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DE LA PERFECTION DE LA VIE.
CHAPITRE PREMIER. Comment l'homme parvient à la connaissance de soi-même.
CHAPITRE II. De l'humilité , et par quels degrés on y arrive.
CHAPITRE III. De la pauvreté religieuse.
CHAPITRE IV. Du silence et de sa nécessité pour tous les religieux.
CHAPITRE V. De l'application a l'oraison, et comment il faut prier Dieu.
CHAPITRE VI. Un souvenir de la Passion de Jésus-Christ.
CHAPITRE VII. Du parfait amour de Dieu.
CHAPITRE VIII. De la persévérance finale.
PROLOGUE.
Bienheureux l'homme que vous avez vous-même instruit, Seigneur, et à qui vous avez enseigné votre loi (1). Je ne regarde personne comme sage, je l'avoue, si ce n'est seulement l'homme éclairé par l'onction de l'Esprit-Saint. Le prophète David, en effet, déclare seul vraiment heureux et par là nième seul véritablement doué de sagesse celui que le Seigneur a instruit. La loi seule du Seigneur est immaculée, seule elle est irrépréhensible , seule elle conduit les âmes au salut. Mais on ne doit pas en chercher la science uniquement au dehors et dans la lettre ; il faut la demander encore aux saintes affections d'une âme dévote. Il faut désirer la vertu et l'esprit de cette loi , si nous voulons l'apprendre intérieurement de celui qui sait changer sa sévérité extérieure en une suavité toute intérieure. La loi du Seigneur nous enseigne ce que nous devons faire, éviter, croire , demander , désirer et craindre. Elle nous apprend à nous conserver innocents et à l'abri de tout reproche, à être fidèles aux engagements contractés vis-à-vis du Seigneur et à
1 Ps. 93.
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pleurer les fautes dont nous sommes coupables. à mépriser les choses du monde et à fouler aux pieds celles de la chair, à tourner enfin tout notre coeur, toute notre âme , tout notre esprit vers Jésus-Christ seul. Comparée à cette loi , toute la sagesse du monde est folle et insensée. Qu'on appelle de quel nom l'on voudra , dit saint Bernard , l'homme qui n'a pas la crainte du Seigneur et ignore son amour; pour moi , je ne lui donnerai pas le nom de sage. Celui-là est vraiment sage et heureux , qui n'écoute pas cette loi pour l'oublier aussitôt , mais pour la mettre avec zèle en pratique. Bienheureux donc, Seigneur, l'homme que vous avez vous-même instruit et à qui vous avez enseigné votre loi. Vous m'avez demandé , ô ma bien-aimée et vénérable soeur, vous qui êtes consacrée à Dieu , vous m'avez demandé de tirer de la misère extrême de mon coeur et d'écrire quelques enseignements dont vous puissiez vous aider selon le temps pour exciter en votre âme la ferveur de la dévotion. Ma pauvreté, je le confesse, réclamerait plutôt un pareil service , car je reconnais surtout combien ma vie est indigne de considération au dehors , combien la ferveur est faible en moi , combien ma science est insuffisante à une telle entreprise. Cependant je me sens entraîné par l'ardeur de vos pieux désirs et l'humilité de vos supplications. Je prie donc votre béatitude, ô ma très-sainte soeur, de considérer la bonne volonté de mon intention et non la perfection de mon travail. la vérité de lues paroles et non l'élégance du style.
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Je la prie , en ce moment où je cherche à satisfaire à ses demandes, de regarder avec une indulgence pleine de bénignité et de me pardonner la brièveté de cet écrit : mes occupations en sont la cause. Afin que vous puissiez trouver plus aisément ce que vous cherchez, j'ai mis un titre au commencement de chaque chapitre. Je traiterai donc de la vraie connaissance de soi-même , de l'humilité, de la parfaite pauvreté , du silence, de l'application à l'oraison, du souvenir de la Passion de Jésus-Christ et du parfait amour de Dieu.
CHAPITRE PREMIER. Comment l'homme parvient à la connaissance de soi-même.
L'épouse de Jésus-Christ, éprise du désir d'atteindre au sommet de la perfection, doit commencer par elle-même , oublier tous les objets extérieurs , entrer dans le secret de sa conscience , et là , sonder ses défauts , ses habitudes, ses affections , ses actes, ses péchés présents et passés, les examiner et les considérer avec un soin diligent. Si elle découvre en elle la faute la plus légère , qu'elle la pleure aussitôt dans l'amertume de son coeur. Pour vous aider à arriver plus intimement à cette connaissance, souvenez-vous, nia soeur bien-aimée , que toutes nos fautes et nos maux ont leur principe dans notre négligence , notre
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concupiscence et notre perversité. Votre pensée doit s'arrêter à ces trois choses en toutes vos actions autrement vous ne parviendrez jamais à vous connaître parfaitement. Si donc vous avez réellement le désir d'avoir cette connaissance de vous-même, considérez les péchés dont vous vous êtes rendue coupable , et déplorez-les avec la douleur la plus vive. Examinez s'il n'y a aucune négligence en vous , s'il n'y en a pas eu par le passé. Voyez comment vous gardez votre coeur, si vous avez employé votre temps avec humilité , si dans vos actions vous ne vous êtes proposé aucune fin mauvaise. Il faut apporter une attention souveraine à ces trois choses : la garde du coeur, l'utile emploi du temps, et en toute oeuvre une fin bonne et convenable. Ensuite n'avez-vous eu aucune négligence en Nos prières, en vos lectures et en vos diverses occupations ? Vous devez vous exercer et vous perfectionner avec une diligence sans bornes en ces trois choses si vous voulez produire des fruits de salut et les recueillir dans le temps : une de ces trois choses est insuffisante sans le concours des autres. Avez-vous été fidèle à vous repentir, à résister aux tentations, à avancer dans le bien? Vous devez vous attrister profondément des fautes commises, repousser les efforts du démon et marcher de vertu en vertu , si vous voulez arriver à la terre promise. C'est ainsi qu'il faut vous exercer à connaître votre propre négligence. Mais pour avoir une connaissance plus intime de vous-même, vous devez en second lieu considérer si
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en vous a vécu ou vit encore la triple concupiscence : la concupiscence de volupté. de curiosité et de vanité. La première de ces concupiscences subsiste sans le moindre doute dans l'homme religieux quand il soupire après des mets savoureux, des vêtements luxueux et les délices de la chair. La concupiscence de curiosité est encore dans toute sa force en la servante de Dieu quand elle désire connaître ce qui lui est caché , voir des choses magnifiques , posséder des objets rares. L'épouse de Jésus-Christ est certainement en proie à la concupiscence de vanité quand elle ambitionne les Faveurs des hommes, les louanges de la terre, les honneurs mondains. Une vraie servante du Seigneur doit fuir de telles choses comme un poison : elles sont la source de tout mal. Si vous voulez maintenant que cette connaissance de vous-même soit certaine et parfaite , pensez encore avec un soin extrême si en vous il n'y a ni colère , ni envie, ni paresse. Apportez , je vous en prie, une vive attention à mes paroles. L'homme est véritablement l'esclave de la colère quand en son esprit, en sou coeur, en ses affections , il éprouve la plus faible indignation , quand il la laisse paraître par des signes , l'altération de ses traits , des paroles ou des cris , et qu'il témoigne ainsi à son prochain l'irritation de son coeur. Il est soumis à l'envie quand il se réjouit du mal des autres et s'attriste de leur bonheur, quand les infortunes de ses frères le pénètrent d'allégresse et que leur bien le fait sécher de dépit. Il est sous l'empire de la paresse quand il est tiède , enclin au
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sommeil, oisif, lent à se rendre au choeur, négligent dans la psalmodie , peu empressé à secouer sa langueur, sans réserve dans les conversations , sans dévotion à la messe, triste en tout son extérieur et ennuyé de sa cellule. Vous devez , ô épouse de Jésus-Christ. , avoir ces choses en horreur comme propres à vous donner la mort : elles sont la ruine du corps et de l'âme. Si donc, ô servante amiable à mou Dieu , vous voulez vous connaître parfaitement et ne rien ignorer de ce qui vous concerne, revenez à vous-même, descendez jusque dans les profondeurs de votre coeur et apprenez à sonder entièrement votre esprit. Examinez ce que vous êtes , ce que vous avez été. ce que vous avez dû être, ce que vous pouvez devenir. Examinez, dis-je, ce que vous avez été par la nature, ce que vous êtes par votre péché , ce que vous pouvez devenir par la grâce. Ecoutez encore, ô ma soeur, écoutez le prophète David, et considérez comme il s'offre à vous en exemple : Je méditais durant la nuit au fond de mon coeur, dit-il, je mentretenais en moi-même et je sondais mon esprit (1). Il méditait en son coeur; méditez , vous aussi , en votre coeur. Il sondait son esprit; sondez aussi le vôtre, fouillez entièrement ce champ. Tenez vos regards abaissés sur vous-même , et en persévérant en cet examen , vous trouverez , n'en doutez pas , un trésor nouveau , un trésor caché et précieux. En un pareil exercice on voit l'abondance de l'or s'accroître , la science étendre
1 Ps. 76.
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ses découvertes, et la sagesse aller en grandissant. L'ail du cur y devient plus pur, l'esprit plus pénétrant et la diligence plus universelle. Celui-là ne peut rien estimer à sa juste valeur, qui s'ignore soi-même et ne sait point apprécier la grandeur de sa dignité. Il est dans une ignorance entière, il est impuissant, à juger sainement de l'être spirituel , de l'être angélique, de l'être divin , celui qui n'a pas arrêté d'abord sa pensée sur son propre esprit. En effet, si vous n'êtes point capable de revenir à vous-même , si vous n'êtes point digne d'entrer dans la partie antérieure du tabernacle, de quel front oseriez-vous pénétrer dans le saint des saints? Si vous voulez vous élever jusqu'au second , jusqu'au troisième ciel , passez par le premier, par votre coeur; ce qui précède vous a enseigné à parcourir cette voie. Cependant écoutez de quelle manière excellente saint Bernard vous apprend à diriger vos pas: «Soyez, dit-il à l'homme, soyez un explorateur curieux de l'état de votre âme ; soumettez votre vie à un examen assidu ; pensez avec soin combien vous avez acquis, combien vous avez perdu ; ce que vous êtes eu vos moeurs, ce que vous êtes en vos affections; combien vous êtes semblable à Dieu, combien vous lui ressemblez peu, combien vous êtes proche de lui, combien vous en êtes éloigné. Oh ! quel péril immense pour un religieux de vouloir connaître une multitude de choses et de s'ignorer soi-même! Oh! combien il est proche de sa ruine et de la mort , le religieux ardent à tout
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savoir, empressé à juger les consciences des autres , et n'ayant pas de lui-même la connaissance la plus légère ! O mon Dieu , d'où vient un tel aveugle- ment en un tel homme? La raison en est facile : une âme distraite par une foule de sollicitudes n'entre pas en elle-même par sa mémoire; une âme environnée des ténèbres de vains fantômes ne revient pas à soi par son intelligence; une âme devenue le jouet de ses concupiscences coupables ne va plus chercher en soi les douceurs des délices intérieures , ni les joies de l'esprit ; elle est plongée tout entière dans les choses sensibles et incapable de pénétrer en elle-même comme en l'image de Dieu; ainsi elle s'ignore entièrement , l'infortunée! elle ne se connaît pas (1).» Laissez donc tout le reste de côté pour vous souvenir de vous, pour arriver à la connaissance de vous-même. Le même saint Bernard adressait à Dieu cette prière : « Que le Seigneur m'accorde de ne rien faire , de ne rien savoir, si ce n'est de me connaître moi-même. »
CHAPITRE II. De l'humilité , et par quels degrés on y arrive.
