DE LAVANCEMENT
SPIRITUEL DES RELIGIEUX.
DE LAVANCEMENT SPIRITUEL DES RELIGIEUX.
PROLOGUE.
AUTRE PROLOGUE.
CHAPITRE PREMIER. De quatre précautions à prendre par les novices.
CHAPITRE II. De quatre sortes de tentations.
CHAPITRE III. Des trois différentes sortes de religieux.
CHAPITRE IV. Du triple état des religieux.
CHAPITRE V. De la réforme de la raison.
CHAPITRE VI. De la réforme de la volonté.
CHAPITRE VII. De la réforme de la mémoire.
CHAPITRE VIII. Comment les forces naturelles et les affections de l'âme ont été défigurées.
CHAPITRE IX. De trois sortes d'orgueil.
CHAPITRE X. Quand nous devons montrer ou cacher nos bonnes oeuvres et nos mauvaises.
CHAPITRE XI. De quatre défauts.
CHAPITRE XII. Définition des sept péchés capitaux.
CHAPITRE XLIII. Du sentiment de l'envie.
CHAPITRE XIV. Du sentiment de la colère.
CHAPITRE XV. Du sentiment de la tristesse.
CHAPITRE XVI. Du sentiment de la joie.
CHAPITRE XVII. Un sentiment de l'avarice.
CHAPITRE XVIII. Un désir des aliments.
CHAPITRE XIX. Du sentiment de l'amour.
CHAPITRE XX. De l'espérance.
CHAPITRE XXI. De la crainte.
CHAPITRE XXII. De la honte.
CHAPITRE XXIII. De la nature de ces vices, et détails sur chacun en particulier.
CHAPITRE XXIV. De trois choses qui chassent le vice.
CHAPITRE XXV. Des remèdes généraux à opposer aux vices.
CHAPITRE XXVI. Des remèdes spéciaux contre chacun de nos vices en particulier.
CHAPITRE XXVII. Des remèdes à opposer à l'orgueil.
CHAPITRE XXVIII. De trois sortes denvie.
CHAPITRE XXIX. Des remèdes à l'envie.
CHAPITRE XXX. De la colère.
CHAPITRE XXXI. Des remèdes à la colère.
CHAPITRE XXXII. De la paresse.
CHAPITRE XXXIII. Des remèdes à la paresse.
CHAPITRE XXXIV. De l'avarice.
CHAPITRE XXXV. Des remèdes à l'avarice.
CHAPITRE XXXVI. De la gourmandise.
CHAPITRE XXXVII. Remèdes à la gourmandise.
CHAPITRE XXXVIII. De la luxure.
CHAPITRE XXXIX. Des remèdes à la luxure.
LIVRE II.
CHAPITRE PREMIER. Que l'avancement des religieux est renfermé en sept degrés distincts.
CHAPITRE II. Des différentes espèces de tentations.
CHAPITRE III. Des remèdes contre les tentations les plus violentes.
CHAPITRE IV. De la plus commune des tentations.
CHAPITRE V. De l'utilité qu'on trouve dans la soustraction des consolations spirituelles.
CHAPITRE VI. De quelle manière il faut résister aux tentations.
CHAPITRE VII. Cinquième degré d'avancement.
CHAPITRE VIII. De la santé de l'âme.
CHAPITRE IX. De l'action.
CHAPITRE X. De la parole.
CHAPITRE XI. De la discipline extérieure du corps.
CHAPITRE XII. De la discipline du coeur.
CHAPITRE XIII. De certaines pratiques communes de la vie spirituelle.
CHAPITRE XIV. De l'empressement à se porter au bien.
CHAPITRE XV. De l'empressement à s'éloigner du nuit.
CHAPITRE XVI. De la paix avec ses frères.
CHAPITRE XVII. De la modération dans l'usage des choses de ce monde.
CHAPITRE XVIII. De l'humble estime de soi-même.
CHAPITRE XIX. De la maturité et de la gravité.
CHAPITRE XX. De l'élévation de notre âme vers Dieu.
CHAPITRE XXI. Du sixième degré d'avancement.
CHAPITRE XXII. Des choses extérieures en religion.
CHAPITRE XXIII. De la charité.
CHAPITRE XXIV. De la connexion des vertus.
CHAPITRE XXV. Des trois degrés de la charité.
CHAPITRE XXVI. De l'amour du prochain.
CHAPITRE XXVII. Contre l'amour charnel.
CHAPITRE XXVIII. Des degrés de l'amour du prochain.
CHAPITRE XXIX. De l'humilité.
CHAPITRE XXX. De l'humilité vis-à-vis de soi-même.
CHAPITRE XXXI. De l'humilité vis-à-vis du prochain.
CHAPITRE XXXII. De l'humilité vis-à-vis de Dieu.
CHAPITRE XXXIII. Des trois degrés de l'humilité.
CHAPITRE XXXIV. De la patience.
CHAPITRE XXXV. De l'épreuve de la patience.
CHAPITRE XXXVI. Des avantages de la patience.
CHAPITRE XXXVII. Des degrés de la patience.
CHAPITRE XXXVIII. De l'obéissance.
CHAPITRE XXXIX. Pourquoi l'on doit obéir aux autres.
CHAPITRE XL. De la triple obéissance.
CHAPITRE XLI. Des trois degrés d'obéissance.
CHAPITRE XLII. De la pauvreté.
CHAPITRE XLIII. Du double mépris des richesses.
CHAPITRE XLIV. De quatre causes pour lesquelles on conseille le mépris des richesses.
CHAPITRE XLV. Des trois degrés du mépris des richesses.
CHAPITRE XLVI. De la sobriété.
CHAPITRE XLVII. En quoi consiste la sobriété.
CHAPITRE XLVIII. Des trois degrés de la sobriété.
CHAPITRE XLIX. Autre distinction des degrés de l'abstinence ou de la sobriété.
CHAPITRE L. Que la vertu tient le milieu entre les vices.
CHAPITRE LI. Que le vice se couvre de l'apparence de la vertu.
CHAPITRE LII. De la chasteté.
CHAPITRE LIII. De quatre avantages de la chasteté.
CHAPITRE LIV. Des choses qui nous aident à acquérir la chasteté.
CHAPITRE LV. Division de la chasteté.
CHAPITRE LVI. Des degrés de la chasteté en tant que cette vertu convient aux religieux.
CHAPITRE LVII. Du septième degré d'avancement.
CHAPITRE LVIII. De l'avancement dans la vie contemplative.
CHAPITRE LIX. De l'intention.
CHAPITRE LX. De trois manières de prier.
CHAPITRE LXI. Des affections diverses de celui qui prie, et des formes différentes sous lesquelles il se représente celui à qui il s'adresse.
CHAPITRE LXII. De l'action de grâces.
CHAPITRE LXIII. De sept considérations propres à nous porter à rendre grâces à Dieu.
CHAPITRE LXIV. De la louange de Dieu.
CHAPITRE LXV. De sept sujets divers des louanges de Dieu.
CHAPITRE LXVI. Des effets de la prière.
CHAPITRE LXVII. Comment Dieu se montre à l'âme dans la prière.
CHAPITRE LXVIII. Des diverses formes de l'oraison.
CHAPITRE LXIX. De l'utilité de l'oraison.
CHAPITRE LXX. Des choses qui s'opposent à notre avancement et même a notre salut.
CHAPITRE LXXI. Des raisons qui nous empêchent d'être exaucés en nos prières.
CHAPITRE LXXII. Des prières particulières.
CHAPITRE LXXIII. Des sept genres de dévotion où de componction.
CHAPITRE LXXIV. Des révélations, des visions, et en même temps des représentations de l'imagination.
CHAPITRE LXXV. De quatre sortes de visions.
CHAPITRE LXXVI. Des divers modes de révélation.
CHAPITRE LXXVII. Des tentations des personnes pieuses.
CHAPITRE LXXVIII. Des divers sentiments qui nous excitent à la sainte communion.
Trois raisons m'ont porté à recueillir quelques-unes des conférences que j'avais coutume de faire de temps en temps sous forme d'exhortation à nos novices ou à d'autres religieux , et à composer un traité propre à guider leurs progrès dans la vie spirituelle. D'abord, j'ai voulu , après avoir offert à ces mêmes novices une première règle touchant le gouvernement de l'homme extérieur soit parmi leurs frères , soit hors de nos maisons ; j'ai voulu , dis-je , leur apprendre de quelle manière ils devaient s'avancer dans la réforme de l'homme intérieur, réforme qui consiste à combattre le vice, à contracter l'habitude des vertus et enfin à régler selon Dieu , autant que possible , ses actes extérieurs , toutes ses affections et ses sens intérieurs. J'ai eu l'intention, en second lieu , d'avoir plus promptement sous la main réunies en abrégé mes diverses prédications aux religieux pour le cas où j'en aurais besoin. J'ai même, dans ce dessein , divisé ce traité en plusieurs parties , et ces parties en différents chapitres , afin de trouver plus aisément
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chaque chose. Enfin je me suis proposé , en écrivant ou en lisant sur ces divers sujets, d'employer mon temps d'une manière utile , de remplir ma mémoire de saintes pensées, de rendre mon intelligence capable de pénétrer plus clairement les secrets intérieurs de la vie spirituelle, d'exciter ma volonté à marcher dans la vertu et à s'embraser des ardeurs de la dévotion , d'ôter à mon corps le moyen de se livrer à des courses dissipantes , de combattre par un semblable travail mes négligences et mes péchés , et enfin de pouvoir lire dans la suite et dérober ainsi à l'oubli le sujet de mes méditations passées.
Mais je n'ai pu faire ce recueil dans le calme et le repos. Appelé en diverses contrées , c'est à peine si , au milieu d'occupations nombreuses, j'ai de temps à autre trouvé de courts moments pour écrire quelques lignes; aussi beaucoup de choses sont-elles loin d'avoir été traitées comme je l'eusse voulu. Un esprit distrait par des soins multipliés ne saurait se concentrer tout d'un coup et pleinement sur un seul et unique sujet; et même s'il commence à réunir un peu ses pensées , il est bientôt forcé de se porter ailleurs , de sortir de soi-même et d'oublier ce qu'il avait à peine entrevu. Ainsi un homme venant du dehors et entrant dans un endroit obscur voit plus clairement , s'il demeure quelque temps, les objets qui d'abord avaient fui ses regards; mais, s'il est obligé de se retirer aussitôt, sa vue devient moins apte encore à les découvrir. Que l'on pardonne donc à mon incapacité tout ce qu'on trouvera de répréhensible en cet écrit; que l'on
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excuse ma présomption : j'ai mis la main à la plume non-seulement pour les autres , mais encore pour moi en particulier, pour les hommes nouveaux et inexpérimentés dans les voies de Dieu , pour tous ceux , en un mot , qui me sont semblables.
Dans ma première instruction pour les novices , écrite en faveur de quelques-uns des nôtres touchant le gouvernement de l'homme extérieur, je leur ai tracé des règles propres à les diriger tant à l'intérieur de nos maisons que dans le monde. Aujourd'hui, comme je leur en fis la promesse, je me propose de leur donner, quoique dans un langage négligé et sans avoir bien disposé mon sujet , de nouveaux enseignements sur la réforme de l'homme intérieur, ou autrement de notre âme. La raison pour laquelle les exercices corporels précèdent ceux de l'esprit, c'est que l'homme, en tombant par le péché des sublimes hauteurs où il était placé , et en sortant des profondeurs où il était établi , s'est jeté dans les objets extérieurs et visibles. N'ayant donc d'intelligence que pour les objets matériels, il doit commencer sa résurrection là où il a été renversé et s'élever peu à peu vers les choses spirituelles et divines pour lesquelles il a été créé. Tant qu'un religieux n'a pas commencé à comprendre et à goûter les vertus intérieures , tant qu'il fait consister
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l'essence de la vie religieuse dans les observances du dehors , il est encore un novice , alors même qu'il compte un grand nombre d'années de profession; ou plutôt , selon l'Apôtre , il est un homme animal dont l'intelligence est demeurée étrangère aux choses de l'Esprit de Dieu (1)'. Elles sont pour lui une folie et il ne peut les entendre , parce qu'on doit en juger par une lumière spirituelle. Il y a donc en religion deux noviciats distincts : l'un finit quand , après le temps de la probation , on promet de vive voix de demeurer dans l'ordre et dy pratiquer l'obéissance; l'autre dure tant que le religieux n'a pas changé en habitude la vie sainte embrassée par lui. Or, cela a lieu lorsque ses paroles et ses actions annoncent une persévérance invariable en ses engagements. L'âme en proie à l'hésitation et non encore fixée d'une manière stable dans la voie des choses spirituelles, l'âme entraînée tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, sans savoir à quoi se déterminer, indique un commençant et non un homme dans le progrès. Que le religieux demeure donc inébranlable en ses bonnes résolutions; qu'il considère pourquoi il est venu , ce qu'il s'est proposé; que les oeuvres se joignent à la volonté , et bientôt la voie qui mène à Dieu se déroulera à ses regards.
Les nouveaux et les commençants doivent se tenir en garde sur quatre points s'ils désirent faire des progrès. D'abord , qu'ils veillent à ne point laisser refroidir la bonne volonté qui les a conduits à la vie religieuse , ni la première ferveur de leur noviciat. J'ai un reproche à vous faire, est-il dit à quelqu'un dans l'Apocalypse ; vous vous êtes relâché de votre première charité. Souvenez-vous donc d'où vous êtes déchu, faites-en pénitence, et rentrez dans la pratique de vos premières oeuvres (1). Or, ceux-là abandonnent leur première charité , qui , après avoir été fervents et pleins d'ardeur en toutes choses , deviennent tièdes et négligents , se laissent aller à la légèreté , permettent aux vices dont ils avaient résolu la ruine de dominer en eux , et servent Dieu selon les caprices de leur esprit et non selon le désir de sa volonté. Voilà pourquoi le Seigneur a dit aux enfants d'Israël : Souvenez-vous du jour où vous êtes sortis de l'Egypte (2). Le jour où nous sortons de l'Égypte , c'est la bonne volonté qui nous fait abandonner le siècle ; nous devons nous en souvenir sans cesse afin de ne point laisser sa ferveur se ralentir. Un homme
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voulant renoncer au monde et entrer en communauté demanda à un saint religieux de quelle manière il devait vivre. « Voyez, lui répondit celui-ci , de quelle manière vous avez vécu le premier jour de votre entrée en religion et faites toujours de même. » C'est comme s'il lui eût dit : Considérez bien l'état de votre volonté au premier jour où vous avez pris la résolution de devenir religieux ; combien alors vous étiez humble , combien disposé à obéir en tout , et dans les choses difficiles et dans les actions propres à humilier; combien vous vous montriez patient en recevant les réprimandes , en souffrant la gêne , en supportant le travail ; combien vous étiez modeste et timoré , combien plein de sollicitude à corriger votre vie et à recouvrer les jours perdus au milieu du monde ; combien vous vous inquiétiez peu de poursuivre les nouvelles du siècle et de les rapporter à vos frères ; combien vous méprisiez les médisances et vous teniez votre esprit éloigné des vaines curiosités; souvenez-vous comment vous avez fui et rejeté tous les désirs et les actions de la chair, comment vous vous êtes offert sans réserve au Seigneur comme un holocauste vivant , afin de ne laisser aucune place en vous à la vie du péché , afin de vous immoler et de vous sacrifier à Dieu sous le glaive de l'obéissance par les mains du prêtre ou autrement de votre supérieur. Appliquez-vous à vivre toujours ainsi dans la suite, si vous ne voulez point , dans l'école de la religion , paraître désapprendre et reculer au lieu de marcher en avant. Ceux qui se rendent au lieu où les lettres s'enseignent,
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et y passent vainement leur temps, ne sauraient à leur retour compter autre chose que des dépenses , car ils ne découvrent aucun progrès. Ainsi , lorsque nous examinons nos années de religion , nous trouvons notre avancement dans les vertus bien médiocre , et peut-être même étions-nous plus fervents et plus pieux aux jours de notre noviciat qu'après un long temps de profession. Un tel état est vraiment nuisible et bien propre à nous couvrir de confusion. Vous devriez , nous dirait l'Apôtre (1), être des maîtres dans la vertu après avoir vécu tant d'années dans la vie religieuse , et vous avez besoin que l'on vous ramène aux premiers éléments par où l'on commence à expliquer la parole de Dieu; vous avez besoin que l'on vous instruise , comme des novices ignorants , de quelle manière il faut commencer à servir le Seigneur ; vous êtes devenus comme des enfants à qui l'on doit offrir du lait et non une nourriture solide ; vous demandez à être réchauffés par les douces caresses de consolations puériles et encore empreintes de la vie de la chair; vous êtes impuissants à soutenir les rudes épreuves des vertus , à embrasser les réprimandes sévères et les injures, les privations et les persécutions pour Jésus-Christ; car, quiconque n'est nourri que de lait, ne saurait entendre le langage de la parfaite justice; il est encore enfant et par ses mérites et par sa vertu (2).
Le second point sur lequel les commençants doivent se tenir en garde, c'est de ne point se laisser entraîner
1 Hebr., 5. 2 Hebr.,
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par les exemples des tièdes à marcher sur leurs traces. Certains hommes dont l'âme est sans énergie, voyant des religieux lâches dans le service de Dieu, oisifs et parleurs , superbes et insoumis , ambitieux et pleins d'une foule d'autres vices , se disent en eux-mêmes: S'il leur est permis de vivre de la sorte , pourquoi me le défendrait-on? Et ainsi se sentant plus portés au mal qu'au bien , ils vont choisir des modèles en ceux qu'ils reconnaissent les plus déréglés; ils se réjouissent d'avoir trouvé des compagnons de leurs désordres; ils n'auront pas seuls à rougir, et si l'on épargne les autres, on les épargnera aussi eux-mêmes. Mais contre un tel entraînement le zélé serviteur de Dieu doit se dire : Je suis venu ici uniquement pour le Seigneur et non pour aucun autre ; je ne marcherai point sur les traces d'un homme pour commettre le mal et m'éloigner de Dieu ; jamais je n'eusse choisi une telle société si j'eusse su qu'il y comptât autant d'ennemis. Je dois donc irriter ceux-là seulement qui m'aideront à accomplir les desseins que je me proposai en entrant en religion , et ces desseins furent de posséder mon Dieu , de satisfaire pour mes péchés , de mériter la gloire éternelle. Le peintre et l'artiste désireux d'exécuter un travail digne de la gloire cherchent toujours les meilleurs modèles ; le voyageur ne demande point sa route aux étrangers , mais aux habitants de la contrée. De même je dois suivre l'exemple des bons , et non celui des méchants.
La troisième précaution à prendre par les commençants est de ne point juger témérairement les actions
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des autres , surtout lorsqu'on ignore le motif de leur conduite ou leur intention. Comme nous ne voyons pas les pensées des autres, de même nous ne connaissons pas les raisons qui les portent à faire telle ou telle chose. Nous devons toujours interpréter de la meilleure façon possible tout ce qui est excusable sous un point de vue ou sous un autre, si nous voulons avoir la paix avec nous-mêmes et avec nos frères, si nous désirons ne pas les jeter dans le trouble et ne point pécher. Souvent nous jugeons mal ce qui ne l'est pas en soi , et nous péchons témérairement en usurpant ainsi les droits de Dieu sur les secrets des coeurs. Nos maîtres , tenant auprès de nous la place du Seigneur, peuvent bien nous juger quelquefois d'après certaines conjectures extérieures ; mais il ne nous convient pas , à nous , de juger les autres , jusqu'à ce que , pleinement instruits en toutes choses par le don de discernement des esprits et devenus des hommes vraiment spirituels , nous puissions nous prononcer sur tout et n'être jugés par personne. Ainsi l'homme jouissant d'une vue saine voit un aveugle sans être aperçu par lui , car il ne saurait se voir lui-même. Qui êtes-vous , dit l'Apôtre , pour oser condamner le serviteur d'autrui (1)? S'il tombe ou s'il se tient debout, cela regarde son maître. Souvent la justice divine laisse tomber les hommes adonnés à juger témérairement en des fautes semblables à celles qu'ils voient dans les autres et même en des fautes plus graves , afin de leur apprendre par l'expérience de leur propre infirmité
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à compatir à la misère d'autrui. Ne jugez point, dit le Seigneur, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point et vous ne serez point condamnés...; on se servira envers vous de la même mesure dont vous aurez usé envers les autres (1).
Il y a cependant une différence entre la crainte et le soupçon, entre le jugement téméraire et le jugement conforme à la justice. Il y a véritablement crainte quand , sans aucun soupçon désavantageux sur le compte d'un autre, je redoute de le voir tomber dans un mal dont il n'est point coupable, mais dont je le vois menacé s'il ne se tient sur ses gardes. Ainsi dans les monastères on tient les portes fermées , on éloigne les jeunes gens de toute familiarité imprudente , non parce qu'on leur suppose la volonté de mal faire, mais parce que l'on craint l'occasion du mal, si l'on n'exerce une vigilance exacte. Il y a soupçon quand , sans un motif raisonnable, on regarde comme mauvaise une action qui ne l'est pas, ou quand on suppose de la même manière à ,un autre l'intention de mal faire, et souvent ce défaut est un péché. Il y a jugement téméraire lorsque je crois faite avec une intention perverse une action indifférente en soi et qui a pu être faite par un autre motif. Il y a là une faute, car c'est juger le secret du coeur et ce secret est connu de Dieu seul. Je suis, dit-il , le Seigneur qui sonde les coeurs et éprouve les reins, qui rend à chacun selon sa voie et selon le fruit de ses pensées et de ses oeuvres (2). Il y a enfin un jugement conforme à la justice quand des
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raisons évidentes font regarder un acte comme mauvais, ou quand cet acte est mauvais et illicite en soi , comme lorsque je vois un homme en tuer un autre , ou faire ses efforts pour commettre le péché, car de tels efforts sont coupables et inconvenants.
La quatrième précaution à prendre par les novices est de ne point se laisser abattre par l'adversité et la tentation, mais de se souvenir qu'ils sont entrés en religion afin d'y supporter à cause de Dieu toutes les tribulations de cette vie. Ainsi l'homme embrassant la carrière militaire n'a plus à attendre le repos ni les délices, mais le travail et les blessures. De là cet enseignement de l'Ecriture : Mon fils, lorsque vous vous mettrez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte , et préparez votre âme à la tentation. Humiliez votre coeur et attendez avec patience (1). C'est par beaucoup de peine que nous devons entrer dans le royaume de Dieu (2). Il a fallu que le Christ souffrît et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (3). L'adversité est donc la voie qui conduit au royaume de Dieu ; mais refuser de marcher par la voie, c'est renoncer à arriver au terme.
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Il y a quatre sortes de tentations semblables aux quatre vents qui soufflent des quatre coins de la terre. Elles excitent les tempêtes dont la mer de ce monde est agitée, elles ébranlent le vaisseau de notre coeur et le couvrent de flots. Ces tentations viennent de la chair, du monde , du démon et de Dieu.
Et d'abord nous sommes tentés par la chair quand nos inclinations naturelles nous sollicitent à commettre le crime ; ainsi nous tentent la luxure et la gourmandise. La chair nous tente ensuite d'une autre manière lorsque notre délicatesse nous inspire de l'horreur pour le travail et nous empêche de nous livrer, comme il convient , aux exercices spirituels , aux pratiques des vertus. La chair nous attaque donc en nous inspirant le désir du mal et le dégoût du bien. La colère, l'envie , la vaine gloire ne semblent pas résider en la chair, mais en l'esprit; cependant la corruption de nos affections spirituelles a sa source dans la chair. Nous disons , il est vrai , que les démons suggèrent aux hommes ces passions ; mais nous portons en nous-mêmes la matière de telles tentations , et quand le démon ne nous exciterait pas , notre concupiscence suffirait à produire le péché , si notre consentement venait se joindre à ses désirs. En nous est la source
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de toutes nos fautes. Nos pensées , les affections et les volontés de notre âme , les membres de notre corps , voilà le principe de nos mérites et de nos offenses. Le Créateur nous a donné ces diverses facultés , comme autant d'instruments de vertus , pour nous aider à faire le bien et à nous bâtir des demeures dans le ciel. Elles sont pour nous comme autant d'armes destinées à nous rendre victorieux dans les combats que nous avons à livrer au démon , notre ennemi , sous l'étendard de notre Créateur. Le démon , lui , est sans armes contre nous; il nous attaque uniquement par ses suggestions pleines d'astuce , en nous persuadant de pécher, et non en exerçant sur nous aucune contrainte. L'Auteur charitable de nos jours n'a pas donné à notre ennemi de pouvoir nous forcer par violence au péché ; car il serait trop puissant contre notre fragilité, et c'est à peine si nous pourrions être un instant sans commettre le mal : il lui a permis seulement de nous y porter, mais il est en notre volonté de consentir à ses inspirations.
De plus , Dieu nous a prémunis contre lui en établissant une inimitié implacable entre le serpent et l'homme , afin de bien nous faire comprendre que , quelles que soient ses inspirations , nous ne devons jamais les regarder comme avantageuses , qu'un ennemi aussi cruel ne saurait nous donner un conseil fidèle , lui que notre éternelle damnation peut seule satisfaire. Ainsi , en nous persuadant de commettre le péché , il demande que nous lui livrions nos armes afin de s'en servir pour nous donner la mort; ou bien
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il désire en les possédant les affaiblir et les émousser, les rendre moins propres et moins avantageuses à notre défense , moins perçantes et moins efficaces à le vaincre lui-même dans le combat. Par exemple , en nous envoyant des pensées perverses, en nous poussant à faire le mal par nos actions ou par nos paroles, ne semble-t-il pas nous dire ouvertement : Je suis sans moyens contre vous, je ne puis vous frapper si vous ne nie fournissez vous-mêmes des armes pour vous percer et vous donner la mort ; prêtez-moi donc votre coeur pour le remplir d'affections perverses, de pensées mauvaises; votre langue pour la répandre en paroles d'iniquité ; vos mains et les autres membres de votre corps pour en faire autant d'instruments d'actions détestables, d'oeuvres de péché. De la sorte je frapperai votre âme d'une blessure mortelle , vous perdrez la grâce du Seigneur votre Dieu , vous serez dépouillés du mérite de la gloire céleste.
Mais l'Apôtre nous dit : N'abandonnez point au péché les membres de votre corps pour être des armes d'iniquité; mais donnez-vous à Dieu comme vivants, de morts que vous étiez, et offrez-lui les armes de votre corps pour lui servir d'armes de justice (1). Il est insensé celui qui consent à subir de telles pertes, et il doit s'imputer son malheur bien plus qu'à l'ennemi qui l'excite et agit à son égard comme un ennemi a coutume d'agir.
Le monde nous tente de deux manières : en nous offrant ses amorces ou autrement ses honneurs , ses
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richesses , ses voluptés , ses curiosités , ses adulations , etc.; et en nous frappant d'épouvante par ses persécutions, ses injures et autres peines. Il en éloigne de la sorte beaucoup de Dieu en les retenant dans le péché , soit par l'amour de lui-même dont il les remplit , soit par une crainte coupable.
Le démon a bien coutume , il est vrai , d'avoir part à toutes nos tentations; cependant il dirige contre nous et surtout contre les hommes plus éprouvés dans le service de Dieu deux espèces d'attaques particulières : il s'efforce de nous enlever la foi et de nous inspirer l'esprit de blasphème. Il nous assiége par des pensées que nous avons naturellement en horreur , comme d'abandonner toute espérance, de nous donner la mort , ou autres pensées semblables , bien que de temps en temps elles puissent venir d'un autre principe. Ou bien encore il nous persuade le mal sous l'apparence du bien afin de supplanter ainsi adroitement les imprévoyants qu'il ne saurait séduire autrement et de les éloigner de la droite voie. C'est alors que , selon la parole du Psalmiste , notre ennemi s'appelle le démon du midi , c'est alors que , selon le langage de l'Apôtre , l'ange de Satan se transforme en ange de lumière (1). Comme il est le prince des ténèbres et l'auteur de tout mal , afin de nous nuire avec plus d'astuce , il feint de nous enseigner le bien et de faire briller la lumière à nos yeux , et il espère ainsi nous conduire aux ténèbres du péché.
Mais Dieu ne tente jamais pour nous porter au mal,
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car il ne saurait se réjouir de notre perte , lui qui veut le salut de tous. Cependant il est dit quelquefois tenter certains hommes , soit lorsqu'il les châtie dans le temps présent pour les faire avancer dans le bien et les donner en exemple aux autres , comme nous voyons pour Job et Tobie , soit lorsqu'il les éprouve eh leur demandant les actes les plus sublimes des vertus. Ainsi il a tenté Abraham en lui ordonnant d'immoler son fils unique , l'héritier de la promesse divine , et cela afin de montrer combien grande était la ferveur de l'obéissance en Abraham et de sa foi en Dieu. En effet , il n'hésita point même alors à croire à la promesse du Seigneur, il crut qu'il l'accomplirait , selon sa parole, en celui qui allait recevoir la mort (1).
Nous devons surmonter plusieurs de ces tentations diverses surtout par la résistance , comme les vices de l'esprit : la colère , la paresse , l'orgueil et l'envie. Certaines autres se combattent plus avantageusement par la fuite : telles sont la luxure , la gourmandise , l'avarice, quoiqu'il soit nécessaire aussi de lutter contre elles. Cependant il n'est pas sûr de demeurer long; temps avec un serpent ; la chasteté est beaucoup mieux à l'abri loin de personnes d'un sexe différent, qu'au milieu d'elles. Il nous est plus facile de nous abstenir d'aliments délicats , de boissons recherchées et de toute superfluité dans leur usage quand on ne les voit pas et qu'on en est privé, qu'en les possédant à discrétion. L'homme qui a tout abandonné pour Jésus-Christ et a choisi la pauvreté volontaire pour
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son partage, est moins en proie aux soucis de l'avarice que l'homme en possession de ses biens et toujours occupé du soin de les accroître et de les conserver.
Les vices de l'esprit semblent , il est vrai, nous assiéger plus faiblement et plus rarement quand nous les fuyons ; mais ensuite l'occasion étant donnée , ils ont coutume de nous porter des coups bien plus rudes.
Ainsi un lion enchaîné pendant longtemps frémit avec plus de rage lorsqu'on le relâche.
Quant aux tentations contre la foi , aux tentations de blasphème et autres semblables , nous ne pouvons les fuir ni les vaincre de vive force ; car plus nous nous indignons en nous-mêmes et plus nous nous disputons contre elles , plus leur rage s'anime et s'enflamme. Mais nous ne devons ni nous en inquiéter, ni les craindre; seulement gardons-nous d'y consentir et sachons supporter patiemment leurs vexations comme un murmure diabolique qu'on ne saurait apaiser autrement. De pareilles tentations sont pour l'ordinaire sans danger pour les hommes vertueux; souvent même elles sont l'annonce d'une grâce plus abondante , d'une consolation plus grande; elles nous purifient de nos défauts et nous font acquérir de grands mérites. Pour les châtiments du ciel , il faut les supporter avec patience et humilité , se soumettre entièrement à ses volontés, afin d'être forts dans la foi et de ne jamais nous éloigner de la voie de ses commandements.
Peut-être pourrait-on avec plus de recherches trouver encore d'autres sortes de tentations; mais , pour
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le moment , contentons-nous de ce que nous venons de dire. Il y a des hommes qui se tressent eux-mêmes des filets de tentations ayant l'arrivée des tentations elles-mêmes, et se procurent en quelque sorte le moyen d'être tentés ; tels sont ceux qui roulent volontairement en leur coeur des pensées mauvaises. Ces pensées acquièrent bientôt une telle force qu'elles produisent ensuite la délectation , se fortifient et ne sont chassées que difficilement. De même ceux qui se laissent aller à une familiarité imprudente avec les personnes d'un autre sexe. L'affection pour ces personnes s'imprime profondément dans le coeur , et c'est à peine si on peut l'en bannir. D'autres amassent en leur âme de quoi donner plus tard et dans l'occasion naissance au trouble et à de graves tentations. D'autres sans aucun sujet, par une vaine crainte, se forgent en leur imagination comme une tempête de tentations , et cela arrive à ceux dont la vertu est imparfaite. On voit s'élever en eux le trouble et le murmure , uniquement par de vains soupçons et sans aucun principe de malice. Ainsi deux hommes ne se connaissent point de haine l'un contre l'autre ; ils n'ont aucunement l'intention de se faire la moindre peine. Mais voilà que l'un d'eux soupçonne l'autre d'avoir conçu contre lui des sentiments d'envie, de chercher à lui nuire; et cependant il ne voit pas comment il a pu mériter rien de semblable. L'autre, au contraire, se reconnaissant étranger à de tels sentiments , se plaint de pareils soupçons comme d'une injure imméritée ; il commence de son
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côté à peser lui-même les actions de l'autre comme il ferait pour un ennemi ; et ainsi ils s'enflamment de haine l'un contre l'autre, sans jamais avoir voulu se causer la peine la plus légère : seulement une crainte vainc et imaginaire que l'un était animé d'intention perverse vis-à-vis de l'autre , a suffi pour tout cela. Quelquefois un grand incendie naît d'une faible étincelle , car le démon s'en sert pour allumer avec violence le feu de la rancune et de la haine. De tels hommes sont dits avoir une vertu imparfaite. En effet, ils ont un certain degré de bonté en ce qu'ils ne se proposent point de nuire à leur prochain , et ils sont imparfaits en ce qu'ils soupçonnent trop aisément et sans un motif suffisant le mal chez les autres. Or, cette tendance finit par détruire tout le bien qui était en eux, car ils se laissent aller pour une cause ou pour une autre à la haine contre leurs frères.
Il y a trois sortes de religieux : les premiers sont bons , les seconds meilleurs , les troisièmes excellents. Ils sont désignés par les trois familles de Lévites dont il est parlé dans l'Ecriture (1) : la famille de Gerson , la famille de Mérari , la famille de Caath. Les membres de ces familles avaient été choisis entre tous les
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enfants d'Israël pour servir au culte du sanctuaire , comme les religieux semblent l'être parmi les autres fidèles pour s'appliquer d'une manière plus spéciale au culte divin. Cependant parmi eux il y a des dons différents selon la grâce dont ils ont été comblés et aussi selon le zèle de chacun à croître dans la perfection. Car plus un homme s'humilie et se rend propre à recevoir la grâce par la pratique des vertus , plus l'esprit de grâce se répand en lui avec abondance dans le temps présent, et plus il mérite dans l'éternité une gloire admirable. Si vous marchez sur les traces des coeurs les plus élevés dans le bien, vous prendrez place à côté d'eux dans le ciel; si vous imitez les hommes dune vertu moyenne, votre félicité égalera la leur ; et si vous vous contentez de suivre ceux d'une vertu médiocre , votre rang sera un rang médiocre. Nous soupirons tous après les récompenses les plus sublimes, mais peu s'appliquent avec persévérance aux actes sublimes des vertus. Or , on ne saurait , dit saint Grégoire , parvenir à une couronne brillante sinon par de grands travaux (1). Remarquez-le bien : ce saint ne dit pas de pénibles travaux , mais de grands travaux , ou autrement des travaux qui nous portent à de grandes vertus , des travaux d'une grande utilité , quand même ils seraient quelquefois moins accablants.
Les premiers religieux sont désignés par les enfants de la famille de Gerson , dont les fonctions au départ du camp d'Israël étaient de porter les rideaux du
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tabernacle, la couverture placée sur son toit, les voiles et tout ce qui est doux au toucher ; et lorsque le camp se dressait, leur rang était à l'occident, derrière le tabernacle. Or, le tabernacle est la vie de Jésus-Christ et la conservation de ses actions saintes que tout homme est presque impuissant à reproduire par une imitation parfaite; car l'esprit de sainteté et de sagesse ne fut pas répandu avec mesure dans le Sauveur, mais il en posséda la plénitude; et c'est de cette plénitude que nous avons tous reçu , selon le degré dont il a plu à ce même Jésus de gratifier chacun de nous en particulier , les uns d'une façon, les autres de l'autre. Voilà pourquoi les uns marchent sur ses traces avec un tel don , les autres avec tel autre don , jusqu'à ce que nous arrivions tous dans la patrie à l'état d'hommes parfaits , à la mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être formé en nous. Chacun se réjouira en cette demeure céleste selon son mérite et selon son ardeur à imiter le Sauveur dans le temps présent.
Ces premiers religieux fuient les pratiques austères et difficiles d'une vie toute sainte ; ils embrassent des exercices plus doux et observent une règle plus large quant au bien-être corporel , autant que cela leur est permis sans compromettre leur salut ; il leur suffit seulement de se garantir des fautes mortelles. De tels hommes sont bien plus exposés que les autres à tomber dans le péché; car, selon saint Grégoire (1), ceux-là ne se laissent pas entraîner aux choses défendues qui
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s'abstiennent même des choses permises. La voie qui conduit à la vie est étroite, elle est élevée, et l'homme qui la parcourt sans précaution et sans crainte pose aisément son pied au-dessus du précipice. Cependant ceux dont nous parlons , voulant paraître des religieux véritables, ont coutume de se faire quelquefois une grande violence à eux-mêmes et de déployer une grande diligence pour les observances extérieures et les traditions humaines , pour tout ce qui tient à l'honnêteté matérielle , comme les inclinations , la manière de se présenter, l'ampleur du capuce , les manches et autres choses qui relèvent au-dehors la beauté de la vie religieuse. Voilà pourquoi les enfants de Gerson , dont le nom veut dire des étrangers, portaient les extrémités du tabernacle , ou autrement la couverture placée sur son toit , les rideaux , les cordes. En effet , les hommes nouveaux dans la vie religieuse regardent comme considérable la fidélité aux observances dont nous venons de parler, tant qu'ils ne connaissent pas les exercices plus importants des vertus. Mais , comme le disait le Seigneur en parlant aux pharisiens de toutes les menues pratiques des cérémonies de la loi , sans doute il faut accomplir ces choses , sans cependant omettre celles d'un degré plus excellent (1). Quand on dressait le tabernacle, ces enfants de Gerson se plaçaient derrière du côté de l'occident; et ceux qui se contentent de cette dernière part dans l'exercice des vertus , seront après cette vie au dernier rang; ils seront comme au soleil couchant ,
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à l'endroit oit la gloire céleste resplendira le plus faiblement.
Les seconds religieux sont représentés par les enfants de Mérari, dont le nom veut dire des hommes d'amertume. Ils portaient les tables , les colonnes et les ais du tabernacle, en un mot tout ce qui était pesant et tenait le milieu entre les voiles et le sanctuaire. Tels sont les religieux qui mènent une vie dure au milieu des exercices corporels. Ils affligent leur corps par des jeûnes, des veilles et autres travaux pénibles , et s'imaginent que le degré suprême de la vie religieuse consiste en ces observances ; aussi , ignorant les douces consolations intérieures , s'inquiètent-ils peu des pratiques véritables des vertus , pratiques qui résident en notre esprit et en notre coeur. Comme ils sont secs en eux-mêmes et qu'ils ont coutume d'être sévères en jugeant les autres , on peut bien les appeler des hommes amers ou répandant l'amertume. Et comme ils tiennent le milieu dans l'exercice des vertus , entre ce qu'il y a de moindre et de meilleur , leur demeure, quand on dresse le tabernacle , n'est point à l'extrémité , mais au côté , vers l'aquilon, à l'endroit où la lumière du soleil est moins brillante et la chaleur moins embrasée qu'au midi. Autant il leur a manqué de perfection dans la poursuite du bien, autant il leur manque de splendeur dans la gloire et de jouissance en la possession de la divine félicité.
Les troisièmes religieux, qui sont les plus excellents, peuvent être désignés par les enfants de Caath , dont
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la charge est de porter le sanctuaire lui-même, ou autrement l'arche et l'autel , la table des pains de proposition et les vases destinés à son service , mais cependant le tout couvert et enveloppé. Ces hommes s'appliquent à bien régler en eux l'homme intérieur, où Jésus-Christ habite par la foi, à pratiquer les vraies vertus , à extirper les vices de la chair et de l'esprit , à combattre courageusement la colère , l'envie , l'avarice , la paresse, l'orgueil, la gourmandise, la luxure; à implanter en leurs coeurs les vertus contraires à ces vires , l'humilité , la charité , la mansuétude , la dévotion , la libéralité , la sobriété , la chasteté. Ces vertus forment un sanctuaire véritable , et quiconque les possède est vraiment saint. Aussi le none des enfants de Caath signifie-t-il des hommes patients ou des hommes réglés ; et ces religieux s'efforcent par la patience , dont les oeuvres sont parfaites au rapport de saint Jacques, de se régler et de se disposer , comme il convient , vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis du prochain en toutes sortes de vertus. Le Seigneur commanda de donner des chariots aux deux premières familles ; mais les hommes employés au service du sanctuaire portaient leurs fardeaux sur leurs épaules. Dans l'administration des choses du dehors , connue dans la mortification du corps , on accorde quelque relâche ou même quelque interruption; bien plus , on ordonne en tout cela une obéissance raisonnable selon le lien et le temps , de peur que le corps ne vienne à défaillir sous l'excès du travail ; mais dans la pratique des vertus on ne
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connaît rien de semblable , car jamais on ne nous permet d'en être privés , jamais d'être orgueilleux , violents , envieux, paresseux , avares, gourmands ou impurs. Nous devons porter ces fardeaux sur nos propres épaules , c'est-à-dire ne pas nous appuyer sur les vertus des autres , si nous ne nous efforçons de les reproduire en nous-mêmes , ne pas imiter certains religieux qui désirent habiter avec des hommes pacifiques, non pour travailler, à leur exemple, à devenir patients , mais pour ne point se sentir excités à l'impatience. A quoi bon avoir une même demeure avec les saints si nous refusons d'imiter leur zèle à se sanctifier? Les fardeaux des enfants de Caath étaient lourds en eux-mêmes; mais ils étaient précieux et saints , et ils se plaçaient à l'intérieur du tabernacle. De même les exercices des vertus spirituelles sont pénibles pour les hommes encore imparfaits , mais ils sont glorieux et vraiment honorables ; ils sont saints et produisent la sainteté ; ils sont intérieurs , car ils sont cachés dans le secret de l'âme , ils ont leur place en l'homme intérieur. Ils portaient ces fardeaux couverts dun voile , et tant que nous marchons par la foi et non à la clarté du jour, nous ne pouvons découvrir la splendeur des vertus dans tout son éclat. Nous devons les tenir enveloppées dans les pratiques d'oeuvres extérieures, tant pour nous-mêmes que pour les autres qui ne sauraient découvrir le secret de notre âme autrement que par les traces des actions et des exercices du dehors.
Cependant c'est de cette famille que sont descendus
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les prêtres par Amram , dont le nom veut dire vigilant en la grâce. Leur emploi leur permettait de voir et de toucher le tabernacle , et ils devaient le préparer et en confier le transport aux lévites , selon les attributions de chacun. Les prêtres ne le portaient pas eux-mêmes ; mais quand on l'avait mis en place , ils demeuraient devant les portes du côté de l'orient. Or, les enfants de Caath figurent les hommes forts en vertu, et les prêtres les contemplatifs. liais les hommes d'une vertu élevée arrivent seuls à la grâce de la contemplation : leur ardeur à s'avancer dans les voies de la perfection les rend dignes de recevoir en leur âme l'onction de l'Esprit-Saint ; ils sont illuminés et découvrent les secrets célestes cachés au reste des hommes. Ils ne ressentent plus les fatigues attachées à la pratique des vertus et signifiées par le travail dont étaient chargés ceux qui portaient le tabernacle. Les douceurs de la sagesse répandue en leur coeur a changé pour eux en délices toutes les peines , tant l'amour de leur Créateur les embrase. Ils règlent les fardeaux à imposer à chacun , car leur intelligence éclairée intérieurement leur fait connaître les diverses raisons des observances de la vie religieuse. Les hommes sans expérience et encore imparfaits ne sauraient comprendre le but de pareilles choses , et alors les autres les dérobent â leurs regards sous le voile dactes corporels et d'exercices extérieurs et les leur imposent selon l'état et l'aptitude de chacun.
Voyez donc à laquelle de ces familles vous voulez appartenir, on plutôt de quel esprit vous êtes. Recevez
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ensuite sur vos épaules le fardeau qui vous a été imposé selon votre capacité, ou autrement observez la règle et parcourez la voie qui vous aideront à atteindre la perfection de votre état. Il est impossible d'arriver à posséder bien un art quelconque , si l'on ne veut en étudier les préceptes et les mettre en pratique. De même on ne saurait devenir un homme spirituel si l'on ne veut marcher selon l'esprit.
Saint Bernard , dans sa lettre aux frères de la Montagne-de-Dieu , décrit trois états de la vie religieuse : l'état des commençants , l'état des hommes dans la voie du progrès et l'état des parfaits. Il appelle le premier l'état animal , parce qu'il est nouveau et encore sans intelligence des choses de l'esprit de Dieu. Il regarde comme nécessaire avant tout d'appliquer les hommes compris en cet état à bien régler tout ce qui tient au corps , afin de le dompter, de le châtier et de l'empêcher de se révolter contre l'esprit en l'entraînant au péché , commue il arrivait aux jours où la chair seule exerçait son empire.
Il nomme le second l'état raisonnable , parce qu'en cet état la raison , la plus digne partie de l'homme, celle qui le distingue des animaux privés d'intelligence , lui donne le premier rang et l'empire sur
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toutes les autres créatures; parce que, dis-je, la raison, après avoir dompté la chair et l'avoir réduite sous la puissance de l'esprit, s'efforce en cet état de se connaître , de se purifier et de reconquérir sa dignité première, son ancienne beauté , dont le péché l'a dépouillée indignement.
Enfin il donne au troisième état le nom de spirituel, car en ce dernier état l'esprit formé à l'image de Dieu, aidé de la grâce et de l'Esprit-Saint , s'élève au-dessus de lui-même et fixe ses regards sur celui dont il porte l'empreinte, afin de la graver plus profondément en son âme et de lui ressembler davantage par la connaissance de l'intelligence , l'ardeur de l'amour et les délices de la félicité. On arrive au second par le premier, et au troisième par le second. Le prophète Ezéchiel nous donne un exemple de cette marche successive. Il y avait, dit-il en parlant du temple, il y avait un espace, et, dans cet espace, un degré fait en rond, qui allait d'étage en étage, montant jusqu'à la chambre la plus haute, toujours en tournant. C'est pourquoi le temple était plus large en haut qu'en bas; et ainsi passant de l'étage le plus bas à celui du milieu, on montait jusqu'au plus élevé (1).
L'esprit raisonnable est l'image de la Trinité suprême. Dieu est trois et un; de même l'âme est une et elle est douée de trois puissances qui la rendent capable de posséder Dieu : la raison , la mémoire et la volonté. Par ,la raison elle peut comprendre la sagesse divine; par la mémoire , embrasser l'éternité
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de façon à n'être jamais séparée du Seigneur; par la volonté , jouir de sa bouté céleste. Que l'âme ne possède donc pas inutilement une ressemblance si admirable avec son Auteur. Elle est par elle assez grande pour le contenir; qu'elle déploie donc toutes ses forces pour l'atteindre afin de trouver en lui toute sa béatitude. Rien en dehors de Dieu ne saurait suffire à l'âme , et avec lui elle n'a plus rien à chercher ailleurs, elle est en possession de tout ce que demande son éternelle félicité, en possession du bien le plus excellent; du bien souverainement parfait. La dignité la plus glorieuse de l'âme étant d'être capable du bien suprême, et sa félicité souveraine d'avoir Dieu en elle-même et avec lui tout bonheur, elle ne saurait donc poursuivre rien de plus digne , rien trouver de plus avantageux , et tous ses efforts , tous ses soins , tous ses désirs doivent donc être de le chercher à l'aide de ses facultés, de faire tout ce qui peut la faire re-naître à lui , d'éviter et de fuir tout ce qui est capable de l'en éloigner, même les objets les meilleurs. On regarderait justement comme un insensé l'homme qui , ayant un jardin propre à produire du baume , le remplirait de menthe et de cumin , car ces plantes, quoique bonnes , sont cependant de nulle valeur en comparaison du baume. Mais combien plus sera insensé celui qui, pouvant embrasser le Bien suprême, le néglige et s'arrête à des objets caducs et vils , dégoûtants et pleins d'amertume? De même celui-là est un insensé qui , ayant devant lui une voie de deux ou trois jours de marche pour se rendre au lieu où
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il veut aller, la laisse pour en prendre une plus longue, plus difficile, plus dangereuse, où il lui faudra marcher durant plusieurs années. Or, nous voyons plusieurs religieux agir avec aussi peu de sagesse. Ils pourraient en peu de temps arriver par les sentiers abrégés de la vertu , de la dévotion et de la pureté, à une grande connaissance et à un amour intime de Dieu , et ils les laissent pour se jeter en des pratiques moins fructueuses et qui leur rendent bien plus difficile l'approche du but où ils tendent. Ce but est de connaître le Seigneur, de découvrir sa vérité, d'atteindre à la perfection , et il a promis lui-même que l'Esprit de vérité nous enseignerait toute vérité (1). Si un homme instruit en plusieurs arts en connaissait un tellement supérieur aux autres et tellement avantageux que par lui il fût possible de s'enrichir en peu de temps et d'acquérir un nom illustre parmi les plus grands noms de la terre, cet homme serait imprudent outre mesure de négliger cet art pour en exercer un plus vil, plus humble et exigeant un travail si pénible qu'il lui serait presque impossible de gagner la faible nourriture de chaque jour. Telle est l'imprudence de l'homme, et surtout du religieux qui, mettant de côté la pratique directe ales vertus , pratique où se trouvent le plus grand mérite et la perfection la plus sublime de la sainteté et de la sagesse, la félicité suprême et la sécurité véritable, se livre tout entier à des exercices moins utiles et moins relevés , et se tourmente pour beaucoup de choses quand il lui
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suffirait de poursuivre le bien unique et suprême , le bien qui comprend tous les autres. Les exercices corporels, dit l'Apôtre , sont d'un médiocre profit; mais la piété est utile à tout, et c'est à elle que les biens de la vie présente et de la vie future ont été promis (1). Cette piété, dont parle saint Paul, est le culte même de Dieu, où nous nous efforçons de le connaître, de l'aimer, de le posséder et de lui plaire. Sans doute les exercices corporels nous offrent quelques avantages , mais ils sont faibles. On ne doit donc point désirer ces exercices pour eux-mêmes, mais en vue de la piété, qu'ils nous aident à obtenir lorsque nous savons les pratiquer comme il convient. Comme l'ouvrier travaille à l'aide des instruments de son art , ainsi la vertu s'acquiert au moyen des exercices corporels et se change en habitude; et plus on s'approprie des instruments parfaits, plus, en les maniant avec adresse, on arrive à accomplir promptement et à un degré excellent l'oeuvre qu'on s'était proposée. Toutes les pratiques extérieures que nous voyons en l'observance de la vie religieuse, ont été réglées par l'inspiration de l'Esprit pour aider à réformer l'Homme intérieur. Celui qui n'a pas encore compris cela peut être regardé au milieu de ces pratiques comme chargé d'autant d'instruments dont il ignore l'usage.
La réforme intérieure s'accomplit dans le plus intime de notre âme, car l'homme intérieur, l'image de Dieu , c'est l'âme raisonnable. Le corps est l'homme extérieur. Par la corruption venue du
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péché, il languit , meurt et tombe en poussière; nais l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour dans te bien; il croît à l'exemple de Celui dont il devint l'image au jour de sa création. Voici la manière d'accomplir cette réforme : L'âme a trois puissances comme nous l'avons dit, la raison, la mémoire et la volonté. La raison lui avait été donnée pour connaître Dieu, la volonté pour l'aimer, la mémoire pour se re-poser en lui. Mais, par le péché, la raison est devenue aveugle , la volonté s'est courbée vers la terre couverte de souillure, la mémoire a perdu toute consistance et tout équilibre. Le plus souvent la raison prend le mensonge pour la vérité, la volonté choisit le mal pour le bien , la mémoire est errante sur des objets où elle ne saurait goûter le repos , parce que l'âme a abandonné le bien unique et suprême en qui elle pouvait trouver tous les biens. Cette âme s'étant donc tournée vers Dieu commence par chercher ce qu'elle a perdu , et se voyant si différente de ce qu'elle était au sortir des mains de son Créateur , elle travaille à revenir à son ancien état et à recouvrer la bonté dont elle fut autrefois en possession , car elle ne peut s'approcher de Dieu tant qu'elle lui sera si peu semblable. Mais, comme on ne parvient pas tout d'un coup au point le plus haut , elle s'applique à y arriver peu à peu en s'élevant du dernier degré au degré moyen , et de celui-ci au suprême degré.
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La réforme de la raison doit commencer par la croyance inébranlable à toutes les vérités de la religion catholique. Notre raison s'étant affaiblie et notre intelligence obscurcie par le péché , nous sommes devenus impuissants à trouver la vérité par nous-mêmes ; alors Dieu a usé de condescendance pour nous préserver de l'erreur, et il nous a fait connaître la vérité par les saintes Ecritures, auxquelles il a voulu que nous eussions une foi entière. Là il nous fait trouver, selon nos besoins et sans crainte de nous égarer, tout ce qui est nécessaire à notre salut; mais aussi il exige que nous ne suivions pas notre sens propre et que nous le soumettions humblement aux règles de la foi , si nous ne voulons nous éloigner du chemin. O mon fils, dit le Sage , le Pasteur unique, ou autrement Dieu , nous a donné ses enseignements par le conseil et la sagesse des maîtres ou des docteurs de la foi ; ne recherchez rien de plus (1).
Notre raison fait des progrès quand , par l'illumination divine , elle commence à avoir quelque intelligence des motifs de la foi. Sans doute elle est inférieure à la foi et elle ne saurait la comprendre par ses seules forces; mais éclairée d'en haut elle voit que rien n'est
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plus raisonnable que la foi chrétienne : la nature entière lui rend témoignage et toute la sagesse du monde s'abaisse pour la servir.
Notre raison est arrivée en cette vie à l'état le plus parfait , elle est transportée au-dessus d'elle-même par le ravissement de notre esprit, lorsqu'elle ne s'appuie plus sur l'obscurité des images corporelles ni sur les arguments de la science , mais qu'il lui est donné de voir Dieu dans sa contemplation par la pureté sans nuage de son intelligence.
La volonté commence à se réformer quand , par une résolution bien arrêtée , elle apprend à résister aux vices et s'applique à accomplir fidèlement à cause de Dieu les actes des vertus. Comme elle est devenue toute courbée vers la terre et toute contrefaite en s'éloignant du Seigneur , elle doit nécessairement , en se convertissant, se mettre d'accord avec lui et redresser par l'exercice des bonnes oeuvres ses mouvements rebelles à la règle invariable de la volonté divine. Son progrès consiste à avoir des affections bien ordonnées et changées en vertus, à ne suivre aucune rébellion ou entraînement violent, à n'avoir de plaisir que dans les choses conformes au bon vouloir de Dieu. La perfection de la volonté est dêtre une
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en esprit avec Dieu par l'amour, de façon à ne vouloir que lui et à ne pouvoir s'enivrer que des douceurs de sa suavité.
On commence à réformer la mémoire en ramenant avec force son esprit de ses évagations à la pensée de Dieu , par des prières , des lectures , des réflexions , ou au moins par des pensées quelconques. Cette réforme est plus avancée quand on peut s'appliquer sans être détourné par une dissipation importune à de bonnes méditations et à de saintes oraisons , et marcher avec soi-même dans toute l'étendue de son propre coeur. Cette réforme enfin est arrivée à sa perfection lorsque l'homme est absorbé de telle sorte en Dieu par le ravissement de son esprit , qu'il s'oublie lui-même avec toutes les choses de ce monde et se repose avec délices uniquement en son Seigneur sans être troublé par le bruit de pensées et d'imaginations tumultueuses.
Tels sont les commencements , les progrès et le terme de la perfection humaine. C'est là que doit se diriger toute l'application de la vie spirituelle. Celui qui ne marelle pas par cette voie est semblable à l'homme qui ne sait où il va et s'avance au hasard et sans réflexion vers un but incertain. Les commencements
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de cette réforme pour les trois puissances de l'âme regardent tous les hommes appelés à se sauver : il n'y a pas de salut hors de là. La perfection de ces mêmes puissances est le partage des parfaits, mais seulement quand ils sont élevés au plus haut point de la perfection , c'est-à-dire au ravissement de la contemplation. L'état moyen appartient à ceux qui marchent véritablement dans la voie des progrès , et il concerne d'une manière particulière les religieux déjà éprouvés dont le chemin semble tenir le milieu entre les sentiers des hommes vertueux du monde et ceux des parfaits. Je ne prétends pas cependant qu'il leur soit possible de demeurer toujours dans un même état: les plus saints le peuvent à peine eux-mêmes ; mais leur voie se trouve placée au milieu des deux autres, elle est distincte de celle des commençants et de celle des parfaits.
Quelquefois aussi les progrès de ces divers états doivent être considérés sous un point de vue plus large. Il faut commencer par la réforme de la volonté, car d'elle dépendent la vertu , le vice , le mérite et les affections qui nous inclinent tant au mal qu'au bien ; ensuite on doit passer à la mémoire , à la raison ou l'intelligence. En effet , la volonté tient comme l'empire en notre âme; la raison enseigne, la mémoire sert l'un et l'autre; elle montre à la première ce qu'elle doit ordonner, et à la seconde off elle doit puiser ses enseignements.
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Il nous faut , en peu de mots, voir comment les forces naturelles de notre âme et ses affections se sont changées en vices dans leurs actes, et pour quelle fin l'homme les avait reçues. Ensuite nous indiquerons quelques remèdes à chaque vice en particulier , et l'ordre à suivre dans les vertus.
La volonté devait être soumise à Dieu seul , mais librement et sans entraînement forcé, de façon à pouvoir accomplir des actions dignes de récompense. Ainsi l'homme pouvait commettre le péché ou s'en abstenir. Mais , en recevant la liberté , il ne lui était point permis de faire le mal par là même qu'il en avait le pouvoir ; seulement , en l'évitant dans une telle condition , il devenait digne de louange et acquérait des droits à une récompense devant Dieu. Au contraire, en se rendant coupable, il méritait la confusion et les supplices , car il savait que le péché lui était défendu , et il était en sa puissance de s'en abstenir.
Ensuite , l'âme ayant été créée capable de la béatitude suprême, béatitude qui devait lui faire trouver en Dieu le centre de la félicité souveraine et véritable , une gloire sans limites et des délices infinies , elle fut douée naturellement de deux inclinations en
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rapport avec de tels biens afin qu'elle pût les désirer, s'appliquer à les obtenir, et en jouir, après être entrée en leur possession, avec d'autant plus d'ivresse qu'elle les aurait poursuivis avec plus dardeur. Elle reçut donc le désir de la gloire , mais un désir incapable de se satisfaire en dehors de la gloire suprême. Ensuite elle se sentit inclinée au bonheur, et cette inclination était telle que la félicité souveraine pouvait seule répondre à ses besoins. Or, la gloire suprême et la félicité souveraine se trouvent en Dieu seul , et ainsi rien en dehors de lui ne saurait contenter l'âme. Ce sentiment naturel s'appelle concupiscible.
De ce sentiment est née une autre puissance en notre âme. Eprise d'un tel désir du bien suprême, instruite par la lumière de son intelligence qu'elle était faite pour le bonheur, d'un côté elle avait naturellement en horreur, elle détestait et repoussait tout objet contraire; de l'autre elle embrassait avec ardeur sans vouloir s'en dessaisir tout ce qui concourait à le lui procurer et à lui en conserver la possession. Cette puissance de notre âme s'appelle l'appétit irascible. Elle nous offre en effet une ressemblance avec la colère qui s'indigne et s'emporte contre ce qui la contrarie et s'attache inséparablement à ce qu'elle désire. Par sa puissance raisonnable, l'homme connaît le bien dans ses degrés de bien simplement , de bien plus élevé et de bien très-excellent. Par sa puissance concupiscible il soupire après le premier de ces biens , plus encore après le second , et sans mesure après le dernier. Par sa puissance irascible, il embrasse le bien
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et s'y attache, il saisit avec ardeur tout ce qui peut l'aider en ce point, il repousse avec indignation et fuit tout ce qui lui est un obstacle.
Mais l'homme ayant librement consenti au péché à la persuasion du démon et contre la défense de Dieu, a vu tout d'un coup plongées dans le désordre et comme bouleversées les forces et les puissances dont son âme avait été ornée pour connaître le bien suprême , pour le désirer et en jouir. Elles ne lui ont point été enlevées, mais elles sont demeurées souillées et perverties. Ainsi un instrument de musique produit des accords mélodieux tant qu'il est intact et bien réglé; mais une fois brisé et dérangé, il ne donne plus que des sons stridents et désagréables. L'homme , entraîné par l'amour des choses visibles et tombé de l'amour des choses invisibles , ne connaît plus maintenant, en punition de son péché, que les biens sensibles , il les aime seuls et s'attache à eux uniquement. Les biens invisibles sont à ses yeux comme s'ils n'étaient pas ; il les dédaigne , ou plutôt il les ignore , et c'est à peine si quelquefois il peut être amené à croire à des objets étrangers à sa vue et à sou corps. Notre âme a été frappée d'un aveuglement tel en sa raison qu'elle ne se connaît plus elle-même , car elle l'ait partie des êtres insaisissables aux yeux de la chair. Et non-seulement elle est aveugle , mais elle est insensée; en son aveuglement elle croit à beaucoup de choses qu'elle ne voit pas, et ainsi elle est même infidèle. Voilà pourquoi ses désirs se bornent à des biens terrestres, méprisables et honteux, pourquoi elle
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les embrasse avec amour et regarde connue quelque chose de considérable de les posséder.
L'inclination à l'honneur avait été mise en l'homme afin qu'il pût soupirer après l'honneur suprême , honneur qui consiste à plaire à Dieu , à être l'ami , l'enfant , l'héritier de Dieu, à être semblable à Dieu , à régner avec lui , non en partageant sa puissance , mais en communiquant à sa charité , à être un même esprit avec Dieu et l'égal des anges , à n'être soumis à la domination d'aucun si ce n'est à celle du Seigneur souverain de toute créature. Ensuite l'homme devait, avec un tel sentiment , reconnaître en lui-même une dignité si admirable en voyant l'image de Dieu imprimée en son âme, qu'il lui devenait impossible de se soumettre jamais à un être inférieur, que le Maître de toutes choses avait seul droit à ses hommages , à son obéissance , à son amour, tandis que tout le reste, estimé à sa juste valeur, était destiné à servir ses besoins selon la volonté de son Seigneur. C'était un saint orgueil de mépriser ainsi tout objet digne de mépris , de désirer et d'aimer uniquement le bien. Mais aujourd'hui son désir, c'est de plaire aux hommes; c'est d'acquérir la gloire de ce monde , gloire trompeuse et frivole. Il s'estime beaucoup lui-même , et il n'est rien; il se séduit de la sorte , et il est misérable; il est vide de tout bien ; il se compare aux antres et il les méprise; il voudrait les soumettre à son empire , et ils lui sont peut-être supérieurs en mérite; il se glorifie en ses richesses, et ses richesses sont de la terre et de la houe ; il se vante dactions vaines et
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perverses , et ainsi il est semblable aux insensés qui se croient quelque chose après s'être vautrés dans la fange. Voilà comment l'homme a échangé sa gloire contre l'image d'un vil animal occupé à se nourrir d'herbes ; car, dit le Prophète , toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs. L'herbe se sèche et la fleur tombe (1). Voilà comment un saint orgueil s'est changé en un orgueil pervers.
Il y a un triple orgueil. Le premier consiste à trop se complaire en soi-même et à s'estimer plus grand qu'on n'est dans la vérité; c'est le commencement de tout péché. Le second , à désirer être estimé des autres , à tourner tous ses efforts de ce côté ; c'est la vaine gloire. Le troisième , à désirer l'emporter sur les autres et à vouloir les dominer. L'orgueilleux , après s'être trompé lui-même , s'efforce donc d'en-traîner les autres en son erreur en voulant se faire passer pour plus grand qu'il n'est. Ainsi nous voyons un homme d'une taille élevée se jouer d'un enfant et lui faire croire qu'il est monté sur un cheval alors qu'il n'est sottement assis que sur un fagot de paille. Or, l'orgueilleux est opposé à Dieu : toutes les créatures
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sont soumises au Seigneur, et l'orgueil veut exercer sur elles son empire; il dépouille, autant qu'il est en lui , le Maître souverain de son honneur, de son domaine universel; il se montre ingrat envers lui Pour les bienfaits dont sa main l'a comblé ; il cherche en ces bienfaits sa propre gloire , et non celle de son Seigneur, l'auteur de toutes grâces.
Je ne parlerai pas des divers rejetons de l'orgueil : J'en ai traité déjà en plusieurs endroits , surtout dans ma somme des vices. Mais , je dois le dire, je trouve plus de danger à s'enorgueillir des biens de la grâce que des biens de la nature ou de la fortune. Les biens de la grâce sont les vertus, la science, les bonnes oeuvres, comme la prédication , le jeûne. Les biens de la nature sont ceux que nous avons naturellement en nous-mêmes , comme la noblesse , la beauté , la force , le génie. Les biens de la fortune sont les dignités, les richesses , les honneurs , etc. On les appelle ainsi Parce qu'ils sont donnés quelquefois comme par hasard en plus grande abondance à certains hommes qu'à d'autres bien supérieurs par leurs qualités naturelles et leurs vertus. Cependant de tels biens n'arrivent pas sans un concours de la Providence , quoique souvent les mauvaises dispositions de leurs possesseurs en fassent pour eux une occasion de ruine.
L'orgueil jette aussi notre âme dans un aveuglement tel qu'elle ignore parfois les biens qui l'enrichissent davantage. Ce vice nous empêche surtout de recevoir de Dieu des bienfaits plus considérables. Le Seigneur est vraiment. libéral et il désire singulièrement nous
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faire part de ses richesses , tant son amour pour nous le presse. Mais notre orgueil nous rend indignes de sa grâce. S'il nous témoignait plus de bonté , nous nous élèverions ou nous deviendrions ingrats , ou nous ne profiterions pas , comme il conviendrait , de ses faveurs pour faire le bien , et ainsi nous serions coupables d'un plus grand crime. Le refus de grâces plus abondantes est souvent de la part de Dieu l'effet de sa clémence pleine de miséricorde, et non de sa colère. Dieu résiste aux superbes comme à des hommes révoltés contre sa puissance, et il donne sa grâce aux humbles , parce qu'ils ne laissent pas s'écouler sous l'enflure de la vaine gloire les faveurs dont ils sont comblés (1).
L'orgueil détruit encore en nous le mérite des bonnes oeuvres : il nous les fait accomplir en vue d'obtenir les faveurs du monde. Souvent même ce vice prend le manteau de l'humilité, sa rivale , afin d'arriver sous son nom plus adroitement à la gloire. La recherche de la gloire est vile, il le sait; il voudrait l'acquérir en la fuyant ; car elle s'attache comme l'ombre à ceux qui la fuient , et elle s'éloigne de ceux qui la poursuivent.
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Quelquefois, remarquez-le, nous devons manifester nos bonnes oeuvres aux regards des hommes , quelquefois les leur dérober. De même, à certains moments, il convient de leur laisser voir le mal dont nous sommes coupables, et à d'autres de le leur laisser ignorer. Les vertus imposées par un précepte de Dieu ou de l'Eglise, ou par un voeu public, doivent être connues de tous, comme la foi, la charité, la justice, la vérité , la chasteté , l'obéissance, le mépris des choses du monde. Les hommes , instruits de nos obligations, seraient scandalisés de ne point voir en nous ces vertus et nous regarderaient comme des prévaricateurs de nos voeux. C'est de tels actes qu'il est écrit : Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les Cieux (1).
