 2 Serm. 18, de Temp.

 

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Maintenant , mes frères , il nous reste à voir comment Marie est une aurore brillante par la place immense qu'elle occupe dans la gloire , selon qu'il est dit au livre de Job : « Est-ce vous qui avez montré à l'aurore le lieu ou elle doit habiter (1) ? » Sans doute, Marie, notre aurore, admirablement élevée dans les cieux, y tient la place la plus proche du soleil éternel; mais nous pouvons considérer un triple lieu où elle parait tout-à-fait digne d'attirer notre attention. Le premier est celui ou elle reçut en elle spirituellement le Seigneur; le second , où elle le conçut corporellement; le troisième, où le Seigneur la reçut elle-même pour l'éternité. Voilà où il nous faut considérer Marie.

Je dis donc que le premier lieu où la Vierge reçoit spirituellement en elle le Seigneur, est son âme même pleine de paix et de quiétude, selon cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur a choisi sa demeure dans la paix, et c'est dans Sion qu'il a fixé son séjour (2). » Sion veut dire miroir ou contemplation, et ainsi, qui-conque désire contempler le Seigneur en esprit, doit nécessairement lui préparer une demeure en la paix de son âme. Sans cette paix de l'âme personne n'arrive à cette vue de la contemplation. C'est pourquoi l'Apôtre dit : « Tâchez d'avoir la paix avec tout le monde, et de conserver la sainteté sans laquelle personne ne verra Dieu (3). » Mais qui pourra raconter , qui pourra même penser dans quelles contemplations sublimes fut élevée chaque jour cette sainte Sion cette âme si pure de Marie, alors qu'elle repassait

 

1 Job., 28. — 2 Ps. 15. — 3 Hebr., 12.

 

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dans la ferveur de son coeur les mystères qui lui étaient connus d'une manière plus parfaite qu'a tout le reste des hommes? C'est ce qui fait dire à saint Jérôme : « S'il y a en vous quelque sentiment de piété, considérez de quel amour était pénétrée, de quel désir était pressée cette Vierge, lorsqu'elle rappelait et méditait en son âme tout ce qu'elle avait entendu, tout ce qu'elle avait vu, tout ce qu'elle avait connu; et combien de mouvements pieux éprouvait à la vue des secrets du ciel, celle qui était remplie de l'Esprit-Saint (1). »

Le lieu où Marie a conçu corporellement le Seigneur, est son sein virginal, dont on peut entendre ces paroles de la Genèse : « Un fleuve sortait du jardin de délices; car Jésus-Christ est sorti du sein de la Vierge pour arroser le paradis. Marie est le paradis spécial de Jésus, l'Eglise entière est son jardin universel. Heureux ces deux séjours de bonheur , arrosés par le fleuve qui sort du sein de Marie, par Jésus-Christ, selon qu'il est écrit : « J'arroserai le jardin que j'ai planté. » C'est de ce lieu que voulait parler saint Jérôme quand , écrivant sur ces paroles : « J'ai vu celle qui était brillante de beauté monter du rivage des grandes eaux, » il a dit : « C'est avec vérité qu'elle s'élance de la rive des eaux, car le Seigneur l'avait élevée et nourrie au bord d'une eau fortifiante, où des ruisseaux nombreux prennent naissance pour se répandre sur toute l'étendue de la terre de délices et arroser le jardin de félicité. »

 

1 Epist., 10. —2  Gen., 2.

 

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Enfin, le lieu où le Seigneur a reçu Marie ]mur l'éternité, c'est le séjour de la gloire , dont il a lui-même dit à Job : « Pourrez-vous me montrer le lieu où doit habiter l'aurore (1)? » Comme s'il voulait dire : « Ce n'est pas à vous, c'est à moi que cela appartient. Ce n'est pas à vous qu'il est possible de montrer à l'aurore, à Marie, son lieu dans le ciel, mais à moi. Et c'est bien justement qu'il appelle ce lieu le lieu qui lui appartient; car, en s'exprimant ainsi il le sépare, le distingue des autres lieux occupés par les saints. C'est pour cela que nous lisons encore : « Les prêtres portèrent l'arche de l'alliance du Seigneur dans son lieu (2). » Ce lieu est assurément au-dessus de tous les choeurs des anges; c'est le lieu le plus glorieux qui soit dans le ciel, au rapport de saint Bernard, qui nous dit : « Il n'y a pas dans tout le monde de lieu plus saint que le sanctuaire du sein virginal dans lequel Marie a conçu le Fils de Dieu, et il n'y a

pas dans les cieux de trône plus élevé que celui où le Fils de Marie a placé sa Mère (3). » Ainsi, c'est donc avec justice que Acarie est comparée à l'aurore pour elle-même, parce qu'elle a mis fin à la nuit du péché par la plénitude de sa sanctification; parce qu'elle a brillé de jour en jour durant sa vie par une grâce plus abondante; parce qu'elle a fait luire sur le monde le soleil de justice par l'enfantement miraculeux du Sauveur, et enfin parce qu'elle est entrée en possession d'une gloire toute particulière au jour de son Assomption triomphante.

 

1 Job., 88. — 2 III Reg., 8. — 3 Serm. I, in Assumpt.

 

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Maintenant il nous faut considérer que ce n'est pas seulement pour elle-même, mais encore à cause de nous que cette Vierge très-illustre est comparée à l'aurore. En effet , selon les sens divers que l’Ecriture nous offre à ce sujet , elle est notre médiatrice auprès de Dieu , notre réconciliatrice avec les anges , notre défense contre le démon , et la lumière qui nous éclaire.

Et d'abord remarquez comment notre aurore, Marie, est notre médiatrice auprès de Dieu. Il est écrit au livre des Psaumes : « C'est à vous, Seigneur, qu'appartient le jour, à vous qu'appartient la nuit; c'est vous qui avez créé l'aurore et le soleil (1). » Selon saint Grégoire , le jour c'est la vie du juste, et par la nuit on entend la vie du pécheur. Aussi est-il dit fort à propos que le Seigneur précédait les enfants d'Israël par une colonne de nuée durant le jour , et par une colonne de feu durant la nuit; car, semblable à une nuée bienfaisante, il protége les justes contre l'ardeur de sa colère, et, au contraire, il consume les impies comme un feu dévorant. Jésus-Christ est fort bien désigné par le soleil, car il est vraiment le soleil de justice qui illumine les élus et dévore les réprouvés. Quelquefois il les brûle durement en ce monde, nais il les brûlera plus durement encore au jour de son jugement, et dans l'enfer avec une rigueur sans limites. C'est de cette triple combustion que l'on peut entendre cette parole de l'Ecclésiastique : « Le soleil brûle les montagnes d'une triple flamme (2),», » c'est-à-

 

1 Ps., 75. — 2 Eccl., 43.

 

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dire les pécheurs orgueilleux. C'est pour cela que nous avons le plus grand besoin qu'il se trouve, entre ce soleil de justice et nous une nuée rafraîchissante, une nuée médiatrice. Aussi le Psalmiste, dans le verset que nous avons cité, a-t-il soin de placer l'aurore entre la nuit et le soleil , selon qu'il existe dans l'ordre naturel. Or, cette aurore, c'est la bienheureuse Marie, qui est une excellente médiatrice entre la nuit et le soleil, entre l'homme et Dieu, entre la créature injuste et le Seigneur de toute justice ; une nuée vraiment rafraîchissante en présence de la colère céleste. C'est ce qui fait dire à saint Bernard : « L'homme a maintenant un accès assuré auprès de Dieu , car il possède dans le Fils un médiateur

auprès du Père, et dans la Mère une médiatrice auprès du Fils. Le Fils montre à son Père son côté percé et les blessures qu'il porte en son corps ; Marie montre à son Fils et son sein et ses mamelles ; et ainsi aucun refus ne saurait être possible là où se rencontrent et supplient toutes ces

voix si touchantes de la charité. »

Voyez, en second lieu, mes bien-aimés, comment Marie est notre réconciliatrice avec les anges. Nous le trouvons indiqué dans la Genèse où nous lisons que l'Ange qui lutta contre Jacob le bénit à l'aurore; car cet Ange lui disant : « Laissez-moi m'en aller, voilà l'aurore qui paraît (1), » Jacob ne le voulut point à moins qu'il ne le bénît. Jusqu'à l'aurore il y eut lutte entre l'Ange et Jacob, il y eut discorde

 

1 Genes., 52.

 

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entre Dieu, les anges et les hommes. En péchant , l'homme avait offensé son Créateur ; mais l'offense du Créateur. c'est l'offense de toute la créature, et surtout de celle qui est unie plus intimement à son auteur. Cette lutte peut donc être la figure de cette division. Mais au lever de l'aurore, à l'arrivée de Marie, la paix se rétablit entre l'ange et l'homme , de sorte qu'il l'aurore, à cette apparition de la Vierge , l'homme obtient la bénédiction de l'Ange. En effet, l'Ange dit à Marie : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes; » et, par cette bénédiction de la Vierge, l'homme reçoit une bénédiction de paix et de salut en celui qui est le Fils de la Vierge; bénédiction dont l'Apôtre a parlé quand il a dit : « Béni soit Dieu qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions pour le ciel (1); » bénédiction que ce Fils béni de la Vierge bénie, confirmera quand il dira : « Venez les bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé (2). » Unissons-nous donc à Jacob rendant grâces à l'aurore qui paraît, pour remercier Marie dont l'arrivée nous a valu la bénédiction qui a rétabli la paix entre l'Ange et nous. C'est avec raison, du reste, que par l'aurore, par Marie, les hommes sont rentrés en paix avec les anges, puisque c'est par Marie que les hommes sont venus combler les vides qui existaient dans les coeurs angéliques, selon que l'insinue saint Anselme quand il s'écrie : « O femme admirablement unique , et uniquement admirable

 

1 Ephes. 1. — 2 Mat., 25.

 

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par qui les éléments se sont renouvelés, les enfers se sont fermés , les hommes ont obtenu le salut et les anges ont vu leurs pertes réparées. »

Voyez , en troisième lieu, mes bien-aimés, comment notre aurore est pour nous une défense contre le démon , ainsi qu'il est marqué au livre de Job ois il est dit de l'homicide, du voleur et de l'adultère : « Ils percent les maisons dans les ténèbres ainsi qu'ils en étaient convenus durant le jour, et ils n'ont point connu la lumière. Si l'aurore parait tout d'un coup ils croient que c'est l'ombre de la nuit (1). » Cet homicide, ce voleur, cet adultère, c'est le démon. Il cet homicide, dis-je , parce qu'il a causé la mort du genre humain; il est voleur parce qu'il nous ravit notre bien autant qu'il est en sa puissance; il est adultère , parce qu'il corrompt l'âme qui est l'épouse de Dieu. Hélas! combien de malheurs sont tombés sur nous par de tels malfaiteurs! Combien de maux nous ont causé ces esprits pervers ! Ils percent au milieu des ténèbres de l'ignorance, au milieu des profondeurs de l'obscurité; ils percent les demeures de nos âmes, ces demeures dont il est dit dans les Psaumes : « Dieu sera connu dans les demeures qu'il s'est choisies (2). » Ils percent, par des tentations qui les bouleversent, ces demeures dans lesquelles se plait à habiter celui qui a dit : « Il faut qu'aujourd'hui je séjourne dans votre maison (3) ». Et après les avoir percées jusqu'à les amener à consentir malheureusement au péché, hélas! dans quelles calamités ces scélérats plongent

 

1 Job., 24. — 2 Ps. 67. — 3 Luc., 19.

 

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ces âmes en les mettant à mort, en les volant, en les souillant ! Que notre aurore se lève donc pour nous soustraire à des périls si terribles? Que Marie vienne nous secourir! Si les rayons de cette aurore apparaissent, 'si elle se hâte d'arriver, si la grâce et la miséricorde de Marie brillent à nos eux, ils croiront que c'est l’ombre de la mort; c'est-à-dire qu'ils craindront les hommes , qu'ils les redouteront et les fuiront, comme on a coutume sur la terre de redouter et de fuir l'ombre même de la mort. C'est pour cela que saint Bernard a dit : « Les ennemis visibles ne craignent pas autant une multitude de soldats armés contre eux, que les puissances de l'air craignent le nom de Marie et ont en aversion son exemple. Elles prennent la fuite et se fondent, comme la cire au contact du feu , partout où elles rencontrent un souvenir fréquent, une invocation pieuse de ce nom, et une imitation empressée de ses vertus. »

Enfin , considérons comment notre aurore est une lumière qui nous éclaire dans le bien que nous opérons. C'est au lever de l'aurore que les ouvriers commencent à agir; c'est ainsi qu'il est dit dans Néhémie: « Nous ferons nous-mêmes notre ouvrage; que la moitié de ceux qui sont avec nous aient la lance à la main depuis le point du jour jusqu'à ce que les étoiles paraissent (1). » Deux choses nous sont nécessaires : « la première de nous appliquer nous-mêmes aux bonnes oeuvres. C'est pourquoi ceux qui bâtissent se

 

1 Nehe., 4.

 

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sont écriés :« Nous ferons-nous-mêmes notre ouvrage. » Quel ouvrage? Sans doute celui dont l'Apôtre a dit : « Pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux domestiques de la foi (1). » C'est avec raison qu'ils disent : « Nous ferons nous-mêmes et non pas nos hommes de confiance. » Ce qui a fait encore écrire au même Apôtre: « Montrons-nous nous mêmes en toutes choses comme de fidèles ministres de Dieu (2). » Or, Marie n'a pas fourni une autre nourrice au Seigneur , elle ne s'est point remplacée par aucune autre personne; mais elle s'est montrée elle-même en tout temps la servante de son Dieu, ainsi que nous l'annonce saint Augustin en ces termes : « Marie a été sans aucun doute la servante fidèle de cette oeuvre du salut, elle qui a porté le Sauveur en son sein, l'a nourri après l'avoir enfanté, l'a réchauffé contre son coeur, l'a reposé dans sa crèche, l'a dérobé à la fureur d'Hérode en fuyant en Egypte; elle qui a entouré toute son enfance de l'affection la plus pieuse d'une mère , en sorte que, jusqu'au moment où il mourut sur la croix , elle ne s'est jamais séparée de lui ; et non-seulement elle ne quitta point la trace de ses pas , montrant en cela son amour maternel, mais elle ne cessa point d'imiter ses exemples, témoignant ainsi le respect qu'elle portait à son Seigneur (3). »

Ce n'est point assez de nous appliquer à faire le lien, il est encore nécessaire que nous résistions aux vices, et c'est pour cela qu'il est parlé de lances à

 

1 Gal., 6. — 2 II. Cor., 6. — De Assumpt.

 

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tenir dans sa main. En effet, il nous faut tenir la lance du zèle contre la violence du vice, contre les attaques du démon, de la chair et du monde. C'est de ces lances que Jérémie a parlé quand il a dit : « Préparez vos lances; revêtez-vous de vos cuirasses (1). » La cuirasse de la justice nous protège contre le mal; mais par la lance du zèle nous combattons le mal lui-même. Et si pendant due nous sommes sur la terre nous n'étendons pas cette lance du zèle contre le vice, Dieu au jour du jugement étendra contre nous la lance de sa colère. C'est pour cela qu'il est dit au livre de la Sagesse : « Il aiguisera sa terrible colère comme une lance (2). Oh! quelle guerrière fut Marie , elle dont le zèle portait une lance aussi sainte! Saint Bernard s'écrie donc : « Vous êtes une puissante guerrière, car c'est vous qui la première vous êtes portée heureusement à renverser celui qui le premier avait supplanté Eve (3). » Mais pour que nous puissions nous appliquer fidèlement aux bonnes oeuvres, pour que nous résistions courageusement au mal , il nous est nécessaire de fixer nos regards sur l'exemple de Marie, d'implorer le suffrage de Marie. Nous travaillons vraiment au lever de l'aurore quand, l'exemple et la vie de la Vierge répandant sur nous leur lumière, quand , sa protection et sa miséricorde nous environnant de toutes parts, nous nous sentons animés à bien faire. Et nous devons travailler avec courage jusqu'à ce que les étoiles paraissent, c'est-à-dire jusqu'à ce que nos âmes, comme des astres brillants,

 

1 Jer., 46. — 2 Sap., 5 — 3 In depr. Virg.

 

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s'élèvent vers les cieux après être sorties de nos corps. Mais au-dessus des astres qui déjà sont sortis des obscurités de la terre, au-dessus de ceux qui doivent en sortir par la suite, Marie, notre aurore, apparaît éclatante de splendeur. « Vous êtes, dit saint Bernard, l'image la plus parfaite du soleil véritable, et parmi ces milliers d'astres qui environnent le trône de Dieu , vous brillez par-dessus tout de la gloire de votre pureté virginale. »

Ainsi, mes bien-aimés, vous avez vu combien justement Marie porte le nom d'aurore. Le Seigneur est donc avec vous, ô Vierge! comme le soleil avec l'aurore. Et maintenant, ô notre souveraine, aurore pleine de suavité, notre reine , très-douce Marie ! faites qu'avec nous aussi soit le soleil de justice, Jésus-Christ votre Fils, Notre-Seigneur, qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

LEÇON XII. Commuent la bienheureuse Marie est une tige, et une tige fleurie.

 

Le Seigneur est avec vous. Nous avons considéré comment le Seigneur est avec Marie ainsi que le soleil avec l'aurore qui précède son lever; voyons maintenant comment ce même Seigneur est avec elle comme la fleur avec la tige qui la porte et lui donne la vie.

 

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Marie est cette tige dont Isaïe a dit : « Il sortira une tiffe de la race de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine, et l'esprit du Seigneur se reposera sur cette fleur, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété, elle sera remplie de l'esprit de la crainte du Seigneur (1). » Fixons les yeux de notre esprit sur ces paroles. Arrêtons-les d'abord à considérer la tige, nous les porterons ensuite sur la fleur elle-même.

Remarquons, en premier lieu, que cette tige, qui est la Vierge Marie, sort de la race royale, ainsi que nous le déclare le saint docteur Ambroise, qui, s'adressant à cette Vierge bienheureuse, s'écrie: « O vous qui avez donné le jour au Sauveur, vous appartenez au peuple d'Israël, vous avez crû à la manière d'une tige, vous êtes cette tige sortie de la race de Jessé et qui a produit sa fleur, vous êtes la verge d'Aaron qui s'est couverte de verdure et a donné son fruit. » Or, Marie est une tige ou une verge de vapeur ; elle est une verge de bois , une verge d'or, une verge de fer. Elle est une verge ou une tige de vapeur pour ceux qui commencent , une verge de bois pour ceux qui progressent, une verge d'or pour ceux qui sont parvenus à la consommation, une verge de fer pour les endurcis et les démons.

Je dis donc que Marie est une verge semblable à une vapeur pour ceux qui commencent et entrent dans les voies de la pénitence. C'est de cette verge qu'il est dit dans les Cantiques : « Quelle est celle qui s'élève à

 

1 Is., 11. — 2 Serm. de Purif. Virg.

 

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travers le désert comme une petite vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens, et de toutes sortes de poudres de senteur (1). » Ce désert , c'est le coeur du pécheur qui est véritablement vide de la grâce et de toutes les vertus. La vapeur d'aromate, vapeur de suavité, s'élève à travers l'âme lorsqu'elle aspire l'espérance du pardon. La Vierge bienheureuse passe donc par ce désert comme une vapeur légère quand , par ses suffrages , le coeur du pécheur entrevoit le nuage léger qui lui fait présager sa grâce. Or, cette vapeur est formée d'aromates, de myrrhe par la contrition , d'encens par la confession , et de toutes sortes de poudres de senteur par la variété de la satisfaction. La très-miséricordieuse Marie n'abhorre aucun désert, elle ne dédaigne aucun pécheur; mais , en quelque lieu qu'elle passe, elle répand partout comme une vapeur attrayante, l'espérance du pardon. C'est pour cela que saint Bernard a fort bien dit : « Vous n'avez d'horreur ni de mépris pour aucun pécheur, quelque pervers qu'il soit; s'il soupire vers vous , s'il invoque votre secours avec un coeur pénitent, vous l'arrachez , par votre main pleine de tendresse , du gouffre du désespoir ; vous répandez en lui le baume de l'espérance; et, alors qu'il est méprisé du monde entier, vous l'embrassez avec une affection maternelle, vous le pressez contre votre coeur, et vous ne l'abandonnez point dans sa misère que vous ne l'ayez réconcilié avec son Juge redoutable (2). »

 

1 Cant., 5. — 2 In depr. Virg.

 

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Marie est encore une verge de bois, une verge couverte de fleurs, pour ceux qui s'avancent dans le bien. C'est d'elle qu'il est écrit aux Nombres, que la verge d'Aaron, qui était de bois, a porté en même temps des fleurs et du fruit. Par les fleurs sont marquées les vertus qui , après le passage de l'hiver causé par le démon, prennent naissance dans les coeurs, selon qu'il est dit aux Cantiques : « Déjà l'hiver est passé, les pluies se sont dissipées et ont entièrement cessé, les fleurs paraissent sur notre terre (1) ! » Que cet hiver passe donc, que cette torpeur s'évanouisse, qui refroidit la charité , et que les fleurs des vertus apparaissent de nouveau. Oh ! de quelles fleurs a abondé cette Vierge, à qui saint Bernard s'adresse ainsi : « Vous êtes le sanctuaire des saintes aromates, sanctuaire embaumé d'un parfum tout céleste; vous êtes brillante des fleurs les plus délicieuses de toutes les vertus. » Or , comme les vertus sont désignées par les fleurs, les oeuvres des vertus sont marquées par les fruits ; et c'est de ceux-ci qu'il est écrit: « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits (2). » Quand donc, aidés des exemples et des mérites de Marie, nous avançons dans les vertus et les oeuvres qu'elles enseignent , alors la Vierge sainte est pour nous une verge de bois, couverte de fleurs et chargée de fruits.