Celui qui veut tenir le regard de son coeur abaissé sur ses propres défauts, doit s'humilier nécessairement et en toute vérité sous la main puissante de
1 Medit., c. 5.
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Dieu. Je vous exhorte donc, ô servante de Jésus-Christ , après avoir acquis la connaissance de vos défauts, je vous exhorte à tenir votre esprit dans lin abaissement profond et à vous regarder comme une créature méprisable. L'humilité , dit saint Bernard , est une vertu par laquelle l'homme se connaissant véritablement lui-même, devient vil à ses propres yeux (1). Notre père saint
Si donc, ô ma soeur bien-aimée, vous voulez parvenir à la perfection de l'humilité , vous devez vous
1 De grad. hum. 2 Mat., 11. 3 Eccl., 19.
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y acheminer par une triple voie. La première , c'est la considération de Dieu. Il vous faut le regarder comme l'auteur de tout bien et lui dire : C'est vous, Seigneur, qui avez fait en nous toutes nos oeuvres (1). Ainsi vous lui renverrez tout le bien qui est en vous , et vous ne vous l'attribuerez pas à vous-même. Votre puissance et la force de vos mains n'ont pu produire un tel bien, car c'est le Seigneur qui nous a faits et non nous-mêmes. Une semblable pensée renverse tout l'orgueil de ceux qui s'écrient : Ce n'est point le Seigneur, mais notre main puissante qui a fait toutes ces choses (2). Cet orgueil a chassé Lucifer de la gloire ; il ne se considérait pas comme tiré du néant , mais il contemplait sa splendeur , sa beauté , les pierres étincelantes dont son vêtement était couvert; son coeur s'éleva , et comme l'humiliation suit de près l'orgueil , il fut jeté aussitôt du siége de sa gloire dans les profondeurs d'un abaissement extrême; après avoir été le plus excellent parmi les anges , il devint le plus misérable entre les démons. Oh !combien de Lucifers aujourd'hui , combien d'imitateurs de Satan, combien d'enfants d'orgueil supportés avec patience pal le Seigneur ! Mais ce défaut , dit saint Bernard , est plus intolérable dans le riche que dans le pauvre. La servante de Jésus-Christ doit clone en tout temps apparaître bien humble : elle doit posséder dans les cieux la place de l'homme déchu. Or, dans l'homme comme dans l'ange, l'humilité seule est agréable aux yeux de Dieu. La virginité elle-même , croyons-le , ne
1 Is., 29. 2 Deut., 32.
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saurait lui plaire salis l'humilité , et la vierge Marie n'eût point été choisie pour être la Mère du Seigneur si elle eût été orgueilleuse. « Sans l'humilité, s'écrie saint Bernard, Marie n'eût point trouvé grâce devant Dieu , je ne crains pas de le dire (1). » Elle est donc une grande vertu, cette vertu sans laquelle toute autre cesse d'en être une et se change en orgueil. La seconde voie est le souvenir de Jésus-Christ. Vous devez vous rappeler que le Seigneur a été humilié jusqu'à souffrir le genre de mort le plus honteux , il a été humilié jusqu'à être regardé comme un lépreux. De là cette parole d'Isaïe : Nous l'avons considéré cantine un lépreux, cantine un homme frappé de Dieu et humilié (2). Ou plutôt il s'est abaissé jusqu'à être considéré compte l'être le plus vil de son temps. Le jugement a été éloigné de lui dans son humilité, dit l'Ecriture ; ou autrement: son humilité a été telle, il s'est tellement abaissé qu'on ne l'a plus jugé selon la vérité et qu'aucun ne l'a cru Fils de Dieu. Si donc Notre-Seigneur et Maître a été regardé comme si vil et si méprisable , si le serviteur n'est pas plus grand que le Seigneur, ni le disciple au-dessus du Maître , si vous êtes la servante de Jésus-Christ , si vous êtes sa disciple , vous devez être humble , vous devez être environnée de mépris. Oh! combien est abominable l'homme consacré à Dieu qui se couvre d'un habit d'humilité et conserve un coeur superbe. Combien inutile est ce chrétien qui voit son Seigneur dans l'humiliation et l'abjection et s'enfle d'orgueil, marche
1 Hom. 2 , sup. missus est. Is., 53.
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d'une manière pompeuse et au-dessus de sa condition ! Peut-on trouver quelque chose de plus détestable dans une épouse de Jésus-Christ? Peut-on rencontrer un crime plus digne de punition en la servante du Sauveur? Le Dieu suprême est descendu au dernier degré de l'abaissement, le Dieu immense s'est fait petit, et l'homme, une vile poussière, un ver misérable, entreprend de s'exalter ! A la vue de tels excès, saint Augustin s'écrie : O enveloppe de cadavre , pourquoi chercher à t'étendre? Boue fétide, pourquoi t'enfler ainsi ? Quoi ! un chef humilié et un membre superbe! La troisième voie que vous devez parcourir si vous désirez arriver à une humilité parfaite, c'est votre propre considération. Vous vous considérez vous-même, ma soeur bien-aimée, lorsque vous pensez d'où vous venez et où vous allez. Remarquez donc d'où vous venez : vous êtes sortie de la niasse de perdition , vous avez été formée de poussière et du limon de la terre, vous êtes restée dans le péché et l'on vous a chassé de la béatitude du paradis. Une pareille considération est propre à éloigner et à faire disparaître de votre coeur l'esprit d'orgueil et à vous porter à crier avec les trois enfants de la fournaise :Vous sommes humiliés aujourd'hui dans toute la terre à cause de nos crimes (1). Pensez ensuite où vous allez ; c'est à la corruption , à la poussière du tombeau : Vous êtes poussière et vous retournerez en poussière (2). Pourquoi vous enorgueillir.
1 Dan., 3. 2 Gen., 3.
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ô terre et poussière? Vous êtes aujourd'hui, et demain volis ne serez plus. Aujourd'hui votre santé est florissante , et demain peut-être vous serez en proie à la maladie. Aujourd'hui on admire votre sagesse , et demain vous serez peut-être un insensé. Aujourd'hui vous êtes riche en vertus , et demain peut-être vous serez un pauvre et un misérable. Quel chrétien osera donc s'exalter, en se voyant environné de tant de misères et de calamités ? Apprenez , ô saintes vierges , apprenez à être humbles en votre esprit, humbles en votre démarche, humbles en vos vêtements : l'humilité seule apaise la colère divine , seule elle trouve grâce aux yeux du Seigneur. Plus vous êtes grand, dit l'Écriture, et plus vous devez vous humilier en toutes choses, et vous trouverez grâce devant Dieu (1). Ainsi Marie a trouvé grâce ; elle l'atteste elle- même quand elle dit : Il a regardé l'humilité de sa servante (2). Et en cela rien d'étonnant : lhumilité prépare un lieu à la charité , elle débarrasse l'âme de la vanité. C'est pourquoi saint Augustin s'écrie : Plus nous sommes vides de l'enflure de l'orgueil , plus nous sommes remplis d'amour. L'eau prend son cours vers les vallées , et l'Esprit-Saint vers les coeurs l'inutiles; plus la pente est rapide, plus l'eau coule avec force ; ainsi l'homme qui s'humilie de tout son coeur, s'approche davantage de Dieu et obtient sa grâce. Voilà pourquoi il est écrit : La prière de celui qui s'humilie traverse les nuées. Il, ne se consolera point qu'elle n'ait été jusqu'à
1 Eccles., 3. 2 Luc., 1.
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Dieu, car le Seigneur fera la volonté de ceux qui le craignent, et il exaucera leur prière (1). Soyez donc, ô vous qui êtes consacrées à Dieu , soyez les humble servantes de Jésus-Christ. Ne permettez jamais à l'orgueil d'avoir accès en vos coeurs, parce que vous avez un Maître plein d'humilité, vous avez pour maître Jésus-Christ Notre-Seigneur. Soyez humbles , parce que vous avez une souveraine vraiment humble , la vierge Marie, la Reine de tous les hommes. Soyez humbles, parce que vous avez un père humble, le bienheureux
1 Eccl., 55. 2 Ps. 144. 3 Eccli., 2.
à l'école de l'humilité et deviennent plus insolents sous les ailes d'un maître doux et humble , plus impatients dans le cloître qu'ils n'eussent été dans le siècle. Mais ce qui est pire encore, plusieurs dans la maison du Seigneur ne peuvent souffrir d'être peu considérés , et dans leur propre demeure ils fussent restés plongés dans le mépris (1). » Je vous conseille donc , ô ma soeur bien-aimée, je conseille à toutes les vierges consacrées à Dieu de garder la virginité unie à l'humilité et l'humilité unie à la virginité. « C'est un beau mélange, dit encore saint Bernard , que celui de la virginité avec l'humilité. Elle ne plaît pas médiocrement au Seigneur, l'âme où l'humilité exalte la virginité et où la virginité sert d'ornement à l'humilité (2). » Écoutez enfin le conseil de votre frère , écoutez , ô nia soeur, et il sera agréable à vos yeux : Fuyez comme des vipères les servantes de Dieu en proie à l'orgueil : fuyez comme des démons les vierges superbes; ayez en horreur, comme on a en horreur un poison mortel, la société des orgueilleux. Et pourquoi? le voici : Un vertueux personnage nous fait de l'homme livré à l'orgueil le tableau suivant : « L'orgueilleux est intolérable; il est superflu en ses habits et prétentieux en sa démarche ; il s'avance le front élevé, l'air menaçant, le regard farouche: il dispute la préséance et cherche à l'emporter sur ceux qui lui sont supérieurs; il vante ses pensées , ses paroles , ses actions; il oublie tout respect dans l'accomplissement
1 Hom., 4, sup. missus est. Id., id.
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des emplois dont il est chargé. » Ainsi, ô épouse de Jésus-Christ , vierge du Seigneur, vous devez fuir la société des orgueilleux , de peur que vous ne deveniez semblables à eux ; car le Sage a dit : Celui qui se joint au superbe, deviendra superbe (1).