Quelquefois aussi nous devons cacher le bien qui est en nous; ce sont les faveurs spéciales, comme la grâce de la dévotion intérieure; ou les choses propres à nous attirer des louanges particulières, telles qu'une abstinence considérable , des veilles et des prières prolongées, des aumônes extraordinaires. Le Seigneur
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nous instruit de ces divers points dans le sermon sur la montagne.
Nous devons aussi laisser ignorer quelquefois les fautes commises par nous , pour ne point scandaliser les autres et ne pas leur donner occasion de marcher sur nos traces. Ceux qui font le mal publiquement commettent donc un double péché : ils offensent Dieu et ils ouvrent devant leurs frères une fosse où leur mauvais exemple les entraîne. Mais si quelqu'un, sans notre faute, ou seulement sur une apparence, veut interpréter par malice nos bonnes oeuvres en mal et refuse nos explications, alors prenons patience : Jésus-Christ a gardé le silence en sa Passion alors que l'envie l'accusait de beaucoup de crimes. Il a répondu en effet quelque part : Quand je vous le dirais, vous ne me croiriez pas (1).
Quelquefois enfin nous devons découvrir ouvertement nos défauts. Nous devons déclarer dans la confession privée les choses connues de nous seuls, et en public, comme dans les visites et dans le moment des réprimandes, celles dont tout le inonde est témoin. Ne rougissons pas d'avouer nos imperfections et les défauts de nos vertus, de peur qu'on ne vienne à nous estimer au-dessus de notre mérite. Si la vaine gloire nous pousse à faire le bien, sachons lui résister sans cependant négliger les bonnes oeuvres, surtout si elles sont utiles et nécessaires. Souvent nous nous imaginons retirer des louanges pour quelque parole ou quelque action, et peut-être les autres ne les
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remarquent pas. Nous sommes loin de considérer tous leurs actes; de même ils n'arrêtent pas leur attention sur tous les nôtres. Quelquefois ils nous méprisent au lieu de nous louer , surtout s'ils découvrent en nos oeuvres le désir des louanges. Peut-être aussi nous donnent-ils des éloges en face, comme nous voyons certains hommes légers avoir toujours des paroles selon le bon plaisir de chacun. A de pareils traits de la vaine gloire il ne faut point une résistance vigoureuse, mais la main d'un conseil prudent; on les éloigne comme de faibles mouches, avec une baguette légère.
Le désir de ses propres commodités et du bonheur a été aussi donné à l'homme, afin qu'il soupirât après la félicité suprême qui est en Dieu, après la béatitude, le repos et l'impassibilité du ciel ; afin qu'il fût heureux en les goûtant et que sa joie fût parfaite. En effet , des délices sans joie sont un fardeau , et plus cette joie est vive, plus les délices sont enivrantes. Mais aujourd'hui ce désir des délices spirituelles s'est changé par le péché en désir des délices de la chair; il nous fait soupirer maintenant après les choses où la sensualité trouve à se repaître dans la concupiscence de la chair, dans la concupiscence des yeux, dans l'orgueil de la vie. La concupiscence de la chair se porte avec ardeur vers la luxure, la mollesse des habits, le repos du corps, le sommeil et tout ce qui flatte le sens du toucher. Elle incline encore à la gourmandise, qui est le plaisir du goût, et aux joies des autres sens , comme d'entendre des discours
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propres à réjouir la chair , d'aspirer des parfums capables de la flatter. La concupiscence des yeux cherche à voir ce qui est beau , à posséder ce qui est précieux, et de tout cela riait l'avarice. L'orgueil de la vie la produit en cherchant à s'enrichir afin de s'attirer plus d'honneurs; la concupiscence de la chair, en poursuivant les richesses comme un moyen de se plonger davantage dans la volupté et la luxure, de vivre plus commodément et plus à l'abri des sollicitudes de la misère. Tout ce qui est dans le monde, dit l'Apôtre saint Jean , est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie (1). Enfin, la concupiscence des yeux est un principe d'avarice, parce que le désir de voir des choses magnifiques, d'avoir à son gré ce qui plaît, fait soupirer après l'or, l'argent, les perles précieuses, les habits, les champs, les terres, les serviteurs, les spectacles, etc.
Dieu avait donné à l'homme un corps et un esprit raisonnable, et il lui avait permis de se réjouir dans les objets sensibles, ruais avec ordre, modération et honnêteté; il voulait par la joie des sens l'élever au-dessus de la terre et le conduire au bonheur et à la félicité des connaissances de l'esprit. Alors tout se fût passé dans ses plaisirs sans inclination perverse et selon les desseins du Créateur; les aliments eussent servi à sustenter son existence , et tous les autres objets à venir en aide à ses besoins. Mais l'ordre divinement établi dès le commencement ayant été détruit par le péché, tout a été perverti en un instant,
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tout a pris son cours vers les jouissances de la cirait., Maintenant l'homme s'attriste et s'irrite lorsqu'il craint de les perdre; il est accablé d'ennui iorqu'il ne les a pas selon sa volonté; il conçoit de la haine contre ceux qu'il regarde comme un obstacle à de tels plaisirs, ou qu'il redoute comme devant les lui ravir; il porte envie à ceux qui les possèdent, car il faut qu'il en soit privé tant qu'un autre les aura en partage. Ainsi naît l'envie , et la haine vient à sa suite avec ses vices. Ainsi naît la colère , ainsi la paresse , et cette dernière s'avance appuyée d'un côté sur la tristesse et de l'autre sur une langueur nonchalante et dissolue. Tous les péchés et les vices ont une origine commune : l'orgueil. Ils en découlent par deux ruisseaux : l'amour pervers et la mauvaise crainte. Un triple aliment les fomente : la concupiscence de la chair , la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie. Ainsi tout ce que le monde nous offre est pour l'homme un sujet et une cause de tentation , tout : les honneurs, les richesses et les plaisirs.
Il y a en nous quatre défauts d'où naît l'inclination au mal. Ces défauts sont l'ignorance, la concupiscence, la malice et l'infirmité. L'ignorance nous jette dans l'aveuglement et nous empêche de connaître la vérité;
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elle nous l'ait errer dans la distinction du bien et du mal. La concupiscence nous entraîne doucement à désirer et à aimer les choses sensibles et agréables à la chair. La malice irrite notre cur , le remplit d'amertume en le portant à la colère, à la tristesse, à l'envie et à la haine. L'infirmité le rend impuissant à résister au mal et à s'attacher au bien.
Ces défauts sont une suite de la faute première; nous les contractons en entrant dans la vie en vertu du péché qui nous fait naître enfants de colère. D'eux viennent ensuite les sept péchés capitaux , et de ces derniers, comme d'autant de rameaux plus vigoureux, sortent tous les autres vices. Ce sont les sept têtes du dragon de l'Apocalypse, les sept démons dont il est parlé dans saint Mare, et chassés par Jésus-Christ du coeur de Marie-Madeleine. Ce sont les sept nations établies autrefois dans la terre promise et empêchant aux enfants d'Israël de l'habiter en paix (1). Ces vices, en effet, nous éloignent de l'entrée du royaume céleste, si nous ne mettons tous nos efforts à les combattre et à les dompter. C'est une ancienne tradition chez les Grecs, et Clément d'Alexandrie la rapporte, que ces nations avaient, dans le principe, chassé les enfants de Sem de la race duquel étaient descendus Abraham et Israël. Aussi , lorsque le Seigneur ordonne aux Israélites de combattre les peuples de Chanaan et de s'emparer de leur pays, ils ne semblent point commettre une usurpation violente, mais obéir au Seigneur de l'univers pour
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rentrer en possession de leur propre bien et chasser d'injustes détenteurs. Or, tout cela s'est accompli en ligures pour notre instruction afin de nous apprendre, au moyen des puissances et des affections de notre âme , puissances données à l'homme par le Créateur et mises en lui pour qu'il s'en servît utilement , afin de nous apprendre , dis-je , à chercher par elles des biens profitables et éternels , à les tirer par une réforme véritable de l'état dégradant où le péché les a réduites, et à les changer en vertus après avoir banni loin de nous la corruption du vice.
L'orgueil est l'amour de sa propre excellence. L'orgueilleux désire ce qui est élevé; il se regarde lui-même comme grand, il veut être ainsi regardé par les autres et l'emporter sur eux. L'envie est une haine de la prospérité du prochain. L'envieux s'attriste de voir ses frères devenus ses égaux et même lui être préférés; il leur souhaite du mal; leur bien lui est une peine. La colère est une commotion violente d'un esprit indigné. L'homme colère devient furieux en quelque sorte et bouillonne quand il rencontre quelque chose de contraire à sa volonté. La paresse est un dégoût du bien , dégoût provenant de la langueur de l'âme. Elle a lieu lorsqu'une tristesse
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sans motif appesantit notre esprit, ou lorsque la dissolution de notre coeur nous incline plus fortement aux frivolités. L'avarice est la passion de posséder des biens temporels au-delà de nos besoins. La gourmandise est un désir désordonné ou immodéré des aliments. La luxure, une ardeur illicite pour les plaisirs de la chair ou une jouissance coupable de ces plaisirs, soit en réalité, soit par des pensées volontaires.
Si toutes ces inclinations sont des vices et des péchés, c'est uniquement comme conséquence de la faute de l'homme et de son premier péché. Dieu nous les a données comme autant d'affections naturelles, comme autant de mouvements vers le bien et la pratique des vertus, car le Seigneur n'a rien fait de mauvais et toutes ses oeuvres sont excellentes. Ainsi combattre nos vices n'est rien autre chose que de réformer nos affections naturelles et les inclinations de notre âme en les ramenant au but que le Créateur s'était proposé. Nous en avons déjà touché un mot en parlant du désir de la grandeur, désir donné à l'homme pour le porter à soupirer après les biens célestes et divins, et à mépriser les choses viles et terrestres comme trop indignes de lui. Il est tombé de cette hauteur vers le néant , et ses désirs s'étendent aux honneurs de la terre , à des honneurs frivoles et mensongers.
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Le sentiment de l'envie a été imprimé à la nature de l'homme , non pour le porter à être jaloux du bien de ses frères, à leur souhaiter du mal ou à leur en faire, mais pour lui inspirer la haine du vice et du péché en lui et dans les autres. Qu'il porte envie au démon qui ravit tant d'âmes à Dieu; qu'il porte envie à ses aides, ou plutôt à ses représentants, aux hérétiques et aux destructeurs des âmes, qui dépouillent ces mêmes âmes de l'éternelle béatitude et privent, autant qu'il est en eux, le ciel lui-même d'un bonheur plus grand; car le bonheur serait plus considérable dans la patrie, si un plus grand nombre y prenait place : chacun doit être pour tous dans le ciel une cause de joie ineffable. Cependant , en tout cela , je ne prétends préjudicier en rien à la prédestination éternelle qui ne nous permet de supposer aucune privation en ce lieu de félicité. Voilà nos adversaires véritables; il nous est permis de les avoir en haine considérés comme tels, comme appliqués à nous perdre pour l'éternité; mais ils ne doit point en être ainsi de ceux que nous pouvons espérer encore avoir comme associés à notre gloire céleste, quand même ils sembleraient maintenant nos ennemis.
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Le sentiment de la colère a été donné à l'homme afin qu'il pût s'irriter contre le vice et les suggestions perverses, que son indignation l'empêchât de consentir au péché et réprimât tout mouvement désordonné soit en lui , soit dans les autres quand il y a possibilité et opportunité, et. enfin pour qu'il vengeât les injures faites à Dieu et les transgressions de la justice. La colère s'appelle alors zèle de la justice. Ainsi nous voyons, en plusieurs endroits de l'Évangile, Jésus-Christ s'irriter contre les Pharisiens et autres hommes d'une conduite mauvaise, et les saints l'imiter en ce point.
Maintenant ce sentiment est devenu un vice; la colère, agissant contre la raison, s'est changée en fureur et presque en folie. Par elle l'homme s'emporte contre l'homme sans motif raisonnable, à la manière d'un frénétique; il s'emporte contre ses amis, ses proches; il s'emporte contre lui-même. Quelquefois son indignation s'adresse aux saints, à Dieu , aux créatures insensibles , privées de raison et impuissantes à faire le bien comme le mal autrement que par l'impulsion de leur nature. Souvent même nous connaissons l'injustice de notre colère , et nous ne pouvons en comprimer les mouvements.
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Le sentiment de la tristesse a été donné de même à l'homme pour déplorer ses péchés et ceux des autres, pour gémir du retard apporté à la possession du bonheur céleste, pour craindre les supplices de l'enfer, pleurer ses propres imperfections et compatir à celles de ses frères , et enfin pour dissiper par une douleur utile et pleine d'à-propos la légèreté de la vaine joie qui est la source de la dissolution. Mais cette tristesse salutaire et selon Dieu s'est pervertie; elle est devenue la tristesse du siècle, tristesse qui produit la mort en jetant dans le désespoir, la défiance et un chagrin irraisonnable (1).
L'homme a reçu le sentiment de la joie afin de se réjouir dans le Seigneur, dans l'espérance des biens éternels et dans la contemplation des bienfaits de Dieu, afin de prendre part au bonheur du prochain, de mettre ses délices à célébrer les louanges divines
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et à accomplir le bien , afin de concevoir du dégoût pour les actions frivoles et inutiles , de mettre toute sa félicité dans les oeuvres célestes et de devenir ainsi actif et empressé au service de Dieu. Mais la dissolution et la frivolité out perverti un tel sentiment. L'homme aujourd'hui trouve sa joie en des folies mensongères, dans l'abondance des biens, des honneurs et des plaisirs temporels, dans les rires, les plaisanteries, les vains récits, les jeux indignes. Tout ce qui se rapporte à Dieu lui inspire le dégoût, lui est insipide, et les saints offices lui sont devenus une source d'ennui. De là sa langueur pour les exercices de la dévotion et de la vertu, l'effusion de son coeur sur des objets inutiles, frivoles et immondes , cette propension à embrasser volontiers des fatigues plus considérables en des occupations et. en des affaires étrangères plutôt que de s'appliquer aux choses spirituelles et divines. De là encore cet empressement à se soustraire le plus promptement possible à de pareilles choses, à agir en tout avec négligence si l'on n'espère obtenir de ses oeuvres ou des louanges, ou un gain, ou quelque avantage temporel. De la tristesse désordonnée 'lait le dégoût du bien, car avec elle nous ne trouvons aucun plaisir à le faire, aucune joie à en occuper notre pensée ou à nous en entretenir avec les autres. La dissolution produit également ce dégoût : nous sommes tout entiers appliqués à de vaines frivolités, et ainsi nous nous attristons lorsqu'il faut, nous tourner vers les pratiques spirituelles; nous sommes comme dans l'angoisse lorsqu'il faut éloigner notre esprit de l'oisiveté, des
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amusements du inonde et le contraindre à des exercices plus sérieux. Nous sommes comme des chiens tenus à l'attache, et l'on nous force, malgré la répulsion de notre volonté, à nous employer aux choses divines. C'est là le vice de la paresse, l'ennui du bien. Beau-coup de religieux ont à combattre un tel vice; fort peu le surmontent.
Le sentiment de l'avarice a été donné à l'homme pour le rendre désireux d'un grand mérite devant Dieu , désireux de grandes vertus et d'une multitude de bonnes oeuvres; il a reçu un tel sentiment afin d'être porté à gagne!' un grand nombre d'âmes au Seigneur par les enseignements et la prière, en donnant le bon exemple, en aidant le prochain à s'avancer dans le bien ; afin aussi de ne point s'arrêter dans le bien dont il était déjà en possession, mais de l'accroître et de le multiplier par l'action de la grâce et la pratique des vertus. Mais ce sentiment est descendu jusqu'au désir des choses temporelles, au désir de l'argent , des biens et autres objets quelconques , même sans valeur et cependant recueillis avec soin comme si l'homme devait toujours vivre et le monde périr bientôt. L'homme ramasse de toutes ses forces afin de trouver de quoi vivre dans la ruine de la terre,
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comme autrefois Noé se fit , à la veille du déluge, des provisions destinées à lui venir en aide quand tout aurait été détruit par les eaux (1). Plus l'homme approche de la mort , plus il met d'empressement à serrer et à conserver, et ainsi nous voyons combien insensée est l'avarice dont l'ardeur est d'autant plus grande que ses besoins sont plus restreints. Tel serait le voyageur qui porterait d'abondantes provisions pour une route de peu de durée, l'homme qui élèverait une maison somptueuse pour une nuit seulement. Dieu a voulu nous laisser toujours incertains sur l'heure de notre mort, afin d'éloigner davantage de notre esprit la sollicitude des choses terrestres et de lui faire craindre en tout temps la perte plus considérable des biens éternels , biens vers lesquels nous devons diriger nos pas sans interruption.
Le désir des aliments nous a été accordé dans l'intérêt de notre corps , afin de le soutenir, de vivre pour servir Dieu et acquérir de nombreux mérites. En effet, une nourriture modérée, sobre et uniforme, est plus favorable à notre nature; elle n'accable point ses forces, mais elle les répare. Etant la même chaque jour elle entretient la santé, car le corps s'y conforme
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et n'est point troublé sans cesse par des aliments nouveaux et inconnus. Voilà pourquoi certains religieux vivent de longues années dans le cloître. Mais ce désir naturel s'est bientôt répandu sur des choses propres à 1ni procurer des délices et sur des superfluités. Nous ne nous sommes plus bornés à sustenter la nature; il a fallu flatter le palais, et une fois accoutumés à ces recherches , une fois ces délicatesses devenues nécessaires au corps , alors qu'une légère nourriture eût dû nous suffire, nous avons senti la nature murmurer et crier après ces habitudes. Nous sommes si faibles et si malades que nous ne saurions en vérité conserver notre vie avec de pauvres aliments; et sous le voile de la discrétion, nous nous mettons à rechercher sans honte et avec importunité des mets délicats. C'est par l'habitude que notre nature est tombée si bas, et nous ne voulons pas expérimenter qu'il est possible de la ramener par une habitude contraire à une nourriture plus restreinte et suffisante à ses besoins. Nous voyons vivre de la sorte en une multitude de lieux , des païens, des juifs, de pauvres chrétiens , dont plusieurs furent riches autrefois , et leur santé se conserve aujourd'hui aussi florissante qu'au temps où ils étaient dans l'abondance.
Quant aux délices spirituelles et à la jouissance des douceurs intérieures , douceurs sans comparaison bien plus au-dessus de toutes les félicités du monde que le miel n'est au-dessus d'une vile fange , à peine en est-il fait mention , à peine en conçoit-on quelque désir efficace, à peine les recherche-t-on, arôme parmi
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ceux qui semblent le plus élevés en religion. Bien plus , on méprise l'ardeur d'un tel désir, on se moque de l'ivresse de telles douceurs; on regarde tout cela comme une folie et une abomination , et ceux qui le recherchent souffrent persécution de la part des autres religieux; on les considère comme des démoniaques, on les nomme hérétiques, alors qu'ils sont des hommes vraiment spirituels. Mais combien sont méprisables aux yeux de Jésus-Christ ceux qui témoignent un semblable mépris de la grâce de la dévotion! L'Apôtre les nomme des hommes animaux, sans intelligence pour les choses de l'Esprit de Dieu, des hommes à qui ces choses sont une folie (1). Cependant je ne prétends ni louer ni approuver ceux qui trompent les autres ou se laissent tromper en suivant leur esprit ou un esprit étranger pour l'Esprit de Dieu , en suivant ses séductions. Mais il faut éprouver les esprits et porter son jugement en conséquence.
L'homme a été doué encore du sentiment de l'amour pour aimer Dieu par-dessus toutes choses; pour s'aimer soi-même et aimer son prochain à cause de Dieu et selon Dieu ; pour aimer les oeuvres de Dieu à cause de leur auteur, chacune selon son mérite , pour user
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du ministère de chaque créature selon la volonté de Dieu et pour son propre salut , pour rapporter la joie puisée en elles et les services qu'on en reçoit à l'amour et à la connaissance du Créateur, jusqu'à ce qu'on arrive à lui-même , en qui toutes ont leur raison éternelle d'être.
Mais ce sentiment s'est comme éteint; il est tombé à l'amour de la chair et de ce qui est digne de honte, et déjà l'homme n'aime plus qu'en vue de son utilité temporelle, des délices de la chair et de ses plaisirs déshonorants. Dans l'amour même légitime il ne s'attache pas à ses enfants comme à une famille appartenant à Dieu et destinée à jouir avec les anges de son éternelle béatitude; il voit en eux les héritiers de ses possessions terrestres , des hommes qui contribueront à accroître son honneur et à augmenter ses amis en ce monde. Aussi les parents sont-ils dans une douleur profonde quand ces enfants viennent à mourir en bas âge; et cependant ils quittent la terre avec bien plus de sécurité, après le baptême, avant d'avoir perdu la vie éternelle par le péché, qu'ils ne le feraient plus tard , car on pourrait toujours concevoir des doutes sur leur état. Et ensuite les piéges sont si nombreux et si peu les évitent !
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L'homme a reçu l'espérance, par laquelle il se confie en la bonté de Dieu , pour attendre du Seigneur les grâces dans le temps présent, la gloire dans l'éternité, le pardon de ses péchés s'il se repent, les secours temporels selon ses besoins, la délivrance du mal et la persévérance dans le bien. Mais l'espérance est aujourd'hui tombée dans la confusion , et les hommes espèrent moins qu'ils ne doivent ou plus qu'il ne convient. Certains ont une telle confiance en la divine Bonté , qu'ils pensent être sauvés en persévérant dans leurs péchés au mépris de sa justice et de sa vérité , et être placés dans le ciel malgré leurs souillures avec les anges immaculés. D'autres , au contraire, ont une telle défiance de Dieu , que, même en se convertissant , ils ne peuvent croire qu'il veuille accorder la persévérance à leur âme et le soutien à leur corps , comme si Dieu était favorable à ses ennemis , alors qu'ils demeurent dans le crime , et sans égard pour ses amis justes et pénitents et se tournant vers lui du milieu de leurs égarements; comme s'il se plaisait à nourrir libéralement et à conserver les pécheurs, mais à abandonner et à laisser périr de faim ceux qui se convertissent. Non, le Seigneur n'affligera
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point par la famine l'âme du juste (1). J'ai été jeune, dit le Prophète , et maintenant je suis devenu vieux, mais je n'ai point vu le juste abandonné, ni sa race réduite à chercher son pain (2).
La crainte a été donnée à l'homme pour craindre Dieu, redouter d'en être séparé, de l'offenser, d'en être puni et d'avoir à subir la damnation éternelle. Aujourd'hui l'homme craint les malheurs temporels, les souffrances du corps et la perte de l'honneur. Il est sans crainte pour les malheurs éternels de la vie future, comme si c'étaient uniquement des menaces sans effet que ce qu'on lui dit du jugement à venir et des supplices de l'enfer , ou comme s'il était plus facile de s'y soustraire qu'on ne le prétend. Ensuite l'homme a plus de crainte d'un animal ou d'une chose insensible que du Tout-Puissant qu'il offense; et cependant il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (3).
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Le sentiment de la honte a été mis en l'homme pour lui apprendre à rougir de commettre ou d'avoir commis des actions indignes de son rang, ou autrement pour lui apprendre à rougir d'avoir péché, de s'être rendu le serviteur du péché, de s'être constitué l'esclave du démon et du déshonneur. Et maintenant nous rougissons d'être soumis à Dieu, alors que toutes les créatures obéissent à ses lois, soit nécessairement, soit par le consentement de leur volonté. Nous rougissons de marcher sur les traces de notre Dieu dans l'humilité , la patience, la pauvreté , la religion , l'obéissance , le mépris , les injures, la confusion. Et cependant celui-là est indigne de Dieu , qui rougit de le confesser en présence des hommes ou de le prendre pour modèle, car la plus grande gloire d'un serviteur est de suivre son maître.
Il faut juger de la même manière de tous les dons que nous avons reçus de Dieu, de l'intelligence de notre esprit et de sa capacité, de notre corps et de ses membres , des biens temporels, des honneurs, de la puissance, de la durée de la vie et de tout ce qui dans ce inonde est au service de l'homme. Ces bienfaits nous ont été donnés pour nous aider à servir notre Créateur , à mériter la vie éternelle et à attirer nos
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frères à un pareil bonheur. Mais tout ce que nous avons ainsi reçu pour l'usage de la vie et pour acquérir la gloire céleste, nous l'employons à nous rendre coupables, et toutes les créatures nous deviennent un châtiment, soit par la peine qu'elles nous causent, soit par la douleur qu'elles nous laissent. Elles nous châtient par la peine lorsque la chair nous fait sentir ses tentations, lorsque ses désirs et ses appétits déréglés nous affligent , lorsque les biens de ce inonde nous sont enlevés , lorsque l'intempérie des saisons, la stérilité de la terre, les maladies du corps nous tourmentent, enfin lorsque nous avons à souffrir soit d'une façon, soit d'une autre; et ainsi l'instrument de nos fautes en devient le vengeur. Mais si nous acceptons nos peines de bon coeur, en vue de Dieu , elles nous purifient de nos péchés, et nous méritons la couronne céleste par notre patience et notre bonne volonté. Si, au contraire, nous souffrons malgré nous, nous serons encore punis soit en ce monde , soit en l'autre : notre impatience accroît notre faute et nous rend dignes d'une peine plus considérable.
Nous avons maintenant à parler de la nature de chacun de ces vices, à les considérer plus en détail et à voir par quels remèdes on peut les guérir; car la
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vertu n'est rien autre chose que la guérison parfaite du vice, ou son absence totale en tant qu'il lui est opposé. En effet, si le vice est un mouvement désordonné de notre âme ou un sentiment naturel corrompu , la vertu, qui est son contraire, doit être un sentiment bien réglé selon le but et les desseins du Créateur, comme nous l'avons montré par des exemples. Il y a un triple orgueil , ainsi qu'on l'a vu déjà. L'homme a pour lui-même plus de complaisance. qu'il ne doit, il s'estime plus grand qu'il n'est en réalité. Il désire plaire aux autres et il travaille dans l'amour de sa propre gloire; il veut être regardé comme considérable, être honoré et loué, alors que la gloire et l'honneur sont dus proprement à Dieu seul , car lui seul est essentiellement bon et de lui dérive tout bien. Tout ce que nous usurpons de gloire est donc un vol fait à Dieu, ou plutôt nous nous trompons en nous attribuant ce qui ne nous appartient pas , nous faisons comme la prostituée qui feint d'être une personne honnête et vertueuse, alors que la vertu et, l'honnêteté lui sont étrangères. Cet orgueil s'appelle la vaine gloire, et c'est en effet. une gloire vide de vérité et dutilité pour le salut. Enfin l'homme veut l'emporter sur les autres par l'éclat de sa gloire, par ses biens, ses emplois, sa puissance ; il les méprise et leur fait sentir son joug. Or, il se trompe de quatre manières dans son orgueil : il croit avoir ce qu'il n'a pas, ou plus qu'il n'a en réalité, ou l'avoir à un degré plus élevé que les autres, ou l'avoir soit par lui-même, soit par ses propres mérites.
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Trois choses chassent le vice de nos coeurs et leur font pratiquer la vertu : la grâce de Dieu, nos propres efforts et la nécessité. La grâce répand en nous les vertus; nos efforts coopèrent à la grâce au moyen de notre libre arbitre, et la nécessité se change en vertu. Souvent la vertu ne peut exister sans une nécessité , mais jamais sans la grâce et sans notre libre arbitre. La grâce répand quelquefois en certains coeurs la vertu presque sans aucun effort propre de leur part , mais non sans le consentement de la volonté, car sans un tel consentement il n'y a aucun mérite. Ainsi en est-il pour ceux que Dieu prévient de ses bénédictions pleines de douceurs. Celui qui veille dès le matin afin de posséder la sagesse , celui qui s'y exerce dès son enfance , aux premiers jours où son intelligence est devenue capable de la comprendre, celui-là n'aura point de peine à la rencontrer : il la trouvera assise à sa porte, il la trouvera s'offrant elle-même à lui et lui présentant la grâce de la vertu (1). Ainsi voyons-nous les apôtres et plusieurs fidèles, surtout dans la primitive Eglise, remplis tout d'un coup de l'Esprit-Saint et arriver aux étals les plus sublimes. aux dons et
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aux faveurs diverses de ce même Esprit. La grâce excite la volonté, elle l'instruit et l'affermit afin qu'elle puisse se servir de ses forces naturelles pour avancer dans les voies du salut.
Il y a diverses nécessités. L'une à laquelle l'homme se soumet volontairement, comme lorsqu'il s'oblige par un voeu à l'obéissance , à la chasteté , à la pauvreté et autres vertus; ou bien à aller annoncer la parole de Dieu aux infidèles. S'il arrive dans la suite aux religieux engagés par un voeu semblable de faire ou de souffrir bien des choses auxquelles ils se sous-trairaient volontiers, ils semblent liés par la nécessité. Cependant une pareille nécessité est entièrement volontaire, car ils l'ont embrassée avec une liberté entière et maintenant encore ils aiment mieux souffrir que de renoncer à leurs engagements. Il y a une nécessité indépendante de la volonté; l'homme y est assujetti malgré lui , il ne saurait l'éviter. Ainsi en est-il pour la pauvreté dans le monde , les maladies corporelles , les mépris, les persécutions, les tentations et autres tribulations diverses. L'homme endure d'abord de telles misères contre son gré et en murmurant; mais ensuite , voyant qu'elles sont inévitables , il y soumet enfin sa volonté, il se met à faire de nécessité vertu , et alors il commence à mériter. Une semblable nécessité aide puissamment nos progrès dans le bien, et sans elle à peine avancerions-nous de quelques pas. C'est d'elle qu'il est dit touchant certaines personnes : Forcez-les à entrer (1). Cest cette
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nécessité qui lEglise demande à Dieu : Forcez. lui dit elle , dans voire miséricorde nos volontés rebelles a se tourner vers vous. Rendez leur résistance pleine d'empressement pour les choses que vous savez nous être avantageuses; contraignez-nous à vous suivre même par l'adversité , alors que nous ne le voulons pas dans la prospérité.
Notre propre industrie consiste en trois choses : une considération prévoyante , un travail courageux et une diligence persévérante. Ces trois choses, aidées de la grâce , nous font vaincre le vice et conquérir la vertu. Mais la grâce prévient certains hommes avec une telle abondance qu'elle leur fait accomplir le bien et éviter le mal avec une grande facilité et même une douce suavité; ou bien elle embrasse si admirablement la volonté , qu'elle se porte avec un empressement et une ferveur extrêmes aux actions les plus pénibles et les plus difficiles. Plusieurs, au contraire, sont comme abandonnés en quelque sorte à eux-mêmes , et pour opérer le bien ils ont besoin de s'exciter et, de s'aiguillonner, comme on fait pour un animal paresseux; il leur est plus difficile de surmonter la langueur de leur propre coeur que de soutenir la peine du travail. De tels hommes n'ont pas, il est vrai . un désir bien ardent de marcher avec empressement à la suite du Seigneur; cependant ils soupirent après nu pareil désir; ils demandent avec l'Epouse à être entraînés à la suite de l'Epoux comme des infirmes. incapables de courir. Ainsi le Prophète s'écrie : Mon âme a désiré en tout temps être éprise du désir de vos
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ordonnances de justice (1). Ils ont une volonté bonne, mais elle est paresseuse, tiède et sans ferveur. Le premier état est plus délectable, le second plus laborieux. Or, lequel des deux l'emporte en mérite sur l'autre? Personne, je crois, ne saurait le dire parfaitement, si ce n'est le juste appréciateur des états divers, Dieu lui-même. Si les seconds, en combattant heureusement, se vainquent eux-mêmes et acquièrent enfin l'habitude de commander à leur coeur, ils sont arrivés à une grande vertu. Les premiers, au cou traire , ont besoin de déployer une vigilance active
pour ne pas se laisser séduire; car on répand pour l'ordinaire les richesses amassées sans peine avec plus de prodigalité que celles recueillies peu à peu et avec embarras. Souvent les seconds avant d'avoir surmonté parfaitement la tentation des difficultés, se trouvent comme fatigués et épouvantés du travail; ils désespèrent de vaincre et d'arriver au but où ils tendent; leur zèle pour la perfection se relâche, et ils se tournent vers d'autres occupations, comme si dans leur défiance ils doutaient que Dieu voulût les introduire dans la terre promise, image d'une pureté exempte de toute tache. Ainsi dans le désert les enfants d'Israël , succombant à l'ennui des fatigues et effrayés par la difficulté de vaincre leurs ennemis , se laissèrent aller à médire de la terre que le Seigneur leur avait promise et moururent dans le désert même à l'exception d'un petit nombre , c'est-à-dire à l'exception de Caleb et Josué , figures de ceux qui passent avec précaution
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et courage à travers les tentations en persévérant jusqu'à la fin (1). Voilà pourquoi , parmi tant d'hommes sortis du siècle comme d'une nouvelle Egypte , si peu arrivent à une vertu consommée. Séduits par les illusions perfides de notre ennemi, abattus par le dégoût du travail et des difficultés, ils abandonnent la voie de la perfection , ou même ils n'osent y entrer.
Il y a aussi certains remèdes généraux pour combattre les vices et acquérir les vertus; il y en a de spéciaux ; il y en a de singuliers , comme de fuir les personnes d'un sexe différent dans les combats contre la luxure. Il y en a qui conduisent l'homme d'une manière prompte et parfaite à la guérison de l'esprit; d'autres , au contraire, plus lentement et plus imparfaitement.
Les remèdes les plus efficaces contre toutes sortes de vices sont les suivants : 1° la pauvreté, celle qui souffre le manque de toutes choses , non-seulement des choses que nous pouvons désirer, car les hommes les plus favorisés de la fortune seraient pauvres en ce sens puisque leurs désirs s'étendent toujours au-delà de leurs richesses , mais le manque des objets les plus
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nécessaires dans la nourriture , le vêtement , la demeure, les services dont on a besoin , etc.
2° Le mépris des hommes : si vous êtes méprisé et vilipendé , si l'on ne fait aucun cas de vous et si l'on vous laisse sans aucun honneur particulier; si au contraire vous avez à endurer la confusion , les reproches et les blâmes, et cela même souvent de la part de vos amis, jusqu'à ce que tout sentiment d'orgueil soit entièrement éteint en vous. Voyez-vous combien d'injures les mendiants reçoivent des riches, et avec quelle patience ils les supportent? Ils n'agiraient pas ainsi s'ils avaient des richesses ou des honneurs.
3° Le troisième remède consiste à avoir un supérieur sévère. Ainsi l'on vous force de faire ce qui vous répugne grandement , d'omettre ce qui est conforme à votre volonté, de n'avoir que ce qui vous est donné, de n'agir que selon les ordres reçus, de ne parler que d'après la permission d'un autre. On ne dissimule aucune de vos négligences , on vous reprend et on vous punit rigoureusement , jusqu'à ce que le travers de votre volonté propre se soit redressé entièrement et soit arrivé à une rectitude parfaite.
4° Le quatrième remède est l'éloignement des personnes du siècle. De même que l'eau trouble se purifie davantage si on la place loin du passage de la multitude , de même l'âme d'un religieux , séparée du siècle , est moins affectée par les choses de la terre ; elle se porte avec plus d'efforts à désirer les biens célestes; elle s'applique à les comprendre d'abord par la méditation, et elle s'y attache ensuite plus facilement.
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5° Le cinquième remède est une oraison fréquente : l'oraison élève notre âme au-dessus d'elle-même et l'approche de Dieu ; elle obtient de lui la guérison des langueurs causées par le vice et la santé produite par les vertus.
6° Le sixième remède est toute tribulation, ou bien toute affliction causée par l'adversité , comme le travail, la maladie, la persécution, la tentation, la ruine de la réputation , etc. De même que la lime purifie et fait briller le métal , de même la tribulation et l'affliction profonde dissipent la rouille des vices. L'homme désireux de vaincre pleinement le vice, dit saint Grégoire (1), doit s'appliquer à se soumettre avec humilité aux coups destinés à le purifier. L'adversité semble d'abord amère, mais une habitude persévérante la rend de jour en jour plus tolérable; bientôt on ne s'en inquiète plus , on finit même par l'aimer parce qu'on sent ses forces renaître et se fortifier à son contact. Ainsi un cautère cause de suite une douleur aiguë; mais ensuite la première chair étant morte l'on n'éprouve plus rien , et les humeurs superflues s'écoulent facilement. De là cette prière du Prophète : Seigneur, éprouvez-moi et tentez-moi; brûlez mes reins et mon coeur (2).
7° Le septième remède est la méditation continuelle de la mort et de la juste rétribution accordée à nos oeuvres. Une telle méditation fait craindre le vice et pratiquer la vertu. Comme dans la médecine on guérit les contraires par les contraires , ainsi la guérison des
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vices s'opère par le remède d'exercices contraires : la guérison de l'orgueil par l'humiliation , de la gourmandise par la sobriété , de l'impatience par l'adversité, etc.
Il faut maintenant parler des remèdes spéciaux à apporter à chacun de nos vices. Si nous ne pouvons connaître et décrire tous ces remèdes, nous en considérerons au moins quelques-uns parmi le grand nombre. Nous ferons comme les pauvres qui , ne pouvant avoir à leur disposition les diverses médecines dont l'efficacité est bien connue, composent au moyen d'herbes communes certains liniments propres à calmer leurs douleurs.
Le premier remède contre l'orgueil est la considération de notre propre misère, tant corporelle que spirituelle , tant secrète que publique , soit naturelle , soit accidentelle. Considérez doue la bassesse et
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linfirmité de notre corps , ce que nous avons été , quelle est notre origine, comment nous avons été nourris dans le sein de notre mère , comment nous avons fait notre entrée en ce monde , ce que nous sommes en notre chair, de quel amas de souillures elle est la source, combien périt facilement tout ce qui semble beau et fort en nous , comment nous marchons sans cesse vers la mort , et ce que nous serons après avoir été frappés de ses coups.
Les honneurs extérieurs ne sont point à nous naturellement. Les richesses sont tirées de la terre et sont la terre même tels sont l'argent, les possessions; et les honneurs ne sont point rendus à l'homme à cause de lui-même , mais en vue des avantages qu'on se flatte d'obtenir. Ainsi les vautours et les chiens accourent à un cadavre, tant qu'ils espèrent trouver de quoi s'y rassasier; mais lorsqu'ils l'ont dévoré tout entier et qu'il n'y reste plus que des ossements arides, ils l'abandonnent.
Les biens de notre âme ne viennent pas davantage de nous-mêmes : ils sont des dons de Dieu et nous en rendrons un compte rigoureux : tels sont la science, le génie, les vertus. Nos péchés sont un niai pur et simple; leur gravité s'accroît de plusieurs circonstances et ils nous rendent dignes de terribles supplices. Mais le bien en nous n'est pas un bien pur et simple : il est soumis à une multitude d'imperfections. Ainsi la paresse, les désirs frivoles, la vaine gloire, l'hypocrisie , la tiédeur , les pensées inutiles, le manque de persévérance et autres défauts viennent souvent
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troubler nos bonnes oeuvres et souiller le sacrifice de nos actions et de nos prières, en sorte qu'il est moins agréable à Dieu et moins profitable pour nous-mêmes. Enfin nous sommes exposés à des périls sans nombre et à la damnation éternelle; nous sommes chargés de vices et de péchés, et soumis à beaucoup de misères. Où donc l'homme dont la bassesse est si grande, qui n'est que terre et poussière, où donc trouve-t-il à s'enorgueillir?
Le second remède à l'orgueil est de s'exercer à des oeuvres d'humilité, à des emplois bas et méprisés, à des travaux grossiers, et de porter un habit humble, d'être humble dans ses actes et ses paroles, de choisir la dernière place, de ne jamais montrer en soi ni jactance ni ostentation. Ces pratiques et autres semblables , une fois changées en habitudes , inclinent notre âme à l'humilité. Si la vaine gloire ou l'orgueil vient l'attaquer en se servant de nos humbles pratiques elles-mêmes, soit parce qu'elles sont nouvelles, soit parce qu'elles sont peu communes, un long usage de telles oeuvres finit par dissiper une semblable vanité, selon cette parole du Prophète : Nous ferons en Dieu des actions de vertu, et il réduira lui-même au néant ceux qui nous persécutent (1).
Le troisième remède est d'avoir toujours les regards fixés sur ceux qui sont plus avancés et meilleurs que nous, soit les hommes, soit Jésus-Christ lui-même Dieu et homme, afin de devenir vils à nos propres yeux, nous qui pensons être quelque chose, en nous
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comparant à eux , car nous apparaîtrons comme une sauterelle en présence d'un fleuve. Un homme couvert de pauvres haillons semble bien misérable au milieu de riches vêtus de pourpre; ainsi nous semblerons faibles en vertu comparés aux saints et aux hommes qui nous furent supérieurs, qu'ils aient vécu avec nous ou qu'ils nous aient précédés.
L'envie est de trois sortes. La première consiste à ne point se réjouir du bien des autres et à ne point s'attrister de leur mal. Ce défaut est contraire à la charité envers le prochain : nous sommes tenus d'aimer nos frères comme nous-mêmes. Or, personne ne saurait contempler sans joie son propre avantage ou regarder d'un oeil indifférent son propre malheur.
La seconde sorte d'envie existe lorsqu'on éprouve de la peine et qu'on se tourmente de la prospérité des autres, lorsqu'on est heureux de leurs malheurs et qu'on leur en désire par haine de leur personne. On ne doit point considérer comme un péché d'envie de s'attrister des succès temporels d'un homme ou de se réjouir de ses échecs , quand un pareil sentiment n'a point la haine pour principe, nuis le bien de cet homme ou l'utilité commune. Ainsi un juge, conformément aux lois de la justice, punit les malfaiteurs,
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soit pour les soustraire à une damnation plus grave en les empêchant de persévérer plus long temps dans le crime, soit pour ne point leur laisser troubler davantage la paix commune.
La troisième sorte d'envie l'emporte sur les autres : elle provoque le mal du prochain par des paroles el des actions; elle empêche son bien de la même manière ou elle y met obstacle. Or , l'envie est grave quand elle rend le mal pour le mal ; elle est plus grave quand elle conçoit de la haine contre l'homme qui n'a point cherché à lui nuire; mais elle est grave au suprême degré quand elle rend le mal pour le bien , quand elle hait un homme parce qu'il est bon , comme firent les Juifs à l'égard de Jésus-Christ.
De même, c'est une faute de nuire au prochain dans ses biens ou son honneur ; une plus grande de lui nuire en son corps; et une très-grande, ou plutôt une faute diabolique , de lui nuire en son âme. de lui faire tort quant à son salut éternel. C'est encore un péché de refuser un service à celui qui en a besoin, quand même il serait notre ennemi ; c'en est un plus grand de ne point détourner de lui un mal dont il est en notre pouvoir de le préserver. C'est le partage des parfaits d'aimer le bien de leurs ennemis et d'y concourir avec amour. Plusieurs se croient innocents en refusant de saluer ceux qu'ils n'aiment pas; mais qu'ils examinent s'ils seraient bien disposés à leur donner à manger dans le besoin, quand ils leur refusent ainsi un salut qui ne coûte rien, un salut qu'ils désirent et qui les satisferait inssi l'envie et la haine
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sont-elles contraires à Dieu. Elles lui sont opposées d'une manière toute particulière, parce qu'elles blessent la charité, et Dieu est charité; elles sont ennemies du bien commun et la libéralité du Seigneur répand également un tel bien sur tous les hommes; elles s'attaquent à ceux qu'il a créés et rachetés , à ceux qu'il embrasse dans son amour et à qui il a donné l'espérance d'arriver au bonheur éternel.
Le premier remède contre l'envie et le plus excellent en même temps , c'est de ne rien aimer et de ne rien désirer de ce que le monde aime , ou autrement de n'avoir de désirs ni pour les richesses, ni pour les honneurs, ni pour les plaisirs. Eu effet, plus les biens temporels sont divisés, plus leurs portions sont médiocres, et celui qui ambitionne de tels biens porte nécessairement envie à leurs possesseurs, car il faut sans aucun doute que l'un manque de ce que l'autre a en son pouvoir. Mais il n'en est pas de même des biens célestes et divins : plus ceux qui y prennent part sont nombreux, plus ils se dilatent et deviennent abondants. Ainsi les vertus, la sagesse, les dons de l'Esprit-Saint et autres trésors semblables ne perdent rien à être possédés par beaucoup.
Le second remède est de penser que , si un autre
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était privé de ce qui cause votre envie , vous ne l'auriez sans doute pas davantage. Ainsi vous n'avez point être jaloux d'une chose qui ne vous fait aucun tort, si vous ne voulez pas vous tourmenter en vain du bonheur des autres.
C'est également un remède contre la haine de craindre la vengeance du Seigneur, qui ne pardonne point à l'homme les péchés dont il se rend coupable, tant que l'homme garde de la haine pour le prochain. C'est un remède de penser à la nécessité de se réconcilier enfin avec ses frères si l'on veut se sauver. Il vaut mieux le faire plus tôt que plus tard pour ne point s'exposer au péril de se damner et de perdre le fruit de ses bonnes oeuvres. Les hommes doivent former une même famille un jour dans la maison de leur Père céleste ; il leur est donc avantageux de commencer ici-bas l'alliance d'une paix éternelle, car plus l'amour sera ardent sur la terre, plus la jouissance de cette paix sera abondante en délices.
Efforcez-vous encore de vous montrer plus affable envers celui qui vous est contraire et plus empressé à lui rendre service. Par là vous gagnerez son coeur s'il est intelligent, ou du moins vous adoucirez le vôtre. Gardez-vous, dit l'Apôtre, de vous laisser vaincre par le niai; mais travaillez à vaincre le mal par le bien. Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger; s'il a soif, donnez-lui à boire (1). Quel profit tire l'homme à conserver un long souvenir des injures, sinon de se tourmenter davantage lui-même et de se
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mettre dans la peine? A chaque jour suffit son mal (1). Nos chagrins sont si nombreux malgré notre zèle à conserver la paix , que si nous voulons y ajouter encore la haine et les rancunes , loin de vaincre par la résistance tant de misères nous en serons accablés. Nous devons plutôt, selon le conseil de l'Apôtre, céder à la colère , ne point résister à celui qui nous maltraite en rendant le mal pour le bien (2). Quand nous renverserions tous ceux qui nous sont opposés , d'autres s'élèveraient à leur place et nous succomberions avant de nous en être délivrés. L'homme qui se surmonte lui-même par la patience , l'emporte sur tous ses ennemis : Ils combattront contre toi, dit le Seigneur, mais ils ne prévaudront pas (3). Nous en avons un exemple dans les saints martyrs. Quelquefois aussi la haine vient d'une colère longtemps concentrée.
La colère a trois caractères différents. C'est d'abord d'être excitée promptement et par un motif futile , comme une action ou une parole sans importance, un vain soupçon. Quelquefois aussi nous nous sentons émus contre des êtres privés de raison ; nous nous mettons en colère contre les brutes , les pierres , le
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bois , une plume , et autres choses semblables , et cela sans cause.
Le second caractère de la colère , c'est la violence et la véhémence : tantôt elle s'allume avec tant de vivacité dans le coeur d'un homme que son visage même s'enflamme et s'altère; tantôt les gestes et les actes ont lieu avec une agitation et une mobilité notables : c'est l'indice d'une âme profondément émue. Alors on souffle du nez , le visage devient rouge ou pâle , les sourcils se froncent , les lèvres sont tremblantes , tout le corps est agité. Tantôt elle éclate par des paroles, des cris, des reproches, des injures, des malédictions, des menaces, des imprécations , des blasphèmes. Tantôt c'est comme une fièvre violente qui saisit tout le corps , ou comme une frénésie qui met l'âme en fureur. Tantôt elle imprime aux mains un mouvement de violence et porte l'homme à nuire aux autres ou à se nuire à lui-même; ainsi on en vient jusqu'à s'en prendre à soi , jusqu'à rejeter ou briser ce que l'on avait fait. Tantôt elle nous porte à repousser ce dont nous avons besoin, comme la nourriture et autres choses avantageuses. Enfin la colère arrivée à ce degré a bien d'autres effets encore : elle trouble la paix du coeur, elle obscurcit la raison , elle remplit la mémoire de confusion. Comme la fumée chasse de la maison celui qui l'habite , de même la colère chasse de la demeure de notre coeur le Saint-Esprit, car il cherche à se reposer uniquement là où règnent la paix et le calme.
Le troisième caractère de la colère, c'est la durée,
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et quelquefois elle entretient la rancune quand elle est à ce degré. La colère chez certains hommes se présente davantage avec le premier caractère, et moins avec le second et le troisième. Chez d'autres le second domine ; chez d'autres, le troisième; plusieurs réunissent les deux derniers; plusieurs, enfin, les ont tous ensemble, et ceux-là sont les plus pervers.
La colère est opposée à la mansuétude, à la patience, à la douceur; elle ôte à nos actions extérieures leur beauté et nous rend inconsidérés, car elle n'a nulle crainte de Dieu et nul respect des hommes. La colère est encore étrangère à la miséricorde; elle ignore jusqu'aux moindres marques de l'humilité, elle aveugle l'intelligence. De même que la fumée est nuisible à la vue, de même la colère l'est à notre coeur.
Parlons maintenant des remèdes à opposer à la colère. Le premier est une considération prévoyante de ce qui peut nous faire de la peine, soit dans les paroles, soit dans les actions. L'homme se trouve alors préparé à la patience avant le combat, il attend son ennemi tout disposé à ses diverses embûches, car les événements de la vie nous causent d'autant moins
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de trouble qu'on les a mieux prévus à l'avance. Ceux qui doivent combattre dans une guerre ont coutume d'apprendre auparavant l'art des batailles par un exercice réitéré, afin de savoir parer par leur bouclier les coups de leurs adversaires, de n'être point blessés à l'improviste et de ne point succomber. Le soldat qui voudrait se revêtir de ses armes seulement quand les ennemis font irruption sur lui , n'aurait pas le temps de se mettre en garde, et la surprise ne lui permettrait pas de songer aux moyens de s'échapper.
Le second remède est de mettre un frein à sa langue en gardant le silence, et d'étouffer en son coeur la flamme embrasée de la colère. Si on lui permet de prendre jour, elle deviendra plus vive et s'étendra jusqu'aux autres, comme nous voyons le feu matériel s'étendre le plus souvent. Dieu a environné notre langue de deux portes : les dents et les lèvres, pour l'empêcher d'être trop prompte à faire le mal, surtout lorsqu'elle est échauffée intérieurement par le feu de la colère. Entourez donc votre bouche de barrières, et dites : « Seigneur, mettez une garde à nia bouche et une porte à mes lèvres qui les ferme exactement; ne souffrez pas que mon coeur se laisse aller à des paroles de malice (1) .
Le troisième remède est de se porter, quand on se sent ému, à des occupations propres à appliquer le coeur, à dire ou à faire des choses capables de nous distraire des sentiments dont nous sommes agités. Lorsqu'on veut éteindre le feu , on commence par
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éloigner les tisons enflammés , et ainsi divisé il s'affaiblit à mesure qu'on lui ôte son aliment. Quand il n'y aura plus de bois le feu s'éteindra, dit le Sage (1).
Le quatrième remède est la honte qui porte un homme modeste à rougir de voir disparaître ainsi tout l'éclat de sa bonne conduite et de scandaliser les autres. Alors il se fait violence à lui-même en réprimant sa colère et tous les mouvements désordonnés de son coeur, pour ne rien perdre de son honneur. La crainte est également un garant contre la colère. Ainsi nous voyons les serviteurs souvent chàtiés avec dureté par leurs maîtres ne pas oser se permettre même le plus léger murmure, de peur qu'il ne leur arrive pire. Si la crainte humaine est assez puissante pour donner une telle réserve, combien plus le fera la crainte de Dieu si elle règne en nos coeurs et surtout s'ils sont épris de l'amour du bien? L'homme est d'autant plus capable de résister au mal due cet amour du bien s'est développé avec plus de force en son âme.
Le cinquième remède est de s'accoutumer aussitôt qu'on se sent ému, à recourir aux conseils de la prudence, en pesant avec attention combien nuisible est la colère dont les effets sont de souiller la conscience, de ternir notre réputation, de scandaliser les autres, de troubler notre coeur, de mettre en fuite l'Esprit-Saint, de mériter des tourments terribles. Ensuite il faut se souvenir, si ce qui nous irrite est déjà arrivé, que c'est une affaire inévitable, que nos emportements ne servent qu'à doubler notre mal. Il y a tant de
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contrariétés à attendre en ce monde que , malgré toute notre diligence à nous les rendre moins amères et à les accepter sans beaucoup nous en inquiéter, c'est à peine si nous pouvons les supporter toutes. Que sera-ce donc si nous cherchons à en accroître le fardeau par notre impatience et à les garder en notre coeur parla rancune? Si nous ne voulons pas les chasser et les laisser s'évanouir comme de la fumée, nous serons écrasés et suffoqués avant d'avoir pu les surmonter en résistant à chacune, ainsi que nous voyons un homme étouffer s'il ne rejette avec persévérance les humeurs d'un rhume violent. A quoi bon conserver le souvenir des paroles injurieuses proférées contre nous? Elles sont passées avec le souffle qui les a reçues; elles ne nous ont fait aucun tort, autant qu'il a été en elles, ni dans nos biens , ni dans notre corps; elles ne nous enlèveront pas la grâce de Dieu , ni notre honneur auprès des hommes si nous ne nous nuisons pas à nous-mêmes par notre impatience. Je dis plus : nous gagnons aux yeux de Dieu et des hommes en demeurant au milieu des injures comme si l'adversité nous était étrangère. Sachons donc ne faire non plus de cas des paroles de malédiction ou de détraction, que des aboiements d'un chien ou des cris d'une oie que nous écoutons sans nous en inquiéter le moins du monde. Celui qui se répand en injures contre ses frères se fait plus de tort à lui-même qu'à ceux qu'il insulte. De temps en temps la violence de l'air nous fatigue dans nos voyages : quand ils sont terminés nous nous réjouissons, nous oublions
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la tristesse de la route et nous ne cherchons pas à nous affliger de nouveau des désagréments passés. Ainsi devons-nous oublier les injures une fois reçues, comme si elles n'avaient point eu lieu , et nous estimer heureux de les avoir souffertes, car le mérite demeure quand la tribulation a disparu. Il nous faut penser encore que nul en cette vie n'est à l'abri de l'adversité : les hommes enrôlés au service du siècle ont souvent des amertumes bien plus graves à souffrir. Ensuite, par quelles épreuves ont passé les saints, les martyrs principalement, et par-dessus eux Jésus-Christ Notre-Seigneur? Si pour nous il a été soumis à de pareils tourments, il n'est pas indigne de nous d'avoir à supporter quelque chose en son honneur , pour l'accroissement de notre gloire et l'expiation de nos péchés, qu'il nous est plus avantageux de voir punis ici-bas par des peines légères que dans l'avenir par des supplices nombreux et terribles. C'est en repassant souvent et avec prudence ces pensées et autres semblables en notre esprit que nous arrivons plus facilement à vaincre les mouvements de la colère et de l'impatience.
Le vice de la paresse se divise en trois espèces. La première est une certaine amertume de l'âme en laquelle rien de joyeux ni de salutaire ne nous plaît,
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qui se nourrit d'ennui et a en dégoût la société des hommes. C'est là ce que l'Apôtre appelle la tristesse du siècle (1). Elle produit la mort, incline au désespoir et à la défiance, et est portée aux soupçons. Quelquefois même sous l'impression d'un chagrin irraisonnable elle excite un homme d'ailleurs patient à s'ôter la vie. Elle prend naissance tantôt dans la colère dont nous avons parlé au précédent chapitre , tantôt dans un désir non accompli ou retardé, tantôt en des humeurs mélancoliques trop abondantes, et alors sa guérison est l'oeuvre des médecins plutôt que des religieux ou des théologiens.
La deuxième espèce de paresse est une certaine tiédeur languissante qui aime le sommeil et toutes les commodités corporelles, a les fatigues en horreur, fuit les choses difficiles, évite le travail et goûte avec bonheur le repos. C'est là proprement la paresse.
La troisième espèce est celle qui a du dégoût seule-ment pour les choses de Dieu et est du reste agile et empressée en toutes choses. L'oraison lui est insipide; elle s'exempte aisément des offices du choeur quand elle le peut sans rien craindre et qu'elle en a le cou-rage; elle s'acquitte avec promptitude et rapidité des prières obligatoires. Et pour ne pas trop s'ennuyer en les faisant, elle s'occupe pendant ce temps à des affaires ou à des pensées étrangères, sur lesquelles elle reporte toute son attention jusqu'à ce que ses exercices de piété soient terminés. Elle aime les nouvelles, met sa joie dans les amusements el, pense souvent aux moyens
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de distraire son esprit. Rien ne lui est à charge connue de s'appliquer à Dieu et aux choses qui regardent le soin et l'avancement de sa perfection spirituelle. Sa cellule lui est une prison; elle se plaît à courir hors du cloître tant en esprit qu'en réalité, et elle en cherche à toute heure l'occasion. Toute rigueur de la discipline spirituelle lui est un fardeau; elle murmure et se plaint de la dureté de ses supérieurs et de l'exactitude de religieux fervents.
Ce vice de la paresse est un signe d'ingratitude le Seigneur nous a comblés et nous comble tous les jours de tant de bienfaits, qu'un serviteur fidèle ne devrait jamais cesser de célébrer ses louanges, jamais s'ennuyer de travailler à le servir. Elle nous prive de mérites nombreux pour le ciel et de récompenses magnifiques; car nous négligeons à chaque heure une gloire égale aux bonnes oeuvres que nous pourrions accomplir si nous ne perdions notre temps dans l'oisiveté. Il n'y a en effet aucune moment si léger qui ne soit pour nous une occasion de mérite ou de démérite. Puisque nous offensons Dieu en une foule de choses, il conviendrait d'employer d'autant mieux le temps encore en notre possession et de racheter celui que nous avons indignement perdu.
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Voici les remèdes à opposer à la paresse. Le premier et le plus efficace est de s'assujetti r de force aux pratiques spirituelles, à celles surtout qui nous inspirent le plus d'aversion et principalement à l'oraison , à la célébration des saints offices, jusqu'à ce que ces exercices nous soient devenus par la grâce de Dieu une source de joie. Si cette grâce nous est différée, la peine du combat augmentera notre mérite , notre vertu s'affermira et l'habitude fera disparaître l'ennui de jour en jour. Dieu ne nous demande pas ce qu'il ne nous a pas donné , je veux dire la grâce de la dévotion; mais il veut que nous la cherchions, que nous la gardions précieusement lorsqu'il nous l'a accordée et que nous lui en rendions grâces. L'homme peut mériter plus, je crois, en se donnant beaucoup de peine, même sans succès, pour obtenir la dévotion , que s'il en goûtait sans travail les délices avec abondance. Il s'élèverait peut-être dans ce dernier état et son mérite s'en affaiblirait d'autant tandis que son coeur s'humilie du premier et conserve tous ses trésors. Il faut surtout opposer à la tristesse le souvenir fréquent de la bénignité du Seigneur et la contemplation de ses bienfaits , car en présence de cette
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bénignité nos péchés sont comme une goutte d'eau comparée à la mer.
On doit aimer aussi à se trouver en la société des bons et principalement de ceux qui s'entretiennent de Dieu souvent et avec dévotion. Saint Jacques nous donne encore ce moyen : Quelqu'un parmi vous est-il dans la tristesse? qu'il prie. Est-il dans la joie? qu'il chante de saints cantiques (1). En agissant de la sorte le coeur se livre à l'allégresse et la tristesse s'enfuit. Ainsi quand David jouait de la harpe, l'esprit malin se retirait de Saül (2).
L'occupation est également avantageuse aux personnes tristes, si elles veulent oublier leur chagrin. Il est utile aux paresseux d'être exercés au travail et d'être accoutumés à la fatigue, sous la direction vigoureuse d'un maître, pour les empêcher d'agir avec nonchalance et dégoût, à moins toutefois que la faiblesse du tempérament ne soit la cause d'un tel dégoût.
Enfin contre l'ennui du coeur il est important de varier nos actions , de passer d'une bonne oeuvre à une autre bonne oeuvre. Le serviteur de Dieu doit s'adonner aux quatre exercices suivants : il doit se porter au Seigneur par la prière, le chant des psaumes, la méditation et la pratique de la dévotion. Il doit traiter de Dieu en lisant, en étudiant, en conférant avec soi-même, en apprenant et en enseignant. Il doit travailler pour Dieu en se livrant aux occupations de la maison, en servant les autres, en châtiant son corps, et en s'appliquant aux oeuvres des vertus. Il doit
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user d'une grande réserve en lui accordant ce qu'il lui faut, le repos, le sommeil, le boire et le manger, et cela afin de le soumettre à l'esprit. Donnez à l'esclave, dit le Sage, le pain, la correction et le travail (1) : le pain pour le soutenir , la correction pour le maintenir, le travail pour l'exercer. L'homme a besoin de nourriture pour ne pas défaillir, d'un fardeau pour ne pas devenir récalcitrant dans le repos, d'une verge pour être excité à marcher rapidement et à ne pas s'écarter de la voie. La paresse est grave quand elle s'acquitte avec négligence des devoirs auxquels chacun est tenu; plus grave quand elle les omet avec dégoût; et très grave quand elle empêche les autres de faire le bien, quand elle les en éloigne et ne peut supporter sans murmure leur zèle empressé.
Il y a trois espèces d'avarice. La première est un désir inquiet d'avoir ou dacquérir des biens temporels, que ce désir soit ou non réalisé. Ainsi un avare peut être pauvre , ne posséder presque rien ou même rien. La seconde espèce est la ténacité à conserver les biens acquis, et cette ténacité ne permet qu'avec une vive peine de les dépenser en bonnes oeuvres, de les employer, même dans une mesure convenable, aux
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besoins de première nécessité. La troisième espèce consiste à accroître ces richesses, à en acquérir de tous côtés, même par un gain injuste et honteux, comme le vol , les rapines, les fraudes , l'usure et autres moyens contraires à l'honnêteté. Parmi les avares, les uns sont coupables de la première espèce, les autres de la seconde, les autres de la troisième, d'autres de deux d'entre elles, d'autres de toutes ensemble.
Ce vice semble tout spécialement un vice contre nature, et il a sa source dans une habitude mauvaise, ou dans une volonté corrompue. On le prouve en ce que le monde a ignoré longtemps un tel désordre, et aujourd'hui encore certaines nations en paraissent exemptes ou du moins l'ont été : tels furent les gymnosophistes. Ensuite beaucoup de personnes renonçant parfaitement au monde se sentent attaquées souvent par les autres vices, et n'éprouvent jamais les atteintes de celui-ci si elles rie se soumettent à ses lois par un acte malheureux de leur volonté propre. Mais une fois qu'on s'est laissé prendre à ses piéges , on arrive bien difficilement ensuite à recouvrer sa liberté. Ainsi nous voyons des religieux, après avoir quitté le siècle et s'être soustraits à ses embûches , retomber de nouveau dans les filets de l'avarice et soupirer avec une avidité insatiable après les richesses des autres. Et cependant ils avaient méprisé les leurs à cause de Dieu. Ainsi Judas a tout quitté d'abord, et ensuite il est devenu un voleur, il s'est approprié les aumônes faites à Jésus-Christ, il a vendu le Seigneur de toute majesté et il s'est pendu.
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Donnons les remèdes à l'avarice. Le premier est de tout abandonner pour Jésus-Christ, de vivre sous la conduite d'un autre, de lui résigner pleinement ce que l'on peut avoir et de ne conserver aucun droit sur rien. Tels étaient, sous les Apôtres, les fidèles de la primitive Eglise, tels sont les religieux dans les monastères bien réglés. C'est là le remède le plus efficace contre l'avarice. En effet , le Seigneur a dit : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut are mon disciple. Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (1).
Le second remède est de considérer les inquiétudes causées par les richesses et les piéges de l'avarice, la liberté et les avantages de la pauvreté. On acquiert les richesses avec bien des dangers, on les conserve avec beaucoup de peines et de sollicitudes, car elles sont un objet denvie pour plusieurs, pour les voleurs, les ravisseurs, les puissants, les hommes de fraude. Où il y a beaucoup de bien, dit l'Ecriture, il y a beaucoup de personnes pour le manger (2), soit en le consumant réellement, soit en se l'appropriant par le vol. Le riche n'est en sûreté avec personne, ni avec
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les étrangers, ni avec ses proches. Il est au milieu d'un monde cupide, comme un boucher au milieu de chiens affamés. On met un long temps à amasser les richesses et on les perd en un instant. En se multipliant elles ne diminuent pas la soif de l'avarice, elles l'augmentent au contraire , comme fait l'eau épuisée par l'hydropique. Pourquoi donc cherchez-vous à vous tourmenter de plus en plus? Ces richesses sont pour vous une peine avant de les avoir , leur possession en est une encore et leur perte également. Il faut peu de chose aux besoins d'un homme. La mort vous ravira bien vite aux biens de la terre et ils n'auront procuré que des peines éternelles à ceux qui les auront aimés. La pauvreté est à l'abri de toutes ces misères. De là ces paroles du Prophète : Ne désirez pas avoir du bien par la violence, et si vous avez beaucoup de richesses gardez-vous d'y attacher votre coeur (1). Le fruit véritable des richesses doit être l'abondance des aumônes. Sans cela elles sont stériles et pleines de dangers. Des richesses conservées avec soin, dit l'Ecriture, deviennent le tourment de celui qui les possède (2). Des semences accumulées se corrompent , mais confiées à la terre elles portent des fruits.
Le troisième remède est la confiance en Dieu , qui n'abandonne pas, selon sa promesse, ceux qui espèrent en lui. Ne vous inquiétez point en disant : Que mangerons-nous, que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous? Ce sont les païens qui recherchent
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toutes ces choses; mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin (1). Celui qui a créé l'homme et a fait dépendre sa conservation des aliments , ne souffrira pas qu'il périsse en le privant de ce qui lui est nécessaire, s'il se confie à sa bonté. Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. Comment donc le Dieu qui désire si vivement donner à l'homme dès biens célestes et d'un prix inestimable, pourrait-il lui refuser les biens terrestres dont la valeur est nulle ? Si des hommes pervers et cruels, ou plutôt si les bêtes et les animaux privés de raison nourrissent le fruit de leur sein, combien plus le Dieu très-bon, le Seigneur véritable prendra-t-il soin de ses enfants? Sa bonté s'étend aux ingrats et aux méchants, et il négligerait les bons qui ont remis entre ses mains toutes leurs espérances! Je n'ai point vu le juste abandonné, dit le Prophète, ni sa race réduite à mendier son pain (2). En rejetant loin de soi l'avarice à cause de Dieu, il faut attendre de lui une de ces trois choses : ou bien il procurera à l'homme ce dont il a besoin; ou il lui donnera au milieu de la gène et des privations autant de forces qu'il en aurait trouvé dans l'abondance, et c'est pour l'homme une source d'allégresse plus vive; ou enfin ce qu'il retranche au corps il le fera retrouver à l'âme dans les consolations dont il la comblera, et le premier consentira volontiers à se passer d'une abondance matérielle si heureusement compensée par les délices de l'esprit. Et ensuite les
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privations supportées avec patience dans le temps pour Jésus-Christ méritent une gloire immense dans le ciel; car il a dit : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient (1).
Il y a quatre sortes de gourmandise : La première consiste à manger avant le repas, ou plus souvent qu'il ne convient, à la manière des animaux. La seconde à dévorer avec trop d'avidité et une certaine impétuosité ce que l'on mange, comme nous voyons le faire les loups et les chiens affamés. La troisième, à se gorger outre mesure plutôt qu'à se rassasier , à prendre des aliments au-delà du besoin, soit par irréflexion, soit par plaisir. La quatrième, à rechercher des mets exquis et bien apprêtés. Cette dernière sorte de gourmandise entretient l'avarice, comme la précédente favorise la paresse. En effet, celui qui soupire après des mets délicats, désire les richesses afin de contenter ses goûts, et une nourriture excessive rend paresseux, car un vase bien rempli devient plus pesant. Elle émousse encore l'intelligence, elle refroidit et étouffe les sentiments de la dévotion. L'agilité de l'âme souffre de cet excès superflu et le sommeil en est la suite naturelle.