Marie est aussi une verge d'or pour les parfaits et les contemplatifs. C'est de cette verge qu'il est parlé quand nous lisons qu'Esther étant entrée avec ses deux suivantes chez le roi Assuérus, et se trouvant

 

1 Cant., 2. — 2 Mat., 7.

 

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saisie de crainte et prête à s'évanouir, ce roi étendit vers elle sa verge d'or afin de lui rendre ses forces. Esther signifie celle qui est élevée ou cachée, et désigne l'âme contemplative que Dieu élève dans la contemplation, et qu'il cache dans le secret de sa face aux troubles de la terre. Cette âme entre vers Jésus-Christ, son roi, par la contemplation. Les deux suivantes sur lesquelles elle s'appuie sont les deux puissances qui sont en elle : l'intelligence qui marche en avant par sa connaissance, et la volonté , qui suit par l'amour. Mais cette âme qui s'est approchée si heureusement de Jésus, se sent quelquefois tomber en défaillance par l'étonnement profond dans lequel elle se trouve , en voyant la splendeur inaccessible à la gloire divine ou la sévérité formidable de la céleste justice. La verge d'or, la verge royale, c'est Marie, cette Vierge inestimable , cette Vierge vraiment royale. Elle est toute d'or par sa charité, elle est royale par la noblesse de son coeur. Elle est d'or par sa pureté sans tache , elle est royale par sa justice. Elle est d'or par l'incorruptibilité et l'intégrité de sa virginité; elle est royale par la domination et la puissance qu'elle possède. Cette verge heureuse est étendue avec clémence vers l'âme contemplative pour rappeler ses forces, lorsque la tendre Marie vient aider à la contemplation ou à la sainte ardeur de cette âme avec tant de douceur et de bonté qu'elle se sent fortifiée contre les terreurs de la suprême justice et contre les splendeurs de la divinité. Cette verge , l'âme contemplative d'Anselme désira la voir s'étendre

 

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vers soi, quand elle s'écriait avec tant de ferveur : «  O Vierge si belle à considérer, si aimable à contempler, si délectable à aimer, vous qui dépassez la capacité de mon coeur, daignez , ô ma souveraine, attendre mon âme dont la faiblesse désire suivre vos traces. »

Marie est une verge de fer pour les démons et les pécheurs endurcis. Nous pouvons , sans nous éloigner de la vérité , entendre de cette verge ces paroles du Psaume : « Vous les gouvernez avec une verge de fer (1). » O Marie , verge d'or pour ceux qui sont par-faits, verge de fer pour les endurcis, verge d'or pour les hommes, verge de fer pour les dénions, éloignez de nous ces ennemis. Nous vous le demandons, ô notre souveraine; nous vous en conjurons instamment, et nous vous disons avec votre serviteur Innocent : « Salut, ô Mère glorieuse de Dieu ! par la dignité de votre divine maternité vous avez la puissance de commander aux démons. Arrêtez-les donc, de peur qu'ils ne nous nuisent, et ordonnez aux anges de veiller à notre garde. »

Ainsi Marie est donc pour nous cette verge qui paraît comme une vapeur légère au moment de notre pénitence; elle est une verge brillante de fleurs au temps de nos progrès; elle est une verge d'or au jour de notre contemplation , et elle est une verge de fer levée pour notre défense. Saint Bernard, contemplant cette verge dans la vérité et se laissant aller à une juste admiration, s'écriait : « O Vierge, verge suprême,

 

1 Ps. 2.

 

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à quelle hauteur sainte. à quel sommet , vous êtes-vous élevée ! Vous avez atteint celui qui est assis sur le trône ; vous êtes montée jusqu'au trône de la suprême majesté; et il en a été ainsi parce que les racines de votre humilité se sont étendues à une profondeur extrême (1). »

Considérons clone maintenant, mes bien-aimés, les fleurs de cette verge. Considérons , dis-je , dans cette verge royale, dans Marie, quatre sortes de fleurs: « la fleur de son inestimable virginité; la fleur de sa vie toute sainte ; la fleur de sa miraculeuse fécondité , et la fleur de sa glorieuse immortalité.

Et d'abord, contemplons en Marie la fleur de sa précieuse virginité, qui n'est autre que cette virginité elle-même. Il est dit à ce sujet dans Isaïe : « La solitude tressaillira d'allégresse, et elle fleurira comme le lis (2). » Marie peut justement recevoir le nom de solitude, elle qui demeurait si volontiers solitaire, elle que l'Ange visitait comme une personne qui s'est vouée à la retraite. Aussi saint Ambroise dit-il : « L'Ange l'a trouvée seule dans le secret de sa demeure, loin de la vue d'aucun homme ; seule sans la société de qui que ce fût ; seule sans témoin aucun (3). » Mais comment cette solitude , comment Marie a-t-elle tressailli de joie ! C'est elle-même qui va nous l'apprendre, écoutons-la : « Mon esprit, dit-elle, a tressailli d'allégresse en Dieu mon Sauveur (4). » Enfin la solitude de cette terre a fleuri comme un lis par la virginité. O lis angélique, lis tout céleste ! oui, vous êtes

 

1 Serm. 2, de Adv.— 2 Is. 53. — 3 In Luc., lib. 2, c. — 4 Luc., 1.

 

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véritablement une fleur du ciel, vous que cette abeille plus élevée que les cieux a tant aimée. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « Lorsque cette abeille, qui se nourrit parmi les lis, qui séjourne dans la patrie des fleurs, eut dirigé son vol vers Nazareth, qui veut dire une fleur ; lorsqu'elle eut atteint la fleur embaumée de la perpétuelle virginité , elle se reposa dessus, elle s'y attacha inséparablement (1). » Oh ! comme les couronnes de cette fleur se sont multipliées par Marie! « Depuis que Marie, la fleur des vierges , dit saint Ambroise , a tressé dans le monde entier des couronnes incorruptibles, et que, par la pureté de son amour, elle a conservé intact le sanctuaire de sa pudeur , la virginité a persévéré parmi nous digne de récompense; par la main de jeunes filles elle a saisi les trophées de la sainteté, et, marchant sur les traces de celle qui est demeurée vierge en devenant mère, elle est arrivée jusqu'au lieu le plus secret, où réside le Roi des rois. »

Remarquez maintenant en Marie la fleur d'un honneur plein de vertu, des bonnes moeurs, de la sainte vie, et écoutez ce qu'elle dit elle-même à ce sujet : « Mes fleurs, s'écrie-t-elle, sont des fruits de gloire et d'honneur (2). » Oh! combien belle, en effet, est la fleur de cette vie de vertu et de sainteté, de pures moeurs et de sévère discipline ! Ou plutôt, comme il est dit au pluriel, mes fleurs, disons aussi qu'il y a, dans les saintes moeurs de Marie, autant

 

1 Serm. 2, de Adv. — 2 Eccles., 24.

 

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de fleurs qu'il y a de vertus; autant de heurs dans cette glorieuse vie, qu'il y a de vertus capables d'illustrer la vie. C'est de ces fleurs qu'il est écrit : « Les fleurs ont apparu en notre terre (1). » C'est également de ces fleurs qu'il est encore écrit : « Notre lit est couvert de fleurs (2). Ainsi nous trouvons des fleurs sur la terre; nous trouvons des fleurs sur notre lit. La terre, c'est l'âme de ceux qui mènent la vie active ; le lit, l'âme des contemplatifs. La terre, dis-je, c'est l'esprit qui fructifie dans l'accomplissement des bonnes oeuvres; le lit, c'est l'esprit qui nourrit son repos dans la contemplation. Que l'âme soit clone appliquée à la vie active, qu'elle soit absorbée dans la vie contemplative, elle doit toujours être brillante de fleurs. Il faut remarquer aussi que la fleur d'honneur, ou plutôt la fleur de chaque vertu , est environnée d'autant de feuilles qu'elle possède d'oeuvres bonnes et méritoires. Oh! comme cette terre de Marie fut abondante en fleurs ! comme ce lit de Marie en fut tout émaillé, elle qui brillait de l'éclat d'une vie toute glorieuse, de la beauté de toutes les vertus, comme l'atteste saint Bernard quand il s'écrie : « Vous êtes, ô Marie! le sanctuaire de saintes aromates, sanctuaire embaumé d'un parfum tout céleste ; vous êtes brillante des fleurs les plus délicieuses de toutes les vertus, au milieu desquelles nous en découvrons trois dont nous admirons l'excellence : « la violette de l'humilité, le lis de la chasteté, la rose de la charité (3). »

 

1 Cant. 2. — 2 Id., 1. — 3 In depr. Virg.

 

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Considérons en troisième lieu en Marie la fleur de sa fécondité miraculeuse. Cette fleur, c'est le Fils même de la Vierge, dont il est dit d'une manière spéciale : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine (1). » Vous voyez combien belle est cette fleur qui naît et apparaît sans péché, et combien tristement elle est broyée lorsqu'elle meurt comme mourrait un pécheur, selon cette parole de Job : « Il naît comme une fleur et il est broyé de même (2). Oh! combien elle était éclatante à son entrée dans le monde; combien elle fut décolorée au jour de son anéantissement, cette fleur qui fait les délices des anges , cette fleur si nécessaire à la vie de l'homme! C'est pour cela que saint Bernard a dit : « La fleur est le fils de la Vierge, fleur toute brillante

par sa blancheur et le rouge dont elle était revêtue, fleur choisie entre mille, que les anges sont avides de contempler et dont le parfum rappelle les morts à la vie (3). » Heureuse la terre qui a produit la tige d'une telle fleur! plus heureuse la tige qui a donné le jour à cette fleur sur la terre! mais heureuse par-dessus tout la fleur elle-même sans qui la tige et la terre ne sauraient être déclarées heureuses! Oui, elle est véritablement bienheureuse cette fleur sur qui s'est reposé avec tant d'effusion l'esprit du Seigneur, que sans elle nul ne peut posséder la grâce de l'Esprit-Saint. Saint Jérôme nous l'atteste en ces termes : « L'Esprit-Saint qui , dans cette grande forêt du genre humain, n'avait point trouvé un lieu de

 

1 Is., 11. — 2 Job., 3. — 3 Serm. 2 , de Adv.

 

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repos, s'est enfin reposé sur cette fleur, mais de telle sorte que sans Jésus-Christ nul ne peut avoir la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force, la science, la piété, ni être rempli de la crainte du Seigneur (1). » Cette lieur porte autant de feuilles qu'elle remplit de fonctions diverses, qu'elle offre d'exemples. Si vous désirez l'avoir en votre possession, inclinez par vos prières la tige qui la porte. Si vous trouvez qu'elle est trop élevée à cause de sa divinité, souvenez-vous que la tige est flexible et que sa tendresse la pousse à s'abaisser. Si cette fleur vous semble rare, attendu qu'elle est unique au ciel et sur la terre, songez qu'elle ne laisse pas pour cela d'être très-commune; car elle n'est point enfermée dans un jardin , mais exposée en plein champ à la volonté de tous ceux qui passent. Aussi Jésus-Christ peut-il dire avec vérité : « Je suis la fleur des champs (2). » Et ce n'est pas seulement parce qu'il est ainsi au pouvoir de tous, qu'il s'appelle la fleur des champs, mais encore parce qu'il croît et s'étend sans avoir besoin de la main des hommes. Ce qui a fait dire à saint Bernard : « Le champ fleurit sans aucun secours humain , sans que la semence y ait été jetée, sans que le sarcloir l'ait déchiré, sans que l'engrais soit venu le féconder. Ainsi a fleuri le sein de la Vierge; ainsi les entrailles de la chaste Marie, conservant leur intégrité et leur inviolabilité, ont produit un pâturage d'une verdure éternelle, dont la beauté ignore la corruption ,

 

1 Lib. 4 Com. in Is. — 2 Cant., 2.

 

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dont la gloire ne se flétrira jamais dans toute la suite des siècles (1). »

Enfin, voyons, mes bien-aimés, voyons quelle est en Marie la fleur de l'immortalité glorieuse. Nous pouvons appliquer à ce sujet ce qui est dit au livre des Nombres : « Que la verge d'Aaron porta en même temps des fleurs et du fruit (2). » En effet, Marie a très-bien pu être figurée par la verge d'Aaron , car la verge désigne la droiture de Marie ; la fleur , la beauté de son corps glorifié , et le fruit, la béatitude de son âme. Il faut remarquer que c'est dans la jeunesse que la chair est florissante , selon cette parole du Psaume : « Elle fleurit le matin et elle passe (3), » et qu'elle trouve sa fin dans la mort, selon cette autre parole d'Isaïe : « L'herbe s'est desséchée et la fleur est tombée (4). » Mais elle reprend son éclat dans la résurrection glorieuse, ainsi qu'il est dit par le Psalmiste : « Ma chair a refleuri (5) . » Et cette fleur qui naît de la glorification du corps est environnée d'autant de feuilles que le corps glorifié contient de qualités et jouit de récompenses. Or , de saints docteurs , appuyant leur sentiment sur de bonnes raisons, pensent avec une grande probabilité , et les fidèles embrassent leur sentiment avec piété ; ils pensent , dis-je , que la bienheureuse Vierge a été enlevée au ciel avec son corps, et que ce corps est maintenant associé à toute la gloire de son âme.

Saint Augustin dit à ce sujet : « Je pense qu'il est

 

1 Serm. 2, de Adv. — 2 Nombr., 17. — 3 Ps., 89.— 4 Is., 40. — 5 Ps., 27.

 

148.

 

conforme à la droite raison de confesser que Marie est en Jésus-Christ et qu'elle est avec Jésus-Christ. Elle est en Jésus-Christ , parce qu'en lui nous avons la vie, le mouvement et l'être; elle est avec Jésus- Christ, parce qu'elle a été élevée à la gloire de son éternité. C'est ce qui nous fait croire avec justice que Marie jouit , en son Fils et par son Fils , d'une félicité inénarrable dans son âme et dans son corps, qu'aucune amertume de corruption ne s'est attachée à celle dont l'intégrité est demeurée incorrup- tible dans l'enfantement de son Fils, lorsqu'elle donna le jour à celui qui est la verge parfaite et sans tache qui régit l'univers. Nous croyons qu'elle est avec celui qu'elle a porté dans son sein, avec celui qu'elle a mis au monde, qu'elle a environné de soins , qu'elle a nourri. Nous pensons qu'il en est ainsi de Marie , la Mère de Dieu , la servante fidèle de Dieu , la nourrice de Dieu , l'imitatrice de Dieu. Je ne dois pas penser qu'il en est autrement; je n'oserais l'avancer (1). »

Marie a donc pu dire : « Ma chair a refleuri.» Elle porte donc maintenant des fleurs et des fruits les fleurs de son corps glorifié , les fruits de son âme enivrée de félicités célestes. Ces fleurs jettent leur éclat dans la beauté resplendissante de son corps , et les fruits apparaissent dans la béatitude ineffable dont son âme est comblée. Il nous faut remarquer encore que ces fleurs et ces fruits se trouvent de quatre sortes en Marie. Elle eut à la fois la fleur de la virginité

 

1 De Assumpt. Virg.

 

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et le fruit de la fécondité; la fleur d'une vie toute sainte et le fruit de l'humilité ; la fleur de l'humanité dans celui qu'elle conçut et le fruit de la divinité ; la fleur de l'immortalité dans son corps et le fruit de la bienheureuse félicité en son âme. Aimons donc, mes bien-aimés, ces fleurs portées par cette tige virginale ; cueillons dans ce jardin du Très-Haut ces fleurs éternelles et délicieuses que saint Bernard a vues , qu'il a cueillies, pour lesquelles il a excité nos désirs lorsqu'il s'est écrié en parlant à Marie : « Votre sein très-pur, ô Marie, est pour nous le jardin de délices, car c'est là que nous cueillons les fleurs d'un bonheur ineffable toutes les fois que nous rap- pelons en notre pensée combien est grande l'immensité de douceur qui s'est répandue par ce sein sur tout l'univers (1). »

Ainsi, ô très-douce Vierge Marie, le Seigneur est vraiment avec vous comme la fleur est avec la tige qui lui donne naissance; faites donc qu'il soit aussi avec moi, ou plutôt avec nous, et qu'il nous fasse entrer en communication de cette fleur, Jésus-Christ, Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.

 

1 In depr. Virg.

 

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LEÇON XIII. Comment la bienheureuse Marie est comparée à une reine qui entre avec le roi dans son palais.

 

Le Seigneur est avec vous. — O souveraine très-chère au Seigneur , vraiment amie du Seigneur ! le Seigneur est avec vous. O souveraine très-digne du Seigneur, très-apte à ses desseins! le Seigneur est avec vous. Oui, il est avec vous, ainsi que nous l'avons dit plus haut, comme le soleil est avec l'aurore qui le précède, comme la fleur est avec la tige qui la porte , comme un roi avec une reine qui entre en son palais. — Nous avons vu comment Marie est l'aurore qui prévient le soleil éternel de justice; comment elle est la tige qui produit la fleur de l'éternité , la fleur de la miséricorde : voyons maintenant comment elle est la reine qui rait son entrée vers le Roi des siècles, vers le Roi de gloire. Marie est donc cette reine dont il est dit dans l'Ecriture, « que la reine de Saba fit son entrée à Jérusalem au milieu d'une suite nombreuse et avec de grandes richesses (1). » Marie est réellement cette reine, au témoignage de saint Augustin , qui dit : « Confessons qu'elle est vraiment la reine des anges , puisqu'elle a donné le jour à celui qui est le Roi des anges. Comme j'ai déjà parlé de

 

1. III Reg., 10.

 

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cette reine dans le discours sur le psaume 44° , il nous faut, en ce moment, traiter de son entrée dans le ciel (1).» Nous devons donc remarquer que nous trouvons Marie sortant, s'avançant, faisant son entrée et s'élevant au-dessus de tout. Sa sortie a rapport aux lois de la nature , son progrès à la grâce, son entrée à la gloire , et son élévation à l'abondance où elle se trouve. Elle est sortie en venant au monde, elle s'est avancée en croissant en vertu , elle est entrée en prenant possession de la gloire, elle s'est élevée en surpassant tous les saints en mérites. Elle est sortie sans péché , elle a crû en grâce sans exemple , elle est entrée sans obstacle, elle s'est élevée au-dessus de tous , sans mesure.

D'abord considérez , mon bien-aimé, que nous avons vu Marie faisant son apparition en sa naissance exempte de péché. C'est d'elle que nous pouvons entendre ce qui est dit aux Proverbes : « Enlevez la rouille qui couvre l'argent, et le vase apparaîtra brillant de pureté (2) . » La rouille a été séparée de l'argent lorsque Marie fut mise à l'abri du péché originel et ornée de sainteté dès le sein de sa mère; et ainsi elle a parti en ce monde comme un vase d'une éclatante pureté. Il nous faut remarquer qu'il y a un vase pur, un vase d'une pureté plus grande, et enfin un vase dont la pureté est portée au suprême degré. Celui-là apparaît comme un vase pur , qui est sanctifié avant de faire son entrée en ce monde , mais en conservant toutefois en lui ce foyer de concupiscence qui

 

1 Serm. 35, de Sanctis. — 2 Prov., 25.

 

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l'incline aussi bien au péché mortel qu'au véniel. Ainsi en a t-il été pour Jérémie, suivant le sentiment de plusieurs. Le vase d'une pureté plus grande est celui qui , ayant été sanctifié également avant sa naissance , n'apporte point avec lui la concupiscence au degré où elle pourrait le conduire au péché mortel, mais seulement au véniel. Tel était saint Jean-Baptiste, dont l'Eglise chante : « Qu'il fut conduit dans le désert, afin qu'aucune tache, même légère, ne pût souiller sa vie. » Mais le vase dont la pureté est montée au degré le plus élevé, c'est Marie; car elle a fait son entrée en la vie sanctifiée de telle sorte qu’il ne demeura en elle aucune inclination qui pût la porter à la faute la plus légère. C'est pour cela que saint Bernard a dit : « Je pense qu'une bénédiction de sanctification est descendue sur elle plus abondante , et que non-seulement elle a rendu sa naissance toute pure , mais encore qu'elle a mis sa vie entière à l'abri de tout péché (1). » La rouille du péché originel a donc été éloignée, et le vase qui apparut pur dans Jérémie, plus pur dans Jean-Baptiste, a brillé de tout son éclat en Marie.

Considérez, en second lieu, mon cher frère, comment Marie s'est avancée dans la vertu sans exemple qui la précédât et par le seul secours de la grâce. Il est dit dans les Cantiques : « Quelle est celle qui s'avance comme l'aurore à son lever, qui est belle comme la lune et éclatante comme le soleil (2). » C'est avec justice que Marie est comparée à ces trois

 

1 Epist. 174. — 2 Cant., 6.

 

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lumières : à l'aurore, à la lune et au soleil, à cause de trois choses d'une excellence parfaite, qui jettent en elle l'éclat le plus lumineux. En son coeur et en son esprit, la virginité a brillé avec splendeur; en sa virginité, la fécondité a paru non moins splendide; et le fruit de sa fécondité s'est montré également plein de gloire.