CHAPITRE III. De la pauvreté religieuse.
La pauvreté est aussi une vertu nécessaire à l'intégrité de la perfection , et nul , sans elle , ne saurait être véritablement parfait, comme le Seigneur nous l'atteste quand il dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (2). Puisque la somme de la perfection évangélique consiste en l'excellence de la pauvreté , qu'il ne s'imagine donc pas en avoir atteint les hauteurs celui qui n'est pas encore devenu un imitateur parfait de la pauvreté enseignée par l'Evangile. « Quelque perfection que vous puissiez trouver dans les religieux, dit Hugues de Saint-Victor, ne la considérez pas comme entière si elle ne renferme l'amour de la pauvreté. » Or, deux choses doivent exciter tout religieux à cet autour de la pauvreté : l'exemple de notre Maître , il est irrépréhensible; et la promesse du Seigneur, elle est inestimable. Je dis donc d'abord que la servante
1 Eccli., 13. 2 Mat., 19.
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de Jésus-Christ doit se sentir portée à aimer la pauvreté par l'amour de son Sauveur. Eu effet , il fut. pauvre en sa naissance, pauvre en sa vie, pauvre en sa mort. Considérez quel exemple de pauvreté il vous a laissé afin de vous exciter à devenir une amie de cette vertu. Il fut si pauvre qu'il n'eut en propre ni maison , ni vêtement, ni aliments; mais sa demeure fut une étable, son vêtement de misérables langes, sa nourriture le lait de la Vierge. L'Apôtre , considérant une semblable pauvreté , s'écrie : Vous savez quelle a été la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ : étant riche il s'est rendu pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté (1). Saint Bernard ajoute : « L'abondance éternelle de tous les biens régnait dans les cieux; mais on n'y trouvait point la pauvreté. Cependant elle abondait , elle surabondait en ce monde , et l'homme n'en connaissait pas la valeur. Le Fils de Dieu s'est donc épris de son amour ; il est descendu pour la choisir en partage et nous la rendre précieuse en l'estimant à un si haut prix. » Le Seigneur nous a donné l'exemple de la pauvreté en demeurant dans le monde. Ecoutez , ô Vierge bienheureuse , écoutez , vous tous qui faites profession de la pauvreté , combien pauvre fut le Fils de Dieu , le Roi des anges , durant les jours de sa vie mortelle. Sa détresse fut telle que quelquefois même il ne put trouver un lieu pour se réfugier et qu'il dut sortir de la ville avec ses disciples et aller dans les villages pour y
1 II Cor., 4.
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passer la nuit. Ainsi saint Marc nous dit (1): Après avoir tout considéré, comme il était déjà tard, il s'en alla à Béthanie avec les douze apôtres. Sur quoi la Glose ajoute : Il considéra si quelqu'un lui offrirait un lieu pour se retirer, car sa pauvreté était extrême; mais ses paroles étaient si loin de toute adulation, que dans cette grande ville il ne rencontra personne qui voulut le recevoir. Aussi a-t-il dit lui-même : Les renards ont leurs lanières et les oiseaux du ciel leurs nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête (2). Et non-seulement le Seigneur a été pauvre en sa naissance et en sa vie, mais encore, afin de nous embraser d'amour pour la pauvreté, il a été pauvre à l'excès en sa mort. O vous tous qui avez fait voeu de pauvreté, considérez et voyez quelle fut celle à laquelle s'est condamné à cause de nous, au temps de sa mort, ce Roi puissant des anges et des cieux. Il a été dépouillé de ses vêtements; ses ennemis se les partagèrent et tirèrent sa robe au sort. Il a été dépouillé de son corps et de son âme quand celle-ci fut chassée du corps au milieu des angoisses cruelles de la Passion. Il a été dépouillé de la gloire divine quand, loin de le glorifier comme Dieu, on le traita comme un objet de malédiction. Ils m'ont dépouillé de ma gloire, dit Job (3). Saint Bernard parle ainsi des exemples de cette étonnante pauvreté (4) : Contemplez Jésus-Christ pauvre : il naît sans une maison pour s'abriter , il est couché dans la crèche entre un boeuf et un âne, il est enveloppé de vils langes.
1 Marc., 11. 2 Mat., 8. 3 Job., 19. Serm. 3, de Resur.
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obligé de fuir en Egypte , il fait son entrée à Jérusalem monté sur uu âne , il est suspendu à la croix dépouillé de ses vêtements. Quel chrétien en proie à la misère, quel religieux devenu un objet de mépris pourra aimer les richesses, avoir la pauvreté en horreur, en voyant le Dieu des dieux, le Maître du monde, le Roi du ciel , le Fils unique de Dieu plongé dans une misère aussi étrange? « C'est en vérité un grand abus, dit encore saint Bernard, un abus qui passe toute limite, de voir un ver de terre soupirer après les richesses, quand pour lui le Dieu de majesté , le Seigneur des armées a embrassé la pauvreté (1). » Que le païen cherche ces richesses, je le comprends : il n'a point de Dieu; que le juif les poursuive : il a reçu des promesses terrestres. Mais vous, vierge de Jésus-Christ, servante du Seigneur, de quel front vous laisseriez-vous aller à de pareils désirs? Vous avez fait voeu de pauvreté, vous vivez parmi les pauvres du Seigneur, vous voulez être la fille d'un père pauvre, de saint
1 Serm. 3, de Resur.
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pour nous! Et cependant, nuis soeurs , plus vous aimerez avec ferveur la pauvreté que vous avez embrassée et plus vous serez les imitatrices de la pauvreté évangélique, plus, j'en suis assuré, vous serez dans l'abondance des biens temporels et spirituels. Si, au contraire, vous méprisez cette pauvreté , vous serez en proie à toutes les privations du corps et de l'esprit. La Mère pauvre de Jésus pauvre, Marie, nous a dit : Il a rempli de biens les hommes affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches (1). David, le prophète très-saint, nous dit également : Les riches ont été dans la gène et ils ont eu faim; mais ceux qui cherchent le Seigneur ne manqueront d'aucun bien (2). D'ailleurs n'avez-vous pas lu, n'avez-vous pas entendu le Seigneur Jésus lui-même crier à ses apôtres dans l'Evangile : Gardez-vous d'être inquiets en disant : Que mangerons-nous? que boirons-nous? Votre Père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces choses (3). Ecoutez encore le même Seigneur dire à ses apôtres : Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose? Ils répondirent : De rien (4). Si parmi les Juifs barbares et cruels , le Sauveur a nourri ses disciples , et les a soustraits à toute sollicitude, qu'y a-t-il d'étonnant qu'il nourrisse parmi les peuples chrétiens et fidèles les frères mineurs et les pauvres soeurs appliquées à pratiquer l'abnégation évangélique ? Jetez donc toutes vos peines et toutes vos inquiétudes dans son sein, parce qu'il a soin de vous.
1 Luc., 1. 2 Ps. 35. 3 Mat., 6. 4. Luc., 22.
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Mais puisque Dieu , notre Père, déploie à notre égard une sollicitude aussi tendre, puisqu'il apporte une attention aussi vive à tout ce qui nous concerne, je ne saurais, en vérité, m'étonner assez de voir quel empressement inquiet et plein d'ardeur nous mettons à poursuivre des objets d'un grand prix et pourtant passagers. La vraie raison , si je ne me trompe , la voici : Nos affections se sont éloignées de Dieu, notre Salut; la ferveur de la divine charité s'est refroidie en nous, elle s'est glacée. Sans aucun doute, nous aimerions à suivre dans la nudité Jésus dépouillé de tout si nous étions bien fervents. Les hommes accablés par la chaleur ont coutume de rejeter leurs vêtements et de s'en débarrasser. C'est donc un signe de grande froideur de s'environner ainsi de l'attirail des choses temporelles. O mon Dieu! comment pouvons-nous être aussi durs envers Jésus-Christ? Il est sorti de sa patrie, il est descendu des cieux ; il est sorti de sa famille, de la société des anges; il est sorti de la maison paternelle, du sein de son Père, et, pour nous il est devenu pauvre, il s'est plongé dans l'abjection, il s'est chargé de mépris, et pour lui nous ne voulons pas abandonner ce monde misérable et corrompu! Sans doute nous y renonçons de corps; mais, hélas! tout notre coeur, toute notre âme, tout notre désir en est rempli et absorbé. O bienheureuse servante de Dieu, rappelez-vous la pauvreté de Jésus-Christ Notre-Seigneur , gravez en votre cour la pauvreté de votre pauvre père, saint
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attachez-vous de tous vos efforts, de toutes vos forces à la pauvreté; embrassez-la comme votre Reine; ne consentez à avoir rien autre chose sous le ciel , au nom du Seigneur, que la pauvreté ; laissez là les honneurs, les richesses, et inquiétez-vous uniquement de garder la sainte pauvreté à laquelle vous êtes unie par un voeu. Avoir des richesses et les aimer, c'est une chose infructueuse; les aimer et ne pas les avoir, c'est un danger; les avoir et ne pas les aimer, c'est un travail pénible. Il est donc utile, il est sûr, il est doux de ne point les avoir et de ne point les aimer, c'est l'acte d'une vertu parfaite. Ainsi les conseils de Jésus-Christ, les exemples de Jésus-Christ touchant la pauvreté doivent incliner tout chrétien vers cette vertu, ils doivent l'enflammer de son amour. O bienheureuse pauvreté! combien tu rends cher à Dieu , combien tu mets à l'abri des dangers en ce monde celui qui t'aime ! Celui dont le coeur n'est attaché à rien en ce monde, dit saint Grégoire, n'a rien à redouter du monde. Ainsi nous lisons dans les vies des Pères, qu'un pauvre frère se contentait pour tout avoir d'une natte, dont une moitié lui servait de couche et l'autre moitié à couvrir son corps durant la nuit. Le second motif qui doit vous embraser d'amour pour la pauvreté, c'est la promesse divine, promesse d'un prix inestimable. O Dieu riche envers tous les hommes! O bon Seigneur Jésus, qui pourra exprimer dignement en ses paroles, concevoir en son coeur, décrire de sa main cette gloire céleste que vous avez
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promis de donner à vos pauvres! Ils méritent par leur pauvreté volontaire de prendre part à la gloire de leur Créateur; ils méritent d'entrer dans la gloire de leur Seigneur , dans ces tabernacles éternels, dans ces demeures brillantes de lumière; ils méritent de devenir habitants de cette cité dont Dieu lui-même est l'architecte et le fondateur. Vous-même, Seigneur, leur avez promis de votre bouche sacrée urne telle félicité quand vous avez dit : Bienheureux les pauvres d'esprit., parce que le royaume des cieux est à eux (1). Mais ce royaume des cieux n'est autre que vous-même, vous, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs Vous vous donnerez vous-même à eux pour être leur prix, leur récompense, leur bonheur. Ils jouiront de vous, ils seront heureux de vous, ils se rassasieront de vous. Les pauvres mangeront, dit le Prophète, et ils seront rassasiés. Ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent, et leurs coeurs vivront dans toute l'éternité (2).