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Exposons les remèdes à la gourmandise. Contre la première espèce, c'est assez de la bonne volonté; il suffit à l'homme de ne point consentir à manger plus ou plus souvent qu'il ne convient. Mais pour les malades il n'y a pas de règle fixe. Quant aux jeunes gens et aux hommes appliqués à un travail pénible, ils peuvent user de discrétion selon les lois de la nécessité, lorsque la coutume ou les préceptes de l'Eglise ne s'y opposent pas.
Contre la seconde sorte de gourmandise, il faut se rappeler les règles de la modestie, afin d'user de retenue et de réprimer son ardeur. On peut encore considérer qu'une nourriture prise sans ordre et trop à la hâte n'est pas salutaire au corps, qu'elle le nourrit moins ou plus qu'il ne le demande. Cette considération s'applique également à la troisième espèce, où l'on dépasse les limites du besoin , et l'on peut ajouter, comme on l'a dit déjà, qu'un tel excès détourne des lionnes oeuvres. Mais le remède le plus efficace contre les deux dernières espèces de gourmandise est de n'avoir point de quoi satisfaire à leur exigence. Ainsi plus un homme est pauvre, moins il pèche en ces points.
C'est là, selon les enseignements des anciens, le
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premier vice quil nous faut vaincre, et moins nous l'aurons surmonté , plus les autres vices auront de puissance contre nous et plus nous serons faibles contre eux. C'est par la gourmandise que la mort est entrée dans le monde. Le démon a commencé à tenter Jésus-Christ par la gourmandise, cherchant par cette porte à s'ouvrir une issue aux autres vices et à nous y entraîner. Contre elle nous devons considérer comme nous l'avons fait déjà contre toutes les voluptés perverses, combien elle passe vite, combien sa durée est courte ; et ensuite quand le plaisir a disparu , c'est comme s'il n'avait jamais existé. Lors donc que vous vous sentez attiré vers les jouissances du monde et de la chair, regardez-les en votre coeur comme si vous les aviez eues, comme si vous en étiez rassasié et comme si l'heure en était écoulée, car la volupté passée est comme le rêve d'une nuit, ou plutôt elle est méprisable : lorsqu'elle nous entraîne elle souille notre conscience , mais lorsqu'on la rejette elle nous laisse dans la joie et la sécurité.
Vous trouverez aussi un puissant remède contre toutes les tempêtes de l'adversité , à penser en vous-même , tant que l'orage se fera sentir , qu'il doit en être ainsi et qu'il ne peut en être autrement; que c'est la volonté de Dieu que les choses se passent de cette manière, et qu'il en arrive selon qu'il a disposé lui-même. Or, ce qui a été disposé selon notre volonté . nous surprend moins lorsqu'il est présent. Si vous vous sentez troublé en ne voyant pas les choses répondre à vos désirs ou à vos espérances, dites-vous
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que bien d'autres choses n'ont pas eu lieu dont vous eussiez pu vous réjouir si vous en aviez été favorisé, et que cependant vous ne vous troublez point d'en avoir été privé. En effet, quand le coeur de l'homme ne s'attend pas à une chose, il est heureux, sans doute, si elle arrive, mais il ne s'attriste point si elle ne lui est pas donnée. Par exemple : vous espérez avoir demain un beau dîner, vous êtes content; mais que votre espérance vienne à être déçue, vous voilà triste parce que le plaisir sur lequel vous comptiez vous a été ravi. Mais si vous n'avez rien espéré, vous ne vous troublez pas de manquer de cette jouissance, parce que vous ne croyez rien perdre attendu que vous n'aviez rien en vue. L'homme vertueux doit placer son espérance et sa consolation en Dieu de façon à ne jamais laisser son âme se répandre entièrement au milieu des consolations terrestres; ses désirs doivent comme effleurer les choses extérieures et ne jamais s'y attacher. Ainsi celui qui marche sur la glace s'avance d'un pas léger en éprouvant si elle n'éclate pas afin de retirer son pied à temps et de n'être pas englouti. Lors donc que vous perdez un objet aimé, pensez en vous-même que vous ne l'avez jamais eu en votre possession , et ce sera pour vous comme un songe qui vous aura flatté un instant, puis se sera évanoui selon sa coutume en vous laissant les mains vides. Le Prophète a demandé avec amour d'avoir en son coeur de telles pensées : Seigneur, s'écrie-t-il, vous réduirez au néant dans votre cité l'image de pareilles choses; elles seront comme le
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songe de ceux qui s'éveillent (1). C'est connue s'il disait : Seigneur, réduisez au néant le souvenir des objets terrestres en mon coeur. Ce coeur est la ville ou vous avez choisi votre demeure, anéantissez le souvenir de pareils objets, que je ne fasse non plus de cas de ce qui a disparu qu'on en fait en s'éveillant d'un songe bientôt laissé dans l'oubli. La vie présente est un songe pour les méchants et les insensés; ils croient être ce qu'ils ne sont pas, ils s'imaginent être heureux et posséder ce qu'ils n'ont pas. Ces considérations ne sont pas imaginaires; elles sont vraies et pleines de sagesse, elles rendent filme tranquille et stable au milieu des variations auxquelles sont soumises les joies et les peines de ce monde. Lorsque vous désirez avoir ce que vous n'avez pas, pensez que vous l'avez eu, mais que vous en avez été privé et que le moment d'en jouir est passé. Lorsque, au contraire, vous possédez l'objet de vos désirs, gardez-vous d'en concevoir trop de plaisir, mais pensez qu'un tel bonheur sera bien vite fini , qu'il ne laissera rien après lui si ce n'est un souvenir douloureux et la perspective de châtiments dans l'éternité. Si vous perdez ce que vous avez aimé, figurez-vous ne l'avoir jamais eu en réalité, mais seulement en songe. Par exemple, je m'imagine être roi de France et en possession d'une gloire admirable , vivant au milieu des splendeurs, des délices et des richesses, et ensuite le roi d'Angleterre nie combat, nie fait prisonnier, me dépouille de mon royaume et de nia gloire, et me laisse privé de tout.
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Si, en sortant d'un tel rêve, je voulais me troubler et m'affliger d'avoir perdu ce royaume fantastique, ou me réjouir à l'excès d'avoir eu une telle gloire, ne serait-ce pas une tristesse insensée ou une gloire tout-à-fait frivole, que de me laisser impressionner par de semblables chimères?
Nous pourrions en tout temps nous abandonner à ces vaines joies ou à de pareilles tristesses, en représentant à notre esprit des sujets de gloire et de plaisir, ou bien des chagrins et des douleurs. Ainsi ont coutume de faire certains insensés et certains lunatiques, trompés par des fantômes nés de la confusion de leur pauvre tête; ou les voit tantôt rire, tantôt pleurer, sans aucun motif extérieur, mais selon les idées tristes ou joyeuses que leur imagination a enfantées (1). En vérité, tout homme vivant sur la terre n'est que vanité, dit le Prophète, tout homme vivant selon la chair et non selon Dieu. Et pourquoi ? Parce que l'homme passe véritablement comme une image ; il passe trompé par une imagination dont il est le jouet , il s'estime quelque chose et il n'est rien , et ainsi non-seulement il s'exalte vainement, mais il se laisse troubler inutilement par des craintes frivoles et abattre par des chagrins sans réalité. Il amasse des trésors et il ne sait pour qui il les aura amassés. Il ignore s'il en jouira lui-même ou s'ils ne deviendront pas la proie d'un possesseur injuste. Mais le Prophète avait trouvé pour lui-même un remède à de tels tourments : Quelle est donc maintenant mort attente? dit-il.
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n'est-ce pas le Seigneur? Tout mon trésor est en vous, ô mon Dieu, là je ne crains plus de le perdre.
Arrêtez bien encore en votre coeur de ne jamais vous troubler pour les maux futurs, car ce qui n'est pas peut arriver ou ne point arriver. Souvent nous nous troublons avant le temps dans la crainte de choses qui ne seront pas. Ainsi des enfants pleurent quelquefois à la pensée du chagrin qu'ils concevraient si leurs parents venaient à mourir, et en attendant ceux-ci vivent, se portent bien et ne paraissent menacés d'aucune maladie. Quand même l'adversité à venir serait certaine, à chaque jour suffit son mal; il n'est pas nécessaire de doubler nos douleurs en les faisant précéder de la crainte : la tribulation nous tourmentera assez par elle-même quand elle sera présente. Je veux parler ici des maux temporels; quant aux maux éternels, il nous est avantageux de les redouter et de nous prémunir contre eux à l'avance. « Pensez au supplice avant qu'il n'arrive, » dit saint Grégoire (1).
Quand l'affliction est proche , il faut en considérer les avantages, nous souvenir combien elle sert à nous purifier de nos péchés passés, à nous préserver des péchés à venir, à éloigner de nous en une foule de choses l'occasion d'offenser Dieu. Ensuite elle nous exerce aux vertus , à l'humilité, à la compassion envers ceux qui sont soumis à de semblables épreuves ; elle nous porte à nous réfugier avec plus d'ardeur dans le secours divin; elle nous fait expérimenter la
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clémence divine qui se montre pleine de justice en-vers ceux dont le coeur est en proie à la tribulation ; elle nous met à méme de mieux reconnaître nos propres vertus , car on découvre mieux dans l'adversité quels progrès on a fait en chacune d'elles. L'affliction nous sert encore à acquérir une gloire plus grande, et, ce qui est plus considérable, à payer à Jésus-Christ la dette de ses souffrances pour nous. Lorsqu'elle est passée , réjouissez-vous : vous êtes comme l'homme échappé au naufrage ou à la tempête , comme l'homme sorti d'un chemin pénible et trouvant enfin un asile excellent pour se reposer. Gardez-vous alors de vous attrister encore une fois , en conservant de la rancune ou de la haine en mémoire des injures dont vous avez été la victime de la part de votre persécuteur. Si vous ne méritiez rien de semblable d'un tel homme, peut-être étiez-vous digne que Dieu permît une telle affliction, et sa justice s'est servie de votre ennemi comme d'un exécuteur pour accomplir ses décrets contre un coupable. Ainsi, Assur est appelé la verge de la fureur du Seigneur , parce qu'il a été dans sa main une verge destinée à châtier son serviteur Israël au milieu des iniquités dont il se rendait coupable (1). Mais comme après avoir corrigé un enfant on jette la verge au feu , ainsi les instruments de la vengeance de Dieu seront punis enfin , surtout ceux qui persécutent leurs frères injustement et par un zèle sans droiture.
Après être comme sorti de mon sujet pour vous
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apprendre comment vous deviez vous conserver immuable dans l'adversité et la prospérité afin de ne pas vous laisser abattre par l'une ni élever par l'autre, car l'adversité a pour cause la privation ou la perte d'une chose désirée, et la crainte ou le support d'un objet détesté ; après , dis-je, être sorti de la sorte de won sujet, il est temps de revenir à considérer les divers caractères des vices et les remèdes à y apporter. Mais on ne trouve pas une ressource médiocre dans la guérison de pareilles maladies , à savoir se passer avec égalité d'âme des choses que la chair et ses inclinations désirent, à souffrir avec patience ce qu'elle a en haine et en horreur et à ne pas le redouter. Ainsi , dans la médecine corporelle, celui-là est près de recouvrer la santé, qui observe une diète bien réglée , se liant en garde contre ce qui pourrait lui nuire, et sait prendre avec courage et sans murmure les breuvages les plus amers. L'homme qui désire remporter une victoire entière sur ses vices, dit saint Grégoire , doit s'appliquer à recevoir humblement les châtiments destinés à le purifier de plus en plus (1). Je sais être dans l'abondance et souffrir la détresse, s'écrie l'Apôtre, endurer la faim et avoir de quoi me rassasier : j'ai éprouvé de tout et je suis fait à tout (2).
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La luxure est de quatre sortes. La première réside dans le coeur, et elle a lieu quand un homme roule en lui-même des pensées immondes et déshonnêtes , sciemment et volontairement, avec une délectation coupable , et sans y opposer de résistance. De là ces paroles de la sainte Ecriture : Les pensées perverses séparent de Dieu. Quiconque regardera une femme avec un désir mauvais a déjà commis l'adultère en son coeur (1) .
La seconde consiste en des actes sensuels , comme des embrassements, des regards déshonnêtes, des conversations impures, comme aussi entendre des paroles honteuses avec un plaisir coupable, etc. Cette seconde sorte de luxure l'emporte d'autant plus en gravité sur la première, que sa perversité la porte à des choses extérieures et plus considérables. Si une seule pensée mauvaise accompagnée de consentement est déjà un crime, combien plus en sera-ce un de lâcher les rênes à ce qui peut exciter davantage encore au mal, de lui venir en aide et de le provoquer en lui offrant le ministère de nos sens extérieurs et de nos membres? Si un seul désir du coeur est jugé par le Seigneur un adultère, quel nom donner à des
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embrassements, à des paroles impures , etc.? Que nul clone ne se laisse entraîner à une erreur insensée en regardant seulement comme une faute la consommation d'un tel péché. Si quelqu'un nous disait : Je ne cherche point à commettre le mal , je puis donc me permettre des caresses innocentes avec une personne que j'aime, pour alimenter entre nous la sainte charité et dans une intention pure, pour accroître de plus en plus le feu de cette charité, puisque l'amour du prochain nourrit et augmente l'amour de Dieu; qu'il sache celui-là que sous prétexte d'amour spirituel il se laisse tromper par une affection toute charnelle, par un plaisir tout charnel. L'esprit aime l'esprit et il n'a pas besoin d'embrassements corporels : de tels embrassements sont un indice d'amour charnel; plus cet amour croît dans un coeur, plus l'amour spirituel diminue et se refroidit , et l'amour spirituel de son côté réprime et met en fuite l'autre amour.
Celui donc qui s'imagine pouvoir se livrer licitement à de tels actes, se rend coupable d'un triple péché quand même il n'aurait aucune intention d'aller jusqu'à commettre le crime. D'abord il s'expose imprudemment à un danger grave, car les sens de l'homme et ses pensées sont portés au mal, et une tentation qui n'a pas existé, venant à naître et à se développer à l'occasion d'une familiarité malheureuse, peut corrompre la volonté et précipiter dans le crime. Souvent il en est arrivé ainsi pour beaucoup : ils ont commencé de telles liaisons avec une intention pure
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de part et d'autre; leur affection spirituelle s'est pervertie et ils sont tombés dans le mal. Il est contraire au commandement de Dieu de s'exposer à un semblable péril, car il est écrit : Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu (1). Ainsi l'homme qui , poussé par une curiosité insensée, s'avancerait sur une glace sans consistance, serait coupable contre lui-même s'il venait à être englouti, et même tenter le Seigneur avec autant de folie serait un crime quand même la mort ne s'ensuivrait pas. En second lieu, alors qu'il n'éprouverait en lui-même aucune tentation, il donnerait cependant à l'autre l'occasion de la ressentir et de tomber dans le péché , puisqu'il creuse en sa présence une fosse où il peut trouver la mort. Mais lorsqu'on présente à son frère une coupe empoisonnée, demeure-t-on innocent parce qu'on n'y boit pas soi-même? Son souffle, dit l'Ecriture, le souffle du démon, allume des charbons ardents (2). Ce souffle enflammé par le feu de l'enfer, s'il trouve deux charbons disposés, même à moitié éteints, les ranime sans sc lasser jusqu'à ce qu'il les ait embrasés. Notre ennemi ne s'inquiète pas de la longueur du temps pourvu qu'il arrive à son but; une seule chose l'occupe en tout temps et rien ne vient l'en distraire : la séduction des âmes. En troisième lieu , celui qui se permet de pareilles choses se rend coupable en donnant le mauvais exemple, et par là il scandalise gravement les autres, car une telle familiarité ne manque pas de produire des soupçons mauvais. Ceux qui en sont
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témoins la jugent coupable, ils murmurent et s'indignent, ils médisent et tournent, en dérision les membres innocents du même ordre, comme s'ils se livraient aux mêmes désordres. Et ainsi le respect de la religion est foulé aux pieds et bien des maux s'ensuivent. D'autres encouragés par le mauvais exemple ont plus de hardiesse à l'imiter; ils se croient libres de faire ce qu'ils voient faire; ils apprennent ou ils osent ce qu'ils n'eussent point osé auparavant. Ils deviennent même des pécheurs pleins de témérité, et au milieu de leurs crimes ils se regardent comme des justes en comparaison de ceux qui corrompent la pureté de la religion. Or, tout cela contribue à l'injure et à l'offense de Dieu et à la ruine de son honneur, car l'insolence d'une famille devient une honte pour son chef.
La troisième espèce de luxure est le crime lui-même consommé; c'est la fornication, l'adultère, etc.; ce sont autant de crimes dont je ne traiterai ni ne parlerai davantage.
La quatrième espèce est le péché contre nature. Chacune des choses soumises à la nature a reçu un noua qui lui convient; mais ce péché , étant en dehors des lois de la nature ou contre elle, a été laissé sans aucun none particulier; il est indigne d'être nommé , car il détruit la nature elle-même, il souille et couvre d'infamie la nature humaine. Cependant il est appelé quelquefois passion d'ignominie, impureté abominable. Bien que l'Apôtre ait écrit sur ce péché des choses graves et nombreuses dans le premier chapitre de son épître aux Romains, cependant je ne juge pas
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à propos d'en parler, de peur que l'air même ne soit infecté de son nom , de peur que l'habitude d'en traiter en fasse concevoir moins d'horreur et le rende moins exécrable à ceux qui nous entendent, de peur que les simples n'y trouvent un sujet de pensées mauvaises, et les hommes livrés à une curiosité inquiète une occasion de péché.
Je me rappelle en ce moment sept remèdes à opposer à la luxure, et sans leur secours la continence ne saurait être longtemps en sûreté. Le premier est d'éviter une familiarité continuelle entre personnes d'un sexe différent (1). Le ver s'engendre dans les vêtements et l'iniquité de l'homme vient de la femme. « Ceux qui ont voué leur corps à la continence, dit saint Grégoire (2), ne doivent point se hasarder à demeurer avec des personnes d'un autre sexe. Tant qu'un reste de vie réside en ce corps, nul ne peut sans témérité y croire le feu de la concupiscence entièrement éteint. Souvent un charbon couvert d'une cendre légère ne semble plus animé, et si vous le touchez il vous brûle. Lorsque le démon voit deux charbons réunis, il ne cesse d'y souffler
jusqu'à ce qu'il les ait embrasés. Son haleine, dit
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l'Ecriture, allume des charbons ardents; elle est tout imprégnée du feu de l'enfer. Si un charbon est seul, il s'éteint; mais s'il est rapproché d'un autre, ils s'enflamment par la chaleur l'un de l'autre. Souvent l'amour commence par l'esprit et finit par la chair. » « Être toujours avec une personne d'un autre sexe et se conserver intact, dit saint Bernard (1), c'est un miracle plus grand que de ressusciter les morts. Quoi donc! vous ne pouvez ce qui est moindre, et je vous croirai capable de ce qui est plus! » Le démon est plein d'astuce; quand une familiarité imprudente en est à son début , il dérobe à nos yeux les piéges de la tentation charnelle, car il sait que bientôt les sentiments d'affection mutuelle cesseraient s'ils faisaient ressentir l'aiguillon du péché. Il se cache donc jusqu'à ce que le temps et une sécurité insensée aient échauffé ces sentiments et les aient changés de telle sorte en amour, que même en voyant la tentation imminente on ne sait plus reculer en arrière ni se séparer mutuellement, les forces de l'âme se sont trop affaiblies, on se trouve impuissant à s'imposer une violence propre à retirer du piège. On craint même de se contrister et l'on regarde comme une perfidie de se quitter mutuellement. Une fois pris de, la sorte, on consent à la volonté de la personne qu'on aime, et notre propre infirmité nous entraîne dans le péché. Ainsi Samson, le plus fort des hommes, avait défait souvent des troupes nombreuses d'ennemis, il avait rompu à plusieurs reprises
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les liens dont on l'avait chargé; plein de confiance en ses forces, il se laissa énerver par l'amour de Dalila , son âme perdit sa fermeté et tomba dans une lassitude mortelle, cette femme ne lui donnant aucun repos qu'il ne lui eût ouvert pleinement son coeur. Séduit de la sorte, il fournit à ses ennemis le moyen de le prendre, de l'enchaîner, de le frapper d'aveuglement, de le condamner à tourner la meule , et enfin il en vint jusqu'à être offert en spectacle comme un objet de dérision (1). Or, toutes ces choses sont des figures de ce qui nous regarde et ont été écrites pour notre instruction.
Le second remède est d'éviter la société et la fréquentation des libertins pour ne pas nous laisser attirer, par leur exemple, à marcher sur leurs traces. Celui qui se joint aux fornicateurs deviendra méchant, dit l'Ecriture. L'ami des insensés finit par être semblable à eux. Les sens de l'homme et ses pensées sont portés au mal (2), et l'exemple des autres l'entraîne facilement à suivre l'appétit de ses inclinations perverses; car alors il ne rougit plus de paraître vicieux , puisqu'il a des compagnons de sa misère dont les sollicitations et les moqueries se joignent aux exemples pour l'exciter au péché, puisque les désirs déréglés de son âme lui sont une source de louanges. Voilà, je crois, la cause principale des désordres si nombreux dont l'Eglise est affligée. C'est cette inclination à se conformer au mal qui a causé dans la vie religieuse la ruine des exercices spirituels et poussé beaucoup
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d'hommes voués à une semblable vie à des pratiques et à des affaires purement extérieures. On veut imiter les autres, soit qu'on ne connaisse rien de mieux, soit qu'on n'ose vivre autrement que ceux avec qui l'on demeure, succombant ainsi à la mauvaise honte de ne pas leur ressembler, soit enfin qu'une tiédeur coupable et une liberté toute sensuelle s'estiment heureuses d'avoir l'occasion de suivre leurs caprices, même les plus coupables , et en même temps un moyen de les excuser devant les hommes. Tous se sont détournés de la voie droite, dit le Prophète, et sont devenus inutiles (1); il n'y en a point qui fasse le bien , il n'y en a pas un seul qui, méprisant la multitude, s'applique à plaire uniquement au Seigneur et à le servir , à lui demander uniquement et à le supplier de lui accorder de demeurer en sa maison avec un esprit soumis et une volonté conforme à la sienne; et cependant c'est la seule chose qui nous soit nécessaire. Aussi a-t-on coutume de dire parmi les hommes qu'il faut ressembler à ceux avec qui l'on habite.
Le troisième remède est de ne point nourrir notre corps avec délicatesse. Son indolence en vertu de la malédiction première produit assez facilement des ronces et des chardons; si on l'engraisse encore de délices, bientôt ces ronces deviendront si épaisses que la semence de la vérité sera entièrement étouffée en nous. Celui qui nourrit délicatement son serviteur dès son enfance, dit l'Ecriture, le verra ensuite se révolter contre lui (2). A chaque jour suffit son mal, à
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chaque jour suffit sa concupiscence naturelle. Si ceux qui dois ent en combattre les amorces se mettent au contraire à l'exciter, alors il y a deux ennemis contre un seul combattant, et la continence se trouve en danger , car elle a à lutter et contre cette concupiscence innée de la chair et contre les délices qui l'enflamment et l'irritent. De là cette parole de l'Apôtre : La veuve dont la vie se passe dans les délices est morte par le péché, quoiqu'elle paraisse vivante (1). Voici, dit le Prophète, quelle a été l'impiété de Sodomise votre soeur : ç'a été l'orgueil, l'excès des viandes, l'abondance de toutes choses, et son oisiveté (2). Saint Paul au contraire s'écrie : Je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même (3). C'est fournir des armes à son ennemi que de nourrir sa chair dans les délices et de lui accorder au-delà de ce qu'il lui faut pour se soutenir ; mais tout ce que vous donnez à votre ennemi , vous le lui donnez contre vous-même.
Le quatrième remède est de fuir l'oisiveté, qui est par-dessus tout contraire à l'âme. En effet, l'oisiveté a enseigné beaucoup de mal (4), dit l'Ecriture, et tout homme oisif est en proie aux désirs. Celui qui s'occupe est attaqué par un seul démon; mais le paresseux est soumis aux ravages d'une multitude innombrable de ces esprits malfaisants , car chacune de ses pensées, chacun de ses désirs pervers ouvre une porte aux
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traits d'un ennemi particulier. « L'oisiveté, dit saint Bernard, est la sentine de toutes les tentations et de toutes les pensées perverses. » De même que , par l'ouverture d'une sentine, l'eau pénètre sans être aperçue et croit jusqu'à ce que le navire soit submergé, de même les pensées mauvaises et les désirs déréglés se multiplient par l'oisiveté jusqu'à ce que le vaisseau de notre coeur succombe sous leurs assauts et s'engloutisse dans le péché. Voilà pourquoi de nos jours si peu de religieux demeurent stables dans les monastères de nos contrées en comparaison des anciens monastères de l'Egypte. Là on a vu jusqu'à trois et même cinq mille hommes à la fois soumis à un seul supérieur et vivre dans la paix, et c'est à peine maintenant si dix ou même un nombre moindre peuvent être gouvernés par l'obéissance et demeurer unis. Trouvant de quoi subsister dans le travail des mains , les anciens ne couraient point après de vastes domaines ni après des revenus considérables, et ils ne cherchaient à retirer de leurs fatigues que leur nourriture. On ne les voyait point désirer des choses superflues, ni errer ça et là pour mendier, ou solliciter par la flatterie des donations en leur faveur; leur travail suffisait à sustenter en même temps qu'eux une multitude de malades et de pauvres, et une occupation continuelle ne leur permettait pas de poursuivre les nouvelles, de se mêler aux querelles, de devenir les esclaves des désirs les plus contraires. Nul ne mettait de côté pour lui ce qu'il avait gagné ou acquis; mais comme tous avaient fait abnégation d'eux-mêmes pour Jésus-Christ
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et s'étaient soumis au pouvoir d'un autre, ils avaient de même abandonné tout ce qu'ils possédaient. Et comme en cela ils n'agissaient pas avec fracas, ni selon les désirs de leur volonté propre, mais dans un profond silence et dans un calme parfait selon la volonté de leur abbé et de leurs supérieurs, le travail le plus actif, loin de diminuer en eux l'esprit de dévotion l'excitait le plus souvent, et après avoir employé à l'action de de chaque jour les heures déterminées, ils avaient coutume de consacrer le reste du temps à la lecture ou à l'oraison. Aussi demeuraient-ils stables et parfaits en toute vertu, ces hommes qui dépensaient ainsi tous leurs moments en bonnes oeuvres et en l'étude des vertus, sans rien accorder à la curiosité ni à l'oisiveté, sans faire aucun cas de leur volonté, uniquement appliqués à suivre celle de leurs supérieurs, à se conformer aux règles établies par les anciens et l'inspiration de l'Esprit-Saint pour la ruine des vices et la pratique des vertus. De là cette parole d'un poète: Si vous enlevez l'oisiveté, les traits de la volupté disparaissent.
Mais ce n'est pas assez d'éviter l'oisiveté; il faut encore rejeter les choses oiseuses. Or, tout cela est oiseux qui n'a aucune utilité ni aucun but d'utilité. Il est ridicule, en effet, de s'éloigner de l'oisiveté et de courir après les choses qui sont de son domaine. Vous trouverez ce point traité au chapitre des Remèdes à la paresse. Ensuite l'homme doit considérer à toute heure comment il petit employer le temps présent avec plus de profit, ou bien s'appliquer d'une manière plus parfaite à l'action du moment,
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soit la prière, le travail, les repas nécessaires au soutien du corps, soit toute autre chose.
Le cinquième remède est de garder ses sens extérieurs contre ce qui est défendu. Les sens sont comme les portes de Frime, et si l'on n'exerce à l'entour une vigilance exacte, la mort du péché entre par eux en nous comme un voleur ou un corrupteur de notre innocence. David n'a point désiré la femme d'Urie avant de l'avoir regardée , mais son désir coupable a été la suite de ses regards imprudents (1). De même encore Eve considéra que le fruit de l'arbre était bon à manger, qu'il était beau et agréable à la vue; elle soupira après et elle en mangea. Il n'est point avantageux, dit saint Grégoire, de regarder ce qu'il n'est pas permis de désirer (3). Il faut de même mettre une garde à ses oreilles, à ses mains, à ses autres sens et à tous ses membres, si l'on ne veut point puiser par eux le poison de la corruption. Diva est sortie poussée par la curiosité afin de voir les femmes du pays oit elle se trouvait, et elle a perdu sa pureté (4). Mon oeil a ravagé mon âme, dit le Prophète (5), en se portant indistinctement sur toutes les personnes de Jérusalem . J'ai fait un pacte avec mes yeux, s'écrie Job, pour ne pas turne penser à regarder une vierge (6). Ainsi les bons religieux se renferment dans leurs cellules et dans leurs monastères, comme en des tombeaux, pour ne point désirer le monde et en même temps pour ne lui donner aucun désir. Moins les choses de
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la terre frappent vos yeux ou vos oreilles, moins votre volonté s'enflamme à soupirer après et moins elles occupent votre pensée. Au contraire, plus vous vous couvrez fréquemment avec les boulines du siècle, plus vous vous couvrez de la poussière du siècle et plus aussi les ténèbres se répandent insensiblement eu votre âme; votre volonté perd de sa douceur, et vos actes de leur suavité. Il est presque impossible de ne pas se couvrir de poussière au milieu d'un tourbillon.
Le sixième remède est de réprimer intérieurement les pensées mauvaises et les affections de la chair. Ce sont là ces ennemis de l'homme qui demeurent dans sa propre maison, dont la fourberie peut livrer à nos ennemis la cité de notre âme si nous ne veillons diligemment. En effet, les pensées d'iniquité séparent de Dieu, et c'est du coeur que sortent les pensées mauvaises, les adultères, les homicides, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes. Or, de telles choses souillent l'homme véritablement. Aucun rempart n'est suffisant à garder une ville quand ses habitants sont des traîtres: de même aucune garde extérieure ne saurait conserver la chasteté à l'abri de toute atteinte si l'on n'exerce une vigilance attentive sur ses pensées et ses affections. Appliquez-vous avec tout le soin possible à la garde de votre coeur, dit le Sage, parce qu'il est la source de la vie (1). De même que les femmes chastes et honnêtes doivent éviter non-seulement les actions mauvaises, mais encore tout entretien suspect capable de tenter ou de souiller
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leur chasteté et leur honnêteté, d'exciter la colère de leurs époux ou de leur inspirer de la jalousie , ainsi l'âme d'un religieux, fiancée à Jésus-Christ par le voeu de chasteté, doit repousser les murmures des suggestions perverses et ne point les retenir en son coeur sur lequel le Seigneur tient en tout temps ses regards abaissés. Combien de temps demeureront en vous des pensées nuisibles (1)?
Le septième remède est une application fréquente à l'oraison et aux exercices de dévotion. Comme je savais, dit le Sage, que je ne pouvais avoir la continence si Dieu ne me la donnait, je m'adressai au Seigneur, je lui fis ma prière et je lui dis de tout mon coeur (2), etc. Si le Seigneur, dit encore le Prophète , ne garde lui-même la ville, c'est en vain que veille celui qui la garde (3). Il faut donc prier le Seigneur en tout temps, puisque nous ne pouvons rien faire sans son secours; il faut donc lui demander d'éteindre en nous par la rosée de sa grâce le feu de la concupiscence. La vertu de l'oraison elle-même nous invite à prier, car elle élève notre âme au-dessus d'elle-même et la porte vers Dieu; elle purifie ses affections, réprime ses désirs, éclaire son intelligence, et répand en elle l'amour divin. Cet amour produit ensuite l'horreur du péché; il nous fait détester les plaisirs de la chair, il fortifie la volonté contre les tentations, affaiblit les tentations elles-mêmes et les rend plus faciles à vaincre. Tandis que Moïse, priant sur la montagne, tenait ses mains élevées vers le
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Seigneur, bravi était vainqueur; mais lorsquil les abaissait et les reposait , Amalec devenait victorieux (1). Moïse , c'est le religieux tiré des eaux du siècle. Amalec, c'est la tentation de la chair. Les mains de Moïse, ce sont nos affections et notre mémoire. Quand nous les élevons vers Dieu, l'ennemi ou autrement la tentation succombe; quand nous les inclinons vers la terre, elle est victorieuse.
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L'avancement des religieux est contenu en sept degrés distincts, quoique tous ne les atteignent pas. Le premier est la ferveur du noviciat, pendant lequel l'homme nouvellement converti se laisse emporter par une certaine impétuosité de bonne volonté. Alors il est prêt à tout ce qu'Il croit agréable à Dieu : il se livre volontiers à un regret profond et à une douleur amère de ses fautes, il s'enflamme du désir de satisfaire au Seigneur , il brûle de recouvrer le temps perdu et de rendre plus belle la récompense si longtemps négligée durant les jours de son péché. Ainsi le voyageur qui , le matin , s'est abandonné à un sommeil trop prolongé, s'efforce et s'empresse de regagner par une marelle plus diligente et plus rapide les moments donnés à la paresse, et d'atteindre enfin ses compagnons partis avant lui.
Le second degré consiste dans le travail des exercices corporels. Le religieux étant encore pauvre ne peut se procurer des dons précieux à offrir pour édifier
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le sanctuaire du Seigneur ; il fait donc ce qui est en sa puissance lorsqu'il présente les poils de ses chèvres et les peaux de ses béliers', lorsqu'il donne son corps comme une hostie vivante, saillie et agréable à Dieu, bien que de temps à autre son obéissance ne soit pas entièrement conforme à la raison dans les châtiments qu'il s'inflige, châtiments qui détruisent son corps, affaiblissent ses forces, émoussent ses sens, éteignent son esprit et dissipent tous ses progrès dans la vie spirituelle. Aussi est-il écrit : Vous joindrez le sel à toutes vos oblations (2), ou autrement, elles seront accompagnées de discrétion. Vous ne vous écarterez point de la voie royale ni à droite par un travail excessif, ni à gauche par une tiédeur coupable. L'âme est immortelle et ne saurait s'éteindre; c'est pourquoi le corps , soumis à la corruption et semblable à un vase d'argile, ne peut dans la course lutter d'un pas égal avec elle, ni soutenir un poids de travail en rapport avec la ferveur de sa volonté. Ainsi quelquefois un homme ivre pousse outre mesure le cheval qui le porte, sans considérer que le pauvre animal n'est pas même rassasié dun peu de loin , tandis que lui-même est animé par un vin abondant. Mais en le contraignant à courir au-delà de ses forces, il le voit s'abattre enfin et il arrive plus lentement au terme de son voyage que s'il eût su modérer sa marche. Que votre obéissance soit conforme à la raison, dit l'Apôtre (3); agissez avec discrétion sans rien faire de trop et sans rien omettre; châtiez votre corps avec réserve, de façon à
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le faire mourir au vice, mais non à détruire en lui le principe de la vie. Il faut restreindre la chair et non l'éteindre; il faut la réprimer et non l'accabler; il faut qu'elle nous serve et qu'elle ne se laisse pas entraîner à ses écarts; il faut qu'elle soit soumise et n'exerce aucune domination. Une terre fertile longtemps inculte se couvre de ronces; si on veut lui faire trop produire, elle s'amaigrit; mais si l'on garde un juste milieu, elle conserve toujours sa fertilité. Ainsi en est-il du champ de notre corps : on ne doit ni le laisser à lui-même dans l'oisiveté et les délices, ni l'abattre par les privations et le travail. L'exercice corporel consiste en deux choses : retrancher ce qui flatte la chair et l'accoutumer à ce qui est dur et pénible. Mais les malades sont exceptés de cette règle, car l'amertume de la douleur les rend insensibles à ce qui flatte et la maladie elle-même l'emporte sur tous les travaux des hommes en bonne santé et jouissant de leurs forces. L'affliction du corps sert à purifier des péchés, à réprimer les vices, à accroître les vertus, à exprimer en notre âme la consolation comme on exprime le vin sous un pressoir, à édifier le prochain et à mériter la gloire.
Le troisième degré est l'infusion des consolations spirituelles; car Dieu étant bon et libéral récompense l'homme qui lui offre fidèlement tout ce qu'il possède et autant qu'il peut, c'est-à-dire une volonté fervente et un corps réduit en servitude. Or , la vraie consolation spirituelle consiste en deux choses : dans la beauté surnaturelle des puissances de l'âme , et dans
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l'accord calme et tranquille des inclinations de la chair. En effet l'homme est vraiment spirituel lorsque son esprit est tout entier élevé vers Dieu, lorsqu'il lui est uni par la conformité de sa volonté, lorsqu'il est plein de lui, et que d'un autre côté le corps n'oppose aucune résistance à l'esprit, mais lui obéit promptement à sa manière dans les choses de Dieu en ne désirant pas le mal , en ne repoussant pas ce qui est pénible , en ne témoignant aucun dégoût pour le bien. Les puissances de l'âme qui font d'elle l'image de la Trinité suprême, sont au nombre de trois : la raison, la volonté, la mémoire. Abandonnées à elles-mêmes, elles sont vaines et vides de tout bien, elles ont besoin d'être ornées et d'être remplies par celui et de celui qui les a créées , c'est-à-dire de Dieu. La raison est illuminée pour connaître la vérité, la volonté est enflammée pour aimer le bien, et la mémoire trouve le calme et le repos à s'attacher au bien véritable. Aucune de ces puissances ne peut exister ou être perfectionnée sans les autres. Si la raison ne voyait pas, la volonté serait sans amour, car elle ne saurait ce qu'elle doit aimer, et si elle n'aimait pas elle ne se réjouirait pas dans le bien. De même si l'âme n'avait aucun souvenir du bien, comment pourrait-elle le connaître ou l'aimer? Or, Dieu est le bien suprême, et par là même il est la vérité souveraine : toutes choses ont en lui leur principe d'être et la cause de leur bonté. De même qu'il a créé le monde entier de rien , qu'il a ensuite établi une distinction entre ses éléments et qu'il les a réglés, ainsi il forme l'homme selon le corps dans le
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sein de la femme, et après il met en lui une âme raisonnable. Ensuite, selon les différents âges l'intelligence croit quant à son action, la volonté est excitée, et la mémoire s'anime comme si elle réclamait un ornement convenable à sa dignité.
L'ornement de la raison est une intelligence lumineuse de Dieu , des choses de Dieu et de celles qui conduisent à Dieu; c'est entendre les saintes Fui turcs, les motifs de la foi et des oeuvres de Dieu; c'est comprendre quel est le bon vouloir de Dieu; c'est discerner entre les vices et les vertus, connaître leurs natures diverses, les remèdes à opposer aux premiers et les voies des secondes; c'est admirer dans les oeuvres du Seigneur sa puissance, sa sagesse et sa bénignité. En un mot l'ornement de la raison , c'est la sagesse et la science qui viennent de Dieu.
L'ornement de la volonté consiste dans les saintes affections et la dévotion envers Dieu , dans la ferveur de la foi et la fermeté de l'espérance , la douceur de la charité, l'empressement de la bonne volonté et l'espoir dobtenir la rémission de ses péchés, dans une tendre piété envers l'humanité et la Passion de Jésus-Christ oie même qu'envers sa divinité , dans un vif désir du royaume céleste et la confiance d'être exaucé en ses prières, dans la tendresse d'une sainte familiarité avec Dieu, et en un mot dans tout ce qui porte l'homme à Dieu , à l'amour de la vertu , à la haine du vice , à la charité envers le prochain et à la pratique des bonnes oeuvres.
L'ornement de la mémoire est l'abondance des
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saintes pensées, la fréquence de méditations utiles, un souvenir persévérant de Dieu, le retranchement des évagations de l'âme , une union pleine de calme au Seigneur , la répression des imaginations corporelles, l'oubli parfait des choses mondaines , et enfin c'est être un seul esprit avec Dieu. Mais comme le corps a été donné pour servir l'esprit, il doit en toute bonne oeuvre lui obéir comme à son maître, ne point regimber ni murmurer comme un esclave rebelle ou paresseux. L'esprit, de son côté, doit en maître prudent veiller sur son serviteur en trois points : à ce qu'il travaille d'une manière utile, afin de ne point le laisser s'engourdir dans la paresse; à ce qu'il soit châtié comme il convient, s'il a manqué en quelque chose; à ce qu'il soit sustenté avec modération , pour ne point le rendre insolent ou pour l'empêcher de succomber sous le fardeau. Plus un homme se conforme à ces règles , plus il est avancé dans les voies spirituelles. En être là , c'est jouir véritablement des consolations de l'esprit, car les autres consolations spirituelles n'étant point nécessaires au salut, doivent nous être suspectes , et souvent même elles sont fausses, apparentes et pleines de déception; ainsi en est-il des visions , des révélations, des prophéties, des délices sensibles , de l'accomplissement des miracles, surtout de nos jours, quoique cependant ces choses aient lieu véritablement quelquefois, mais en faveur d'un petit nombre d'hommes.
De temps à autre aussi Dieu console spirituellement les nouveaux religieux , afin de leur montrer combien
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il récompense généreusement ceux qui le servent et combien il est avantageux d'être engagé sous les lois d'un Maître si doux. Il donne encore ces sortes de consolations pour affermir la foi, fortifier l'espérance, accroître la charité, exciter les désirs de l'âne et les instruire, afin qu'ils voient où ils doivent se porter; ainsi dans les ténèbres une lumière nous montre la voie à suivre et les dangers à éviter. Enfin ces consolations servent à nous prémunir contre les tentations futures.
Le quatrième degré de l'avancement se trouve dans les tentations, les combats, les tribulations, qui servent à éprouver l'homme, à le purifier, à l'exercer, à l'instruire et à l'humilier. Celui qui combat dans l'arêne, dit l'Apôtre, n'est point couronné s'il n'a combattu selon la loi (1). Un objet destiné à durer longtemps a coutume d'être soumis à une épreuve pour voir s'il peut répondre à notre attente; on éprouve également une chose regardée comme excellente et d'un haut prix pour connaître la réalité de sa valeur. Ainsi la vertu de l'homme dont l'excellence est au-dessus de tout et dont la durée doit être éternelle, cette vertu, dis-je, Dieu l'éprouve au jour de la tentation pour en apprécier la constance; il éprouve ses amis par l'adversité afin de savoir s'ils persévèreront fidèlement au milieu de ses atteintes. La fournaise éprouve les vases du potier, dit l'Ecriture , et le feu de l'affliction les hommes justes. Parce que vous étiez agréable à Dieu, dit l'ange à Tobie, il a été nécessaire que la tentation vous éprouvât (2).
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L'homme est ensuite purifié de ses péchés par l'amertume de la tentation, afin de devenir digne d'entrer promptement en la gloire céleste et de n'avoir pas à se purifier plus longuement et plus douloureusement après st& mort dans le feu du purgatoire. La tentation le rend encore capable d'une grâce plus abondante; aima un verre obscur étant essuyé reçoit la lumière avec moins d'obstacle. En troisième lieu l'affliction nous exerce afin de nous rendre plus agiles et plus empressés à accomplir les oeuvres de justice et les actes des vertus. Aux jours de la consolation le repos ale l'âme et la pratique de la dévotion semblaient suffire pour nous conduire au suprême degré de la perfection; mais tout cela nous est enlevé pour un temps afin de nous apprendre qu'il y a d'autres manières d'arriver à la vertu. Un marchand ne trouve pas sur une même place toutes les choses dont il peut avoir besoin ; mais chaque objet se vend au lieu qui lui est propre. De même un religieux ne doit pas chercher l'accroissement de sa perfection et l'occasion de ses mérites uniquement dans le calme de la dévotion et la douceur des consolations spirituelles, mais dans les fatigues du combat et l'accomplissement des bonnes oeuvres. Je suis fait à tout, dit l'Apôtre, au bon traitement et à la faim, à l'abondance et à l'indigence. Nous nous servons des armes de la justice pour combattre à droite et à gauche (1).
L'homme est instruit par la tentation quand il re-connaît quelle est son utilité, quel profit il en retire
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En effet, elle lui devient plus légère lorsqu'il comprend pourquoi Dieu la permet et quels fruits elle lui procure : Dieu est fidèle, dit l'Apôtre , et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces; mais il vous fera tirer avantage de la tentation môme afin que vous puissiez persévérer (1). Il est instruit en ce qu'il apprend à ne pas s'appuyer autant sur les consolations dont il a été comblé que sur sa confiance en Dieu et la certitude de la foi. Ainsi nous voyons certains hommes encore nouveaux dans la voie de Dieu se laisser abattre lorsqu'ils sentent que les consolations spirituelles leur sont enlevées, croire que le Seigneur les a privés de sa grâce, et même commencer à chanceler dans la foi et se demander si les sentiments qu'ils ont eu de lui sont bien conformes à la vérité. Mais Dieu veut nous instruire en nous retranchant la consolation et nous forcer à établir notre vertu sur la vérité de l'Ecriture et de la foi plutôt que sur notre propre expérience; car notre foi serait sans mérite si elle reposait uniquement sur une semblable expérience, et une espérance dont les promesses se trouveraient ainsi accomplies ne seraient plus une espérance. Que notre espérance soit donc fondée sur la patience et la consolation que nous donnent; les Ecritures , et non sur les sentiments éprouvés par nous. Croyons que Dieu ne s'éloigne jamais de nous tant que notre volonté ne s'est pas détournée de lui soit en consentant au péché , soit en se livrant à toute la tiédeur d'une négligence coupable. Vous avez, dit
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le Prophète à Dieu , ordonné très-expressément d'observer les témoignages de votre loi, comme étant la justice et la vérité mêmes (1). Les témoignages véritables de la grâce sont donc : la justice pour notre volonté et nos actions, et la vérité de Dieu selon les promesses de la sainte Ecriture qui nous assure la vie éternelle si nous observons ses commandements. Quand même il me donnerait la mort, dit Job, j'espérerais en lui (2)? Gardez-vous donc , lorsque les douceurs des consolations intérieures vous font défaut, de concevoir des sentiments de défiance comme si Dieu vous avait délaissé, comme si vos bonnes oeuvres n'étaient point agréables à ses yeux; mais recourez à ces témoignages réels dont je viens de vous parler , consolez-vous en eux; ou autrement : confiez-vous à la vérité de Dieu; elle vous assure qu'il ne cessera point de vous être propice tant que vous ne vous retirerez pas de lui en consentant à violer ses préceptes. Nous ne l'avons pas choisi nous-mêmes d'abord ; mais il nous a choisis et nous a aimés le premier, et il n'abandonne pas ceux qui lui sont fidèles , lui qui nous a poursuivis de son amour lorsque nous n'étions pas encore et même lorsque nous l'offensions par nos péchés. Ainsi il nous a aimés et choisis, non à cause de nous , mais à cause de lui-même par un effet de sa bonté; il nous conservera donc de la même manière.
Dieu nous humilie enfin par la tribulation de la tentation afin de nous faire reconnaître ce que nous
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sommes par nous-mêmes et nous empêcher ainsi de nous enorgueillir des dons que nous avons reçus de lui ou que nous croyons en avoir reçus. L'or et l'argent s'épurent dans le feu, dit le Sage; mais les hommes que Dieu veut agréer au nombre des siens s'éprouvent dans le fourneau de la tribulation (1). Tout ce qu'il y a de déchet ou d'imaginaire en notre coeur, le feu de la tentation le découvre. Nous apprenons même à nous humilier de nos bonnes oeuvres en voyant qu'elles n'ont point leur principe en nous, mais en Dieu , qui nous a donné par sa grâce, et non par nos mérites , de les accomplir quand il l'a voulu et autant qu'il l'a voulu. Si les consolations de l'esprit n'étaient point ôtées à l'homme de temps à autre, il s'élèverait, il perdrait la grâce et tomberait dans l'abîme. Elles lui sont donc enlevées pour qu'il ne les laisse pas s'en aller , pour qu'il ne les perde pas. Ainsi l'on retire à l'enfant des pièces d'argent dont il ferait un jouet et qu'il aurait bientôt égarées , pour les lui rendre lors-qu'il aura profité en prudence et saura les conserver soigneusement. Nous voyons certains hommes comblés de grâces prendre de là occasion de mettre leurs complaisances en eux-mêmes , chercher l'estime du monde, et enfin être réduits au néant en présence de Dieu et devenir vils aux yeux de leurs semblables. Celui qui nourrit délicatement son serviteur dès son enfance, le verra ensuite se révolter contre lui (2). Le Seigneur est plein de bénignité , lui dont les délices sont d'être avec les enfants des hommes; il accorde
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volontiers ses consolations dès l'enfance à ceux qui lui sont fidèles , c'est-à-dire au commencement de leur conversion. Mais, hélas ! il trouve ensuite des rebelles en eux quand ces consolations les portent à s'élever et à mépriser les autres; quand, enflés d'orgueil , ils soupirent après le vain bruit des louanges humaines, et pervertis par le vice de leur jactance, ils deviennent des hypocrites; quand, s'efforçant de paraître meilleurs qu'ils ne sont, ils se mettent en opposition avec Dieu et usurpent témérairement sa gloire. Notre bon Seigneur connaissant combien la tentation et la tribulation sont utiles à l'homme, lui fait goûter d'abord les consolations de sa douceur afin de le rendre plus fort à soutenir l'épreuve et de l'empêcher d'y succomber; afin aussi de l'exciter à désirer toujours ces douceurs et à ne point se rebuter qu'il ne les ait obtenues de nouveau. C'est ainsi qu'on commence par donner à des ouvriers appliqués à un rude labeur une nourriture abondante , afin que leurs forces répondent à leur tâche; ainsi encore on nourrit de grain mêlé à du miel les colombes qu'on veut lâcher, afin de les porter à revenir , en quelque lieu qu'elles aillent, là où elles se souviennent d'avoir été nourries délicatement. Ainsi Pierre fut conduit sur une montagne élevée où il vit la gloire de la transfiguration de Jésus-Christ, avant d'avoir été demandé par Satan pour être criblé par la tentation, afin que le souvenir de ces premières douceurs le ramenât au Seigneur dont il avait goûté les charmes ineffables, et le soutînt contre la défiance, le découragement et, le désespoir.
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Ainsi les enfants d'Israël reçurent d'abord 1a manne dans le désert , et furent livrés ensuite aux fatigues d'un long voyage et de divers combats (1).
Il y a bien des sortes de tentations. Parmi elles la première est la soustraction et l'affaiblissement de la dévotion. Sans celle-ci les antres n'ont point de force ou n'en ont qu'une médiocre , car la dévotion est comme notre maison de refuge contre toutes les tribulations. Le Seigneur est mon aide, dit le Prophète (2), et je mépriserai mes ennemis. Quand des armées s'élèveraient contre moi, mon coeur ne craindrait point. Privé d'un refuge si excellent, l'homme se trouve ex-posé en quelque sorte aux coups des tentations comme à autant d'ennemis intérieurs; il devient tremblant et pusillanime s'il ne se fortifie par la fermeté de sa foi, s'il ne se défend par sa patience et son humilité, et c'est alors surtout que ces vertus ont occasion de s'exercer et de mériter une grande gloire. La foi est forte dans l'épreuve si elle croit vraies les choses dont elle a cessé de savourer la douceur. Tout ce que nous croyons de Dieu est vraiment plein de délices, mais les bons sont sevrés de pareilles délices afin que leur foi s'appuie sur l'autorité des saintes Ecritures
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plutôt que sur leur propre expérience, et qu'ainsi elle devienne plus méritoire. L'espérance persévère dans l'épreuve, si elle garde la confiance que Dieu lui sera propice, même quand il lui envoie des châtiments, et si elle s'applique à le servir avec empressement et à lui être agréable en tout , comme si elle le voyait plein de bénignité à son égard. Aussi Abraham est-il loué davoir cru à la divine promesse contre toute espérance , de n'avoir éprouvé aucun sentiment de défiance et d'avoir été pleinement persuadé que Dieu est puissant à tenir ce qu'il a promis (1). La patience triomphe dans l'épreuve si elle ne murmure pas contre Dieu comme tourmentant l'homme avec dureté et se plaisant à le jeter dans la tribulation , si elle attend avec longanimité le bon vouloir du Seigneur et ne. se laisse pas abattre par l'adversité. L'humilité est victorieuse si elle juge qu'elle est punie selon son mérite , comme entièrement indigne de consolations spirituelles , si elle croit Dieu juste dans les jugements qu'il exerce contre ses crimes et son ingratitude en la privant du bienfait de ses douceurs. Dieu doit nous être aussi cher et nous devons l'aimer autant, lorsqu'il nous punit pour nous purifier , que lorsqu'il nous comble de caresses pour nous consoler. Quel est l'enfant que son père ne châtie point? dit l'Apôtre. Je reprends et châtie ceux que j'aime, dit également le Seigneur (2).
La tentation vient pour plusieurs de la difficulté qu'ils éprouvent à faire le bien ; ils ont une certaine
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bonne volonté , mais elle est faible ; la difficulté leur est un obstacle, elle est comme un lourd rocher qu'ils sont condamnés à rouler, et de là naît l'affliction ; elle leur vient des remords de leur conscience qui les accuse de tiédeur , de la peine qu'ils éprouvent d'avancer si lentement et de leur désir de mener une vie plus sainte. D'autres ont la volonté de bien faire , mais ils ne peuvent se vaincre eux-mêmes pour arriver jusqu'à l'exécution, selon cette parole de l'Apôtre: Je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen de l'accomplir (1). Ils pourraient se livrer à certaines oeuvres , mais elles semblent si arides et si faibles qu'ils n'osent les regarder comme agréables à Dieu et de quelque mérite. Ainsi tout concourt à leur faire perdre courage et ils tombent dans une sorte de tristesse. Saint Bernard parle ainsi de tels hommes : « Il en est , dit-il , qui , fatigués des pratiques spirituelles et en proie à un engourdissement profond , marchent avec tristesse dans la voie du Seigneur ; ils se plaignent tout le long du jour et pendant toute la durée des nuits , ils murmurent fréquemment et leur coeur est aride en chacune des oeuvres de leur état » D'autres se laissent glacer de frayeur. Lorsqu'ils pensent à leur avancement spirituel , ils semblent se dire à eux-mêmes : la victoire est avantageuse , mais le combat est pénible; la récompense est pleine de douceur, mais le travail pour l'obtenir est lourd. Ainsi les hommes envoyés pour examiner la terre promise ,
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étant de retour, louaient sa fertilité en montrant ses fruits , mais ils épouvantaient le peuple en lui représentant les difficultés da combat et la haute stature des habitants (1). De même certains religieux explorent au moyen des Ecritures la terre céleste; ils en exaltent les joies ineffables , mais ils ont tellement en horreur les combats à livrer aux tentations et les travaux des exercices spirituels , qu'ils aiment mieux mourir dans le désert que d'entrer en cette terre bienheureuse ; ou autrement : ils préfèrent demeurer sans agir dans un milieu entre la vie mondaine et la vie spirituelle , dans un désert aride figuré par le désert qui séparait l'Egypte de la Terre-Sainte, plutôt que d'arriver aux douceurs de la perfection par le travail et les tribulations. Ils sont en admiration devant les géants de la terre , et lorsqu'ils considèrent les vertus des saints illustres , ils sont saisis de crainte comme autrefois les Juifs en présence des enfants d'Enac ; ils se défient de leur propre faiblesse , ils désespèrent , non par humilité mais par frayeur, d'atteindre jamais à une perfection semblable. Aussi se plaignent-ils et murmurent-ils contre le Seigneur de ce qu'il exige de l'homme un service si pénible comme autrefois le peuple hébreu se plaignait d'avoir été tiré de l'Egypte pour être soumis à des misères sans nombre. Voilà pourquoi si peu arrivent à la perfection ; pourquoi de cette multitude d'Israélites propres à combattre, deux seulement entrèrent dans la terre promise. Ceux-là seuls sont parfaits parmi les religieux qui , dans les
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combats , les tentations et la pratique des vertus, luttent avec une persévérance infatigable en résistant au mal et en s'adonnant au bien jusqu'à la fin.
Ensuite vient une autre sorte de tentation, celle du dégoût. Elle inspire à l'homme de l'éloignement pour toute espèce de bien; il s'ennuie à prier, à lire , à méditer ; il n'aime point à entendre le bien , à en parler, à l'accomplir, à assister aux saints offices , ni même à faire ce qui n'exigerait qu'un travail sans fatigue. Il n'espère point arriver aux plus sublimes degrés des vertus , et il dédaigne de s'exercer dans les moindres. Que cette tentation naisse de la précédente, l'Ecriture nous le montre clairement : quand le peuple eut éclaté en murmures à cause de ses fatigues, il se plaignit aussitôt de n'avoir plus que du dégoût pour la manne. Or, la manne figure l'aliment spirituel destiné à nourrir nos âmes , comme les paroles de la sainte Ecriture et les bonnes oeuvres qui sustentent notre coeur et rassasient notre conscience. C'est d'un tel dégoût que parle le Prophète quand il dit : Leur âme avait en horreur toute sorte de nourriture, et ils sont arrivés jusqu'aux portes de la mort (1). Cette tentation conduit à deux excès : à poursuivre les misérables consolations du dehors et à s'attacher aux frivolités du siècle. On ne trouve plus de joie dans les pratiques spirituelles , on en cherche dans les choses de la chair et dans les vains amusements du monde. Ainsi les Hébreux, après s'être rebutés de la manne , soupirent après les viandes , les melons, les poireaux
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de l'Egypte, c'est-à-dire après les jouissances animales et terrestres , après l'agitation des affaires extérieures dont la crudité, semblable à celle des poireaux, excite et ranime un palais affadi , mais laisse ensuite la conscience pleine d'une amertume intolérable. En second lieu cette tentation porte à une tristesse extrême : les exercices spirituels n'offrent à l'âme aucune consolation et elle ne veut point en chercher dans les choses de la chair ; elle est donc sans refuge et ainsi elle se consume tout entière dans un chagrin profond. Il ne reste plus qu'un moyen aux hommes soumis à une pareille tribulation : c'est de crier avec instance au Seigneur pour qu'il les arrache à leurs angoisses , de lui offrir un sacrifice de louanges , de publier ses oeuvres avec allégresse , ou autrement de se rappeler ses bienfaits et de s'exciter par ce souvenir à bénir son nom avec les accents d'une joie toute spirituelle.
Si l'on ne s'empresse de recourir à ces moyens , bientôt une autre tentation bien grave se fait sentir : la tentation d'impatience contre Dieu , de ce qu'il se montre si dur et si peu miséricordieux envers le coeur en proie à la tribulation, si économe à donner sa grâce à l'indigent qui la réclame avec tant d'anxiété et frappe avec tant d'importunité. Cette tentation arrive quelquefois à un tel degré de violence que l'homme devient comme insensé et que l'excès de son chagrin le rend tout tremblant; car il ne trouve point la consolation là où devrait être son refuge unique ; il ne la trouve point dans la prière , ni dans les supplications les plus vives, et cependant le Seigneur lui avait
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dit : Celui qui cherche, trouve (1) . Il s'écrie : « J'élève ma voix jusqu'à vous et vous ne m'exaucez pas ; je nie tiens en votre présence et vous n'abaissez pas un seul regard sur moi. Vous êtes changé à mon égard, vous m'êtes devenu cruel et vous employez la dureté de votre main pour me combattre. La multitude de vos bontés et de vos miséricordes ne se répand plus sur moi. Combien de temps, Seigneur, ferai-je entendre mes cris sans être écouté? Combien de temps élèverai-je la voix dans ma douleur, et refuserez-vous de me sauver? Jusqu'à quand, Seigneur, m'oublierez-vous? Sera-ce pour toujours? Jusqu'à quand détournerez-vous de moi votre face? Levez-vous, Seigneur. Pourquoi paraissez-vous comme endormi. Levez-vous et ne me rejetez pas toujours. Dieu est-il avec nous ou non? » Tout cela annonce combien profonde est l'angoisse de cette tentation , et l'on ne saurait mieux la vaincre qu'en souffrant avec patience et en attendant avec humilité que le Seigneur daigne abaisser sur nous un regard de sa bénignité et nous ouvrir sa main généreuse. Alors le ciel , jusque-là d'airain pour nous , se répandra en une pluie abondante de grâces , et la terre de notre coeur durcie à l'égal du fer, se sentant amollie par les douces eaux de la miséricorde divine , portera son fruit ; elle produira de pieuses affections et les saints désirs de la dévotion.
Mais la tentation est beaucoup plus dangereuse quand elle cause une douleur moins amère ; quand , la grâce de la dévotion ayant été retirée pendant longtemps,
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l'homme, après des soupirs réitérés et pleins d'anxiété , après de longs efforts pour recouvrer cette grâce , se trouve fatigué , laisse son esprit se relâcher de son ardeur à prier, cesse, sous prétexte de patience, d'élever ses regards vers les biens qu'il ne croit pas en son pouvoir de jamais posséder, et se juge avec une humilité irritée indigne d'une telle faveur. Peut-être , se dit-il , Dieu a-t-il sur lui d'autres desseins ; peut-être désire-t-il que , se tournant vers les choses extérieures, il devienne utile à un plus grand nombre; c'est peut-être dans cette vue qu'il l'éloigne des pratiques intérieures. Ensuite, sous le voile de la discrétion, il prend la résolution de se ménager davantage à l'avenir, pour ne point laisser son corps trop s'affaiblir, pour ne point fatiguer sa tête pour toujours. Alors il devient plus négligent à prier, plus prompt à se livrer aux vaines conversations , plus disposé à se répandre au-dehors , plus attentif à chercher le bien-être corporel , plus empressé à de frivoles plaisanteries , plus adonné et plus enclin aux occupations du dehors sous prétexte de racheter le temps d'une manière utile. Peu à peu il abandonne sa première ferveur, son désir de la perfection se refroidit , son zèle languit , l'affection pour les personnes pieuses d'un autre sexe s'infiltre en lui , il se met à les visiter, et tout autre sentiment venant à s'éteindre, il ne lui reste plus que la faible consolation de savoir parler des choses spirituelles. C'est assez pour le porter à se préférer à beaucoup d'autres qui n'ont point son expérience en de pareilles choses , ou pour lui faire
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une réputation auprès des personnes pieuses qui le regardent comme parlant de l'abondance du coeur et le considèrent comme un maître excellent de la vie spirituelle et de la dévotion intérieure. Bien des hommes sont ballottés par les flots d'une telle tentation et fort peu échappent à ses coups , car l'amour de Dieu ne touche pas leur coeur, le désir ne les entraîne point, la crainte n'a plus d'aiguillons pour eux, et leur ferveur ne les excite plus à marcher sans interruption. Ils sont relâchés en tout , et s'ils paraissent accomplir encore quelques bonnes oeuvres , ils sont poussés par l'habitude, par une honte toute humaine , par la crainte de tomber en un état pire encore. Celui donc qui désire surmonter cette tentation doit se faire violence en son coeur et en son corps; il doit s'exciter avec l'éperon, s'animer avec le fouet comme un animal paresseux. Certains hommes sont entraînés au bien avec une ardeur impétueuse; comme ceux-ci ont besoin d'être retenus avec le frein pour ne pas tomber dans le précipice, de même les antres ont besoin de la verge pour être châtiés et comme forcés au bien. Cependant plus nous aurons surmonté de difficultés dans le combat des tentations, plus le Dieu de miséricorde nous accordera une grâce abondante de perfection dans le temps présent et une récompense glorieuse dans le ciel.
Il y a bien d'autres sortes de tentations; mais il serait trop long d'en exposer le principe, la nature et les remèdes. Si aucun médecin ne peut connaître parfaitement toutes les espèces de maladies et de douleurs
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corporelles , à plus forte raison un homme est-il impuissant à discerner les maladies spirituelles des tentations et des passions, s'il n'est pleinement illuminé de la lumière du Saint-Esprit, puisque ces maladies échappent plus aisément à notre appréciation que les premières. Cependant les tentations les plus terribles paraissent être le doute dans la foi, le désespoir de la miséricorde divine , l'inclination au blasphème contre Dieu et ses saints , la tentation de se donner la mort , et une certaine perplexité de conscience qui se répand sans cesse en plaintes et ne veut mettre en pratique aucun des conseils propres à la guérir.
Les remèdes suivants sont les plus propres contre les tentations dont nous venons de parler. Le premier, c'est de se consoler dans la pensée que de pareilles épreuves ne sont point à craindre, car elles servent plus à accroître le mérite de celui qui les souffre qu'à lui nuire. Le second, c'est de les supporter avec patience, comme nous ferions si Satan cherchait à nous troubler visiblement ou d'une manière sensible. Le troisième, c'est de n'en faire aucun cas et de ne pas leur résister par des raisonnements, cela ne servant qu'à les exciter et à les rendre plus violentes. Il faut alors tourner son
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attention vers autre chose, s'appliquer à un sujet capable d'absorber notre pensée et de nous rendre comme étrangers à la tentation. Ainsi un homme en proie à une douleur corporelle en ressent moins vivement les atteintes si une occupation sérieuse le fait s'oublier soi-même. Le quatrième , c'est d'implorer par ses prières et celles des personnes vertueuses le secours de la miséricorde divine.
La plus commune de toutes les tentations, à laquelle nous sommes tous en butte sur cette mer si vaste et si immense , est , je crois , la lutte contre le vice. En cette lutte nous sommes souvent en danger et comme au moment de périr, et ensuite ayant repris nos forces nous nous relevons comme si nous n'avions plus à redouter dans la suite d'être attaqués de nouveau. C'est de cette lutte que le Prophète a parlé dans ce passage : Ils descendent sur la mer dans leurs navires et ils travaillent au milieu des eaux (1). La mer, c'est l'abîme des vices ; les vaisseaux sont les divers ordres religieux au moyen desquels on échappe aux vices du siècle ; les tempêtes sont les tentations causées par ces mêmes vices. Ceux qui naviguent sur cette mer voient les couvres du Seigneur et les merveilles qu'il
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fait dans la profondeur des abîmes , quand ils considèrent avec quelle puissance et quelle tendresse il préserve ses combattants des flots du péché , avec quelle sagesse admirable il les laisse en proie à la tribulation et les rend victorieux par ses divers conseils et par les remèdes qu'il leur présente contre les vices. Celui qui n'a pas été tenté , que sait-il? Celui qui est peu expérimenté connaît peu de chose; mais l'homme d'une grande expérience aura de grandes vues , et celui qui aura beaucoup appris parlera avec sagesse. Sur cette mer les navigateurs s'élèvent jusqu'aux cieux par la sécurité de leur confiance , et ensuite ils descendent jusqu'au fond des abîmes par la crainte où ils sont de succomber à la tentation ; ils s'élèvent jusqu'aux cieux en portant leurs regards vers le secours de la divine miséricorde , et ils descendent jusqu'au fond de l'abîme en contemplant la misère de leur propre fragilité.
Nous apprenons trois choses dans la soustraction des consolations intérieures : à rendre grâces des bienfaits les plus minimes, à craindre et à éviter les fautes et les négligences les plus légères , à supporter avec patience les tribulations les moins considérables.