Marie fut une aurore rafraîchissante dont l'apparition réjouit les oiseaux du ciel. En effet elle a, par sa virginité, tempéré les ardeurs de la chair, selon que le dit saint Bernard : « Vous avez par votre chasteté éteint en votre chair virginale les feux d'une concupiscence coupable, et votre pureté est arrivée à un tel point que celui en présence duquel les astres mêmes ne sont pas purs, n'a pas dédaigné d'unir cette chair à la pureté de sa divinités. » Cette même .virginité a réjoui aussi les oiseaux du ciel, c'est-à-dire les anges; car, selon saint Jérôme, « la virginité est toujours aimable aux esprits angéliques (2). » C'est pour cela qu'il est dit avec raison que l'Ange bénit Jacob à l'aurore. Jacob peut très-bien ici se prendre pour un esprit pur qui a supplanté son frère , c'est-à-dire son corps , et ce n'est pas seulement de son père, mais de l'Ange, qu'il reçoit la bénédiction à l'approche de l'aurore, c'est-à-dire de la très-pure Vierge Marie, à qui l'Ange a dit : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes. »

Marie est aussi belle comme la lune par la fécondité lumineuse de sa virginité. En effet la beauté de

 

1 In depr. Virg. — 2 Epist. 10.

 

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la lune consiste en la lumière qu'elle reçoit du soleil. Alors pensez donc quelle a dû être la beauté de Marie quand le soleil éternel a été reçu tout entier et conçu en elle. Marie est donc la lune en la plénitude de laquelle est revenu à l'Eglise cet homme dont il est dit : « Il retournera à sa maison au jour de la pleine lune (1). » Marie fut la lune en son plein quand il lui fut dit par l'Ange : Je vous salue, pleine de grâces.

Enfin Marie fut brillante comme le soleil par le fruit tout miraculeux et si brillant de sa fécondité. Car ce ne fut pas un homme seulement, ce ne fut pas un ange du ciel , mais le Fils de Dieu , le Soleil même de justice, qui vint établir sa tente dans le soleil, lorsqu'il fut conçu dans le sein de Marie. Certes t'eût été une chose bien extraordinaire, qu'une vierge demeurant vierge, eût conçu un homme; c'eût été une chose bien plus extraordinaire, qu'elle eût conçu un ange; mais ce qui passe tout ce que l'on pourrait imaginer, c'est qu'elle ait conçu un Dieu, qu'elle ait donné le jour à un Dieu. C'est pourquoi saint Augustin s'écrie : « C'est avec justice que nous célébrons Marie par des louanges extraordinaires, puisqu'elle nous a offert un spectacle unique lorsqu'elle s'est élevée à une telle l'auteur vers les cieux qu'elle a reçu en elle le Verbe qui dès le commencement était en Dieu dans les splendeurs de sa gloire (2). » La bienheureuse Vierge s'est donc avancée comme l'aurore à son lever, en gardant la

 

1 Prov., 7. — 2 Serm. 38, de Sanct.

 

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virginité en son corps et en son âme; elle est donc belle comme la lune dans sa fécondité , et brillante comme le soleil dans le fruit divin et adorable de son enfantement virginal.

Considérez maintenant Marie faisant sans obstacle son entrée dans la gloire. Qui pourrait, en effet , s'opposer à une si auguste Reine s'avançant entourée d'une suite aussi nombreuse? C'est elle qui a été figurée par cette reine de Saba dont il est dit : « Elle entra à Jérusalem avec un cortége considérable, de grandes richesses, des chameaux portant des aromates et une quantité prodigieuse d'or et de pierres précieuses (1). » Comprenez par ces paroles la gloire de Marie faisant son entrée à Jérusalem; comprenez, dis-je, l'excellence de celle qui entre, sa puissance et ses richesses. Son excellence apparaît dans sa principauté; sa puissance, dans son entourage, et ses richesses se montrent dans l'éclat qu'elle déploie. Or, l'excellence de sa principauté réside en ce qu'elle est appelée la reine de Saba, car Saba veut dire cri. Ainsi Marie est la reine du monde, où se fait entendre un cri gémissant; elle est la reine du ciel , où retentit un cri de joie , car les habitants de la patrie crient sans cesse , ainsi qu'il est dit en l'Apocalypse : « Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu tout-puissant (2). » Et la reine de ceux qui font entendre ce cri , ne cesse pas non plus de s'unir à leurs louanges, ainsi que l'atteste saint Augustin en ces termes : « Pour vous, ô Marie, vous vivez en la

 

1 III Reg., 10. — 2 Apoc., 4.

 

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société des habitants du ciel; unie pour jamais aux choeurs des anges, associée aux archanges, vous ne cessez de vous écrier avec une ardeur infatigable : Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu tout-puissant. »

Elle est cette reine que le Psalmiste a chantée quand il dit : « La reine s'est tenue à votre droite, revêtue d'un habit d'or, environnée de ses divers ornements (1). » Ceux-là pourront la suivre avec confiance en son royaume, qui se seront efforcés de la servir fidèlement sur la terre. C'est ce qui a fait dire à saint Bernard : « Notre reine nous a précédés; elle nous a précédés, et son entrée a été si glorieuse que ses serviteurs peuvent avec confiance élever la voix vers leur souveraine et lui crier : « Attirez nous à votre suite (2). »

Voyez encore, dans cette entrée de notre reine, quelle est la puissance du cortége qui l'environne ; car il est dit qu'elle avait une suite nombreuse, et cette suite qui accompagne Marie à son entrée dans la Jérusalem céleste, c'est une multitude innombrable d'anges pleins de puissance. Aussi saint Jérôme s'écrie-t-il : « Nous lisons que souvent les anges ont assisté à la mort et aux funérailles de quelques saints, et

qu'ils ont accompagné jusqu'au ciel, au milieu des hymnes et des cantiques, les âmes des élus; combien plus devons-nous croire que tous les rangs de la milice céleste se sont empressés d'accourir au-devant de la Mère de Dieu , de l'environner d'une

 

1 Ps., 44. — 2 Serm. 1, de Assumpt.

 

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manière éclatante, et de la conduire, avec des chants de louange et de jubilation, au trône qui lui avait été préparé avant le commencement du  monde (1) ? »

Enfin reconnaissez en Marie l'abondance des mérites dans cet appareil de présents inestimables. Car elle apporte avec elle, en une valeur infinie, l'or de l'amour de Dieu et du prochain, les pierres précieuses des vertus et des dons, les aromates des bonnes couvres et des saints exemples. Et ce que je dis des trésors de Marie n'est rien en comparaison de ce que saint Bernard exprime , en s'adressant à elle-même : « En vos mains, lui dit-il , sont tous les trésors des

miséricordes du Seigneur. Que votre main ne cesse donc pas de les répandre, car votre gloire ne diminue point, elle augmente au contraire, lorsque les pécheurs parviennent au pardon, lorsque les justes prennent possession de la gloire. » La Mère du Seigneur est donc entrée dans la gloire, comme la reine des cieux ; elle y est entrée environnée d'un cortége innombrable d'anges, et riche de mérites infinis.

Enfin considérez, en dernier lieu, mon frère, comment Marie a surpassé tous les saints par la surabondance de ses mérites et des récompenses infinies qu'elle reçut, selon cette parole du Psaume : « Beaucoup de filles ont amassé des richesses, mais vous les avez toutes surpassées (2). » Vous avez surpassé assurément en votre nature, ô Marie, toutes les filles,

 

1 Epist. 10. — 2 Prov., 31.

 

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toutes les âmes, toutes les intelligences angéliques; vous les avez surpassées en grâce ; vous les surpassez en gloire.

Je dis donc que Marie a surpassé en sa nature toutes les filles des hommes sans exception, puisque , contrairement aux lois de la nature, elle a conçu étant vierge , elle a enfanté demeurant vierge , selon cette parole du Prophète : « Voici qu'une vierge concevra et qu'elle mettra au monde un fils (1). » Et non-seulement elle les a surpassées en ce que, demeurant vierge, elle est devenue mère, mais encore en ce que le fruit de son sein est le Fils de Dieu. C'est pourquoi saint Jérôme a dit : « Ce que la nature n'a point eu en sa puissance , ce que l'usage n'avait point appris, ce que la raison avait ignoré, ce que l'esprit humain ne comprend point, ce qui remplit le ciel d'étonnement et la terre de stupeur, l'archange Gabriel l'annonce à Marie de la part de Dieu, et Jésus-Christ l'accomplit (2).»

Marie a surpassé en grâce toutes les âmes des saints, car non-seulement elle fut pleine de grâce, mais elle en fut remplie outre mesure. En effet, l'Ange, après lui avoir dit : « Je vous salue, pleine de grâce, ajouta : Le Saint-Esprit surviendra en vous. Si déjà elle était pleine de grâce, tout ce que le Saint-Esprit lui en apporta par sa présence l'en a donc remplie outre-mesure et sans limites. C'est pourquoi saint Bernard a dit : « L'Esprit-Saint venant en elle la trouva pleine de grâce pour elle-même , mais à son arrivée il lui

 

1 Is., 7 — 2 Epist. 10.

 

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en donna à cause de nous une surabondance qui déborda de toutes parts (1). »

Enfin Marie a surpassé en gloire toutes les intelligences angéliques, car elle est ce trône de saphir qu'Ezéchiel a vu élevé au-dessus du firmament des anges. C'est ce qui a fait dire à saint Bernard : « Marie s'est élevée au-dessus des hommes, elle s'est élevée jusqu'auprès des anges, ou plutôt elle est montée plus haut encore, et elle a surpassé toute  créature céleste (2). »

Ainsi, mes bien-aimés, Marie a fait son apparition, elle s'est avancée, elle est entrée, et elle s'est placée au-dessus de tout. Elle a fait , dis-je, son apparition, en naissant à la vie de ceux qui pleurent; elle s'est avancée, en croissant en grâce et en faveur auprès de Dieu; elle est entrée, en prenant possession du royaume des cieux , et elle s'est placée au-dessus de tous , en surpassant en gloire tous les bienheureux. Ainsi, ô très-douce Vierge Marie, le Seigneur est vraiment avec vous comme le soleil avec l'aurore qui le prévient, comme la fleur avec la tige qui lui donne le jour, comme un roi avec une reine qui fait son entrée triomphale. O aurore pleine de suavité, faites donc qu'avec nous soit le soleil de justice; tige très-élevée, faites qu'avec nous soit la fleur de la grâce ; reine très-puissante, faites qu'avec nous soit le roi de gloire , Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.

 

1 Serm. 2, in Assumpt. — 2 Serm. in Nat. Virg.

 

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LEÇON XIV. Comment Marie est bénie à cause de la plénitude de la grâce qui est en elle, à cause de la grandeur de son Fils, à cause de l'étendue de sa miséricorde, et à cause de la magnificence de sa gloire.

 

Vous êtes bénie entre toutes les femmes. — Nous avons vu plus haut comment Marie, à cause de l'innocence très-pure de sa vie , est saluée avec justice d'un salut de bénédiction. Nous avons montré comment, par l'abondance extraordinaire de grâce qu'elle possédait , elle fut appelée pleine de grâce. Enfin nous avons admiré comment, par la présence toute spéciale de Dieu en elle , il est dit que le Seigneur était avec elle. Il nous reste maintenant à faire voir comment, par le respect plein d'amour qui s'attache à sa personne , elle est proclamée bénie entre toutes les femmes.

Le glorieux archange Gabriel , adressant à l'illustre Marie une salutation si honorable, y met le comble d'une manière vraiment digne en y ajoutant cette bénédiction : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, c'est-à-dire par-dessus toutes les femmes. Par ces paroles , par cette bénédiction se trouve détruit tout ce qui s'était répandu sur nous de malédiction par Eve. Que Gabriel s'écrie donc : « Vous êtes bénie entre toutes

 

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les femmes; bénie, dis-je , à cause de la plénitude de la grâce que nous vénérons en vous; bénie par l'abondance de miséricorde que nous recevons par vous; bénie par la grandeur de la personne qui se fait chair en vous; bénie enfin pour la gloire éclatante dont le Seigneur s'est fait prodigue envers vous.

Considérez d'abord , mes bien-aimés , comment Marie est véritablement bénie pour la plénitude de la grâce que nous vénérons en elle, comme nous le montre parfaitement bien l'ange Gabriel, quand il dit : « Je vous salue, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Vous êtes bénie parce que vous êtes remplie de grâce. Vous avez trouvé grâce auprès du Seigneur, et c'est pourquoi vous êtes bénie en sa présence. Aussi saint Bernard a-t-il très-bien dit de cette bénédiction : « Par vous nous avons accès auprès de votre Fils, ô bénie entre toutes les femmes, vous à qui nous devons d'avoir recouvré la grâce, source de la vie, mère du salut (1). » Vous êtes bénie à cause de la grâce qui est en vous ; vous êtes bénie, dis-je, à cause de la grâce de votre coeur, de la grâce de votre bouche, de la grâce de vos bonnes oeuvres. Oui , vous êtes bénie en votre coeur par la grâce des dons qu'il reçut ; vous êtes bénie en votre bouche par la grâce qui découla de vos lèvres; vous êtes bénie en vos oeuvres par la grâce de vos saintes actions.

Marie fut vraiment bénie pour la grâce de son coeur, à cause des dons admirables qui le remplirent,

 

1 Serm. 2, in Adv.

 

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car ce coeur abondait en délices comme le jardin de Dieu, en sorte qu'on peut entendre de cette bénédiction ce qui est dit en l'Ecclésiastique : « La grâce est comme un jardin délicieux et béni du ciel, (1)» et qui produit les fruits de toutes sortes de vertus, ajoute la Glose. Et l'Apôtre a dit de ces heureuses bénédictions de grâces et de vertus : « C'est Dieu qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel (2). » Si donc la grâce, en répandant la bénédiction des vertus, rend l'âme de l'homme délicieuse comme un jardin chéri de Dieu , combien plus délicieuse et agréable à Dieu sera. l'âme de Marie, qui a été bénie de tous les dons de l'Esprit-Saint? Et non-seulement la Vierge fut pour Dieu un lieu de délices en son âme , mais encore en son sein , qui a produit l'arbre de vie, Jésus-Christ. C'est pourquoi saint Bernard a dit : « Vous êtes vraiment le paradis de Dieu, car vous avez donné au monde l'arbre de vie ; et celui qui s'en nourrira vivra éternellement (3). » Hélas.! combien éloigné de cette bénédiction de Marie est celui dont l'âme n'est point un paradis de Dieu par la bénédiction de la grâce, mais une sentine du démon par la malédiction du péché ! Il en est de lui selon qu'il est dit dans le Psaume : « Il a aimé la malédiction, et est elle se répandra sur lui; il n'a point voulu de la bénédiction, et elle s'éloignera de lui (4). »

Et ce n'est pas seulement pour les dons abondants de la grâce dont son coeur fut rempli , que Marie est

 

1 Eccl., 40. — 2 Ephes., 1 . — 3 In der. Virg. — 4 Ps. 108.

 

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bénie , mais encore à cause de la grâce de ses lèvres, selon cette parole du psaume : « La grâce est répandue sur vos lèvres; c'est pourquoi Dieu vous a béni de toute éternité (1). » Quelle grâce, en effet , découlait des lèvres de Marie dans ses saintes prières ! quelle grâce dans ses entretiens toujours pleins d'utilité ! quelle grâce auprès des hommes ! quelle grâce auprès des anges ! quelle grâce auprès du Seigneur ! Aussi Dieu écoutait-il avec joie les paroles sorties de sa bouche. C'est ce qui fait dire à saint Bernard, parlant à Marie : « Celui à qui vous fûtes agréable par votre silence , trouve aujourd'hui une joie plus grande encore dans vos paroles. Voilà pourquoi il vous crie du haut du ciel : O la plus belle d'entre toutes les femmes, faites-moi entendre votre voix (2). » Combien amoureuses de la vérité, combien sincères furent les lèvres de Marie ! C'est pour cela que le Seigneur a répandu sur elle sa bénédiction éternelle. Hélas! combien sont éloignés de cette bénédiction ceux dont lèvres n'ont aucune ressemblance avec les lèvres de Marie ! La grâce ne couvre pas les lèvres de pareils hommes ; mais la perversité les environne de confusion. Aussi , loin de mériter les bénédictions de Dieu, ils en seront maudits pour l'éternité.

Enfin, mes bien-aimés, Marie n'est pas bénie seulement et pour la grâce de son coeur et pour la grâce qui découle de ses lèvres , mais encore pour la grâce des saintes oeuvres de sa vie ; et nous pouvons entendre de cette bénédiction ce que dit Jérémie : « Que le

 

1 Eccl., 40. — 2 Hom. 4, sup. missus est.

 

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Seigneur vous bénisse, vous qui êtes la beauté de la justice et la montagne de sainteté (1). » Cette montagne sainte, c'est Marie, qui est nommée justement une montagne à cause de l'excellence de ses mérites, de l'élévation de sa conduite et de toutes ses actions. Elle est cette montagne d'où il est dit dans Daniel : « Qu'une pierre s'est détachée sans aucun secours humain (2), » ce qui eut lieu quand Jésus-Christ naquit de Marie demeurée vierge. La beauté de cette montagne, la beauté , dis-je , de la justice , c'est l'éclat de la vie et des actions de Marie, éclat qui fut tel qu'il a pu être dit avec vérité de cette Vierge : « Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée, et il n'y a point de tache en vous (3). » En effet , elle est belle en sa vie, belle en la régularité sévère de ses actes, elle est belle tout entière et sans réserve. Et comment est-elle toute belle? Ecoutez saint Jérôme qui vous dit : « Tout ce qui s'est accompli en Marie est pureté et simplicité, tout est grâce et vérité, tout est miséricorde et justice, car tout est l'oeuvre du ciel. » Aussi le Seigneur a répandu sa bénédiction sur cette beauté de Marie. Mais combien éloigné de cette bénédiction est celui qui est dans ses oeuvres tel que, loin de mériter qu'il lui soit dit comme à la Vierge Que le Seigneur vous bénisse, ô beauté de la. justice! » il mériterait plutôt d'entendre ces paroles : « Que le Seigneur répande sur vous sa malédiction , ô turpitude d'injustice! » Oh ! combien elle sera terrible cette malédiction lorsque le juge s'écriera

 

1 Jér., 31. — 2 Dan., 2. — 3 Cant., 4.

 

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« Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! » O très-aimable Marie ! nous l'avons vu, vous êtes bénie à cause de la plénitude de la grâce qui est en vous; bénie, dis-je, à cause de la grâce de votre conscience et des bienfaits du ciel; bénie à cause de la grâce répandue en vos paroles et sur vos lèvres; bénie à cause de votre vie et de vos saintes actions.

Voyez , en second lieu , mes bien-aimés, comment Marie est véritablement bénie à cause de la grandeur de son Fils béni, à cause du fruit béni de son sein. Elle est justement bénie, la terre qui produit un fruit si riche en bénédictions. C'est pourquoi le Prophète a dit : « O Seigneur! vous avez béni votre terre (1). » Cette terre, c'est Marie, dont il est dit dans le même psaume : « La vérité a pris naissance de la terre. » La vérité , c'est Jésus-Christ qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie (2). » Cette terre est donc bénie à cause du fruit de bénédiction qu'elle porte; Marie est bénie à cause de son fruit béni. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « Ce n'est point parce que vous êtes bénie que le fruit de votre sein est béni, mais c'est parce qu'il vous a prévenu lui-même par les bénédictions de sa tendresse que nous vous proclamons bénie (3). » C'est donc à cause de son tendre Fils que Marie est bénie. Or, elle est bénie du Seigneur, de l'Ange et de l'homme. A cause de celui dont elle devient mère, elle est, dis-je, bénie du Seigneur, qui opère en elle cette bénédiction , bénie

 

1 Ps. 84. — 2 Joan., 14. — 3 Hom. 2, sup. Miss.

 

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de l'Ange , qui en est le messager , bénie de l’homme, qui en est le prophète.

Et d'abord elle est, à cause de son Fils, bénie du Seigneur qui opère en elle cette bénédiction. Nous trouvons ce point marqué au second livre des Rois, où nous lisons que le Seigneur bénit Obededom à cause de l'arche. Obededom veut dire serviteur de sang, et il désigne bien Jésus-Christ, qui est devenu le serviteur de notre misère jusqu'à l'effusion de son sang ; car pour nous il s'est fait esclave, pour nous il a été couvert de son sang. Il l'a été par la flagellation qui déchira son corps, par les épines qui meurtrirent sa tète , par la lance qui ouvrit son côté, par les clous qui percèrent ses mains. La demeure de ce serviteur fut Marie, dont il est dit : « Nous serons remplis des biens de votre maison. » L'arche placée dans cette maison désigne encore Jésus-Christ; car il n'est pas seulement notre serviteur, il est aussi notre vie. Dans l'arche se trouvait une urne d'or remplie de manne. L'arche sainte représente la chair du Sauveur; l'urne d'or, son âme inestimable, et la manne sa divinité pleine de douceur. A cause de cette arche, à cause de Jésus le Fils de Marie , le Seigneur bénit la maison de la Vierge. O maison vraiment bénie! c'est de vous que procède la vie de tous, car, dit saint Augustin, « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, vous qui avez enfanté celui qui est la vie de l'homme et de la femme (1).