CHAPITRE IV. Du silence et de sa nécessité pour tous les religieux.
La vertu de silence ne concourt pas médiocrement à la perfection de l'homme religieux. De même que l'abondance des paroles n'est pas exempte de péché, de même des entretiens rares et courts aident à
1 Mat., 5. 2 Ps. 21.
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conserver l'innocence. De longues conversations ont lieu souvent aux dépens de l'honneur de Dieu et du prochain; ainsi le silence nourrit la justice, et cette vertu est comme un arbre d'où l'on recueille des fruits de paix. Or, comme la paix est souverainement nécessaire aux communautés religieuses, le silence, qui conserve et la paix du coeur et la paix du corps, leur est donc aussi d'une grande nécessité. C'est pourquoi le prophète Isaïe, considérant le prix du silence, nous dit : La paix sera l'ouvrage de la justice, et le culte de la justice sera le silence (1). C'est comme s'il disait : Telle est la vertu du silence qu'il conserve en l'homme la justice de Dieu, qu'il nourrit et entretient la paix entre les hommes. Si l'on ne s'empresse de mettre une garde diligente à sa bouche, on a bientôt dissipé les biens gratuits du ciel et l'on tombe bientôt en une multitude de maux. La langue, dit saint Jacques, est à la vérité un faible membre, et cependant elle peut se vanter de faire de grandes choses... La langue est un feu, elle est un monde d'iniquité (2). En effet, presque tous les crimes sont préparés ou accomplis par elle. Voulez-vous , ô servante de Dieu , apprendre quels maux naissent de la langue, si on ne la garde avec soin? Ecoutez et je vous le dirai. De la langue viennent les blasphèmes, les murmures, les dissensions, le parjure , le mensonge , la médisance , l'adulation , la malédiction, les outrages, les disputes, les moqueries, les mauvais conseils, les vains bruits, la jactance, la
1 Is., 52. 2 Jac., 3.
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trahison des secrets, les menaces indiscrètes , les promesses inconsidérées, les paroles inutiles, les bouffonneries. En vérité, c'est une grande confusion pour une femme, c'est un déshonneur souverain pour les vierges du Seigneur, de n'avoir aucun frein à leur bouche, de ne point garder la discipline de la langue, puisque tous les maux ont leur source dans la démangeaison de parler. Assurément, je ne crains pas de le dire, c'est en vain qu'un religieux se glorifie de posséder la vertu en son coeur, si l'inquiétude de sa langue le porte à violer les lois du silence. Si quelqu'un, dit l'Ecriture, pense être religieux et ne refrène pas sa langue, mais séduit son coeur, sa religion est vaine (1) . O épouses de Jésus-Christ, contemplez le miroir des vertus , Marie , et apprenez d'elle à garder le silence. Combien fut admirable la gravité de Marie, nous le voyons assez. Si vous parcourez l'Evangile, vous trouverez que ses entretiens furent courts et eurent lieu avec un petit nombre de personnes. Nous la voyons parler avec quatre personnes, et ses discours ne se sont pas étendus au-delà de sept paroles. Deux furent adressées à l'ange, deux à son Fils, deux à Elisabeth, une aux serviteurs des noces de Cana. Une telle conduite couvre de confusion notre besoin de parler : nous sommes enclins à multiplier nos paroles, et cependant nous avons les plus grands avantages à garder le silence. Le premier avantage , c'est que le silence nous excite à la componction. L'homme ,
1 Jac., 1.
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lorsqu'il se tait, reporte ses pensées sur sa vie ; il peut méditer combien nombreux sont ses défauts; et de là naît la componction : Je me suis tû, dit le Prophète, j'ai gardé le silence pour ne pas dire même de bonnes choses, et ma douleur s'est renouvelée (1). Un autre avantage du silence, c'est de montrer en nous des hommes célestes : c'est là une preuve infaillible. Si quelqu'un demeure dans un pays sans en parler la langue, il est clair qu'il est étranger à ce pays. Ainsi un homme qui , dans le monde , n'en tient point le langage, se montre étranger au monde. Celui qui tire son origine de la terre, dit saint Jean-Baptiste, parle le langage de la terre (2). Or, rien n'aide l'homme religieux à garder le silence comme de fuir la société des hommes et de mener une vie solitaire. Cet homme s'est élevé dès le temps présent au-dessus de la condition humaine; il ne doit avoir ni consolation , ni consolateur en dehors de Dieu , et ainsi il doit être solitaire et se taire; car, dès-lors qu'il a Dieu pour compagnon de ses peines , qu'a-t-il à s'inquiéter de la société des hommes? C'est pourquoi il est dit dans Jérémie : L'homme s'assiéra solitaire et il se taira, parce qu'il s'est élevé au-dessus de lui-même (3). Il s'assiéra solitaire en fuyant les entretiens du monde, il se taira en pensant aux choses du ciel , en les méditant , et il s'élèvera au-dessus de lui-même en goûtant leur céleste douceur. Le silence est nécessaire à tous les religieux pour arriver à la perfection des vertus ; cependant il convient
1 Ps. 38. 2 Joan., 3. 3 Thess., 3.
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principalement aux vierges consacrées à Jésus-Christ de se soumettre à ses lois. Leurs entretiens doivent être si rares , elles doivent ouvrir la bouche avec une telle réserve , que jamais on ne les trouve à parler sans une grande nécessité. « Que les discours d'une vierge, dit saint Jérôme, soient courts et rares; qu'ils se fassent moins remarquer par leur éloquence que par leur timide pudeur. » Aristote donne le même conseil : Je demande , dit-il , comme le suprême degré de la perfection , que vous soyez réservé en vos paroles , et que vous ne les profériez qu'à demi-voix. Ecoutez donc, ô vierge portée à parler, écoutez , ô vierge empressée à vous exprimer d'une manière bruyante et à vous répandre continuellement en paroles , si vous voulez sûrement vous accoutumer au silence, faites ce que nous lisons de l'abbé Agathon dans la vie des Pères : Durant trois ans il se mit un caillou dans la bouche , jusqu'à ce qu'il eût appris à se taire. Attachez , vous aussi, une pierre à votre langue , fixez cette langue à votre palais ; placez votre doigt sur votre bouche afin d'arriver à garder le silence; car c'est un grand déshonneur pour une épouse de Jésus-Christ de vouloir s'entretenir avec tout autre qu'avec son époux. Parlez donc rarement et de peu de choses ; faites-le brièvement , avec crainte , en rougissant , ou plutôt ouvrez à peine la bouche pour vos propres affaires. Couvrez votre face du voile de la modestie, retenez vos lèvres par les chaînes de la discipline, et que votre discours soit en peu de mots, qu'il soit rare et utile , plein de réserve et d'humilité.
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Parlez rarement et brièvement, ô servante de Dieu , parce que l'abondance des paroles est difficilement exempte de péché. Ne dites rien d'inutile , parce que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole oiseuse. Or, on entend par parole oiseuse toute parole proférée sans nécessité de notre part , ou sans utilité pour celui qui nous écoute. Il est donc toujours mieux et plus avantageux de garder le silence que de parler. Je me suis repenti quelquefois d'avoir parlé, dit le Sage, mais jamais de m'être tû.
CHAPITRE V. De l'application a l'oraison, et comment il faut prier Dieu.
Il est nécessaire par-dessus tout à l'épouse de Jésus-Christ , si elle désire vraiment faire des progrès, d'exercer son esprit à la pratique assidue de l'oraison et à d'autres sortes de dévotions. Le religieux qui ne s'adonne pas fréquemment à l'oraison , est non-seulement un homme misérable et inutile, mais il porte dans un corps vivant une âme morte aux yeux de Dieu. La vertu de l'oraison est si efficace qu'elle seule suffit à vaincre les assauts de notre ennemi pervers et à déjouer les ruses du démon , dont les efforts ont pour but unique d'empêcher la servante du Seigneur de s'élever au-dessus de cette terre et d'atteindre aux célestes hauteurs. Celui-là donc doit
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tomber souvent et tristement , qui n'a pas l'habitude de l'oraison. Aussi saint Isidore écrit-il : « Elle est le remède de l'homme en proie aux attaques du vice; autant de fois il se fait sentir, autant de fois il faut se tourner vers elle, parce qu'une prière fréquente anéantit la puissance de ses coups (1). » Veillez et priez, dit le Seigneur, afin que vous ne tombiez point en tentation (2). La vertu d'une oraison fervente est telle que rien ne lui est impossible et que par elle l'homme peut accroître ses gains sans interruption , en hiver, en été , durant la pluie et le beau temps , et même à toute heure il est en sa puissance de gagner plus que le monde entier, car, an moyen d'une telle oraison, on acquiert le royaume des cieux. Maintenant je vais vous enseigner, autant que Dieu me donnera de le faire, continent et de quelle manière vous devez prier, bien qu'en ce point j'aie plutôt besoin de recevoir des leçons que d'en donner aux autres. Sachez donc , ô digne servante de Dieu , que trois choses sont nécessaires pour une oraison parfaite : 1° quand vous vous mettez en oraison , vous devez, après avoir placé votre corps dans une posture convenable, élevé votre coeur, fermé tous vos sens, vous devez , dis-je repasser ans bruit , mais avec amour et amertume, toutes vos misères présentes, passées et futures. Pensez alors avec une vive sollicitude combien nombreux et considérables ont été les péchés de votre vie; combien multipliées et importantes ont été les bonnes actions omises par votre négligence ,