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D'une table abondamment servie tombent des miettes sans nombre et quelquefois même des morceaux plus importants , sans qu'on en fasse grand cas ni qu'on s'en occupe. Ainsi l'homme, comblé des dons divers des consolations spirituelles, laisse passer quelquefois plusieurs bienfaits de Dieu sans lui en témoigner sa reconnaissance comme il le doit , il néglige bien des grâces données pour l'aider à faire le bien , il en re-garde un grand nombre comme d'une faible valeur et qui cependant en ont une considérable, beaucoup même lui sont inconnues. Mais quand toutes ces faveurs lui sont ravies, quand il est devenu un homme qui voit sa pauvreté , il se rappelle ce qu'il a eu et ce qu'il a pu autrefois. Maintenant il en est privé , il n'a plus la même puissance; semblable à un mendiant affamé, il recevrait avec gratitude un faible morceau, il en recueillerait avec soin les parcelles , lui qui naguère faisait peu de cas des mets les plus délicats. Ramassez, dit le Seigneur, les morceaux qui sont restés, de peur qu'ils ne se perdent (1). Les bienfaits de Dieu sont nobles et précieux à cause de la dignité de celui qui les donne , et du sentiment de libéralité et d'amour avec lequel il les donne ; quand même ces bienfaits seraient peu considérables, ils mériteraient notre reconnaissance. Ces dons tirent encore leur prix et leur utilité de leur propre nature. Qu'y a-t-il de plus noble que l'Esprit de Dieu? Et cet Esprit nous est donné. Qu'y a-t-il de plus utile que d'être transformés en Dieu, déifiés, mis en possession
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de la béatitude et de devenir les héritiers du royaume céleste ? Or , le Seigneur nous a communiqué les grandes et précieuses grâces qu'il avait promises , pour nous rendre par ces mêmes grâces participants de la nature divine. Ces dons sont relevés ensuite par la bassesse de celui à qui ils sont accordés. Qu'y a-t-il en effet de commun entre Dieu et la fange? Nous ne sommes que fange, des hommes vils , plongés dans le vice , des pécheurs ingrats et pauvres de tout bien , des misérables dignes de mort. Et cependant Dieu daigne se souvenir de nous. Si un roi voulait bien penser seulement à un pauvre , quand même il lui donnerait peu de chose, ce pauvre devrait en l'aire le plus grand cas. Qu'est-ce que l'homme, ô mon Dieu, pour que vous vous souveniez de lui? Qu'est-ce que le fils de l'homme pour que vous le visitiez (1) ?
Dans cet éloignement des consolations nous apprenons à fuir les fautes les plus légères , car il nous fait craindre que nos péchés et notre ingratitude ne soient la cause de l'état où nous sommes; ensuite nous nous efforçons de recouvrer la grâce si abondante que nous avons perdue, et pour cela nous évitons les négligences. En effet, celui qui méprise les petites choses, dit l'Écriture, tombera peu à peu (2). Vous avez surmonté de graves difficultés, s'écrie saint Augustin , prenez garde à ne pas être renversé par un grain de sable (3). Celui qui craint Dieu ne néglige rien : les grandes inondations se forment de gouttes imperceptibles et multipliées, et quelquefois elles détruisent
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les remparts les plus solides. L'eau pénètre dans un vaisseau par une fente légère et inaperçue, et elle finit par le submerger.
Nous nous accoutumons encore , lorsque les consolations nous manquent , à recevoir avec patience les peines les plus légères, et celui-là ne saurait être victorieux dans les grandes afflictions, qui ne s'est point exercé à en supporter de moindres. Beaucoup désirent mourir pour Jésus-Christ, qui ne veulent point souffrir à cause de lui les paroles les moins pénibles. Le bruit d'une feuille qui tombe les épouvante; comment soutiendront-ils les coups retentissants d'un glaive terrible? Apprenons donc à éviter, selon l'étendue de nos forces , toute espèce de péché , à accepter humblement toute adversité en punition de ceux dont nous sommes coupables , à reconnaître comme il convient les bienfaits de Dieu et à lui en témoigner notre reconnaissance en tout temps, et à ne point recevoir en vain la grâce du Seigneur; alors nous mériterons d'arriver à un degré élevé de vertu.
La tentation , quant au sujet présent , peut être appelée tout mouvement , toute affection , tout sentiraient qui nous éloigne du bien véritable. Or, cela a lieu de trois manières : en nous attirant par le plaisir, en nous effrayant par la peine et la difficulté , en nous trompant par la fausseté et la vaine apparence; et ainsi les trois puissances de l'âme sont entraînées dans la corruption. L'appétit concupiscible se laisse séduire par les choses qui flattent la chair, les yeux et le coeur, ou autrement par les voluptés, les richesses et les
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honneurs mondains. L'appétit irascible, eu proie à diverses craintes, se trouve sans force pour résister aux vices et s'adonner aux vertus : la raison est plongée dans l'aveuglement; elle juge mal ce qui est bien , bien ce qui est mal ; elle prend la lumière de la vérité pour les ténèbres et elle donne le nom de lumière aux ténèbres du mensonge. Mon coeur s'est troublé, dit le Prophète (1), il s'est troublé comme l'eau que la fange a agitée et rendue immonde; ma vertu m'a abandonné, et je devais par elle m'attacher au bien véritable sans dévier et d'une manière inébranlable ; la lumière de mes yeux elle-même n'est plus avec moi, et cependant elle était destinée à me faire distinguer la vérité du mensonge. La première de ces puissances est soumise à une double tentation : d'abord, les délices de l'esprit lui sont ravis et elle tombe dans la désolation ; ensuite la concupiscence charnelle la pénètre et elle demeure souillée. La seconde est également tentée de deux manières : elle se trouve faible pour le bien et elle incline au mal. Il faut en dire autant de la dernière: elle voit le bien et elle est impuissante à le discerner, elle se laisse tromper par un vain fantôme de vérité. Le démon suggère intérieurement à notre âme ses pensées perverses , le monde au dehors l'environne de sa malice détestable, la chair se délecte dans le mal, l'esprit le reçoit et consent à la tentation ou y résiste.
Maintenant est-il plus utile d'avoir des tentations que d'en manquer? Le résultat de la chose peut seul mis l'apprendre.%voir des tentations et v opposer
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une résistance courageuse , c'est l'indice d'une grande vertu ; les avoir surmontées et en avoir triomphé , c'est une action vraiment glorieuse. Mais il est plus commode et, plus sûr de n'en point avoir, car il est dangereux d'y succomber. Les désirer et se les procurer, c'est une imprudence surtout pour les faibles et les imparfaits. Cependant s'exercer au combat. contre les vices de l'esprit , contre la colère , l'envie, la vaine gloire , etc., c'est quelquefois une chose utile à celui qui doit demeurer parmi ceux qui le persécutent et l'offensent: il apprend ainsi la patience. C'est une chose avantageuse à l'homme soumis à un maître sévère et rigoureux qui veut briser en tout sa volonté : il s'accoutume par là à une obéissance humble et empressée. On peut parcourir de la sorte les autres vices de l'esprit. Mais pour les vices de la chair il y a danger et folie à agir ainsi. Il faut fuir de tels combats, éloigner de notre âme la pensée de telles choses et en retrancher les occasions. Aussi le Seigneur n'a-t-il pas voulu permettre au démon de le tenter sur la luxure. Il nous apprenait par là à ne point nous exposer à cette tentation , même avec l'espérance du triomphe et en vue de la récompense. En effet , cette tentation est toujours mélangée de délectation ; nous avons été conçus dans ce vice, et non-seulement notre esprit, mais notre corps lui-même en est imprégné; c'est pourquoi il y a danger à laisser pénétrer une pareille tentation. Quand un ennemi a dans une place quelques hommes favorables, s'il lui est donné d'en franchir les portes, il s'en empare irrésistiblement.
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Fuyez la fornication, dit l'Apôtre, tout autre péché que l'homme commette, il est hors de son corps, mais celui qui commet la fornication pèche contre son corps (1).
Les tentations accompagnées de délectation surmontent principalement les hommes mous et les faibles en qui l'amour du monde n'est pas encore éteint. Cet amour se rallume au contact des concupiscences mondaines, comme une chandelle dont la mèche fume encore fait à l'approche du feu. Les tentations impétueuses et violentes s'attaquent à des hommes plus forts : la mollesse est impuissante sur eux , il faut leur porter des coups plus rudes et plus vigoureux , des coups pareils à la tempête. Les tentations trompeuses qui se cachent sous l'apparence du bien , cherchent, , il est vrai , à tromper de temps en temps les hommes nouveaux et les insensés qui ne connaissent pas encore les profondeurs de Satan ; mais elles s'adressent d'une manière toute particulière aux parfaits , à ceux qui font des progrès dans les sentiers du bien. Ils m'ont, dit le Prophète (2), tendu un piége en secret
dans cette voie où je marchais. Satan lui-même, ajoute l'Apôtre , se transfigure en ange de lumière (3). S'il se montrait à de tels hommes tel qu'il est , avec son ignominie , ils l'auraient en horreur et ils prendraient la fuite ; s'il les attaquait ouvertement ils lui résisteraient , ils le chasseraient avec le secours de dieu , ils le vaincraient et ainsi il n'avancerait. à rien contre eux. Les hommes de bien , parce qu'ils sont
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purs, ont en horreur ce qui est immonde: parce qu'ils sont vertueux , ils luttent courageusement contre tout mal reconnu pour tel. Satan vient donc sous l'apparence d'un bon ange, qu'il sait être aimé des bons; il .lent afin de les tromper d'autant plus aisément qu'ils s'imaginent recevoir un messager fidèle , un messager accoutumé à leur annoncer et à leur persuader des choses excellentes ; car l'homme de bien, dit saint Bernard (1), ne se laisse séduire que par l'apparence du bien. Afin de faire accepter plus facilement ses inspirations, il propose d'abord ce qui est bon; ensuite il le mélange de mal; après c'est un faux bien, mais cachant un mal réel; enfin, lorsqu'il a enlacé et pris irréparablement dans ses piéges ceux qu'il attaque de la sorte, il lève ouvertement sa tête empoisonnée, il les jette sans détour dans le péché. Ainsi le scorpion a une face agréable et sa queue renferme un poison qui donne la mort. Ainsi les Gabaonites , sous un habit étranger, trompèrent les enfants d'Israël et furent épargnés , quoique en nombre de leurs ennemis (2). Combien sous une apparence de dilection spirituelle , sous prétexte de prières , se sont mis à fréquenter les personnes pieuses d'un autre sexe! Combien était pure leur intention première ! Elle avait assurément pour principe la charité et la dévotion. Après ce sont de longs entretiens soit de Dieu , soit de leur amour mutuel et de leur foi , des regards de tendresse et des présents comme souvenirs de charité. Déjà le bien de la consolation spirituelle et d'une affection sainte se trouve
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mêlé au mal des conversations inutiles , d'une familiarité imprudente et des pensées d'un coeur vainement occupé d'une personne qu'il aime. Ensuite vient un bien faux qui est un mal véritable : ce sont des embrassements , des poignées de mains , etc. , toutes choses suspectes , indices d'une amitié charnelle et préludes du crime. Enfin l'on arrive comme par une conséquence naturelle à se livrer ouvertement aux oeuvres d'iniquité. Oh ! combien il est court , s'écrie saint Augustin , combien il passe vite ce moment du plaisir pendant lequel on perd la vie éternelle !
L'orgueil , l'envie, l'avarice et autres vices se cachent souvent de la sorte. Ils n'osent tenter à front découvert les bons qu'ils savent ennemis de tout mal; ils prennent le voile de quelque vertu pour n'être point reconnus, semblables à un homme qui feint d'être votre ami afin de vous donner la mort en secret si , trompé par sa fourberie , vous l'admettez en votre demeure. Ainsi Joab prit de sa main droite le menton d'Amasa , comme pour le baiser, mais uniquement pour l'empêcher de soupçonner en lui un ennemi et de voir l'épée qu'il cachait ; et en le trompant de la sorte il parvint à le tuer. De même encore Judas livra par un baiser Jésus-Christ au supplice de la croix (1).
Dans les tentations trois choses surtout nous attristent : la peine du combat , l'inquiétude du coeur, qui en est la suite , et la crainte d'être vaincus et de succomber en consentant à la tentation , ou de résister
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trop faiblement , d'offenser Dieu par là et de souiller notre conscience , bien que du reste nous ne donnions pas un consentement entier.
Il faut résister à toutes les tentations en employant les moyens suivants. Le premier est d'éloigner d'elles notre pensée en l'appliquant à d'autres occupations propres à nous faire oublier autant que possible leurs assauts. Le second est de fuir l'objet et l'occasion de la tentation et surtout de la tentation de la chair, qui s'allume comme le feu lorsqu'on l'approche de son objet. Le troisième, c'est de supporter avec patience et humilité la verge du Seigneur levée contre nous, de nous juger dignes de l'affliction et des peines du combat , de les accepter sans murmure , avec la confiance que tout cela tournera à notre avantage , car Dieu sera apaisé plus promptement , nous serons de même purifiés de nos péchés , lavés de nos vices , enrichis de vertus , de science, de mérites et de gloire. De là ces paroles de saint Grégoire (1) : Celui qui désire vaincre pleinement ses vices doit s'appliquer à recevoir humblement les châtiments destinés à l'en
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purifier. Nous ne pouvons nous mesurer avec Dieu à raison de notre justice : nous sommes pécheurs; ni à raison de notre puissance : nous sommes pleins de faiblesse et en même temps des serviteurs ; nous ne saurions nous soustraire à lui par notre adresse , il nous est impossible de tromper ses regards et de sortir des limites de son empire : Où irai je pour me dérober à votre esprit? Où fuirai-je pour me cacher à votre visage? dit le Prophète. Dieu est sage et tout puissant. Qui lui a résisté et est demeuré en paix (1)? Humilions-nous donc en sa présence et nous obtiendrons miséricorde.
Le quatrième moyen est de recourir à la prière et d'implorer le secours de la vertu d'en-haut par nos supplications et celles des autres ; car nous ne pouvons, ni par nos mérites , ni par nos propres forces, ni par notre prudence, triompher de tant d'ennemis , nous ne pouvons passer à travers leurs rangs sans recevoir une blessure mortelle si la main de Dieu ne nous protège, si son secours ne nous fortifie. Invoquez-moi au jour de la tribulation, dit le Seigneur, je vous délivrerai et vous m'honorerez (2). Quelquefois, en effet, Dieu permet que l'homme soit tenté et en proie à l'affliction , pour le porter à s'appliquer à l'oraison , à chercher son refuge dans le Seigneur, à expérimenter son secours; il le permet pour lui faire entendre des paroles de consolation et l'embraser davantage de son amour, pour accroître le mérite de ses vertus et sa confiance en la bénignité céleste. Ainsi tout contribue
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au bien de ceux qui aiment Dieu , soit la prospérité , soit l'adversité.
Quelquefois aussi Dieu a coutume , après les tentations , de combler de consolations plus abondantes son serviteur fidèle , et de lui donner la grâce d'une perfection plus pure dans les choses où il a eu à souffrir le plus douloureusement de la part de ses ennemis. En effet , saint Grégoire nous dit que saint Benoît ayant résisté courageusement aux tentations les plus violentes de la chair, les vainquit si pleinement que jamais dans la suite, par la grâce de Dieu, il n'éprouva le moindre mouvement de concupiscence (1). Vos consolations, s'écrie le Prophète, ont rempli de joie mon âme, à proportion du grand nombre de douleurs qui ont pénétré mon coeur (2). Ainsi dans les tentations contre la foi et du blasphème de l'esprit , le fidèle combattant du Seigneur mérite quelquefois de recevoir une lumière plus grande de nos mystères et d'être embrasé plus ardemment du divin amour. Ceux qui les avaient pris, dit Isaïe , seront leurs captifs, et ils s'assujettiront ceux qui les avaient dominés avec tant d'empire (3) .
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Il y a une cinquième manière de résister aux tentations des vices : c'est d'arriver à guérir chacun d'eux en lui opposant le remède qui lui est propre , et c'est aussi le cinquième degré d'avancement dans la vie spirituelle. Ou peut l'appeler l'état de guérison ou des remèdes spirituels , puisqu'en ce degré on s'occupe à prodiguer aux maladies causées par les vices les soins les plus diligents , afin d'arriver à la santé. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit plus haut.
Chacun doit apporter le même empressement à connaître et à chercher les remèdes convenables aux besoins de son âme , et déployer la même vigilance à guérir les maladies causées par ses vices qu'il ferait pour trouver un médecin capable de l'arracher au danger d'un mal mortel. Et même notre attention à procurer une semblable guérison doit être d'autant plus vive que les infirmités de l'âme sont plus dangereuses , le soin à apporter plus difficile , et ensuite la santé de cette âme l'emporte sans comparaison sur celle, du corps qui doit mourir. Si donc nous avons plus de sollicitude pour la conservation de notre corps que pour le salut de notre âme, nous montrons que notre amour pour lui est d'autant plus grand et notre désir de son bien-être d'autant plus ardent.
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La santé du corps réside dans l'intégrité des membres et des sens, dans l'état bien réglé des humeurs et dans la vigueur des esprits vitaux. La santé de l'âme consiste dans une action droite et pleine de circonspection , dans la prudence en nos paroles, la rectitude en notre volonté , la discipline en nos affections et l'utilité en nos pensées.
L'action, pour être méritoire, doit porter ses regards sur trois points. Elle doit considérer si elle est permise , si elle convient , si elle est avantageuse. Elle est illicite toutes les fois qu'elle est contre les commandements de Dieu, les préceptes de l'Eglise et l'engagement discret d'un voeu, comme le voeu de continence, d'obéissance, de pauvreté et autres choses susceptibles d'être le sujet dun pareil engagement. Elle est inconvenante quand elle manque d'une bonté extérieure et qu'elle revêt l'apparence du mal alors qu'elle serait bonne en réalité , comme tout ce qui semble
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un scandale , tout ce qui paraît annoncer un vice ou un péché , tout ce qui est jugé messéant à l'état de celui qui agit. Tout m'est permis, dit l'Apôtre , mais tout n'édifie pas (1). Le serviteur de Dieu doit donc éviter de blesser la conscience des faibles par des exemples peu édifiants , et de déshonorer le Seigneur; car le désordre des serviteurs tourne à la confusion de leurs maîtres. Vous vous glorifiez en Dieu comme un serviteur en son maître , et vous le déshonorez en violant sa loi , et son none à cause de vous est blasphémé parmi les nations. Une action enfin n'est point avantageuse quand on n'en retire aucun profit. Celui-là a les mains vides en présence du Seigneur, dont les oeuvres n'offrent point le fruit d'une sainte utilité : tel est sur un arbre le rameau desséché; tel sur un cep le sarment sans raisin. Dieu désire nous récompenser libéralement , et autant il nous montre d'actions méritoires à accomplir, autant il nous prépare d'occasions de mériter. Aussi est-il insensé et justement digne de punition celui qui les néglige pour s'attacher à des choses vides et inutiles ; il ressemble à l'homme qui , entrant dans un jardin abondant en fruits magnifiques , en choisirait de vils , d'amers et de nuisibles.
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Il y a également trois choses à observer dans nos conversations. La première , c'est d'être peu empressé à parler. Jeune homme, dit l'Ecriture (1), ne parlez qu'avec peine dans ce qui vous regarde et lorsque cela sera nécessaire. Combien plus devez-vous donc vous abstenir de le faire dans ce qui ne vous regarde pas , dans ce qui n'est pas en cause, dans tout sujet frivole? Quand vous aurez été interrogé deux fois, répondez en peu de mots, selon qu'il est utile et opportun. Or, il y a utilité à parler quand l'édification du prochain le demande , quand on a un malheur évident à empêcher et l'honneur de Dieu à procurer. L'opportunité embrasse le temps , le lieu , le sujet et la qualité de ceux qui nous écoutent. Le vase qui n'aura point de couvercle, dit la sainte Ecriture, ou qui ne sera point lié par-dessus, sera impur (2). En effet , la poussière tombe dedans , les vers et autres insectes immondes le souillent, et s'il renferme quelque parfum précieux, il en laisse dissiper la vertu. De même l'homme qui ne met point une garde à sa bouche par sa fidélité à observer le silence, est souvent souillé par la fange de paroles illicites , par des mensonges , des malédictions, des médisances , des mots obscènes ou de jactance,
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des bouffonneries et autres choses semblables. S'il a en lui-même quelques sentiments de dévotion ou quelque vertu cachée , il les voit bientôt s'évaporer , se refroidir et s'évanouir. Nous avons pu en faire trop souvent l'expérience quand , après avoir reçu la grâce de la componction , nous nous sommes laissés aller à des paroles oiseuses : bientôt nous avons senti sa douceur s'affaiblir, notre ferveur s'éteindre , notre intelligence s'obscurcir, l'application de notre finie à Dieu se dissiper et notre coeur devenir étranger au bien qu'il avait possédé.
La seconde chose à observer en parlant est la circonspection. Il faut donc considérer ce que l'on dit , comment et devant qui on le dit, et disposer son discours selon les règles de la discrétion , afin de ne nuire à personne , de ne blesser ou scandaliser personne injustement , de n'avancer aucune fausseté capable de nous causer des remords et de nous inspirer des regrets. Le coeur des insensés est dans leur bouche, dit le Sage (1). A peine l'ouvrent-ils qu'ils répandent follement tout ce qui est contenu au-dedans d'eux-mêmes. La bouche des sages , au contraire , est dans leur coeur, car leur bouche laisse échapper seulement ce que leur coeur a jugé auparavant à propos de dire. Celui qui garde sa bouche , garde son âme; mais l'homme inconsidéré en ses paroles tombera en beaucoup de maux (2). Au jour du jugement, dit le Seigneur (3), les hommes rendront compte de toute parole inutile qu'ils auront dite. Une parole inutile ,
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ajoute saint Grégoire , est celle qui est proférée sans une juste nécessité ou sans un motif de pieuse utilité. Mais si un discours oisif et inutile n'est pas exempt de faute , que dire d'un discours pernicieux et même nuisible ?
La troisième condition pour bien parler est de le faire brièvement et de ne pas multiplier nos paroles sans motif et sans nécessité. Celui qui se répand en paroles blessera son âme, dit le Sage , car les longs discours ne seront pas exempts de péché (1). Deux mots nous sont permis seulement entre tous et ils sont bientôt dits : c'est de demander le nécessaire pour nous ou pour le prochain , l'utile pour nous ou pour nos frères. L'homme sage a bien vite manifesté ses besoins ; mais nulle parole ne suffit à l'insensé. Se répandre en de longs discours pour faire connaître ce qui nous est utile , c'est se rendre à charge et ennuyeux (2). Il n'est pas nécessaire, dit Sénèque, d'avoir recours à beaucoup de paroles ; il faut en employer peu, mais d'efficaces. Celui qui, en parlant, ne peut retenir son esprit, est comme une ville ouverte et sans remparts (3). En effet , la cité de son rune n'est point environnée des murailles du silence et elle est exposée à tous les traits de l'ennemi. Que l'homme soit donc prudent et réservé dans ses paroles comme l'avare l'est pour son argent : les paroles qui méritent la gloire céleste sont plus précieuses que tous les trésors du monde. Il y a, dit Salomon , un trésor vraiment désirable dans la bouche du sage (4). L'homme
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avare et parcimonieux enfouit son argent à l'endroit le plus secret ; il ne le tire pour le donner que dans une nécessité urgente ou pour sou avantage, et il veille soigneusement à ne pas laisser perdre même une obole inutilement. Ainsi le vrai religieux cache le trésor de son coeur en parlant rarement, en ouvrant sa bouche uniquement par nécessité ou pour un motif utile, et lorsqu'il peut terminer une affaire en peu de mois , il ne se jette pas dans des discours superflus. Or, il trouve quatre avantages à agir ainsi : 1° il évite le péché qui résulte de trop de paroles ou de paroles vaincs; 2° son intelligence devient plus profonde et plus élevée, comme l'eau qui n'a point dissue pour s'écouler croît de plus en plus ; 3° ses paroles acquièrent plus de poids auprès des hommes, car on sait qu'il les profère avec maturité et non sans réflexion; 4° il se rend digne d'une gloire singulière pour le ciel.
Les religieux brillent d'un triple éclat en leur conduite lorsqu'ils sont pleins de maturité, d'humilité et de bénignité. La maturité rejette la légèreté dans la démarche , la facilité à rire, la curiosité, le bavardage, les vaines plaisanteries. Elle règle l'esprit intérieurement et, garde le corps contre tout désordre extérieur. Elle gouverne la tête pour l'empêcher de
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se tourner de côté et d'autre sans réflexion , les yeux pour qu'ils ne soient point errants çà et là , les oreilles pour les éloigner de toute curiosité et de toute inutilité; elle impose un frein à la langue contre les paroles oiseuses et sans but, aux mains contre les occupations frivoles ; elle interdit à nos pieds les courses vaines et toute agitation indécente , et à notre corps tout mouvement inquiet et contraire à la droite raison. Ainsi saint Bernard écrivant la vie de saint Malachie , évêque, le loue d'avoir été si réglé en tout son extérieur, que jamais on ne lui voyait mouvoir la main , ou les yeux , ou un autre membre contrairement à la raison ni sans un motif grave , et que rien en lui ne pouvait blesser les regards des autres , tant son corps était soumis parfaitement aux lois de la discipline.
L'humilité abaisse notre front, nous accoutume à répondre sans orgueil et ôte à nos gestes toute prétention. Elle aime un vêtement simple , se place au dernier rang , évite toute marque d'ostentation et fuit la singularité. Elle se montre empressée à servir les autres , silencieuse dans les injures , honteuse en présence des hommes , prompte à s'abaisser, et difficile à concevoir de l'indignation.
La bénignité rend doux et compatissant pour les affligés , affable et facile à fléchir, empressé à recevoir conseil , enclin à faire le sacrifice de soi-même et de ce qu'on possède, heureux à la vue du bien, modeste, gai , fidèle et sociable , sans mépris pour personne , éloigné des jugements téméraires , reconnaissant ,
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bienfaisant et plein d'amabilité envers tous. L'humilité tempère la gravité et l'empêche de paraître prétentieuse et superbe. La bénignité éloigne d'elle un air austère et dédaigneux. De son côté la maturité vient en aide à la bénignité pour qu'on ne la regarde pas comme légère , portée à des caresses trop naturelles et à des compliments adulatoires; elle retient l'humilité de peur qu'elle ne soit basse ou affectée. L'humilité , en un mot, rend imitable , la bénignité aimable , la maturité vénérable.
Après avoir réglé l'homme en ses actions, ses paroles et tout son extérieur, il nous faut indiquer encore quelques moyens propres à établir son coeur dans un état parfait et à conserver l'innocence en son âme , si nous voulons faire de lui une pierre vivante, taillée sur le modèle véritable et céleste de la discipline sacrée et digne de servir à édifier le temple du vrai Salomon. En effet , le Sage nous exhorte à veiller avec tout le soin possible à la garde de notre coeur (1), car c'est de lui comme de sa source que sort la vie de l'esprit. Or, la santé du coeur consiste en trois choses : la rectitude de la volonté , la sainteté des affections et la pureté persévérante de la pensée.
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La volonté est droite lorsqu'elle veut le bien unique ment , lorsqu'elle le veut pleinement et en vile de lui-même. Si elle voulait quelque chose de mauvais et de criminel , elle ne serait plus bonne ; car un bon nombre ne peut porter de mauvais fruits (1) ; si elle le voulait non en vue de lui-même, si, par exemple . elle accomplissait une bonne oeuvre pour obtenir les louanges des hommes , comme les hypocrites , ou si elle faisait quelque antre action avec une intention moins pure, on ne pourrait la dire bonne en toute vérité : elle ne voudrait pas le bien simplement it cause de lui-même, mais dans un autre but manquant de rectitude. Or, ce que l'homme veut par-dessus tout en ses actes , c'est la fin qui le fait agir ; c'est en elle que sa volonté se repose , et lorsqu'il l'a obtenue , il met de côté et laisse en oubli le moyen dont. il s'est servi uniquement pour y arriver. Si elle veut le bien pour le bien , vrais non comme il convient, elle est droite en partie , tuais non entièrement. Ainsi en est-il pour l'homme disposé à marcher dans les voies de Dieu et à les enseigner aux autres , tant qu'il n'a à supporter rien de pénible : tels sont ceux que les tentations et les persécutions abattent; ou bien pour celui qui se porte à certaines bonnes actions , mais ne veut pas s'abstenir de certaines autres illicites; ou encore pour celui qui refuse de conduire à sa lin le bien commencé; ou bien enfin pour celui qui agit dans le bien en dehors des justes limites et des règles convenables, comme ceux qui s'épuisent
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en des mortifications indiscrètes, se réduisent à la folie et arrivent même à se donner la mort. Que votre obéissance soit conforme à la raison, dit l'Apôtre. Ils se sont perdus, dit encore le Seigneur, en voulant faire plus qu'ils ne pouvaient : j'ai brisé Moab comme an vase inutile (1) . Il y a deux plénitudes : l'une de nécessité , l'autre de perfection. La première est celle qui ne peut faire moins qu'elle ne fait pour arriver au salut , et est renfermée en l'observance des préceptes, selon cette parole du Sauveur : Si vous voulez entrer dans la vie observez les commandements (2). La plénitude de perfection est la mise en pratique des conseils , comme de celui-ci : Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous cuvez, donnez-le aux pauvres et suivez-moi; et des autres conseils évangéliques. Celui-là seul est obligé à cette perfection , qui s'y est engagé par un voeu volontaire , comme les religieux à qui elle devient une nécessité pour le salut après leur profession. Lorsque vous aurez fait un voeu au Seigneur votre Dieu, dit Moïse , vous ne différerez point de l'accomplir, parce que le Seigneur votre Dieu vous en demandera compte, et que si vous différez il vous sera imputé à péché (3). Auparavant on était libre de vouer ou de ne pas vouer, de faire ou de ne pas l'aire sans le moindre péché ; mais le voeu une fois émis , il y a nécessité de l'accomplir, ce n'est plus un conseil , mais un précepte ; et comme la transgression d'un précepte rend digne de la damnation éternelle ainsi en est-il de la violation d'un voeu. Par exemple :
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de même que dans le siècle un homme se damne en commettant une impureté , un homicide ou un autre crime semblable , de même un religieux, après avoir fait profession , s'il devient propriétaire , s'il désobéit ou s'il fait quelque autre chose défendue par sa règle à titre de précepte. Lorsqu'il y a une juste nécessité , ou une utilité grave et évidente , on peut recourir à une dispense; mais elle doit être accordée par celui qui a le pouvoir de dispenser dans le point en question.
Une interprétation douteuse de la loi est dangereuse; c'est comme un pont moitié miné suspendu au-dessus d'une eau rapide et profonde , et dont on ne sait s'il fléchira sous le poids du passager ou s'il lui permettra d'arriver -à l'autre rive. Pourquoi donc le religieux qui a résolu de soutenir pour Jésus-Christ les combats les plus grands et a tout abandonné en ce monde , voudrait-il s'exposer au péril pour une légère inclination de sa volonté propre, et s'appuyer pour une frivole commodité sur l'incertitude de son esprit ou sur celle d'un autre homme? Si Dieu ne condamne pas cette opinion , celui qui en fait sa règle demeure sans mérite ; si au contraire il la repousse , elle devient une cause de damnation , d'autant plus que de telles opinions sont quelquefois plus dangereuses que des transgressions. En effet , quand on connaît son tort, on se corrige facilement; mais lorsqu'on ignore les fautes dont on se rend coupable , lorsqu'on va même jusqu'à les croire permises, la mort nous trouve sans contrition sincère à cause de la fausse espérance oll nous sommes que ces actions ne nous étaient
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peut-être pas défendues ou que notre péché est moins grave , et ainsi nous nous appuyons sur un roseau sans force et déjà rompu.
La volonté, pour être bonne, doit donc marcher par la voie unie, la voie royale qui est à l'abri des dangers ; elle doit s'éloigner des détours du doute , comme d'autant de sentiers suspects et fréquentés des voleurs; elle doit parcourir les chemins ouverts et sûrs des justes, si elle ne veut point sembler se repentir d'avoir commencé à bien faire et chercher les moyens d'abandonner la voie de la perfection par laquelle elle avait fait voeu de s'avancer. Comment avons-nous tous été soumis à la damnation , si ce n'est par une interprétation douteuse du commandement divin touchant le fruit défendu? Le serpent hypocrite n'a-t-il pas persuadé à la femme qu'un semblable précepte ne devait pas être compris simplement et à la rigueur, puisque l'observance en serait nuisible et qu'elle empêcherait les hommes de devenir comme des dieux connaissant le bien et le mal? Ne lui a-t-il pas fait entendre que la transgression n'aurait point pour effet la mort du corps et de l'âme selon la menace du Seigneur (1) ? La femme insensée a cru à ce faux interprète; elle a consenti à ses insinuations , ce qui n'eût jamais eu lieu si elle eût regardé son conseil comme trompeur et sans profit.
Cependant nous ne devons pas regarder la condition des religieux comme devenue pire par l'engagement volontaire d'un voeu plus élevé, en nous disant.
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qu'il est plus aisé et plus dangereux de tomber d'un pont étroit que d'un pont d'une largeur plus grande, Plus la voie est difficile , plus la gloire sera grande , et plus le combat est laborieux , plus le triomphe sera éclatant. Une semblable crainte d'une perfection plus élevée a pour principe dans l'âme d'un religieux ou la pusillanimité , ou une imagination frappée, ou une tiédeur invétérée qui lui fait oublier sa ferveur ancienne et abandonner sa charité première. Alors il redoute la vie sublime qu'il a embrassée , il tremble devant les profondeurs de l'abîme , il se dégoûte des peines d'un combat dont il ne voit point la récompense, il ne désire pas conne il le faudrait ce qui vient après cette vie. Il aurait dû au temps de sa probation examiner si , voulant élever la tour de la perfection évangélique, il aurait en sa possession les ressources d'une ferveur persévérante afin de conduire à bon terme son entreprise et de voir la fin répondre aux commencements. Autrement si , après avoir jeté les fondements d'un pareil édifice, sa tiédeur l'empêche d'en poursuivre l'érection, tous, les démons et les hommes , le tourneront en dérision et diront : Cet homme avait commencé à bâtir, mais il n'a pu achever (1), comme l'attestent la faiblesse de ses efforts et la ruine de son travail.
Je vais donc , pour nous préserver de l'opprobre d'une prévarication semblable à l'apostasie, nous aider à obtenir la santé de l'âme et la gloire de la béatitude , je vais , comme je le crois utile , présenter certains exercices communs de la vie spirituelle. L'homme fidèle à les suivre sentira bientôt combien rapides seront ses progrès dans les sentiers du bien , et il arrivera enfin à cet état parfait que donne la vertu.
L'homme doit s'exercer en premier lieu à se montrer courageux et empressé à entreprendre le bien et à l'accomplir toutes les fois que les avertissements d'un autre ou l'inspiration divine lui en font comprendre la nécessité. Nous négligeons , en effet , bien des occasions d'acquérir de nombreux mérites et de nous rendre dignes d'une grande gloire , parce que l'horreur de la peine nous inspire le dégoût des saintes pratiques. Si nous avons la volonté de nous y adonner,
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nous différons d'un jour à l'autre, nous renvoyons au lendemain, et nous perdons un temps irréparable , nous perdons des mérites dont il serait en notre pouvoir de nous enrichir; ou bien nous agissons avec tant de paresse et d'indévotion que nos oeuvres ne sauraient être bien agréables à Dieu , ni bien consolantes pour notre conscience , ni bien dignes de récompense; ou plutôt ces oeuvres sont pour notre âme comme un ver rongeur qui lui fait craindre un châtiment; le dégoût nous rend le travail intolérable, nous avons hâte d'en finir le plus vite possible ; c'est même pour nous un ennui de commencer quelque autre chose de semblable. Par exemple, lorsque nous faisons oraison , lorsque nous servons à la cuisine, à l'infirmerie, lorsque nous sommes appliqués à quelque fonction où il n'y a nul honneur à prétendre , nulle commodité temporelle , nulle satisfaction pour notre volonté propre , ce que du reste il est contre la nature du bien de chercher , si nous agissons comme il convient en ces circonstances, le résultat doit toujours être la joie de notre conscience et le désir de nous porter à uni autre bien, selon cette parole de la Sagesse : Ceux qui se nourrissent de moi auront encore faim (1). Ainsi Dieu a ordonné à la terre de se couvrir d'herbe verte et d'arbres à fruit ayant en eux-mêmes une semence propre à les reproduire chacun dans son espèce (2); ou autrement il a voulu que notre terre fructifiât en bonnes oeuvres de toutes sortes. Si elles ont l'éclat d'actions faites avec l'énergie convenable, elles portent en elles-mêmes
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un germe capable de les renouveler, elles portent le désir d'autres bonnes oeuvres , désir renfermé dans les premières et semblable à une semence féconde. Mais si cette terre languit , par la paresse de notre coeur, la sentence qui lui a été confiée demeurera stérile et la pensée d'un nouveau bien nous inspirera un dégoût profond , parce que le premier ne nous aura laissé qu'un faible sentiment de dévotion , si même il nous en est resté quelque chose.
Le serviteur de Dieu doit clone en tout temps considérer ce qu'il lui est le plus avantageux de faire au moment présent , et quand il l'a reconnu , peser soigneusement comment il pourra s'en acquitter avec le plus d'à-propos, de convenance et de perfection. Il doit accoutumer de telle sorte son corps et son coeur à la pratique continuelle du bien, qu'il soit toujours prêt, comme un serviteur fidèle et diligent, à embrasser sans crainte au commandement du Seigneur tout ce qui est juste et raisonnable. Ainsi dans le monde nous voyons les serviteurs des grands obéir à leurs maîtres sans être arrêtés par le froid , la fatigue , la misère , ni aucune autre difficulté, et cela pour un faible salaire , en parcourant souvent des contrées entières même au péril de leur vie. Ils s'estiment trop heureux si , à leur retour, ils ne sont point récompensés par des mauvais traitements et des reproches , et ils ne songent nullement aux peines endurées, aux incommodités des maisons ni des lieux où ils ont séjourné. Mais les serviteurs du cloître sont des hommes délicats et à prétention ; ils veulent peu travailler et
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ne manquer de rien. S'ils oui pour leurs ictus le respect convenable , ils veulent aussi être leurs égaux en tout leur volonté propre devient leur loi. Celui qui nourrit délicatement son serviteur dès son enfance, le religieux qui dès son noviciat. donne trop de soins à son corps, le verra ensuite se révolter contre lui (1); il le verra plein de paresse pour le bien et enclin au péché, surtout au péché de la chair. L'homme devient mou et paresseux par l'habitude du repos: il ne saurait plis rien souffrir ni faire autre chose que ce qui lui plaît. Mais le serviteur fidèle s'applique à s'humilier et à se dompter soi-même, comme le baladin dompte l'animal destiné à le servir en ses exercices: et ainsi au premier signal il s'élance hors de sou lit pour assister aux offices de la nuit , il se hâte au moindre avertissement de sa raison de se porter aux exercices spirituels, aux oeuvres de l'obéissance, à tout ce que la charité fraternelle réclame de lui , à tout ce qui peut nourrir sa dévotion ou le l'aire croître en d'autres vertus.
Ce n'est pas assez pour l'homme de s'être montré empressé à faire le bien ; il lui faut témoigner tut empressement égal it s'éloigner du oral, aussitôt qu'il
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se sent excité intérieurement ou assiégé extérieurement par lui. Ainsi devons-nous agir à l'égard des paroles oiseuses , des vaines plaisanteries , des actions inutiles et surtout des pensées frivoles, des affections vicieuses, des concupiscences de la chair. flous ne pouvons leur permettre de résider même un instant en nos coeurs , si nous ne voulons offenser Dieu ni les saints anges qui nous environnent , souiller notre conscience, nous rendre dignes de châtiment, et perdre le fruit de nos bonnes pensées et de nos bonnes actions pendant ce temps. Ainsi Abraham avant, par l'ordre de Dieu , offert des sacrifices , s'appliquait avec le plus grand soin à chasser les oiseaux qui s'approchaient pour les dévorer ou les souiller (1). De même si nous ne voulons paraître devant Dieu les mains vides lorsque nous lui offrons les sacrifices de notre bonne volonté , de nos bonnes actions, de nos bonnes paroles , de nos saintes méditations, de nos pieuses affections , nous devons chasser sans retard les pensées et les affections perverses qui , semblables à des oiseaux de proie , les souilleraient si nous les laissions s'approcher, et les rendraient odieux an Seigneur et impuissants à nous faire avancer dans la vertu.
Et non-seulement il nous faut chasser de la sorte les pensées honteuses et charnelles , mais encore nous ne devons point permettre aux pensées de vanité, d'envie , de gourmandise et autres vices d'imprimer leur image dans le tabernacle de notre coeur. On a coutume de peindre dans les théâtres et les tavernes
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les fables détestables du monde; au contraire, on re-présente dans les temples des sujets mystiques et les histoires sacrées. Or, on juge de la qualité d'une maison et du maître qui l'habite par la nature des peintures qui la décorent. L'orgueil s'entoure de dignités, de domaines immenses, de serviteurs soumis et empressés et de toutes les pompes possibles. La vaine gloire se pare d'habits pompeux et de tout ce qui peut lui attirer la louange des hommes ; quelquefois même elle appelle à son secours les oeuvres de sainteté , les miracles , les prophéties , les grandes dévotions , les prédications édifiantes et autres choses semblables propres à lui concilier l'admiration , les éloges et le respect et à l'en faire jouir ouvertement. L'envie a pour cortége les fraudes et les détractions. La colère excite les querelles et les disputes , la guerre et les injures; elle combat avec les absents et elle se fatigue sans être attaquée par personne. L'avarice , au moyen de son argent, s'occupe à bâtir, à renverser et à acquérir.
Celui donc qui craint de chasser de son coeur Jésus-Christ, dont la bonté veut bien y établir son séjour, celui-là doit ne point y recevoir ses ennemis, ne point admettre les vices en sa société. Quel accord, en effet, peut-il y avoir entre Jésus-Christ et Bélial? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles (1) ? Si vous éloignez promptement l'ennemi de votre ville , vous serez en sûreté. Si vous tardez à lui résister, il se fortifiera contre vous , il s'emparera de vos remparts et
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vous donnera la mort. Ainsi en est-il des pensées mauvaises. Je dirai encore : La curiosité s'attache à ce qui est beau et précieux. La gourmandise aime une table abondamment servie , elle se délecte au milieu des vins et des mets. La luxure se représente ce qui convient à ses désirs. Ce sont là ces idoles que Dieu montra à Ezéchiel peintes sur la muraille à l'intérieur du temple et qu'il appela des abominations (1). Chassons-les avec empressement de notre coeur de peur que nous ne devenions abominables aux yeux du Seigneur comme le furent ces hommes dont parle le Prophète. Combien de temps, s'écrie Jérémie , des pensées perverses demeureront-elles en vous (2)?
Le troisième exercice, c'est de s'appliquer à conserver toujours la paix avec tous les hommes. Or , deux choses conduisent à ce but : ne faire et ne désirer de mal à personne. Si l'on nous offense en quelque point, servons-nous du bouclier de la patience. Nous sommes au milieu du combat et il nous est difficile de ne pas servir souvent de but à bien des paroles piquantes et à bien des actes pénibles pour nous , de ne pas recevoir des commandements difficiles de la part de nos supérieurs ainsi que des réprimandes.
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Il faut donc , disons-nous , opposer ô tout cela le bouclier de la patience , et pour rendre ce bouclier plus impénétrable aux traits de l'ennemi, nous devons l'environner des exemples des saints martyrs et des justes; ce sont autant de secours dont leur mort nous a mis en possession. Prenez, nous dit l'apôtre saint Jacques, pour exemple de celte patience dans les maux et les afflictions les prophètes qui ont parlé écu nom da Seigneur. Voilà que nous appelons bienheureux ceux qui ont tant souffert. Vous avez appris quelle a été la patience de Job et vous avez vu la fin du Seigneur (1) . Marchons donc toujours protégés de la sorte contre les traits des paroles amères , contre les coups des actions pénibles , afin de conserver intérieurement par notre longanimité cette paix que nous ne pouvons espérer voir durer long temps au dehors pendant notre vie. C'est par votre patience, dit le Seigneur, que vous posséderez vos âmes (2).
Le quatrième exercice consiste à user avec le plus de modération possible des choses de ce monde , à les posséder et à les désirer de même. Tous les biens terrestres nous sont étrangers ; ils n'ont rien de
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commun avec notre nature; ils n'ont point été créés par nous , ils ne sauraient demeurer long temps avec nous: notre salut ne repose point en eux , et ainsi ils nous semblent comme prêtés par le monde pour notre usage de chaque jour, ou plutôt pour nous être une source continuelle de sollicitudes pénibles et de travaux. Au prix de quelles anxiétés , de quels embarras, de quelles afflictions non interrompues, je vous le demande, les princes , les puissants et les riches de la terre ont-ils payés un tel prêt? Voyez comment ils soupirent après les biens des autres , comment ils augmentent ou conservent les leurs. Ils sont en garde contre leurs amis et leurs ennemis. contre leurs frères, leurs épouses et leurs enfants. Ils craignent la violence de ceux qui sont plus élevés, le vol de la part de leurs inférieurs et la fraude de la part de leurs égaux. L'avare n'ose se confier pleinement à personne ; tous les hommes lui sont suspects et cependant il est forcé de vivre en leur société; mais il n'en aime aucun , car il soupçonne que nul ne l'aime véritablement. En effet , une inquiétude semblable est incompatible avec la parfaite dilection. Il craint pour ses biens et à cause d'eux il craint pour son corps, et agité de la sorte il ne peut craindre utilement pour son âme , quoiqu'elle soit exposée aux plus grands périls. De même que les princes exigent de leurs sujets des services de chaque jour et des présents à raison de leurs emplois , qu'ils les jettent même en prison et les dépouillent entièrement , de même le monde, après avoir extorqué des usures sans
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nombre à ses serviteurs les plus riches pour les biens et les honneurs qu'il leur a prêtés , le monde , dis-je , finit par leur tout enlever et les jeter dans la prison de l'enfer. D'où viennent les guerres et les procès dans le siècle, sinon de ce que nous désirons à l'envi nous ravir mutuellement l'un à l'autre ce que nous ne pouvons tous deux posséder entièrement? Dans les richesses spirituelles l'abondance de l'un n'apporte aucun préjudice à l'autre , car l'un n'est ni moins sage ni moins vertueux parce que son frère est comblé de dons semblables. Mais il en est autrement des richesses et des honneurs du siècle : il est nécessaire qu'il y ait autant de portions qu'il y a d'ayant part, et ainsi l'un porte envie à celui qui possède ce qu'il ne peut soi-même avoir (1). Voilà pourquoi Loth s'est séparé d'Abraham , et Esaü de Jacob. Ils avaient des troupeaux sans nombre et le pays n'était point assez vaste pour qu'ils pussent l'habiter pacifiquement , leurs bergers étant en querelle tous les jours. Ainsi quand les désirs animaux, quand les désirs mondains se sont multipliés , il y a querelle entre les volontés diverses. Chacun veut paître ses propres désirs aux prairies du siècle , et comme elles sont insuffisantes aux exigences de tous , le frère se sépare d'avec sou frère par les dissentiments de l'envie. Si au contraire de pareils troupeaux étaient moins nombreux, ce serait assez d'une médiocre étendue. Paissez, dit Zacharie (2), les troupeaux de la mort, des troupeaux destinés à être égorgés, ou autrement des troupeaux qui donnent
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la mort à ceux qui les possèdent , comme on peut l'entendre. Que les hommes cruels se livrent aux disputes, dit saint Augustin (1), qu'ils combattent pour les biens terrestres et temporels, pour moi je dirai (2) : Bienheureux ceux qui sont doux, ils posséderont pour héritage une terre d'où ils ne pourront être chassés. Ayant donc les aliments et les vêtements suffisants pour nous couvrir, sachons nous en contenter (3), et si nous avons à souffrir en notre coeur du manque de quelque chose, mettons Dieu à la place : il remplit tout. Bienheureux les pauvres d'esprit, les hommes qui ont embrassé la pauvreté avec la volonté et le désir de croître dans la vertu , car le royaume des cieux leur appartient (4). Plus ils sont dans la détresse en ne désirant rien sur la terre, plus ils seront dans l'abondance au séjour de la gloire; mais il en sera tout autrement des possesseurs des biens terrestres.
Le cinquième exercice consiste à s'humilier en toute chose, soit intérieurement en présence de soi-même, soit extérieurement en présence des hommes ; à s'abaisser en sa propre estime , en ses paroles et en ses actions, et à choisir la dernière place en tout,
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selon qu'il convient de le faire. Pour s'humilier à ses propres yeux , il faut considérer ce que l'on est , combien vil et immonde est tout ce qui tient à notre corps; d'où il vient, ce qu'il sera , ce qu'il est en lui-même, combien aisément se flétrit ce qui brille le plus en l'homme; quelle déception renferment les honneurs du siècle; comment ils abandonnent même ceux qui semblent riches pour s'attacher uniquement à ce qui les flatte , comme les chiens et les oiseaux de proie s'attachent à un cadavre qu'ils laissent après l'avoir rongé et se portent à un autre lorsqu'il ne leur offre plus aucune pâture.
Il faut , pour l'âme, examiner combien elle renferme de vices et de péchés, combien elle est impure. combien il y a de faux-brillant , de paresse et de langueur en ses bonnes oeuvres , combien nous omettons et négligeons de choses excellentes et utiles; quelle est la misère de nos vertus, l'aveuglement de notre intelligence, l'inconstance de notre mémoire, le désordre de nos affections. Notre mal est mal simplement et nous appartient en totalité, notre bien au contraire nous a été prêté , on doit nous le redemander avec usure , il est imparfait et plein de taches, et ce qu'il tire de nous est de nature à nous humilier profondément. En vérité, nous sommes pauvres et vils, et autant nous cessons de nous juger tels, autant nous nous éloignons de la vérité.
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Le sixième exercice auquel le religieux doit s'appliquer, c'est d'avoir en sa personne une maturité et une gravité accompagnées d'une certaine douceur empreinte de tristesse, mais exempte de toute amertume, d'ennui ou de mauvaise hurleur. La légèreté peut quelquefois se trouver un instant dans un homme de bien , mais jamais elle ne doit paraître dans un homme faisant profession de dévotion. Nous en avons une preuve dans la conduite de ceux qui sont parfaits , car c'est à peine si dans leurs actes nous découvrons quelques traces de cette légèreté , si nous les voyons portés à rire ou à plaisanter. Aussi , comme il nous est avantageux d'être dans la tristesse, le Seigneur a-t-il déclaré bienheureux ceux qui pleurent ici-bas, et il leur a donné et fait connaître bien des raisons de s'attrister : ils en ont pour eux-mêmes, pour le prochain et pour Dieu.
Pour eux-mêmes, ils sont pécheurs, ils ont offensé Dieu, ils l'offensent tous les jours , ils sont pauvres en vertus, ils avancent lentement dans le bien , ils sont exposés à des dangers sans nombre et dans l'incertitude de leur sort éternel ; ils sont en proie à une multitude de misères, séparés de Dieu , éloignés de son royaume , enclins au mal, sujets à des supplices
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de toute sorte , aux supplices de la mort , du purgatoire, de l'enfer.
Pour le prochain , nous avons à nous attrister en compatissant aux pauvres dans l'affliction, aux hommes dans le péril, aux pécheurs qui courent à la damnation , à ceux qui sont éprouvés par la tentation, à ceux qui y succombent, à ceux qui sont exposés à des maux semblables à ceux dont nous sommes accablés.
Pour Dieu, nous avons à compatir à sa Passion et aux injures dont il est chaque jour l'objet de la part des pécheurs perfides, au renversement de la justice, à la ruine des âmes, aux mépris insultants déversés sur notre foi, à l'ingratitude pour les bienfaits du ciel accordés si largement à tous les hommes, aux scandales qu'il a à souffrir de ses amis eux-mêmes et de tant d'autres. Le bon serviteur est en son coeur plein d'amour pour le prochain, et dans tous ses actes il témoigne d'une bénignité parfaite; mais le mauvais serviteur a le bien en dégoût et en amertume , il est porté à s'indigner, soupçonneux, enclin à la rancune, il s'agite sans raison et est onéreux aux autres. Or, la légèreté est à la dévotion ce que l'eau est au feu, et celui qui s'en est fait une habitude , surtout de la plaisanterie , se corrigera difficilement.
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Le septième exercice est d'avoir en tout temps son âme élevée à Dieu par la prière , de saintes pensées, de pieux souvenirs, des méditations, des lectures, des considérations et la contemplation des biens célestes. Aussi toutes les fois qu'un serviteur de Dieu cesse un instant d'être en sa présence, il tremble et s'attriste, comme s'il avait commis une faute grave, en détournant ses regards d'un ami si glorieux et qui ne nous oublie jamais. La béatitude souveraine et la gloire suprême consistent à jouir sans interruption de la vue de Dieu; or, la pensée continuelle du Seigneur est comme une possession anticipée d'un pareil bonheur. Elle est la source de nos mérites et le contempler face à face en sera la récompense. Nous ne pouvons maintenant le voir de nos yeux; souvenons-nous au moins de lui pendant que nous en sommes éloignés. Plus ce souvenir aura été fréquent et plein de piété durant notre exil , plus dans la patrie notre joie sera parfaite et enivrante. De là cette parole du Prophète : Je tenais mes regards attachés sur le Seigneur et je l'avais toujours présent devant mes yeux (1) .
Non-seulement cette pensée doit occuper notre âme
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au temps du repos , mais elle doit encore nous accompagner au milieu de nos occupations , à l'exemple des saints anges qui , envoyés pour nous servir, savent disposer de telle sorte les choses du dehors qu'elles ne dérangent jamais en rien leur vie intérieure. Autant le ciel l'emporte en étendue sur la terre , autant la méditation et la contemplation des choses spirituelles l'emportent sur les pensées terrestres par l'abondance de leurs sujets et la multitude de leurs voies. Quelles sont ces voies , quels sont ces sujets, de quelle manière on marche et l'on avance dans cette méditation et cette contemplation , ce n'est ni le moment ni le lieu de nous en occuper ; nous en parlerons au septième degré d'avancement dans la vie spirituelle, où nous traiterons de la sagesse.
Parlons maintenant du sixième degré d'avancement qui est renfermé uniquement dans la vertu , donnons quelques instructions à la portée des simples et propres aux nouveaux religieux , et réservons les questions plus élevées et plus subtiles aux hommes plus exercés en ces sortes de choses. Car plus on s'élève dans le bien et plus on s'applique à se porter en avant, plus aussi on a d'intelligence des choses sublimes et parfaites , soit de celles qu'on a déjà atteintes, soit de
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celles que l'on n'a pas encore embrassées. Le voyageur occupé à gravir une montagne calcule d'autant mieux la hauteur de sa cime qu'il s'élève davantage ; et ce qu'il avait considéré d'en bas comme le sommet de cette montagne, lui semble à peine en être le pied à mesure qu'il s'avance. De même nul ne saurait parler comme il convient de la perfection, si ce n'est l'homme parfait ou l'homme ayant touché déjà les limites extrêmes de la perfection.
La vertu est donc une affection de l'âme, affection conforme au jugement de la vérité. Or, le jugement de la vérité s'exerce en général sur quatre points : le bien et le mieux, le mal et le pire. Il y a un bien corporel et passager, et un bien spirituel et éternel. Celui-ci est sans aucun doute le meilleur, et il l'emporte sur le premier. Il y a aussi le mal de la faute et le mal de la peine. La faute est ou vénielle ou mortelle, la peine ou transitoire ou éternelle. Le mal de la faute est plus grand que le mal de la peine, puisque sans la faute la peine n'aurait pas lieu, et la peine transitoire est moindre que la peine éternelle. Comme la loi de la vérité a été écrite dans nos coeurs au moyen de notre raison, nous avons reçu aussi des affections pour nous aider à fuir le mal et à embrasser le bien, car toute la béatitude consiste dans la perfection de ces deux actes.
Or, les affections de l'âme sont portées communément au nombre de sept : l'espérance, la crainte, la joie, le chagrin, l'amour, la haine et la honte. Quatre d'entre elles ont pour but de combattre le mal et les
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trois autres de s'attacher au bien. Les premières sont la crainte , le chagrin , la haine et la honte ; les secondes, l'espérance, l'amour et la joie. En effet, le bien ne saurait être un sujet de crainte, mais de désir et d'espérance; il ne saurait être une source de douleur, ruais de joie, à moins qu'on ne craigne ou qu'on ne s'attriste d'en être privé , et alors ce n'est plus un bien , mais un mal en toute vérité , car le mal est la privation ou la corruption du bien. De même encore le bien ne peut nous inspirer la haine, mais l'amour; il n'y a pas à rougir du bien, mais à s'en glorifier. La glorification n'est pas une affection, il est vrai, par elle-même; elle est renfermée dans le sentiment de la joie et de l'amour. Lors donc que ces affections sont appliquées à leur objet selon le jugement de la raison et de la vérité, l'homme est vertueux : il craint ce qui est à craindre, il déplore ce qui est déplorable, il hait les choses dignes de haine, il rougit de ce qui est honteux, plus ou moins, selon le degré de perversité des divers objets qui excitent en lui ces sentiments; et d'un autre côté il espère, comme il le doit, les seuls biens dignes de son espérance , il aime ce qu'il peut aimer, il se réjouit de ce qui lui est licitement un sujet de joie, selon l'excellence plus ou moins grande de ces biens. Le bien suprême, qui est Dieu, doit être aimé souverainement; il doit être avant tout le terme de notre espérance, par-dessus tout la cause de notre joie. Tout ce qui nous éloigne de lui doit être évité et détesté souverainement, le vice et le péché principalement : ils sont véritablement
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mauvais, ils le sont pour tous sans profiter à aucun, et ils réduisent au néant le bien auquel ils sont mêlés, quoique les péchés des autres puissent quelquefois tourner à notre bien, et même les nôtres après notre conversion , en servant à nous humilier davantage et à nous embraser plus vivement de l'amour d'un Dieu qui nous a soufferts au milieu de tels désordres et nous en a délivrés. La damnation des réprouvés eux-mêmes augmentera encore la joie des saints : ils se réjouiront d'avoir été sauvés de crimes dans lesquels ils eussent pu tomber comme ces infortunés, si la main du Seigneur ne les eût secourus.
Il y a beaucoup d'autres divisions des vertus imaginées par les hommes : les unes sont appelées vertus théologales, comme la foi, l'espérance et la charité; les autres cardinales, comme la prudence, la justice la force et la tempérance; les autres politiques, les autres purgatives, les autres d'une âme purifiée, les autres exemplaires. Je les passe sous silence, car je suis ignorant et je parle à des hommes peu instruits. Je me bornerai donc à suivre l'ordre dans lequel les vertus principales sont opposées aux sept vices capitaux, puisque la vertu en ce sens n'est rien autre chose que l'absence du vice, et que plus un homme est pur de tout vice, plus il est vertueux et parfait.
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Comme la noix est cachée sous sa coque , ainsi la vertu intérieure est cachée dans une communauté sous l'enveloppe des observances extérieures. Toutes ces observances ont été imaginées et établies pour acquérir et conserver les vertus. Hors de là elles sont vides comme un noyau privé de son fruit (1). De même que dans le tabernacle il y avait plusieurs sortes de voiles destinés à se défendre les uns les autres ou à décorer le sanctuaire, comme des peaux de couleur d'hyacinthe, d'autres teintes en rouge, des rideaux de poil de chèvre, des ais placés contre les parois, etc.; ainsi en religion il y a plusieurs pratiques ayant pour but de servir de voile à la vertu, ou de lui donner plus d'éclat, ou de la conserver à l'abri de toute atteinte. La vertu proprement dite ne consiste pas en ces choses; elles en sont comme l'ombre, comme un signe manifestant au dehors ce qui est caché au-dedans. Aussi le religieux qui se contenterait de ces observances et dédaignerait ce qui est intérieur, serait-il semblable à un homme bornant ses désirs à une coque vide de son fruit.
Parmi ces choses extérieures il faut ranger en premier lieu l'habit et le dépouillement des cheveux.
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Si lhabit suffisait pour faire le religieux, les singes et les baladins seraient des religieux, puisque de temps à autre ils s'habillent comme nous pour l'amusement des passants. Il faut donc voir en cela uniquement des signes de ce qui existe intérieurement , comme nous voyons certains signes nous indiquer les lieux où l'on vend à boire , certains autres dans les églises nous faire connaître qu'elles ont été consacrées. Si donc ces signes sont faux , les hommes se trompent en croyant trouver là ce qu'ils annoncent; ainsi en est-il d'un religieux dont l'habit indique au-dehors des qualités étrangères à ses actes et à sa vie.
La seconde des choses extérieures en religion comprend les observances cérémoniales , comme les inclinations , les génuflexions, les pauses dans le chant des psaumes , et autres pratiques en usage parmi les religieux pendant l'office divin ou ailleurs, et dont les moins vertueux font souvent plus de cas que les hommes parfaits et plus fervents.
La troisième consiste dans le maintien extérieur et la discipline des membres en parlant , en marchant et dans tous les mouvements du corps. Une pareille observance rend recommandables les hommes bien élevés dans le monde et on l'appelle la vertu du siècle: mais elle convient principalement aux religieux , quoiqu'ils doivent agir en cela d'une façon plus humble el, moins affectée.
La quatrième embrasse les oeuvres de pénitence. comme les jeûnes , les veilles, les disciplines et autres exercices et châtiments corporels qui approchent plus
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de la vertu que tout ce qui précède sans être cependant la vertu elle-même; car les hypocrites peuvent faire de telles choses , et des hommes en état de péché mortel les pratiquent souvent.
La cinquième est une application constante à mortifier ses vices , à s'en purifier et à s'exercer aux vertus, comme de s'humilier, de réprimer les mouvements de la colère, de dompter la luxure et de résister aux attaques des autres vices, Toutes les bonnes oeuvres, il est vrai , sont des exercices de vertu , puisque nulle action ne serait bonne si elle ne se rapportait à quelque vertu ; mais autre chose est de s'y adonner simplement à cause de Dieu , en vue de mériter le pardon et la gloire, autre chose de se proposer non-seulement ces motifs , mais encore d'avoir pour but d'acquérir la vertu elle-même qui y est attachée , de se la rendre familière par l'habitude de ses actes et de combattre le vice opposé , ce qui nous est certainement beaucoup plus avantageux. Ainsi un homme prie uniquement pour obtenir par ce moyen le pardon de ses péchés ou la vie éternelle; un autre désire, outre cette intention, s'accoutumer à la prière et par là arriver à posséder la dévotion , à goûter les douceurs célestes , à jouir avec plus d'abondance en son âme de l'illumination de la grâce divine. La prière du premier est bonne, elle mérite en vérité le pardon, la grâce et la gloire; cependant celle du second, par sa seule intention , atteint plus promptement et plus complètement l'objet de ses désirs. Il est donc de la plus haute importance, si l'on veut s'élever à une
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sainteté parfaite , de savoir en ses prières diriger son intention jusque-là et dy porter tous ses soins; car celui qui se conduit avec prudence en ce point, acquiert les plus sublimes vertus au prix d'un travail corporel médiocre et plus aisément qu'un autre qui se livrerait à de plus grandes fatigues. Ainsi de deux ouvriers, l'un habile en son art et l'autre peu expérimenté, le premier travaille avec plus de perfection, de rapidité et moins de peine que le second.
La sixième chose, qui est comme le noyau du fruit, est l'amour ardent de la vertu. Là est la perfection de la vie active et le commencement bien réglé de la vie contemplative. Sans cet amour on espère en vain arriver à la pureté de la contemplation, à s'y établir d'une manière solide. Ainsi l'eau d'une fontaine ne saurait être longtemps pure si le fond renferme encore des immondices et si l'on n'a eu soin de les rejeter entièrement. De même que l'huile est tirée du noyau, de même on tire d'une tendre affection pour la vertu les douceurs de la dévotion, et surtout du divin amour, des désirs célestes et des joies spirituelles; et ce sentiment est plus excellent et plus efficace que celui de la crainte ou de la douleur.
Voilà les six jours qu'il faut employer à accomplir l'oeuvre du salut, à se procurer les aliments de la vie , si l'on ne veut point tomber en défaillance dans la voie qu'on a à parcourir. Le sixième jour il faut doubler ses provisions en unissant les bonnes oeuvres et les pieuses affections, afin de se reposer le jour du sabbat , afin de pouvoir, après être entièrement guéri
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des langueurs des vices , vaquer dans tale paix profonde à la contemplation divine , voir que le Seigneur est vraiment notre Dieu et goûter combien il offre de délices à tous. Celui qui n'aura pas été fidèle au sixième jour à recueillir une double provision, passera le septième à jeun, et celui qui ne sera pas arrivé au sixième état en possédant dans sa perfection cet amour intime des vertus, celui-là sera étranger aux douceurs du septième état renfermé dans la jouissance délicieuse de la sagesse et la lumière de l'intelligence. Jacob eut d'abord six enfants de Lia; c'est ensuite que Rachel lui donna Joseph dont la beauté fut si admirable, et après sa naissance qu'il demanda à quitter le pays où il avait séjourné et à revenir dans sa patrie (1). L'homme doit en effet commencer par devenir parfait dans la vie active en parcourant ces six états d'avancement, et lorsqu'il aura goûté le fruit de la vie contemplative il désirera être délivré de son corps et être avec Jésus-Christ dans la patrie céleste dont il a savouré les prémices en participant à sa douceur divine.
Mais comme nous écrivons ces lignes en faveur de ceux qui sont dans la voie du progrès, afin qu'ils sachent combien ils ont avancé en chaque vertu ou combien ils sont encore éloignés de la perfection, nous allons distinguer chacune de ces vertus en trois degrés bien différents les uns des autres, car nous passerons sous silence plusieurs degrés intermédiaires pour éviter la longueur et l'ennui. Voici l'ordre des sept péchés
capitaux : d'abord c'est l'orgueil , qui est le commencement de tout péché; ensuite viennent l'envie, la colère , la paresse, l'avarice, la gourmandise et la luxure. On leur oppose les vertus dans l'ordre suivant : à l'orgueil l'humilité, à l'envie l'amour du prochain, à la colère la douceur, à la paresse l'amour de Dieu, à l'avarice le mépris des richesses, à la gourmandise la sobriété, à la luxure la chasteté. Mais comme , selon saint Grégoire (1) , toutes les vertus naissent de l'amour de Dieu, de même que les divers rameaux d'un arbre naissent de son tronc, nous allons parler d'abord de cette vertu comme de la mère et de la nourrice des autres, et ensuite nous dirons quelque chose des filles à qui elle a donné le jour. C'est elle en effet qui forme toutes les vertus, les rend saintes et les remplit de force. Elles sont plus ou moins agréables à Dieu selon qu'elles ont reçu plus ou moins de sa substance , semblables au rameau qui, après avoir pris naissance du tronc de l'arbre, se nourrit encore de son sue, pour croître et se couvrir de fruits. Les éléments sont de chaque vertu le partage des commençants; ils ne peuvent se sauver ni plaire à Dieu sans ces éléments. Le progrès regarde de préférence les religieux qui doivent l'emporter sur les hommes du siècle que nous rangeons cependant au nombre de ceux qui arriveront au salut. Que sert, en effet, de faire profession d'un genre de vie sublime, de faire montre de perfection en son vêtement, si dans l'exercice des vertus et la pratique des bonnes oeuvres l'on marche à côté des
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faibles qui n'aspirent qu'à se sauver? C'est pour nous un sujet de confusion plus grande et même une sorte de fourberie. Promettre de grandes choses et n'en donner que de médiocres, c'est une action plus digne de châtiment que de récompense. Quant à la perfection, elle regarde les parfaits qui, ayant surmonté les obstacles et les embarras par lesquels les hommes désireux d'avancer ont coutume d'être exercés , sont arrivés au sommet de la montagne, conduits par Jésus-Christ et désirent contempler la gloire de sa transfiguration. Cependant nul en cette vie ne saurait atteindre parfaitement à ce faîte de la vertu ou demeurer d'une manière stable en ce degré sublime. Si donc on parle d'hommes parfaits dans leurs voies, c'est par comparaison avec d'autres hommes d'un rang inférieur.