Mais ce n'est pas seulement du Seigneur qui opérait

 

1 Serm. 21, de Temp.

 

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en elle cette bénédiction que Marie a été bénie, c'est encore de l'Ange qui en était le messager , ainsi que nous le voyons en ces paroles de Gabriel : « Le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Comment donc avec vous? « Il est avec vous en votre coeur, dit saint Augustin; il est avec vous en votre sein. C'est pourquoi vous êtes bénie avec celui qui est de la sorte avec vous. Il est avec vous, et ce n'est pas seulement comme le Créateur est avec sa créature , mais comme le fruit conçu dans le sein est avec celle qui doit lui donner le jour. » A cause de celui que vous portez vous êtes bénie avant votre enfantement, bénie après votre enfantement. Oui , vous êtes vraiment bénie , vous qui êtes devenue mère de telle sorte qu'avant d'avoir enfanté, pendant et après votre enfantement, vous êtes demeurée vierge. Aussi avez-vous mérité d'être proclamée bénie d'une façon toute singulière , puisque ce n'est pas simplement à un homme, ni même à un ange, mais à un homme qui est le Seigneur des anges, que vous avez donné le jour. C'est ce qui a fait dire à Bède : « Elle est vraiment bénie entre toutes les femmes, celle qui, sans exemple parmi toutes les personnes de son sexe , a joui de l'éclat de la virginité et de la gloire de la maternité, et (ce qui convenait à une vierge mère) a eu Dieu même pour enfant (1). »

Enfin , mes chers frères, Marie, à cause de son Fils , n'est pas seulement bénie de Dieu qui accompli!

 

1 Hom. de Sanct.

 

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en elle cette bénédiction, de l'Ange qui en est le messager, mais encore de l'homme qui en est le prophète, ainsi que nous le voyons en Elisabeth, qui s'écria, lorsque son enfant tressaillit dans son sein et qu'elle fut remplie de l'Esprit-Saint : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de votre sein est béni (1) ». Ainsi elle est bénie, mais parce que le fruit dc son sein est béni, de même qu'un champ est déclaré béni à cause des fruits de bénédiction qu'il produit. Marie, mes frères, est ce champ béni dont il est dit dans l'Ecriture : « L'odeur qui sort de mon fils est semblable à celle d'un champ plein de fleurs que le Seigneur a comblé de ses bénédictions (2). » Et saint Jérôme s'exprime ainsi à ce sujet : « C'est avec raison que Marie est appelée un champ d'abondance, puisqu'elle a été proclamée pleine de grâce et que de son sein est sorti le fruit de vie pour tous ceux qui croient (3). » Oui, vous êtes vraiment un champ béni sur tous les champs à cause du fruit que vous portez! vous êtes vraiment une mère bénie entre toutes les mères à cause de votre Fils. C'est pourquoi saint Augustin s'écrie : « O femme bénie par-dessus toutes les femmes ! Elle est toujours demeurée étrangère à l'homme, et cependant elle a porté un homme en son sein (4). » Ainsi, ô très-douce Marie! à cause du fruit béni de votre sein vous avez reçu la bénédiction de Dieu, de l'Ange et de l'homme. Mais, hélas! combien éloignés d'une telle bénédiction sont ceux qui, par le fruit détestable de leurs oeuvres ,

 

1 Luc., 1. — 2 Gen., 27. — 3 Epit., 10. —4 Serm. 9, de Temp.

 

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encourent la malédiction divine , angélique et humaine, et qui, maudits de Dieu, des anges et des hommes, resteront pour l'éternité sous le poids de cette malédiction!

Considérez maintenant comment Marie est véritablement bénie pour la multitude de ses miséricordes. C'est elle qui est désignée par Ruth, dont il est dit : « Soyez bénie du Seigneur, ô ma fille, car cette dernière miséricorde l'a emporté sur la première (1). » La première miséricorde de Marie a été celle dont elle a fait preuve durant sa vie mortelle; la dernière est celle qu'elle exerce avec beaucoup plus d'abondance dans le ciel depuis qu'elle a quitté la terre. La dernière l'emporte sur la première, parce que la multitude de ses bienfaits est vraiment innombrable. Or , qui pourra estimer combien outre mesure Marie est bénie pour sa miséricorde, puisque cette miséricorde est inestimable? Et qui pourra juger combien incommensurable est cette miséricorde puisqu'elle est la source dc bénédictions inappréciables pour celle qui en est l'auteur? C'est pour cela que saint Bernard s'écrie dans l'ardeur de son âme : « Qui pourra, ô Vierge bénie ! mesurer la grandeur, la largeur, la sublimité, la profondeur de votre miséricorde (2)?» Marie est donc bénie à cause de la miséricorde abondante que l'homme a reçue par elle. Elle est bénie parce que Dieu est devenu par elle plein de pitié pour l'homme; elle est bénie parce que par elle l'homme est devenu agréable à Dieu; elle est bénie

 

1 Ruth., 3. — 2 Serm. 4, de Ass.

 

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parce que par elle le démon a été rendu vincible à l'homme.

Je dis, mes bien-aimés, que Marie est bénie parce que Dieu est devenu par elle favorable à l'homme. En effet nous lisons d'Abigaïl que, lorsque David irrité voulait mettre à mort l'insensé Nabal , cette femme courut au-devant du prince irrité et l'apaisa. Alors David lui dit : « Que votre parole soit bénie, et soyez bénie vous-même de ce que vous m'avez empêché de me venger de ma propre main (1). » Ce Nabal insensé marqué le pécheur , car tout pécheur est un insensé. Mais hélas ! leur nombre est infini, ainsi qu'il est dit dans l'Ecclésiaste. Abigaïl représente Marie , car son nom veut dire allégresse du Père. Oh ! combien grande fut l'allégresse du Père céleste en Marie et de Marie en lui, puisqu'elle s'est écriée elle-même : « Mon esprit a tressailli d'allégresse en Dieu mon Sauveur. » Or, de même qu'Abigaïl est l'image de notre Reine, de même David est l'image du Seigneur. David est irrité contre l'insensé Nabal , et le Seigneur contre l'homme impie. David s'apaise vis-à-vis de Nabal à cause d'Abigaïl, et le Seigneur se réconcilie avec l'impie par l'entremise de Marie. Ce sont les paroles, les présents d'Abigaïl qui touchent le coeur de David, et c'est par les prières et les mérites de Marie que le Seigneur calme sa colère. Abigaïl empêche une vengeance temporelle, et Marie, une vengeance éternelle; l'une arrête le glaive de l'homme, l'autre le glaive de Dieu. C'est pourquoi

 

1 I. Reg., 25.

 

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saint Bernard dit : « Personne ne fut puissant à détourner le glaive du Seigneur suspendu sur nos têtes comme vous, la bien-aimée de Dieu, par qui nous avons revu d'abord la miséricorde que la main du Seigneur notre Dieu a répandue sur nous (1).»

Mais, ô mes frères, Marie n'est pas bénie seulement pour avoir rendu Dieu pacifique à l'homme, elle l'est encore parce que l'homme est devenu par elle agréable à Dieu , en devenant participant de sa bénédiction. C'est pourquoi il est dit dans Isaïe : « La bénédiction sera au milieu de la terre que le Seigneur a bénie en disant : Mon peuple d'Egypte est béni, l'Assyrien est l'ouvrage de mes mains, et Israël est ma maison et mon héritage (2). » Le milieu de la terre que le Seigneur bénit peut s'entendre de Marie, car c'est au milieu de cette terre que la bénédiction de notre salut eut son commencement, selon cette parole du psaume : « Le Dieu qui est notre Roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre (3). » Aussi, en parlant de ce milieu de la terre, saint Bernard a-t-il dit : « Marie, par une propriété admirable, est appelée le centre de la terre; car les esprits bienheureux, les habitants des limbes, ceux qui nous ont précédés dans la vie , ceux qui viennent après nous, élèvent les yeux vers elle comme vers leur centre, comme vers l'arche de Dieu, la cause de toutes choses , la grande affaire de tous les siècles. Les esprits bienheureux tiennent leurs regards attachés vers elle pour que leurs ruines

 

1 In depr. Virg.— 2 Is., 19. — 3 Ps. 73.

 

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soient réparées; les habitants des limbes, pour que leur captivité ait un terme; les prophètes qui furent avant nous, pour être trouvés fidèles en leurs paroles; et ceux qui viennent après, pour entrer en possession de la gloire (1). » C'est donc en ce centre béni de la terre qu'Israël reçoit la bénédiction, que le peuple de Dieu est béni, puisque par la Mère bénie du Seigneur il devient agréable à ses yeux. Et d'ailleurs qu'y a-t-il d'étonnant que par Marie la créature raisonnable trouve grâce et bénédiction en présence de son Dieu, alors que toute la création entre en partage de cette bénédiction. Aussi saint Anselme s'écrie-t-il : « O Vierge bénie et bénie sur toute chose! toute créature est bénie par votre bénédiction, et non-seulement toute créature est bénie de son Créateur , mais le Créateur est béni de sa créature. »

Et ce n'est pas seulement pour avoir rétabli la paix entre le Seigneur et l'homme, et pour avoir rendu l'homme agréable à Dieu que Marie est bénie, elle l'est encore pour avoir rendu le démon vincible par l'homme. Aussi a-t-elle été bien désignée par Judith, dont il est dit : « Le Seigneur a répandu sur nous la bénédiction de sa puissance, car il a par vous réduit nos ennemis au néant (2). » Ces ennemis ce sont les démons que Marie a vraiment réduits au néant , lorsqu'elle a brisé leurs efforts et en sa personne et en un si grand nombre d'autres , ainsi que l'atteste saint Bernard en ces termes : « Vous êtes une guerrière

 

1 Serm. 2, de Pent. — 2 Judith., 13.

 

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glorieuse l'armée entière des puissances infernales a pris la fuite en votre présence (1). » Fuyons donc, mes frères, et courons nous réfugier sous la tutelle de la Mère du Seigneur dans toutes les vexations, dans toutes les attaques que nous avons à subir de la part du démon ; car elle est terrible aux ennemis de nos âmes comme une armée rangée en bataille. Et comme notre misère est extrême, comme nous éprouvons le besoin le plus pressant de la bénédiction et de la miséricorde de Marie, appelons de tous nos voeux cette bénédiction, et écrions-nous avec saint Bernard : « Que votre compassion , ô Vierge bénie , fasse connaître au monde cette grâce que vous avez trouvée auprès de Dieu; qu'elle la fasse connaître en obtenant par vos saintes prières le pardon aux coupables, la guérison aux malades, la force aux pusillanimes, la consolation aux affligés, le secours et la fin de leurs peines aux voyageurs (2).»

Et maintenant, ô très-douce Marie, nous avons vu que vous êtes bénie pour votre miséricorde incomparable; vous êtes bénie, dis-je, parce que par vous Dieu s'est réconcilié avec l'homme; bénie parce que l'homme est devenu agréable à Dieu; bénie parce que le démon a été vaincu par l'homme. Hélas ! combien éloigné d'une telle bénédiction est celui qui n'est point en paix avec Dieu, celui qui n'est point agréable ù Dieu, celui qui se soumet au joug du démon ! Il est tout entier sous la malédiction du Seigneur.

Enfin considérez, en quatrième lieu, mes bien-

 

1 In depr. Virg. — 2 Serm. 4 , in Assumpt.

 

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aimés, comment Marie est véritablement bénie à cause de la grandeur de sa gloire , selon cette parole d'Ezéchiel : « Bénie soit la gloire du Seigneur du lieu où il réside (1). » La gloire du Seigneur, c'est la glorieuse Mère de Dieu , qui est vraiment bénie à cause de la gloire qu'elle tire d'un double lieu. Elle est bénie , dis-je , du lieu où son Fils a trouvé son repos : ce lieu est son propre sein. Elle est bénie du lieu où elle s'est reposée elle-même auprès de son Fils : c'est le ciel. Rien de plus digne que ces lieux , ainsi que nous l'enseigne saint Bernard , lorsqu'il dit: « Il n'y a pas sur la terre de lieu plus vénérable que le sanctuaire du sein virginal où Marie a reçu le Fils de Dieu; il n'y en a pas de plus saint dans les cieux que le trône royal où le Fils de Marie a élevé sa Mère (2). » Marie est donc bénie à cause de sa gloire. Oui , elle est bénie à cause de cette gloire sublime, abondante et immuable ; elle est bénie à cause de cette gloire sublime en dignité, abondante en immensité, et immuable pour l'éternité.

Je dis donc que Marie est bénie à cause de sa gloire, dont la dignité est vraiment pleine d'excellence. C'est de cette bénédiction que l'on peut entendre cette parole du Psalmiste : « Vous bénirez la couronne de l'année de votre bénignité (3). » Notez bien qu'il y a une année de bienveillance, une année de sévérité, une année de bénignité. La première appartient à ceux qui sont dans l'exil de ee monde ; la seconde est pour ceux qui pleurent dans les enfers; la troisième pour ceux

 

1 Ezech., 5. — 2 Serm. 1, de Assumpt. — 3 Ps. 64.

 

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qui triomphent dans les cieux. La première a des jours et des nuits; la seconde, des nuits et point de jours: la troisième, des jours et aucune nuit. Je dis que la première année compte des jours et des nuits , c'est-à-dire des bons et des méchants qui vivent en même temps sur la terre. Il y a en ce monde autant de jours et de nuits qu'il y a de bons et de méchants. La seconde année n'a que des nuits, c'est-à-dire des pécheurs dont les ténèbres surpassent en obscurité la nuit la plus ténébreuse, et en cette année se trouvent autant de nuits qu'il y a de pécheurs en enfer. La troisième année ne connaît que des jours, c'est-à-dire les justes, dont la clarté est plus brillante que la lumière du jour , et dans cette année il y a également autant de jours qu'il y a de justes dans le ciel. Durant cette première année de bienveillance, les bons et les méchants sont tolérés avec une égale bonté. Durant l'année de sévérité, les coupables sont punis de toute la rigueur de la justice. Enfin durant l'année de bénignité, les bons sont couronnés avec tin amour sans limites.

Or, c'est Marie qui est la couronne de cette année de bénignité, car elle couronne chacun des jours de cette année bienheureuse , elle est la couronne de tous les saints du ciel. En effet , c'est sur la tête que la couronne a coutume d'être placée, et ainsi Marie a été placée au-dessus de tous les saints, selon cette parole de saint Jérôme : « Elle a mérité d'être élevée au-dessus des choeurs des anges, et elle est montée en un lieu qu'il n'est point donné à notre bassesse

 

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d'atteindre. Sans doute le Fils de Marie est la couronne suprême des saints; mais au-dessous de lui la Vierge en est aussi la couronne (1). » Ainsi vous voyez donc avec quelle sublimité admirable Marie , notre couronne et notre mère, est bénie. Suivons donc tous celle qui est ainsi bénie, celle dont saint Bernard a dit : « Nous n'avons point ici de demeure permanente, mais nous marchons à la poursuite de celle où la Vierge bénie est arrivée en ce jour (2). »

Mais ce n'est pas seulement pour la dignité très-excellente de sa gloire, c'est encore pour l'abondante immensité de cette gloire que Marie est bénie; car cette abondance est telle qu'elle s'étend à tous les hommes, et ainsi c'est avec justice que tous comblent la Vierge de leurs bénédictions. C'est d'elle qu'il est dit au livre de Judith : « Tous la bénirent d'une voix unanime en s'écriant : Vous êtes la gloire de Jérusalem, vous êtes la joie d'Israël, vous êtes l'honneur de notre peuple (3). » Oui, sans doute tous la bénirent, et re-marquez bien ce mot tous, car il renferme l'universalité, il a une triple signification : il indique Dieu , l'Ange et l'homme qui bénirent à la fois Marie. Dieu a béni Marie en effet, car le Père l'a bénie, le Fils l'a bénie, le Saint-Esprit l'a bénie; en un mot les trois personnes divines en ont fait l'objet de leurs bénédictions. L'Ange aussi a béni Marie : la première hiérarchie l'a bénie, la seconde a fait de même, les autres ont marché sur leurs traces; tous les esprits

 

1 Epist. 10. — 2 Serm. 1. in Ass. — 3 Judith., 15.

 

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célestes l'ont proclamée bénie. Enfin l'homme, de son côté, a béni Marie; les époux l'ont bénie, les veuves se sont unies à eux, les vierges se sont associées à ces bénédictions. Tous l'ont bénie, tous se sont écriés : « Vous êtes la gloire de la Jérusalem triomphante, la gloire, dis-je, de tous les saints; vous êtes la joie de l'Israël qui contemple Dieu, la joie, dis-je, de tous les anges; vous êtes l'honneur du peuple qui accomplit son pèlerinage, l'honneur, dis-je, de tous les justes qui vivent en ce monde. Que béni soit donc votre très-doux Fils , ô Marie ! qui , par cette bénédiction si abondante, a répandu au ciel et sur la terre des biens tels que les anges et les hommes peuvent en faire l'objet de leurs louanges et s'écrier avec saint Anselme : « Voilà quels biens immenses nous sont venus par le fruit béni du sein de Marie. »

Enfin , mes bien-aimés , ce n'est pas seulement pour la sublimité de sa dignité, ni pour l'abondante immensité de sa gloire, que Marie est bénie; elle l'est encore pour l'immuable éternité de cette gloire. C'est elle qui est désignée par cette demeure dont il est dit dans l'Ecriture : « Comblée de vos bénédictions, ô Seigneur, elle sera bénie pour l'éternité (1). » Elle est, en effet, véritablement bénie pour toujours, car il est dit encore dans le psaume : « Le Seigneur vous a bénie pour l'éternité (2). » Ainsi , ô très-douce Marie ! vous êtes réellement bénie entre toutes les femmes, par-dessus toutes les femmes. Bien plus, vous êtes bénie par-dessus tous les hommes , par-dessus tous

 

1 I Paral., 17. — 2 Ps. 44.

 

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les anges. Vous êtes bénie , dis-je , à cause de la plénitude de la grâce que vous avez trouvée; bénie à cause de la grandeur de celui que vous avez conçu; bénie par l'abondance de miséricorde que vous avez montrée aux hommes; bénie enfin pour l'excellence de la gloire que vous avez reçue. O Vierge bénie au-delà de tout ce que nous pourrions dire , nous vous invoquons, nous vous implorons, nous vous prions, et avec saint Bernard nous nous écrions : « Faites, ô Vierge bénie! par la grâce que vous avez trouvée , par la prérogative dont vous avez été digne, par la miséricorde que vous avez enfantée, faites que celui qui par vous a daigné devenir participant de notre infirmité et de notre misère , nous rende par votre intercession participants de sa béatitude et de sa gloire. Ainsi soit-il (1). »

 

LEÇON XV. Que Marie est bénie à cause de sept vertus qui en elle sont opposées aux sept péchés capitaux.

 

Vous êtes bénie entre toutes les femmes. Parlons encore de la bénédiction de notre Vierge ; faisons-en encore l'objet de nos méditations. Heureuse Marie d'avoir été bénie ! mais malheureuse l'âme qui encourt

 

1 Serm. 3, de Adv.

 

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court la malédiction ! malheureux tous ceux à qui il sera dit : « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! » Or, toute âme vicieuse est maudite sans aucun doute: mais pour vous, toute vertueuse Marie, vous êtes bénie. C’est par les sept vices capitaux que le monde encourt la malédiction; aussi est-ce pour les vertus opposées à ces vices que la Vierge a obtenu la bénédiction. Vous êtes donc bénie entre toutes les femmes, ô Marie! Vous êtes bénie pour l'humilité que vous avez opposée à l'orgueil; pour la charité qui en vous ne laissa aucune place à l'envie; pour la douceur qui comprima toute colère; pour l'oisiveté qui combattit la paresse ; pour la libéralité qui bannit l'avarice; pour la sobriété qui refréna la gourmandise; pour la chasteté qui contint la luxure.