1 De sum. Bon., l. 3, c. 7. 2 Mat., 26.
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soit dans le siècle, soit en religion; combien abondante était la grâce de votre Créateur si souvent échappée à votre insouciance. Pensez combien vous vous êtes éloignée de Dieu par le péché , vous autrefois si rapprochée de lui ; combien peu de conformité vous avez conservée avec le Seigneur, vous jadis si semblable à lui; combien vous êtes devenue vile et repoussante en votre âme, vous dont la beauté était si admirable. Où allez-vous avec vos péchés? aux portes de l'enfer. Quelle est votre attente, sinon le jugement formidable du Seigneur? Quel sera le prix de tant de fautes , sinon l'incendie d'une mort éternelle? Vous devez donc pour tous ces crimes frapper sans retard votre poitrine avec le publicain ; vous devez, avec le prophète David, pousser du fond de votre coeur des gémissements amers; vous devez , avec Madeleine , arroser de vos larmes les pieds du Sauveur. Eu pleurant ainsi vous n'avez point de mesure à garder, car vous avez outre-passé toute mesure en offensant Jésus, votre Bien-Aimé. « Quand nous sommes à prier en la présence de Dieu , dit saint Isidore (1), nous devons gémir et verser des larmes en nous souvenant et de la Brièveté des péchés dont nous sommes coupables, et des supplices terribles de l'enfer que nous avons à re-douter. » Ces pensées de douleur doivent donc être commencement de notre oraison. 2° L'épouse de Dieu doit ensuite, en son oraison, s'appliquer à l'action de grâces, ou autrement, s'efforcer
1 De sum. bon., l. 3, c. 7.
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de témoigner en toute humilité sa reconnaissance à son Créateur pour les bienfaits dont il l'a comblée. Saint Paul nous donne ce conseil quand il nous dit : Persévérez et veillez dans la prière, en l'accompagnant d'actions de grâces (1). Rien, en effet, ne rend l'homme digne des faveurs célestes comme la fidélité à remercier le Seigneur de celles que nous avons reçues. Aussi saint Augustin s'écrie-t-il dans une de ses lettres : « Que pouvons-nous penser de mieux en notre coeur, quelle parole peut être plus chère à notre bouche, que saurions-nous, en écrivant , tracer de plus doux que ces mots : Grâces soient rendues à Dieu? Non , l'on ne saurait rien dire de plus court, rien entendre de plus délicieux , rien comprendre de plus agréable, rien faire de plus avantageux (2). » Vous devez donc en votre oraison penser avec actions de grâces aux choses suivantes : Dieu vous a créée, il vous a rendue chrétienne, il vous a pardonné des fautes sans nombre , vous seriez tombée en une multitude de péchés s'il ne vous eût gardée lui-même; il n'a point voulu vous laisser mourir dans le monde , il vous a conduite dans un ordre de la plus haute et de la plus admirable perfection , et là il vous a nourrie et il vous nourrit encore sans travail de votre part. Ensuite pour vous il s'est fait homme , il a été circoncis et baptisé, pour vous il a été dans la pauvreté , la nudité, l'humiliation et le mépris, il a jeûné, il a enduré la faim, les travaux et les fatigues , il a pleuré et il a été couvert
1 Col., 4. 2 Epist. 77 ad Aurel.
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d'une sueur de sang, il vous a sustentée de son corps très-saint, il vous a abreuvée de son sang; pour vous il a été meurtri de soufflets , conspué , tourné en dérision, flagellé, couvert de blessures, crucifié et plongé dans les angoisses d'une mort déshonorante et pleine d'amertume; pour vous il a été enseveli , il est ressuscité, il est monté aux cieux , il a envoyé le Saint-Esprit, et enfin il a promis à vous et à tous les élus le royaume des cieux. L'action de grâces est par-dessus tout utile en l'oraison , et même sans elle aucune oraison ne saurait être profitable ; « car , dit saint Bernard, l'ingratitude est un vent brûlant, elle dessèche les sources de la bonté céleste , la rosée de a la miséricorde et les ruisseaux de la grâce (1). » 3° La troisième chose nécessaire à la perfection de l'oraison consiste à n'occuper votre esprit d'aucun autre objet que de celui de vos prières. Il est , en effet , souverainement inconvenant de s'entretenir de bouche avec Dieu et de penser à autre chose en son âme , de diriger la moitié de son coeur vers le ciel et de laisser l'autre moitié sur la terre ; jamais une telle prière n'est exaucée. Aussi la Close , parlant de ce passage (2): J'ai crié vers vous de tout mon coeur, nous dit-elle : « Un coeur divisé n'obtient pas de Dieu ce qu'il lui demande. » La servante de Dieu doit donc, au temps de la prière , séparer son coeur de tous les soins terrestres et de tous les désirs mondains , le ramener des désirs de la chair aux choses intérieures et se tourner de toute son âme et de toutes ses forces
1 Serm. 51 in Cant. 2 Ps. 118.
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vers Celui à qui s'adresse sa prière. Votre Epoux lui-même vous donne ce conseil dans l'Évangile : Lorsque vous voudrez prier, dit-il, entrez dans votre chambre, et après en avoir fermé la porte, c'est-à-dire , après avoir fermé votre coeur, priez votre Père (1). Vous êtes véritablement entrée en votre chambre quand vous avez rappelé dans le secret de votre âme toutes vos pensées , tous vos désirs , toutes vos affections. Vous avez fermé votre porte quand vous gardez avec soin votre coeur, de façon à n'être troublée en votre ferveur par aucun fantôme de l'imagination. L'oraison , dit saint Augustin , consiste à tourner notre âme vers Dieu par une humble et pieuse affection. Ecoutez donc , ô ma soeur bienheureuse , écoutez , ô servante de Jésus-Christ , et inclinez votre oreille aux paroles de ma bouche. Prenez garde de vous faire illusion , de devenir le jouet de l'erreur, de laisser vous échapper le fruit précieux de votre oraison , d'en perdre la suavité, d'être frustrée des délices qu'elle vous offre. L'oraison est le réservoir où il nous est donné de puiser la grâce de l'Esprit-Saint à la source même des douceurs surabondantes de la Trinité bienheureuse. Le saint prophète David en avait fait l'expérience quand il disait : J'ai ouvert ma bouche et j'ai attiré l'esprit (2). Il a ouvert sa bouche et il a puisé. Ne vous ai-je pas dit déjà ce que c'est que l'oraison? Ecoutez-le encore une fois : c'est une conversion de notre âme vers Dieu. Voulez-vous savoir comment vous devez faire cette conversion de votre âme?
1 Mt., 6. 2 Ps. 118.
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Appliquez-vous à le comprendre. Lorsque vous êtes en oraison , vous devez commencer par vous tourner tout entière sur vous-même , vous recueillir, entrer avec votre Bien-Aimé dans la retraite de votre coeur, y demeurer seule avec lui après avoir oublié toutes les choses du dehors , et là vous élever au-dessus de vous-même de tout votre coeur , de tout votre esprit, de toute votre affection, de tout votre désir, et avec toute la dévotion dont vous êtes capable. Vous ne devez point retirer votre esprit de l'oraison , mais y persévérer jusqu'à ce que vous ayez pénétré dans le lieu du tabernacle admirable, dans la maison de Dieu, et que là , ayant vu des deux yeux de votre coeur votre Bien-Aimé et ayant goûté combien le Seigneur est plein de suavité et combien grande est sa douceur, vous vous jetiez dans ses embrassements et que vous le couvriez des baisers les plus ardents d'une tendre dévotion. Alors tout entière étrangère à vous-même , tout entière ravie dans le ciel , tout entière réformée et transformée en Jésus-Christ, vous serez impuissante à dominer les sentiments de votre âme, mais vous vous écrierez avec David : Mon âme a refusé toute consolation , je me suis souvenue de Dieu et j'ai été dans la joie (1). » Maintenant , ô ma soeur bien-aimée, si vous voulez vous élever plus haut par une oraison toute de dévotion , si vous désirez vous embraser de plus d'ardeur pour Dieu , remarquez bien que trois causes conduisent notre âme au ravissement : la grandeur de
1 Ps. 76.
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notre dévotion , la grandeur de notre admiration , la grandeur de notre allégresse. Si la grandeur de notre dévotion rend quelquefois notre âme incapable de se contenir, si elle l'élève au-dessus d'elle-même et la jette dans le ravissement , c'est lorsque cette âme est enflammée tout entière du feu des célestes désirs, lorsqu'au dehors tout se change pour elle en amertume et en dégoût , et que la flamme de l'amour intérieur, dépassant la mesure des forces humaines , la fait se fondre en elle-même comme la cire au contact du feu , la transporte vers les célestes hauteurs comme une vapeur de parfums , et la lance dans la divine patrie. Alors vous pouvez vous écrier avec le Prophète et dire : Ma chair et mon coeur ont défailli. O Dieu! vous êtes le Dieu de mon coeur et mon partage pour l'éternité (1). Ce ravissement a lieu aussi par la grandeur de notre admiration. Quand notre âme est illuminée de la clarté divine, quand elle est suspendue par l'étonnement que lui cause la beauté suprême , elle tombe dans une stupeur profonde, elle est arrachée à son état naturel entièrement et comme si elle avait été frappée de la foudre , et alors plus elle s'enfonce dans les profondeurs de son néant par le mépris d'elle-même , mépris inspiré par la vue de la beauté divine, plus aussi elle s'élève avec rapidité et sublimité par l'ardeur des célestes désirs, plus elle est ravie et transportée au-dessus d'elle-même. Elle est forcée en cet état de s'écrier avec la très-sainte reine Esther :
1 Ps. 72.
566
Je vous ai vu, Seigneur, comme un ange de Dieu , et mon coeur a été troublé par la crainte de votre gloire; car, Seigneur, vous êtes admirable, et votre visage est plein de grâces (1). Enfin le ravissement a pour troisième cause l'excès de l'allégresse , et cela a lieu quand votre âme , abreuvée ou plutôt enivrée pleinement de l'abondance des délices intérieures , oublie entièrement ce qu'elle est , ce qu'elle a été, se trouve pénétrée d'un sentiment au-dessus de tout ce qui est humain et plongée dans un état de félicité admirable. Alors elle est entraînée à dire avec le Prophète : Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur des armées! !lion doue désire ardemment être dans la maison du Seigneur, et elle est presque dans la défaillance (2). Ainsi la servante du Seigneur doit exercer son âme par une pieuse oraison et l'y diriger par une pratique fréquente, la lumière d'un coeur pur et exempt de péché et un infatigable esprit de dévotion, si elle veut la rendre capable de contempler les choses célestes et de goûter les délices des douceurs divines. Il ne convient pas qu'une âme marquée de l'image de Dieu, ornée de sa ressemblance, rachetée de son sang, créée pour la béatitude , il ne convient pas , dis-je , qu'une telle âme demeure à s'agiter au milieu des objets terrestres ; nais elle doit s'élever appuyée sur les chérubins, voler sur l'aile des vents, ou autrement transportée par les ordres angéliques, afin de fixer ses regards sur la Trinité elle-même et sur l'humanité de
1 Esther, 15. 2 Ps. 83.
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Jésus-Christ; afin de méditer la gloire des habitants de la patrie , la félicité des anges et des saints. Mais quels hommes se consacrent à de telles méditations? Quels hommes vont scruter les joies éternelles? Quels hommes demeurent de coeur et d'esprit dans les cieux? Ils sont bien rares de nos jours. Aussi pourrions-nous appliquer à plusieurs religieux ces paroles de saint Bernard : « Leur étude devrait être de pénétrer jusque dans les cieux par l'ardeur de leur dévotion; de parcourir en esprit les différentes demeures de la patrie , de saluer les apôtres et les choeurs des prophètes , d'admirer les triomphes des martyrs ; mais laissant de côté tout cela , ils se dévouent tout entiers à servir honteusement leur corps, à obéir à la chair, et à satisfaire à toutes les exigences de la gourmandise et de ses appétits. »
CHAPITRE VI. Un souvenir de la Passion de Jésus-Christ.