La charité est une volonté forte et bien réglée de servir Dieu, de plaire à Dieu, de jouir de Dieu. Les mots de charité, dilection et amour de Dieu signifient une seule et même chose; cependant saint Bernard les distingue (1). Une grande volonté pour Dieu, dit-il, c'est l'amour; lorsqu'elle est nourrie du lait de la grâce on l'appelle dilection , et lorsqu'elle jouit de Dieu en s'attachant à lui, c'est la charité. Nous devons
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aimer Dieu par-dessus toutes choses pour trois raisons : premièrement, il est bon en lui-même, et non-seulement il est bon, mais il est la bonté elle-même : on ne saurait rien imaginer de meilleur que le Seigneur, et rien au monde ne peut lui être comparé. C'est de lui que tire son excellence tout ce qui renferme quelque degré de bonté. Mais si le bien mérite notre amour en tant que bien, le bien suprême et infini doit donc être aimé souverainement et à l'infini, s'il était possible, en vertu de sa bonté sans limites.
En second lieu, le Seigneur nous a le premier témoigné son amour, et il nous a aimés plus que nous ne saurions jamais nous aimer nous-mêmes. Il est infini , et être pour lui n'est pas différent d'aimer, car Dieu est charité, et cependant il nous a aimés, nous, des hommes pauvres, vils et misérables. Il nous a aimés de toute éternité, alors que nous n'existions pas encore, que nous ne pouvions l'aimer, alors même que nous ne le connaissions pas, que nous résistions à sa volonté et que nous nous révoltions contre lui. Il est donc juste que nous l'aimions à notre tour de toute l'étendue de notre être, de toute la lumière de notre intelligence , de toute la capacité de notre volonté, afin de répondre fidèlement et selon la faible mesure de notre possibilité à l'amour de celui dont la grandeur est sans bornes.
Enfin nous devons aimer Dieu à cause des effets nombreux de son amour, effets manifestés dans ses bienfaits : ce n'est pas assez pour lui de nous aimer en son cur, il veut nous le témoigner au dehors.
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La preuve de l'amour, dit saint Grégoire, se produit par les oeuvres (1). Je ne m'étendrai point pour le moment sur ces bienfaits du Seigneur : ce sujet m'entraînerait trop loin; j'y reviendrai dans l'occasion.
Notre amour consiste dans notre volonté , nos oeuvres et nos affections. La volonté éclairée par la raison se rend à ses conseils et veut le bien. Pour ne pas demeurer oisive, elle passe à l'action en appelant à son secours toutes les facultés soumises à son empire : les membres du corps, les sens, les pensées, et pour cela elle les pousse au bien ou les éloigne du mal. Lorsqu'elle a agi ainsi avec fidélité, l'affection vient la consoler comme pour la récompenser de son travail et lui en adoucir le fardeau. Cette affection naît de l'exercice même du bien et la grâce céleste la pénètre de sa douceur. Déjà la volonté n'embrasse plus le bien; uniquement excitée par la lumière de la raison, elle ne le fait plus au prix de graves fatigues; mais elle l'appelle de tous ses désirs, elle s'y attache par l'ardeur de ses affections et elle l'aime; elle déteste ce qui lui est opposé, elle l'a en horreur, elle le fuit, et ce qui lui cause une aversion si vive, c'est le mal. Or, la volonté est véritablement exempte de toute infirmité quand elle en est là, quand, dis-je, elle n'a plus besoin d'être forcée par la lumière de son intelligence à vouloir le bien ou à le faire, à rejeter le mal ou à l'éviter, mais qu'elle embrasse le premier avec une affection vive et un désir ardent et n'a plus que de la haine pour le second. C'est là la vertu, c'est aussi
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cette âme bonne dont beaucoup de philosophes ont parlé et que, hélas! ils n'ont point connue. La volonté suffit quelquefois sans les oeuvres pour mériter ou se rendre coupable, lorsque l'on n'a pas le moyen ou l'occasion d'agir. Ainsi un homme pauvre donnerait volontiers aux indigents, mais il n'a rien; un riche est également bien disposé de cette manière, mais personne ne se présente. La volonté de l'un et de l'autre est considérée comme l'oeuvre elle-même. Si au contraire il y a moyen et occasion d'agir et que l'oeuvre puisse avoir lieu, alors la volonté seule est insuffisante, car elle est nulle lorsqu'elle peut faire ce qui convient et rie le veut pas. Vous ne faites le bien que selon l'étendue de votre volonté, lorsqu'il vous est libre de le faire, et si vous vous en abstenez, c'est que vous ne le voulez pas.
Les vertus semblent être en grand nombre et différer entre elles; ainsi l'humilité est autre que la chasteté, et la patience autre que la miséricorde. Cependant sous un certain point de vue elles se réduisent en un même tout, non en s'unissant l'une à l'autre, mais en demeurant l'une dans l'autre, en sorte que celui qui en possède une peut être dit les posséder toutes en habitude sinon en action. C'est
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ce que l'Apôtre nous montre quand il écrit : La charité est patiente, elle est douce et bienfaisante, elle n'est point envieuse, elle n'agit point avec perversité, elle ne s'enfle point d'orgueil, elle n'est point ambitieuse, elle ne cherche pas ses propres intérêts (1), etc. De même que Dieu est le bien unique , simple et très-parfait , le bien en qui se trouve tout bien sans réserve, et à qui rien ne fait défaut, de même la charité est une vertu renfermant en elle toute vertu; mais à cause de ses divers effets, de ses divers actes et occasions de se produire au dehors , à cause des motifs qui la font s'opposer au mal ou se porter au bien , on lui a attribué des noms différents et des offices distincts. La vertu , selon saint Augustin , c'est l'amour bien réglé , l'amour qui s'attache à un objet légitime et autant qu'il le doit (2). Plus vous aimez véritablement une chose , plus vous détestez et fuyez , si vous le pouvez , ce qui lui est opposé. Lors donc que la charité se porte à aimer Dieu, on l'appelle amour de Dieu ; lorsqu'elle incline vers le prochain , on la nomme amour du prochain. Si elle compatit à sa misère , c'est la miséricorde , et si elle se réjouit de son bien , c'est la congratulation. C'est la patience quand elle supporte l'adversité avec égalité d'âme, et la bénignité quand elle fait du bien à ceux qui ont pour elle de la haine. Elle s'appelle humilité quand elle ne s'élève pas vainement au-dessus d'elle-même dans la prospérité , obéissance quand elle est soumise aux supérieurs selon les règles de la justice, chasteté
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quand elle a en exécration les choses honteuses , sobriété quand elle retranche à son corps les superfluités, pauvreté lorsqu'elle rejette les richesses, libéralité lorsqu'elle les répand généreusement sur les pauvres, longanimité lorsqu'elle ne se décourage point d'attendre les biens promis , prudence lorsqu'elle discerne entre le bien et le mal, le mieux et le pire, justice lorsqu'elle rend à chacun selon son droit , tempérance lorsqu'elle ne se laisse pas amollir par les délices , force lorsqu'elle n'est point effrayée par les difficultés, foi lorsqu'elle croit les choses qu'elle doit croire , espérance lorsqu'elle espère les biens qu'elle doit espérer. Voilà pourquoi le Saint-Esprit est dit un et multiple (1). Il est un en lui-même et il accorde des dons divers à raison de leurs effets distincts. Ainsi aux uns il rend la vue pénétrante , aux autres la voix plus claire , aux autres il dégage l'ouïe, aux autres il répare le goût , aux autres enfin il apporte toutes ces choses à la fois.
La charité, en tant qu'elle est opposée aux sept péchés capitaux , forme sept vertus qui se divisent , comme nous l'avons dit , en plusieurs degrés d'avancement. Chaque vertu, en effet, selon saint Grégoire, a son commencement, son progrès et sa perfection (2). La semence confiée à la terre commence par germer; c'est d'abord de l'herbe, ensuite un épi , et enfin cet épi se remplit de froment. L'herbe est le commencement de la vertu , l'épi en est le progrès , et le grain la perfection pleine et entière. La charité envers Dieu,
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la mère et la nourrice de toutes les vertus, a donc trois degrés distincts : un degré inférieur, un degré moyen et un degré supérieur; et il en est de même des autres vertus. Cette distinction ne doit point paraître étrange ; car si chacune des hiérarchies célestes se divise , selon saint Denis (1), en trois branches différentes , pourquoi donc les hiérarchies spirituelles des vertus n'admettraient-elles pas le même ordre sur la terre? La beauté céleste ne s'est-elle pas manifestée à nos regards des divines hauteurs , afin de porter tous nos efforts à bâtir en nous un sanctuaire au Seigneur et à l'attirer à habiter en cette demeure élevée d'après le modèle que nous avons contemplé sur la montagne? Mais ceux qui demeurent en la dernière hiérarchie des vertus prendront-ils place dans le ciel à côté des membres de la plus inférieure des hiérarchies angéliques; ceux qui tiennent le second rang auront-ils la gloire des membres de la seconde, et ceux du premier iront-ils s'asseoir à côté de la plus élevée de ces hiérarchies ? Nous le saurons quand , aidés par le Seigneur, nous serons arrivés en ce séjour de félicité. Bornons-nous pour le moment à marcher de vertu en vertu , bien assurés que la récompense de la gloire ne sera jamais inférieure , mais proportionnée à nos mérites. On versera dans votre sein, dit le Seigneur, une bonne mesure, bien pressée et entassée, une mesure qui débordera; car on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres (2). En ces noces célestes on remplira du vin de la gloire
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toute la profondeur du vase que vous vous efforcez de remplir ici-bas de l'eau de la justice , de cette justice qui est en comparaison du ciel ce que l'eau est au vin le plus excellent. Un million de mesures de l'eau d'un fleuve ou de la mer ne sauraient valoir une seule mesure de vin exquis, si l'on veut estimer l'un et l'autre selon leur valeur.
Le premier degré de la charité envers Dieu consiste à aimer les biens dont il nous a comblés et à en user de façon à éviter ce qui nous est défendu et à ne préférer l'amour d'aucune créature à l'amour de Dieu. Ainsi agissent ceux qui aiment les choses du monde, il est vrai , mais en évitant tout péché mortel dans leur amour ou leur désir de telles choses , en observant tout ce que le Seigneur nous a commandé et en s'éloignant de ce qu'il nous a défendu. Si vous voulez, nous dit-il , entrer dans la vie, c'est-à-dire si vous voulez demeurer à l'entrée de la vie et non dans un degré plus élevé , gardez les commandements (1).
Le second degré de la charité peut être lorsque l'homme, agissant avec une volonté entière, avec une affection plus abondante et plus fervente , ne se borne pas à observer les préceptes communs dont
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l'accomplissement est de rigueur pour le salut , mais se porte
plein d'empressement et d'ardeur à toutes les choses de Dieu, s'efforçant de les accomplir en soi et d'y exciter les autres et de le désirer pour eux. C'est là le partage des bons religieux , qui non-seulement s'attachent à suivre les commandements de Dieu, mais encore ses conseils , et désirent imiter d'une manière spéciale Jésus-Christ Notre-Seigneur , le Docteur de toute justice. « Ce n'est point à vous, leur dit saint Bernard (1), à languir au milieu des préceptes communs et à considérer uniquement ce que le Seigneur ordonne, mais ce qu'il désire de vous, mais à reconnaître quelle est sa volonté , ce qui est bon, ce qui est agréable à ses yeux, ce qui est parfait. Plus vous aimez le Seigneur, plus vous devez être ardents à accomplir ce qui lui plait , lorsque vous le pouvez, à procurer sa gloire et à éviter ce qui l'offense et le déshonore. » L'amour de Dieu , dit également saint Grégoire (2), n'est jamais oisif. Il opère de grandes choses s'il existe , et s'il craint d'agir, ce n'est plus l'amour. Autant le fidèle serviteur de Dieu déploie de diligence à ne point offenser son Seigneur en péchant, autant il s'attriste de voir les autres le déshonorer par leurs scandales et leurs mauvais exemples , et autant il s'efforce de les en détourner, parce que le désordre des serviteurs devient l'opprobre de leurs maîtres. Quel serviteur pourra souffrir sans murmure le mépris et les injures dont son maître est l'objet, quel serviteur les excitera et s'efforcera de les accroître?
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Celui-là ne serait plus un serviteur de Dieu , mais de son propre ventre. Si vous servez le Seigneur selon votre volonté, il vous récompensera selon son bon plaisir. Si , au contraire , vous le servez selon sa volonté à lui , votre récompense sera égale à toute l'étendue de votre désir. On usera à votre égard de la mesure dont vous aurez usé vous-même ; on ne se bornera pas à vous donner selon cette mesure , on la dépassera , les voeux de votre coeur seront comblés sans réserve (1).
Le troisième degré de la charité consiste à brûler d'une telle ardeur pour Dieu, que nous soyons comme incapables de vivre sans lui , que nous nous sentions pressés du désir de voir notre corps se dissoudre afin d'être avec Jésus-Christ. Ceux qui en sont là supportent la vie avec patience ou plutôt avec dégoût ; ils soupirent après la mort alors même qu'elle devrait les atteindre à travers des tourments cruels. Au feu dun tel désir André embrassait amoureusement la croix , Etienne priait pour les meurtriers qui lui ouvraient le ciel où il lui tardait d'entrer, Laurent se moquait de ses bourreaux , Vincent provoquait ses persécuteurs, Agnès s'avançait au supplice triomphante et pleine de joie , comme une personne invitée à un banquet , et tous nos glorieux martyrs se réjouissaient au milieu des tribulations et aimaient ceux qui les faisaient souffrir, comme des hommes empressés à les mettre plus promptement en possession du bonheur. Les amis des saints voudraient les retenir
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longtemps sur la terre ; mais leurs ennemis s'attristent de les voir prolonger leur existence au milieu d'eux, et ainsi ils sont dignes de leur amour en leur souhaitant ce qu'ils aiment par-dessus toutes choses, le bien au-dessus de tout bien, en les aidant à l'obtenir avec moins de retard et d'une manière plus parfaite.
Rien ne saurait ici-bas éteindre en ces hommes l'ardeur d'un tel désir, tant qu'il ne leur est pas donné de s'abreuver sans réserve à la fontaine de vie , et la soif dont ils sont dévorés leur fait souffrir des tourments étranges. Cependant trois sortes de consolations spirituelles viennent comme autant de gouttes bienfaisantes les ranimer un peu. C'est d'abord la jouissance des douceurs intérieures ; ensuite le sacrement du corps de Jésus-Christ dont la réception a coutume d'apporter aux âmes saintes un soulagement singulier contre les ennuis de l'exil , car en ce sacrement elles possèdent sinon ouvertement, au moins en réalité et d'une façon salutaire l'objet de leur amour, Jésus-Christ leur Seigneur. Enfin ils voient se multiplier leurs fruits spirituels, ils sentent que leurs efforts contribuent à l'avancement de leurs frères et à l'honneur de Dieu , et ils supportent avec plus de patience les amertumes du siècle dans l'espérance de réaliser quelques gains au profit du Seigneur. De là cette parole de l'Epouse aux jeunes filles de sa suite : Soutenez-moi avec des fleurs , avec les fleurs de votre vie nouvelle et exempte de péché ; fortifiez-moi avec des fruits, avec les fruits de vos progrès et de vos efforts pour arriver à la perfection , car je languis
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d'amour (1), je brûle du désir de voir mon corps se dissoudre et d'être avec mon Epoux. Ah ! qu'au moins, en attendant ce moment , je sois consolée par la conversion des pécheurs et l'avancement des bons : mon séjour sur la terre étrangère me deviendra plus tolérable si je le vois fructifier pour les autres. Je serai réunie bien tard à mon Epoux, il est vrai, mais je pourrai lui conduire avec moi une suite nombreuse. Ainsi l'Apôtre, pressé entre le désir d'être délivré de son corps et l'avancement des fidèles confiés à ses soins, se consolait du retard apporté à son entrée dans la gloire par la vue de leurs progrès dans le bien (2).
L'amour du prochain naît de l'amour de Dieu , car c'est à cause de Dieu , en Dieu et selon Dieu que le prochain doit être aimé. A cause de Dieu , parce qu'il nous l'a commandé lui-même : Nous avons reçu de Dieu ce commandement, dit saint Jean , que celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère (3). En Dieu , c'est-à-dire avec le sentiment d'amour intérieur que nous avons en aimant Dieu. Selon Dieu , ou autrement dans les choses selon lesquelles Dieu nous aime, et ces choses sont le salut de notre âme et notre avancement dans le bien. Ainsi nous devons aimer le
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prochain véritablement, avec pureté et avec ordre. Nous devons l'aimer en vérité, et non d'une manière feinte, comme ceux dont l'amour réside en des paroles et en vaines protestations, mais non dans les oeuvres et la réalité. Nous devons l'aimer avec pureté et non d'un amour charnel, non pour notre propre utilité, non par une affection naturelle, ni pour le plaisir de trouver en lui une société selon le monde. Ces choses ne sont pas toujours mauvaises; cependant elles sont vides de mérite si l'amour spirituel ne vient les relever. Nous devons enfin l'aimer avec ordre , et non en vue de commettre le mal , en vue des commodités matérielles et des avantages temporels, mais en vue du salut éternel.
Il nous faut donc remarquer qu'il y a un amour charnel , un amour de cupidité , un amour naturel et social , un amour spirituel. L'amour charnel est celui qui se nourrit des choses de la chair. L'amour de cupidité, celui qui aime à cause des présents : ainsi un chien aime celui qui lui donne à manger. L'amour naturel est celui qui existe entre parents et entre personnes d'une même famille ou d'une même patrie. Cet amour nous fait aussi aimer davantage les choses que la nature a le plus ornées de ses dons, comme les hommes doués d'une grande beauté, les objets qui nous causent naturellement plus de plaisir, et encore ce qui sous certains rapports a plus de ressemblance avec nous. Ainsi de deux êtres également inconnus, notre affection embrasse l'un de préférence à l'autre, et cela peut-être parce qu'il nous ressemble davantage
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par sa nature. Tout animal, dit l'Ecriture, aime son semblable, de même tout homme aime celui qui lui est proche (1). Cet amour existe chez les bons et les méchants et même chez les brutes , et il peut être bon et mauvais, quoiqu'il tire son origine de la nature, qui est bonne en elle-même. Ainsi dans le cas de nécessité nous sommes tenus de venir en aide à nos proches de préférence aux étrangers. L'amour social est celui qui nous fait aimer plus nos connaissances, nos amis et les gens de notre maison , que des inconnus et des étrangers. Cet amour est également indifférent en soi ; nous le voyons chez les bons et chez les méchants. Les premiers le tournent vers les bons, et les autres vers les méchants qu'ils voient disposés à favoriser leurs désirs.
L'amour spirituel a pris son nom du Saint-Esprit , d'où il tire sa source et qui est appelé l'amour du Père et du Fils. C'est de cet amour que le Seigneur nous a fait un commandement; lui seul est méritoire par lui-même et rend dignes de mérite , quand ils sont gouvernés par lui , l'amour naturel et l'amour social. Il est étranger à l'amour cupide; il le tolère et le tempère pour l'empêcher de passer les justes bornes , car
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cet amour cherche plutôt son propre avantage que l'avantage de celui qu'il semble aimer. Mais il liait et fuit l'amour charnel, il le chasse, le déteste, lui donne la mort , et jamais il n'y aura d'union véritable entre eux : autant l'un s'accroît, autant l'autre diminue. Cet amour charnel est toléré, sans doute , entre époux, s'il est modéré, à cause de la vertu du sacrement; mais les hommes spirituels qui ont voué à Dieu une continence entière doivent l'étouffer et le rejeter sans réserve, car une tache choque plus la vue sur un vêtement d'une blancheur éclatante que sur une étoffe grossière. Quelle société peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres, quel accord entre Jésus-Christ et Bélial (1)? De là cette parole si juste de la Sagesse : Oh! combien est belle la race chaste en l'éclat qui l'environne. Sa mémoire est immortelle, et elle est en honneur devant Dieu et devant les hommes (2).
Mais comme l'amour charnel a coutume de se cacher quelquefois sous le manteau de l'amour spirituel, de même que l'ivraie se cache sous l'apparence du froment, montrons brièvement, afin d'aider à l'arracher du parterre fleuri de la vie religieuse, quelques-unes de ses espèces, comme on montre des herbes nuisibles pour tenir en garde contre elles les gens sans expérience, et faisons connaître ainsi quelle distance le sépare de l'amour spirituel. Ce dernier amour est une noble vertu , et pour l'empêcher de s'avilir en se mélangeant à l'amour charnel, comme le baume en
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se confondant avec des liqueurs sans valeur , comme certaines espèces d'un vin excellent en s'unissant à d'autres d'une qualité fausse , il faut l'en tenir soigneusement éloigné. Votre vin a été mélangé d'eau, dit Isaïe (1), votre amour spirituel a été vicié par l'amour charnel. Les marchands sans conscience vendent un vin détestable sous l'apparence d'un vin meilleur, et ils agissent de la sorte surtout avec les hommes ignorants et les hommes déjà dans l'ivresse, qui ne savent point distinguer entre la bonne et la mauvaise qualité. On peut à ce sujet rapporter les paroles suivantes de l'Evangile : Tout homme sert d'abord de bon vin, et lorsqu'on a beaucoup bu, il en sert de moindre (2). Ainsi l'amour change souvent : d'abord il semblait bon et spirituel; mais lorsqu'il a franchi les limites de la sobriété, il est devenu charnel. Le démon cache adroitement le piége de la tentation jusqu'à ce que l'amour croisse et se soit fortifié, comme on cache la glu destinée à prendre les oiseaux, et quand il voit ceux qu'il a trompés unis par un amour inséparable, il les perce, à l'improviste et de la manière la plus cruelle, du glaive de la concupiscence charnelle. Il sait bien qu'ils ne sauraient se séparer. En effet, ils préféreront plutôt se livrer à tous les vices, que de consentir à violer la fidélité qu'ils se conservent mutuellement depuis longtemps et de renoncer aux services qu'ils sont accoutumés à se rendre. Ils éprouvent une vive douleur d'agir de la sorte, mais la violence de l'amour l'emporte et cette violence amollit
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l'énergie de leur coeur. Ainsi Dalila a énervé par ses caresses la force indomptable de Sanson et l'a rendu semblable aux autres hommes; elle a éloigné de lui l'esprit et alors elle l'a livré à ses ennemis pour être enchaîné, frappé de cécité , mis en prison, condamné à tourner la meule et être un objet de moquerie et de dérision (1). Notre ennemi ne se laisse point vaincre par l'ennui, ni abattre par le travail et la longueur du temps, pourvu qu'il puisse arriver à son but : il ne s'applique à rien autre chose , il ne veut rien de plus. Sa seule occupation à toute heure est de renverser les bons, de plonger les méchants dans un mal plus grand encore, de les retenir dans le péché et de les empêcher de marcher dans les voies du salut.
Voici donc le premier signe de l'amour charnel. L'amour spirituel a coutume de se nourrir des entretiens de l'esprit; il aime les conversations édifiantes et il a un dégoût profond pour les plaisanteries et les discours oiseux. Les personnes éprises de l'amour charnel, au contraire, aiment peu ce qui est spirituel et beaucoup les inutilités; elles parlent avant tout et sans jamais se lasser de leur amour mutuel, de la grandeur réciproque de cet amour , et bientôt les heures et les jours ne suffisent plus à de semblables entretiens; on y consacre tous les instants dont on peut disposer; c'est une source inépuisable de paroles.
Le second signe de cet amour est l'insolence des mouvements et des actes, quand les personnes éprises ainsi l'une de l'autre, se regardent avec tendresse, se
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placent l'une proche de l'autre, se prennent par les mains , en viennent même aux embrassements , comme nous voyons les gens du monde le faire sous l'empire de cette passion. L'amour spirituel, au contraire, observe une discipline aussi grande en particulier qu'en public; il ne cherche point les endroits cachés; il les fuit, si ce n'est lorsqu'il veut demeurer seul avec lui-même et vaquer uniquement à Dieu. L'homme guidé par cet amour, dans ses entretiens avec d'autres, surtout avec des personnes d'un sexe différent, veille sur ses yeux et place ses mains et tous ses membres sous la garde de la modestie, en sorte que l'observateur le plus scrupuleux ne saurait trouver rien à reprendre en lui.
Le troisième signe est l'inquiétude du coeur. Quand l'objet de l'amour est absent, on pense où il peut être, ce qu'il fait , quand il viendra , combien de temps il peut demeurer absent, s'il a de son côté des pensées d'amour, si l'éloignement n'a pas diminué son ardeur; on se demande pourquoi il a été si longtemps sans donner aucune nouvelle, quel peut en être la cause, s'il est en bonne santé; et ainsi le coeur demeure suspendu , on ne saurait prier Dieu librement, ni méditer sur lui, ni rien faire autre chose, tant l'esprit est rempli de cet objet. Mais s'il lui arrive d'apprendre quelque chose d'heureux, de pouvoir échanger quelques paroles, c'est pour lui au moins une consolation. L'amour spirituel, au contraire, ignore de tels inquiétudes; il se repose en Dieu; il lui recommande fidèlement celui qu'il aime , lorsqu'il le juge utile et sans
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aucune distraction importune ; il lui compatit ou prend part à sa joie selon que la raison lui indique de le faire.
Le quatrième signe est l'impatience , si l'objet que l'on aime semble joindre un autre avec nous en son amour, s'il le salue avec empressement, s'il lui accorde quelques bienfaits. On craint bientôt que l'amour pour cette personne ne l'emporte et que l'amour envers nous ne s'attiédisse; de là des plaintes, de là la tristesse. Mais l'amour spirituel désire voir tous les hommes partager l'affection dont il est l'objet, et il s'en réjouit , car la charité aime à se communiquer; plus elle se dilate , plus elle s'accroît , semblable au feu dont l'intensité devient d'autant plus vive qu'elle reçoit des aliments plus abondants.
Le cinquième signe est la colère et le trouble. On s'aime à un tel degré, comme on dit vulgairement, que la grandeur de l'amour ne permet plus alors de se pardonner mutuellement le chagrin d'une offense. De même que cet amour désordonné a dépassé les bornes de ce qui est permis dans ses caresses, de même il les dépasse en plongeant dans l'agitation deux personnes éprises l'une de l'autre, surtout lorsque l'une blesse l'autre en quelque point , lorsqu'elle ne lui accorde pas ce qu'elle désire, lorsqu'elle semble aimer davantage une personne étrangère ; car plus l'attachement est plein de tendresse , plus l'offense est pénible. De là des querelles et des reproches : ce sont les bienfaits accordés , la fidélité donnée sans réserve ; tout cela est maintenant en oubli
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chez un ingrat. Ensuite viennent les jurements, les engagements imprécatoires que jamais à l'avenir on n'aimera celui qui a rendu ainsi le mal pour le bien et payé l'amour par la haine. Quelquefois même on y ajoute les cris , les injures , les blâmes , les malédictions , les diffamations , la manifestation des secrets , et beaucoup d'autres choses inconvenantes , comme nous l'apprenons souvent. Mais l'amour spirituel est pacifique et traitable ; il pardonne aisément à l'erreur et à la faiblesse du prochain , et il le relève en esprit de douceur lorsqu'il le voit tombé par surprise en quelque faute.
Le sixième signe de cet amour se trouve dans les présents , les lettres de tendresse , les petits repas , la conservation de morceaux arrachés même des lèvres , ou d'autres choses que la personne aimée a touchées ou dont elle s'est servie. On les vénère comme des reliques ; on les garde comme un souvenir propre à rallumer et à entretenir en tout temps l'amour. Mais , comme dit saint Jérôme des présents réitérés , des mouchoirs, des bandelettes , des habits, des mets goûtés , de flatteuses et douces lettres sont autant de choses qu'un saint amour ne connaît pas. D'innocentes prières , des instructions édifiantes et selon l'esprit , de pieuses subventions dans le cas de nécessité , voilà les soutiens de l'amour spirituel.
Le septième signe est la dissimulation réciproque et désordonnée des défauts. L'amour charnel est tel en ces personnes qu'il s'étend même à leurs défauts mutuels
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et les entretient; elles les excusent et s'entraident contre ceux qui veulent les reprendre et les corriger. Elles sont unies pour le mal et elles s'aiment dans le mal , comme un voleur aime un voleur , comme l'adultère aime son complice. L'amour spirituel , au contraire, a en horreur les vices de tout le monde , et il les déteste d'une façon particulière en ceux qu'il aime spécialement. Comme un père s'attriste plus d'une difformité en son fils que dans un autre, ainsi Dieu a de la haine pour les péchés de tous les hommes et punit cependant avec plus de sévérité ceux qu'il découvre en ses amis les plus chers , comme nous le voyons en David dont les fautes reçurent un châtiment si rigoureux. En effet, le Seigneur a dit : Je reprends et je châtie ceux que j'aime (1).
Nous avons fait connaître ces signes de l'amour charnel afin de nous précautionner contre ses atteintes, car il se cache quelquefois sous le manteau de l'amour spirituel pour tromper les ignorants; revenons maintenant à considérer l'amour spirituel en ses progrès et voyons quels en sont les degrés.
Le premier degré de l'amour du prochain semble être de ne haïr personne, de ne désirer de mal à personne , de ne vouloir empêcher le bien d'aucun , de
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ne point refuser d'aider le prochain dans le cas de nécessité ; en un mot , de ne faire et de ne souhaiter volontairement de mal à nos frères, de leur faire et de leur souhaiter le bien qu'ils pourraient désirer s'ils étaient dans le besoin. C'est en ces deux choses que consiste l'accomplissement de ce précepte : Vous aimerez votre prochain comme vous-même (1). Il signifie : Ne faites point à un autre ce que vous seriez fâché qu'on vous fit; faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent : en cela se trouve la Loi et les Prophètes (2). En effet, c'est ce que nous enseignent la loi de la nature et la loi des saintes Ecritures selon l'exposition des docteurs catholiques.
Le second degré de charité est de se réjouir du progrès des autres et d'aimer leur bien comme le nôtre propre, de compatir à leurs malheurs comme s'ils nous frappaient nous-mêmes, et de regarder ce qui leur est avantageux comme s'il nous arrivait , et cela par un sentiment d'amour. Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, dit l'Apôtre (3); pleurez avec ceux qui pleurent, tenez vous toujours unis les uns aux autres dans les mimes sentiments et les mêmes affections. C'est encore de sentir les biens et les maux des autres comme s'ils nous étaient propres. Qui est faible, dit encore l'Apôtre, sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle de douleur (4)? Quand le coeur est rempli d'un tel amour, nécessairement les secours ne font point défaut au prochain , si les circonstances permettent
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de lui venir en aide. De même que les membres de notre corps sont sains lorsqu'ils partagent la joie et la peine les uns des autres , ainsi l'on reconnaît que notre amour est véritablement guéri de l'engourdissement de l'insensibilité quand nous savons comprendre ce qui concerne le prochain d'après nous-mêmes. Nous sommes les membres d'un même corps (1). Voilà pourquoi Jésus-Christ Notre-Seigneur, de qui découle toute perfection , comme le mouvement et la vie découlent de la tête dans les membres, regarde comme fait à lui-même tout ce qui est fait au dernier de ses membres. Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, nous dit-il , vous me l'avez fait à moi-même (2).
La perfection de l'amour du prochain consiste à aimer nos ennemis avec affection , à avoir pour ceux qui nous haïssent et nous persécutent la même tendresse dont nous sommes remplis envers ceux qui nous sont particulièrement chers , à être prêts à sacrifier non-seulement nos biens temporels, mais encore notre vie pour nos frères ; à agir ainsi non en vue des récompenses attachées au martyre, mais par un désir ardent du salut du prochain. Telle fut la charité dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple. Il a daigné mourir pour les pécheurs, ses ennemis, afin d'expier les péchés dont nous nous étions rendus coupables envers lui , les péchés par lesquels nous lui avions témoigné notre mépris. Personne, nous avait-il dit, ne peut avoir un plus grand amour que de donner
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sa vie pour ses amis (1). C'est de lui que les saints ont appris une semblable charité, Ils se sont offerts à la mort pour leurs frères; ils se sont rendus esclaves pour racheter les autres de l'esclavage : ainsi a agi saint Paulin; pour soulager ceux qui étaient affamés, ils se sont réduits eux-mêmes à souffrir les tortures de la faim ; ils mit prié pieusement pour leurs meurtriers; ils se sont efforcés d'adoucir la cruauté de leurs ennemis par leur bénignité et de vaincre le mal par le bien. Telle fut la charité du patriarche Joseph, de Moïse , de Samuel , de David , de Job et d'un nombre infini d'autres saints. Et en vérité ces hommes sont vraiment sages d'avoir un semblable amour, car leurs ennemis leur procurent cent fois plus de bien en les persécutant qu'en leur venant en aide; ils font comme celui qui me volerait une pièce de plomb en me donnant à la place une pièce d'or le plus pur. En quoi peut nuire un ennemi à un saint? Il peut lui ravir par la violence, par la médisance et les persécutions, l'honneur terrestre , les délices , les richesses , toutes choses propres à nourrir la concupiscence de la chair. Mais les saints n'ont point d'amour pour des biens semblables; leur perte ne saurait les contrister. S'ils aimaient les choses du monde, s'ils éprouvaient de la douleur en les voyant s'éloigner, l'amour de Dieu leur père ne régnerait point en eux. Lors donc que leurs ennemis les dépouillent de pareilles choses qui leur sont à charge et odieuses, les dons spirituels et les mérites pour le ciel se répandent en eux avec
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abondance. De là cette parole de David : Les jugements du Seigneur sont véritables et pleins de justice en eux-mêmes. Ils sont plus désirables que l'or et les pierres précieuses, et plus doux que le miel et le rayon de miel le plus excellent (1). Celui qui fournit à un homme l'occasion d'un gain si avantageux est donc vraiment digne de son amour. Voilà pourquoi le Seigneur a dit (2) : Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, et votre récompense sera abondante, et vous serez les enfants du Très-Haut.
Nous avons à parler maintenant de l'humilité. Mais il faut auparavant nous souvenir que la vraie béatitude consiste dans la connaissance de la vérité souveraine , l'amour de la bonté suprême et la jouissance de l'éternelle félicité. Or, toutes les vertus nous conduisent à ces trois choses , et ainsi plus un homme sera établi dans les vertus , plus il sera capable de la divine béatitude. De même donc que la charité nous dispose à jouir de la bonté , de même l'humilité a pour effet de nous guider vers la vérité. Cette vertu est un abaissement volontaire de notre esprit, abaissement
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produit par la vue de notre propre condition , ou autrement de notre fragilité. L'humilité, dit saint Bernard , est une vertu par laquelle l'homme se connaissant véritablement et intimement devient vil à ses yeux (1).
Or, deux choses nous avertissent d'être humbles : ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. Ce que nous sommes, nous ne le sommes pas de nous-mêmes ni par nos propres mérites, et ainsi nous n'avons pas lieu de nous élever, puisque tout ce qu'il y a de bon en nous, tout ce que bous possédons d'excellent nous vient d'une bonté et d'une puissance autres que nous. Celui-là seul doit donc être exalté dont la grâce nous a rendus ce que mous sommes. C'est en cela que consiste l'humilité des saints et des serviteurs de Dieu les plus sublimes : plus ils se voient grands , plus ils s'humilient en chaque chose et s'appliquent à rendre tout à celui de qui ils ont tout reçu. Ils se rappellent que celui-là est un voleur, qui retient malgré la volonté du maître une partie de ce que celui-ci a voulu lui prêter, surtout le Seigneur ayant dit lui-même : Je ne donnerai pas ma gloire à un autre (2). Il nous fournit volontiers en ses dons les moyens d'avancer, mais il se réserve la gloire de nos progrès.
Ce que nous ne sommes pas nous avertit aussi de nous humilier. C'est en effet une gloire vaine et frivole de prendre sujet de s'exalter de ce qui nous est étranger, c'est comme si un vase de terre se vantait
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dêtre d'or pur, un nain d'être un géant ; comme si un mendiant s'imaginait être un roi, et un éthiopien être plus blanc que la neige. Vous dites, est-il écrit dans l'Apocalypse, je suis riche et je ne manque de rien : et vous ne savez pas que vous êtes malheureux et misérable, et pauvre, et aveugle et nu (1). C'est là l'humilité des pauvres et des imparfaits qui, ayant considéré leur détresse et leur imperfection et les comparant à la sublimité des autres, se replient sur eux-mêmes et deviennent vils à leurs yeux en se jugeant selon la vérité. Ainsi nous sommes des aveugles-nés et le Seigneur nous éclaire au moyen de notre ignorance; il oint nos yeux de la boue dont nous sommes formés, afin que nous commencions d'abord à nous connaître nous-mêmes et ensuite à nous prosterner devant lui et à l'adorer en confessant qu'il est notre illuminateur (2). Celui-là recouvre la vue au moyen d'un peu de boue, qui se reconnaît lui-même et s'humilie en contemplant la fragilité de sa propre nature.
Nous devons avoir une triple humilité. Nous devons être humbles en nous-mêmes , humbles vis-à-vis du prochain, humbles vis-à-vis de Dieu. Nous devons
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être humbles vis-à-vis de nous en nous méprisant par la considération de notre propre bassesse, ou autrement nous devons examiner avec le plus grand soin tout ce qu'il y a de méprisable en nous, soit nos défauts naturels , soit nos autres défauts, surtout les péchés et les inclinations vicieuses, afin de nous humilier à leur vue. En second lieu , nous devons être humbles en nous-mêmes par notre maintien extérieur, nos mouvements corporels, nos paroles, nos réponses où tout doit respirer l'humilité. Je m'humiliais, dit le Prophète , comme un homme accablé de douleur et de tristesse (1). Nous devons en dernier lieu nous exercer à remplir les services les plus humbles, embrasser les oeuvres et les offices qui nous semblent bas et que les autres ont en horreur et en mépris , comme de balayer la maison, de faire les gros travaux de la communauté, de se contenter des vêtements les plus vils , des aliments les plus simples, etc. Je m'abaisserai encore plus que je n'ai fait, disait David , et je me rendrai méprisable à mes propres yeux (2).
Nous devons être humbles vis-à-vis du prochain. Cette humilité consiste d'abord à regarder nos frères comme meilleurs et plus dignes que nous, à ne pas
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les mépriser ni les juger témérairement. De là cette parole de l'Apôtre : Que chacun, par humilité, croie les autres supérieurs à soi (1).
En second lieu , elle nous porte à les prévenir par des marques d'honneur extérieures, comme de leur témoigner notre respect, de les saluer, de leur céder la première place, de ne point chercher à les abaisser, de leur obéir, d'être empressés à leur rendre service, de leur venir en aide, de les exalter auprès des autres, de faire valoir leurs actions, de les louer et de les prôner surtout si elles sont bonnes, et de cacher ce qu'ils ont fait de mal, non hypocritement, mais en toute sincérité.
En troisième lieu, cette humilité nous fait supporter avec patience la médiocrité de leurs oeuvres, endurer de même les offenses dont ils pourraient se rendre coupables envers nous; elle nous empêche de leur rendre le mal pour le mal , elle nous porte à être sans haine contre eux, à ne faire entendre ni dispute ni cris, à recevoir leurs réprimandes sans murmurer, et à compatir plutôt à leurs misères qu'aux nôtres propres. Pour moi, dit le Prophète, lorsqu'ils m'accablaient, je plongeais mon âme dans l'humiliation (2).
Parmi nos frères, les uns nous sont supérieurs, les autres égaux, les autres inférieurs. La règle que nous venons de tracer s'applique sans réserve à nos égaux. Quant aux supérieurs, l'Apôtre ajoute (3) : Obéissez à vos chefs et soyez-leur soumis. Obéir, c'est accomplir les ordres des autres; leur être soumis, c'est s'abaisser
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humblement devant eux et sans réserve, comme devant les représentants de Dieu , mais toujours selon le Seigneur. Maintenant, voici trois règles concernant les supérieurs eux-mêmes. La première est tirée du livre de l'Ecclésiastique (1) : Vous a-t-on établi pour gouverner les autres, dit le Sage, ne vous en élevez point : soyez parmi eux comme l'un d'entre eux. La seconde est tirée de l'Epître aux Thessaloniciens (2) : Nous nous sommes rendus petits parmi vous, écrit l'Apôtre , comme une nourrice qui aime tendrement ses enfants. La troisième est tirée de saint Luc (3) : Je suis au milieu de vous, dit le Seigneur, comme celui qui sert. Selon ces règles, le supérieur doit être parmi ses inférieurs comme un d'entre eux , pour la nourriture, le vêtement, le travail et les autres choses; il doit être comme un petit enfant au milieu d'eux , et parce qu'il leur commande, ne point se croire plus saint, plus sage ou plus estimable qu'eux, nais se regarder comme plus vil et plus lié qu'aucun d'eux , puisqu'il doit rendre raison pour lui-même et pour les autres. Qu'il soit enfin parmi eux comme un serviteur appliqué à supporter et à guérir leurs infirmités, et à précéder les autres par les bons exemples de sa vie.
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Nous devons aussi être humbles vis-à-vis de Dieu, et cette humilité consiste premièrement à le reconnaître humblement pour notre Dieu , notre Maître et notre Juge; à lui obéir en tout comme les serviteurs obéissent à leurs maîtres, à lui être soumis comme l'oeuvre l'est à son auteur, et si nous avons péché, à faire une pénitence prompte et proportionnée à nos fautes, satisfaire et nous corriger.
Elle consiste en second lieu à recevoir humblement ses châtiments, à ne point murmurer lorsqu'il nous reprend ainsi, à louer sa conduite comme pleine de justice et à nous reconnaître clignes de toute peine, en disant : Je porterai le poids de la colère du Seigneur, parce que j'ai péché contre lui (1).
Enfin cette humilité nous empêche de concevoir de l'orgueil des bienfaits du Seigneur , et elle nous fait confesser que s'il nous a aimés, s'il nous a choisis , s'il nous a appelés, s'il nous a justifiés, s'il nous a exaltés, c'est uniquement par sa bonté et non par nos mérites. Aussi est-ce pour nous un devoir de lui en rendre grâces en toute simplicité et humilité , sans nous arroger aucun de ses biens et de nous écrier avec le
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Prophète : Ne nous donnez point, Seigneur, ne nous donnez point la gloire : donnez-la toute entière à votre nom (1).
Nous pourrions, il est vrai, par ce qui précède, distinguer les degrés de l'humilité, mais afin de les faire saisir plus aisément, marquons-en trois différents, bien qu'ils soient très-éloignés les uns des autres. Le premier consiste à se reconnaître et se savoir une créature vile et faible , un homme vide de bien , vicieux, pécheur et rempli de tous les défauts qu'on a véritablement; à ne point se tromper soi-même en s'estimant plus grand que l'on n'est , malgré les dignités dont on peut être en possession; à ne point s'élever frivolement au-dessus de soi-même, ni insolemment au-dessus des autres; à ne point chercher les vaines louanges des hommes ni les honneurs de la terre, et si quelque chose de semblable attire, à se reprendre et se châtier comme un homme qui s'est laissé tromper et en qui la vérité n'est plus, selon cette parole du Psaume (2) : Enfants des hommes, pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge? Dieu est tout-puissant : pourquoi donc nous a-t-il créés dans un degré de gloire inférieur aux anges , si ce
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n'est pour nous tenir dans l'humilité par cet abaissement, nous empêcher de nous enorgueillir comme les anges déchus et aujourd'hui des séducteurs, et nous préserver d'une chute et d'une ruine pareilles? Si Dieu nous délivre par le baptême de toute la souillure du péché, sans nous délivrer pendant notre vie des suites temporelles de la corruption, n'est-ce pas afin de laisser en nous un mémorial d'humiliation qui nous porte à nous tenir sur nos gardes et nous empêche de nous élever comme nos premiers parents , dont l'orgueil et la transgression nous ont fait tomber dans le péché et dans les misères auxquelles nous sommes soumis et dans celles bien plus terribles qui nous attendent, si le Seigneur ne nous en préserve?
Le second degré peut consister non-seulement à se connaître soi-même et à se mépriser à cause de sa propre bassesse, mais à souffrir encore avec patience les mépris des autres; et même parce qu'on aime la vérité et qu'on ne s'aime pas soi-même d'un amour particulier opposé à la vérité, en ce degré on désire être estimé des autres comme on s'estime soi-même et être considéré comme un homme vil , plein de vices, ignoble et tel, en un mot, qu'on se connaît en vérité, pourvu cependant qu'on croie un tel jugement sans danger pour celui qui le porterait. De même, dit saint Grégoire (1) , que les orgueilleux mettent leur félicité dans les honneurs, de même les humbles la placent dans le mépris que l'on fait d'eux, car alors ils sentent que le jugement. intérieur de leur esprit reçoit son
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approbation des autres. L'homme est encore en ce degré quand il s'attriste des honneurs dont il est l'objet, quand ils lui sont en dégoût et qu'il les foule aux pieds en son coeur. Un pareil degré est bien élevé et fort peu y arrivent, même parmi les religieux et les chrétiens les meilleurs. Aussi ne devons-nous pas nous étonner si nous sommes si pauvres en vertus, lorsque nous voyons si éloignée de nous l'humilité, la mère et la gardienne des vertus. Pourquoi, en effet, Celui qui est riche en miséricorde, le Père céleste dont la tendresse a été jusqu'à ne pas épargner son propre Fils et à le livrer pour nous tous; pourquoi, dis-je, le Père céleste nous laisse-t-il aussi pauvres de grâces et de vertus que s'il ne s'occupait de nous en aucune manière? Il faut en chercher la cause dans notre paresse , qui ne nous permet pas de demander avec instance comme nous le devrions , ou dans notre orgueil; car si d'un côté nous prions instamment, Dieu nous voit portés à nous enorgueillir de ses faveurs , et des bienfaits plus considérables deviendraient pour nous l'occasion d'une ruine plus effrayante. Les bâtiments les plus hauts ont besoin d'une base plus profonde, et un arbre élevé, s'il ne plonge bien avant ses racines dans la terre, cédera facilement à la violence des vents. Que celui donc qui désire arriver au sommet de la vertu, s'applique à s'affermir sur le fondement de l'humilité : Dieu résiste aux superbes et il donne sa grâce aux humbles (1) .
Le troisième degré existe quand l'homme, doué
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de grandes vertus , comblé de dons précieux et. d'honneurs , n'en prend sujet de s'exalter ni de se flatter en aucune manière, mais renvoie et rend tout sans réserve à Celui de qui découle tout bien. Telle fut l'humilité de la Vierge bienheureuse lorsque, apprenant qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu, elle se confessa humblement sa servante et s'écria : Il a regardé la bassesse de sa servante (1). Telle fut l'humilité de Jésus-Christ. Il était semblable à Dieu , il ne croyait point que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, et cependant il s'est anéanti lui-même en prenant la nature et la forme d'un esclave et en se montrant semblable aux hommes, et il a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (2). Telle est encore l'humilité des anges et des saints dans la gloire. Ils sont remplis du bien suprême. ils sont en possession de l'honneur souverain, et ils n'éprouvent aucun mouvement d'orgueil. Ils sont d'autant plus humbles qu'ils sont plus élevés en Dieu. Aussi dans l'Évangile sont-ils comparés à des brebis sur une montagne'. Ils sont des brebis par la douceur de leur humilité, ils sont placés sur une montagne par la hauteur de leur dignité. C'est là encore l'humilité des parfaits : plus ils sont grands , plus ils s'humilient en tout, dans leurs pensées, dans leurs affections. dans leurs paroles, leurs actions et tout leur extérieur. Seigneur, dit le Prophète , mon coeur ne s'est point gonflé d'orgueil et mes yeux ne se sont point élevés. Je n'ai point marché dune manière pompeuse et
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élevée au-dessus de moi (1). Si l'homme qui n'a point de quoi se glorifier, mais bien des raisons de se confondre, s'humilie et se méprise, son humilité est bonne, mais elle n'est point étonnante. Si, par exemple, le fils d'un paysan ne veut point passer pour le fils d'un roi, il faudra louer en lui l'amour de la vérité, et non l'exalter ni surtout trouver son humilité admirable; de même encore, si un pauvre se regarde comme pauvre et veut être regardé comme tel des autres, il rend hommage à la vérité , et rien en cela ne prête à l'admiration. Mais si un riche se rend semblable aux pauvres , si celui qui est élevé n'éprouve aucun sentiment d'orgueil, si un homme environné de gloire ne s'attribue rien de cette gloire et la renvoie toute entière à celui qui lui a donné de la posséder, celui-là est humble; son humilité n'est point forcée par l'évidence des faits; elle prend naissance dans son amour de la vérité.
De la charité et de l'humilité naît la vertu de patience, et elle nous conduit à jouir de la paix souveraine. N'avoir à souffrir rien de fâcheux, c'est posséder la paix ; or, cela peut avoir lieu de deux manières : en n'éprouvant rien de pénible ni de contrariant :
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c'est le partage des bienheureux ; et en supportant avec courage les peines , ce qui est en ce monde le propre des âmes magnanimes, et c'est là ce qu'on appelle la patience. Celui-là, en effet, est magnanime qui souffre sans murmure toute affliction et ne se laisse troubler par aucune passion. La patience considérée comme méritoire de la gloire éternelle est donc le support volontaire et victorieux de toutes les peines. Il y a une patience feinte, une de nécessité et une dernière de vertu. Elle est feinte quand l'homme se montre patient dans l'adversité en vue de la gloire humaine , ou quand il dissimule pour un temps une injure afin de mieux s'en venger plus tard. Celui qui dissimule les torts du prochain , dit saint Grégoire , mais en se livrant intérieurement à la douleur et en cherchant le moment favorable pour lui en demander compte , celui-là n'a point de patience ; seulement il en fait parade (1).
La patience de nécessité a lieu quand l'homme n'entreprend pas de se venger d'une injure , soit qu'il ne le puisse , soit qu'il ne l'ose dans la crainte d'un mal plus grand ou d'une perte considérable. Tels sont les serviteurs frappés par leurs maîtres , les pauvres chargés de reproches par les riches, les disciples châtiés par ceux qui les instruisent.
La patience de vertu est celle dont saint Augustin a dit : La patience est une vertu par laquelle nous souffrons l'adversité avec égalité d'âme, ou autrement sans nous laisser troubler par la tristesse (2).
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La première est vicieuse et mérite d'être punie; la seconde est prudente et se soustrait à des malheurs temporels; la troisième est vertueuse; elle est digne de la grâce dans le temps présent et de la gloire dans l'éternité.
Toute peine vient de ce qu'on nous refuse ou qu'on nous ravit un bien , l'objet de nos désirs et de notre amour, ou de ce qu'on entreprend contre nous et qu'on nous fait souffrir des choses qui nous inspirent de l'horreur ou nous sont nuisibles. Or, nous pouvons réduire à cinq les choses au milieu desquelles la patience se fait connaître et se manifeste. La première est la souffrance corporelle, la seconde le manque de biens temporels, la troisième la perte de l'honneur, la quatrième l'enlèvement ou la détérioration de ce qui nous est cher, la cinquième toute perturbation de notre paix intérieure. Cette dernière chose renferme en elle toutes les autres , bien qu'on puisse les distinguer en particulier et les trouver les unes sans les autres, comme lorsque nous sommes privés de quelque joie, lorsqu'une consolation peu importante ou même coupable nous est enlevée, par exemple : la pluie ou une autre cause innocente nous empêche de nous promener, d'accomplir selon notre désir un projet
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arrêté. Si nous nous troublons parce que nous manquons d'accomplir le bien, ou en vue de quelque chose de nuisible à notre salut , un semblable trouble ne doit point être attribué à l'impatience, mais au zèle de la justice et de la vertu , pourvu qu'il ne soit point immodéré ou indiscret. De là cette parole de l'Apôtre aux Corinthiens : La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable, mais la tristesse de ce monde produit la mort (1).
La patience est opposée directement au vice de la colère, comme la charité envers Dieu est opposée à la paresse, la charité envers le prochain à l'envie, l'humilité à l'orgueil. La colère rend l'homme insensé et semblable à un furieux. La colère, est-il écrit (2), tue véritablement l'insensé; mais la vertu de patience fait connaître le sage : La science de l'homme, dit Salomon (3), se manifeste par sa patience. Ainsi ne pas se laisser agiter dans les circonstances énumérées plus haut, c'est un signe de patience; et demeurer impassible en présence du mal , c'est de la tiédeur ou de l'obstination. En effet, chacun doit s'affliger pour son propre compte de ses fautes passées : c'est la vertu de pénitence; de ses défauts présents, c'est la ferveur du bien; des dangers de l'avenir, c'est la prudence de la crainte. Chacun doit s'affliger pour le prochain, mais avec modération , de ses malheurs temporels, et plus profondément de ses défauts spirituels et de tout ce qui nuit au salut de son âme. Les supérieurs surtout sont tenus à un zèle semblable : s'ils supportaient
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en silence et sans les corriger de tout leur pouvoir les vices de leurs inférieurs , une telle patience , loin de leur être méritoire pour la gloire, leur ferait encourir la colère de Dieu ; car ce serait favoriser les injures et les opprobres dont il est l'objet , alors qu'il est de leur devoir de les empêcher et de les éloigner. Ainsi Héli , pour n'avoir pas repris sévèrement ses enfants , a ressenti la colère et les châtiments du Seigneur.
Il y a une différence sans doute entre la patience, la force, la constance , la magnanimité , la longanimité, la douceur et la mansuétude, comme on le peut conclure des définitions de chacune de ces vertus; cependant on les prend souvent l'une pour l'autre et l'on adapte assez indifféremment à l'une ce qui se dit de l'autre. La patience est le support volontaire et dans un but honnête des choses difficiles; la force consiste à demeurer inébranlable au milieu de l'adversité , à garder toujours son âme égale au milieu des embarras et des dangers; la constance à n'être ému par aucun sentiment de crainte au milieu des affaires et des personnes les plus fâcheuses; la magnanimité , à se porter de plein gré et selon la raison aux entreprises difficiles; la longanimité est l'espérance toujours persévérante dans l'attente du bien; la douceur, une vertu étrangère à toute dureté et à toute amertume de coeur ; la mansuétude , une tranquillité d'âme incapable de se laisser abattre par la perversité d'aucun homme.
On pourrait encore approprier d'une manière
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convenable chacune de ces vertus aux divers maux auxquels nous sommes soumis. Ainsi on peut appeler patient celui qui souffre les douleurs avec égalité d'âme, comme Job et Tobie. Celui-là est fort que les attaques de la tentation ne sauraient affaiblir : tel fut Joseph. Il est plein de constance celui que les tourments et les peines trouvent indifférents : tels furent les Machabées. Il est magnanime l'homme qui ne tremble point de se livrer à des oeuvres élevées et difficiles : ainsi agirent David et Jean-Baptiste. Il possède la vertu de longanimité celui dont l'espérance ne perd rien de son ardeur au milieu d'une attente prolongée : tel fut Abraham. Il est doux celui qui , comme Moïse, ne s'irrite point des traits dont ses inférieurs l'accablent et ne sait point leur rendre le mal pour le mal. Il est plein de mansuétude enfin celui qui , comme Jean l'Evangéliste , est toujours calme en son coeur et aimable en ses manières.
Les avantages de la patience sont nombreux : 1° elle rend plus tolérable les maux de la vie présente. Quand l'adversité se joint à l'impatience, il en résulte un triple inconvénient : l'homme est affligé au dehors, son agitation le remplit d'amertume intérieurement, et sa faute produit un remords dont son coeur est rongé.
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2° La patience est pour notre âme une nourriture précieuse. De même que notre corps se conserve au moyen d'aliments terrestres , ainsi notre âme s'engraisse au festin des vertus.
3° La patience est pour le prochain un grand sujet d'édification , un sujet d'autant plus considérable qu'il est plus rare. Nous voyons bien des hommes chastes, mortifiés, pauvres, appliqués à l'humilité, portés à faire l'aumône , adonnés à la prière, accoutumés à exciter les autres au bien , et d'une foi inébranlable; mais nous en rencontrons peu remplis d'une humble patience au milieu des injures, des médisances et des mépris. Nous nous excusons et nous prenons notre défense pour ne point scandaliser les autres; nous croirions être coupables si nous gardions le silence, et cependant nous sommes bien plus répréhensibles de nous venger ainsi avec impatience et de mordre avec aigreur ceux qui nous attaquent. Il est plus glorieux, dit saint Grégoire, d'être les imitateurs de Dieu en souffrant l'injure en silence, que de s'emporter en répondant à nos ennemis (1).
4° La patience nous purifie de nos fautes passées et elle nous préserve des fautes à venir.
5° Elle accroît en nous dans le temps présent la grâce des vertus et des dons spirituels. Vos consolations ont rempli mon âme, dit le Prophète, à proportion du grand nombre de douleurs dont mon coeur a été accablé (2).
6° Elle mérite une gloire abondante dans le ciel :
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Réjouissez-vous et tressaillez de joie, dit le Seigneur (1), parce qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel.
7° Elle nous aide d'une manière toute singulière à nous acquitter de la dette dont nous sommes redevables à Jésus-Christ pour sa Passion , car par la patience on s'applique véritablement à rendre à celui qui s'est chargé de nos douleurs ce qu'on a reçu de lui. Voilà pourquoi les saints éprouvaient une joie si vive au milieu de la tribulation; ils étaient dans l'allégresse d'avoir au moins, en souffrant quelque chose, une occasion et un moyen de reconnaître d'une certaine manière cette immense charité du Seigneur qui l'a porté à sacrifier sa vie pour nous; car il n'a aucun besoin de nos biens et il ne demande pas que nous puissions lui offrir quelque portion des richesses terrestres. Lors donc qu'il viendra juger le monde, il montrera à tous les hommes les marques de sa Passion , et ceux-là seront dans une confusion profonde qui n'auront rien voulu souffrir pour lui; au contraire, ceux qui, pour son amour, auront embrassé avec une patience inaltérable des peines nombreuses , seront environnés d'une gloire admirable. Le Seigneur nous donne un signe spécial d'amour quand il nous soumet à l'adversité ; il daigne nous admettre à partager son fardeau, comme il y admit autrefois Simon le Cyrénéen, lorsqu'il porta la croix. En voyage nous avons coutume, quand nous nous sentons fatigués, de prier ceux en qui nous avons le
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plus de confiance et que nous aimons d'un amour plus spécial, de vouloir bien nous aider pendant quelque temps en se chargeant d'une partie de nos bagages, et par là nous leur donnons une plus grande preuve de notre amour qu'aux autres à qui nous n'osons faire une pareille demande dans la crainte qu'ils n'acceptent pas de bon coeur. Ainsi le Seigneur, le compagnon de voyage de tous les hommes dans le chemin de la vie où nous marchons , le Seigneur, fatigué jusqu'à la mort des travaux de sa Passion , cherche des coeurs disposés à lui compatir et à porter avec lui le fardeau des tribulations auxquelles il est encore soumis en son corps mystique, en son Eglise. Cette Passion qu'il a arrêté de souffrir à cause de nous comme notre chef et qu'il a endurée dans la chair, cette Passion , il l'a divisée à tous ses membres sur la terre. Et comme le Christ a dû souffrir et entrer ainsi dans sa gloire, de même ses membres seront glorifiés s'ils compatissent fidèlement à leur chef; ils seront les compagnons de sa résurrection s'ils l'ont été d'abord de sa Passion. Plus l'homme aura été semblable à Jésus-Christ par la souffrance, plus il régnera proche de lui dans la gloire.
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Exposons maintenant les degrés de la patience. Le premier consiste à contenir avec effort et à réprimer les mouvements de la colère et de l'impatience, et à les empêcher de se produire au dehors par des paroles ou des actes illicites. Ainsi le feu s'éteint étouffé par sa propre fumée; mais si on le laisse libre, il croît et s'étend à tout ce qu'il rencontre d'inflammable. Or, on a coutume d'éteindre le feu de quatre manières : en versant de l'eau dessus, en l'étouffant, en le divisant et en lui refusant des aliments. Le feu de l'impatience s'affaiblit de même d'abord par l'effusion de conseils prudents, comme lorsque l'homme considère sérieusement combien son impatience lui fait de tort, combien au contraire la patience est avantageuse. Mais comme nous avons déjà parlé plus haut de ce moyen , je ne m'y arrêterai pas. On l'éteint , en second lieu, en l'étouffant, en fermant sa bouche et ses lèvres, afin que la langue ne vienne pas à se répandre en paroles mensongères et en plaintes ridicules, afin que la main rie se porte point à des actes de fureur. De là cette parole du Psalmiste : Placez, Seigneur une garde à ma bouche (1). On l'éteint par la division, ou autrement l'homme ému par la colère
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doit se porter à d'autres actions, se livrer à d'autres affaires propres à absorber ses pensées et à lui faire oublier la cause de son agitation. Ainsi, quand on éloigne les morceaux de bois les uns des autres, le feu diminue promptement. On l'éteint enfin en lui refusant des aliments, comme lorsqu'on se détourne des affaires et des passions qui ont coutume d'entretenir la colère et l'impatience. Quand il n'y aura plus de bois, dit le Sage, le feu s'éteindra, et quand il n'y aura plus de semeurs de rapports, les querelles s'apaiseront (1). Or, le semeur de rapports est cette suggestion cachée qui porte l'homme à chercher sans cesse une occasion de disputes.
Le second degré de patience existe quand l'homme formé par une longue habitude à souffrir et à comprimer les mouvements emportés de son coeur , a appris à ne plus s'effrayer de l'adversité et à ne plus la craindre, mais à contempler comme d'un lieu inattaquable ses ennemis agités contre lui et qu'il juge impuissants à lui nuire. Or, nous nous laissons épouvanter par le malheur tant que nous aimons quelque chose de terrestre, soit en nous, soit hors de nous, que nous craignons de perdre, comme notre corps, nos biens, notre honneur, nos amis, notre volonté propre. Celui qui n'a point pour ces choses un amour désordonné , ne se réjouit pas grandement de les posséder et ne s'attriste pas beaucoup de ce qui le concerne. En quoi donc peut vous nuire votre ennemi, pour que vous soyez dans le trouble? S'il a contre
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vous de la haine en son coeur, c'est un mal qui lui est propre à lui-même et dont la douleur ne saurait vous atteindre. Bornez-vous à demeurer en paix avec vous-même : le feu enfermé dans le sein dun autre ne peut vous brûler. S'il parle mal contre vous, c'est un vain bruit qui parcourt l'air, et non une flèche dont vous puissiez être percé. Vous ririez si un trait lancé contre vous allait se perdre inutilement dans l'espace sans vous toucher; faites de même à l'égard des paroles de malédiction. Un chien aboie contre vous, et vous passez en souriant. Si votre ennemi a médit de vous en votre absence, ne vous troublez point pour cela : il s'est blessé lui-même, mais il n'a pu vous nuire. Il s'est montré un envieux et un détracteur; les hommes intelligents le méprisent et l'ont en aversion, et ainsi il vous a vengé lui-même de ses injures. Gardez donc le silence, et d'autres combattront pour vous et le Seigneur brisera votre adversaire. Si au contraire vous commencez à répondre à ses attaques, ceux qui d'abord vous avaient compati, deviendront simples spectateurs; ils se borneront à vous regarder comme on regarde deux coqs animés l'un contre l'autre, ils vous mépriseront tous deux, ils concevront de l'aversion pour vous , ils vous accuseront d'impatience et d'envie. Si donc vous appréhendez que l'on n'ajoute foi à votre détracteur, souffrez avec humilité et votre patience dissipera les soupçons, ou elle changera les sentiments formés sur votre compte dans le coeur des autres. Si votre coeur à vous-même se sent brûlé intérieurement du feu de
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la l'ancolie, sachez le comprimer en vue des avantages à venir, semblable au malade qui se laisse brûler ou couper une plaie et se soumet à une douleur passagère dans l'espérance de recouvrer la santé. De même que nous sommes forcés de subir les morsures de puces et autres insectes semblables, de même nous devons souffrir avec patience les piqûres de vils détracteurs. L'homme avide d'honneur ne saurait sans envie entendre louer les bons. Il ne petit recevoir de pareils éloges et il souffre d'être dans la confusion. Il voudrait, pour se consoler, avoir des compagnons de sa misère. Voilà pourquoi il médit des autres. Ainsi celui dont les traits sont difformes désirerait voir tous les autres semblables à lui. On apprend encore, en se servant des divers remèdes dont nous avons parlé jusqu'ici, et surtout par l'habitude de souffrir de telles choses, on apprend, dis-je, à supporter avec patience les douleurs corporelles, la perte des biens, les offenses et les confusions de la part des ennemis. C'est à peine si en cette vie il peut se rencontrer une tribulation que l'habitude et la pratique de la patience ne rendent plus légère, selon cet avis : Ce que vous supportez mal, accoutumez-vous-y et vous le supporterez aisément ensuite. Or, en ce degré, l'homme ne se réjouit pas encore de l'adversité; il l'endure et se tait.
Le troisième degré de patience consiste à trouver sa joie dans les tribulations, à s'en glorifier lorsqu'elles sont présentes , à les désirer quand elles manquent. Ainsi un soldat nouvellement engagé , mais plein
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d'une noble ardeur et désireux de la renommée, est au comble du bonheur lorsque l'occasion se présente d'exercer sa bravoure contre un adversaire illustre. Qui me donnera que ma demande s'accomplisse, s'écrie Job, que Dieu m'accorde ce que j'attends? Je désire, puisqu'il a commencé à me réduire en poudre, qu'il achève, qu'il ne retienne plus sa main, qu'il me retranche jusqu'à la racine et que, dans les douleurs dont il m'accablera, il me reste pour consolation de le voir ne pas m'épargner (1). Je me plais en mes infirmités, écrit l'Apôtre, dans les outrages , les privations, les persécutions, les afflictions douloureuses pour Jésus-Christ (2). Ceux-là, dit Moïse, immoleront des victimes de justice, qui suceront comme le lait les flots envahissants de la mer (3), et qui , au milieu de l'amertume toujours croissante de chaque adversité, seront dans l'allégresse comme s'il leur était donné de se désaltérer du lait des consolations. Ceux-là immoleront véritablement des victimes de justice; car, selon saint Grégoire, il y a un mérite bien plus grand à souffrir l'affliction avec patience, qu'à se fatiguer dans l'exercice des bonnes oeuvres. Celui donc qui, par le désir de se rendre agréable à Dieu, s'inflige à soi-même des mortifications en châtiant son corps et en pénétrant son coeur d'amertume et de repentir, celui-là, dis-je, pourquoi n'aurait-il plus la même volonté lorsqu'une autre lui offre l'occasion de souffrir et par conséquent d'affliger son corps et d'humilier son âme, puisqu'il y a un mérite
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sans comparaison plus abondant à souffrir avec patience de telles peines de la part d'un autre que de soi-même? Et l'homme qui se juge vil et vraiment répréhensible, pourquoi murmurerait-il quand un autre porte de lui un jugement semblable? Le jugement le plus à redouter n'est-il pas le nôtre après celui de Dieu? Notre conscience, au tribunal suprême, pèsera plus lourdement que la manière de voir de tous les hommes. C'est donc en ce dernier degré qu'on découvre combien la vertu parfaite est rare. La vraie humilité est aussi heureuse d'être humiliée par les autres que par soi-même, et la vraie patience supporte avec autant de bonne volonté, pour ce qui la concerne, les afflictions du dehors que celles qu'elle pourrait s'infliger de plein gré.
Comme l'obéissance naît de la charité, de l'humilité et de la patience, disons brièvement , pour l'édification de nos frères, quelque chose de cette vertu : elle est souverainement utile et nécessaire en toute maison religieuse. L'obéissance est donc une soumission de sa volonté propre à la volonté d'un supérieur dans ce qui est licite et conforme à l'honnêteté. Nous devons obéir à Dieu seul à cause de lui-même , car nous sommes ses serviteurs selon toute l'étendue
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de ce mot, et à la créature raisonnable comme tenant la place de Dieu , qu'elle soit un homme ou un ange, dans les choses que Dieu exige de nous et qui nous conduisent à lui.