Et d'abord , mes bien-aimés, voyons comment Marie a été bénie pour l'humilité qu'elle opposa à l'orgueil. Les orgueilleux sont maudits selon qu'il est écrit : « Vous avez menacé les superbes, et ceux qui s'éloignent de vos commandements sont maudits (2). » Or, au lieu de cette malédiction de l'orgueil , Marie a obtenu la bénédiction de l'humilité, car nous pouvons entendre d'elle ce qui est dit au livre des Paralipomènes : « Ils appellent ce lieu la vallée de bénédiction (3). » En effet, si toute âme est une vallée de Dieu , selon cette parole d'Isaïe : « Toute vallée sera remplie (4) , » combien plus Marie a-t-elle été une vallée, elle qui fut si profonde en humilité! Et même qu'y

 

1 Mat., 25. — 2 Ps. 118. — 3 II Par., 20. — 4 Is., 40.

 

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a-t-il d'étonnant qu'elle soit la vallée des vallées , puisqu'elle est la plus humble parmi les humbles? Oh ! de combien de bénédictions cette vallée bénie fut remplie pour son humilité si profonde, si utile, si aimable ! C'est ce qui fait dire à saint Augustin : «  O humilité vraiment heureuse de Marie! Elle a donné le Seigneur aux hommes; elle a enfanté la vie à ceux qui étaient soumis à la mort; elle a renouvelé les cieux, purifié le monde, ouvert le paradis , et délivré les âmes des ténèbres de l'enfer (4). »

Plus une vallée est profonde, plus elle peut recevoir une grande abondance d'eaux ; ainsi en fut-il de Marie par rapport à la grâce. La vallée reçoit les eaux qui l'arrosent tantôt d'en haut, tantôt d'en bas. Elle les reçoit d'en haut par les pluies qui descendent. de la montagne; elle les reçoit d'en bas par les ruisseaux qui s'échappent des fontaines. Ainsi l'humble Marie a été arrosée des eaux de la grâce par les pluies que la montagne lui versa et par les sources qui jaillirent de la terre lorsque, la divinité et l'humanité venant à s'unir en elle en la personne de son Fils, elle fut toute pénétrée d'une bénédiction si abondante en grâces. C'est à cette bénédiction que se rapporte ce que nous lisons au livre des Juges, qu'Axa dit à son père : « Donnez-moi votre bénédiction (2), » et qu'il lui donna un champ dont le haut et le bas étaient arrosés d'eau. Axa est l'image de Marie, qui a reçu du Père céleste une bénédiction abondante, car il lui

 

1 Serm. 35, de Sanct. — 2 Jud., 1.

 

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a donné un champ dont le haut était arrosé d'eau en la divinité de Jésus-Christ, et le bas également en son humanité. Et encore le haut de ce champ était arrosé en l'esprit de Marie, le bas en son sein; le haut était arrosé en l'amour de Dieu, le bas en l'amour du prochain; le haut était fécondé par la contemplation, le bas par l'action. Ou bien, si vous le voulez, le Père céleste a répandu sur Marie une bénédiction d'eaux ineffables en haut dans les cieux, en bas sur la terre; dans les cieux, c'est une bénédiction de gloire; sur la terre, une bénédiction de grâce ; en sorte qu'elle est bénie et dans le ciel et sur la terre. Et c'est ce qui fait dire à saint Bernard : « Souvenez-vous, ô Marie! que Jésus-Christ a souffert la malédiction de la croix, lui qui vous a bénie comme sa Mère dans les cieux. Mais en même temps vous êtes bénie par l'Ange sur la terre, et toutes les générations s'unissent à l'envi pour exalter cette bénédiction (1). »

Ecoutons, en second lieu, mes bien-aimés, comment Marie est bénie à cause de la charité qui en elle ne laissa aucune place à l'envie. Les envieux sont maudits, ainsi qu'il est dit de l'envieux Caïn : « Tu seras maudit sur la terre qui a ouvert son sein et a reçu le sang de ton frère que ta main a répandu (2). » Mais, au lieu de cette malédiction de l'envie , c'est une bénédiction de charité que Marie a reçue. Aussi peut-elle très-bien être figurée par Sara, dont le Seigneur a dit : « Je la bénirai et je lui donnerai un fils sur

 

1 Hom., 3 sup. missus est. — 2 Gen., 4.

 

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lequel je répandrai mes bénédictions (1). » Sara eut dire un charbon ardent, et ce nom convenait parfaitement à Marie, qui fut comme un charbon embrasé du feu de la charité. C'est pour cela encore qu'elle est très-justement figurée par le buisson ardent, puisque c'est par elle que la bénédiction de la grâce découle sur chacun des fidèles. Aussi est-il dit au Deutéronome : « Que la bénédiction de celui qui a apparu dans le buisson vienne sur la tête de Joseph.(2) » Joseph veut dire accroissement et il signifie tout fidèle qui croit en la grâce divine. Béni est donc ce buisson , et béni celui qui, par son Incarnation, est apparu au milieu, celui par qui une bénédiction si abondante s'est répandue sur la tête des fidèles. Oui , béni est ce charbon embrasé qui produit une flamme ainsi bénie; bénie est Marie qui met au monde un enfant ainsi enrichi de bénédictions. « Par elle, dit le Seigneur, je vous donnerai un fils que je bénirai. » Voyez quelle fut la charité de Marie envers Dieu , puisque Dieu même est substantiellement son Fils ! Voyez quelle charité elle a eue envers le prochain, puisque quiconque est bon et vertueux est spirituelle-ment son fils. Mais si nous sommes ses enfants, nous sommes donc les frères de son Fils. Aussi saint Anselme s'écrie-t-il en parlant à cette Mère vénérable: « O Vierge bénie et exaltée non pour vous seulement , mais pour nous aussi , combien est grand , combien admirable est ce glue je vois nous arriver par vous! En le contemplant je me sens pénétré de joie , et

 

1 Genes., 17. — 2 Deut., 53.

 

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cependant malgré ma félicité je n'ose l'exprimer. « Si, ô notre Reine! vous êtes la Mère de Dieu, vos autres enfants ne sont-ils pas les frères de Dieu? » Voyons, en troisième lieu , comment Marie est bénie pour la douceur et la mansuétude qu'elle opposa au vice de la colère. Les emportés sont maudits, ainsi qu'il est écrit en la Genèse : « Que leur fureur soit maudite, parce qu'elle est opiniâtre, et que leur colère soit en exécration, parce qu'elle est dure et inflexible (1). » Au lieu de cette malédiction de la colère, Marie a eu en partage la bénédiction de la mansuétude. En effet , sa douceur fut telle que non-seulement elle ne ressentit jamais en elle-même le moindre mouvement d'impatience, mais encore qu'elle calma la colère du Seigneur et la changea en sentiments de tendresse. C'est pour cela qu'elle est si bien figurée par Abigaïl , à qui David dit : « Bénie soit votre parole, et bénie soyez vous-même, parce que vous m'avez empêché en ce jour de répandre le sang et de me venger de ma propre main. » C'est le propre de ceux qui sont doux , de calmer la colère par des paroles de douceur. « Une douce réponse, dit le Sage , brise la colère (2). » La douce Abigaïl est donc la figure de la douce Marie. Voulez-vous connaître combien grande fut cette mansuétude de la Vierge? Ecoutez saint Bernard : « Examinez avec le plus grand soin tous les points de l'histoire évangélique , dit-il; si vous reconnaissez en Marie quelque chose de menaçant, de dur et même la marque de

 

1 Gen., 49. — 2 Prov., 15.

 

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l'indignation la plus légère, je consens que vous ayez d'elle quelque défiance et que vous craigniez de vous en approcher. Mais si, au contraire, vous la trouvez pleine de toute tendresse et de toute grâce, pleine de la mansuétude et de la miséricorde que nous disons être son partage, alors rendez grâces à celui dont la compassion pleine de bénignité vous a donné une médiatrice telle que rien en elle ne saurait vous inspirer le moindre doute. (1) » David est la figure de Jésus-Christ, qui s'adoucit et s'apaise par l'intervention de la très-douce Marie, et renonce à se venger du pécheur par une mort éternelle. Que toute âne donc qui a mérité une mort semblable, ne cesse point de soupirer vers cette mansuétude sans bornes de Marie, pour laquelle elle est si justement bénie. Que tout esprit en proie à la mort lui crie donc avec saint Anselme : « O vous, qui êtes bénie entre toutes les femmes, qui l'emportez sur les anges en pureté et sur les saints en charité! mon esprit, placé sous la puissance de la mort, implore avec ardeur le regard de votre immense compassion, mais en même temps il est couvert de honte à la vue de votre éclatante pureté ! »

Et maintenant , mes chers frères, considérez comment Marie est bénie pour le courage qui bannit loin d'elle toute paresse. Les paresseux sont sous le poids Ile la malédiction , ceux qui accomplissent l'oeuvre de Dieu sans courage et sans fidélité. C'est pourquoi Jérémie a dit : « Maudit soit celui qui fait l'oeuvre

 

1 Serm. In Verb. Apoc.

 

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de Dieu avec négligence (1) . » Mais au lieu de cette malédiction de paresse , Marie a mérité une bénédiction de courage indomptable. Elle a été figurée par Jahel, qui donna la mort à Sisara en lui enfonçant un clou dans la tête. C'est pourquoi il est dit au livre des Juges : « Que Jahel soit bénie entre les femmes (2) . » Jahel veut dire celle qui monte, ce qui convient parfaitement à Marie, car elle n'est point descendue comme le paresseux, mais elle est montée de vertu en vertu, d'un degré inférieur à un degré supérieur, selon cette parole des Cantiques : « Quelle est celle qui s'élève à travers le désert comme une petite vapeur d'aromate de myrrhe et d'encens (3). » Qu'a donc fait cette Jahel qui est ainsi bénie? Elle a donné la mort à Sisara avec un clou de sa tente. Sisara veut dire l'exclusion de la joie, et il représente parfaitement bien le démon, qui a été retranché de la félicité céleste et qui fait tout ce qui est en lui pour en exclure les autres. Et même, hélas ! il nous en avait tous exclus par celle qui fut la mère du genre humain; mais la malédiction de ce bannissement a été éloignée de nous par la Mère bénie du Sauveur. C'est pourquoi le vénérable Bède dit : «  Vous êtes bénie entre toutes les femmes, vous

dont l'enfantement virginal a détruit la malédiction que notre première mère avait répandue sur tous ceux qui naissent de la femme (4). » Mais que veut dire ce clou qui perce la tête de Sisara? Quel est ce clou, sinon l'accomplissement sans réserve de la discipline? En effet, cet accomplissement parfait quel est-il

 

1 Jér., 48. — 2 Jud., 5. — 3 Cant., 4. — Hom. in Deip.

 

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pour le paresseux, sinon un clou qui tourmente ses regards? Or, cette fidélité aux saintes règles est le clou qui tourmente le plus cruellement le démon; c'est le clou qui le perce avec le plus de violence. Aussi Marie, par l'austérité de sa vie, a-t-elle rendu vainc en sa personne toute la puissance du démon; c'est alors véritablement que Jahel a percé la tête de Sisara d'un clou qui lui donna la mort. Elle est donc bénie entre les femmes, cette Jahel , cette Marie ; et parmi quelles femmes? Ecoutez le même Bède : « Non-seulement elle est bénie parmi les femmes en général, dit-il, mais encore parmi les femmes bénies; car elle a été distinguée entre elles par une bénédiction plus abondante. »

Voyons maintenant comment Marie a été bénie pour la libéralité qu'elle opposa à l'avarice. Les avares sont maudits ainsi que nous le voyons en ces paroles de saint Pierre : « Ils ont dans le coeur toutes tee adresses que l'avarice peut suggérer  :  ce sont des enfants de malédiction (1). » Mais à la place de cette malédiction de l'avare, Marie a mérité une bénédiction de libéralité et de profusion. Elle a été comme une source qui ne cesse de se répandre et qui coule toujours avec abondance; et c'est pour cela qu'elle est vraiment bénie , selon cette parole du Sage : « Que votre source soit bénie (2). » Par rapport aux choses temporelles, cette source fut plus que large, car Marie les méprisa toutes parfaitement et sans exception aucune. Aussi, selon l'explication d'Haimon ,

 

1 II Petr., 2. — 2 Prov., 5.

 

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la bienheureuse Mère de Dieu a la lune sous ses pieds parce qu'elle a méprisé toutes les choses temporelles (1). » Oh ! quelles grâces , par cette source , se sont répandues sur les hommes! Qu'elle soit donc bénie , votre source, ô sainte Eglise ! cette source d'oie tant de biens s'écoulent sur vous. C'est une source vraiment glorieuse que cette source remplie de l'Esprit-Saint, cette source qui produit la fontaine de vie, cette source de notre salut, Marie. C'est par elle que cette même fontaine de vie, Jésus-Christ, est venue jusqu'à nous; par elle aussi que nous pouvons atteindre de notre côté jusqu'à Jésus-Christ ; et c'est pour cela qu’elle est véritablement bénie. Aussi saint Bernard s'écrie-t-il : « C'est par vous que nous trouvons un accès, ô Vierge bénie , inventrice de la grâce , génératrice de la vie , mère du salut ! par vous que nous parvenons à celui qui nous a été donné par vous (2). »

Voyons encore comment Marie est bénie pour la sobriété par laquelle elle combattit la gourmandise. Sans aucun doute, ce vice attire malédiction, ainsi que nous le reconnaissons en nos premiers parents , qui, pour cette faute, ont été maudits et le genre humain avec eux. Mais, au lieu de cette malédiction de gourmandise, Marie a obtenu la bénédiction d'une abstinence parfaite et d'une tempérance entière. C'était justice, au reste, que dans le paradis spirituel les bénédictions de la tempérance fussent aussi abondantes que les malédictions de la gourmandise

 

1 In Apoc., 12. — 2 Serm. 2, de Adv.

 

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l'avaient été dans le paradis terrestre , selon cette parole de l'Ecclésiastique : « La grâce est comme un paradis comblé de bénédictions (1). » Or , la grâce abonda tellement en Marie qu'on pourrait en quelque sorte l'appeler une vierge toute de grâce. Cette grâce, ou autrement cette Vierge toute de grâce fut donc un paradis comblé de bénédictions. De même que, dans le paradis terrestre, Eve, par gourmandise a mérité une malédiction de peines, de même dans le paradis spirituel, Marie, par sa tempérance, a été digne de recevoir une bénédiction de grâces. C'est pourquoi saint Augustin dit : « La malédiction d'Eve s'est changée en bénédiction pour Marie (2). » Car de même que la gourmandise d'Eve n'a pas seulement attiré la malédiction sur son âme, mais aussi sur son corps, ainsi Marie a mérité, par sa tempérance, d'être bénie non-seulement en son corps , mais encore en son âme; elle a mérité de recevoir non-seulement une bénédiction spirituelle , mais encore une bénédiction corporelle. La malédiction d'Eve ainsi coupable fut d'enfanter dans la douleur ; la bénédiction de Marie ainsi vertueuse fut de devenir mère sans aucune souffrance, comme le dit saint Bernard en ces termes : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes , car vous avez échappé à cette malédiction générale dans laquelle il fut dit : Vous mettrez au monde vos enfants dans la douleur; et néanmoins vous n'avez point été comprise en cette autre où il est dit : Maudite soit celle qui est stérile en Israël.

 

1 Eccl., 40. — 2 Serm. 18, de Sanct.

 

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Ainsi, vous avez obtenu une bénédiction toute particulière : vous êtes exempte de la stérilité et vous avez enfanté sans douleur (1)»

Ecoutons, en dernier lieu, comment Marie a été bénie pour la chasteté qu'elle opposa à la luxure. Il a été dit aux impudiques : « Maudit soit l'homme qui corrompt l'épouse de son prochain; et tout le peuple répondra : Amen (2). » Mais, au lieu de cette malédiction de l'incontinence , Marie a mérité la bénédiction de la pureté, et nous pouvons lui appliquer ce qui est dit de Judith : « Tous la bénirent d'une voix unanime en disant : Vous êtes la gloire de Jérusalem, la joie d'Israël, vous êtes l'honneur de votre peuple; car vous avez agi avec un courage inébranlable , et votre coeur s'est affermi, parce que vous avez aimé la chasteté et qu'après avoir perdu votre mari vous n'avez point voulu en épouser un autre. C'est pour cela que la main du Seigneur vous a fortifiée et que vous serez bénie éternellement (3). » Nous pouvons, dans cette bénédiction de la chaste Judith, non-seulement voir la figure de ce qui est arrivé à Marie, mais en conclure combien fut plus abondante la bénédiction qu'elle reçut. En effet , si une chaste veuve a été bénie, combien plus a dû l'être une chaste vierge et surtout une vierge qui a mérité de devenir la Mère de Dieu et qui l'a mis au monde sans souffrir aucune atteinte en sa virginité? C'est pour cela que le vénérable Bède a dit : « Elle est bénie d'une bénédiction

 

1 Hom. 3, sup. miss. — 2 Deut., 27. — 3 Judit., 15.

 

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incomparable, puisqu'elle a eu la gloire d'une postérité divine, et qu'elle a conservé toujours pure la couronne de sa virginité (1). »

Il faut remarquer que dans la sainte Ecriture nous trouvons une épouse bénie, une veuve bénie, une vierge bénie. Cette épouse bénie, c'est Sara, dont il est dit au livre de Tobie : « Que la bénédiction se répande sur votre épouse (2). » Cette veuve bénie, c'est Judith, ainsi que nous venons de le voir. Et il est encore dit de la veuve au livre des Psaumes : « Je donnerai à la veuve une bénédiction abondante (3). » Enfin la Vierge bénie , c'est Marie, à qui l'Ange adressa cette parole : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Elle est donc bénie celle qui aima la chasteté conjugale , et bénie encore plus celle qui garda la chasteté de son veuvage; mais bénie par-dessus tout celle qui choisit la chasteté virginale. Sans doute, elle est bénie, celle qui, avec Sara et avec Suzanne , demeure chaste dans le mariage; bénie avec plus d'abondance celle qui, avec Judith et avec Anne, se maintient pure dans la viduité; mais elle est comblée d’une bénédiction incomparablement plus grande , celle qui , avec Marie, aura conservé la chasteté des vierges. C'est pour cela que saint Augustin a dit : « Nous louons ce que Suzanne nous offre de bien en gardant la chasteté conjugale; mais nous lui préférons le bien que nous trouvons dans la viduité d'Anne , et encore plus celui que nous admirons en la virginité de Marie. » Et cela est

 

1 Bed., ubi supr. — 2 Tob., 9. — 3 Ps. 131.

 

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vraiment selon l'ordre et la justice. Elle est en effet vraiment digne d'être bénie celle qui, durant son mariage, ne connut jamais que celui avec qui elle fut unie. Elle est digne d'une bénédiction plus grande, celle qui, non-seulement en usa de la sorte au temps de son union , mais qui , après la mort de son époux , refusa de s'unir à un autre. Mais il est dans l'ordre et selon la justice qu'elle soit bénie par-dessus toutes les autres, celle qui n'a connu ni celui qui fut son époux, ni aucun autre homme , et qui cependant a conçu un homme aussi grand , aussi infini que celui dont elle fut mère. C'est pour cela que saint Augustin s'écrie : « O femme bénie entre toutes les femmes ! elle est demeurée étrangère à tout homme, et cependant elle a porté un homme en son sein (1). »

Ainsi , mes bien-aimés , Marie est donc bénie pour son humilité; elle l'est pour sa charité, pour sa douceur, pour son activité, pour sa libéralité, pour sa sobriété, pour sa chasteté. Et c'est avec justice qu'il en est ainsi, puisqu'elle a excellé outre mesure en l'humilité, qu'elle a été abondante en sa charité, invincible en sa douceur, ardente en son activité, prodigue en sa libéralité, austère en sa sobriété, pure et sans tache en sa virginité. Et maintenant, ô Vierge bénie en tant de manières , Marie, bénie heureusement par-dessus toutes les femmes, nous vous supplions de vouloir bien , par votre bénédiction, délivrer notre misère de toute malédiction , et nous

 

1 Serm. 8, de Temp.

 

l92

 

rendre dignes de la bénédiction divine. Nous vous en conjurons par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

LEÇON XVI. Quel est le fruit du sein de la bienheureuse Vierge Marie; quelle est sa grandeur.

 

Le fruit de votre sein est béni. Nous avons montré plus haut comment Marie, à cause de l'innocence très-pure de sa vie, a mérité d'être saluée d'une salutation de bénédiction; comment, par la surabondance admirable de la grâce en elle, elle a été déclarée pleine de grâce; comment, par la présence intime de Dieu en elle, il a été dit justement que le Seigneur était avec elle. Il nous reste maintenant à montrer comment, par l'excellence si profitable à l'homme de celui qu'elle mit au monde, ce fruit de son sein est proclamé béni.

Le fruit de votre sein est donc béni, ô Mère bénie du Fils de Dieu ! C'est ce fruit dont le Prophète a dit : « Le Seigneur répandra ses bienfaits, et notre terre produira son fruit (1). » Ce que le vénérable Bède explique ainsi : « Le Seigneur a répandu ses bienfaits quand la grâce de l'esprit a consacré le sanctuaire du sein de la Vierge par l'arrivée du Fils unique du Père. Et notre terre a donné son fruit quand la

 

1 Ps. 84.

 

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même Vierge, dont le corps était formé de la terre que nous habitons, conçut un Fils égal à Dieu le Père par sa divinité, et consubstantiel à elle-même par la réalité de sa chair (1). » Il nous faut donc considérer que ce fruit est un fruit vraiment généreux, un fruit de délices et de puissance, un fruit plein d'abondance. Ce fruit, dis-je, est brillant de gloire par sa générosité; il est désirable par sa suavité, avantageux par sa vertu, et vraiment universel par sa profusion.

Et d'abord, mes bien-aimés, considérons comment le fruit du sein de la Vierge est un fruit vraiment généreux. Il est généreux parce qu'il a été produit par un sein royal; il l'est plus encore parce que ce sein est un sein virginal; mais il l'est au-delà de toute limite parce qu'il est sorti du sein du Père éternel.