La ferveur de la dévotion se nourrit et se conserve en l'homme par un souvenir fréquent de la Passion de Jésus-Christ. Il nous faut donc exciter à arrêter en tout temps le regard de son coeur sur le Sauveur et à le contempler mourant sur la croix , celui qui désire garder inextinguible en soi le feu de la dévotion. Aussi le Seigneur nous dit-il : Le feu braient toujours sur mon autel; le prélre l'entretiendra en y mettant
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chaque jour du bois (1). Ecoutez donc, ô ma très-pieuse soeur. L'autel de Dieu , c'est votre coeur; sur cet autel doit brûler en tout temps le feu d'une dévotion enflammée; vous devez l'entretenir chaque jour en lui donnant pour aliment le bois de la croix de Jésus-Christ et le souvenir de sa Passion. C'est là ce qu'a prédit Isaïe en ce passage : Vous puiserez dans la joie aux eaux pures des fontaines du Seigneur (2). C'est comme s'il disait : Quiconque désire les eaux de la grâce , les eaux des larmes, celui-là doit les puiser aux fontaines du Seigneur , dans les blessures de Jésus-Christ. Approchez-vous donc en vous appuyant sur les pieds de vos affections, approchez-vous de Jésus couvert de blessures, de Jésus couronné d'épines, de Jésus attaché au gibet de la croix , et avec le bienheureux apôtre Thomas , non-seulement regardez en ses mains les traces des clous, non-seulement portez votre main dans son côté , mais par la porte de ce même côté pénétrez entièrement jusqu'à son coeur, et là transformée par l'ardeur violente de votre charité en votre Sauveur crucifié, attachée aux clous du divin amour, transpercée de la lance de la dilection jusque dans les profondeurs de votre âme , blessée des coups d'une compassion intime , ne cherchez , n'ambitionnez , ne voulez d'autre consolation que celle de pouvoir mourir sur la croix avec Jésus-Christ. Alors écriez-vous avec l'Apôtre: Je suis attachée à la croix avec Jésus-Christ ,
1 Lev., 6. 2 Is., 12.
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Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais Jésus-Christ qui vit en moi (1). Vous devez méditer la Passion du Sauveur eu vous souvenant qu'elle fut souverainement ignominieuse, cruelle , universelle et d'une longue durée. Commencez , ô très-digne servante de Dieu, par considérer combien fut profonde l'ignominie de cette Passion de votre Epoux , Jésus-Christ. Il a été crucifié comme un voleur et un scélérat. Or, dans l'ancienne loi , on ne punissait de mort que les hommes les plus pervers et les plus infâmes , les brigands et les assassins. Voici une ignominie plus grande encore : il fut crucifié en un lieu de honte et de déshonneur, sur la montagne du Calvaire , où se trouvaient des ossements de morts et des cadavres. C'était le lieu où se faisaient les exécutions criminelles, où l'on tranchait la tête aux condamnés à mort, où on les attachait au gibet. Et cependant voici encore une nouvelle ignominie : il est attaché à la croix entre deux voleurs , comme un voleur lui-même , comme un chef de voleurs. De là cette parole d'Isaïe : Il a été rangé au nombre des scélérats (2). Mais ce n'est point la fin de son ignominie; arrêtez encore vos regards sur votre Epoux ; il est placé en l'air, il est suspendu entre le ciel et la terre , comme s'il n'était digne ni de vivre ni de mourir sur la terre. O indignité vraiment épouvantable! ô injure! l'univers entier est refusé au Maître de l'univers , rien en ce monde n'a été réputé plus digne de mépris que le Maître du monde ! Ainsi le Fils de Dieu meurt
1 Gal., 2. 2 Is., 53.
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dans une ignominie incomparable à cause du genre de mort auquel il est soumis : il est attaché à une croix ; à cause des compagnons auxquels il est associé: ce sont des scélérats; à cause du lieu où il est crucifié : c'est sur la colline immonde du Calvaire. O bon Jésus ! ô Sauveur tout de bénignité! ce n'est pas une fois , mais une multitude de fois que vous êtes plongé dans la confusion. Plus la confusion se renouvelle en des endroits différents , plus l'ignominie s'accroît aux yeux du monde. Mais , ô Seigneur Jésus! on vous charge de liens au jardin des Olives, on vous meurtrit de soufflets dans la maison d'Anne, on vous souille de crachats dans la cour de Caïphe, vous êtes un objet de dérision chez Mérode , vous portez votre croix au milieu de Jérusalem, on vous crucifie sur le Golgotha. Hélas! hélas ! le libérateur des captifs , la gloire des anges , la vie des hommes tombe sous les coups de la mort. O juifs misérables! vous avez dignement rempli votre promesse; car vous aviez dit : Condamnons-le à une mort infâme (1). Saint Bernard , parlant sur ce sujet , nous dit : « Il s'est anéanti en prenant la forure d'un esclave , afin de se faire obéissant. Il était un fils chéri et il est devenu un serviteur ; et non-seulement il a pris la forme d'un esclave pour se faire obéissant , mais il s'est revêtu de la forme d'un esclave pervers afin d'être soumis aux châtiments , de la forme d'un esclave du péché afin de payer la peine des coupables alors qu'il était innocent (2). » Et par ces
1 .Sap., 2. 2 Serm. de Pass., fer. IV.
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trois degrés d'humiliation, il a été non-seulement l'esclave des serviteurs de Dieu, mais l'esclave des serviteurs du démon ; il les a servis en les purifiant des crimes les plus révoltants. Et cependant ce n'a pas été assez pour lui : de tous les genres de mort , il a choisi le plus propre à le couvrir de confusion , il s'est humilié en se faisant obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix (1), et c'était la mort la plus honteuse. Considérez en second lieu et méditez , ô vierge du Seigneur, combien douloureuse fut la Passion de Jésus-Christ. La croix ne permit pas à ses membres bénis et si cruellement étendus de se détendre au milieu des angoisses de la mort , et cependant le coeur affligé du Sauveur eût trouvé en cela un soulagement léger et une consolation ; il n'eut pas non plus où reposer sa tête vénérable et divine quand elle s'inclina au moment où il rendit l'esprit. Mais voyez encore , et la mort de Jésus vous semblera plus cruelle. Plus un homme est délicat, plus les tourments lui sont sensibles ; or, jamais il n'y eut de corps plus délicat en présence de la peine que le corps du Sauveur. Le corps d'une femme est plus sensible à la douleur que celui d'un homme ; mais la chair de Jésus-Christ étant une chair entièrement virginale , une chair conçue de l'Esprit-Saint et née d'une vierge , la souffrance s'est donc fait sentir avec plus de force en cette chair qu'en aucune autre , puisqu'elle surpassait toute chair en délicatesse. Si la seule pensée de la mort a jeté l'âme
1 Philip., 2.
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sainte de Jésus-Christ dans une affliction telle qu'une sueur de sang s'échappa de ses membres délicats et coula jusqu'à terre, quelle fut donc sa douleur, quelle fut sa peine au milieu de cette mort cruelle elle-même, au milieu de sa Passion douloureuse? Seigneur Jésus, dit saint Bernard , cette sueur qui durant votre prière se répandait de votre chair très-sainte jusque sur la terre , cette sueur, dis-je, nous faisait connaître d'une manière indubitable les angoisses de votre corps. O très-doux Enfant , qu'avez-vous fait pour être traité de la sorte? Quel crime avez-vous commis pour subir un jugement semblable, ô très-aimable jeune homme? Je suis la cause de vos douleurs , je suis la verge qui vous dorme la mort. Mais considérez encore l'amertume d'une telle mort. Plus un homme est innocent, plus la peine lui semble dure. Si Jésus-Christ eût souffert pour ses propres crimes, la souffrance lui eût été plus tolérable, mais il n'avait commis aucun péché et nulle parole honteuse n'était sortie de sa bouche (1). Pilate lui-même rend témoignage à son innocence quand il dit : Je ne trouve en lui aucun crime (2). Il était la splendeur de la lumière éternelle , le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l'image parfaite de sa bonté. Et cependant comprenez d'une manière plus parfaite encore combien douloureuse fut la Passim de Jésus, votre Epoux. Plus un tourment est universel , plus il se fait sentir cruellement. Or, Jésus-Christ a souffert dans toutes les parties de son corps , aucun
1 I Petr., 2. 2. Joan., 18.
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de ses membres n'a été à l'abri de la douleur, aucune portion de ses membres n'a été exempte d'amertume. Depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui (1) . Aussi dans la véhémence de sa peine s'est-il écrié par son Prophète : O vous tous qui passez par le chemin , considérez et voyez s'il y a une douleur semblable à la mienne (2). Assurément , ô Seigneur Jésus, il n'y eut jamais de douleur semblable à la vôtre. L'effusion de cette douleur a été telle que votre corps tout entier a été arrosé de votre sang. O bon Jésus ! ô très-doux Seigneur ! ce n'est pas une goutte, mais un fleuve de sang qui s'est échappé avec abondance des cinq ouvertures de votre corps. Il a coulé de vos mains et de vos pieds dans le crucifiement , de votre tête dans le couronnement d'épines , de tout votre corps dans la flagellation , de votre coeur quand il fut ouvert d'un coup de lance; et en vérité, je ne sais s'il en est resté en vous tant soit peu. Dites-moi donc, ô mon bien-aimé Seigneur, dites-moi : une goutte de votre sang eût pu suffire au rachat du monde entier, pourquoi l'avez-vous laissé se répandre avec une telle profusion? Je le sais, mon Dieu, je le sais véritablement : vous vouliez par là montrer la grandeur de votre amour pour moi. Que rendrai-je donc au Seigneur pour tous les bienfaits dont il m'a comblé? Oui , mon Dieu, tous les jours de ma vie, je me souviendrai des travaux de vos prédications, des fatigues de vos courses, des veilles de votre oraison, des larmes de votre compassion , des douleurs, des crachats, des