Il y a une triple raison de cette obéissance. 1° Dieu étend , il est vrai , son empire de telle sorte sur toutes les créatures en général et sur chacune en particulier, qu'elles reçoivent de lui seul tout ce qu'elles sont, tout ce qu'elles possèdent, tout ce qu'elles peuvent; cependant les créatures les plus rapprochées de lui , non par les lieux , mais par la ressemblance, participent plus abondamment à sa plénitude que les créatures d'un rang moindre, et celles qui les approchent à leur tour ressentent leur influence. Il en est ainsi de degré en degré jusqu'au dernier rang des êtres, en sorte que les inférieures sont soumises aux supérieures , que celles-ci gouvernent les autres et leur commandent , les plus élevées à celles d'un rang moyen, et celles d'un rang moyen aux dernières. Ainsi les anges du rang le plus haut exercent leur domination sur les anges d'un degré inférieur; ce qui est céleste l'exerce sur ce qui est terrestre , et la créature douée de raison sur la créature irraisonnable.
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Faisons l'homme à notre image, dit le Seigneur, et qu'il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre (1). Que toute âme, dit également l'Apôtre , soit soumise aux puissances supérieures (2). La nature divine est si élevée et tellement séparée de tout être créé, que les créatures du rang le plus bas ne peuvent soutenir ou recevoir son action que par des agents intermédiaires: Dieu est immuable en lui-même et il donne à tout le mouvement; il gouverne tout d'une manière ineffable, en sorte que rien n'est plus présent que lui en toutes choses et rien n'est plus incompréhensible.
2° Il n'a pas été donné encore à tous les hommes de pouvoir être instruits par Dieu même. Si donc les ignorants veulent ne point s'écarter de la voie divine, par laquelle ils doivent nécessairement marcher pour arriver à la gloire , il leur faut suivre la direction de ceux qui sont chargés de les instruire. Ainsi l'aveugle donne la main à son guide afin de ne pas tomber, de ne pas se heurter ou de ne pas s'écarter de son chemin.
3° L'homme en péchant n'a point voulu demeurer soumis à Dieu, et ainsi il a perdu la grâce en se livrant à l'orgueil. Il doit donc satisfaire sa justice en se soumettant à un homme à cause de Dieu , et se rendre digne par son humilité de recouvrer la grâce qu'il a perdue. Plus l'humiliation sera profonde , sincère et prompte, plus le recouvrement de la grâce sera facile et la récompense glorieuse. La grandeur de l'humiliation
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se juge par la difficulté de l'oeuvre imposée; la sincérité par la simplicité de l'intention et la promptitude par l'ardeur de l'action.
Il y a trois sortes d'obéissances : la première de nécessité, la seconde de cupidité, et la troisième de charité. Celui-là obéit par nécessité, qui le fait à contre-coeur et rentrerait volontiers en possession de sa liberté s'il le pouvait ou s'il l'osait. Telle est l'obéissance de l'âne, du serviteur pervers, etc. Il y a obéissance de cupidité quand, dans l'accomplissement de l'oeuvre imposée, on se propose une récompense terrestre, un avantage corporel , une consolation extérieure. Ainsi obéissent le chien, l'épervier, le mercenaire, etc. Mais plus l'obéissance a pour Principe les consolations ou les avantages terrestres, moins elle a de mérite devant Dieu. La première sorte d'obéissance a pour but de se soustraire à la peine qu'elle redoute si elle refuse d'agir; la seconde l'espérance d'arriver à obtenir l'objet de ses voeux , comme un présent, etc.
L'obéissance de charité a lieu quand on se soumet par amour pour Dieu à cause de Dieu , et à cause aussi de la récompense divine, en prenant le nom de charité dans un sens large où la crainte de la peine,
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le désir de la gloire céleste et le sentiment de l'amour se trouvent compris. La première de ces choses est le partage des commençants; la seconde, des hommes dans le progrès; la troisième, des parfaits.
On distingue encore cette vertu d'une autre manière. Il y a une obéissance générale, une autre plus générale et une autre sans réserve et universelle. De même il y en a une spéciale , une autre plus spéciale encore et une troisième tout-à-fait spéciale. L'obéissance générale est celle par laquelle tous les fidèles dans l'Eglise sont tenus communément d'obéir à leurs supérieurs , c'est-à-dire au Pape, aux Evêques et aux Pasteurs, dans les choses ordonnées par les canons et les lois promulguées pour tous les hommes. L'obéissance plus générale est celle en vertu de laquelle toute créature jouissant de la raison est obligée , en faisant usage de sa liberté, de conformer sa volonté propre à la volonté de son auteur. Ainsi ont dû obéir l'homme et l'ange. L'obéissance sans réserve et universelle est celle par laquelle toute créature obéit à son Créateur, soit par un mouvement propre de sa nature, comme les êtres privés de raison , soit par l'impulsion d'une puissance supérieure , comme les démons et les âmes perverses, dont la volonté est bien quelquefois opposée à la volonté de Dieu, mais qui ne peuvent cependant que ce que Dieu veut.
L'obéissance spéciale est celle par laquelle les clercs en particulier sont tenus d'obéir à leurs prélats dans les choses concernant leur office et se rapportant à l'ordre clérical , comme de vivre dans la continence ,
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de porter la tonsure et autres points statués dans les canons. L'obéissance plus spéciale est celle par laquelle une personne s'oblige, par un choix de sa volonté envers une personne déterminée ou un ordre religieux , à des observances limitées selon l'intention de celle qui s'engage , comme par exemple : Je promets d'obéir en ces choses et non en d'autres; pendant ce temps et non au-delà; ou encore dans les points déterminés par la règle et non point en dehors. Enfin l'obéissance tout-à-fait spéciale est celle par laquelle un homme s'engage à obéir sans exception à tout ce qui n'est point opposé au salut de son âme , ni à telle règle en particulier. Cette obéissance comprend la règle elle-même et ton t ce qui est commandé d'ailleurs; elle s'oblige à toutes les bonnes oeuvres non contraires à la raison et au pouvoir des supérieurs d'imposer. Au reste, personne ne peut être forcé à l'impossible ni à des actions irraisonnables, non plus qu'à ce qui est illicite.
Les degrés de l'obéissance, quant aux choses auxquelles elle s'étend, peuvent être aisément compris par ce qui précède : obéissance aux préceptes , obéissance à tout acte possible. Mais il nous faut examiner brièvement les degrés de cette vertu quant
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aux dispositions de celui qui obéit. Plus un homme s'élève dans l'obéissance, plus il se rend agréable à Dieu et plus aussi toute créature est prompte et empressée à accomplir sa volonté.
Le degré le plus bas de l'obéissance consiste à obéir par la crainte des supplices éternels. Ainsi agissent ceux qui se soumettent à leurs supérieurs dans les choses de précepte, et se montrent tièdes et négligents dans tout le reste, à moins toutefois que l'habitude générale ne les y force, que la honte des hommes ou l'appréhension d'un châtiment temporel ne les y entraîne. C'est assez pour de tels hommes de ne point tomber dans le péché mortel en désobéissant et de ne point encourir la damnation. Une telle disposition est très-dangereuse pour ceux qui ont embrassé la vie religieuse; car avant d'avoir discuté s'ils sont tenus à accomplir les divers ordres de leurs supérieurs, peut-être sont-ils déjà tombés dans les piéges d'une désobéissance mortelle , semblables en cela aux hommes qui s'approchent trop d'un précipice, et, en examinant avec imprudence ses profondeurs, s'y laissent entraîner tout-à-coup. C'est une folie d'entreprendre de disputer avec Dieu , comme si nous voulions le convaincre qu'il ne doit point regarder tel acte comme une faute mortelle, parce que nous en jugeons autrement. Le jugement de Dieu est la règle de son infaillible justice ; notre opinion , au contraire, que nous appelons notre conscience, est pleine de recoins ténébreux. Le rayon du soleil ne se replie jamais en semblables lieux , mais il a coutume
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d'aller droit à son but et d'éclairer tous les objets soumis à son action. Ainsi doit-il en être de nous dans la pratique de l'obéissance, qu'une chose nous paraisse commandée ou non; ne faisons jamais cette exception que nous ne voulons point y être obligés quand elle ne nous est pas imposée par ces mots : Je vous l'ordonne , ou en vertu de l'obéissance. Un religieux bien obéissant doit montrer autant d'empressement à exécuter ce qui lui est imposé simplement, lorsqu'il sait que telle est la volonté de son supérieur, que si celui-ci ajoutait, : Je vous le commande, je l'ordonne au nom de l'obéissance.
Le second degré de cette vertu consiste à accomplir volontairement les ordres reçus plutôt par l'espoir de la récompense que par la crainte des tourments. En ce degré l'homme ne dispute pas s'il est tenu ou non à obéir; peu lui importe : il sait qu'il acquiert des mérites pourvu que le mal ne lui soit pas commandé, alors même que la volonté de son supérieur ne serait pas droite, comme par exemple s'il lui imposait certains actes par haine contre lui , afin de le tourmenter; ou bien si le supérieur se proposait son propre avantage et non celui de son subordonné. Et même non-seulement une pareille manière d'agir ne saurait nuire à celui qui obéit , nais elle lui procure un double avantage : le mérite de l'obéissance et celui de la patience. De même que la bonne intention du supérieur et l'utilité de la chose commandée tournent au détriment de l'homme désobéissant, ainsi l'indiscrétion du même supérieur et ses ordres
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inconsidérés, pourvu qu'ils ne soient point contraires à la loi de Dieu, sont profitables au véritable obéissant. Si dans sa colère quelqu'un saisissant une poignée d'argent pour une pierre, la jetait dans le sein d'un pauvre , celui-ci ne s'indignerait pas d'une semblable colère ; mais il se réjouirait de posséder un argent acquis de la sorte.
Le troisième degré consiste à obéir par le seul amour de Dieu, non-seulement avec une volonté entière, mais encore avec joie; non-seulement dans les choses faciles, mais encore dans les choses difficiles et pénibles et même jusqu'à la mort. Ainsi Jésus-Christ est devenu obéissant pour nous jusqu'à la mort et la mort de la croix. Que les serviteurs de Dieu rougissent donc d'obéir à un tel Seigneur en vue du royaume céleste avec la lâcheté que nous remarquons en plusieurs. Voyez avec quelle patience les serviteurs des princes et des grands supportent à la guerre pour un prix médiocre et une récompense incertaine des fatigues sans nombre, des dangers, des privations de toutes sortes, et même des injures et des coups de la part de leurs maîtres; comment ils se soumettent avec empressement à de longs voyages pour leurs services. Ils ne renvoient pas au lendemain; ils n'apportent point la négligence la plus légère dans l'exécution de leurs ordres; ils ne prétextent ni la difficulté ni les périls du chemin; ils ne conviennent pas à l'avance d'un prix pour tel travail ; mais ils agissent incertains de la récompense , uniquement appuyés sur l'espérance et en se glorifiant
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d'avoir été choisis de préférence aux autres serviteurs de la maison. Voyez avec quelle attention ils observent en quoi ils peuvent servir leurs maîtres et leur être agréables : à peine ont-ils reçu leurs ordres, à peine ont-ils remarqué le moindre signe de leurs yeux qu'ils s'élancent et se précipitent afin de répondre à leurs désirs. Remarquez avec combien davidité ils écoutent ce qui peut leur plaire , ce qu'ils peuvent vouloir. Sans doute l'obéissance des serviteurs de Dieu tire sa perfection intérieure de l'intensité de l'amour; mais quant à ses effets, celui-là semble plus parfait qui montre à accomplir tous les ordres de son supérieur le même empressement et le même courage que nous admirons dans les serviteurs des grands. Ainsi nous lisons dans la vie de saint
François
que ses premiers compagnons étaient non-seulement prompts à accomplir les ordres reçus de leur bienheureux Père, mais qu'ils s'appliquaient avec le plus grand soin à prévenir ses moindres désirs aussitôt qu'un faible indice les leur faisait connaître, et c'est de la sorte que lui-même les avait formés à l'obéissance. Inspiré par cette vertu, Abraham a obéi non-seulement en sortant de sou pays et en demeurant voyageur sur une terre étrangère , mais encore en se montrant prêt à immoler Isaac , son fils (1). De même les apôtres , les martyrs et les autres saints se sont exposés à des travaux sans nombre, aux dangers, aux persécutions et enfin à la mort pour Jésus-Christ, selon que le Seigneur l'avait annoncé d'une manière si spéciale quand il
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dit : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, qu'il se charge de sa croix et me suive (1). Qu'il se renonce donc , celui qui refuse de s'appartenir à l'avenir et se soumet à la volonté d'un autre à cause de Jésus-Christ; qu'il se souvienne que le Seigneur n'est pas venu faire sa volonté propre , mais la volonté de son Père (2).
Le mépris des richesses est opposé à l'amour des biens temporels. On donne quelquefois à un tel mépris le nom de pauvreté d'esprit. Il y a des hommes pauvres en réalité et non desprit , comme les indigents dans le monde : ils seraient heureux d'arriver à la fortune, mais ils ne le peuvent. D'autres sont pauvres en esprit et non en réalité , comme ceux qui possèdent des richesses non par affection pour elles , mais par amour pour Dieu , afin d'étendre son culte et de défendre ses pauvres, ou par amour pour Jésus-Christ , afin de soulager les besoins du prochain : tels furent Abraham, David, Job, Loth, Josias et autres. Ceux-là sont encore pauvres d'esprit qui acceptent des dignités et des gouvernements par obéissance , comme le pape saint Grégoire et d'autres saints évêques. Ils avaient choisi d'être pauvres; mais par l'ordre du Ciel il en
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arriva autrement. Ils furent établis de préférence à d'autres pour être les princes de la terre et les dispensateurs des biens de l'Eglise. Cependant ils ne renoncèrent pas à leur dessein d'observer la pauvreté, et cette vertu fut d'autant plus cligne lie louange en eux que les richesses ne purent les séparer de son amour. D'autres enfin sont pauvres d'esprit et de biens; ils n'ont rien et ne veulent rien avoir, alors qu'ils le pourraient aisément et sans péché. Ces hommes sont d'autant plus heureux qu'ils sont plus éloignés des piéges de la cupidité. Ils sont de deux sortes : les premiers ne possèdent rien et font de nécessité vertu , en renonçant ii la volonté d'avoir quand même ils le pourraient. Les seconds ont pu avoir les richesses de ce monde , ou même ils les ont eues; nuis ils les ont rejetées et ils renoncent à les avoir désormais à cause de Dieu.
Il y a un double mépris des richesses. Le premier consiste à les répandre libéralement sur les pauvres en pratiquant les oeuvres de miséricorde , et à les consacrer généreusement au culte de Dieu. Ainsi ont agi les rois saints et d'autres riches qui ont fourni aux besoins d'une foule d'indigents et édifié des monastères et des églises. Le second réside dans le mépris parfait
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des richesses, comme firent les saints en pratiquant la mendicité et en souffrant le manque de tout. Ainsi vécurent notre père saint
François
, saint Dominique et autres imitateurs de Jésus-Christ épris du désir de la perfection évangélique renfermée en cette parole du Sauveur : Si vous voulez être parfait, allez et vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres (1).
Quatre raisons nous portent à conseiller le mépris des richesses. La première, c'est que leur amour nous éloigne de l'amour de Dieu et du désir de la céleste patrie, selon cette parole de la vérité elle-même : Personne ne peut servir Dieu et l'argent (2) . Les richesses sont tirées des profondeurs de la terre, et par leur poids elles nous entraînent vers ce qu'il y a de plus bas sur cette terre , dans les abîmes de l'enfer. Voilà pourquoi l'Apôtre a dit : Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piége du démon, et en divers désirs inutiles et pernicieux qui précipitent les hommes dans la mort et la perdition (3).
La seconde raison , c'est que les richesses retardent nos progrès dans la vertu. De même qu'un homme
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chargé d'un lourd fardeau ne saurait courir bien vite, de même l'homme en proie aux sollicitudes mondaines est impuissant à faire des progrès rapides dans la vie spirituelle. Si donc vous voulez marcher d'un pas rapide vers la patrie , si vous désirez n'être point retenu au milieu des embûches tendues par les chasseurs, ne pas être saisi durant le voyage, ne pas retomber dans l'esclavage auquel vous avez échappé, n'être pas jeté de nouveau dans les fers, bannissez l'avarice , retirez votre pied de la cupidité entraînante des choses terrestres. Si les Juifs étaient lents à sortir de Babylone et à revenir à Jérusalem, c'est qu'ils avaient des enfants et des épouses, c'est qu'ils avaient acquis des biens dans la terre étrangère. Ainsi les religieux n'ont plus que des soupirs affaiblis pour le ciel quand ils ont commencé à étendre leurs possessions en ce monde.
La troisième raison d'un tel mépris , c'est le mérite plus abondant qui en résulte pour nous. Moins vous vous laisserez attirer vers les richesses temporelles , plus les richesses célestes vous seront données avec profusion dans la gloire éternelle. En effet , il est écrit : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient (1). Aussi le Fils de Dieu afin de nous donner l'exemple de la perfection n'a-t-il voulu rien posséder ici-bas : ni champs , ni maisons , ni revenu ; il s'est contenté dun vêtement , et encore avant de monter sur la croix a-t-il permis qu'on le lui enlevât, pour nous apprendre que renoncer
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à tout ne consiste pas seulement à ne vouloir rien avoir en propre , mais à tout donner de grand coeur aux pauvres , à souffrir avec patience la perte de nos biens , s'ils nous sont enlevés avec violence. Et même souvent il y a plus de mérite à supporter une telle perte, qu'à tout distribuer aux pauvres, car il est plus rare de voir se soumettre avec une âme égale à des traitements si indignes qu'il ne l'est de se porter au bien de son propre mouvement. Or, comme les hommes vertueux doivent posséder les biens de ce monde uniquement ou avant tout pour faire du bien et les employer à acquérir la gloire éternelle ; comme même ils cesseraient d'être vertueux s'ils n'avaient un but pieux dans la recherche de ces biens et s'ils n'aimaient point la créature en vue du Créateur, il leur faut donc se réjouir lorsque des revers les privent de leur fortune , comme s'ils l'avaient employée en saintes dépenses , bien persuadés que le malheur accepté avec une patience semblable produira pour le ciel des fruits aussi abondants que les aumônes les plus charitables. Ainsi le marchand aime d'un même amour les marchandises dont il espère un gain égal. Chercher les richesses pour en faire un usage pervers, pour les consacrer aux vanités, aux plaisirs sensuels, aux concupiscences des yeux , c'est une impiété , c'est employer le bienfait de notre Créateur généreux à déverser sur lui-même le mépris et l'outrage. Les poursuivre avec ardeur pour les garder accumulées en sa maison , c'est une folie : autant vaudrait un monceau de pierres , si l'or et l'argent doivent demeurer inutiles.
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Le quatrième motif , c'est que les biens temporels sont réellement méprisables à plusieurs titres. D'abord leur nature les rend tels. Qu'y a-t-il , en effet , parmi tous les éléments , de plus ignoble que la terre?
Ils sont ensuite d'une faible nécessité. Une nourriture modique , le vêtement et un toit , c'est assez pour les besoins de l'homme ; tout le reste est superflu. Ces biens sont nuisibles à beaucoup et l'occasion de leur damnation éternelle. Ils exposent à l'envie, et elle emploie les moyens les plus divers pour les ravir à leurs possesseurs. On ne les acquiert et on ne les conserve qu'au prix de grands travaux et de nombreuses sollicitudes , si ce n'est au péril de la vie. Ils ne sauraient rassasier nos désirs , et plus ils sont considérables , plus ils irritent notre soif. Ils sont communs aux bons et aux méchants , et ainsi leur abondance ne rend pas plus heureux ; souvent même elle plonge dans une amertume plus profonde, car elle est la cause de bien des maux. Ils ne doivent point demeurer longtemps avec l'homme. Quand même il les conserverait toute sa vie , la mort len séparera , et il ne peut rien emporter des choses de ce inonde que les mérites acquis ici-bas par un saint usage de ces mêmes choses. Le sage doit donc faire peu de cas de ce qui est aussi vil , peu s'agiter pour des biens d'une utilité si médiocre, fuir ce qui est si pernicieux répandre libéralement ce qui, conservé tombe en ruine, et distribué en aumônes porte des fruits nombreux.
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Le premier degré du mépris des richesses, c'est de ne vouloir posséder injustement aucun bien , soit qu'on l'ait acquis par soi-même, soit qu'il nous ait été donné ou laissé par les autres; de rendre à tous selon son pouvoir ce qui leur est dû , de faire l'aumône de ses biens légitimes , de ne point en abuser pour se livrer aux péchés de l'orgueil , de l'impureté , de la gourmandise , etc. Un homme peut posséder injustement de trois manières : d'abord en acquérant par lui-même à un titre nul, peu importe comment; ensuite en recevant ou en achetant sciemment d'un autre un objet sur lequel le vendeur ou le donataire n'a aucun droit ; et enfin en causant aux autres un tort injuste , quand même il n'en retirerait rien pour lui-même. Or, je suis tenu de restituer au prochain selon toute l'étendue de ses droits et la nullité des miens. C'est pourquoi lorsqu'on doit plus à une personne connue qu'on ne possède, si l'on fait gratuitement à une autre des présents propres à nous empêcher de payer, cette dernière est obligée de rendre tout ce qu'elle a reçu , car celui qui a donné l'a fait en se servant du bien du prochain.
Le second degré, c'est de ne souffrir rien de superflu, mais de se contenter du pur nécessaire dans la nourriture,
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les vêtements , le logement , le ménage , les serviteurs , de faire part du reste aux pauvres , ou de ne pas accepter ce qui est offert , et de ne point acquérir au-delà de ses besoins. Donnez l'aumône de ce qui vous reste, dit le Seigneur, et toutes choses seront pures pour vous (1). Ainsi les moines de l'Egypte et d'ailleurs prenaient sur leur travail la nourriture et le vêtement, et distribuaient le surplus aux pauvres , selon cette parole de l'Apôtre : Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons nous en contenter (2). Mais pour ne point dépasser les bornes en ce point, il faut nous souvenir qu'il y a une double suffisance : l'une de rigueur et de miséricorde, et l'autre de concupiscence. La première est celle qui se borne à sustenter le corps et à le rendre capable de servir Dieu. La nature elle-même nous l'enseigne. Nous voyons les animaux privés de raison s'y conformer, et même les plantes se contentent des sucs dont elles ont besoin et ne demandent rien de plus. Mais la suffisance de concupiscence dépasse la mesure naturelle et ne connaît de limites que l'impossibilité: elle ne renonce qu'à ce qu'elle n'a plus l'espoir d'obtenir. Le riche avare de l'Evangile voyant ses récoltes abondantes ne dit pas : « Je suis riche et rien ne me manque ; je n'ai plus rien à désirer , car je ne sais où loger mes richesses ; » mais il pense à détruire ses anciens greniers et à en faire de plus grands (3). Ces premiers greniers sont les besoins rigoureux de notre corps; il faut peu de chose pour les remplir ; mais
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l'avare les détruit , il lui en faut de plus considérables pour sa concupiscence et ses superfluités , et ceux-là ne se remplissent jamais. Lorsqu'il commence à avoir des provisions nombreuses , il se dispose à en amasser de plus considérables encore; ce qu'il a est insuffisant s'il ne l'augmente de jour en jour ; et ainsi il marche sans s'arrêter. Le coeur de l'avare est comme un abîme sans fond : plus on lui donne, plus il engloutit , et jamais il ne semble se remplir. L'avare, dit l'Ecriture, n'a jamais assez d'argent (1).
Le troisième degré est de ne vouloir rien posséder en ce monde et de se soumettre pour Dieu à de grandes privations en tous ses besoins. C'est là le remède le plus efficace contre l'avarice. Semblable à un feu dévorant , ce vice ne dit jamais : c'est assez ; et ainsi l'on ne saurait mieux l'éteindre qu'en lui retranchant sans réserve l'aliment des biens temporels. Jésus-Christ lui-même , le vrai médecin des âmes , nous a enseigné ce remède. Il a tenu en tout cette voie qui est la plus propre à nous instruire des vertus et à guérir nos vices. Les richesses , les honneurs mondains et les voluptés de la chair sont en effet les plus graves obstacles à la sainteté , et le Maître des vertus, Notre-Seigneur, a appris par son exemple à ses disciples à les éviter. Si vous voulez être parfait, a-t-il dit, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, venez ensuite et suivez-moi (2). C'est là cette pauvreté sublime dont parle l'Apôtre , cette pauvreté des premiers saints qui dans l'Eglise abandonnèrent
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toutes choses pour Dieu. A elle viennent se joindre des vertus sans nombre , à elle sont attachés des dons innombrables : mais bien peu savent les posséder. Beaucoup , il est vrai , n'ont rien en ce monde , mais ils sont rares ceux qui dans la vie religieuse ne désirent pas avoir plus , soit pour eux , soit pour les autres. Du reste , ce qui est meilleur est par là même plus rare sur cette terre. Le religieux plein de sollicitude pour les choses temporelles s'y plonge tout entier; celui qui laisse à d'autres un semblable soin, leur en abandonne les embarras , mais celui qui se repose en Dieu de tous ses besoins et de toutes ses inquiétudes , Dieu lui-même devient son pourvoyeur. Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, dit Jésus-Christ , et toutes ces choses, les choses nécessaires à votre existence, vous seront données par surcroît (1). Le Seigneur veut nous donner les biens du ciel par un bienfait de sa grâce; pourquoi donc ne pas espérer de lui les biens temporels, des biens d'une si médiocre importance? Il nous accordera, soyons-en sûrs, ce qui nous est nécessaire , autant qu'il le jugera avantageux pour nous , ou bien nous recevrons de lui les forces corporelles suffisantes pour résister à la détresse , ou encore il fera goûter à notre âme des consolations supérieures à toute satisfaction de la chair , et de plus il nous donnera une récompense céleste.
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La sobriété est une vertu qui nous fait user aNec modération des choses destinées à sustenter le corps tels sont les aliments et le sommeil. On entend en général par cette vertu le retranchement de toute superfluité et de toute intempérance de corps et d'esprit. Ainsi l'on dit : un esprit sobre . des sens pleins de sobriété. Mais considérée seulement au point de vue des aliments corporels , on l'appelle réserve , abstinence , et elle est opposée au vice de la gourmandise , qui est la satisfaction du ventre. Or, il y a une sobriété médicinale , une d'avarice , une d'hypocrisie , une de pauvreté et une de religion. La sobriété médicinale est celle qui a lieu pour conserver on recouvrer la santé du corps ; la sobriété d'avarice, celle qui se propose d'éviter la dépense; la sobriété d'hypocrisie , celle qui cherche les louanges des hommes; la sobriété de pauvreté, celle qui est causée par l'insuffisance des moyens; et enfin la sobriété de religion , celle qui a pour but d'arriver à la vertu , de détruire le vice , de faire pénitence , d'édifier le prochain , de mériter la gloire , d'éclairer notre intelligence , d'acquérir la sagesse. De même que le verre une lois couvert de houe ne transmet plus la lumière, de même notre intelligence accablée par la nourriture tombe dans
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l'obscurité comme nous en faisons souvent l'expérience.
La sobriété, comme toute autre vertu, est méritoire lorsque Dieu est sa cause première et son modèle , c'est-à-dire , lorsqu'elle agit principalement à cause de Dieu et selon Dieu. De même que Dieu dans le gouvernement du monde ne déploie ni plus ni moins de diligence qu'il ne faut, tandis qu'il s'occupe sans réserve des choses du ciel , s'il nous est permis de nous exprimer ainsi , de même l'homme à qui le soin de gouverner le petit monde , c'est-à-dire son corps, a été confié , doit pourvoir avec prudence à sa tâche, soit en ne le laissant point manquer, autant qu'il est possible , des objets nécessaires à sa conservation , soit en lui retranchant le superflu. De la sorte il l'empêchera de tomber de privation ou de fatigue avant le temps , et aussi de se révolter au sein de l'abondance et du repos. Mais toute son attention doit être appliquée sans mesure au bien le plus excellent; elle doit s'exercer à faire avancer l'àmc dans la connaissance et l'amour de Dieu et dans les diverses pratiques propres à l'élever davantage et à la diriger sûrement. Lame, en effet , n'a pas été créée pour le corps ; mais le corps a été donné à filme pour la servir et l'aider en cet avancement. Elle a revu l'existence à cause de Dieu , afin de s'attacher à lui , de jouir de ses douceurs en cette union et d'être heureuse en goûtant un pareil bonheur.
A Dieu seul il appartient de détruire et de donner la mort , comme à lui seul il appartient de créer et de
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vivifier. Ainsi il ne nous est point libre sans sa per-mission de concourir à la destruction d'aucun des êtres formés par lui. Il nous a donné le droit de mort sur les créatures privées de raison, mais nous ne pouvons l'exercer sans un juste motif. Il nous a défendit d'étendre de la sorte notre empire sur les êtres doués de raison , c'est-à-dire sur les hommes , en dehors des lois établies par lui. Aussi les juges , en condamnant les malfaiteurs à mort selon les lois divines , agissent-ils en vertu de l'autorité de Dieu et non de la leur propre, car c'est lui qui a décrété que quiconque aurait commis tel crime serait puni de telle peine. Mais si nul n'a le droit de tuer un autre , nul n'a davantage le droit de se tuer soi-même : personne n'est tenu d'avoir plus d'amour pour le prochain que pour soi. Or, celui-là se donne la mort , qui , ruinant ses forces par une abstinence et des fatigues indiscrètes, est forcé de tomber avant le temps. Seulement la ferveur de la dévotion ou la simplicité en peut rendre plusieurs excusables. Saint Paul a écrit : Que votre obéissance soit conforme à la raison (1).
La sobriété s'étend à trois choses : la qualité et la quantité des aliments , et en même temps la manière de les prendre. Pour la qualité elle demande qu'ils ne
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soient ni délicats, ni d'un grand prix , ni recherchés, mais simples, propres à sustenter la nature et non à exciter la gourmandise, et faciles à avoir. Pour la quantité, elle défend de les prendre avec excès et plus souvent qu'il ne convient ; elle exige la modération: le corps a besoin d'être nourri et non chargé. Mais les malades sont exempts de ces deux premières lois. Le mode exige qu'on ne réclame point la nourriture avec importunité et qu'on ne mange point avec trop d'ardeur, sans observer ni la discipline ni le bon ordre, mais avec modestie , gravité et religion , comme nous l'avons enseigné dans notre précédent traité composé en faveur des novices. En agissant ainsi nous trouvons aux aliments plus de saveur; on les prend avec plus de joie; ils réparent nos forces d'une façon plus salutaire; l'estomac en est moins chargé; ils sont plus faciles à digérer ; on pèche moins en les prenant et l'on se conforme mieux aux règles de l'honnêteté et de la piété.
La sobriété nous offre encore les avantages dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Elle nous aide à satisfaire pour nos péchés : nous avons péché en accordant au corps ses désirs , et par cette vertu nous lui infligeons des châtiments. Elle réprime les écarts de la chair qui, engraissée , est devenue insolente et rebelle, tandis que la mortification lui apprend à obéir à l'esprit. De là cette parole de l'Apôtre (1) : Je châtie mon corps et je le réduis en servitude. Elle est utile même à la sauté du corps : elle en dissipe les humeurs
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nuisibles que les excès et un repus inutile ont coutume de produire. Elle nous délivre des sollicitudes terrestres. En effet , l'homme accoutumé à se contenter de peu, n'a pas à s'inquiéter d'une multitude de choses. Elle nous rend propres à beaucoup de vertus : celui qui est sobre est plus agile dans le bien et plus chaste ; il a moins de sujets d'être envieux ; il est plus attentif à veiller sur sa langue , plus prompt à se porter à la dévotion , plus pur dans son désir d'acquérir la sagesse; ses sens sont plus vigilants et plus subtiles; sa mémoire devient plus ferme et plus stable.
La sobriété sert aussi à l'édification des autres : en nous voyant si réglés et si modérés extérieurement , ils jugent que nos qualités intérieures cachées à leurs yeux sont dignes d'estime. Ensuite lorsqu'ils nous admettent à leur table ils sont moins embarrassés, car ils savent que nous nous contentons de peu et qu'il leur sera facile de nous satisfaire. Cette vertu nous empêche de nuire aux autres mendiants : plus on demande , moins il reste à donner aux autres. C'est une espèce de vol remarqué par un bien petit nombre d'hommes, que de mendier au-delà de son besoin véritable. D'autres plus pauvres en souffrent : ils viennent après nous , et ne trouvent plus ce que nous leur avons ravi. Enfin elle nous fait amasser des mérites pour la gloire, tant par elle-même que par les vertus dont elle est accompagnée : car plus nous nous éloignerons des, jouissances de la chair, plus noies recevrons avec abondance les délices de l'esprit et plus aussi nous serons comblés de félicités célestes.
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Le premier degré de la sobriété peut être de se tenir en garde contre l'ivrognerie et l'ivresse , et d'observer pour ses repas les heures et les moments convenables si l'on ne veut point enfreindre à la légère les jeûnes établis , demeurer indignement occupé à boire et à manger à toute heure , et chercher plutôt à satisfaire les inclinations perverses de la chair que les besoins de la nature. Malheur à la terre dont le roi est un enfant, dit Salomon , et dont les princes mangent dès le matin (1)! L'animal , qui ne connaît que les exigences de son ventre , conserve en buvant et en mangeant une mesure conforme aux règles de sa nature; ainsi doit agir l'homme qui a reçu la raison pour se conduire. Mieux vaudrait pour lui en être privé que de ne point se laisser guider par elle , car dans le premier cas il serait exempt de péché.
Le second degré peut consister à s'abstenir de choses permises , comme de viande , de vin , etc., et à se contenter d'une nourriture grossière , comme d'un pain commun , de ragoûts non assaisonnés; ou bien de jeûner souvent , de se priver de mets savoureux et de ce qui nous flatte le plus. Ainsi ont coutume d'agir les religieux , les hommes pieux et pénitents.
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Il est bon, écrit l'Apôtre (1), de ne point manger de chair et de ne point boire de vin, comme le faisaient les Nazaréens et les enfants de Réchab (2). Je ne mangerai, dit Daniel , d'aucun pain agréable au goût, et ni chair ni vin n'entrera dans ma bouche (3).
Le troisième degré, c'est d'avoir tellement dompté la gourmandise et soumis notre palais que nous en soyons arrivés à nous borner aux choses suffisantes à nos besoins extrêmes quant à la quantité et la qualité des aliments , à aimer d'autant plus notre nourriture qu'elle est plus simple, et si quelquefois il nous faut en accepter une plus délicate , à ne pas chercher en elle notre plaisir, mais uniquement le soutien nécessaire de notre corps. Ne prenez pus de votre chair un soin qui aille jusqu'à satisfaire ses désirs (4).
On peut distinguer d'une autre manière les degrés de l'abstinence ou de la sobriété. Ainsi le premier degré consiste à souffrir avec patience d'être privé d'aliments délicats , et à ne point s'attrister lorsqu'on n'a point ce qu'on désire, comme nous voyons certains hommes, s'ils manquent de quelque chose à table , s'affliger, s'indigner, murmurer, rejeter toute modestie,
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oublier leur profession et ne point se souvenir que, si les riches eux-mêmes dans le siècle n'ont pas toujours selon leur volonté , à plus forte raison des pauvres et des mendiants doivent s'attendre à pareil mécompte.
Le second degré consiste à se priver volontairement pour Dieu et par amour de la sobriété , de la pauvreté et du bon exemple , des choses mêmes qu'il est en notre pouvoir d'avoir. Ainsi les bons et fidèles serviteurs de Dieu passent souvent les maisons des riches dans leurs voyages et vont demander l'hospitalité à celle du pauvre; ils refusent les mets délicats et se contentent des plus simples et encore en faible quantité , afin de témoigner leur amour an Seigneur et d'édifier le prochain. Tout m'est permis, dit l'Apôtre, mais tout n'édifie pas (1). Sans doute l'Evangile autorise à manger ce qui est servi ; mais il y a pour les autres plus d'édification à ne pas nous laisser servir d'aliments succulents et variés. Si une hospitalité généreuse convient à ceux qui nous reçoivent, la frugalité religieuse nous convient également , ou plutôt il nous appartient de défendre cette vertu avec plus de zèle que les hommes du monde n'en mettent à nous donner des preuves de leur honnêteté en voulant nous servir avec abondance. Quand même ils semblent s'attrister momentanément que nous ne leur permettions pas de satisfaire leur bonne volonté à notre égard , cependant en eux-mêmes ils sont édifiés de notre tempérance : une autre fois ils nous reçoivent avec d'autant plus
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de joie que nous leur sommes moins à la charge, et là où d'abord nous avons trouvé peu de personnes disposées à nous accorder l'hospitalité, nous en trouverons un grand nombre ensuite quand on comprendra que l'on peut nous traiter aisément comme des pauvres.
Le troisième degré, c'est de savoir s'abstenir sans difficulté des mets délicats à notre disposition, ou se borner à en user dans la juste limite de nos besoins, non par amour du plaisir mais uniquement pour sustenter la nature. Sans cloute il y a une grande vertu de pauvreté à ne point avoir ce que l'on désire; mais il y a une abstinence plus forte à pouvoir se priver de l'usage et des délices d'un plaisir présent , que de ne le point désirer quand il est éloigné. Cependant il y a plus de sûreté à fuir les satisfactions de la chair; car souvent ceux-là ont été vaincus dans le combat, qui ont voulu marcher avec trop de sécurité. Ils s'étaient promis présomptueusement la victoire, et par leur défaite ils ont appris avec confusion qu'il y a folie à s'exposer aux dangers du combat, quand on peut aisément s'y soustraire. Il est plus facile de ne point être submergé en demeurant sur le rivage, qu'en se confiant aux flots de l'abîme.
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La vertu , nous devons le savoir, tient le milieu entre les vices et elle en est assiégée des deux côtés , à droite et à gauche, en sorte que si elle vient à s'écarter tant soit peu des sentiers de la discrétion, elle cesse d'être vertu. Ainsi, pour ne pas sortir de notre sujet, si l'abstinence passe les justes bornes du nécessaire et se jette dans le superflu, elle tombe dans le vice de la gourmandise. Si au contraire elle est trop restreinte, elle encourt le reproche de l'indiscrétion; elle détruit les forces du corps , elle éteint la vigueur de l'esprit , elle affaiblit la nature et néglige les biens qu'il était en son pouvoir de mériter; elle abrége la vie ou rait perdre la raison , et , si ensuite elle doit travailler à recouvrer ses forces , il lui faut apporter autant de zèle à environner le corps de bien-être et de douceurs , qu'elle en avait mis jusqu'alors à l'en priver imprudemment.
Il en est de même du mépris des richesses. Si l'on ramasse les biens temporels d'une manière irraisonnable , c'est de l'avarice. Si d'un autre côté on ne veut rien avoir pour son usage , une telle indiscrétion conduit à tuer la nature par la faim , le froid et la maladie. La patience , si elle s'éloigne à l'excès de tout mouvement opposé, tombe dans la langueur ;
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elle perd le zèle de la justice , elle laisse croître tant en elle-même que dans les autres les vices qu'il était de son devoir de poursuivre et de venger. L'humilité, en craignant trop de s'élever, s'abaisse outre-mesure et désespère d'accomplir son salut ou de faire le moindre progrès dans les voies spirituelles. La charité envers le prochain, en sortant des justes limites , nous rend favorables et même nous fait coopérer aux désirs des autres aux dépens de notre salut ou du leur, comme lorsqu'on devient parjure ou que l'on se rend coupables d'autres fautes par un semblable motif. Quelquefois l'empressement à faire le bien dissipe à un tel degré la paresse , qu'il éteint même le repos de la dévotion. La joie spirituelle , en se mettant en garde contre la langueur et la tristesse, va jusqu'à se jeter dans la dissolution et la vaine joie. La gravité, pour éviter les paroles oiseuses, en vient à taire au préjudice du prochain et au sien propre des choses avantageuses et nécessaires. L'obéissance, si elle n'est réglée par la discrétion, devient étrangère à sa volonté propre jusqu'à obéir au supérieur lorsqu'il ordonne le mal ; cependant il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes , et Dieu défend tout péché. Ainsi devons-nous juger des autres vertus.
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La vertu est si noble et si vénérable aux yeux de tout le monde; elle l'emporte tellement sur tout le reste que les hommes pervers eux-mêmes ont pour elle une estime singulière ; voilà pourquoi de temps à autre le vice veut se faire passer pour la vertu et se couvre de son manteau : de la sorte il se cache avec plus de sécurité , il évite les reproches et même il arrive jusqu'à obtenir les éloges dus uniquement à sa rivale. Ainsi voyons-nous quelquefois certains religieux apporter les précautions les plus grandes dans le mal et le défendre de tout leur pouvoir, comme ils feraient pour la vertu. La vraie vertu même leur déplaît dans les autres ; ils la méprisent de préférence au vice ; ils l'attaquent , déclarent coupable ce qui est véritablement bon , et proclament bon ce qui est criminel pourvu qu'il soit couvert du voile de la vertu. Par exemple : la pauvreté de l'esprit, ou autrement la pauvreté embrassée volontairement pour Jésus-Christ , est une vertu sublime et réelle; beaucoup de religieux en font profession , et cependant nous en voyons plusieurs, sous prétexte de nécessité, de religion et de convenance , soupirer après les richesses , comme l'argent, les domaines, les maisons, les vêtements, la bonne nourriture, les livres et autres choses
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regardées comme de vraies richesses. Ils ne peuvent se rassasier : quand ils auraient ce qu'ils désirent , si on leur offrait davantage , ils s'empresseraient d'accepter sans s'arrêter; car jamais ils ne diraient : « C'est assez; nous ne voulons rien de plus. » Ou bien , vivre économiquement et se contenter de peu , c'est pour certains religieux de l'avarice , et un amour des biens qui n'ose pas se servir de ce qu'il possède. Le silence prend le nom de tristesse ; la gravité n'est que de la mauvaise humeur; le zèle de la justice, une ardeur téméraire; le repos de la dévotion, de la paresse ; la mortification corporelle , de l'indiscrétion; la simplicité est regardée comme de la folie ; la crainte de Dieu est un vain scrupule de conscience; la fuite des agitations du dehors , une singularité ; l'attention à ne point donner de scandale, de l'hypocrisie.
Voilà comment la vertu est proscrite, comment la perversité en fait un crime. La joie dissolue , au contraire, est appelée une gaîté de bon ton ; la re-cherche dans les édifices , les livres et autres choses , c'est l'amour de ce qui convient; une conscience large est une sainte liberté; la délicatesse dans les soins du corps, de la discrétion ; le bavardage, de l'affabilité; l'envie contre ses frères, du zèle pour la justice; la dureté, le manque de pitié, un juste maintien de l'ordre; l'ardeur à acquérir, une prévoyance fidèle. L'astuce est jugée de la prudence ; s'exalter orgueilleusement , c'est relever son autorité ; aimer à disputer et à blâmer, c'est défendre son ordre; se
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vanter de ses bonnes oeuvres , c'est vouloir édifier le prochain: médire , c'est témoigner son aversion pour les vices des autres : se conformer aux mauvais exemples , c'est fuir la singularité. Une langueur pleine de négligence prétend au nom d'humilité , et la pusillanimité se vante de ne point aspirer à ce qui est trop élevé. Le besoin de courir çà et là cl, de se mêler en une multitude d'affaires veut passer pour de l'empressement à se porter aux bonnes oeuvres , et la prodigalité pour de la libéralité. Ainsi en est-il des autres vices.
Il faut donc se souvenir que la discrétion de l'esprit, choisit dans la vertu le chemin qui tient le milieu sans s'écarter ni à droite ni à gauche. Elle s'avance par la voie royale , évitant de donner au bien le nom du mal , et au mal le nom du bien , d'appeler ténèbres la lumière , et lumière les ténèbres. Elle veille attentivement à séparer le jour brillant de la vertu de la nuit des vices , et pour ne point se laisser séduire par l'ange de Satan apparaissant sous la forme d'un ange de lumière, elle distingue le vrai du faux et s'applique à retenir ce qui est bon.
La chasteté est fille de la sobriété et elle est nourrie par elle, comme la luxure l'est par la gourmandise. L'ardeur de la concupiscence est poussée au crime
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par l'abondance des aliments , et elle s'éteint lorsqu'elle en est privée : ainsi un ruisseau se dessèche lorsque la source destinée à l'entretenir est obstruée. Tous les maîtres de la vie spirituelle se sont donc accordés jusqu'à ce jour à donner la règle suivante : Celui qui désire être chaste , ont-ils dit, doit s'exercer à la sobriété. Sans elle la chasteté ne saurait être longe temps en sûreté; elle se fortifie avec elle , elle s'affaiblit sans elle. Plusieurs , appuyés sur je ne sais quel motif, se flattent , il est vrai , de garder l'une sans l'autre ; mais il faut attendre la lin pour chanter victoire. Pour moi , je ne saurais croire que tant de maîtres illustres de la vertu se soient trompés dans leur manière de voir après avoir suivi eux-mêmes la règle donnée à leurs disciples. Chacun devient habile seulement en son art, et les hommes appliqués à la recherche des vertus ont pu seuls se rendre expérimentés dans les moyens d'y parvenir. Mais pour les amateurs des délices et des richesses du monde, toute leur habileté peut consister à savoir posséder de telles choses. Aussi le Seigneur a-t-il dit de ces derniers : Les enfants du siècle sont plus sages dans la conduite de leurs affaires, que ne le sont les enfants de lumière (1).
La chasteté est une vertu d'origine céleste. Les saints anges l'ont apprise primitivement de la source de toutes les vertus, de Dieu lui-même , et l'ont gardée inviolablement. Notre Maître unique et suprême
Jésus-Christ Notre-Seigneur, l'a transportée de l'école
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du ciel sur la terre ; il l'a enseignée publiquement aux hommes, et après lui il a établi sa Mère glorieuse , la Vierge première et vraiment parfaite , il l'a établie , dis-je , sur la chaire de la pureté virginale pour être la maîtresse de cette vertu et offrir à notre imitation un modèle digne d'attirer nos regards.
La chasteté nous offre quatre avantages dans le temps présent. 1° Elle purifie notre corps, comme la luxure le souille. Quand cette vertu n'aurait point d'autre récompense à attendre que cette pureté, ni la luxure d'autre supplice à redouter que cette souillure, la beauté de l'une devrait nous porter à l'embrasser, et la honte de l'autre à l'avoir en horreur.
2° Elle rend notre esprit libre et dégagé d'une multitude de soins. Avec elle on n'a point à s'occuper de mariage ni de l'éducation des enfants; à s'inquiéter comment on vivra mutuellement en paix; à se tourmenter par des pensées de jalousie , par le désir de laisser des richesses à ses héritiers , d'établir ses enfants. On ne devient point l'esclave des siens ; mais on vit pour soi , on n'a de sollicitude que pour soi , on trouve uniquement en soi son repos. Les personnes engagées dans le mariage, au contraire, sont enchaînées par des soins sans nombre, et les faibles plaisirs qu'elles
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pourraient trouver ne sauraient compenser les agitations pénibles et diverses auxquelles elles sont en proie, agitations que l'Apôtre appelle la tribulation de la chair. Aussi écrit-il : Je désire vous voir dégagés de toute inquiétude (1).
3° La chasteté réjouit la conscience , en rendant agréable le service de Dieu à celui qui repousse les plaisirs de la chair, plaisirs regardés comme considérables par le inonde. Elle réjouit la conscience , car elle plaît à Dieu , elle apaise Dieu , elle fait approcher de Dieu , elle tient en garde contre l'offense de Dieu causée par les voluptés charnelles , elle mérite une récompense céleste , elle marche à la suite de Dieu , l'auteur de toute pureté, en l'imitant dans la conservation d'une telle vertu. Or, c'est pour nous un grand honneur de suivre le Seigneur qui nous a précédés dans la voie d'une chasteté parfaite, lui qui fut vierge, fils d'une vierge et est maintenant l'époux des vierges.
4° La chasteté nous rend dignes de l'amour et des regards des anges et des hommes : des hommes , parce que les bons et les méchants ont de la vénération pour cette vertu; des anges, parce que chacun aimant naturellement son semblable, les anges possesseurs de la chasteté doivent aimer d'une façon toute particulière les coeurs chastes.
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Si l'on désire acquérir la chasteté , faire des progrès et se maintenir dans ses voies , les moyens déjà indiqués comme remèdes contre la luxure nous seront d'un grand secours. Ces moyens sont : l'éloignement des personnes d'un sexe différent , et la société des personnes chastes , dont l'exemple nous servira d'enseignement ; la fuite des délices , qui nourrissent les inclinations perverses de la chair; la garde des sens extérieurs , pour ne point voir, ni entendre , ni toucher aucun objet capable de faire naître la tentation; le retranchement de l'oisiveté , qui est la porte de tous les vices et surtout des vices de la chair ; la vigilance sur ses pensées et les affections de son coeur : c'est par là que le serpent fait pénétrer sa tête empoisonnée; enfin une prière fréquente , afin d'obtenir de Dieu le secours contre toutes les attaques impures.
Les degrés de la chasteté se divisent de plusieurs manières. Il y a la chasteté conjugale , celle de la
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viduité et l'état virginal. Il y a aussi la chasteté d'action et la chasteté d'affection. Les uns sont chastes en leur corps et non en leur âme , et d'autres le sont en leur âme bien qu'engagés dans les liens du mariage.
Parlons maintenant des degrés de la chasteté selon que cette vertu convient aux religieux. Le premier consiste à s'abstenir de tout acte de la chair, avec la résolution bien arrêtée de toujours agir ainsi et de refuser son consentement à tout mouvement impur. Ce degré est voisin des voluptés terrestres et il sent encore la nouveauté de la conversion. Les vapeurs de la tentation charnelle arrivent jusqu'à lui , comme autrefois l'odeur impure de l'embrasement de Sodome arrivait aux personnes encore rapprochées de cette ville (1). Que le religieux plein du désir de ne point périr en regardant en arrière comme la femme de Loth se hâte donc d'atteindre la montagne ; qu'il s'efforce d'obtenir le degré le plus élevé de la chasteté s'il veut se sauver et ne point trouver la mort dans le crime de la cité , au milieu du péché de la luxure , oit tant d'hommes ont fini misérablement. En ce premier degré le combat est encore violent et la victoire incertaine
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La volonté seule aidée de la grâce est engagée contre des ennemis de quatre sortes : les ardeurs de la chair, l'entraînement des affections, les provocations du monde à se jeter dans le mal et les suggestions du démon. Ce sont donc quatre ennemis contre deux. Cependant que la bonne volonté soit pleine de confiance et s'attache fidèlement à celui qui a dit : Vous aurez à souffrir en ce monde, mais ayez confiance : j'ai vaincu le monde (1). Il a enchaîné le démon sous sa puissance, il lui a ravi ses dépouilles, il forcera nos ennemis à nous laisser en paix , il soumettra à notre empire nos persécuteurs, c'est-à-dire l'ardeur coupable de notre chair et l'entraînement déréglé de nos affections.
Le second degré a lieu quand , par la mortification du corps et autres exercices spirituels , la volonté est purifiée et la chair tellement soumise à l'esprit qu'elle ne tente plus que faiblement et à de rares intervalles de s'insurger contre lui. Sans doute la concupiscence n'a pas vu son aiguillon entièrement émoussé , il est encore en nous comme la pointe acérée d'une épine, le Jébuséen habite encore dans les limites de notre demeure; mais il y est affaibli et dans l'oppression ; ses mouvements sont faciles à comprimer ; un simple commandement plutôt qu'une lutte véritable suffit pour l'abaisser lorsqu'il veut relever la tête, à moins toutefois que notre négligence ou notre paresse ne lui permette de reprendre ses forces et de nous attaquer plus fortement. Le Seigneur menaça les enfants
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d'Israël d'un pareil malheur quand leur indolence les empêcha de détruire les ennemis qu'il leur avait lui-même assujetti s. Il refusa de les faire disparaître de devant eux, afin de les punir par où ils avaient péché. En effet , souvent dans la suite ils eurent à souffrir de graves tribulations de la part de ces ennemis; ils furent souvent vaincus par eux (1). Si nous opposions une résistance généreuse aux vices quand ils commencent à nous attaquer, non-seulement ils ne remporteraient jamais sur nous le moindre avantage , mais encore ils n'oseraient que rarement s'élever contre nous. S'ils en avaient la hardiesse ils seraient si facilement vaincus jusqu'à ce que leur ruine fût complète , que c'est à peine s'ils tenteraient de se montrer. Mais par notre résistance sans courage nous leur donnons des forces, nous les excitons à nous livrer des combats réitérés et violents.
Quelquefois cependant notre ennemi , après une défaite éclatante , demeure longtemps en repos et n'attaque plus de la même manière; il attend que nous ayons perdu l'habitude du combat. Alors il s'élance tout d'un coup et à l'improviste , afin de renverser avec d'autant plus de sécurité les imprudents , qu'il les aura trouvés moins préparés à résister. Ainsi voyons-nous à la guerre un ennemi saisir, pour se jeter sur son ennemi , le moment où celui-ci, ayant déposé ses armes après le combat , se prépare au repos et a laissé derrière lui les compagnons de sa victoire. Ainsi les ennemis de Juda choisirent le jour du sabbat pour
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l'attaquer. Ce jour-là le peuple demeurait sans rien faire , et de la sorte ils donnèrent la mort à une multitude de personnes. Soyons donc toujours prêts à résister courageusement à nos entremis. Ils ne renoncent jamais à nous attaquer, alors mente qu'ils semblent en repos : pour eux , c'est combattre que de suspendre l'action ; ils n'en viennent là ni par pitié ni par fatigue, mais par feinte et astuce. Voilà pourquoi Néhémie donnait aux juifs cet avertissement (1) : Nos ennemis se sont dit, en parlant de nous : qu'ils ne sachent point notre dessein, afin que lorsqu'ils n'y penseront pas, nous venions tout d'un coup au milieu d'eux les tailler en pièces. Ne vous fiez point à votre ennemi, dit le Sage , alors qu'en lui-même il ne songe qu'à vous tromper, quand même il prendrait un ton plus humble et cesserait de vous porter au mal, parce qu'il y a sept replis de perversité au fond de son coeur. Celui qui cache sa haine sous une apparence feinte, verra sa malice découverte (2).
Le troisième degré de chasteté consiste à avoir tellement vaincu les concupiscences de la chair, qu'on n'en ressente plus que très-rarement et très-faiblement les atteintes. On est arrivé en ce degré à un tel amour de la chasteté , qu'on a en horreur et en exécration tous les mouvements de la chair; on ne saurait les souffrir sans un dégoût profond , et l'on ne peut entendre parler de ses oeuvres sans éprouver un sentiment d'effroi et de répulsion violente. Si quelquefois il y a nécessité de traiter de pareilles choses pour
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instruire les autres , on le fait sans ressentir la plus légère atteinte , comme si l'on s'entretenait de boue , de pierres , etc. Le sommeil même est étranger aux vains fantômes de ce vice , et nos sens ne demeurent point souillés de ses délectations honteuses. C'est là la chasteté parfaite , la chasteté à laquelle bien peu et seulement les plus avancés arrivent dans ce corps de péché. Il faut , je crois , un privilège singulier de grâce pour demeurer stable et sans interruption en ce degré, car il me semble au-dessus de la possibilité naturelle de vivre en la chair sans avoir à souffrir les atteintes de la chair. Certains tempéraments, compte chez les vieillards et les infirmes , peuvent être étrangers à de pareilles choses ; mais communément la chasteté de l'esprit jointe à la pureté du corps ne saurait avoir son principe ailleurs que dans la vertu, ni exister sans la grâce de Dieu. Le Prophète regarde une pareille chose comme un prodige lorsqu'il dit : Venez et voyez les oeuvres du Seigneur, les prodiges qu'il a fait paraître sur la terre, en faisant cesser les combats des tentations charnelles jusqu'aux extrémités de la terre (1), jusqu'aux plus faibles mouvements de ces tentations. Ensuite il ajoute : Voici ce que le Seigneur nous dit : Cessez de vous inquiéter et voyez que c'est moi qui suis véritablement Dieu : je serai élevé au milieu des nations et exalté dans toute l'étendue de la terre. Cet éloignement de toute inquiétude signifie le repos , et cette exhortation à voir marque l'attention. En effet , quand les combats contre les
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vices sont assoupis et les ennemis domptés , l'esprit peut se reposer en lui-même s'appliquer à Dieu et comprendre que c'est le Seigneur qui a pu arrêter avec tant de puissance la violence des tentations et des vices , lui qui a voulu avec une tendre charité donner aux hommes de bonne volonté la paix si souvent promise par les Ecritures. Aussi a-t-il dit : J'établirai la paix dans l'étendue de votre pays; vous dormirez en repos, et il n'y aura personne qui vous inquiète. J'éloignerai de vous les bêtes capables de vous nuire (1).
Celui qui veut s'appliquer à Dieu doit nécessairement demeurer en repos et s'élever au-dessus de soi-même (2) : Il est bon, dit le Prophète , d'attendre dans le silence le salut que Dieu nous promet. L'homme demeurera solitaire et il se taira, parce qu'il s'est élevé au-dessus de lui-même. Je me suis éloigné par la fuite et je suis demeuré dans la solitude, et là j'attendais celui qui m'a sauvé de l'abattement de l'esprit et de la tempête (3). Notre esprit doit donc être en paix contre les concupiscences , les agitations et les occupations de ce monde. Ces trois choses , en effet , apportent le plus grand obstacle à notre vocation spirituelle. Celui qui ne désire rien sur la terre ni pour soi ni pour les siens , n'a plus de quoi se troubler, il ne craint de perdre ni les commodités, ni les honneurs, ni les biens. En se rendant étranger aux actions des autres, en refusant de les examiner avec une trop grande curiosité, de les juger témérairement, d'en occuper sa pensée et de s'en entretenir, l'homme peut
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se porter d'autant plus librement aux choses intérieures , qu'il s'est dégagé davantage de celles du dehors; car celui qui veut s'appliquer à ce qui est élevé , doit commencer par s'éloigner des embarras de la terre. L'oiseau dont les ailes sont liées ou coupées , ou imprégnées d'humidité , ne saurait s'élancer à travers les airs. Or, dans les choses spirituelles celles-là sont au-dessus de la terre, qui sont intérieures quant à l'expérience qu'on en fait en son âme.
Comme nous avons déjà parlé de l'avancement de la volonté quant à la vie active , avancement qui consiste dans une disposition bien réglée de nos affections, il nous reste à le considérer quant à la vie contemplative, et une semblable considération ne saurait paraître inutile aux hommes désireux de faire des progrès dans les voies de l'esprit.
Le premier degré d'avancement dans la contemplation pour un religieux , c'est le progrès dans la sagesse ; et cette sagesse embrasse la lumière de
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l'intelligence et la douce jouissance d'une suavité intérieure. Aussi le mot de sagesse signifie-t-il une science pleine de saveur. Nous avons dit plus haut que la perfection de la vie spirituelle consiste principalement en trois choses : l'illumination de la raison , la rectitude de la volonté et l'application de la mémoire aux choses de Dieu. La mémoire, si elle veut s'accoutumer à garder un souvenir non interrompu du Seigneur, doit apprendre à parcourir et à fréquenter cinq voies diverses : la lecture, les conférences spirituelles, la méditation sur Dieu , l'oraison et la contemplation. La lecture et les conférences sont bonnes ; elles sont comme la semence et le sujet de la méditation. Si donc vous désirez vous occuper dans vos méditations ou vos prières de tel ou tel sujet , ayez soin d'abord d'en remplir votre mémoire par de pieux entretiens , par des lectures et un travail en rapport avec ce sujet : le vase conservera l'odeur du parfum dont on l'aura rempli , et les herbes plantées dans le jardin de votre coeur vous donneront une semence semblable à elles-mêmes. Les conférences spirituelles éclairent l'intelligence , enflamment la volonté et rendent la mémoire féconde en bonnes et saintes pensées , tandis que les conversations oiseuses font perdre le temps sans rapporter aucun fruit, refroidissent le coeur, le remplissent d'imaginations inutiles , sont comme un ver rongeur pour la conscience, empêchent les progrès dans le bien, et rendent digue de châtiments. Que nos lectures soient telles qu'elles ne nous laissent dans l'oraison aucun souvenir frivole ; qu'elles soient
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propres à répandre en nous la connaissance de Dieu , à nous embraser de son amour, à nous former aux bonnes moeurs , à nous fortifier contre l'adversité, à nous inspirer l'amour de la patrie céleste, à nous apprendre à discerner le vice de la vertu, à nous faire vaincre la tentation , etc. Que la prière interrompe souvent notre lecture et nos autres actions, afin que notre âme soit sans cesse élevée à Dieu , où tout bien prend nécessairement sa source.
Notre intention agit quelquefois pour Dieu, ou bien elle se porte à Dieu, ou encore elle s'élance en Dieu. Elle agit pour Dieu quand nous l'avons pour but spécial en nos actions, alors que nous ne penserions pas à lui. Elle se porte vers Dieu dans la lecture et la méditation quand notre esprit est occupé de lui et que nous nous tenons en quelque sorte proches de lui, bien que nous ne dirigions pas sur lui le regard de notre esprit comme sur une personne avec laquelle on est en contact. Elle s'élance en Dieu dans la prière quand notre âme pense à lui , l'embrasse et s'attache à lui de toute l'ardeur de sa dévotion.
Maintenant , laquelle de ces trois manières nous est la plus avantageuse? Celle assurément qui nous unit plus intimement à Dieu, l'oraison, puisque toute la
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béatitude de l'homme consiste à se transformer en Dieu. Cependant les autres peuvent nous être quelquefois d'une utilité plus grande, comme lorsque, par obéissance ou par amour du prochain, on interrompt son oraison et l'on se porte aux uvres de miséricorde, ou bien lorsqu'on s'applique à connaître comment on peut se conformer davantage au bon vouloir de Dieu.
Il y a trois manières de prier : l'une vocale, en se servant de paroles préparées et en usage pour cela , comme les psaumes, les hymnes , les collectes et autres oraisons ou cantiques disposés pour exciter la dévotion et acquitter la dette de la prière. Or, en cette prière il y a une triple attention. La première est seulement superficielle et se borne à considérer ce que l'on dit , quel psaume , quelle antienne ou quelle oraison on récite. Le fruit d'une telle attention consiste à n'être point forcé de recommencer ce que l'on est assuré ainsi d'avoir dit. Elle a pour fruit ensuite la peine corporelle qu'elle a offerte à Dieu avec une bonne intention en s'astreignant à le servir; elle aura donc droit à une certaine récompense. La seconde attention est celle de la lettre; elle s'applique au sens littéral des mots, à ce qu'ils expriment en eux-mêmes. Cette attention produit un fruit véritable, car les mots
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renferment dans leur sens propre quelque chose de pieux. Ainsi , dans le psaume Miserere mei, Deus, et autres semblables, les hommes les moins intelligents trouvent quelques sentiments de dévotion en se bornant seulement à comprendre les mots. Mais en d'autres endroits, quand le sens ne s'accorde plus avec les paroles, la dévotion se refroidit. Par exemple : quelle affection retirer du sens littéral de ces versets : Vous conduisez les fontaines dans les vallées, et vous faites couler les eaux entre les montagnes, et autres versets écrits en ce psaume pour être entendus selon le sens spirituel (1) ?
La troisième sorte d'attention s'appelle intellectuelle, et elle a lieu quand, dans le chant des psaumes, on cherche le sens spirituel. Ainsi, l'histoire de la sortie de l'Égypte et le récit des plaies dont elle fut affligée figurent notre délivrance du péché et du siècle, ou l'anéantissement de nos fautes dans les larmes de la pénitence , les tourments des dénions , etc. On retire les fruits les plus abondants d'une telle attention ; elle instruit notre âme en lui donnant l'intelligence spirituelle des choses ; elle la remplit des sentiments d'une tendre dévotion, et c'est là le but principal de l'oraison.
La seconde manière de prier est souvent plus efficace et elle consiste en des paroles produites par notre propre ferveur, comme lorsque nous nous entretenons familièrement avec Dieu en parlant de notre propre fonds ou en nous servant des paroles d'un autre
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conformes à nos affections présentes. Ainsi nous répandons notre coeur devant Dieu , nous lui exposons nos besoins en gémissant , nous lui faisons l'aveu de nos fautes , nous implorons sa miséricorde , nous lui demandons sa grâce, nous le supplions de nous accorder son secours contre les périls de la tentation et les peines de la tribulation , nous lui exposons nos embarras et ceux des nôtres , etc. Cette sorte de prière recherche surtout les avantages de la solitude, du silence, du calme et du repos , afin de répandre avec plus de plénitude et de sécurité ses affections en Dieu. Elle exige aussi une plus grande fatigue de corps et de tête. C'est pourquoi elle ne peut être aussi fréquente ni aussi durable que la première , à moins que celle-ci ne se fasse avec l'attention intellectuelle dont nous avons parlé; elle ne peut être telle surtout pour les hommes dont les forces corporelles sont médiocres , et quelques-uns s'y appliquant sans discrétion ont ruiné leur santé. Ainsi , que les infirmes prient donc selon cette méthode souvent, brièvement et sans effort. La fréquence de leurs actes les entretiendra dans la familiarité de Dieu , et la brièveté jointe à l'absence d'efforts pénibles les empêchera d'agir aux dépens de leur propre vie.
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Selon les divers motifs qui nous inspirent, cette manière de prier fait naître en nous des affections diverses; elle varie les paroles en celui qui prie et re-présente celui à qui il s'adresse sous la forme de personnes différentes. Quelquefois l'homme n'est plus à ses propres yeux qu'un coupable; il est en présence de son Juge suprême dans la crainte et le tremblement ; il lui dit : Veuillez ne pas me condamner (1). N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, et autres supplications semblables. Nous faisons la même demande lorsque nous nous écrions : Délivrez-nous du mal, ou autrement de la damnation éternelle. D'autres fois assiégé par les tentations et les tribulations comme par autant d'ennemis , incapable de se soustraire par lui-même au danger, plein de la crainte d'avoir offensé Dieu et de s'être rendu digne par ses péchés de devenir la proie du démon, l'homme invoque le. secours divin en disant : « Ne vous souvenez pas de nos iniquités (2), ne me rejetez pas de devant votre face. » En dehors de la damnation éternelle Dieu ne saurait nous faire sentir plus sévèrement sa colère que de ne pas nous défendre contre les attaques du péché.
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Or, l'orgueil, l'ingratitude et l'insouciance habituelle méritent que le Seigneur nous laisse tomber plus profondément dans l'abîme. C'est pour prévenir un pareil malheur que nous faisons cette prière : Ne nous laissez point tomber en tentation, en la tentation du péché. On doit craindre , surtout dans le combat et sous le fardeau de la tribulation , d'être accablé par l'épreuve et de tomber enfin dans le crime. S'il en était autrement , une semblable peine , loin de nous effrayer, deviendrait l'objet de nos désirs ; car elle rendrait notre âme plus pure, et, supportée généreusement, elle serait pour nous l'occasion d'un plus grand mérite.
Une autre fois l'homme est dans la prière comme un serviteur qui , par ses fautes , a perdu la faveur de son maître. Il supplie Dieu de lui pardonner ses négligences et les péchés dont il s'est rendu coupable en omettant les choses imposées, en faisant des actions défendues, ou en montrant trop d'indolence à remplir ses devoirs, en s'en acquittant avec trop d'imperfection. Il s'écrie alors : Seigneur, détruisez mon iniquité selon la multitude de vos miséricordes. A cause de votre nom, Seigneur, vous deviendrez propice à mon péché, car il est bien grand (1). Cette demande se trouve renfermée en ces paroles : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. En effet, nous devons apporter à pardonner les fautes commises contre nous la même bénignité dont nous désirons voir Dieu user à notre égard.