Je dis donc que ce fruit est un fruit généreux parce qu'il est sorti d'un sein royal , car il est issu du roi David, à qui Dieu avait fait cette promesse : « J'établirai sur votre trône celui qui sera né de vous (2). » Et l'Apôtre rend témoignage à l'accomplissement de cette même promesse en disant : « Jésus-Christ est né de la race de David selon la chair (3). » Mais ce n'est pas seulement à cause de David que ce fruit est généreux et illustre, il l'est encore à cause de tant de rois glorieux qu'il compte au nombre de ses ancêtres, et dont nous lisons la généalogie dans saint Matthieu , en sorte que nous pouvons appliquer à cette occasion la parole suivante : « Il est sorti du trône des rois (4). »

 

1 Bed., ubi supr. — 2 Ps. 131. — 3 Rom., 1. — 4 Sap., 8.

 

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Mais ce fruit , illustre par sa royale origine , l'est encore plus à cause du sein virginal qui l'a porté , et dont il est dit : « Béni est le fruit de votre sein, » de ce sein qui , selon qu'il a été figuré par la verge d'Aaron , a conservé la fleur de sa virginité en recevant l'honneur de la fécondité. C'est pour cela que saint Bernard dit fort bien : « Le Christ naît de la femme, mais de telle sorte que le fruit de sa fécondité n'a point flétri la fleur de sa virginité (1). » De même donc que cette seconde gloire est plus admirable que la première , de même clic est plus excellente et la surpasse autant que les cieux s'éloignent de la terre. O noblesse vraiment inouïe et digne d'admiration! ô naissance vraiment glorieuse que celle qui eut lieu d'une mère demeurée vierge ! « La gloire de Celui qui naît, dit saint Augustin, repose dans la virginité de celle qui lui donne le jour, et la gloire de celle qui enfante, dans la divinité de Celui dont elle est la Mère. »

Ce fruit , ô mes bien-aimés , est glorieux , sans doute, parce qu'il est issu du sang des rois; il l'est plus encore parce qu'il a été formé dans le sein d'une Vierge; mais sa gloire par excellence lui vient du sein de son Père. C'est de ce fruit qu'il faut entendre cette parole d'Osée : « C'est en moi que votre fruit a été trouvé (2). » Le texte hébreu porte, il est vrai , votre fruit, mais la Septante dit son fruit. Que Dieu le Père s'écrie donc, en parlant de Marie, qu'il s'écrie en parlant à l'âme fidèle et à son Eglise : « C'est

 

1 Serm. 1, de Circum. — 2 Os. 14.

 

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en moi que votre fruit a été trouvé , votre fruit, ô Marie! car vous avez été choisie pour le produire à la terre. Votre fruit, ô âme fidèle ! car vous avez été attirée à l'aimer. Votre fruit, ô Eglise! car vous avez été formée par le recevoir. Il est donc véritablement vôtre. Il l'est corporellement par la nature dont il s'est revêtu; il l'est spirituellement par sa grâce; il l'est sacramentellement par l'Eucharistie; il l'est éternellement par sa gloire. Il est vôtre, sans cloute, nais il l'est par moi; car c'est de mon sein qu'il est engendré, ainsi qu'il est dit au livre des Psaumes : « Je vous ai engendré de mon sein avant la naissance de la lumière (1). »  O noblesse qui surpasse notre admiration, noblesse vraiment au-dessus de tous nos respects ! Le fruit du sein d'une femme est le Fils engendré du sein de l'Eternel, c'est la sagesse intime du Père céleste. « O Marie, dit saint Bernard, vous serez la Mère de Celui dont Dieu est le Père. Le Fils de la charité paternelle sera la couronne de votre chasteté. La sagesse qui réside dans le coeur du Père sera le fruit de votre sein virginal. » La dernière gloire de ce fruit illustre l'emporte donc à l'infini en dignité sur les deux premières, et surpasse par sa sublimité tout ce que l'intelligence de l'homme et de l'ange pourrait jamais concevoir. Aussi c'est de de ce fruit que le prophète Isaïe a dit : « Le germe du Seigneur sera dans la magnificence et la gloire, et le fruit de la terre sera élevé en gloire (3) » Il est dans la magnificence par son origine royale , dans la

 

1 Ps. 109. — 2 Hom. 3, super miss. — 3 Is., 4.

 

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gloire par sa conception virginale, et élevé en gloire par sa génération éternelle dans le sein du Père.

Voyez, en second lieu, mes bien-aimés, comment le fruit du sein de la Vierge est un fruit de délices. Il est délicieux par son parfum , plus délicieux par sa beauté, et délicieux sans limites par sa saveur. Nous contemplons sa beauté par la foi ; nous aspirons son parfum par l'espérance; nous jouissons de sa saveur par la charité.

Je dis donc que le fruit de Marie est délicieux par son parfum de suavité. Marie, en effet, peut bien lui appliquer cette parole de l'Ecclésiastique : « J'ai produit, comme la vigne, une odeur de suavité (1). » Ce fruit de la vigne, c'est le Fils de la Vierge; ce qui est vraiment admirable et admirablement vrai , au témoignage de saint Augustin , dont voici les paroles à ce sujet : « Le Créateur de l'univers vient au monde enfanté par sa créature; Celui qui est une fontaine immense tire sa source d'un faible ruisseau qu'il a formé; la racine de toutes choses naît d'une faible tige qu'il a produite, et la vigne véritable devient le fruit d'une de ses propres branches. (2) » Le fruit de la vigile, c'est le vin, et l'odeur du vin est une odeur délectable : tel est le parfum des exemples de Jésus-Christ, le parfum des consolations de Jésus-Christ, le parfum des promesses de Jésus-Christ. Ainsi enivre-t-il de délices l'âme qui a soif de Jésus ; et comme l'odeur du vin attire l'homme qui est dévoré de la soif, ainsi l'odeur de Jésus attire celui qui s'empresse

 

1 Eccl., 24. — Serm. 9, de Temp.

 

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à sa suite et qui lui crie : « Entraînez-moi après vous, nous courrons après l'odeur de vos parfums (1). » Hélas! nous ne courons pas, infortunés que nous sommes; c'est à peine si nous nous traînons. N'est-ce pas un signe que l'odeur de ce fruit n'arrive que faiblement jusqu'à nous. Puissions-nous avoir la finesse des sens d'Isaac qui , bien qu'éloigné par les siècles, pressentit cependant ce parfum, au témoignage de saint Bernard , qui nous dit : « Isaac goûtait le parfum de ce fruit embaumé, lorsqu'il s'écriait : Voilà que l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ que le Seigneur a béni (2). »

Mais, ô mes bien-aimés, ce fruit n'est pas seulement délicieux par l'odeur qu'il exhale, il est plus délicieux encore par son éclat et sa beauté. Remarquez bien ce qui en est dit dans le Lévitique : « Vous prendrez au premier jour du fruit de l'arbre le plus beau (3). » Si c'est de l'arbre le plus beau que nous devons prendre le fruit, cet arbre assurément sera Marie , qui est belle par les feuilles que ses lèvres ont produites , plus belle par les fleurs de son coeur, et d'une beauté sans égale par le fruit très-beau de son sein. Ce qui fait dire à saint Bernard : « Si le fruit de mort fut non-seulement suave au goût, mais encore, selon le témoignage de l'Ecriture, délectable à la vue, combien plus devons-nous espérer de trouver une beauté vivifiante en ce fruit de vie, ce fruit, dis-je, que les anges désirent contempler incessamment (4)? » Oui il est beau ce fruit,

 

1 Cant. 1. — 2 Hom. 3. sup. mis. — 3 Lev., 23.— Ubi supr.

 

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beau dune beauté qui l'emporte sur celle de tous les enfants des hommes; et si nous voulons le connaître plus amplement, reportons-nous à l'arbre qui l'a porté, revenons à Marie, sa très-illustre Mère, et redisons-lui cette parole des Cantiques : « Quel est votre bien-aimé, ô la plus belle d'entre les femmes? » Et aussitôt nous l'entendrons nous répondre : « Mon Bien-aimé se distingue entre tous par sa blancheur et par sa rougeur; il est choisi entre mille; il est la splendeur de la lumière éternelle (1). » Il est éclatant de blancheur par sa divinité, de rougeur par son humanité; de blancheur par sa vie sainte, de rougeur par sa Passion. Telle est la beauté de ce fruit. Aussi saint Augustin s'écrie-t-il en parlant de lui : « Il est

brillant de beauté dans les cieux, brillant de beauté sur la terre : « il est beau dans le Père, alors qu'il est son Verbe; il est beau en sa Mère, alors qu'il est homme et le Verbe le Dieu en même temps (2). »

Ce n'est pas seulement par le fruit de son sein que cet arbre est éclatant de beauté; il l'est encore par les fruits de son esprit, ces fruits dont l'Apôtre, écrivant aux Galates , a dit : « Le fruit de l'Esprit est la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la longanimité, la mansuétude, la foi , la modestie, la continence, la chasteté (3). »

Mais ce n'est point assez que ce fruit soit délicieux par son odeur, plus délicieux par sa beauté; il surpasse toutes délices par sa saveur. C'est ce qu'avait éprouvé cette âme sainte qui s'écriait dans les

 

1 Cant. 5.- Hebr., 1. — 2 Serm., de Temp., 15. — 3 Galat., 5.

 

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Cantiques : « Je me suis reposée à l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à ma bouche (1). » Qu'y a-t-il d'étonnant que ce fruit ait tant de douceur, puisqu'il est si élevé? Aussi saint Bernard a-t-il dit : « Il est d'autant plus doux qu'il est plus élevé. » Vous avez donc seul une douceur parfaite puisque seul vous possédez la hauteur suprême. Mais comment le Très-Haut est-il le fruit d'un arbre si petit? Je ré-ponds que Marie est bien sûrement l'arbre qui a produit un tel fruit. Elle est très-haute aussi , et en même temps très-petite : elle est très-haute par sa dignité; elle est très-petite par son humilité; elle est très-haute aux yeux du Seigneur ; elle est très-petite à ses propres yeux; et, bien qu'elle soit petite de cette sorte, cela n'empêche en aucune manière que son fruit ne soit d'une douceur exquise. C'est pour cela qu'il est dit dans l'Ecclésiastique : « L'abeille est petite entre les animaux qui volent; et néanmoins son fruit l'emporte sur ce qu'il y a de plus doux (2) . » Le fruit du sein de Marie est donc surabondant en délices pour l'odorat , pour la vue et le goût , et ainsi il est véritablement béni. C'est pourquoi saint Bernard, s'exprimant sur ces mots : « Le fruit de votre sein est béni, a dit : « Il est béni pour son parfum , béni pour sa saveur , béni pour sa beauté (3). »

Considérons, en troisième lieu , comment ce fruit du sein virginal est un fruit de vertu. Cette vertu se fait sentir en ce qu'il sauve ceux qui avaient péri , en ce qu'il multiplie ceux qui doivent être sauvés .

 

1 Cant., 2. — 2 Eccl., 11. — 3 Hom. 5, sup. mis

 

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et en ce qu'il conserve ceux dont il a ainsi accrû le nombre.

Je dis donc, mes bien-aimés, que ce fruit béni est puissant à sauver et qua c'est pour cela qu'il est appelé un fruit de salut, car il est dit dans l'Ecclésiastique : « La crainte du Seigneur est la couronne de la sagesse; elle remplit la paix et le fruit du salut (1). » Or, qu'est-ce que l'écrivain sacré appelle ici la paix et le fruit? Celui qui est le fruit de notre salut, celui qui est notre paix, Jésus-Christ, qui a réuni ce qui était disjoint en un seul tout. La crainte du Seigneur a rempli ce fruit, elle a rempli cette paix selon qu'il est dit dans Isaïe : « L'esprit de la crainte du Seigneur l'a rempli (2). » C'est justement qu'il est nommé le fruit du salut, puisque sans lui il n'y a pour nous aucun salut, ainsi qu'il est écrit : « Il n'est point de salut en aucun autre (3); » et ainsi que le dit encore saint Anselme : « Il n'est point de salut, ô Vierge ! hors de celui dont vous êtes la Mère. » Vous êtes donc, ô Marie ! vraiment l'arbre du salut, vous qui avez donné à la terre le fruit du salut. Saint Bernard s'écrie aussi à ce sujet : « O plante véritablement céleste, plus précieuse, plus sainte que toutes les plantes ! ô véritable arbre de vie qui seul a été digne de porter le fruit de vie (4) ! » Mais , hélas ! beaucoup font de ce fruit de justice et de salut un fruit de mort; beaucoup changent en une absinthe éternelle ce fruit si plein de délices, selon qu'il est dit

 

1 Eccl., 1. — 2 Is., 11. — 3 Act., 4. — 4 Serm., 2, de Adv.

 

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dans Amos : « Vous avez changé en amertume le jugement et en absinthe le fruit de la justice (1). »

Mais ce n'est pas seulement par son efficacité à opérer le salut, que ce fruit est un fruit de vertu; il l'est encore par sa puissance à multiplier. Nous pouvons en ce sens prendre en bonne part cette parole du psaume : « Ils se sont multipliés par l'abondance de leur froment, de leur vin et de leur huile (2) , et rapporter le froment au corps de Jésus-Christ, l'huile à son Lime, le vin à sa divinité. Ou bien encore le froment représentera le sacrement du corps du Sauveur ; le vin , celui de son sang, et l'huile, l'onction de l'Esprit-Saint. Je dis donc que c'est par ce fruit que les enfants se sont multipliés en l'Eglise et que l'Eglise s'est étendue parmi ses enfants. Car tous les enfants que l'Eglise porte en son sein sont l'héritage et la récompense du fruit du sein de Marie, ainsi qu'il est écrit : « L'héritage du Seigneur, ce sont ses enfants; ils sont la récompense de celui qui est le fruit du sein (3). » Saint Jérôme dit aussi à ce sujet (4) : « Le Seigneur est né de la Vierge, il est devenu le fruit de son sein, et l'humanité qu'il en a prise a eu pour récompense les nations appelées à compter parmi ses enfants et qui sont devenues son héritage. »

Enfin ce fruit béni est non-seulement puissant à sauver, plus puissant à multiplier; mais il est doué d'une vertu plus grande encore pour conserver. C'est de ce fruit que nous pouvons entendre cette parole

 

1 Amos., 6. — 2 Ps. 4. — 3 Ps. 126. — 4 Hier., in Ps. 126.

 

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des Proverbes : « Le fruit du juste est un arbre de vie (1). » De même que l'arbre de vie placé au milieu du paradis terrestre avait la vertu de conserver la vie à l'homme, ainsi le fruit du sein de Marie, qui est l'arbre de vie, le fruit de vie, conserve la vie de la grâce au milieu du paradis de l'Eglise , et la vie de la gloire au milieu du paradis de la céleste patrie. Il conserve la vie de la grâce contre la corruption du péché, et la vie de la gloire contre l'atteinte de toute misère, en sorte que nous recouvrons en ce fruit de Marie ce que nous avons perdu dans le fruit d'Adam et d'Eve , ainsi que le remarque le vénérable Bède en ces paroles : « C'est là le fruit béni de ce sein, par qui nous retrouvons le fruit et le germe de l'incorruptibilité dans les champs de l'héritage céleste, que nous avions perdu en Adam (2).» Que béni soit donc le fruit de Marie qui a montré sa vertu en donnant le salut à nos âmes, en multipliant ses élus en tous lieux, et en conservant pour l'éternité ceux qu'il avait ainsi appelés à la vie.

Enfin considérons, en dernier lieu, comment le fruit du sein virginal a été un fruit vraiment abondant. En effet, cette abondance est telle qu'elle peut satisfaire pleinement l'âme , suffire à tous les besoins, et que jamais elle ne saurait s'affaiblir. Dans le premier cas , ce fruit est simplement abondant ; dans le second, plus abondant ; dans le troisième, son abondance surpasse toute limite.

Je dis donc, mes bien-aimés , que ce fruit béni est

 

1 Prov., 11. — 2 Hom. in Deip.

 

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si abondant qu'il peut rassasier avec plénitude rame raisonnable, que le monde entier ne saurait contenter, que toute créature laissera toujours vide. C'est pour cela qu'il est écrit : « La terre sera rassasiée du fruit de vos oeuvres (1) . » Ce fruit de vos oeuvres, ô Seigneur ! c'est le fruit du sein de Marie. C'est le fruit de vos oeuvres, et non le fruit de l'homme; le fruit de vos oeuvres, et non le fruit d'un mortel. C'est à vous qu'appartient la sanctification d'une Vierge aussi illustre , à vous la mission de Gabriel , à vous l'intervention de l'Esprit-Saint, à vous l'union de la chair et du Verbe. Et Jésus est le fruit de telles oeuvres, car c'est d'elles qu'il est sorti comme d'autant de fleurs. Aussi est-ce à Nazareth , qui veut dire une fleur, que ces fleurs ont apparu, ce qui fait dire à saint Bernard : « C'est à Nazareth qu'il est dit que le Christ doit apparaître , parce que c'est de la fleur qu'on espère voir sortir le fruit (2). » La terre qui est rassasiée de ce fruit, c'est l'âme humaine qui, semblable à la terre, est toujours productive de fleurs précieuses ou d'herbes inutiles, c'est-à-dire de pensées diverses, de désirs différents. Cette terre, dis je, a été rassasiée par le fruit du sein de Marie, ainsi qu'il est écrit : « Je serai rassasié lorsque votre gloire sera manifestée (3). » Et maintenant, qu'y a-t-il d'étonnant que ceux qui jouissent de ce fruit dans la gloire, en soient pleinement rassasiés, puisque, dans ce lieu de misère, la foi en lui satisfait nos besoins? C'est ce qui fait s'écrier à Cassiodore : « Oh ! qu'il est admirable

 

1 Ps. 103.— 2 Hom. 3, sup. mis. — 3 Ps. 16.

 

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ce fruit qui a rassasié le genre humain par une foi pleine de douceur (1) ! » Aussi l'on ne saurait sans péché refuser d'y goûter. Comprenez donc combien il est abondant ce fruit qui remplit une âme que le monde entier ne saurait satisfaire.

Cependant, mes bien-aimés, ce n'est pas seulement par ce contentement parfait qu'il donne aux besoins insatiables de l'âme, que ce fruit de bénédiction nous montre son abondance; il nous la révèle encore plus en ce qu'il peut suffire pleinement à la multitude entière de tous ceux qui arriveront au salut. Il est le fruit de cet arbre glorieux dont il est écrit :  Son fruit est si considérable qu'il peut suffire à la nourriture de tous (2), de tous ceux , sans aucun doute, qui vivent, s'endorment et ressusciteront dans le Seigneur. C'est ce que nous pouvons trouver très-bien indiqué dans le Lévitique , où nous lisons : « Je vous donnerai ma bénédiction la sixième année, et elle portera le fruit de trois années (3). » La sixième année désigne le sixième âge du monde , la septième marque l'âge suivant, et la huitième celui qui vient ensuite. Cette sixième année est l'année de plénitude, selon cette parole de l'Apôtre : « Quand la plénitude du temps fut accomplie, Dieu envoya son Fils (4). » C'est cette année qui a produit un fruit qui est le Fils de Dieu, fruit si abondant que, par lui, ceux qui vivront durant cette année, ceux qui se reposeront la septième et ressusciteront à la huitième, posséderont toutes les richesses nécessaires à leurs âmes.

 

1 Cas., in Ps. 1. — 2 Dan., 4. — 3 Lev., 25. — 4 Gal., 4.

 

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Ce fruit suffit donc à la multitude entière de nos Mmes, de même que Dieu suffit à l'universalité de ses créatures. Et ce fruit, c'est le fruit du sein de Marie, selon ce que dit saint Augustin : « Cette Vierge a été prévenue et remplie d'une grâce si singulière, qu'elle a eu pour fruit de son sein celui que dès le commencement toute créature a reconnu pour son Seigneur. »

Enfin, mes bien-aimés, ce fruit béni qui nous a été donné, n'est pas seulement abondant en ce qu'il suffit aux besoins de l'âme , plus abondant en ce qu'il satisfait pleinement à l'universalité des âmes , il l'est par-dessus tout en ce que, rassasiant les âmes et les anges, il ne saurait jamais diminuer; selon cette parole d'Ezéchiel : « Son fruit ne manquera pas (1) . » O abondance infinie ! abondance qui ne peut s' épuiser ! Non, il ne s'épuisera point ce fruit durant l'éternité, puisque la bénédiction qu'il a reçue pour toujours est une bénédiction d'une abondance inépuisable , selon ce que dit saint Bernard : « Béni soit le fruit de votre sein qui est béni pour l'éternité (2). »

Ainsi ce fruit est donc un fruit abondant , en rassasiant parfaitement l'âme; plus abondant, alors qu'il suffit à tous ceux qui sont dans le besoin , et d'une abondance à jamais intarissable, puisqu'il satisfera sans s'épuiser durant l'éternité aux désirs de ses élus.

Vous voyez maintenant , ô vous qui lisez ces choses ! vous comprenez , vous qui m'entendez , combien généreux, combien puissant, combien délicieux,

 

1 Ezech., 47. —  2 Hom. 2 , sup. mis.

 

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combien abondant est ce fruit béni du sein de Marie. Vous voyez que c'est un fruit généreux , en ce qu'il est sorti d'un sein royal; plus généreux, en ce qu'il est né d'un sein virginal, et généreux par-dessus tout, en ce qu'il est le fruit du sein du Père éternel. Vous voyez encore qu'il est délicieux par son parfum, plus délicieux par sa beauté, et qu'il renferme des délices ineffables en sa saveur. Vous comprenez en même temps qu'il est puissant lorsqu'il guérit, plus puissant lorsqu'il multiplie, et puissant par-dessus tout lorsqu'il conserve. Enfin , vous connaissez qu'il est abondant en ce qu'il rassasie , plus abondant en ce qu'il suffit à tous , et d'une abondance infinie en ce qu'il dure éternellement. Ces douze qualités de ce fruit peuvent être représentées par ces douze fruits dont il est parlé dans l'Apocalypse lorsqu'il est dit : « Que l'ange montra à Jean l'arbre de vie chargé de douze fruits (1). » Et parce que ce fruit est un fruit de vie, parce que cet arbre de vie a été produit pour donner la vie à tous les hommes, c'est avec raison que le Prophète excite tout homme à louer l'auteur d'un tel fruit, lorsqu'il dit : « Que les peuples vous louent, ô Dieu ! que les peuples vous louent, car la terre a donné son fruit (2). » Et maintenant, ô Mère bénie ! faites que nous en jouissions durant l'éternité. Par ce même fruit, Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.

 

1 Apoc., 22. — 2 Ps. 66.

 

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LEÇON XVII. A qui appartient le fruit de la bienheureuse Marie, et à qui il est dû.