1 Is., 1. 2 Thren., 1.
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soufflets , des dérisions, des clous , des blessures de votre Passion ; je recueillerai le sang que vous avez répandu sur la terre. Qui donc donnera de l'eau à ma tète, et à mes veux une fontaine de larmes, afin de pleurer le jour et la nuit la mort de Jésus-Christ mon Seigneur, cette mort endurée non pour ses crimes, mais pour les miens? Car, dit le Prophète, il a été blessé à cause de nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes (1). Considérez enfin quelle fut la longueur de la mort et de la Passion de Jésus-Christ. Depuis le premier jour de son entrée dans ce monde jusqu'au dernier instant de sa vie , il fut toujours dans la douleur et l'affliction ; lui-même nous l'atteste par son Prophète (2) : Je suis pauvre, dit-il, et dans les travaux depuis ma jeunesse. J'ai été affligé durant tout le jour et châtié dès le matin. Méditez encore d'une autre façon combien fut longue la Passion proprement dite de Jésus, comment la peine fut prolongée, cornaient on empêcha à la douleur de finir trop promptement, comment la mort l'ut éloignée, comment il fut tourmenté de la sorte pendant un temps plus considérable et soumis à des tourments plus cruels. Vous pouvez , par tout ce que je viens de dire, comprendre quelles furent la honte, l'amertume, l'humiliation, la durée de la mort et de la Passion de Jésus-Christ, votre Epoux. Il a souffert ainsi afin de vous embraser de sou amour, afin de vous porter, 1 Is., 53. 2 Ps. 87. 72.
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en mémoire de tant de bienfaits, à l'aimer de tout votre cour, de toute votre âme, de tout votre esprit. Quelle bienveillance plus grande pouvait nous témoigner le Seigneur, que de prendre la forme d'un esclave pour le salut des esclaves? Qu'y a-t-il de plus propre à conduire l'homme au salut , que de lui donner l'exemple de souffrir la mort pour la justice et pour obéir à Dieu? Qu'y a-t-il de plus propre à exciter au divin amour que cette immense bénignité qui a porté le Fils de Dieu , le Très-Haut, à sacrifier sa vie pour nous sans aucun mérite de notre part, ou plutôt en présence de notre indignité souveraine? Non , jamais l'on ne saurait rien imaginer de plus clément , de plus charitable , de plus digne d'amour qu'une telle bonté. Elle nous apparaît d'autant plus grande qu'il a embrassé et voulu souffrir des tourments plus douloureux et une abjection plus profonde. Dieu n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré à la mort pour nous tous; comment avec lui ne nous a-t-il pas donné toutes choses (1)? Il nous invite ainsi à l'aimer et à marcher sur ses traces. Malheur donc à ceux que le bienfait d'une charité si infinie a trouvés ingrats, à ceux dont l'âme n'a ressenti aucune impression de la mort de Jésus-Christ! « Voyez, dit saint Bernard, voyez la tête du Sauveur inclinée pour vous donner un baiser, ses mains percées pour en laisser échapper les faveurs , son côté ouvert pour vous communiquer son amour, et tout son corps étendu pour que le sacrifice soit
1 Rom., 8.
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sans réserve. » Malheur donc encore une fois à ceux qui par leurs péchés crucifient de nouveau Jésus-Christ en eux-mêmes, et ajoutent ainsi une douleur nouvelle à la douleur de ses blessures! Malheur enfin à ceux dont le coeur demeure sans se fondre de douleur , sans se laisser entraîner à l'amour, sans se sentir provoqué à la pratique des bonnes oeuvres à la vue de ce sang répandu avec tant de générosité, d'un don si inestimable, d'une majesté si infinie! Oui , de tels hommes sont les ennemis de la croix de Jésus-Christ. Aujourd'hui que le Fils de Dieu est. assis à la droite de son Père dans les cieux, ils déploient contre lui plus de cruauté que ne firent les Juifs en l'attachant à un gibet. C'est à eux que s'adresse le Seigneur, c'est d'eux qu'il se plaint par la bouche de saint Bernard en disant : « O homme , vois ce que je souffre pour toi, vois s'il est une douleur semblable à celle dont je suis déchiré : c'est moi qui te parle , moi qui me soumets à la mort pour toi. Vois les peines dont je suis accablé , les clous dont je suis transpercé; et cependant, alors que ma douleur est si vive en mon lune et en mon corps, les dispositions de ton coeur me pénètrent d'une amertume bien plus intolérable. » Veillez donc, ô ma mère, veillez pour ne pas être ingrate après un bienfait si insigne, pour ne pas demeurer sans dévotion en présence d'un prix si inestimable et destiné à acquitter votre dette; mais placez votre Seigneur crucifié comme un cachet sur votre coeur ; imprimez sur ce coeur Jésus , votre
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Epoux, comme on imprime un cachet sur de la cire molle, et dites avec le Prophète : Mon coeur est devenu semblable à la cire qui se fond (1). Placez-le comme un sceau sur votre bras , afin de ne jamais cesser d'agir , de ne jamais vous lasser de travailler pour le nom du Seigneur Jésus, afin de vous sentir prête à commencer comme si vous n'aviez rien fait quand vous avez tout accompli. S'il vous arrive quelque chose de triste, d'ennuyeux et d'amer, si vous éprouvez du dégoût pour certaines borines oeuvres, accourez de suite à Jésus crucifié, à Jésus suspendu à la croix. Contemplez sa couronne d'épines, ses clous aigus, la lance dont son côté fut percé, les blessures de tout son corps, et rappelez-vous combien vous a aimée celui qui pour vous a souffert de la sorte , celui qui a embrassé de pareils tourments. Croyez-moi , à un tel spectacle toute tristesse se changera en joie, tout fardeau pesant deviendra léger, tout ennui sera plein d'aménité, toute peine semblera douce et délicieuse. Alors vous commencerez à vous écrier avec le bienheureux Job : Les choses dont mon cane avait horreur autrefois sont devenues ma nourriture aujourd'hui (2) , et à cause des angoisses de la Passion de Jésus-Christ , j'en fais mes délices et nia félicité. Voici un trait à l'appui de ce que j'avance : Un homme entré en religion souffrait avec une vive impatience la grossièreté des aliments et les autres rigueurs de la règle. Accablé par cette tendance extrême à murmurer, il se prosterne devant l'image
1 Ps. 21. 2 Job., 6.
de Jésus crucifié, et là il se met à repasser en son esprit au milieu d'une grande abondance de larmes les austérités intolérables et les travaux de son ordre, l'insipidité de la nourriture, tant du boire que du manger. Mais aussitôt le sang commence à couler du côté du crucifix, et comme ce religieux continuait à pleurer amèrement à la pensée de ses propres peines, l'image de Jésus-Christ lui dit que toutes les fois qu'un aliment lui inspirera de la répugnance il ait soin de lui donner pour assaisonnement le sang du Sauveur.
CHAPITRE VII. Du parfait amour de Dieu.
Je vous ai enseigné plus haut, selon que le Seigneur me l'a inspiré, de quelle manière vous deviez, ô servante de Dieu , exercer votre esprit afin de vous élever de degré en degré, de croître de vertu en vertu. Il me reste, en septième lieu , à vous parler de la forme des vertus elles-mêmes, ou autrement de la charité, qui seule conduit l'homme à la perfection. On ne saurait rien exprimer de meilleur, en effet, rien penser de plus avantageux que la charité pour arriver à la mortification des vices, à l'accroissement de la. grâce, à la possession suprême de toutes les vertus. C'est pourquoi saint Prosper nous dit (1) : La charité est la vie des vertus, la mort des vices; et de
1 De vit. cont., l. 3.
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même que la cire se fond au contact du feu, de même le mal s'évanouit en présence de la charité. Sa vertu est telle qu'elle ferme l'enfer, nous ouvre le ciel et jouit seule du privilège de nous rendre chers à Dieu. Sa valeur est si inestimable que seule parmi les vertus elle est énoncée comme apportant à l'homme, par sa présence, l'abondance, la richesse et la béatitude; comme laissant , par son absence , l'homme dans la détresse, la mendicité et la misère. Aussi la Glose, parlant sur ces paroles de saint Paul : « Si je n'ai pas la charité, etc., nous dit-elle : Considérez la grandeur de la charité : si elle fait défaut, tout le reste est compté pour rien ; si au contraire on la possède, on a tout avec elle, et celui qui l'a sentie naître en son coeur, y voit descendre le Saint-Esprit. » Et saint Augustin ajoute : Quand la vertu nous conduirait au bonheur, je ne lui donnerais jamais le nom de vertu à moins qu'elle ne nous apportât le souverain amour de Dieu. Puisque la charité est si élevée entre les autres vertus, il faut donc s'y appliquer, et non pas à une charité quelconque, mais à celle par laquelle on aime Dieu par-dessus toutes choses, et après Dieu le prochain. Comment donc devez-vous aimer votre Créateur? Votre Epoux vous l'enseigne lui-même dans l'Evangile : Vous aimerez, dit-il , le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme, de tout votre esprit (1). Considérez bien , ô très-douce servante de Jésus-Christ, quel aman votre Bien-Aimé demande
1 Mat., 22.
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de vous. Il veut que vous consacriez à son autour tout votre coeur, toute votre âme. tout votre esprit., et que nul ne conserve la moindre place dans toute l'étendue de ce coeur, de cette âme et de cet esprit. Que ferez-vous donc pour aimer véritablement le Seigneur de tout votre coeur? De quelle manière vous y prendrez-vous? Ecoutez saint Jean-Chrysostôme sur ce sujet : « Aimer Dieu de tout son coeur, dit-il, c'est ne point permettre à son coeur de se porter autant à l'amour d'une autre chose qu'à l'amour de Dieu, c'est ne se réjouir en aucun objet terrestre autant que dans le Seigneur, c'est ne s'attacher ni aux honneurs ni à ses propres parents de préférence à lui. Si vous êtes entraîné vers quelque chose de semblable, si votre amour s'y arrête, vous n'aimez pas Dieu de tout votre coeur. » Celui-là vous aime moins qu'il ne doit , Seigneur , s'écrie saint Augustin , qui aime quelqu'autre objet avec vous (1). En effet , si votre affection s'étend à autre chose et que cet amour vous empêche de croître dans l'amour divin, vous n'aimez pas Dieu de tout votre coeur. Aimez donc le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, et non-seulement il vous faut l'aimer ainsi , mais encore de toute votre âme. Et comment de toute votre âme? Ecoutez saint Augustin : Aimer le Seigneur de toute sou âme, dit-il, c'est l'aimer de toute l'étendue de sa volonté et sans opposition. Vous l'aimez certainement de toute votre âme quand vous savez vouloir non ce que vous désirez, non ce que le monde
1 Confes., l. 10.
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conseille, non ce que la chair suggère, ruais ce que le Seigneur commande, quand vous savez l'accomplir avec empressement et sans murmure. Vous l'aimez véritablement de toute votre âme quand , pour son amour, vous vous exposez volontiers à la mort toutes les fois que cela est nécessaire. Mais si vous témoignez de la négligence en quelqu'un de ces points, vous ne l'aimez pas de toute votre âme. Aimez donc le Seigneur votre Dieu de toute votre âme, conformez en tout votre volonté à sa volonté sainte; et non-seulement aimez-le de la sorte , mais encore de tout votre esprit. Ecoutez encore le bienheureux Augustin , et il vous dira : Aimer Dieu de tout son esprit, c'est l'aimer de toute la capacité de sa mémoire, c'est l'aimer sans jamais l'oublier. Ainsi soit-il.