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Quelquefois aussi nous nous tenons inclinés en présence du Seigneur comme le pauvre et le mendiant en présence du riche, nous lui découvrons notre détresse , nous lui demandons instamment de nous fortifier par une grâce plus abondante , de nous consoler et de nous sustenter afin de pouvoir résister au mal. Or, nous avons besoin d'être soutenus d'un triple pain , et nous devons sans nous lasser conjurer celui qui nous aime de nous le prêter ; nous avons besoin du pain du ciel, du pain spirituel, du pain matériel. Le pain céleste, c'est le corps de Jésus-Christ. Mon Père, dit le Sauveur, vous donne le vrai pain du ciel. Le pain spirituel , c'est la parole de Dieu et la grâce intérieure dont le but est de garantir notre âme de la ruine des vertus et de la rassasier de l'aliment des dons divins. Le pain matériel est la nourriture dont notre corps a besoin pour vivre ici-bas, car il ne saurait autrement apaiser sa soif et sa faim. Nous le demandons quand nous disons : Donnez-nous aujourd'hui le pain de chaque jour, ce pain sans lequel il nous est impossible de subsister un seul jour. En effet , la grâce de Dieu nous est nécessaire à toute heure , et il nous faut la demander pour chacune de nos entreprises.
Une autre fois encore l'homme est devant Dieu comme un fils plein du désir d'obéir et de plaire en tout à son père. Il le prie donc avec l'ardeur la plus vive de ne pas le laisser s'éloigner tant soit peu de ses moindres volontés , et de le rendre tellement semblable à lui-même en ses actions , son coeur, sa personne , en tout et partout, que rien en sa conduite
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ne blesse ses yeux paternels. La seule consolation de l'homme, le premier de ses voeux alors est que son. Père céleste accomplisse en lui sans réserve sa volonté, soit en l'exerçant par l'adversité, soit en le ranimant par la prospérité, soit en l'humiliant, soit en le traitant selon son bon plaisir. Elle est vraiment filiale et fidèle, cette affection qui ne cherche en rien son propre intérêt ni ses commodités, ni les honneurs, ni les consolations, mais uniquement le bon plaisir de notre tendre Père. Il est grand de demander à Dieu, il est grand d'obtenir de lui d'être tel en ce corps de péché, que l'on puisse être agréable à sa vérité suprême et ne jamais s'éloigner des sentiers de sa direction. Non , notre souverain Père ne saurait nous accorder rien de meilleur, rien de plus utile en ce monde que de nous rendre en tout dignes de ses regards. De là cette parole du Psaume : Je me suis réfugié vers vous, enseignez-moi à faire votre volonté (1). Nous adressons une semblable demande lorsque nous disons : Que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. De même que les habitants de la patrie céleste sont disposés à accomplir en tout votre bon vouloir, ainsi nous vous supplions de nous rendre obéissants ici-bas à vos moindres désirs selon la capacité de notre faiblesse.
En d'autres circonstances, l'âme se trouve dans la prière comme l'épouse de Dieu. Elle soupire après le moment oit il lui sera donné de se reposer en son unique Bien-Aimé; elle a une soif ardente de jouir des embrassements de celui dont l'amour lui a montré
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toutes les choses de ce monde connue viles et indignes. Elle n'espère point tempérer l'ardeur dont elle est dévorée ailleurs que là où elle pourra voir son Dieu face à l'ace et sans intermédiaire. Elle le demande donc sans délai, elle voudrait de toute l'étendue de ses désirs être délivrée , avec l'Apôtre bienheureux , des liens de son corps et être avec Jésus-Christ; c'est pour elle un bien incomparable que de jouir de la félicité de son Dieu et d'être à l'abri de toute atteinte du mal. Au reste , un tel voeu est plus agréable à la Vérité suprême que tous les progrès possibles en ce corps mortel ; car tant que nous sommes sur la terre, nous sommes éloignés du Seigneur, nous commettons bien des fautes , et si nous disions que nous sommes étrangers au péché , nous nous séduirions nous-mêmes, la vérité n'habiterait plus en nous (1). Le péché est un éloignement du bien suprême et une inclination vers le bien inférieur : autant nous nous éloignons du premier, autant nous nous rendons coupables , et celui qui s'en éloigne davantage , pèche plus grièvement , comme celui qui s'en éloigne moins, pèche moins. Cependant ne s'en éloigner en aucune façon n'est pas le propre des exilés de ce monde, mais des possesseurs de la patrie. L'intention de notre volonté s'attache sans doute de tout son pouvoir à ce bien suprême ; mais notre affection est souvent entraînée çà et là , notre mémoire embarrassée d'une multitude de choses , et notre intelligence en son aveuglement ne voit pas toujours sans nuage la lumière de la vérité. De là nous sommes
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poussés vers les choses inférieures , et nous tombons si la main du Seigneur ne nous soutient. Aussi le Prophète s'écriait-il en gémissant : Mon âme a soif du Dieu vivant; quand viendrai-je et apparaîtrai-je en présence du Seigneur (1). Et nous de notre côté nous adressons une semblable prière en ces paroles : Que votre règne arrive. C'est comme si nous disions : Nous sommes surchargés par le poids de notre corps et du péché et impuissants à voler avec agilité vers votre royaume. Qu'il nous arrive donc ce royaume; transportez-nous sans retard en cette terre, et que nous soyons délivrés de ses misères. Cependant en attendant ce jour, daignez établir votre règne en nous par la justice , la paix et la joie de l'Esprit-Saint.
Quelquefois encore l'homme est comme enivré en son esprit, il s'oublie lui-même dans la prière, s'attache à Dieu par amour , désire principalement voir sa gloire, son honneur et la connaissance de son nom s'étendre chez tous les hommes ; il prie son Père, tant pour son propre salut que pour celui des autres , de manifester à tous sa sainteté divine en appelant les infidèles à sa lumière par la foi, les fidèles à la grâce de la sanctification par l'ardeur de son amour, et les pécheurs à une conversion sincère par la crainte si avantageuse de sa souveraine puissance. Et comme s'il ne pouvait ou ne voulait sans les autres jouir de la céleste félicité , il brûle d'en entraîner un grand nombre avec lui , il s'efforce de les attirer par la prière , les exhortations , le bon exemple et autres moyens propres à
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procurer l'honneur de Dieu , le salut et l'avancement spirituel de ses frères. C'est dans ce sentiment que semblait être l'Apôtre quand il écrivait : Je suis dans une grande tristesse et mon coeur est en proie à une douleur continuelle, jusque-là que j'eusse désiré devenir anathème, à l'égard de Jésus-Christ, pour mes frères (1). Moïse semble avoir prié également dans le même sentiment quand il a dit à Dieu : Ou pardonnez cette faute à votre peuple, ou retranchez mon nom du livre que vous avez écrit vous-même (2). L'Apôtre ne désirait point être séparé de Jésus-Christ , ni Moïse retranché du livre du Seigneur ; mais ils montraient jusqu'à la dernière évidence l'ardeur dont ils étaient remplis pour le salut du prochain ; ils semblaient confesser qu'il y aurait pour eux un bonheur incomplet à être admis au banquet du ciel si les hommes , objets de leur amour et pour lesquels ils désiraient mourir, étaient condamnés à périr dans les angoisses de la faim loin d'un pareil banquet. Or, nous faisons une semblable prière dans cette demande : Que votre nom soit sanctifié; ou autrement : « Que la sainteté de votre nom brille à nos yeux avec un éclat plus vif, afin que nous puissions vous connaître , vous aimer, vous vénérer d'une manière plus parfaite , et nous rendre semblables à vous , comme des enfants à leur père, en nous revêtant de votre sainteté; afin que nous devenions un même esprit avec vous en nous transformant en votre clarté. »
Jésus-Christ nous a enseigné lui-même il prier ainsi,
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et en ces sept demandes il a renfermé tout ce que nous pouvons désirer, il a compris les sentiments de toute prière, connue chacun de nous peut le reconnaître en méditant avec soin l'oraison dominicale. Il a observé un ordre de dignité dans le rang donné à ces diverses demandes , et il a placé les premières celles dont nous venons de parler en dernier lieu. Que pourrait-on demander de plus que d'être délivré du mal de la damnation éternelle , d'être gardé contre les dangers de la tribulation présente , de recevoir le pardon de ses fautes, de croître dans la grâce et d'en être tout pénétré , de vivre selon la volonté de Dieu, d'obtenir son royaume, de voir son nom en honneur chez tous les hommes , sa sainteté connue de tous et devenir une règle de conduite pour tous soit en particulier, soit en général, et sans distinction ?
L'objet de nos prières se rapporte à une ou à plusieurs choses, car tantôt nous avons un seul but, tantôt nous nous en proposons deux ou plusieurs en même temps. Nous agissons en cela comme les hommes admis devant les princes de la terre ont coutume de faire. Afin de rendre leurs demandes plus efficaces, on les voit tantôt exalter la clémence de ceux qu'ils invoquent , tantôt dérouler leurs propres misères afin d'exciter plus promptement la compassion , tantôt accuser les fraudes et les perversités de leurs ennemis afin d'obtenir un secours contre leur haine. Ainsi devons-nous faire dans nos prières en présence du Seigneur, comme nous l'apprenons dans les enseignements de la sainte Ecriture.
La prière prise dans un sens large en tant qu'elle est une pieuse application de notre âme à Dieu , la prière, dis-je , est de deux sortes : l'action de grâces et les louanges. L'action de grâces consiste à sentir les dons reçus de Dieu et à l'en louer en notre coeur, en nos paroles et en nos actions. Nous rendons grâces lorsque nous attribuons à la grâce du Seigneur et non à nos propres mérites les biens dont il nous a comblés. Louer Dieu , c'est comprendre qu'il est digne de louange et exalter sa magnificence avec allégresse et admiration , soit pour ce qu'il est en lui-même , soit pour les oeuvres de ses mains.
Nous rendons grâces à Dieu lorsque nous célébrons sa bonté à cause des bienfaits dont nous sommes l'objet et dont la source est en lui-même. Ainsi l'action de grâces consiste à se rappeler soigneusement ces mêmes bienfaits , à les comprendre intimement , à les confesser fidèlement , à les conserver précieusement , à aimer notre bienfaiteur, à se garder de l'offenser, à ne point négliger nonchalamment la grâce dont il
nous a favorisés , comme ce serviteur paresseux qui cache l'argent de son maître , mais à la faire fructifier selon ses intentions et à ne pas nous en élever ni en devenir plus fiers. Or, sept considérations différentes
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nous portent à offrir des actions de grâces au Seigneur. Les trois premières roulent sur le bienfait reçu , deux autres sur le bienfaiteur lui-même , et les deux dernières sur celui qui est l'objet du bienfait.
Un bienfait mérite d'être exalté s'il est excellent et précieux en lui-même, s'il est utile à celui qui le reçoit, s'il est varié et souvent réitéré. Dans le bienfaiteur, deux choses attirent notre considération : sa haute dignité et l'affection sans bornes avec laquelle il donne ses faveurs. Dans celui qui est l'objet du bienfait , il faut regarder s'il est vil et méprisable, s'il est indigne et sans mérite , c'est-à-dire si non-seulement il ne mérite pas de recevoir un tel don de telle personne , mais encore si vis-à-vis de cette personne il s'est rendu digne de tout le contraire. Or, nous pouvons considérer tout cela de la manière la plus excellente dans tous les dons de Dieu. L'auteur de ces dons est souverainement élevé , sa dignité est immense et il nous fait une insigne faveur de vouloir bien même penser à nous. Ensuite il accorde à l'homme ses bienfaits avec tant d'amour et de bienveillance , que nous devrions les recevoir avec la plus profonde reconnaissance alors même qu'ils seraient médiocres,
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car la charité de Dieu surpasse. toute intelligence , et jamais aucun esprit ne saurait l'estimer à sa juste valeur.
Ces bienfaits du Seigneur par lesquels il accomplit notre salut sont d'un prix si élevé que rien ne peut leur être comparé. Qui soutiendra , en effet , une comparaison avec la grâce du Saint-Esprit , dont les fidèles sont comblés, avec le corps et le sang de Jésus-Christ , avec la gloire céleste et tant d'autres faveurs innombrables et inestimables que nous recevons de Dieu ? Que celui qui le pourra, entreprenne de peser quels avantages nous retiennent de pareils dons; ce sont : la justification du péché , la grâce de la sainteté, l'adoption pour enfants de Dieu , la consolation intérieure , la défense contre les périls , la société avec les anges , la béatitude du corps et de l'âme produite par la vision intuitive. Tels sont les avantages, et bien d'autres encore, que nous tirons des bienfaits de Dieu, et en eux se trouve toute félicité.
Maintenant considérez combien Dieu nous accorde souvent de telles faveurs. Autant de fois nous avons perdu la grâce par le péché , autant de fois il nous a offert de nous la rendre si nous voulions la recevoir. 'foutes les fois que nous avons abusé de ses dons , que nous nous sommes montrés négligents à son service , ingrats, pleins d'orgueil de ses bienfaits, nous avons mérité d'en être privés , soit dans l'ordre temporel , soit dans l'ordre spirituel, soit en notre cortes ; lors donc qu'il ne les a pas enlevés à notre indignité, il nous les a accordés de nouveau.
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Mais quels sont ces hommes à qui un si grand Seigneur a témoigné autant de générosité? Il est facile de le savoir : nous ne sommes que cendre et poussière, des êtres misérables et pauvres , remplis d'une multitude de misères, exposés à toutes sortes de périls; nous ne possédons presque rien autre chose que la puissance de tomber continuellement. Et cependant avec une telle bassesse et une misère aussi profonde nous nous révoltons contre le Dieu tout-puissant, nous reconnaissons son amour et ses bienfaits par le mépris et les outrages , nous lui désobéissons , nous sommes négligents, ingrats et superbes.
Combien donc est grande cette tendresse du Seigneur qui le porte à faire du bien avec tant d'amour et d'empressement à des hommes qui ne s'appliquent ni à comprendre ses bienfaits ni à les conserver, ni à les recevoir dignement par des actions de grâces? Faire du bien à celui qui le mérite , c'est justice. En faire à celui qui ne le mérite pas , ruais le demande avec humilité , c'est bonté. Agir de la sorte envers celui qui ne le mérite ni ne le demande , c'est la marque d'une bonté plus grande encore; mais l'excès de la bonté , de cette bonté qui ne se trouve que dans le coeur de Dieu, c'est d'accorder des faveurs à celui qui les méprise et y est contraire , surtout si un tel homme est vil , l'esclave même et l'ouvrage des mains de son bienfaiteur.
La fidélité à rendre nos actions de grâces mérite que les biens reçus nous soient conservés , qu'ils soient accrûs en nous, qu'ils tournent à notre plus
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grand avancement et que nous en recueillions des fruits plus abondants. Ainsi l'homme favorisé du don de sagesse, s'il se montre reconnaissant, le conserve au lieu de le perdre; il le voit s'augmenter en lui et par là il devient de jour en jour plus sage, il retire des avantages plus grands tant pour son propre compte que pour l'édification des autres. L'ingratitude au contraire est digne de perdre ce qu'elle possède, de ne rien recevoir à l'avenir, de demeurer infructueuse au milieu de ces biens, d'être privée de la récompense et d'encourir un supplice plus terrible à cause de sa négligence et de ses mépris. On demandera davantage, dit le Seigneur , à celui à qui l'on a plus donné (1). Chacun peut par soi-même apprécier combien détestable est le vice de l'ingratitude : tous les hommes ont coutume de le haïr en ceux à qui ils ont fait quelque bien, s'ils n'en reçoivent aucune marque ou seulement une légère marque de reconnaissance ou d'amour. Ce n'est donc pas de la part du Seigneur de l'indignation, mais de la miséricorde, que de refuser de temps à autre aux ingrats leurs demandes : ils se rendent dignes d'un châtiment plus grave quand de nouveaux bienfaits viennent augmenter leur ingratitude.
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La louange de Dieu est un des sentiments les plus excellents de notre âme. Il a son principe dans la considération de la bonté de Dieu, dans l'admiration des profondeurs de sa sagesse, dans l'étonnement causé par la sublimité de sa puissance et la grandeur infinie de sa majesté. Or, ces perfections du Seigneur, nous les connaissons par l'enseignement de la foi catholique, nous les trouvons empreintes dans les oeuvres de ses mains, nous les contemplons par le pur regard de notre âme illuminée des rayons d'une inspiration intérieure. Tout ce que l'on peut penser de Dieu, tout ce qu'on peut dire ou sentir de lui n'est rien autre chose qu'un sujet de louange; tout en lui, en effet, est souverainement louable, aimable et vénérable, et plus on le connaît parfaitement, plus on le loue avec vérité et on l'aime avec ardeur.
Les louanges de Dieu nous offrent une matière sans limites : lui-même nous enseigne et ses oeuvres proclament qu'il est digne de louanges infinies. Louer Dieu, c'est confesser cette vérité, c'est en rendre témoignage. Aussi les saints invitent-ils toutes les créatures, soit raisonnables, soit privées de raison, soit insensibles, à célébrer ses louanges, car les ouvrages de ses mains annoncent qu'il mérite un tel
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concert d'hommages, et en chacun d'eux nous admirons sa vertu toute-puissante, la sagesse de sa providence, sa miséricorde pleine de clémence, sa patience toute de bénignité et sa longanimité, sa justice à rendre à chacun selon ses mérites, la libéralité de ses récompenses et la sublimité incompréhensible de sa dignité au-dessus de ce qui est créé.
D'après ce que nous venons de dire, nous comprenons qu'il y a sept sujets auxquels se rapportent tout ce qu'on peut exprimer à la louange de Dieu. Les oeuvres principales du Seigneur sont en effet au nombre de six et toutes les autres sont renfermées en elles. Ce qui vient ensuite n'est pas une oeuvre de Dieu, mais le Créateur se reposant en lui-même et demeurant élevé au-dessus de tous les ouvrages de ses mains. Les six jours de la création nous sont une figure de tout cela. En ces jours Dieu a donné l'existence aux diverses créatures et il a rendu parfait tout ce qu'il avait résolu de créer. Mais s'il a tout accompli en six jours, si au septième nous ne voyons pas qu'il ait ajouté à la perfection de ses oeuvres, mais plutôt qu'il a cessé d'agir et s'est reposé, comment donc les a-t-il rendues parfaites en ne leur donnant rien de plus? L'Ecriture nous fait
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comprendre par là que toute créature est imparfaite en soi et que Dieu est lui-même la perfection de chacune de ses oeuvres. Vers lui se porte toute créature comme vers la cause première d'où elle découle. Tout confesse que les êtres viennent de lui comme de leur type premier, qu'ils existent par lui comme par leur cause créatrice, et qu'ils sont en lui comme en leur fin par excellence. Or, cela s'accomplit par la glorification de la créature raisonnable en qui sont renfermées les autres créatures, puisque toutes ont été créées en vue d'elle seule et qu'elle les embrasse toutes par son intelligence et la ressemblance de sa nature : ce qui convient surtout à l'homme pour qui toutes les choses visibles ont reçu l'existence.
La création peut donc être appelée le premier des ouvrages de Dieu. En cet ouvrage la puissance admirable de sa vertu nous apparaît cligne de louanges. Nous y voyons comment, dans sa plénitude, elle a tiré du néant avec autant de facilité, de promptitude et d'harmonie; comment elle a placé dans l'ordre naturel à chacune, des choses nombreuses, si grandes, si variées, si solides et si belles, alors que hors de cet univers rien n'existe qui puisse servir de base pour reposer la masse du monde. Si les hommes, dit l'Ecriture, ont admiré le pouvoir et les effets de ces créatures, qu'ils comprennent par là combien plus puissant est celui qui les a créées (1).
Le second des ouvrages de Dieu est le gouvernement de tous les êtres. Là se montre avec évidence combien
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bien mérite d'être louée la sagesse de sa providence. Parmi tant de créatures, aucune, depuis la plus faible jusqu'à la plus sublime , n'échappe à ces regards; il connaît les propriétés, les vertus, les opérations de chacune , leurs raisons d'être soit naturelles , soit comme causes, pourquoi elles sont ainsi et non autrement. Il a disposé chaque chose de telle sorte que tout semble s'accomplir naturellement ou accidentellement. Et cependant tout a été si bien pesé par sa providence que rien ne dépasse les bornes tracées par elle; que chaque chose tourne au profil des bons par une disposition de sa bonté et au malheur des hommes pervers par un jugement de sa justice. En tout cela et en bien d'autres points la puissance, la sagesse et les autres perfections de Dieu sont dignes de louanges spéciales, il est vrai ; cependant chacun de ses ouvrages en particulier nous offre un tableau de ces mêmes perfections; mais je ne puis m'y arrêter si je veux éviter d'être trop long.
Le troisième ouvrage de Dieu est la rédemption du genre humain, et là brille d'une manière toute particulière la miséricorde si admirable de la clémence divine. Plein de compassion pour notre misère, le Seigneur a arrêté de prendre notre nature, de payer en mourant pour nos péchés la dette de notre satisfaction, de nous arracher ainsi à la mort à laquelle nous étions condamnés, et de nous rétablir dans notre dignité première. Que peut-on imaginer de plus clément et de plus miséricordieux , que de voir le Maître suprême se réduire à la dernière humiliation pour un
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vil esclave , l'innocence même accepter la mort pour délivrer un coupable, le Dieu de gloire abdiquer toute gloire afin de glorifier ses ennemis et se laisser immoler par ceux qui doivent profiter de ses souffrances.
Le quatrième ouvrage de Dieu est celui de notre justification. Là encore la longueur de sa patience est vraiment digne de louanges. Il ne se borne pas à supporter les pécheurs; il les purifie avec bonté du péché, il les défend contre le péché, il leur donne la grâce de mériter, il leur en fournit les occasions, il établit ses sacrements comme autant d'instruments de cette même grâce destinée à produire la ,justification, il envoie le Saint-Esprit aux fidèles afin de toucher leurs coeurs, de les consoler, de les porter aux diverses vertus et aux différentes opérations surnaturelles. D'ennemis il les rend amis, enfants et héritiers de Dieu, il excite au bien leur libre arbitre sans cependant leur ravir la liberté, il change leur volonté sans leur faire violence, mais par ses inspirations et en venant à leur rencontre.
Le cinquième ouvrage de Dieu est la juste rétribution des mérites par rapport aux réprouvés. Nous y voyons briller sa pureté, il s'y montre plein d'horreur pour le vice et le péché, plein d'amour pour le bien , plein de joie à sa vue comme pour un objet digne de lui. Sa justice apparaît dans tout son éclat : elle ne laisse point le mal impuni ; elle rend à celui qui s'obstine dans le crime selon la grandeur de ses iniquités , elle prive le pécheur du fruit dont il s'est dépouillé lui-même, et elle lui fait goûter dans les
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tourments le fruit de ses oeuvres. La sagesse divine se manifeste avec non moins de grandeur. Elle tire le bien du mal et s'assujettit par la peine ceux qui en se livrant au péché ont refusé de lui obéir. Par ses dispositions se change en punition tout ce qui ici-bas avait servi au crime : le corps, l'intelligence, le temps présent et autres choses données ou offertes pour être une occasion de mérite et un accroissement de gloire. Tout cela est devenu sur la terre autant d'instruments d'iniquité, et la justice de Dieu en fait une cause de supplice. Ce corps rendu l'esclave d'une volonté coupable, les damnés le reprendront pour leur malheur et par lui ils souffriront des tourments plus horribles. Cette intelligence maintenant appliquée tout entière aux objets temporels sera alors un accusateur irréfutable. Le temps reçu pour servir Dieu , ils l'ont consumé dans le péché, et ainsi ils seront punis sans fin. Ils n'ont point mis de limites à leurs crimes pendant cette vie , la seule éternité dont l'homme ait la possession, et Dieu n'en mettra point en leurs peines durant son éternité à lui. Ils se sont élevés contre un Dieu infini, et leurs châtiments seront infinis en leur durée. La punition des méchants offre encore un sujet de louer la bonté du Seigneur, car les justes sont dans une joie inénarrable d'avoir échappé par sa grâce à une semblable punition, et si sa justice prononce la condamnation des réprouvés, sa bonté conduit les bienheureux au salut.
Le sixième ouvrage de Dieu est la glorification des élus. Là brillent sa largesse et l'abondance admirable
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de ses récompenses. Le mérite des saints a été faible et. de peu de durée, et dans le ciel ils reçoivent du Seigneur une gloire ineffable, la joie et la félicité; toutes les choses de ce monde tournent à leur avantage, et le bien et le mal, ce qui leur est propre et ce qui leur est étranger, le mal de la peine et le mal de la faute. Ils sont environnés de gloire pour les biens qui leur sont propres, et enivrés de félicité à la vue des biens dont les autres élus sont enrichis. Ils se réjouissent des maux auxquels ils ont été soumis et auxquels ils ont échappé , ils sont dans l'allégresse de n'être point tombés dans les maux dont les autres furent victimes. Leur félicité, qui est si variée, les pénètre de joie, et la gloire de tous les élus, cette gloire si abondante et si multipliée tant pour le nombre de ceux qui en sont comblés que pour sa propre grandeur, les remplit des délices dont chacun d'eux est enivré. Cette gloire, dis-je, les transporte de joie comme s'ils en étaient eux-mêmes resplendissants; ils l'aiment à un tel degré en leurs possesseurs, qu'ils ne voudraient pas les en voir dépouillés pour en devenir eux-mêmes possesseurs à leur tour. Mais par-dessus leur propre gloire et la gloire des saints, la gloire de Dieu les transporte d'autant plus qu'ils aiment le Seigneur plus qu'eux-mêmes et que tous les saints. Ensuite, cette gloire est infinie, et ainsi le bonheur qui en découle doit dépasser toute mesure, alors même qu'une créature ne peut avoir un amour ni une félicité sans limites. Chacun des élus est encore heureux de voir tous les habitants de la céleste patrie l'aimer
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comme ils s'aiment eux-mêmes; il est heureux surtout de voir Dieu l'aimer incomparablement plus qu'il ne saurait s'aimer soi-même. De la sorte les joies de tous sont des joies communes à tous, des joies auxquelles tous sont appelés à prendre part sans réserve, des joies où tous peuvent puiser selon l'étendue de leur capacité comme à un bien propre. Là brille la gloire des esprits et des corps; là on voit Dieu face à face selon sa divinité et selon son humanité glorieuse, cette humanité que les anges désirent contempler. Comme les élus sont assurés de posséder la félicité, ils sont de même assurés qu'elle durera éternellement . Ils sont rassasiés sans éprouver le moindre dégota , et l'ardeur de leurs désirs jouit pleinement de celui qui en est l'objet sans jamais se ralentir. Enfin en ce lieu part du coeur de tous les bienheureux un concert de louanges pures et parfaites; ils exaltent la magnificence de sa bonté qui les a prédestinés dès l'éternité à un pareil bonheur.
On peut rapporter ces six oeuvres de Dieu, où se trouve la consommation de tous ses ouvrages, aux six premiers jours du monde. Ainsi l'oeuvre de la création convient au premier jour où, après avoir créé la matière, le Seigneur fit la lumière et sépara le jour de la nuit, montrant ainsi que la créature spirituelle était distincte de la créature corporelle pal' la lumière de l'intelligence. L'oeuvre du gouvernement est représentée par le second jour où Dieu sépara les eaux supérieures des eaux inférieures en plaçant le firmament entre elles. En effet , autant les choses célestes sont
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éloignées des choses de la terre par leur distance , autant elles en diffèrent par leur valeur et par la façon bien plus glorieuse dont elles reçoivent l'action divine qui les régit dans une mesure proportionnée à leur excellence. L'oeuvre de la rédemption se rapporte au troisième jour où les eaux inférieures étant réunie, en un même lieu, la terre devint visible et porta de, fruits; car tous les péchés dont le genre humain était inondé , furent éloignés de l'Eglise et demeurèrent chez les infidèles, et cette Eglise se couvrit des fruits les plus divers de la grâce. L'oeuvre de la justification est figurée par le quatrième jour où furent créés les flambeaux dont le ciel est orné. En cette oeuvre les coeurs des fidèles sont illuminés par le soleil de la charité, la lune de la foi et les étoiles des autres vertus; à la lumière et à la chaleur de ces astres ils arrivent à la vie , à l'ordre et à ales vertus pleines de vigueur. L'oeuvre du jugement et de la condamnation des réprouvés apparaît dans le cinquième jour où furent créés au moyen des eaux et les poissons et les oiseaux. Les hommes en effet ont une commune origine, et cependant les uns s'élèvent vers les biens célestes par la grâce, et les autres sont laissés dans l'état de damnation où ils sont plongés par la faute originelle et par les crimes dont ils se sont rendus coupables. L'oeuvre de la glorification enfin est représentée par le sixième jour où l'homme, créé à l'image de Dieu , fut préposé au gouvernement du monde. Par la gloire aussi l'homme devient semblable à Dieu , il est uni à lui comme 'un membre à son chef, il est uni à celui qui
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étend sa principauté sur tous les hommes comme un Seigneur véritable, à Jésus-Christ notre maître.
Le septième jour n'a point d'oeuvre, mais il est le complément des oeuvres divines par le repos en Dieu, par ce repos que Dieu goûte en lui-même et que nous goûtons en lui. Ce jour a reçu le nom de Sabbat ou de repos. C'est en ce repos de Dieu que la créature raisonnable arrive à sa perfection, et elle-même est la cause et le modèle de toute créature privée de raison. Toute la nature, en effet, tend sans cesse à être dirigée par le maître qui lui a été donné et à le servir afin de l'avertir d'être soumis lui-même en tout temps à son Seigneur et de le porter à chanter ses louanges. Celui qui ne célèbre pas un pareil sabbat par le repos , viole l'alliance de Dieu avec l'homme, car le Seigneur exige par-dessus tout que l'homme se repose en lui et s'attache inviolablement à lui par l'amour. Il est lui-même la cause suprême de ses louanges, et la magnificence d'aucune de ses oeuvres ne saurait nous dire combien il mérite d'être exalté. Une statue est impuissante à proclamer de vive voix l'habileté de l'artiste qui l'a formée; mais elle indique dans son silence combien il est digne d'éloge d'avoir voulu, d'avoir su et d'avoir pu conduire à bonne fin un pareil ouvrage. Le Seigneur, dit le Sage, est au-dessus de toute louange (1). L'Eglise a coutume d'employer plus communément sept paroles pour exprimer ce qui se rapporte à la louange de Dieu; ce sont comme les sept trompettes mystiques du jubilé. Or, ces paroles sont : louer,
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bénir, exalter, confesser, honorer , glorifier et proclamer grand.
* La troisième manière de prier est l'oraison mentale. Elle a lieu lorsque la bouche demeurant silencieuse, l'âme seule découvre à Dieu ses désirs, répand en sa présence les sentiments de son coeur, l'embrasse intérieurement par l'amour ou l'adore avec respect. En cette oraison, l'effusion de notre coeur en Dieu se fait d'autant plus largement que l'amour dépasse davantage ce que la langue peut exprimer, et s'écrie avec le Psalmiste : Seigneur, tout mon désir est en votre présence et mon gémissement ne vous est point caché (1). Le Seigneur dit de cette manière de prier : Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Dieu est esprit et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité (2). Or, ce genre, de prière semble le plus convenable, car Dieu considère plus le coeur que les paroles. Cependant les paroles sont utiles : notre esprit est lent à s'élever aux choses célestes, et il a besoin pour cela que sa paresse soit aidée des paroles de la prière. Elles servent encore à attacher notre mémoire à Dieu, à dégager notre intelligence de la terre , à embraser notre volonté des ardeurs de la dévotion, et après lui avoir inspiré le désir d'une sainte prière, à lui faire goûter combien le Seigneur est doux.
Dieu, disons-nous, considère plus le coeur que les paroles. En effet, c'est lui qui nous a créés; il connaît
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les choses qui nous sont nécessaires avant que nous les lui demandions, et il n'a pas besoin, pour lui, que nous manifestions nos désirs par nos prières. Il nous a faits pour nous combler de ses bienfaits gratuite-ment et en vue de lui-même ; il n'a pas besoin d'être incliné par nos supplications à prendre pitié de nous ; il avait arrêté auparavant d'agir ainsi, et en répandant de lui-même ses bontés sur nous, selon ses desseins éternels , il nous fait avancer dans le bien beaucoup plus que nous ne saurions lui en témoigner le désir. Cependant notre zèle pour la prière nous procure des avantages nombreux. Si elle n'est pas la cause des bienfaits de Dieu, elle en est la voie ; s'il ne nous fait pas miséricorde à cause de notre prière , c'est du moins par elle. Les avantages de l'oraison sont donc considérables et elle l'emporte même sur les autres bonnes oeuvres. Par elle nous obtenons plus aisément et plus promptement du Seigneur l'objet de nos voeux. Les autres oeuvres nous aident bien en ce point , mais quelquefois une prière de quelques instants nous met en possession de ce que nous eussions acquis à peine au prix de longs jeûnes , de travaux divers et d'autres saintes pratiques. Aussi voyons-nous les saints en toute affaire , en tout péril, en tout désir, appeler l'oraison à leur secours comme si par elle leurs demandes devaient éprouver moins de retard. Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, dit le Seigneur, vous l'obtiendrez (1). Que ne peut donc la prière?
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La prière apaise la colère de Dieu : Moïse prie le Seigneur et le Seigneur se calme (1). Elle obtient le pardon des péchés : Je vous ai remis toute votre dette selon que vous m'en avez prié, est-il dit dans l'Evangile; et encore : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2). Elle modère la violence de la tentation : Moïse pria et le feu s'éteignit (3). Elle chasse les vices de notre coeur : Dispersez-les dans votre vertu, dit le Prophète , et détruisez-les (4). Elle délivre au milieu du danger : Invoquez-moi au jour de la tribulation, dit le Seigneur, et je vous délivrerai (5). Elle nous défend contre les périls : Priez pour que votre fuite n'ait pas lieu durant l'hiver (6). Elle nous venge de nos ennemis : Ezéchias et Isaïe prièrent contre Sennachérib (7). Elle renverse les obstacles devant nous (8) : Le peuple poussa des cris, et les murs de Jéricho s'écroulèrent. Elle nous fait entrer en la familiarité de Dieu : Le Seigneur est proche de tous ceux qui l'invoquent (9). Vous crierez et il dira : me voici (10) . Elle nous obtient les dons du Saint-Esprit : Tous furent remplis du Saint-Esprit, est-il écrit au
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livre des Actes (1), et ailleurs : Le Père donnera son Esprit plein de bonté à tous ceux qui le lui demandent (2). Elle nous obtient en particulier le don de sagesse : Si quelqu'un d'entre vous a besoin de sagesse, dit saint Jacques (3), qu'il la demande à Dieu qui donne à tous libéralement. Par elle Dieu nous accorde la grâce d'annoncer sa parole : Priez pour moi, écrit l'Apôtre, afin que Dieu m'ouvrant la bouche, me donne des paroles pour annoncer librement le mystère de l'Evangile (4). Elle nous découvre les secrets du Seigneur : Criez vers moi, dit Dieu à Jérémie, et je vous exaucerai et je vous annoncerai des choses extraordinaires et d'une vérité irréfragable, des choses que vous ne connaissez pas (5) Elle nous donne le pouvoir d'accomplir toutes sortes de miracles : Elie pria avec ferveur qu'il ne plia pas , et il cessa de pleuvoir pendant trois ans et demi (6). De même par la prière il ressuscita un enfant. Nous recevons par elle les secours temporels : Seigneur, s'écrie le Prophète , tous ont les yeux tournés vers vous, et ils attendent que vous leur donniez leur nourriture dans le temps convenable (7). Elle nous apporte le soulagement au milieu de chacune de nos adversités: Lorsqu'il viendra sur la terre, dit Salomon , ou la famine, ou la peste, ou la corruption de l'air; lorsque la nielle, la sauterelle ou quelque maligne humeur gâtera les blés . ou que votre peuple sera pressé d'un ennemi qui se trouvera ù ses portes et l'assiégera... si quelqu'un
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reconnaissant la plaie de mon coeur étend sa main vers vous... vous l'exaucerez du haut du ciel (1), etc. Elle nous met en possession de tout ce qui nous est utile ou nécessaire : Nous ne savons ce que nous devons demander pour prier comme il faut, mais l'Esprit-Saint lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables (2). Elle nous conduit à la vie éternelle : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé (3). Et pour tout dire, en un mot, elle éloigne tout ce qui est contraire à notre salut, elle nous donne tout ce qui nous est nécessaire , elle le conserve et le perfectionne.
Dieu ne veut pas seulement que nous lui demandions dans nos prières ce qu'il avait résolu de nous accorder d'abord , il désire , en nous portant à multiplier ces prières, nous faire acquérir des mérites par la foi qui croit ce qu'elle ne voit pas, par l'espérance qui a la confiance d'arriver à l'objet de ses voeux, par la charité qui e'attache avec plus d'ardeur au Dieu qui l'exauce, selon cette parole du Prophète : J'ai aimé, parce que le Seigneur exaucera la voix de ma prière (4); par l'humilité qui nous rend persévérants dans nos supplications ; par notre désir, qui nous fait soupirer après les biens célestes.
L'oraison est comme un miroir : elle fait connaître plus clairement à l'homme ses défauts ou ses progrès; la conscience se dévoile en cet exercice plus ouvertement à son propre regard ; la vue de ses progrès la pénètre de joie et d'une confiance pleine d'espérance ,
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et le spectacle de ses défauts la couvre de confusion. L'oraison contribue aussi plus que toutes les autres bonnes oeuvres à élever l'âme au-dessus de ce monde et à l'éloigner des choses de la terre : ces oeuvres, en effet, nous appliquent avec Marthe aux divers emplois d'un service pénible; l'oraison , au contraire , s'attachant avec Marie aux pieds du Seigneur, s'occupe uniquement à se le rendre propice.
L'âme ressent en sa prière que Dieu s'offre à elle de bien des manières. Quelquefois il lui semble au milieu de ses supplications qu'il ne daigne ni l'entendre ni lui prêter la moindre attention , comme nous le lisons en ces paroles de l'Ecriture : Vous avez détourné votre face de moi (1)
Je crie vers vous, et vous ne m'écoutez point; je me tiens devant vous, et vous ne me regardez point (2) . De là naît pour plusieurs le dégoût de la prière ; ils la considèrent comme inutile puisque Dieu ne daigne pas les exaucer.
De temps à autre Dieu apparaît irrité et implacable, et l'âme demeure plongée dans la confusion , elle est transpercée de crainte : Vous êtes changé à mon égard,
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s'écrie Job, vous m'êtes devenu cruel, et vous employez la dureté de votre main pour me combattre (1). Aussi le prophète Jérémie adresse-t-il au Seigneur cette prière (2): Ne me soyez pas un sujet d'épouvante : vous êtes mon espérance au jour de l'affliction. Et le Psalmiste lui dit : Seigneur, n'entrez pas en jugement avec votre serviteur (3). Isaïe dit également : Où est la tendresse de vos entrailles et de vos miséricordes? Elle ne se répand plus sur moi (4). Combien alors est grande la tribulation de l'âme, combien amer est son chagrin, celui-là le sait qui au milieu de cette épreuve n'a point interrompu ses prières. Et en effet, on ne doit point cesser de prier, parce que Dieu ne nous exauce pas, mais lui adresser au contraire avec plus d'instances nos supplications. En agissant ainsi il éprouve la constance de celui qui l'invoque , il purifie la conscience de l'homme humilié de la sorte , et il récompense la patience du coeur en proie à une telle affliction. « Il faut , dit saint Bernard, s'appliquer fortement à la prière , mais en toute humilité et patience, car elle ne porte de fruit que dans la patience. Le ciel semble d'airain quand aucune goutte de la rosée céleste, quand aucun sentiment de dévotion n'arrive jusqu'à nous dans l'oraison , et la terre de notre coeur nous paraît véritablement une terre de fer quand aucun des ruisseaux des psaumes ou des saintes prières ne l'amollit et n'y fait entrer la componction. L'âme en cet état juge, comme la chananéenne, que le Seigneur a détourné ses regards de dessus elle;
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elle croit l'entendre lui reprocher ses péchés comme si elle ressemblait à un animal immonde, et elle se répute indigne de partager le pain des enfants (1). » Cependant il est de la prudence de remarquer que ce sentiment d'une âme effrayée qui se représente sous une forme dure et impitoyable le Dieu plein de douceur et de bénignité, le Dieu vraiment tendre et miséricordieux; il faut, dis-je , remarquer qu'un tel sentiment est tantôt une simple fiction d'un esprit illusionné et se figurant un fantôme tout différent de la réalité, ou bien qu'il a lieu par une permission amoureuse du Seigneur pour effrayer, humilier, corriger ou purifier notre âme et lui faire goûter ensuite avec plus de suavité les faveurs bienveillantes du Seigneur; car après avoir éprouvé l'amertume nous sommes plus empressés à savourer des douceurs.
Quelquefois, comme s'il était occupé d'autres soins, Dieu paraît ne faire aucun cas des désirs de celui qui l'invoque. Il le voit et le laisse , il est vrai , lui adresser ses prières; mais il ne lui répond pas , il est appliqué à autre chose. Le Prophète semble avoir ressenti cette indifférence lorsqu'il s'est écrié (2) : Ne méprisez pas mon humble supplication, abaissez sur moi vos regards et exaucez-moi, Seigneur, prêtez l'oreille à mes paroles, entendez mes cris (3).
Une autre fois Dieu paraît écouter nos prières avec bonté, mais il garde le silence et ne se montre pas disposé à les exaucer avec amour. Lorsqu'il a exaucé mes supplications, dit Job, je ne crois pas qu'il ait
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entendu ma voix (1), ou autrement, je ne sais si réellement il m'a exaucé.
D'autres fois enfin il regarde avec tendresse celui qui le prie ; il condescend avec miséricorde à ses prières et il répond favorablement au désir de ses supplications. Cette confiance d'une âme pieuse a coutume dêtre un indice qu'elle a été exaucée. Quiconque, dit le Seigneur en parlant de cette confiance, n'aura point hésité dans son coeur, mais aura cru que tout ce qu'il aura dit s'accomplira, il le verra en effet s'accomplir. Tout ce que vous demanderez dans vos prières, croyez que vous l'obtiendrez et il vous sera accordé (2). Que celui qui prie demande avec foi, sans défiance, dit saint Jacques , mais qu'il ne s'imagine pas obtenir quelque chose du Seigneur, celui qui hésite (3). Cependant il ne faut pas perdre confiance aussitôt, quand dans nos prières tout n'arrive pas selon nos désirs , mais continuer à frapper jusqu'à ce que notre Bien-Aimé soit comme vaincu par l'importunité de nos supplications et nous accorde enfin l'objet de nos voeux (4).
Quelquefois aussi notre prière semble sentir l'hésitation; c'est comme si elle devait n'être point écoutée, tandis que se faisant d'une manière différente
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elle emporterait avec elle la confiance d'un plein succès. Une autre fois l'homme qui prie se considère comme un esclave, et il provoque avec crainte et humilité son Seigneur et son juge à la miséricorde. Ainsi le publicain n'osait pas lever les yeux au ciel, mais il frappait sa poitrine en disant : Mon Dieu, soyez-moi propice parce que je suis un pécheur (1). Une autre fois ensuite il agit avec familiarité comme un ami et un intime, il prie avec respect et confiance, il semble conseiller au Seigneur de faire telle ou telle chose ; il lui expose les raisons et les motifs pourquoi ceci convient, pourquoi cela est avantageux. Ainsi a prié Abraham pour les habitants de Sodome; ainsi a prié Moïse pour le peuple d'Israël en s'écriant : Ne permettez pas, je vous en prie, que les Egyptiens disent : Il les a tirés avec adresse de l'Egypte pour les tuer sur les montagnes et pour les exterminer de la terre. Que votre colère s'apaise et laissez-vous fléchir pour pardonner à l'iniquité de votre peuple (2) . Ailleurs Moïse s'écrie également en parlant à Dieu (3) : Voulez-vous donc que les Egyptiens apprennent que vous avez fait mourir une si grande multitude comme un seul homme et qu'ils disent : Il ne pouvait faire entrer ce peuple dans le pays qu'il avait promis avec serment de lui donner; c'est pourquoi il les a frappés de mort dans le désert.
Une autre fois aussi l'homme, dans sa prière, est comme un enfant plein de confiance en la bonté paternelle; il supplie moins qu'il ne commande à son
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père de l'exaucer en lui rappelant sa tendresse passée. Ainsi Moïse s'adresse encore au Seigneur en ces termes : Vous m'avez dit : je vous connais et vous avez trouvé grâce devant moi. Si donc j'ai trouvé grâce devant vous, faites-moi voir votre visage afin que je vous connaisse et regardez favorablement cette grande multitude qui est votre peuple.Seigneur, si j'ai trouvé grâce en votre présence, je vous en supplie, marchez avec nous; effacez aussi nos iniquités et nos péchés, et possédez-nous comme votre héritage. Ce peuple a commis un très-grand péché, mais je vous en conjure, Seigneur, pardonnez à ces hommes une telle faute, ou si vous ne le faites pas, effacez-moi du livre que vous avez écrit (1). Elle était grande la confiance de cet homme en Dieu. Il ne demande pas à être retranché du livre de Dieu ; mais cette confiance qui lui fait croire que son nom demeurera écrit dans le livre de vie , cette confiance il l'emploie à demander le pardon de son peuple; il ne doute pas qu'il ne soit exaucé , et ainsi il obtient l'objet de ses demandes.
Dieu se plaît singulièrement à voir l'homme se livrer fréquemment à l'oraison à cause des avantages nombreux attachés à cet exercice, Dans l'oraison
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l'homme ne cesse de s'attacher à Dieu , et c'est pour lui un bien au-dessus de tout bien : Marie, dit le Seigneur, a choisi la meilleure part (1). Ses prières réitérées sont exaucées et il voit une multitude de bienfaits célestes se répandre sur lui. L'ardeur de sa dévotion devient plus vive et le fait croître dans l'amour de Dieu. Aussi le Seigneur nous ménage-t-il bien des occasions de nous livrer à l'oraison , et par-là il nous excite à le faire plus souvent soit pour nous-mêmes, soit pour les autres, soit pour échapper au mal , soit pour arriver à la possession du bien ; il cherche, lorsque notre dévotion s'attiédit sur un point, à la ranimer sur un autre, comme on a coutume de ranimer le feu en lui donnant chaque jour un aliment nouveau afin de l'empêcher de s'éteindre. De là cette parole du Lévitique : Le feu brûlera toujours sur l'autel, et le prêtre aura soin de l'entretenir en y mettant le matin de chaque jour du bois sur lequel il aura placé d'abord l'holocauste. C'est là le feu qui brûlera toujours sur l'autel sans qu'on le laisse jamais éteindre (2).
Vous donc qui êtes le prêtre de Dieu, un homme consacré aux choses saintes, lorsque vous découvrez que, durant la nuit de votre négligence, le feu de la dévotion s'est affaibli sur l'autel de votre coeur, ayez soin dès le matin, c'est-à-dire quand vous commencez à reconnaître l'état de votre âme, ayez soin , dis-je, de ranimer ce feu en lui donnant le bois de l'oraison après l'avoir enlevé aux diverses occasions qui se
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présentent comme à autant de forêts à votre portée. C'est une forêt immense, une forêt propre à vous fournir un aliment abondant de supplications, que la multitude des péchés dont vous êtes coupable, vos péchés de chaque jour, vos péchés du temps passé. C'est une grande forêt que celle de nos négligences de notre misère , de l'absence des vertus et des grâces, de nos vices tant de l'esprit que de la chair, de nos tentations, des divers événements dont nous sommes agités, des peines que nous avons à souffrir ou que nous redoutons et sur lesquelles nous avons à gémir soit pour notre propre compte, soit pour les autres dont les misères excitent notre compassion. C'est une grande forêt que celle de toutes les choses célestes, objets de nos désirs et de nos demandes empressées. Nous pouvons en dire autant des bienfaits reçus et dont nous avons à rendre grâces, de l'obligation de prier pour les défunts afin d'obtenir le pardon entier de leurs fautes, de louer Dieu de la gloire dont il comble ses saints. Tout cela offre un grand aliment à notre dévotion; c'est comme un bois destiné à entretenir en nous un feu perpétuel sur lequel l'holocauste des bonnes oeuvres venant à être placé répandra un parfum de suavité. Et en effet le sentiment du divin amour et de la sainte crainte, la ferveur de la bonne volonté accompagnée de l'esprit d'humilité, l'empressement de la piété, la joie de l'espérance, tous ces sentiments, dis-je, ne doivent jamais s'éteindre dans le coeur du serviteur de Dieu , car c'est en eux surtout que consiste la vertu de dévotion.
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Une âme consacrée à Dieu doit s'accoutumer à trouver quelque pieuse occasion de s'élever en tout temps à lui par la prière, les supplications, les actions de grâces , les louanges selon les divers sujets qui s'offrent sans cesse à nous. Il faut toujours prier, dit l'Evangile, et ne jamais se lasser (1). Priez sans interruption, dit également l'Apôtre, et rendez grâces en tout (2). Je bénirai le Seigneur en tout temps, s'écrie le Prophète, et sa louange sera toujours en ma bouche (3).
Plus un homme s'adonne fréquemment à l'oraison, plus elle lui devient délicieuse et efficace; plus au contraire il s'y applique rarement, plus elle lui est insipide et fatigante, comme l'expérience nous l'a souvent appris. Nous voyons quelquefois les personnes du siècle encore dans l'état du péché goûter de temps à autre avec abondance les douceurs de la dévotion dans la pratique réitérée de l'oraison. Sans doute une telle douceur n'a pas son principe dans la vraie charité, cependant Dieu nous montre par là combien il serait disposé à répandre sa grâce dans le coeur des justes s'ils ne négligeaient pas de la chercher, puisqu'il ne refuse pas de faire sentir sa douceur à des pécheurs qui, en s'adonnant à l'oraison, s'efforcent de s'approcher de lui d'une manière quelconque. Que sera donc le Seigneur pour ses amis fidèles si quelquefois il se montre si plein de douceur pour ses ennemis? Vous n'avez point retiré votre manne de leur bouche, dit l'Ecriture, et vous leur avez donné l'eau dans leur
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soif (1). Et cependant l'Ecriture avait, avant ces paroles, parlé du veau et des adorations qu'il reçut de la part des Hébreux. Quelle excuse peuvent donc prétexter les religieux, eux qui ont expérimenté les douceurs de Dieu, ces douceurs que nous voyons accordées même aux hommes du siècle lorsqu'ils les cherchent avec empressement? Aussi saint Bernard s'écrie-t-il : Notre misère nous accuse sans aucun doute de négligence et d'incurie. La vie d'un religieux sans zèle pour la dévotion intérieure est comme un rayon vide de miel, un mur sans enduit, un mets sans assaisonnement. De nos jours, il est vrai, beaucoup non-seulernent n'éprouvent aucun sentiment de dévotion , mais ne font aucun cas de cette grâce, la tournent en dérision et la persécutent dans les autres; cependant ils doivent se souvenir que toute religion est aride et imparfaite sans la dévotion , et que celle-là est plus proche de sa ruine, qui ne cherche point les divines suavités de l'esprit et ne tourne pas tous ses efforts vers l'oraison et le soin de la pureté intérieure, car c'est en cela surtout que l'Esprit-Saint rend témoignage à notre esprit que nous sommes les enfants de Dieu. Nous méprisons la pratique austère des exercices corporels comme d'une utilité médiocre, et nous sommes étrangers aux oeuvres de la piété, nous n'imitons pas les saints des jours anciens, qui ont sacrifié leur vie pour leurs frères et accompli d'autres choses admirables. Bien peu embrassent les actes sublimes des vertus, comme une obéissance
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rigoureuse, une patience parfaite, une humilité profonde et une pauvreté extrême. Si donc nous manquons de tout cela , si d'ailleurs nous négligeons la pratique de l'oraison, en quoi pourrons-nous nous glorifier de notre profession de religieux? Il nous reste seulement notre nom, notre habit et les paroles de la sainte Ecriture que nous portons gravées sur des feuilles et que nous avons encore sur les lèvres bien plus que dans notre coeur et nos oeuvres. Mais, dit le Seigneur, si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (1). Les Pharisiens faisaient consister leur gloire uniquement dans l'extérieur et le nom de la religion. Les Scribes s'acquéraient les honneurs et les louanges du savoir par leur science des Ecritures. Or, celui qui ne court qu'après des paroles, aura les mains vides (2) , et celui qui agit seulement pour être vu des hommes et recevoir des louanges n'a point de récompense à prétendre auprès de notre Père qui est dans les cieux.
Que celui donc qui veut s'adonner à l'oraison, s'accoutume d'abord à y consacrer quelque temps, ensuite à y recourir plus souvent et successivement à y demeurer plus longuement , à s'y appliquer plus fréquemment selon qu'il le pourra, à ne pas l'abandonner par dégoût ou par légèreté , mais seulement quand il y est forcé par la faiblesse du corps, une nécessité urgente, un motif raisonnable, pour y revenir ensuite de peur qu'une trop longue
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interruption ne lui en fasse perdre l'habitude et ne refroidisse sa bonne volonté. Qu'il parcoure aussi les diverses manières de prier, qu'il y conforme ses demandes et fasse attention à ces mêmes demandes, afin de puiser en chacune d'elles quelque sentiment de dévotion et de s'y attacher tant qu'il y trouvera à nourrir sa ferveur. Si la faiblesse de la tête ou du corps nous offre un obstacle, il faut alors prier plus brièvement et plus souvent, réprimer les évagations de notre esprit, retenir nos sens extérieurs sous le joug de la discipline , invoquer humblement le secours de Dieu en toute circonstance , souffrir avec patience et sans nous lasser si les choses ne vont pas selon nos désirs. Quelquefois même le retard dans nos progrès est la voie de la perfection parce qu'il nous humilie. Dieu ralentit pieusement notre course afin de pro-longer notre voyage , et il nous tient ainsi mieux en garde contre l'orgueil : trop d'assurance dans la marche et une ardeur toujours persévérante épuisent souvent les forces du corps.
Trois choses surtout font obstacle à notre avancement et s'opposent non-seulement à notre perfection, mais encore à notre salut , comme l'expérience nous l'a montré dans un grand nombre. Ces choses sont le
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relâchement de la volonté, la crainte des difficultés, la défiance du secours divin.
La volonté en proie au relâchement veut le bien , mais sans le moindre effort pénible , et ainsi l'habitude d'une vie légère lui fait promptement abandonner la résolution de marcher en avant. La volonté paresseuse doit donc se contraindre à agir par raison , s'exciter comme un animal indolent par l'aiguillon de la crainte de Dieu et l'espérance des récompenses, et se faire résolument violence.
La crainte des difficultés se calme et se surmonte par une habitude discrète et persévérante des choses. Si la grâce de Dieu assiste ceux qui commencent , assurément elle ne fera pas défaut aux hommes désireux d'avancer dans la perfection. Mais il nous est plus avantageux de craindre en tout temps la soustraction de la grâce , que d'avoir l'assurance de ne jamais la perdre. Nous travaillons ainsi plus soigneusement à la conserver, tandis qu'autrement nous nous montrerions plus négligents et nos progrès seraient moins considérables. La crainte nous rend agiles et pleins de sollicitude; la sécurité , au contraire, nous plonge le plus souvent dans la paresse et la langueur (1). Le Seigneur ne voulut pas donner à la fois aux Juifs la manne en une quantité tellement abondante qu'elle pût suffire aux besoins de plusieurs jours, mais seulement selon le besoin de chaque jour, excepté le samedi, et par là il nous monterait que nous devions tous les jours lui demander le pain de la grâce et la
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nourriture de l'âme en lui disant : Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. Celui qui donne aujourd'hui, est prêt encore à donner demain; seulement ne négligeons pas, en demandant, de recueillir autant qu'il nous faut pour avancer dans les voies du salut.
Lorsque , dans votre oraison , vous vous sentez exaucé et que vous reconnaissez avoir obtenu l'objet de vos désirs, gardez-vous de vous élever comme si Dieu avait eu égard à votre sainteté et comme si son amour pour vous l'avait porté à vous être favorable; mais pensez que sa bonté l'a fait agir ainsi de lui-même, ou bien qu'il a eu égard aux supplications des autres justes. Offrez-lui vos actions de grâces de ce qu'il a daigné vous faire coopérer à ses desseins, et vous admettre à prendre part aux prières de vos amis afin de rendre vos propres prières et les sentiments de votre piété dignes d'attirer ses regards, de vous consoler en vous donnant la confiance que vous avez été écouté, et de vous combler de joie en répondant à vos voeux. Animez-vous par là à croître dans l'amour de Dieu. Sa bénignité nous procure les occasions d'avoir recours à l'oraison afin de nous soustraire à des chagrins imminents; elle nous inspire de saints désirs dont nous demandons l'accomplissement dans nos prières, afin qu'après avoir été exaucés nous aimions d'autant plus le Seigneur et nous nous empressions d'autant plus de nous soumettre soigneusement à sa volonté, que nous le voyons lui-même favoriser nos demandes avec tendresse et s'empresser de s'y conformer.
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Bien des raisons nous empêchent d'être exaucés en nos prières. D'abord, ce sont les fautes de celui qui prie : Lorsque vous multiplierez vos prières, dit le Seigneur, je ne vous écouterai point. Et la raison : C'est, ajoute-t-il, que vos mains sont pleines de sang, ou autrement souillées par le péché. Nous savons, est-il écrit dans saint Jean , que Dieu n'écoute pas les pécheurs. Vos péchés, dit encore Isaïe, lui font cacher son visage pour ne plus vous écouter (1).
Une autre raison qui rend nos prières sans effet, c'est la tiédeur. Nous n'avons en priant ni ferveur ni dévotion. Or, le Seigneur a dit : Vous me prierez et je vous exaucerai lorsque vous me chercherez de tout votre coeur (2). Et en parlant ainsi , il semble mous faire connaître qu'il ne nous exaucera pas autrement.
La troisième cause, c'est le manque de persévérance : nous cessons de prier avant d'avoir obtenu, et cependant, si l'homme persévère à frapper , son ami se lèvera à cause de son importunité et lui donnera tout ce dont il aura besoin. Sachez que le Seigneur vous exaucera, dit Judith, si vous persévérez toujours dans vos prières (3).
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La quatrième cause est la défiance. Celui qui doute, écrit l'apôtre saint Jacques, ne doit point s'attendre à obtenir quelque chose du Seigneur. Préparez votre âme avant la prière, dit le Sage, et gardez-vous d'être comme un homme qui tente Dieu (1), comme un homme qui examine s'il voudra l'exaucer.
La cinquième cause, c'est lorsque nos demandes sont indiscrètes et nous seraient nuisibles. Telle fut celle des enfants de Zébédée. Le Seigneur leur répondit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Vous demandez, dit saint Jacques, et vous ne recevez point, parce que vous demandez mal, pour avoir de quoi satisfaire vos passions. Et Moïse dit également aux Hébreux dans le même sens : Lorsque vous avez pleuré devant le Seigneur, il ne vous écouta point et ne voulut point se rendre à vos prières (2).
La sixième raison, c'est que Dieu veut nous exciter davantage à lui adresser nos demandes. Les saints désirs, dit saint Grégoire, croissent lorsque l'accomplissement en est retardé. Ou bien le Seigneur agit ainsi afin de nous porter à garder d'autant plus soigneusement ce que nous avons reçu, que nous avons eu plus de peine à l'obtenir (3). Dieu diffère ses bienfaits, dit saint Jean Chrysostôme, afin de ne point les laisser s'avilir à nos yeux (4). Un tel retard ensuite sert à nous humilier, et ainsi nous y trouvons un double avantage : l'insolence de notre orgueil est réprimée , et nous arrivons enfin à l'objet de nos
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demandes. Ou bien Dieu attend pour nous exaucer un moment plus opportun et plus avantageux à nos besoins. Ainsi Moïse le pria de lui montrer sa gloire, et il ne fut point exaucé alors, mais il mérita dans la suite de jouir d'une pareille faveur (1).
Dieu veut encore nous porter à avoir recours aux suffrages des autres, afin que l'importance de nos demandes ou notre présomption ne devienne pas un obstacle. Ainsi Ezéchias envoya à Isaïe afin qu'il priât pour le roi et pour le peuple. Josias envoya de même à la prophétesse Holda. Saint Paul écrit aux Romains , Je vous conjure, mes frères, par Jésus-Christ notre Seigneur et par la charité du Saint-Esprit, de combattre avec moi par les prières que vous ferez à Dieu pour moi, afin qu'il me délivre des incrédules qui sont dans la Judée. Si deux d'entre vous , dit également le Seigneur , s'unissent ensemble sur la terre, quelque chose qu'ils demandent elle leur sera accordée par mon Père, qui est dans les cieux (2).
Quelquefois aussi Dieu nous refuse une chose moins avantageuse pour nous en donner une plus utile ou meilleure. Si les tentations de la chair ne sont point enlevées à saint Paul, c'est afin de rendre sa vertu parfaite en son infirmité (3). Souvent l'épreuve de la tribulation vaut mieux que le repos de la prospérité, quoique nous le désirions davantage.
On peut maintenant conclure par le moyen des contraires quelles choses contribuent à faire exaucer
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nos prières. Ce sont : l'éloignement du pêche , la ferveur et la persévérance, une confiance vive, l'humilité, les suffrages de nos frères, l'attention soigneuse à conserver les biens reçus avec actions de grâces, à demander au Seigneur uniquement ce qu'il sait le mieux nous convenir et à le prier de nous l'accorder quand il le jugera à propos.
Quant aux prières particulières adoptées assez souvent par plusieurs , nous avons à examiner s'il est avantageux de s'en servir à certaines heures ou à certains jours marqués. Ces prières conviennent davantage aux uns et moins aux autres. Ainsi elles sont d'une utilité plus grande pour ceux qui commencent, pour les hommes sans expérience et presque étrangers aux sentiments de la dévotion. L'habitude de telles prières les excite à s'adonner à l'oraison et les empêche au moins d'errer continuellement au milieu des choses extérieures, de demeurer éloignés de Dieu, de se refroidir et de languir sans jamais ressentir la moindre étincelle du feu de la piété. Mais ceux qui sont plus fervents et dans une familiarité plus intime avec Dieu, s'ils s'appliquent outre mesure à réciter des psaumes et autres prières semblables, ceux-là , dis-je , obstruent leur esprit, arrêtent leur
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dévotion et opposent comme un poids à la liberté de leur coeur en s'attachant trop scrupuleusement à des exercices moins utiles pour le moment de préférence à d'autres d'une utilité bien plus grande qui leur sont offerts. Cependant ils se servent souvent avec avantage du secours de ces prières. Elles sont pour eux comme un souffle destiné à embraser la flamme de la dévotion jusqu'à ce que, brûlant par elle-même avec une pureté plus grande et s'élevant plus paisiblement au-dessus de la terre, elle puisse se passer d'un semblable secours. Ensuite ce genre d'oraison semble plus facile quand on se trouve sans dévotion , car on a pour s'occuper des prières auxquelles une sainte habitude nous a rendus familiers; mais quand la rosée de la dévotion se répand en nous avec plus d'abondance ou quand une occupation plus utile ou plus urgente se présente , alors il faut interrompre ces prières , qui ne sont pas obligatoires, pour y revenir en temps opportun.
Maintenant quelles sont les oraisons les plus avantageuses? On ne saurait, je crois, donner sur ce point une règle uniforme, non plus que sur les divers aliments corporels, car chacun s'attache de préférence à tel ou tel, et un jour on aime mieux celui-ci, un autre jour celui-là. Ce genre d'oraison me semble le plus fructueux, qui remplit davantage de délices celui qui prie, excite plus promptement en lui l'esprit de dévotion et pénètre son âme d'une plus vive confiance en Dieu. Tout le fruit, toute la fin de l'oraison consiste donc à s'attacher à Dieu et à devenir un même
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esprit avec lui en se dissolvant dans un très-pur amour, en le contemplant dans une lumière sans nuage, en se cachant dans le secret de son visage loin du bruit des agitations mondaines, dans le ravissement d'une félicité pleine d'un calme profond , où les forces et les puissances de l'âme sont recueillies de toute dissipation , fixées sur le bien unique, véritable, simple et suprême et transformées en une certaine ressemblance de sa divinité et de son immuable éternité.
Il y a certains degrés inférieurs qui sont comme autant d'échelons au moyen desquels l'âme s'élève peu à peu et s'approche de cette fin. Le premier , c'est de s'accoutumer à fixer les évagations de la mémoire , qui l'entraînent vers les délices du monde et la jettent dans une multitude d'embarras; c'est, dis-je, de s'accoutumer à la recueillir par l'usage de l'oraison, et à la fixer dans le bien suprême qui est le terme de tous nos désirs et de toutes nos félicités. Mais comme cette faculté est encore chancelante et instable , parce qu'elle s'est attachée longtemps à une multitude de choses diverses où elle a cherché le bonheur et sur lesquelles elle s'est répandue avec curiosité , elle ne peut s'arrêter fixement aux choses divines , soit à cause de sa dissipation habituelle , soit à cause de la faiblesse de ses lumières spirituelles, et ainsi elle a besoin dans la prière du secours des paroles inspirées par l'Esprit-Saint et données aux hommes pour les soutenir comme avec un bâton à la manière des enfants , afin de les accoutumer à s'élever et à se
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porter à Dieu. Et cela a lieu lorsque l'homme s'efforce d'appliquer son attention aux paroles des oraisons et des psaumes , d'en tirer le sens spirituel , et les sentiments de dévotion contenus en elles, comme on tire d'un caillou, au moyen du fer, un feu qui nous éclaire et nous échauffe. Si ensuite par un usage assidu de l'oraison , et aidée de la grâce d'un Dieu toujours prêt à secourir les hommes désireux d'avancer, la mémoire se perfectionne et devient stable , elle peut alors sans une grave difficulté s'adonner à la prière et comprimer facilement les évagations de l'âme , selon cette parole du Psalmiste : C'est le Seigneur qui bâtit Jérusalem; il rassemblera tous les enfants dispersés d'Israël (1).
L'intelligence aussi avait d'abord été comme aveuglée par les choses extérieures et enveloppée par ce qui est visible; maintenant elle commence à se dilater, à s'illuminer et à voir ce qu'elle ne découvrait pas d'abord. Ainsi l'homme venant du dehors et entrant dans une chambre n'aperçoit rien d'abord et se heurte contre les murailles et les meubles; ensuite il reconnaît peu à peu les objets les plus considérables , voit successivement les moindres sans difficulté et s'étonne même que d'autres arrivant après lui ne puissent reconnaître parfaitement ce qui apparaît si manifestement à ses yeux. Une fois éclairée de la sorte, l'intelligence s'étend à une multitude de choses; elle conçoit les unes par la raison et comprend les autres par l'illumination surnaturelle. La révélation divine lui en apprend d'autres. Elle les compare avec
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celles que la science humaine lui a enseignées ou qu'elle a puisées dans la lecture des saints Livres , et elle est grandement consolée en voyant les autres savants et les saints partager les sentiments dont les lumières de l'Esprit viennent de la pénétrer. Alors elle ne craint plus d'être séduite par un esprit étranger ou par les illusions de son propre esprit , puisqu'elle reconnaît en elle la parole du même Esprit qui se fit entendre aux saints des premiers jours.