 

Le fruit de votre sein est béni. — Nous avons considéré rapidement quel est le fruit du sein de Marie, quelle est sa grandeur ; voyons maintenant à qui il appartient et à qui il est dû. Ce fruit n'est pas seulement un fruit du sein, c'est un fruit de l'esprit. En tant qu'il est un fruit du sein, il appartient seulement à Marie; mais, en tant qu'il est un fruit de l'esprit, il est le fruit de toute âme fidèle. Il est un fruit du sein par la chair; il est un fruit de l'esprit par la foi. C'est ce qui a fait dire à saint Ambroise : « Si selon la chair , Jésus-Christ n'a qu'une Mère, selon l'esprit il est le fruit de tous (1). » Car toute âme conçoit le Verbe de Dieu , pourvu qu'elle se conserve immaculée et exempte de tout vice. Il faut donc, selon ce docteur, que l'âme qui veut porter ce fruit en elle-même se tienne à l'abri du péché. En effet, Jésus-Christ n'est point le fruit de l'âme vicieuse, mais bien de l'âme en qui réside la vertu; il n'est point le fruit de l'âme soumise aux sept péchés capitaux, mais de l'âme qui combat contre ces sept vices. Il est donc le fruit de ceux qui opposent l'humilité à l'orgueil, l'amour à l'envie, la douceur à la colère,

 

1 In Luc., 1. 2.

 

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le travail à la paresse, la libéralité à l'avarice, l'abstinence à la gourmandise, la continence à la luxure.

Et d'abord, mes bien-aimés, voyons comment ce fruit béni est le fruit de ceux qui opposent l'humilité à l'orgueil. Nous pouvons appliquer ici ce qui est dit au livre des Rois : « Tout ce qui restera de la maison de Juda jettera ses racines en bas, et poussera son fruit en haut (1). » C'est de la maison de Juda que fut la bienheureuse Marie, de la maison de Juda, qu'est toute âme fidèle. L'une en était corporellement , l'autre en est spirituellement. Celle-là en était par la chair , celle-ci en est par la foi. Ainsi ce n'est pas seulement Marie, mais tout fidèle désireux de pousser son fruit en haut qui doit jeter ses racines en bas. Or, cette racine qui s'abaisse , c'est l'humilité qui, semblable à une racine, tend toujours vers les lieux les plus bas. Plus l'arbre soutenu par cette racine bienheureuse est élevé, plus celle-ci doit être profonde, selon cette parole de l'Ecclésiastique : « Plus vous êtes grand, plus humiliez-vous en toute chose, et vous trouverez grâce devant Dieu (2). » S'il en était autrement, si la racine de l'humilité qui soutient l'arbre ne s'était fortifiée en s'enfonçant profondément, plus il serait élevé, plus il serait exposé à être renversé promptement par le souffle de l'orgueil. Pesons donc combien a dû être profonde la racine de cette tige qui a pris un accroissement tel qu'elle mérita de porter un fruit plus sublime que les anges, un fruit dont saint Ambroise a dit : « Ce fruit est la

 

1 IV. Reg., 19. — 2 Eccl., 3.

 

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fleur même sortie de la racine, » et dont le Prophète Isaïe avait dit aussi auparavant : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine (1). » Ainsi toute âme qui jettera en bas cette racine de l'humilité, portera ce fruit en haut. Elle l'y portera par une intelligence élevée, par une volonté généreuse, par la contemplation, par l'amour. Ce fruit béni appartient donc à ceux qui sont humbles ; et si Marie en a été digne par-dessus tous les hommes, c'est que par-dessus tous elle s'était enracinée dans l'humilité. C'est pour cela que saint Bernard s'écrie : « O Vierge, tige sublime! à quelle élévation , à quelle sainte hauteur êtes-vous montée ! vous avez atteint jusqu'au trône de la majesté suprême , parce que la racine de votre humilité a pénétré jusqu'aux lieux les plus bas (2). »

Voyons maintenant comment ce fruit appartient à ceux qui se tiennent à l'abri de l'envie par l'amour de Dieu et la charité du prochain. Nous pouvons appliquer à ce sujet ce passage du psaume : « L'héritage du Seigneur, ce sont ses enfants : ils sont la récompense de celui qui est le fruit du sein (3). » Ce que saint Ambroise expliquant, dit : « L'héritage du Seigneur, ce sont ses enfants, et ils sont la récompense de ce fruit qui est sorti du sein de Marie (4). » Ils sont donc nombreux ces enfants, la récompense du Fils unique, qui est le fruit d'un sein béni. Mais où et quand a-t-il mérité une semblable récompense? Il l'a méritée en naissant dans une étable, en demeurant couché dans

 

1 Is., 11 .— 2 Serm. 2, de Adv. — 3 Ps. 126.— 4 In Luc., lib. 2.

 

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la crèche, en souffrant la circoncision; il l'a méritée en enseignant, en opérant les oeuvres de notre salut, en mourant; il l'a méritée, dis-je, en se faisant notre serviteur durant l'espace de trente-trois ans. C'est pour cela qu'il exige cette récompense en toute justice, lorsqu'il dit : « Si j'ai bien fait en votre présence, donnez-moi la récompense qui m'est due (1). »

Et ce ne sont pas seulement ses enfants qui sont la récompense de celui qui est le fruit du sein; le le fruit même de ce sein très-pur se fait aussi la récompense de chacun de ceux qu'il a adoptés. Mais qui compterons-nous parmi ses enfants? Ecoutez : « Il est d'un fils d'aimer son père, et d'un père d'aimer ses enfants. Ceux-là donc sont les enfants de Dieu et les enfants de son Eglise, qui aiment Dieu et le prochain, C'est pourquoi l'Apôtre écrit aux Ephésiens : « Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés, et marchez dans l'amour (2). » Et dans saint Matthieu, il est dit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre hère qui est dans les cieux (3). »

Voilà donc les enfants : ce sont ceux qui aiment Dieu et le prochain ; ils sont la récompense du fruit qui est béni , et il est également leur récompense. Ainsi ce fruit appartient à ceux qui aiment, et c'est pour cela que Marie en fut digne plus qu'aucune autre créature, car elle les surpassait toutes par la tendresse de sa charité. Aussi saint Augustin dit-il : « Qui pourra

 

1 Zach., 11. — 2 Ephes., 5. — Mat., 5.

 

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douter que les entrailles de Marie n'aient été transformées en une effusion de charité, alors que la charité même, qui est Dieu, s'y est reposée corporellement durant neuf mois? »

Considérons encore comment le fruit béni de Marie est à ceux qui vainquent la colère par leur patience et leur douceur. Nous prendrons pour cet endroit ce qui est dit au livre de Job : « Soumettez-vous à lui et tenez-vous en paix, et ainsi vous recueillerez des fruits excellents (1). » Se soumettre et conserver la paix , voilà le partage de ceux qui sont doux et patients, et c'est par-là qu'ils arrivent à posséder des fruits excellents. Parmi ces fruits, il y en a deux qui l'emportent sur les autres : « l'un est de l'esprit; l'autre, c'est le fruit du sein. Ce fruit de l'esprit, c'est la charité, dont l'Apôtre a dit : « Les fruits de l'esprit sont la charité, la joie, la paix, la patience, l'humanité, la bonté, la persévérance, la douceur, la foi, la modestie, la continence, la chasteté (2). » Entre ces fruits énumérés en cet endroit, les uns sont bons, les autres meilleurs; mais le premier, qui est la charité, est bon par excellence, parce que c'est par lui, ainsi que le montre saint Augustin, que tous les autres sont bons.

Le fruit très-bon du sein, c'est Jésus-Christ. Ce fruit là est bon , qui a été sanctifié dès le sein de sa mère. Ainsi est bon le fruit du sein d'Elisabeth , meilleur le fruit du sein d'Anne, et d'une bonté sans limites le fruit du sein de Marie. Celui qui est bon ,

 

1 Job., 22. — 2 Gal., 5.

 

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c'est Jean-Baptiste; celui qui est meilleur, Marie; et celui qui l'emporte sur tous les autres, Jésus. Considérez , ô mon frère, quel est ce dernier fruit, quelle terre l'a produit, et vous comprendrez sa suprême excellence. Ecoutez saint Jérôme, qui vous dit : « Ce fruit est celui qui est né vierge d'une Vierge, qui étant Seigneur a pris le jour d'une servante, qui étant Dieu a voulu descendre de l'homme, et être, comme le reste des hommes, le fils d'une mère. C'est le fruit produit par la terre (1). » Oh! que bienheureux sont ceux qui , au milieu des épreuves de toute sorte, conservent un esprit si patient, un coeur si soumis qu'ils méritent d'obtenir ce fruit de patience, ce fruit de paix dont parle l'Apôtre aux Hébreux, lorsqu'il dit : « Tout châtiment, lorsqu'on le reçoit, semble être un sujet de tristesse et non de joie; mais ensuite il fait recueillir dans une profonde paix le fruit de la justice à ceux qui auront été ainsi exercés (2) ! » Ce sont donc ceux qui ont une patience exercée qui possèdent ce fruit par excellence , selon cette parole du Seigneur : « Ils portent du fruit par la patience (2) . » Mais , comme ce fruit béni est la possession de ceux qui sont doux et patients, il s'ensuit que Marie, la plus douce des créatures, a été aussi la plus digne de l'avoir en partage. En effet, jamais dans ses regards, dans ses paroles, dans ses actions, elle ne montra le plus léger signe d'impatience. Jamais, dit saint Ambroise, on ne vit rien de dur dans le regard de Marie, rien d'inconvenant

 

1 In psal. 66. — 2 Hebr., 12. — Luc., 8.

 

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en ses paroles, rien d'immodeste dans ses actions (1). »

Voyons à présent , mes bien-aimés, comment ce fruit de Marie appartient à ceux qui opposent à la paresse l'action et le travail. Il est dit dans la Sagesse: « Le fruit des bons travaux est glorieux (2).» C'est donc dans l'exercice du travail qu'il faut chercher ce fruit , ainsi que l'abeille y cherche son miel. C'est ce qui a fait dire à l'Ecclésiastique : « L'abeille est petite entre les animaux qui volent, et néanmoins son fruit l'emporte sur ce qu'il y a de plus doux (3). » Considérez donc, mon frère, comment l'abeille vole de jardin en jardin, d'arbre en arbre, de fleur en fleur, pour y recueillir son miel; ainsi volez sur les exemples des justes et surtout des saints par les méditations, les désirs et par le zèle à imiter leurs vertus. Volez de jardin en jardin, c'est-à-dire d'un état à un état. Volez d'arbre en arbre, c'est-à-dire d'un juste à un autre juste. Volez de fleur en fleur, c'est-à-dire d'une vertu à une autre vertu, d'un exemple à un autre exemple. Reposez-vous surtout sur cette fleur en laquelle vous trouverez tout le fruit du miel divin , sur cette fleur qui est à la fois et une fleur et un fruit, cette fleur dont saint Ambroise a dit : « La fleur de Marie, c'est Jésus-Christ, qui est comme le fruit d'un arbre excellent, et qui maintenant fructifie encore en nous afin d'aider le progrès de nos vertus (4). » Agissons donc, mes bien-aimés, afin d'obtenir un tel fruit , car c'est là véritablement le

 

1 De Virg., lib. 2. — 2 Sap.; 5. — 3 Eccl., 11. — 4 In Luc., 1. 2.

 

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fruit glorieux des bons travaux. remarquez bien qu'il n'est pas appelé le fruit d'un travail quelconque, mais seulement des bons travaux, car il ne saurait être le profit de ces travaux dont il est dit dans la Sagesse : « Celui qui rejette la sagesse et qui méprise l'instruction est malheureux : l'espérance de ces personnes est vaine, leurs travaux sont sans fruit et leurs oeuvres inutiles (1). » Ce fruit béni est donc le partage de celui qui oppose à la paresse la pratique du bien. Et c'est pour cela qu'entre tous les hommes Marie a été digne de le posséder, car entre tous elle a vécu dans l'exercice le plus actif de tout ce qui est bien, ainsi que le montre Bède lorsque, sur ces paroles du cantique de la Vierge : Mon âme glorifie le Seigneur, il la fait dire elle-même : « J'offre en actions de grâces toutes les affections de mon âme; tout ce que j'ai de vie, tout ce que j'éprouve de sentiments, tout ce que j'ai d'intelligence à contempler la grandeur de Dieu, je le consacre tout entier à l'accomplissement de ses préceptes (2). »

Voyez, en cinquième lieu, comment ce fruit de Marie appartient à ceux qui opposent à l'avarice la libéralité, et surtout cette libéralité qui , par amour pour lui, le fait renoncer à tous les bien temporels, selon cette parole des Cantiques : « L'homme donne mille pièces d'argent pour obtenir son fruit (3) . » C'est-à-dire qu'il laisse tout, ajoute le Commentaire. Et la Glose dit encore : « Par le nombre mille, on entend la perfection, et par l'argent tout ce qui est temporel. »

 

1 Sap. 5. — 2 In Luc., 1. — 3 Cant., 8.

 

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Celui-là donc qui, pour Jésus-Christ, abandonne parfaitement tout ce qui est terrestre, livre mille pièces d'argent pour obtenir ce fruit. Quant à celui qui ne voudra pas donner ces mille pièces en quittant tout à cause de lui, qu'au moins il fasse quelque sacrifice en venant en aide au pauvre , et qu'il devienne comme un olivier fertile en se couvrant des fruits de la miséricorde. Mais le fruit de miséricorde par excellence n'est autre que la miséricorde suprême elle-même, que Dieu lui-même. Aussi Marie, qui a porté ce fruit, a-t-elle été abondante en miséricorde, et est-ce avec vérité qu'on l'a comparée à l'olivier fertile, à l'olivier dont la beauté réjouit la campagne. C'est ce qui fait dire à saint Jean Damascène : « Marie a été plantée dans la maison du Seigneur; elle y a été remplie de l'Esprit-Saint, et, semblable à l'olivier vraiment fécond , elle est devenue le sanctuaire de toutes les vertus (1). » Hélas! combien éloignés de ce fruit, qui est le partage de ceux qui font miséricorde et ne soupirent pas après les choses de ce monde, sont les avares! C'est d'eux qu'il est dit : « Ils sont étouffés par les sollicitudes, par les richesses et par les plaisirs de la vie, et ainsi ils ne portent point de fruit (2). » C'est d'eux que parle l'Ecclésiaste en ce passage : « Celui qui aime les richesses n'en retirera aucun fruit. (3) » Ainsi ce fruit béni est la possession de celui qui est généreux , de celui qui méprise les choses de ce monde , et Marie en a donc été digue par-dessus tous les hommes,

 

1 De  fid. Orth., I. 4, c. 15. — 2 Luc., 8. — 3  Eccl., 5

 

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puisque nul autant qu'elle ne méprisa aussi généreusement tout ce qui tient à la terre, selon saint Bernard, qui nous dit : « Tout ce que Marie eût pu avoir d'honneur au milieu de son peuple, tout ce qu'elle eût pu prétendre dans l'héritage de son père, elle regarda tout comme de la boue, afin de gagner Jésus-Christ (1). »

Comment ce fruit appartient-il encore à ceux qui combattent la gourmandise par l'abstinence? Remarquons ce qui est dit dans Salomon : « L'homme juste sera rassasié de biens par le fruit de sa bouche (2). »

Le fruit de Marie peut bien être appelé le fruit de la bouche non-seulement parce qu'il s'acquiert par la prière et l'enseignement, mais encore par l'abstinence de la bouche. C'est de ce fruit que sera rassasié l'homme spirituel qui , pour son amour , s'abstient des choses terrestres. C'est des biens qui en découlent que sera enivré celui qui, pour lui, souffre la faim et la soif en son corps, mais plus encore celui dont l'âme est dévorée d'un semblable besoin. C'est pourquoi saint Bernard s'écrie : « Il est bon ce fruit qui est la nourriture et le breuvage des âmes qui ont faim et soif de la justice. » Heureux ceux qui ont faim de lui en ce monde , car ils en seront rassasiés dans le ciel, selon cette promesse du Sauveur : « Vous êtes bienheureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés (3). » C'est dans le ciel qu'ils se nourriront de ce fruit , ceux qui , dans cette vie, se privent de tout pour l'obtenir. De là cette parole

 

1 Hom. 5, sup. miss. — 2 Prov., 13. — 3 Luc., 6

 

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d'Isaïe : « Dites au juste qu'il espère bien, parce qu'il recueillera le fruit de ses œuvres (1). » Mais si ce fruit béni est le partage de ceux qui opposent l'abstinence à la gourmandise, il est donc avant tout la possession de Marie , puisque sa tempérance fut poussée au degré le plus élevé qu'on puisse imaginer. Aussi saint Jean Chrysostome a dit : « Marie ne fut jamais une personne adonnée au vin ni à la bonne chère; en elle nulle légèreté, nulle joie immodérée; jamais sa voix ne fit entendre un chant dissolu ; jamais ses lèvres ne s'ouvrirent à des paroles immodestes. Tout cela est le partage de ceux qui se laissent entraîner à l'intempérance (2). »

Enfin voyons, en dernier lieu , comment le fruit de Marie appartient à ceux qui triomphent de la luxure par la continence. C'est à cette occasion que le Sage a dit : « Heureuse celle qui est stérile, mais qui n'a rien qui la souille, et qui a conservé sa couche pure et sans tache, car elle recueillera le fruit de sa, vertu lorsque Dieu abaissera son regard sur les cimes saintes (3). » Ce regard , il l'abaisse par la grâce, mais il l'abaissera surtout par la gloire. Il était juste , au reste , que le fruit d'un sein aussi glorieux, le fruit d'un sein virginal, fut d'une manière spéciale le partage de ceux qui sont purs, car tous les fidèles participant généralement aux bénédictions qu'il a apportées sur la terre, il s'ensuit qu'une bénédiction toute particulière doit se répandre sur ceux qui font profession de chasteté, puisque c'est par lui que la

 

1 Is. 3. —  2 Hom. op. imp. in Matt. — 3 Sap., 3.

 

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Reine des vierges a été bénie entre toutes les créatures , ainsi que saint Bernard le dit en ces paroles : « Le fruit de votre sein est véritablement béni, car c'est en lui que sont bénies toutes les nations : vous aussi, vous avez reçu de sa plénitude la bénédiction, mais d'une façon bien plus excellente que les autres » Malheur donc aux impudiques qui n'ont aucune part à prétendre à ce fruit virginal! Malheur à ces infortunés qui ne présentent aucune tige capable de porter un fruit aussi pur! C'est pourquoi il est dit, en parlant de l'adultère, dans l'Ecclésiastique : « Ses rameaux ne produisent aucun fruit (2) » Ainsi ce fruit béni est l'héritage de ceux qui opposent la continence à la luxure; et c'est pour cela qu'il est surtout la possession de Marie, qui l'a emporté sur toutes les créatures en chasteté, selon que l'atteste saint Jean Chrysostome lorsqu'il s'écrie : « O éloge ineffable de Marie ! Joseph croyait plus à sa chasteté qu'au témoignage de ses yeux; il croyait plus à la grâce en la Vierge qu'à la nature, et il lui semblait plus facile qu'elle pût concevoir en demeurant vierge que de perdre son innocence (3). »

Et maintenant , ô très-heureuse Marie ! vous qui avez été vraiment la plus digne de ce fruit divin, parce que vous étiez la plus vertueuse entre toutes les créatures, venez-nous en aide, afin que nous puissions, par nos vertus, atteindre jusqu'à ce fruit, Jésus-Christ Notre-Seigneur , qui est votre Fils. Ainsi soit-il.

 

1 Hom. 5, sup. mis. — 2 Eccl. 25. — 3 Ubi sup.

 

LEÇON XVIII. A quels besoins est nécessaire le fruit du sein de la bienheureuse Vierge, et de douze avantages qu'il procure.

 

Le fruit de votre sein est béni. — Nous avons vu jusqu'à présent quel était ce fruit du sein de Marie, quels étaient ceux dont il était le partage : voyons maintenant à quels besoins il est nécessaire. sa nécessité se fait sentir lorsque nous voulons éviter le mal; elle se fait sentir lorsque nous voulons opérer le bien. Contre le mal , il nous offre six effets; pour le bien , il nous en présente autant. Ainsi ce fruit béni renferme donc douze effets vraiment utiles, ou douze avantages vraiment remarquables , pour lesquels tous les hommes célèbrent ses louanges, selon cette parole du Psalmiste : « Que les peuples publient vos louanges, ô mon Dieu! que tous les peuples vous louent, car la terre a produit son fruit (1). » Or, le premier effet de ce fruit, c'est l'expiation du péché mortel ; le second , la pacification d'une inimitié capitale; le troisième, la guérison de la blessure originelle; le quatrième, le soulagement de la faiblesse de l'âme; le cinquième, la soustraction à la colère du juge ; le sixième, l'éloignement de la peine de l'enfer; le septième, le mépris des biens terrestres; le huitième, l'effusion des

 

1 Ps. 66.

 

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richesses célestes sur l'âme raisonnable ; le neuvième , la consommation de la vie spirituelle; le dixième, la multiplication de l'Eglise universelle; le onzième , la réparation des ruines de la cité angélique; le douzième, la continuation de la gloire éternelle.