CHAPITRE VIII. De la persévérance finale.
Ce n'est pas assez pour l'homme davoir jeté en son coeur le fondement de toutes les vertus; il ne sera point glorieux en présence du Seigneur s'il ne possède en même temps la persévérance, la consommation de toutes les vertus; car aucun mortel, quelle que soit la grandeur de ses progrès, ne mérite d'être loué durant sa vie, tant qu'il n'a point conduit à une fin heureuse et excellente tout le bien qu'il a entrepris.
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De là ces paroles de saint Bernard (1) : « Otez la persévérance, et l'obéissance demeure sans récompense, les bienfaits ne trouvent plus grâce et la force ne mérite aucune louange. » Il sert de peu à un homme d'avoir été religieux , humble, patient, dévot et chaste, d'avoir aimé Dieu et d'avoir pratiqué des vertus célestes, s'il n'a en même temps la persévérance : les vertus accomplissent la course, mais la persévérance reçoit la couronne. Ce n'est point celui qui commence, mais celui qui aura persévéré, qui sera sauvé. A quoi bon, dit saint Chrysoslôme, avoir de belles fleurs, s'il faut ensuite les voir se flétrir? Si donc , ô bien-aimée de Jésus-Christ, vous avez pratiqué de bonnes oeuvres, ou plutôt puisque vous êtes riche en bonnes oeuvres, persévérez à vous y exercer, continuez à y faire des progrès , combattez courageusement pour le Seigneur, afin qu'au dernier jour de votre vie vous receviez , pour prix et récompense de votre travail, la couronne de gloire et dhonneur. Voilà pourquoi Jésus-Christ , votre unique amour, vous dit dans l'Apocalypse : Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie Cette couronne n'est rien autre chose que la possession de la vie éternelle. Tout chrétien doit brûler du désir de l'obtenir , car cette vie est d'un prix si élevé que jamais aucun homme ne pourra l'estimer; elle renferme tant de félicités que nul ne saurait les compter; elle est si longue et d'une telle durée que jamais on n'en trouvera le terme, jamais on n'en verra
1 Epist., 120. 2 Apoc., 2.
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la fin. C'est à cette récompense, c'est à cette couronne que vous invite votre tendre Epoux, votre Bien-Aimé, Jésus-Christ , quand il vous dit : Venez du Liban, ô mon épouse, venez du Liban et vous serez couronnée (1). Levez-vous donc, ô amie de Dieu, épouse de Jésus-Christ , colombe de l'Époux éternel, venez et hâtez-vous d'arriver aux noces du Fils de Dieu : toute la cour céleste vous attend , tout est préparé. Votre serviteur brillant de beauté est prêt à vous servir ; un aliment généreux , inestimable et délicieux est prêt à vous nourrir; une société pleine de douceur et par-dessus tout digne de votre amour est prête à participer à votre joie. Levez-vous donc, hâtez-vous, empressez-vous d'arriver à ces noces. Oui , votre serviteur est prêt à vous servir, et ce serviteur n'est autre que l'assemblée des anges , ou plutôt c'est le Fils éternel de Dieu lui-même : il a dit dans son Evangile : Heureux les serviteurs que le maître aura trouvés veillant! Je vous dis en vérité que s'étant ceint il les fera mettre à table et viendra les servir (2). Oh ! combien grande alors sera la gloire de ces pauvres aujourd'hui dans l'abjection quand ils se verront servis par le Fils de Dieu , le Fils du Roi suprême , et par toute l'année du céleste royaume. Là aussi est préparé un aliment pour vous nourrir, un aliment vraiment précieux et délectable. Le Fils de Dieu dressera la table de ses propres mains ; il l'a promis encore lorsqu'il a dit (3) : Je vous prépare le
1 Cant. 4. 2 Luc., 12. Luc., 22.
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royaume comme mon Père me l'a préparé, afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume. Oh ! combien suave , combien délicieux est cet aliment que Dieu a préparé à ses pauvres dans l'abondance de sa douceur ! Oh ! combien heureux est celui qui sera appelé à manger dans les cieux ce pain cuit dans le four du sein virginal par le feu du Saint-Esprit ! Quiconque mangera d'an tel pain, vivra éternellement (1). C'est de ce pain , c'est de cet aliment que le Roi céleste nourrit et rassasie ses élus. Vous avez, dit le Sage, donné à votre peuple la nourriture des anges, vous lui avez envoyé du ciel un pain préparé sans aucun travail, un pain renfermant en soi tout ce qu'il y a de délicieux et tout ce qui peut être agréable au goût, un pain s'accommodant à la volonté de chacun d'eux (2). Tel est le pain servi sur la table du Seigneur. Là enfin est une société pleine de douceur et par-dessus tout digne de votre amour, une société prête à partager Notre joie. En effet , là est Jésus avec le Père et le Saint-Esprit , là est Marie avec l'année brillante des vierges; là sont les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs et la multitude de tous les élus. Mal-heureux et infortuné celui qui ne pourra se réunir à une société si glorieuse! Il est vraiment mort en ses désirs celui qui n'a aucun soupir pour une telle assemblée. Mais vous, ô très-illustre servante de Dieu, Nous soupirez après Jésus-Christ , je le sais; vers lui se tournent tous vos efforts; vous méditez comment
1 Joan., 6. 2 Sap., 17.
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vous arriverez à vous unir au Roi éternel, à jouir de ses embrassements. Ait! excitez donc maintenant votre coeur, excitez votre âme, élevez là votre coeur tout entier, portez là toutes vos pensées autant qu'il sera en vous. Si chaque bien particulier est délectable, pensez en votre esprit combien délectable est ce bien qui renferme la félicité de tous les biens à la fois! Si la vie créée est excellente, combien plus doit l'être la vie du Créateur! Si le salut qui nous est accordé est délicieux , combien plus le sera le Salut d'où vient tout salut! Celui qui jouira de tous ces biens, qu'aura-t-il donc et de quoi manquera-t-il? Assurément il possédera tout ce qu'il pourra désirer, il sera privé de tout ce qui pourrait lui déplaire. Là seront les biens du corps et de l'âme , mais tels que l'oeil ne les a point vus , l'oreille ne les a point entendus, le coeur de l'homme ne les a point compris. Pourquoi donc , ô servante de Dieu , pourquoi vous répandre en une multitude d'objets pour arriver aux biens de l'âme et à ceux du corps! Aimez le bien unique en qui sont renfermés tous les biens , et c'est assez désirez le bien qui est simple et contient tout bien, et vous n'avez plus rien à ambitionner. Là vous avez de quoi aimer, ô ma mère , vous avez de quoi alimenter vos désirs , ô vierge bienheureuse. Là se trouve tout ce que vous pouvez aimer, tout ce que vous pouvez désirer. Si la beauté a pour Nous des charmes. les justes seront brillants comme le soleil. Si une vie longue et à l'abri d'accident vous sourit, là est une éternité toujours heureuse , les justes vivent éternellement,
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le salut des justes est éternel. Voulez-vous vous rassasier? Les justes le seront pleinement quand la gloire de Dieu se sera manifestée. L'ivresse a-t-elle pour vous des attraits? Les élus seront enivrés de l'abondance de la maison du Seigneur. Si vous êtes sensible aux douceurs d'une mélodie suave, les choeurs des anges louent Dieu en chantant alleluia. Si votre coeur recherche l'amitié, les saints aiment Dieu plus qu'eux-mêmes, et Dieu les aime plus qu'ils ne sauraient l'aimer. Si la concorde vous réjouit, là il n'y aura qu'une seule volonté, la volonté de Dieu. Si vous ambitionnez les honneurs et les richesses, Dieu a établi ses servantes et ses serviteurs bons et fidèles sur des biens sans nombre , ou plutôt ils seront appelés les enfants de Dieu , ils seront eux-mêmes l'héritage de Dieu , les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ. Quel bonheur donc, quelle félicité règne en ce lieu où l'on est en possession d'un bien semblable? O Seigneur Jésus! assurément l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu , le coeur de l'homme n'a point compris en cette vie combien les élus vous aimeront, combien vous les enivrerez de bonheur en cette vie bienheureuse. Plus l'on aime Dieu en ce monde, plus l'on sera alors heureux en lui. Aimez-le donc beaucoup maintenant, afin d'avoir une grande joie dans le ciel. Que l'amour de Dieu aille croissant en vous , afin de posséder pleinement sa félicité. Que votre esprit le Inédite , que votre langue s'en entretienne , que votre coeur le chérisse, que votre bouche en parle sans
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cesse, que votre âme en ait faim , que votre chair en ait soif , que tout votre être le désire jusqu'à ce que vous entriez dans la joie de votre Seigneur. jusqu'à ce que vous arriviez aux embrassements de votre Bien-Aimé et que vous soyez introduite dans la chambre de votre tendre Epoux , qui vit et règne avec Dieu le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
FIN DU SIXIÈME ET DERNIER VOLUME.
Achevé en la fête de Saint Stanislas, patron de la cathédrale de Cracovie, 1ère cathédrale de notre Pape Jean-Paul II, regretté et béni entre tous. Quil nous protège et nous assiste ! Notre-Dame du Vorbourg 11 avril 2005.
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