Cependant il est nécessaire d'agir en cela avec prudence et humilité, de peur que notre présomption ne nous rende dignes d'être trompés et que, pour l'esprit de vérité, nous ne suivions l'esprit d'erreur en croyant entendre la voix de l'Esprit-Saint quand nous avons seulement devant nous l'opinion de notre propre coeur ou une imagination produite par l'ange mauvais qui se transfigure souvent en ange de lumière afin de nous persuader le mensonge sous l'apparence de la vérité. Ne croyez pas à tout esprit, dit saint Jean , mais éprouvez si les esprits sont de Dieu. Il ne faut rien recevoir qui diffère de l'enseignement des maîtres spirituels et de la tradition des théologiens approuvés, ni mettre rien en doute de ce qu'ils s'accordent raisonnablement à définir en s'appuyant sur le témoignage des saints Pères. Une fois la vérité découverte, si l'homme se laisse entraîner par sa curiosité et une vaine subtilité à fouiller plus avant dans les profondeurs de l'Ecriture comme devant trouver quelque chose de nouveau échappé jusqu'alors aux regards des autres, il cherche le mensonge.
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Mais comme Dieu est souverainement aimable et plein de bonté, comme tous les biens ayant leur source en lui sont délicieux et excellents, à peine l'intelligence sest-elle dilatée dans la connaissance du vrai, que lâme commence à le goûter, ou autrement laffection intérieure commence a trouver une saveur toute spirituelle et délectable dans les vérités connues par l'intelligence. Ainsi ce qui, dans cette faculté, n'avait été qu'une science, devient par ce goût affectueux la sagesse, ou autrement une science pleine de saveur; car la science vient de la connaissance du vrai , et la sagesse de l'amour du bien uni à cette connaissance. Les diverses affections de l'âme ont chacune une saveur particulière , ou autrement un mouvement propre; mais l'amour, comme tenant le premier rang, les règle toutes par son mouvement, surtout lorsqu'il s'est tourné comme il convient vers le bien suprême et véritable , car il est dans la nature de l'amour de ne s'attacher à rien aussi solidement qu'à ce bien. Tout ce qu'il aime en dehors de lui, c'est plutôt à titre d'essai qu'en essayant d'y placer son repos. Aussi la satiété lui en a-t-elle bien vite inspiré le dégoût. Il cherche alors d'autres objets, dans l'espoir de s'y reposer enfin, et il ne saurait en trouver avant d'être arrivé au bien suprême. Fiais une fois qu'il l'a atteint, il goûte en lui le repos comme dans sa fin véritable , et ses autres affections exercent leurs actes selon la mesure de ce même amour. En effet, plus vous aimez un bien , plus vous éprouvez de joie de le posséder. Plus aussi vous espérez ou désirez ce bien , plus vous
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redoutez ou détestez ce qui peut vous l'enlever. Et autant vous vous attristez de ne point l'avoir, autant vous avez honte de ce qui lui est contraire si l'objet de votre amour est honnête. Lorsque l'amour est en proie à des sentiments opposés, comme la crainte , la douleur, la honte et la haine , il est faible et sans force , distrait de son objet et non encore entièrement recueilli en soi-même. De même lorsqu'il offre encore une place à l'espérance , il ne peut être parfait, il ne jouit pas réellement de son objet , il se borne à l'attendre ; et plus cette attente renferme d'incertitude , plus l'amour va s'affaiblissant. Mais lorsque ce qui est parfait sera arrivé , ce qui est imparfait disparaîtra , et la félicité causée par la jouissance n'aura plus rien à désirer : l'amour possédera l'objet de ses désirs, il ne craindra plus d'en être séparé , il n'éprouvera plus aucun sentiment contraire dont il doive rougir ou s'attrister. La charité parfaite chasse dehors la crainte (1), alors qu'elle n'a plus en soi aucun sujet de haine , aucune cause de honte ou de douleur. Plus donc la charité s'augmente, plus aussi les autres vertus et les affections vertueuses se purifient, jusqu'à ce qu'enfin elles soient changées en elle seule. Alors il n'y a plus ni crainte, ni affliction, ni espérance, ni honte, mais uniquement l'amour jouissant de sa félicité et s'attachant d'une manière inébranlable à ce bien qui seul suffit à combler le désir de l'âme , à le transformer en soi par l'amour. L'âme en cet état connaît comme elle est connue; elle aime comme elle
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est aimée, quoique à un degré inférieur, et ainsi il y a ressemblance sinon égalité avec son objet. Aucune créature ne peut en effet aimer Dieu autant qu'elle en est aimée , mais seulement autant qu'elle a reçu de l'aimer. Comme Dieu est la cause de toutes choses, il aime tout en lui-même et à cause de lui ; et ainsi comme notre connaissance ne peut approcher de la sienne , de même notre amour ne saurait entrer en comparaison avec son amour, pas même dans la patrie. Mais alors combien moins une telle comparaison est-elle possible durant le voyage , où notre amour est distrait , où il peut à peine se recueillir en soi-même pour se porter à Dieu sans réserve.
L'homme désireux d'appartenir à Dieu, s'il veut s'attacher à lui de plus en plus, doit commencer par réprimer courageusement les évagations de son âme et se porter vers le Seigneur. Ensuite l'habitude d'un pareil travail lui donne plus de facilité à contenir son coeur et à habiter avec soi-même, il peut dire selon le passage des Livres saints : Que chacun demeure chez soi, et que nul ne sorte de sa tente au septième jour (1). Et enfin non-seulement il y a une grande facilité pour l'homme , mais encore un bonheur ineffable à s'attacher à son Dieu. Etre séparé d'un tel repos lui devient une désolation et même une tribulation terrible; il voudrait, s'il était possible, demeurer toujours au milieu de semblables félicités. Le bien-aimé du Seigneur, dit Moïse , demeurera en lui avec confiance: il habitera en lui durant tout le jour
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comme dans sa chambre nuptiale, et il se reposera entre ses bras (1).
Cependant il y a des degrés et des rangs distincts en cette demeure. Le premier consiste à s'attacher à Dieu avec délices et à ne s'en éloigner que malgré soi, comme le petit enfant s'éloigne avec peine des caresses de sa mère, l'homme affamé d'une table bien servie. Et ce degré n'a rien d'étonnant; car la félicité spirituelle est non-seulement délectable, mais elle produit une union toute de beauté et d'honneur , et en nous faisant acquérir des mérites elle nous rend heureux, elle nous glorifie et nous enrichit. La jouissance des célestes délices est pleine de suavité, l'amitié de Dieu et de ses saints est honorable; la charité est abondante en fruits, elle est digne de récompenses sublimes. Tout ce qui excite nos désirs nous attire uniquement parce qu'il semble nous offrir la félicité, l'honneur ou l'utilité. Mais où trouver ces choses réunies et avec plénitude ailleurs que dans les délices spirituelles. Les autres choses, si elle nous réjouissent, sont honteuses et nuisibles; si elles sont honnêtes ou utiles, elles sont en même temps pénibles et environnées de difficultés. Mais le sentiment de la vertu, la saveur de la sagesse, la possession des suavités divines renferment une douceur véritable, sont dignes de notre vénération, réjouissent et exaltent la conscience. De là cette parole du psaume : Goûtez combien le Seigneur est doux (2).
Mais lorsque l'âme dévote s'est jetée avec tant
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d'ardeur dans les embrassements de l'Epoux , elle commence à s'assoupir en quelque sorte entre ses bras, semblable à l'homme qui , abreuvé d'un vin généreux , tombe bien vite dans le sommeil. Et non-seulement elle s'attache avec ivresse à son Dieu, mais elle s'y tient unie d'une manière inébranlable , elle use comme de violence pour demeurer étrangère à tout sentiment et à tout souvenir de choses visibles. Elle agit pourtant avec une certaine modération, elle ne va pas jusqu'à s'oublier elle-même, quoique véritablement elle ne s'appartienne plus. De là cette parole du Psalmiste (1) : Si vous dormez dans un état moyen, c'est-à-dire sur les confins du monde et du ciel ; et cette autre des Cantiques : Je dors et mon coeur veille (2). Ce sommeil nous représente l'état de ceux qui commencent à fermer les yeux. Ils semblent sentir et comprendre un peu ce qui se passe autour d'eux; mais l'abattement les empêche d'y faire attention , à moins qu'ils ne se fassent violence pour revenir plus complètement à eux-mêmes. Le divin amour appuyé sur une lumière parfaite de l'intelligence enivre l'âme; il la sépare des choses extérieures, l'approche de Dieu et l'y unit par sa vertu, et plus il est véhément, pénétrant et lumineux, plus il ravit l'âme avec puissance, jusqu'à ce que, ayant oublié pleinement tout ce qui est au-dessous de son Seigneur , elle se soit établie uniquement et avec une liberté entière au milieu des rayons de la divine contemplation comme dans un brillant éclairé d'une lumière céleste. Mais
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tout cela dure peu, car notre corps soumis à la corruption appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit pal' des soins multipliés. Cet esprit de l'homme peut avec peine avoir par lui-même un petit nombre de pensées, et encore sont-elles bien faibles. Mais une fois animé par l'impression de la lumière céleste, son regard se dilate d'autant plus aussitôt, qu'il s'est élevé à une hauteur plus grande. La corruption de ce corps terrestre et les diverses occupations de cette vie abaissent l'âme également, la rappellent à elle-même, et alors on est forcé de s'écrier avec l'Apôtre : Homme malheureux! qui me délivrera de ce corps de mort? Et avec le Prophète : Hélas, infortuné! mon exil s'est prolongé (1).
Plus l'âme remplit ses pensées des choses inférieures et ses méditations des objets terrestres, plus le regard de sa dévotion s'éloigne des biens supérieurs et célestes. Plus aussi elle déploie de ferveur à séparer sa mémoire, son affection et son intelligence de ces choses inférieures pour se porter elle-même en des régions plus élevées, plus sa dévotion devient parfaite et sa contemplation lumineuse; car elle ne saurait être entièrement appliquée au ciel et à la terre en même temps : ils diffèrent l'un de l'autre comme la lumière des ténèbres. Celui qui s'attache à Dieu demeure en la lumière, et celui qui s'unit au monde habite dans les ténèbres. La perfection la plus sublime pour l'homme en cette vie consiste donc à s'attacher à Dieu de telle sorte que l'âme tout entière soit
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recueillie en lui avec toutes ses puissances et ses forces, et devienne un même esprit avec lui ; à n'avoir que lui en sa mémoire, à ne sentir et à ne comprendre que lui , et , après avoir réuni toutes ses affections dans la félicité de l'amour, à se reposer avec suavité en la seule jouissance de son Créateur. L'image de Dieu en notre âme réside en ses trois puissances : la raison , la mémoire et la volonté. Tant qu'elles ne sont pas entièrement pénétrées de Dieu , notre âme n'est pas déiforme. La forme de notre âme , c'est Dieu ; il doit être imprimé en elle comme un sceau est imprimé sur l'objet destiné à recevoir son empreinte. Or, cela n'a jamais lieu pleinement si la raison n'est éclairée parfaitement et selon la mesure dont elle est capable de la connaissance de Dieu, qui est la vérité suprême , si la volonté n'est embrasée sans réserve de l'amour de sa bonté souveraine, si la mémoire n'est absorbée entièrement dans la vue , la contemplation et la jouissance de son ineffable félicité. Et comme la gloire de la béatitude consiste en la possession consommée de ces choses , et que la béatitude sera entière seulement dans la patrie, il s'ensuit que la perfection possible en cette vie doit se trouver à posséder de la manière la plus complète ces mêmes choses ici-bas. Les efforts de toutes les vertus semblent bien tendre à cette perfection , il est vrai , mais l'application de l'oraison a pour but de porter l'âme à Dieu sans réserve par l'intelligence, la volonté et la mémoire; car en cet exercice l'âme, mettant de côté tout le reste, désire s'attacher à lui seul. L'oraison
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est donc parfaite lorsque l'âme y atteint l'objet de ses soupirs, lorsqu'elle est séparée entièrement des choses terrestres et unie à ce qui est divin , lorsqu'elle ne veut et ne peut goûter que Dieu. Arrivée là, elle se repose véritablement, elle jouit de délices abondantes au milieu des splendeurs de la divine lumière, du charme de la céleste douceur et d'une paix inaltérable. Ce charme tout spirituel ne saurait être exprimé par aucune image, ni représenté par aucune comparaison sensible , car les choses purement spirituelles diffèrent des choses soumises à nos sens comme le corps diffère de l'âme. Or, l'esprit raisonnable n'est point corps, il n'a aucune similitude avec les corps.
En ce ravissement de la contemplation, la dévotion s'exprime de plusieurs manières, que je passe sous silence pour n'être pas trop long et auxquelles les Ecritures ou les interprètes des Livres saints ont donné divers noms, comme la jubilation, l'ivresse de l'esprit, l'allégresse spirituelle , la diffusion de l'âme. Je laisse à ceux qui ont expérimenté ces diverses choses et ont le temps d'en traiter, le soin de les faire connaître. Je me bornerai seulement à en dire un mot. La jubilation est souvent nommée dans les saintes Ecritures : elle me semble consister en une joie spirituelle répandue tout-à-coup dans le coeur par une pensée pieuse ou un entretien dévot , une joie qui ébranle le coeur tout entier par sa véhémence, le frappe d'une certaine frayeur et le tourmente délectablement. En effet, le sentiment de la joie nous console; mais sa violence impétueuse affaiblit le corps et quelquefois
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elle se trahit par le rire , des cris , des mouvements, des sanglots; semblable à une vapeur, elle est impuissante à se contenir en elle-même et à se renfermer dans le silence. Nous appelons jubilation, dit saint Grégoire , un sentiment de joie ineffable conçu en notre âme, que nous sommes impuissants à cacher et que nous ne pouvons exprimer par des paroles, un sentiment qui se manifeste par certains mouvements et qu'on ne saurait faire connaître par aucune de ses propriétés. De là cette parole du Psalmiste : Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation (1). Il ne dit pas : qui raconte , mais qui connaît; car on peut bien connaître, mais non exprimer la jubilation.
L'ivresse de l'esprit peut être appelée une vive dévotion d'amour et de joie qui fait tressaillir d'allégresse la ferveur de notre âme, nous la montre comme excitée par un vin généreux et la rend incapable de cacher ce qu'elle ressent. Ainsi les apôtres embrasés de l'ardeur du Saint-Esprit étaient regardés comme des gens ivres (2). Mon estomac, est-il écrit au livre de Job (3), est comme rempli d'un vin nouveau qui rompt les vaisseaux neufs. Il dit les vaisseaux neufs et non les anciens; car une telle dévotion ne saurait se répandre en des coeurs vieillis, mais seulement en des coeurs nouveaux marchant dans une vie nouvelle. Ou bien il dit des vaisseaux neufs pour exprimer la violence qui entraîne l'esprit. Si une telle violence rompt les vaisseaux neufs, combien plus rompra-t-elle les vaisseaux anciens, c'est-à-dire les coeurs faibles
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et fragiles? Il dit encore des vaisseaux neufs parce qu'une ferveur si ardente étant récemment répandue en des âmes neuves et non encore exercées , est impuissante à se contenir et s'échappe au dehors par des mouvements inusités, des cris, des sanglots. Ainsi un vin nouveau est en ébullition dans le vaisseau où il est renfermé, tandis qu'un vin vieux y demeure en paix. Quelquefois aussi le corps semble se roidir, les membres deviennent inhabiles à leurs fonctions et sans forces par le sentiment soudain d'une telle ferveur et d'une telle suavité. La raison peut en être que l'ardeur enflammée du coeur se communique aux esprits vitaux , que les voies destinées à ces esprits se trouvant ainsi embarrassées et les nerfs tendus outre-mesure , les membres sont incapables de remplir leurs offices, la langue de parler, les mains d'agir, les pieds et les jambes de marcher, jusqu'à ce que cette ardeur se soit affaiblie et que tout dans le corps ait repris son cours habituel. Il n'y a rien d'étonnant que les affections divines, dont la vertu est si puissante, agissent de la sorte, puisqu'un pareil effet est quelquefois produit par les affections humaines , comme une terreur subite , une joie immodérée , une douleur imprévue , une haine violente, un amour sans retenue. Souvent même sous l'empire de telles affections plusieurs ont été transportés hors d'eux-mêmes, sont tombés en frénésie ou dans un état indéfinissable; leurs membres se sont roidis ou sont devenus tremblants , et la véhémence de leur affliction leur a occasionné une fièvre ardente. Qu'y a-t-il d'étonnant si une joie extrême
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répandue dans le coeur par l'Esprit-Saint se produit de temps à autre au dehors par des signes d'allégresse, si une pareille joie ne peut toujours commander à ses sanglots et à ses larmes et cacher l'ardeur de sa dévotion intérieure? Ne voyons-nous pas bien souvent encore une légèreté insensée se livrer comme malgré elle à des rires et à des éclats démesurés de joie alors même que les convenances exigeraient quelque réserve, ou la tristesse humaine rendre l'homme incapable de commander à l'émotion du moment quand il serait heureux de le faire? Il est écrit : Notre Dieu est un feu dévorant; et encore : Dieu est charité (1). Qu'y a-t-il d'étonnant si l'ardeur de la charité divine ébranle l'homme tout entier après avoir pénétré son coeur? Si vous versez une eau bouillante ou des charbons ardents sur un verre fragile ou dans un vase d'argile, n'entendez-vous pas un bruissement aussitôt? Le cur enflammé de la félicité du divin amour ou du désir de la jouissance de son Dieu , se dilate et s'étend en soi-même ; il lui devient comme impossible de rester enfermé dans la demeure trop resserrée de sa poitrine; il s'efforce de trouver un passage afin de donner lieu à la flamme qui le dévore intérieurement de se répandre au dehors et d'offrir quelque rafraîchissement à l'incendie qui le consume. Mais ne pouvant atteindre ses désirs, ou n'osant, par une honte humaine, rien faire pour se procurer quelque soulagement, l'homme en cet état souffre extraordinairement au-dedans de soi-même et son corps s'affaiblit
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singulièrement sous l'action de tels mouvements : car la vertu de la douceur divine est intolérable à la faiblesse d'un corps terrestre; c'est comme si vous jetiez du feu sur du verre. Aussi lisons-nous que plusieurs saints sont tombés à la renverse et ont senti leurs forces les abandonner en recevant les visites ou les révélations du ciel. « J'eus une grande vision, dit Daniel, et la rigueur de mon corps m'abandonna. mon visage fat tout changé; je tombai en faiblesse, et il ne me demeura aucune force ; j'étais couché contre la terre et plongé dans une extrême frayeur.
Le Seigneur, dit Jérémie, a envoyé d'en-haut un feu dans mes os, et il m'a instruit (1). L'Esprit-Saint s'est répandu sous la forme du feu sur les apôtres, parce que la vertu du divin amour illumine et embrase comme le feu (2).
On peut appeler allégresse spirituelle toute joie goûtée en l'Esprit-Saint, produite par ce même Esprit et où l'âme se réjouit en Dieu , soit à cause des bienfaits revus, soit en vue des bienfaits à venir. Plusieurs regardent, il est vrai , comme une joie spirituelle celle qu'ils goûtent quelquefois eu la société les uns des autres ; mais qu'ils sachent bien que la joie spirituelle est étrangère à l'amertume de la tristesse mondaine , aux langueurs de la paresse et à la légèreté de la dissipation. Il y a une double joie spirituelle : l'une spéciale, l'autre générale. La première est tout mouvement intérieur d'allégresse particulière causée par l'Esprit-Saint en vue des bienfaits de Dieu , de la
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gloire future et de la bonté divine. L'autre est un sentiment habituel de joie produite en l'âme par une sainte confiance en Dieu et le témoignage d'une bonne conscience. Elle rend l'homme plein de bonne volonté et d'empressement à tout entreprendre et à tout souffrir pour Dieu; elle le porte à aimer tout ce qui a rapport à Dieu et à inspirer aux autres un pareil amour. Ainsi l'Apôtre dit par deux fois aux Philippiens : Réjouissez-vous en tout temps dans le Seigneur. Je vous le dis de nouveau : Réjouissez-vous (1). Et dans ces passages il veut parler de la joie générale et de la joie spéciale.
La diffusion de lâme me semble être un certain amollissement de sa dureté qui la rend flexible et empressée à aimer le Dieu dont elle est aimée, et la fait se fondre en recevant les impressions de la vertu divine. De même qu'un liquide se mêle à un liquide, ainsi l'Esprit de Dieu par son influence se mêle à l'esprit de l'homme, et alors notre âme devient un même esprit avec Dieu.
Il semble qu'il y ait bien des genres de dévotion ou de componction; cependant on peut les réduire à sept différences selon la diversité de nos affections. En effet,
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la dévotion vient de la crainte , de la douleur, du désir, de la compassion , de l'amour , de la joie et d'un étonnement d'admiration. Elle naît de la crainte lorsque l'homme est rempli de componction par la frayeur du supplice à venir , ou lorsque, redoutant d'être abandonné de Dieu à cause de l'offense de ses péchés, il s'écrie : Ne me rejetez pas de devant votre face. Seigneur, mon Dieu, ne m'abandonnez pas (1).
Elle vient de la douleur lorsqu'on s'attriste d'avoir offensé Dieu , d'avoir perdu sa grâce, d'avoir fait si peu de progrès dans la vertu, d'avoir acquis si peu de mérites, et d'être encore si peu agréable aux yeux de Dieu, et qu'on dit avec le Prophète : Détournez votre face de dessus mes péchés, et détruisez toutes mes iniquités (2).
La dévotion est produite par le désir quand on soupire avec ardeur après une grâce plus abondante de vertu , après la douceur ineffable de l'intimité divine , après la présence de Jésus-Christ dans le ciel , après l'accomplissement d'autres saints désirs. Seigneur, dit le Prophète, devant vous est tout mon désir. Votre nom et votre souvenir, dit également Isaïe (3) , sont le désir de mon âme. Mon âme vous a désiré pendant la nuit, et je m'éveillerai dès le point du jour pour vous chercher dans toute l'étendue de mon esprit et de mon coeur.
Cette dévotion a pour principe la compassion lorsque l'on compatit pieusement à Jésus-Christ immolé; lorsque le glaive qui a transpercé d'outre en
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outre l'âme de Marie, blesse et transperce l'âme fidèle à Dieu ; ou bien encore lorsque l'on compatit aux peines du prochain et aux périls des âmes; lorsque le zèle de la maison de Dieu et les injures dont il est l'objet nous dévorent; lorsque ce zèle, loin de nous laisser plongés dans le sommeil de la dissimulation, nous remplit de tristesse à la vue de chaque scandale et nous porte à gémir sur les maux de nos frères. Je pleurais sur celui qui était dans l'affliction, dit Job, et mon âme était pénétrée de compassion pour le pauvre (1).
La dévotion est causée par l'amour divin lorsque nous nous rappelons avec combien de bénignité le Seigneur a agi à notre égard , quels bienfaits il a accordés à notre indignité et à l'absence de nos nmérites, quels biens il a répandus sur tout le genre humain par son Incarnation, sa Passion, le Sacrement de l'autel et les dons sacrés de l'Esprit-Saint; lorsque nous contemplons la bonté naturelle de Dieu, cette bonté aussi grande que son immensité et son éternité, où l'on ne trouve ni mesure ni limite. Nous devons donc aimer sans mesure le Seigneur, et rien ne saurait être plus délectable, plus honorable et plus avantageux qu'un tel amour. Par ce sentiment, de l'amour divin , l'Esprit-Saint rend d'une manière particulière témoignage à notre âme que nous sommes les enfants de Dieu. Aussi est-il écrit avant tout d'un tel sentiment: Celui qui aime Dieu est connu de lui. J'aime ceux qui m'aiment (2). Mais être connu, être aimé de Dieu , c'est être approuvé par lui. L'amour divin est
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l'assaisonnement de toutes les bonnes affections de l'âme , et les autres vertus plaisent d'autant plus au Seigneur qu'elles reçoivent davantage de cet assaisonnement , et même il ne peut y avoir ni dévotion ni vertu qui' n'ait sa racine dans l'amour de Dieu.
La dévotion naît de la joie lorsque l'âme tressaille dallégresse au souvenir des bienfaits célestes; lorsque, plaçant son espérance en la grâce divine, elle a la confiance d'être du nombre des élus ; lorsqu'elle est heureuse du salut et des progrès du prochain; lorsque dans ses transports elle se réjouit de la gloire des saints et parcourt par la pensée les diverses demeures de la patrie bienheureuse. Tout cela la pénètre d'allégresse. Comme un oiseau sous l'impression du bonheur , elle prélude en son coeur à des accents de jubilation , à des transports de félicité et de louange, et, comme si elle cherchait à sortir de l'esclavage de sa prison, elle s'écrie : Mon coeur et ma chair ont tressailli de joie dans le Dieu vivant (1).
La dévotion vient enfin d'un étonnement d'admiration lorsque l'intelligence étant illuminée des splendeurs de la sagesse, contemple avec surprise la grandeur de la puissance divine , la suavité et la bénignité du Seigneur, la sévérité de ses jugements, l'abîme de sa clarté, son immensité incompréhensible, tout ce qui tient aux attributs de sa divinité, la raison admirable de chacune de ses oeuvres, et s'écrie avec Job : Dieu est grand par sa puissance, par son jugement
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et par sa justice, et il est véritablement ineffable. C'est pourquoi les hommes le craindront (1).
Quelquefois la dévotion est formée de la réunion de ces affections diverses, et la crainte se trouve unie à la douleur, l'amour à la joie et à l'admiration, la compassion à l'ardeur du désir. Comme autant. d'aromates broyés ensemble , déliés par l'eau de l'onction d'en haut, et cuits à la chaleur du feu divin, ces affections deviennent un parfum bienfaisant vraiment efficace et salutaire à guérir les maladies de l'âme. Ainsi voyons-nous ceux qui préparent les remèdes de la médecine , employer à leur confection tantôt une seule chose et tantôt plusieurs, tantôt celles-ci, tantôt celles-là, selon la nature des maladies.
La dévotion est comme la quintescence d'une affection pieuse, et elle s'adresse plutôt à la volonté qu'à l'intelligence; ainsi nous voyons certains hommes simples réellement dévots, et d'autres versés dans les lettres sans le moindre sentiment de cette vertu. Cependant la dévotion ne saurait être parfaite sans la lumière de l'intelligence. Mais autre est l'intelligence d'un coeur simple et pieux, autre celle d'un lettré. Celui-ci est habile à parler subtilement de tout sujet de spiritualité , à exprimer en termes propres ce qu'il veut, à le diviser et le distinguer comme il convient, à en assigner les causes et les raisons les meilleures , à le proposer avec méthode et persuasion dans un discours bien ordonné, à disserter longuement sur un point de peu d'importance, à envelopper dans un
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langage artificieux ce qui de soi est clair et sans la moindre obscurité, en sorte que chacune de ses paroles semble à l'homme sans instruction tirée du sens le plus intime des prophéties. L'autre, au contraire, en sa simplicité voit plus clairement la vérité en elle-même; il sait la méditer plus profondément, en peser plus exactement la valeur, en sonder plus intimement, en la goûtant en son coeur, les saveurs cachées , et contempler chaque chose d'une manière plus lumineuse au rayon de la pure intelligence. Il ne peut , il est vrai , établir en des termes précis les distinctions propres dun sujet; mais l'habitude où il est de se nourrir de la vérité lui en l'ait mieux connaître les différences naturelles que la force des arguments. Ainsi un philosophe subtil s'entend à parler magnifiquement d'un art, et l'ouvrier habile est réellement le seul qui sache le mettre en pratique.
Après avoir traité plus spécialement des points qui se rapportent à la volonté , nous allons exposer brièvement ce qui , dans les expériences de l'esprit, regarde l'intelligence : telles sont les révélations des choses cachées, les visions, les représentations de l'imagination. En ces opérations, certains hommes
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sont quelquefois instruits de la vérité, et beaucoup deviennent le jouet de l'illusion. Nous nous y arrêterons d'autant moins qu'elles trompent fréquemment ceux qui s'y appuient davantage , et que notre avancement spirituel ne saurait en retirer un grand profit alors même qu'elles seraient réelles et véritables, quoique les hommes sans expérience et ignorant les dons spirituels fassent consister eu de telles choses la grandeur de la sainteté et la profondeur de la sagesse.
On distingue quatre sortes de visions et autant de révélations, quoiqu'on puisse donner aux premières ce dernier nom , puisqu'on découvre en elles des choses cachées. Certaines visions peuvent être appelées proprement corporelles, car elles apparaissent corporellement aux regards dun homme éveillé : ainsi Moïse a vu le Seigneur dans un buisson ardent , el, souvent les anges ont visité les anciens patriarches sous une forme visible On peut rapporter à ce genre de vision toutes celles fondées sur l'expérience de nos autres sens , comme l'ouïe , le goût , l'odorat et le loucher, et alors le mot de vue est un terme général servant à exprimer chacun d'eux. Le peuple, est-il dit dans l'Exode, voyait les tonnerres et les lampes ardentes, le
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son de la trompette et la montagne toute couverte de fumée (1). Or, nul ne saurait voir, mais seulement entendre le bruit du tonnerre et le son de la trompette.
D'autres visions sont appelées imaginaires parce qu'elles n'ont point lieu comme les premières sous une apparence matérielle et alors que l'homme est éveillé, mais au moyen de l'imagination , soit dans le ravissement d'esprit, comme les visions de Daniel, d'Ezéchiel et autres saints de l'ancien et du nouveau Testament , soit durant le sommeil , comme celle où Jacob vit le Seigneur appuyé au haut d'une échelle , et celles où l'avenir fut montré en des songes à Pharaon et à, Nabuchodonosor. Or, ces divers exemples nous prouvent que les bons et souvent les méchants aussi sont favorisés de pareilles visions. Ensuite elles sont vraies quelquefois et elles servent à instruire certains hommes; d'autres fois elles sont trompeuses et en jettent plusieurs dans l'illusion. Les visions que vous avez eues sont vaines , dit Ezéchiel, et les prophéties que vous publiez sont pleines de mensonges (2). Elles ne rendent pas saint et ne sont point une preuve de sainteté ; autrement 13alaam serait saint et son ànesse aussi puisqu'elle vit un ange; Pharaon serait saint, car il reçut dans un songe des présages de l'avenir. Quand ces visions sont vraies , elles ne sont point méritoires par elles-mêmes; tel qui en a souvent été favorisé, n'en est pas meilleur pour cela ; et tel qui n'en a jamais joui, n'est pas moins élevé en vertu. Il en est ici comme de certains miracles.
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Quelquefois ces faveurs ont été plus nuisibles qu'utiles à plusieurs; ils en ont pris occasion de se glorifier vainement et ils se sont laissés aller à l'orgueil. Plusieurs encore s'imaginent avoir eu des visions et n'ont rien vu; ils se trompent eux-mêmes et trompent les autres, ou bien ils font tourner au profit de leur avarice leurs prétendues visions. Plusieurs feignent indignement d'avoir eu des visions, pour ne point sembler inférieurs aux autres, ou pour être considérés comme plus saints que leurs frères et des hommes à qui Dieu manifeste ses secrets. En certains les visions ont coutume d'être le prélude de la folie; leur cerveau est dans la confusion et obscurci par un nuage, leur vue se trouble , et ils s'imaginent voir quelque chose de réel là où tout est vain fantôme et mensonge. Votre coeur, dit le Sage , est en proie à ses imaginations; elles sont comme les caprices dune femme enceinte. N'appliquez point votre pensée à ces visions, à moins que le Très-Haut ne vous les envoie lui-même (1).
Une autre sorte de vision est la vision intellectuelle. Là notre oeil est illuminé de la splendeur de la vérité; il la contemple purement en elle-même, ou il la comprend au moyen d'une vision de l'imagination par les signes qui la représentent. Ainsi l'Apôtre étant ravi dans le Paradis ou au troisième ciel, vit des choses invisibles et entendit des paroles ineffables (2). Son regard ne fut point frappé de l'image des objets corporels, mais de la splendeur sans nuage de la vérité elle-même. De même on croit que l'évangéliste
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saint Jean a vu et compris sans l'intervention d'aucune figure toutes les choses dont il traite dans son Apocalypse. Il s'est servi de figures, il est vrai, pour les exprimer , mais il aura eu égard en cela à la faiblesse des autres, à qui la vérité pure et simple eût été imperceptible à cause de l'éclat dont elle est environnée; ou bien il aura agi ainsi à cause des mystères eux-mêmes qu'il ne fallait pas dévoiler indifféremment aux regards de tous. Une telle obscurité sert à exercer la foi des justes et défend ces mystères vénérables contre les regards des indignes. Au reste , toutes les saintes Ecritures sont couvertes de voiles semblables, et cela est signifié par le voile étendu devant le saint des saints où il était permis seulement aux prêtres et non au peuple d'entrer (1). De même lorsque les enfants d'Israël devaient se mettre en marche, le sanctuaire du tabernacle était enveloppé et les lévites étaient ensuite chargés de le porter; mais auparavant les prêtres seuls pouvaient le toucher et le regarder. L'Esprit-Saint nous montre par là que les mystères profonds des divines Ecritures sont découverts en partie aux parfaits, tandis que les autres doivent se contenter de les porter cachés sous le voile des figures durant le voyage de cette vie. Les figures mêmes des visions corporelles ou de l'imagination , quoique vraies quant à leur signification spirituelle, ne le sont pas quant à la substance des choses. Ainsi il ne saurait être vrai , dans la rigueur des mots, qu'il y ait dans le ciel des boeufs, des lions, des aigles et autres
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choses décrites dans l'Apocalypse et les visions des Prophètes; il y a seulement des vertus célestes dont les mérites et les emplois ont été signifiés par les propriétés de ces animaux et des objets divers mentionnés dans les saints Livres. Nous croyons que Jésus-Christ glorifié est corporellement dans le ciel , mais non qu'il y prenne réellement naissance de la Vierge, qu'il y soit nourri de son lait, qu'il y souffre ou y accomplisse les autres actes que l'Évangile clous raconte de lui pendant sa vie mortelle au milieu de nous. Cependant plusieurs saints et hommes dévots l'ont contemplé en leurs visions soit petit enfant venant au monde ou reposant dans le sein de sa Mère, soit en proie aux tourments de la croix. Il n'en était pas ainsi , sans doute; mais le Seigneur se montrait à eux de la sorte pour leur donner quelque consolation particulière et animer leur dévotion , ou pour les éclairer spirituellement sur quelque point. Nous savons, dit saint Paul, que Jésus-Christ étant ressuscité d'entre les morts ne mourra plus, et que la mort n'aura plus sur lui aucun empire (1). Ainsi il ne saurait naître, ni être allaité corporellement. Il faut en dire autant des autres apparitions des anges et des saints.
Mais il est un point que nous ne devons point passer sous silence. Certains hommes, trompés par les esprits séducteurs ou par leurs propres illusions, s'imaginent voir Jésus-Christ ou sa très-glorieuse Mère, et non-seulement être pressés dans leurs bras et recevoir leurs baisers , mais encore être comblés
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par eux d'autres caresses peu convenables, goûter sensiblement et extérieurement en leur chair ce qu'ils ressentent intérieurement en leur esprit, et être ainsi consolés selon la chair. Or, cela est non-seulement un mensonge et une séduction , mais encore un blasphème grave. et évident. L'Esprit-Saint , en ses visites, a pour but de porter à fuir et à détester tous les vices, et de combattre d'une manière toute particulière les inclinations de la chair. Là où l'esprit de pureté fait briller son flambeau , les mouvements d'une volupté perverse doivent nécessairement s'évanouir et disparaître comme les ténèbres en présence de la lumière. Quant à ceux qui goûtent de temps à autre quelque douceur spirituelle et sont ensuite souillés par la violence d'une délectation charnelle, je ne sais quel jugement en porter, sinon que j'aimerais mieux les voir privés des premières faveurs si je dois les entendre parler de semblables misères. Je n'ose point condamner ceux qui , au milieu des consolations spirituelles, sont soumis à de telles choses; mais je ne saurais excuser ceux qui s'y complaisent, quelle que puisse être d'ailleurs leur intention.
La révélation des choses cachées ou futures semble s'accomplir de plusieurs manières , et là encore, comme dans les visions, plusieurs se laissent séduire
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en jugeant une révélation ce que leur propre imagination leur a représenté ou ce que l'esprit d'erreur leur suggère. Ainsi entendons-nous à satiété de nos jours des prophéties sur l'arrivée de l'Antechrist, les signes de l'approche du jugement, la destruction des ordres religieux , la persécution de l'Eglise, la ruine des royaumes et autres malheurs auxquels le monde doit être soumis, etc. Nous voyons même des hommes graves et pieux embrasser tout cela avec une crédulité sans raison, et tirer diverses interprétations des écrits de Joachim et des prédictions de plusieurs autres. Quand ces diverses prophéties seraient vraies et authentiques, des religieux peuvent trouver assez de quoi s'occuper ailleurs d'une manière bien plus profitable. Jésus-Christ a réprimé en ses apôtres cette recherche curieuse des temps : Ce n'est pas à vous, dit-il, de savoir les temps et les moments que le Père a réservés en sa puissance (1).
La révélation a lieu quelquefois de vive voix et au moyen de paroles expresses, comme lorsque sur la montagne une voix dit à Pierre, à Jean et à Jacques : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Aussi Jésus-Christ dit-il lui-même à Pierre : Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, car ce n'est point la chair ni le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père, qui est dans le ciel (2). C'est encore de cette manière qu'à Silo la parole du Seigneur se fit entendre à Samuel pour la première fois (3).
Tantôt cette révélation a lieu au moyen d'un
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songe : ainsi Joseph, l'époux de Marie, reçut durant le sommeil l'ordre de prendre l'Enfant et sa Mère, et de fuir; il reçut également de la sorte l'ordre de revenir. Les Mages furent avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, et l'on trouve en plusieurs endroits d'autres exemples de ce genre de révélation (1).
Une autre fois, c'est un esprit angélique qui s'adresse à un homme éveillé et lui parle intérieurement. L'ange qui parlait en moi, dit Zacharie, me répondit : Ne savez-vous pas ce que sont ces choses (2) ? Une autre fois encore c'est un souffle intérieur qui se fait sentir au-dedans de l'âme. J'écouterai, dit le Prophète, ce que le Seigneur mon Dieu, one dira au-dedans de moi (3). Et cela a lieu de deux manières : d'abord lorsque Dieu inspire à l'âme ce qu'elle doit faire ou dire, ou lorsqu'il l'instruit de ses propres affaires, soit de celles des autres. Ainsi il a inspiré aux prophètes la manière dont ils devaient agir, ce qu'ils devaient annoncer; il leur a révélé les choses futures, éloignées ou cachées. En second lieu , Dieu n'éclaire pas sur tel ou tel fait en particulier; mais il montre d'une manière générale, en répandant sa lumière dans l'âme, ce qui est plus ou moins conforme au jugement de la vérité. Il enseigne ainsi aux justes à s'éloigner du mal et à faire le bien , à reconnaître par l'esprit de science, de conseil, d'intelligence et de sagesse, le bon vouloir de Dieu, et à choisir ce qui est plus parfait.
Il y a encore un autre genre de révélation qui a lieu par l'opération de l'Esprit-Saint ; c'est lorsque
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l'homme , par l'inspiration de Dieu , le prie pour une affaire particulière à soi ou même pour une affaire étrangère , et que l'ardeur de sa dévotion , unie à sa confiance profonde, lui fait comprendre qu'il a été exaucé en sa demande. Il s'attend bien alors à voir la chose dont il s'est occupé en sa prière avoir une heureuse issue; mais il ne sait par quelle voie cela arrivera. Au contraire, lorsqu'il ne se sent pas rempli de la confiance d'être exaucé, il comprend que sa prière sera sans effet , bien qu'il n'en soit pas entièrement certain , car il ignore si son peu de confiance a pour cause un manque de dévotion , ou si c'est l'indice d'un refus de la part de Dieu. Ce genre de révélation est spécialement familier aux âmes dévotes. Cependant en ce point comme dans l'inspiration intérieure, certains hommes sont sujets à se tromper. Ainsi un homme vraiment pieux se tourne vers Dieu et la grandeur de sa dévotion lui donne la confiance de le trouver favorable; alors il souhaite ou demande, soit pour lui , soit pour un autre, telle ou telle chose qu'il désire vivement. Avant d'avoir conçu un tel désir, sa ferveur était grande , et sa confiance en la bonté divine bien ardente; mais en ce moment cette ferveur redouble et cette confiance, animée de la sorte, devient plus inébranlable; il regarde comme l'oeuvre de l'Esprit-Saint la dévotion dont il est rempli : le démon ne saurait produire un sentiment auquel il est étranger; il se flatte donc de n'être point le jouet d'une illusion , et que l'espérance de voir son désir s'accomplir ne sera point confondue : l'esprit de ferveur et de confiance ,
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ainsi accru en son âme, lui est une preuve qu'il est exaucé. Cependant là peut se trouver une illusion : l'homme plein du désir d'une chose aimée se livre à la joie en y pensant fortement, et alors même qu'il n'a aucun sentiment de dévotion, la vivacité de son désir va jusqu'à le provoquer à pleurer, surtout si l'objet désiré est de nature à faire naître quelque impression de piété. Ainsi souvent, par vaine gloire, on désire la grâce de bien prêcher, le don de prophétie, des miracles ou d'autres choses merveilleuses, et notre coeur trompé sourit à de pareils fantômes et se remplit d'une ardeur frivole. Mais combien plus ce coeur se livre-t-il à la joie et se laisse-t-il pénétrer de dévotion quand ses pensées et ses voeux ont formé un tel désir avec maturité et charité, et non à la légère ni par vaine gloire? Et lorsqu'en ce moment l'esprit ressent une consolation qu'il est facile d'accroître en excitant davantage la dévotion , la confiance parle et l'on s'imagine entendre la voix même de l'Esprit-Saint , puisqu'il n'enlève pas la dévotion dont il a rempli l'âme , et que même le coeur, se trouvant dilaté , reçoit une grâce d'autant plus abondante que la joie dont il est pénétré offre un lieu plus spacieux à l'action divine. En effet, un coeur libre et plein de bienveillance est plus apte à recevoir la grâce de la dévotion, qu'un coeur resserré par la tristesse et l'amertume ; car l'Esprit-Saint est l'amour, la bienveillance et la bonté du Père et du Fils , et les semblables s'aiment naturellement. La joie est le propre de la patrie céleste; le chagrin de la tristesse le partage
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de cet exil, et l'amertume du désespoir le supplice de l'enfer.
Il faut donc en toutes sortes de visions et de révélations une grande prudence pour ne point recevoir comme vraies celles qui sont fausses, comme salutaires celles qui sont nuisibles , comme médiocres celles qui sont importantes, et comme incertaines celles qui sont à l'abri de tout doute. Mais l'Esprit-Saint peut seul, par le don de conseil et la grâce du discerneraient des esprits, disposer l'homme et lui faire connaître ce qu'il doit embrasser ou repousser en ces révélations et comment il doit en user. C'est lui qui a instruit les prophètes et les saints , et il leur a montré non-seulement la vérité, mais il leur a fait connaître intérieurement , par le témoignage de la vérité elle-même , la réalité des choses manifestées à leur regard. Pour certains, il semble plus sûr de ne point chercher ces visions , de ne point les admettre trop vite quand elles se présentent , et de se tenir en garde contre l'abîme des illusions. Quelquefois même il leur importe lorsqu'elles viennent , de peu s'en occuper comme étant d'un profit médiocre, afin que si elles sont vraies elles les trouvent indifférents à leur égard, et que si elles sont fausses ils ne tombent pas dans l'erreur en s'appuyant sur elles. S'ils veulent y donner quelque attention , qu'ils prennent conseil des sages uniquement et encore en petit nombre , et qu'ils s'exercent avec le plus grand soin aux choses sûres, méritoires et abondantes en fruits de salut , ou autrement à extirper les vices , à pratiquer fidèlement les vertus,
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à pénétrer le sens véritable des saintes Ecritures, et à embraser leur âme des ardeurs de la piété en s'adonnant à l'oraison. Voilà pour un religieux des choses salutaires , sûres et fructueuses. Plus il s'y porte avec ferveur, plus il acquiert de mérites et se rend digne de gloire devant Dieu.
Il y a aussi certaines douceurs sensibles , certains sentiments de suavité , dont les âmes pieuses sont quelquefois remplies. C'est comme une émanation ineffable de parfums, une saveur de délices inappréciables , une mélodie harmonieuse de voix et de sons, et une série d'objets d'une douceur indicible offerts au toucher. Comme ces faveurs viennent vraiment de Dieu , nous pouvons les regarder comme des dons accordés ;l des hommes nouveaux, sans expérience et ne comprenant pas encore bien clairement ce qui est de l'esprit, afin de leur faire goûter au moyen de ces douceurs au moins quelque consolation dans le Seigneur. Ils ne connaissent pas la vertu des choses purement spirituelles , et cependant en ces choses on trouve une force plus grande, une vérité plus assurée, un avancement plus fructueux , une perfection plus réelle. D'autres plus avancés dans les voies de l'esprit éprouvent aussi des consolations sensibles provenant de la surabondance de douceur intérieure dont ils sont remplis. De même que l'âme communique ses souffrances au corps comme au compagnon fidèle de son voyage, ainsi elle lui communique ses consolations. Quand l'âme est triste à l'intérieur, le corps languit au dehors. De même donc que le corps s'unit aux
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tribulations de l'âme et souffre avec elle dans l'acquisition des mérites, ainsi il est digne de prendre part aux faveurs et aux récompenses dont elle est comblée, et non-seulement aux récompenses de la gloire dans le ciel , mais encore aux récompenses de la grâce dans le temps présent. Ainsi les serviteurs , après avoir servi leurs maîtres dans un festin , sont admis ensuite à partager leurs restes. Si vous êtes les compagnons des peines, dit saint Paul, vous le serez également des consolations (1). La mesure accordée aux bien-aimés du Seigneur étant surabondante, le corps qui a eu sa part dans le travail reçoit ce qui déborde d'une telle mesure et l'empêche ainsi de se répandre et de se perdre.
Mais ce que nous avons dit des visions et des révélations , nous le dirons encore des consolations sensibles. Plusieurs s'y laissent séduire : ils les regardent comme venant de Dieu quand elles ne sont peut-être qu'une illusion fantastique; ils les jugent d'une grande importance , alors qu'elles n'ont aucun mérite ni aucune valeur, et quelquefois ils en prennent occasion de s'enorgueillir en eux-mêmes de semblables laveurs et s'en prévalent comme d'une grâce singulière de sainteté. Ensuite ces douceurs , lorsqu'elles se font sentir trop fréquemment et avec une impétuosité trop vive, ont pour résultat d'affaiblir le corps en ranimant l'esprit et de mêler en quelque sorte la peine â la joie. Ainsi un homme accoutumé à des aliments grossiers , s'il prend trop souvent des mets délicieux , se sent
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échauffé , puis altéré et voit sa santé tomber en ruine. Notre corps misérable et corruptible ressemble aux animaux auxquels une pâture sans apprêt suffit , il se contente de choses terrestres et sans valeur; car il lui a été dit après son péché : Tu te nourriras de l'herbe de la terre (1).
Mais plusieurs, affaiblis de la sorte par la véhémence de leur dévotion, demandent s'il vaut mieux pour eux subir ce dépérissement corporel, affermir l'âme par l'application à la piété et ne point rejeter la grâce que de se soustraire, en vue de leur excessive faiblesse, aux ardeurs de la dévotion , d'en éteindre l'esprit et de se livrer aux occupations extérieures afin de procurer quelque soulagement au corps. A cela je réponds, sauf meilleur avis, que les hommes en proie à un abattement trop profond peuvent de temps à autre se soustraire avec utilité à une telle ferveur et ne s'y porter par aucun de ces efforts particuliers où l'on semble vouloir exprimer de vive force quelque sentiment de dévotion, car des efforts aussi violents minent la santé des plus robustes. Si la grâce se présente sans rien de pénible de leur part, si elle se répand en eux sans avoir été recherchée, ils ne doivent ni la rejeter, ni l'embrasser sans réserve , surtout s'ils ressentent de sa présence un affaiblissement considérable , mais s'y attacher avec modération , selon cette parole : Avez-vous trouvé du miel? Mangez-en ce qui vous suffit (2), c'est-à-dire selon la mesure de vos forces. Il est plus avantageux de jouir avec retenue pour le
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moment de la grâce de la dévotion , que de la perdre entièrement et d'en être irrévocablement privé après avoir épuisé nos forces et détruit tout-à-fait la vertu naturelle qui est en nous. Les hommes dont la santé est ainsi délabrée , commencent ensuite à avoir trop de compassion pour eux-mêmes, et, afin de réparer les suites de leur indiscrétion, non-seulement ils usent d'une délicatesse trop grande , mais encore ils se livrent à une dissipation fâcheuse. Leurs forces, surtout celles de la tête et du coeur, se trouvant anéanties, c'est à peine s'ils osent se tourner pendant un court moment vers les exercices de piété : la fatigue de leur faiblesse les en éloigne aussitôt, et plus ils tentent d'agir contre elle, plus ils deviennent impuissants. Il semble donc plus sage de chercher avec réserve les consolations divines , lorsque l'abattement du corps s'y oppose, afin de pouvoir en jouir plus longtemps et d'être en mesure de les soutenir lorsqu'elles s'accroissent, que de les goûter un instant avec indiscrétion et d'être obligé de les fuir ensuite sans espoir de les recouvrer après les avoir perdues par l'épuisement de ses forces. Lorsqu'un vase est brisé , les parfums qu'il renferme se répandent. Ma chair et mon coeur ont défailli, dit le Prophète (1). En effet, quand la vertu du corps nous fait totalement défaut, la vigueur du coeur devient languissante dans la piété.
Souvent aussi il arrive aux hommes désireux d'une vive dévotion que plus ils s'efforcent d'en avoir la
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grâce, moins ils la possèdent, et que plus ils font d'instances , plus leur coeur demeure aride et insensible. Cela a lieu surtout aux grandes fêtes , aux jours si pieux de la Passion , de la Nativité , etc., et surtout lorsqu'ils se préparent avec le plus de sollicitude à la sainte communion. Beaucoup s'attristent profondément d'une semblable disposition, et remplis ainsi de crainte et de trouble en leur âme, ils s'imaginent qu'ils sont peut-être indignes de la visite céleste, qu'ils ne plaisent pas à Dieu , qu'ils s'approchent de la communion comme les pécheurs et les gens sans dévotion , et souvent une telle pensée les éloigne de l'aliment de vie, de la médecine du salut. Mais , comme nul homme ne sait s'il est digne d'amour ou de haine, nous ne saurions , à raison des dispositions du coeur et des mérites qui sont connus de Dieu seul, conseiller à personne selon la vérité ce qu'il y a à penser et à faire en pareille circonstance. Cependant on peut expliquer par plusieurs raisons pourquoi le Seigneur retire sa grâce aux justes et aux fervents , alors qu'ils seraient si heureux de la posséder et qu'ils la demandent avec instance.
La première est notre humiliation. L'homme, en effet, est bien plus humilié d'être sans dévotion alors, que d'en manquer en tout autre temps , et il éprouve en lui-même une confusion bien plus grande; ainsi les hommes du monde rougissent plus de ne point s'approcher de l'Eucharistie au temps de Pâques où tout le monde a coutume de communier, que pendant tout le reste de l'année.
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La seconde cause est afin de nous purifier de nos péchés. Peut-être nos autres exercices sont-ils moins efficaces pour atteindre ce but; peut-être avons-nous quelques fautes oubliées. C'est donc et pour nous rendre plus dignes de la sainte communion et pour nous laver davantage de nos offenses que Dieu agit ainsi. Or, la punition est plus grave là où la douleur est plus profonde; et plus la douleur est profonde, plus la pénitence est efficace. Peut-être ensuite en d'autres temps avons-nous cherché avec trop peu de soin la grâce de la dévotion ; peut-être l'avons-nous reçue trop négligemment; peut-être n'avons-nous point rendu d'actions de grâces pour un tel bienfait. C'est surtout ce mal que Dieu a en vue. Nous sommes punis maintenant par où nous avons péché : nous avons négligé la grâce quand nous pouvions l'avoir, et aujourd'hui que nous la désirons elle nous fait défaut; et ainsi nous apprenons à mieux nous tenir sur nos gardes à l'avenir.
La troisième raison , c'est afin de mieux nous apprendre que la grâce vient de Dieu , et non de nous. On le comprend alors : il n'est pas au pouvoir de l'homme de l'avoir selon sa volonté; mais c'est Dieu qui la donne de lui-même; il la répand en nos coeurs quand il le veut, il la retire quand il lui plaît et selon qu'il le juge profitable à celui qui la reçoit. Ensuite Dieu accorde ses faveurs par un mouvement de sa bonté et non à cause des mérites de l'homme. S'il les donnait toujours quand on les lui demande, et seulement quand on l'en supplie, peut-
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être croirait-on les recevoir en vertu d'un droit et non comme un bienfait gratuit de sa libéralité. Ainsi il refuse quelquefois par justice de répondre aux prières les plus ardentes, et quelquefois il accorde sans être prié, par un simple effet de sa grâce.
Deux sortes de tentations assez habituelles , le doute et l'orgueil , assiègent les hommes adonnés à la dévotion, surtout lorsqu'ils sont nouveaux et imparfaits. Ils doutent si telle grâce vient de Dieu ou si l'homme se procure par ses propres efforts les impressions qu'il ressent, et cette tentation est assez importune. Quelquefois même ils s'imaginent être sous le coup d'une illusion du démon, et alors leur perplexité s'accroît; ils vont même jusqu'à penser s'il ne vaudrait pas mieux mettre de côté tout exercice intérieur de piété et s'adonner aux prières vocales et à la vie active, comme offrant plus de sécurité que le genre de vie où ils sont engagés. Cette pensée se fait surtout sentir lorsque la grâce de la dévotion est re-tirée , et ainsi il y a à la fois une double tribulation : la soustraction de la grâce et le doute si cette grâce perdue venait de Dieu. Les disciples, avant le plein envoi du Saint-Esprit, chancelaient souvent de la
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sorte dans la foi de Jésus-Christ : tantôt, après avoir vu ses miracles et entendu ses enseignements admirables, ils le regardaient comme le vrai fils de Dieu; tantôt le spectacle des souffrances dont il s'était chargé pour nous les faisait hésiter, et avant d'être assurés de sa résurrection ils disaient : Nous espérions qu'il rachèterait Israël (1), comme si déjà ils eussent été frustrés de cette espérance. Après sa résurrection, en le voyant ils étaient dans la joie, et ils doutaient encore jusqu'à ce que des preuves sans nombre les eussent assurés de la réalité de ce fait, et cela eut lieu surtout par l'Ascension et l'envoi du Saint-Esprit. Ainsi les fidèles dévots de Jésus-Christ sont tantôt dans la joie en goûtant les consolations de la grâce intérieure, tantôt dans le doute et la tristesse. Quelquefois même l'Esprit-Saint les fait passer tout d'un coup par ces deux états. Il répand en eux la consolation et il la leur enlève, jusqu'à ce que, instruits par plusieurs indices de la vérité et de l'utilité de ses visites, ils arrivent à goûter la consolation quand la grâce est sensible , et à être rassurés sur la vérité de ses opérations quand elle est éloignée et qu'ils ne jouissent ni de sa présence ni de ses douceurs. Le sage, au jour de l'adversité, ne met pas en oubli les jours du bonheur, car leur souvenir soutient son âme contre l'abattement et la tempête; et c'est là un remède contre la première tentation, celle du doute. De même, au jour de la prospérité, il se garde bien d'oublier les temps malheureux , et cette pensée
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contribue à l'humilier, elle l'empêche, eu lui inspirant la crainte, de se laisser aller à l'orgueil.
Les hommes dévots sont tentés de quatre manières par l'orgueil : ils se flattent d'avoir mérité la grâce de la dévotion par leurs exercices et leurs travaux précédents; ils se croient aimés de Dieu de préférence à ceux en qui ils ne découvrent pas une faveur semblable ; ils s'imaginent avoir reçu Une grâce plus considérable que celle dont ils ont été favorisés en réalité ; et enfin ils se persuadent qu'ils savent mieux s'en servir, qu'ils la reçoivent avec plus de reconnaissance, qu'ils en retirent des fruits plus abondants et qu'ils la négligent moins que d'autres à qui un pareil bienfait a été accordé.
Contre la tentation du doute il faut croire fermement et avec une confiance inébranlable que cette grâce de la dévotion vient de Dieu , la considérer soigneusement pour découvrir si tous ses mouvements tendent uniquement au bien, s'adresser humblement à un homme habile et exercé en de telles choses , être disposé à se conformer promptement aux conseils qui nous seront donnés en cette circonstance, et prier Dieu ardemment de ne pas nous laisser devenir le jouet de notre sens propre ou d'un esprit étranger.
Afin de combattre efficacement la tentation d'orgueil, nous devons reconnaître soigneusement notre propre indignité , notre langueur , notre négligence , notre ingratitude, notre vaine gloire; penser avec crainte au jour où il nous faudra rendre compte des grâces reçues et négligées; redouter avec effroi la soustraction
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de la grâce et l'abandon de la part de Dieu à cause des défauts mentionnés tout-à-l'heure, défauts longtemps tolérés par le Seigneur en vue de notre amendement; considérer enfin soigneusement combien les autres l'emportent incomparablement sur nous en grâce , en vertu , en prières et en saintes pratiques.
Maintenant , pour revenir au sujet qui nous occupait à la fin du chapitre précédent, je dis qu'une autre raison pour laquelle Dieu refuse la grâce de la dévotion, alors qu'on la demande avec le plus de vivacité , c'est que la liberté de l'esprit se trouve quelquefois entravée par les efforts impétueux du coeur, quand l'homme se hâte d'exprimer des sentiments de ferveur comme s'il voulait les extorquer par la force. Si son désir n'est pas satisfait aussitôt , il s'attriste et s'endurcit graduellement; plus son ardeur le pousse vers l'objet de ses voeux, moins il avance et plus il se dessèche en lui-même. Ainsi, lorsqu'on met des raisins ou des olives sous le pressoir, si on les écrase à la hâte et avec trop de violence , on obtient une liqueur plus troublée et moins agréable que si l'on eût agi peu à peu et avec modération. Plus le sentiment de la dévotion est libre , plus il est abondant. Voilà pourquoi en d'autres temps l'homme est souvent plus dévot; car son esprit se trouvant abandonné à sa propre liberté, s'élève de lui-même vers les célestes hauteurs; ainsi une marelle trop précipitée nous fait suffoquer en notre corps, et le coeur est comme rafraîchi quand il peut agir librement.
Une autre raison de ce refus peut être de nous faire
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mériter une grâce plus considérable et une gloire plus sublime. Notre désir n'étant pas accompli, nous cause de la peine, et cette peine purifie notre âme. La patience dans la désolation et l'humilité dans l'affliction sont comme une âme propre à rendre cette âme plus brillante, plus apte à recevoir l'illumination divine, et plus capable d'une grâce et d'une gloire sans réserve. La lumière du visage de Dieu et l'éclat de sa clarté répandent également leurs rayons sur tous les hommes; mais plus un coeur est pur et libre des ténèbres du vice , plus cette lumière et cette divine splendeur peuvent le pénétrer, de même qu'un verre brillant ou un métal bien poli et bien exposé subit davantage l'action du soleil et devient plus lumineux. Or, l'affliction est vraiment une âme destinée à faire disparaître de l'âme la rouille des vices et à lui faire recouvrer la lumière de la grâce , après avoir dissipé le péché dont l'obscurité, comme un obstacle infranchissable , empêchait les rayons célestes d'arriver jusqu'à elle. Voilà pourquoi Dieu purifie quelquefois le coeur en lui retirant ces consolations dont l'éloignement est pour lui la plus grande des peines. Au feu d'une semblable épreuve, l'homme devient apte à recevoir une grâce plus abondante dans le temps présent et digne d'une gloire plus élevée dans le ciel , alors même que l'affliction lui serait venue sans avoir pour cause aucune faute spéciale.
Maintenant veut-on savoir s'il est plus avantageux de recevoir plus ou moins souvent le sacrement du corps de Jésus-Christ? Je répondrai : Il me semble
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impossible détablir sur ce point une règle uniforme pour tout le monde. Les mérites des hommes varient, leurs oeuvres sont diverses, leurs désirs différents, les opérations de l'Esprit-Saint multiples en chacun , et en religion tous les étals ne sont pas les mêmes. Comme on ne saurait, dans les maladies corporelles, adopter une forme unique dans l'emploi des remèdes, à cause des différences de complexions , de lieu , de temps , de diète , etc., qui nécessitent une dose plus ou moins considérable , de même en la médecine des âmes, qui forment le corps de Jésus-Christ, on ne peut avoir une manière unique d'agir. Les hommes occupés aux affaires du monde sont dans l'impuissance de se disposer à la communion aussi souvent que certains appliqués sans cesse à des exercices spirituels. Ensuite les uns sont plus attentifs, les autres moins à veiller sur leur vie, leurs actes , et à garder la pureté de la conscience. Les uns sont entraînés par l'ardeur de leur désir à recevoir cet aliment de salut; d'autres, au contraire, sont comme glacés d'épouvante lorsqu'ils doivent s'approcher, et si la conscience ne les pressait , si l'habitude de l'Ordre n'en faisait une obligation, si la crainte de s'éloigner davantage de Dieu ne les poussait avec force , ils ne participeraient que bien rarement à ce sacrement admirable. C'est à peine si un homme peut être assez saint et assez religieux, à l'exception des prêtres, pour communier plus d'une fois par semaine, à moins qu'il ne soit persuadé d'agir autrement par un motif spécial , par une maladie qui survient, par la rencontre d'une fête
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solennelle, par une ferveur inaccoutumée de dévotion , par une soif violente de recevoir ce sacrement qui seul est capable d'apaiser l'ardeur d'une âme éprise d'amour. Comme l'impétuosité d'une semblable ardeur est répandue en nous par l'Esprit-Saint , selon qu'on le croit, ,'elle ne saurait être comprimée par les lois de la coutume ou par des règlements humains. Nous avons vu certains hommes dont Jésus-Christ seul était la vie : s'ils ne recevaient fréquemment le pain de vie en son sacrement , leur corps semblait comme défaillir, et l'on reconnaissait leur souffrance à des marques évidentes. Plusieurs étaient si faibles avant la communion qu'ils ne pouvaient marcher assez pour accomplir les exercices ordinaires de la maison, et ensuite ils se trouvaient fortifiés comme s'ils n'eussent jamais été soumis à la moindre infirmité au dehors. En eux se vérifiait sans réserve cette parole : Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment un breuvage (1). Car aucun aliment matériel , aucun breuvage ordinaire n'eût pu ranimer aussi promptement ni aussi efficacement , non-seulement leur corps , mais encore leur l'âme.
Cependant il est utile et salutaire à l'homme de se préparer à recevoir souvent un semblable remède, de s'en approcher avec le plus de dévotion possible et de s'appliquer à se conserver ensuite dans la ferveur; mais les religieux doivent apporter en cela une attention plus vive : ils sont consacrés à Dieu et ils veilleront plus soigneusement sur leurs actes et leur conscience
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si avant et après la sainte communion le respect de l'Eucharistie les excite à vivre dans une innocence plus grande et à s'adonner plus fréquemment aux exercices de la dévotion. Quelquefois, il est vrai , la tiédeur se fait sentir; cependant qu'ils avancent pleins de confiance en la miséricorde divine, et , s'ils se jugent indignes , qu'ils pensent que le malade a d'autant plus besoin de recourir au médecin qu'il ressent davantage la gravité de son mal. Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, dit le Sauveur, mais les malades (1). Vous ne chercherez donc pas à_ vous unir à Jésus-Christ pour le sanctifier, mais pour être sanctifiés par lui.
L'homme ne doit pas abandonner la sainte communion, parce qu'il ne ressent point en son coeur une dévotion spéciale lorsqu'il s'efforce de s'y préparer, ou parce qu'en recevant le sacrement et après l'avoir reçu il se trouve moins fervent qu'il ne voudrait; car cet état a coutume d'avoir lieu pour une des causes indiquées plus haut.
Quant aux prêtres, on peut adopter la règle suivante: Ils ne doivent célébrer ni trop rarement ni trop souvent, ni contracter l'habitude de ne laisser passer aucun jour sans immoler la victime sacrée. Célébrer d'une manière trop continue semble marquer jusqu'à un certain point le manque de respect; car il n'est personne si fervent qui persévère toujours dans la même ferveur, qui puisse faire tous les jours cette action avec la révérence exigée , avec la piété de coeur
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convenable, et qui de temps à autre ne trouve en soi quelque raison de s'abstenir. Célébrer trop rarement , même par respect et humilité, contribue quelquefois à nourrir la paresse : l'homme devient moins circonspect en ses actes , il lui semble n'avoir plus besoin de veiller aussi diligemment sur soi-même, puisqu'il ne se propose pas d'approcher de la table de Jésus-Christ. L'humilité non plus ne trouve pas une sûreté entière à s'éloigner long temps : s'il ne convient pas de recevoir trop souvent le corps du Sauveur, il ne convient pas davantage de s'en abstenir toujours. Nous n'allons pas à lui parce que nous sommes dignes de lui , mais nous cherchons à nous rendre de plus en plus dignes en l'invitant à nous visiter et à établir sa demeure en notre corps et en notre coeur. En effet , le lieu où le Seigneur entrera sera béni, comme autrefois la maison d'Obédédom l'a été à cause de l'arche où la manne était gardée. Aussi David voulut-il ensuite ramener cette arche sainte à Jérusalem au milieu des bénédictions du peuple. Et il est écrit au livre de la Sagesse : J'ai résolu de la prendre pour la compagne de ma vie, sachant qu'elle me fera part de ses biens (1). Et ces biens, je les passerai sous silence parce qu'ils sont expliqués en plusieurs autres endroits de l'Ecriture.
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Les hommes sont attirés à communier ou à célébrer par des affections et des intentions diverses, L'amour divin en pousse plusieurs à inviter souvent leur Bien-Aimé à venir les visiter, et à l'embrasser avec délices lorsqu'ils le possèdent en leurs coeurs. D'autres ont égard à leur propre infirmité; ils l'appellent comme un médecin capable de guérir toute maladie. D'autres sont excités par la conscience de leurs crimes; ils désirent être entièrement purifiés par lui comme par une victime de propitiation. L'angoisse de la tribulation est une cause pour plusieurs; ils se portent vers le Sauveur comme vers un libérateur capable de les délivrer promptement de toute adversité et de les garder sûrement à l'avenir. D'autres désirent obtenir quelque grâce ou quelque bienfait par les prières de celui à qui le Père céleste ne peut rien refuser. D'autres veulent reconnaître par des actions de grâces les bienfaits divins , et ils savent que nous ne saurions plus dignement remercier Dieu de toutes les faveurs dont il nous a comblés, qu'en recevant le calice du salut, Jésus-Christ lui-même. D'autres veulent louer Dieu et honorer ses saints , et nous ne pouvons offrir à Dieu une louange plus agréable et rendre aux saints
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des hommages plus conformes à leur grandeur que d'immoler Jésus-Christ à son Père. D'autres enfin sont mus par leur charité et leur compassion pour le prochain; ils veulent procurer le salut aux vivants et le repos aux morts, et rien ne saurait conduire plus efficacement à un tel but que le sang de Jésus-Christ répandu pour nous. Notre secours suprême , lorsque nous prions Dieu, est de pouvoir invoquer comme intercesseur Celui qui nous a réconciliés avec son Père et ne cesse de le conjurer pour nous.
Je laisse de côté bien des choses sur la vertu d'oraison et la manière de s'y exercer; mais la pratique en apprendra plus à l'homme fidèle que mes paroles. Je me contenterai donc d'ajouter, en finissant, que toutes nos demandes sont renfermées dans les points suivants : prions pour obtenir le pardon des fautes dont nous nous sommes rendus coupables, l'éloignement des maux dont nous sommes accablés , la possession des biens que nous désirons , et rendons grâces pour les bienfaits reçus ou les félicités promises. Daigne le Seigneur nous conduire à la jouissance de ces félicités, lui qui est béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
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