Et d'abord, mes bien-aimés, le fruit béni du sein de Marie est nécessaire pour l'expiation du péché mortel. C'est en ce sens qu'on peut expliquer ce passage d'Isaïe : « Tout ce fruit aura pour effet l'expiation de son péché (1). » Par ces mots tout ce fruit, nous entendons celui dont saint Bernard a dit : « C'est sur la croix que pend tout le fruit de vie, car elle est l'arbre même de vie, planté au milieu du paradis. Ainsi Jésus est donc tout ce fruit de vie. Il nous a été donné, il est né, il a souffert afin que le péché de l'homme fût expié, car, dit l'Ange en saint Matthieu : « C'est lui qui sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés (2). ». Et saint Jean, parlant de lui, nous dit aussi : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde (3). » Cet agneau, ce fruit, enlève donc, sans aucun doute , les péchés, soit mortels, soit véniels, en sorte que l'homme qui aura été purifié par son action de ses fautes mortelles et commencera à porter un fruit digne de lui, le sera encore de ses fautes vénielles , afin qu'il en produise avec plus d'abondance, selon cette parole du Seigneur : « Il taillera toute branche qui porte du fruit afin qu'elle en porte davantage (4) . »

En second lieu, ce fruit béni de Marie est nécessaire

 

1 Is., 27. — 2 Mat., 1. — 3 Joan., 1. — 4 Joan., 15.

 

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à la pacification de l'inimitié capitale qui existe entre Dieu et la créature, entre les anges et les hommes. C'est pourquoi Isaïe a dit : « J'ai produit la paix qui est le fruit de mes lèvres, la paix pour celui qui est éloigné et pour celui qui est proche (1). » Le fruit du sein de Marie peut bien être appelé le fruit de ses lèvres, puisque ce fut aussitôt qu'elles eurent produit cette réponse si suave : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole, qu'elle conçut ce fruit plein de délices. Oui ! vos lèvres sont vraiment douces comme le miel, selon cette parole des Cantiques : « Vos lèvres, ô mon épouse, sont comme un rayon d'où distille le miel (2). » C'est donc le fruit de telles lèvres, Jésus-Christ, que le Père a établi pour être la paix; la paix, dis-je, pour celui qui est éloigné par le péché, afin qu'il devienne proche par la grâce ; la paix pour celui qui est proche par la grâce de peur qu'il ne s'éloigne par le péché. « Car c'est lui, dit l'Apôtre, qui est notre paix, et qui de deux peuples opposés n'en a fait qu'un seul (3) . »

Ce fruit est devenu encore une cause de paix entre l'homme qui était éloigné dans le monde et l'Ange qui était proche dans le ciel, selon cette parole de l'Apôtre : « Il a pacifié par le sang versé sur la croix et ce qui était dans les cieux et ce qui était sur la terre (4). » Ainsi ce fruit est la paix de l'homme avec l'homme, la paix de l'homme avec l'ange, la paix de l'homme avec Dieu. Et qu'y a-t-il d'étonnant que par lui l'homme retrouve la paix avec Dieu,

 

1 Is., 57. — 2 Cant., 4. — 3 Ephes., 2. — 4 Colos., 1.

 

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puisque ce fruit pacificateur est à la fois Dieu et homme ? Notre terre , dit Bède , a donné son fruit, car la Vierge Marie, dont le corps avait la terre pour origine, a engendré un fils égal à Dieu le Père par sa divinité, et consubstantiel à elle-même par la vérité de sa chair (1).»

En troisième lieu, mes bien-aimés, ce fruit béni est nécessaire à la guérison de la blessure originelle. L'homme, en effet, lorsqu'il est tombé entre les mains des voleurs, a été atteint d'une blessure grave, ou plutôt de blessures graves , puisque, par le péché originel, il est devenu si aveugle pour la vérité, si faible pour le bien , si enclin au mal. Mais ces blessures ont trouvé leur guérison en ce fruit. Dans cette vie elles sont guéries en partie par la grâce, et dans l'autre elles le seront entièrement par la gloire. C'est pourquoi nous lisons dans l'Apocalypse que « l'Ange montra à saint Jean l'arbre de vie donnant son fruit tous les mois, et que ses feuilles sont efficaces à la guérison des nations (2). » L'arbre de vie, c'est Marie, la mère de la vie; ou bien c'est le bois de la croix; ou , si l'on veut encore, c'est l'Auteur même de la vie, Jésus-Christ, qui est le fruit de vie. Ses feuilles salutaires sont ses paroles et ses enseignements si propres à édifier. Mais si les feuilles ont tant de vertu pour guérir, que sera-ce du fruit lui-même? Si donc nous voulons trouver notre guérison en ce fruit, approchons de l'arbre qui le produit; approchons, dis-je, de Marie et écrions-nous avec saint Anselme :

 

1 Hom. in Deip. — 2 Apoc., 22.

 

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« Exaucez-moi , ô Marie! guérissez l'âme d'un pécheur qui est pourtant votre serviteur; guérissez-la par la vertu du fruit béni de votre sein, ce fruit qui est assis à la droite du Tout-Puissant son Père. »

En quatrième lieu, ce fruit est nécessaire pour relever la faiblesse ou éteindre la faim de notre âme , de peur que, par le défaut de nourriture, les créatures animées du Seigneur ne viennent à défaillir. C'est pour cela qu'il est dit par le Prophète : « Ne craignez pas, ô animaux de la campagne, car les riantes prairies du désert vont reverdir, et l'arbre va porter son fruit (1). » Ce désert qui s'anime sans culture et produit des pâturages aux animaux , peut fort bien représenter Marie qui, sans être fécondée humainement, met au monde un fils qui est la nourriture de tous les fidèles. Aussi pouvons-nous encore entendre d'elle cette parole d'Ezéchiel : « Cette terre qu'aucune main n'a cultivée est devenue un jardin de délices (2). » Les beautés de cet heureux désert, ce sont les semences précieuses des désirs célestes les herbes si ravissantes des bonnes oeuvres, les fleurs pleines d'attraits des vertus et des dons, les feuilles délectables des enseignements utiles, et par-dessus tout le fruit enivrant de son sein, qui est la nourriture de tous les justes. Marie est ce désert de beauté, elle est ce bois fécond dont il est dit : « L'arbre a donné son fruit (3). « O fruit vraiment admirable , par qui la faim et la soif des âmes sont apaisées, ainsi que l'atteste

 

1 Joel. 2. — 2 Ex., 56. — 3 Joel., 2.

 

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saint Bernard en ces mots : « C'est un bon fruit que ce fruit qui est la nourriture et le breuvage des âmes qui endurent la faim et la soif (1). » Gardez-vous donc de craindre, ô troupeau de Dieu ! fidèles de Jésus-Christ, gardez-vous de craindre de tomber d'inanition alors que vous possédez des pâturages abondants au milieu du désert, alors que l'arbre vous offre un fruit si nourrissant, et que la crèche est remplie d'un aliment si propre à vous réconforter. C'est ce qui fait dire à saint Bernard : « Aussitôt qu'il est né on le couche dans la crèche afin que tous les fidèles, devenus semblables à des animaux , puissent réparer leurs forces en se nourrissant de sa chair. » Et à saint Augustin : « O crèche brillante où se trouve la pâture des animaux en même temps que la pourriture des anges (2) ! »

Ce fruit béni de Marie est nécessaire, en cinquième lieu , pour nous soustraire à la colère de notre juge , colère que subira tout pécheur aussi certainement que le juste possesseur de ce fruit est certain de l'éviter. C'est pour cela que le Prophète s'écrie : « Puisque le juste retire du fruit de sa justice, assurément il y a un Dieu qui juge les hommes sur la terre (3). » Et par ses hommes il entend les pécheurs , ainsi que l'expose la Glose. En effet, le Seigneur les jugera sur la terre, car au jour du jugement, alors que les justes seront élevés au milieu de l'air, les réprouvés resteront enchaînés contre terre , en punition de ce qu'ils se sont tellement attachés aux objets terrestres

 

1 Hom. 5, sup. mis. — 2 Serm. 9, de Temp. — 3 Ps. 57.

 

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au mépris de Dieu, qu'ils auraient pu dire en toute vérité : « Notre ventre s'est comme collé à la terre (1); » et ce fruit alors plein de suavité pour le juste sera pour l'impie un fruit de colère. Malheur donc à ces hommes qui se font d'un fruit si délicieux la cause du plus amer des jugements! «  Vous avez, dit Amos, changé le jugement en amertume, et le fruit de justice, en absinthe (2). » Ce fruit de justice n'est autre chose que le fruit du juste, et celui-ci est le fruit de Marie, dont le Prophète a dit avec vérité : « Que la terre qui est vierge a produit un fruit juste, alors que la vérité est sortie de son sein (3). »

En sixième lieu, mes bien-aimés, ce fruit béni de Marie nous est nécessaire pour nous soustraire à la peine de l'enfer ou de la mort éternelle; et nous pouvons appliquer ici ce passage du livre des Rois : « Je vous transporterai dans une terre fertile, abondante en vin; une terre de pain, d'huile et de miel : vous y vivrez et vous ne mourrez pas (4). » C'est dans la terre de Marie ou dans la terre de l'Eglise que seront transportés ceux qui se convertiront à elle de tout leur coeur. Cette terre est véritablement fertile; elle porte le fruit du pain, du vin , de l'huile et du miel: Jésus-Christ Notre-Seigneur. Car c'est lui qui est le fruit du pain qui nous fortifie contre les défaillances; il est le fruit du vin qui nous pousse vers ce qui est parfait; le fruit de l'huile qui éclaire notre intelligence, et par-dessus tout le fruit du miel qui adoucit toute amertume en notre volonté. C'est en vous

 

1 Ps. 43. — 2 Am., 6.— 3 Ps. 66. — 4 IV. Reg., 18.

 

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nourrissant d'un tel fruit, mes frères, que vous trouverez sûrement la vie et que vous échapperez à la mort éternelle. Qu'elle soit donc bénie la terre qui nous donne un tel fruit; qu'il soit béni surtout lui-même , ce fruit qui nous soustrait à de si terribles maux , ainsi que nous enseigne à le faire saint Anselme, lorsqu'il s'écrie : « Comment témoignerai-je dignement ma reconnaissance à la Mère de mon Seigneur et de mon Dieu ? Par sa fécondité, elle m'a racheté de l'esclavage; par son enfantement , elle m'a arraché à la mort éternelle ; par le Fils de son sein , elle m'a rétabli dans ce que j'avais perdu, elle m'a ramené de l'exil de misère à la patrie. Soyez donc bénie entre toutes les femmes, car j'ai reçu tous ces biens du fruit béni de votre sein lorsqu'il m'a régénéré par le baptême. » Mais malheur à ceux qui demeurent étrangers à un tel fruit! car il est écrit : « Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu (1). »

En septième lieu, mes chers frères, le fruit béni du sein de Marie nous est nécessaire pour nous inspirer le renoncement ou le mépris des biens de ce monde. C'est pour cela qu'il est dit dans les Cantiques : « L'homme donnera pour son fruit mille pièces d'argent (2) , en abandonnant les biens temporels , ajoute l'interprète. Ou bien comme explique la Glose: par mille il faut entendre la perfection, et par l'argent tout ce qui tient au monde sans exception. Ainsi , celui-là donne mille pièces d'argent pour ce fruit,

 

1 Mat., 3. — 2 Cant., 8.

 

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qui renonce parfaitement pour Jésus-Christ à tous les biens terrestres. Et en vérité c'est avec raison que cet homme méprise de grand coeur toutes les choses de cette vie pour un tel fruit, s'il considère avec soin combien il est d'un prix inestimable, selon cette parole des Proverbes : « Mon fruit est meilleur que l'or et la pierre précieuse, et ce qui vient de moi vaut mieux que l'argent le plus pur (1). » Or, celui-là est vraiment un homme, qui ne craint pas d'agir aussi virilement. Mais, pour un tel fruit, ce ne sont pas seulement les biens et les richesses de ce monde que cet homme doit courageusement mépriser, ce sont encore les honneurs et les dignités, en s'écriant ainsi qu'il est dit au livre des Juges : « Je ne puis abandonner la douceur que je goûte et l'excellence de mes fruits pour venir m'établir au-dessus des autres arbres (2) » Les fruits de Jésus-Christ , ainsi que sa charité, sont véritablement délicieux ; les arbres des forêts , au contraire , dit la Glose, sont les hommes qui ne produisent aucun fruit et qui sont préparés pour les feux éternels. Méprisez donc, à cause de ces fruits de délices, les honneurs si dangereux qui vous élèveraient au-dessus de tels arbres, et sachez dédaigner toute chose pour ce fruit de bénédiction, qui n'est autre que le Dieu béni par-dessus tout dans tous les siècles.

En huitième lieu, ce fruit du sein de Marie est nécessaire pour enrichir ou remplir l'âme raisonnable. C'est pour cela qu'il est dit dans les Proverbes : « L'homme sera rassasié de biens par le fruit de sa

 

1 Prov., 8. — Cant., 8.

 

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bouche (1). » Or, il est juste de confesser que le Seigneur Jésus n'est pas seulement le fruit du sein, mais encore le fruit de la bouche; car c'est en l'annonçant, en le confessant, en le priant par notre bouche que nous nous rendons dignes de l'obtenir. La bouche de notre corps le reçoit aussi dans le sacrement en même temps que la bouche de notre âme le goûte spirituellement. C'est ce qui a fait dire à saint Jérôme : « La fleur de Marie est devenue un fruit afin que nous puissions nous en nourrir (2). » C'est par ce fruit de la bouche que chacun des fidèles est comblé de l'abondance des richesses spirituelles, c'est-à-dire des biens des vertus et des grâces. C'est de l'abondance de tels biens que l'Apôtre a dit : « Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans votre foi; qu'il vous fasse abonder en l'espérance et en la vertu de l'Esprit-Saint (3). » O plénitude vraiment bienheureuse d'un tel fruit qui ne remplit pas seulement le champ de la Vierge qui l'a produit , mais encore le vaisseau de chacun des fidèles qui le reçoit ! « C'est avec raison, dit saint Jérôme à ce sujet, que ce champ est appelé un champ rempli , puisque la Vierge Marie a été déclarée pleine de grâces ; que de son sein est sorti le fruit de vie pour ceux qui croient, et que tous nous avons reçu de sa plénitude une grâce plus abondante que celle que nous avions déjà (4). »

En neuvième lieu , mes bien-aimés, le fruit béni de Marie est nécessaire pour la perfection de la vie

 

1 Prov., 15. — 2 In ps. 66. — 3 Rom., 15. — 4 Epist. 10.

 

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spirituelle. C'est pour cela qu'il est fort bien dit dans le psaume, en parlant de l'homme parfait : « Il sera comme un arbre planté proche le courant des eaux, qui donnera son fruit en son temps. Et sa feuille ne tombera point; et toutes les choses qu'il fera auront un heureux succès (1). » Que devons-nous entendre par le courant des eaux, si ce n'est l'effusion des grâces à l'aide desquelles l'homme donne ou produit son fruit, qui est le Seigneur Jésus? Or, nous trouvons indiquées ici trois conditions de la vie parfaite, et elles accompagnent toujours l'homme qui veut produire un tel fruit. Ceux qui veulent être parfaits ne doivent point abuser du temps qui est en leur pouvoir, et c'est pour cela qu'il est dit : « Il donnera son fruit en son temps. » Ils ne doivent point se répandre en paroles inutiles, et c'est ce que marque le psaume en ces mots : « Sa feuille ne tombera point. » Enfin ils ne doivent rien omettre de ce qui est avantageux à l'esprit, ce qui fait que le Prophète ajoute : « Et toutes les choses qu'il fera auront un heureux succès. » Assurément rien ne saurait avoir un mauvais succès pour celui qui portera ce fruit par la charité, puisque tout doit tourner à son avantage, ainsi qu'il est écrit: « Nous savons que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu (2). » Heureux donc l'homme qui porte si parfaitement ce fruit qu'il n'a point à redouter que son temps s'écoule sans profit, que sa bouche enfante aucune parole inutile, que ses bonnes oeuvres s'en aillent comme en fumée pour lui , et qui peut être

 

1 Ps. 1. — 2 Rom., 8.

 

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ainsi spirituellement un arbre chargé de fruits, de même que Marie le fut corporellement, selon cette parole de saint Bernard : « O véritable arbre de vie qui seul a été digne de porter le fruit du salut! »

Ce fruit de Marie est aussi nécessaire à la multiplication de l'Eglise universelle. C'est pour cela qu'il est dit : « Il a planté une vigne du fruit de ses mains (1).» Nous avons vu le Seigneur appelé le fruit du sein parce qu'il a été conçu dans le sein de Marie; le fruit de la bouche parce qu'il est reçu par la bouche : pourquoi ne serait-il pas appelé également le fruit des mains , puisqu'on l'acquiert par le travail des bonnes oeuvres, puisqu'il est donné par la main des prêtres? Nous pouvons conclure de là qu'il est vraiment dans toute sa plénitude le fruit de Marie. Il l'est de son sein pour y avoir pris naissance d'une façon toute miraculeuse; il l'est de sa bouche pour s'être uni à elle par des embrassements pleins de douceur; il l'est de ses mains pour avoir été bercé pieusement contre son coeur. C'est de ce fruit de ses mains que Marie ou la primitive Eglise , comme l'entend la Glose, a planté une vigne, c'est-à-dire l'Eglise universelle, répandue par toute la terre. Oh ! comme les tiges de cette vigne, je veux dire les fidèles , se sont multipliées sous l'influence de ce fruit lorsque les chefs de l'Eglise se sont efforcés de le faire naître spirituellement dans leurs coeurs ! C'est ce qui fait dire au Prophète : « Ils ont produit des fruits abondants; Dieu les a bénis, et ils se sont multipliés extraordinairement (2). » Et comme

 

1 Ps. 3. — 2 Ps. 106.

 

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l'Eglise sous cette influence divine a pris sou accroissement de toutes les générations, c'est pour cela que toutes les générations ont déclaré bienheureuse la Vierge qui a donné au monde un tel fruit, ainsi qu'elle le déclare elle même dans son cantique. Aussi saint Bernard , expliquant ces paroles, introduit Marie elle-même et la fait s'exprimer ainsi : « Je vois de mes yeux ce qui va arriver en moi, quel fruit va sortir de moi , quels biens magnifiques vont, par mon entremise , se répandre non-seulement sur moi, mais encore sur toutes les générations à venir.»

Ce fruit béni est encore nécessaire pour réparer les ruines qui se sont faites dans les cieux. Nous pouvons à ce sujet remarquer que Dieu, voulant planter de la moëlle du cèdre, a dit par Ezéchiel : « Je la planterai sur la haute montagne d'Israël; elle poussera un rejeton, et elle portera du fruit (1). » Or, cette montagne élevée n'est autre chose que la suprême demeure, la céleste société des anges, et l'on peut bien l'appeler la montagne d'Israël, car Israël signifie vision de Dieu; et le Seigneur nous dit lui-même dans son Evangile : « Leurs anges voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux (2). » C'est donc sur cette montagne élevée, dans cette sublime société des anges que Dieu a planté ce qu'il a choisi de la masse de perdition; qu'il a planté, dis-je, la moëlle du cèdre, la moëlle du genre humain, c'est-à-dire tous les élus , dont les uns en réalité, les autres en espérance ont pris place sur la montagne angélique.

 

1 Ezech., 7. — 2 Mat., 18.

 

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O fruit vraiment aimable par-dessus tout ! Cest par lui que chacun des élus a été planté dans un lieu si élevé. C'est donc avec bonheur que nous pouvons porter ce fruit , Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui déjà en espérance nous prenons rang parmi les anges; que nous pouvons lui rendre grâces, puisque par sa miséricorde nous sommes destinés à compléter le nombre des esprits célestes. C'est donc avec justice que Marie, la mère d'un tel fruit, peut se glorifier et s'écrier en se servant des paroles que saint Bernard lui met dans la bouche : « Le nombre des générations angéliques sera rétabli en son intégrité par celui que j'ai mis au monde ; la race des hommes maudite en Adam , sera , par le fruit béni de mon sein, régénérée pour la béatitude éternelle. »

Enfin, en dernier lieu, le fruit béni de Marie est nécessaire pour perpétuer la gloire éternelle, qui ne saurait durer toujours si elle n'était entretenue par lui. C'est pour cela qu'il est dit dans les Proverbes : « Le fruit du juste, c'est l'arbre de vie (1). » C'est avec une grande raison que ce fruit est appelé l'arbre de vie , car, de même que l'arbre ainsi nommé avait été placé dans le paradis terrestre pour conserver la vie naturelle, Jésus-Christ a été placé dans les cieux pour entretenir la vie éternelle. C'est donc par lui que nous obtenons des biens si considérables, ainsi que nous le dit saint Anselme en ces paroles : « Tous ces biens innombrables nous sont venus par le fruit béni du sein glorieux de Marie. »

 

1 Prov., 11.

 

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Ainsi , nies bien-aimés, vous le voyez , ce fruit de Marie nous est véritablement nécessaire. Nous en avons besoin pour expier le péché mortel , pour éteindre l'immense inimitié qui pesait sur nous; pour guérir la blessure originelle, pour relever la faiblesse de notre âme , pour nous soustraire à la colère de notre juge, pour éloigner de nous la peine de l'enfer, pour nous inspirer le mépris des biens du monde, pour enrichir notre âme des dons célestes , pour accomplir en nous la consommation de la vie spirituelle, pour la multiplication de l'Eglise universelle , pour la réparation des ruines de la cité céleste, et enfin pour perpétuer l'éternité de la gloire. Tels sont les douze effets ou les douze avantages de ce fruit. Ils peuvent être désignés par les douze fruits de l'arbre de vie , que nous trouvons tous réunis dans le fruit du sein de Marie. C'est de ces fruits que nous lisons dans l'Apocalypse : « Que l'ange montra à saint Jean l'arbre de vie produisant douze fruits. »

O Vierge féconde ! secourez-nous, afin que par le fruit de votre sein nous devenions nous- mêmes chargés de ces fruits, et que par eux nous soyons dignes de goûter éternellement celui que vous nous avez donné. Secourez-nous, ô vous qui êtes pleine de douceur ! afin qu'il nous accorde de jouir de sa suavité, ce fruit béni de votre sein dont la libéralité aime tant à se communiquer, lui qui est Dieu et qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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