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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LA VOIE DU SEIGNEUR.
Celui qui commet liniquité ne marche pas dans la voie du Seigneur. Or, tout homme est pécheur et le péché cest liniquité; donc nul homme ne marche dans cette voie. Croire en effet que nous sommes sans péché, cest le comble de lorgueil; dire que nous sommes en état de péché, sans le croire, cest lhypocrisie. Toutefois les saints marchent dans les voies du Seigneur, et néanmoins ils ont liniquité, puisque saint Paul faisait le mal quil ne voulait pas. Ainsi le péché habitait en lui, et néanmoins il marchait dans la voie du Seigneur.
1. Il est écrit dans notre psaume, nous le lisons, et cest une vérité, que « ceux qui commettent liniquité ne marchent pas « dans les voies du Seigneur 1 ». Mais, avec le secours de Dieu, entre les mains de qui nous sommes, ainsi que nos discours 2, faisons en sorte quune parole si vraie ne vienne pas à troubler le lecteur ou lauditeur qui la comprendrait mal: Ce sont en effet tous les saints qui nous tiennent ce langage : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité nest pas en nous 3 ». Il nous faut éviter dès lors, ou de les regarder comme en dehors des voies du Seigneur, parce que le péché cest liniquité, et que ceux qui commettent liniquité ne marchent point dans ses voies, ou parce quil nest pas douteux quils marchent dans les voies du Seigneur, de croire quils nont aucun péché, ce qui est faux. Ce nest point en effet pour réprimer notre arrogance ou notre orgueil quil est écrit : « Cest nous séduire que dire que nous sommes sans péché ». Autrement lApôtre naurait pas ajouté : « Et la vérité nest point en nous »; mais il dirait : « Lhumilité nest point en nous »; surtout que le texte suivant donne au sens sa plus grande clarté et vient lever toute espèce de doute. A ces paroles en effet, saint Jean ajoute : « Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous remettre nos péchés et nous purifier de toute iniquité 4 ». Que peut répondre, que peut opposer à cette parole la plus orgueilleuse impiété? Si cest pour confondre notre orgueil, et non pour proclamer une vérité, que les saints ne se disent pas
1. Ps. CXVIII, 3. 2. Sag. VII, 16. 3. Jean, I, 8. 4. Id. 9.
sans péché, pourquoi cette confession, afin de mériter le pardon et la justification? Est-ce encore là un moyen déviter lorgueil? Comment alors une confession mensongère leur obtiendrait-elle une véritable rémission des fautes? Silence donc à cette feinte orgueilleuse, mort à cette plainte chétive qui se séduit elle-même, qui vient sous le voile de lhumilité dire à loreille des hommes quelle est en péché, tandis quun orgueil impie lui fait dire au fond de son âme quelle est sans faute. Tenir ce langage, cest nous séduire nous-mêmes, cest navoir point en nous la vérité. Parler ainsi devant les hommes, non-seulement cest nous séduire nous-mêmes, cest encore séduire les autres en les infestant dune doctrine si corrompue. Mais tenir ce langage dans le secret de leur coeur, cest là se séduire soi-même, cest navoir point en soi-même la vérité; cest mettre dans son propre coeur la séduction, et dès lors cest perdre au fond de son âme la lumière de la vérité. Dès lors, que la famille du Christ, famille sainte, qui fructifie et saccroît dans le monde, qui est vraiment dans la vérité et vraiment dans lhumilité, que celte famille sécrie: « Si nous disons que nous navons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité nest point en nous. Si nous allons jusquà confesser à Dieu nos fautes, il est juste et fidèle, au point de nous pardonner nos péchés et de nous purifier de nos fautes ». Puisse notre coeur le sentir, comme notre langue le profère. Car lhumilité nest véritable que quand elle ne consiste pas seulement en paroles, de manière que, selon la parole de saint Paul, « sans nous élever à des pensées trop hautes, nous nous
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accommodons à ce quil y a de plus humble 1 ». LApôtre ne dit point que nous parlions, il dit que nous nous accommodions, ce qui nest point laffaire de la langue, mais celle du coeur. Ainsi donc, ô hypocrite, dire que tu es en péché, sans le croire dans ton coeur, cest feindre lhumilité au dehors, et à lintérieur embrasser la vanité. Cest donc navoir la vérité ni dans la bouche, ni dans le coeur. De quoi te servira que tes paroles soient humbles aux yeux des hommes, si Dieu voit lenflure dans tes pensées? Que loracle divin crie à ton oreille : Loin de toi toute parole orgueilleuse: tu mériterais néanmoins dêtre condamné si les paroles de ta bouche étaient humbles devant les hommes, tandis que devant. Dieu les paroles de ton coeur seraient pleines denflure. Mais quand il dit formellement: « Au lieu de tenorgueillir, crains plutôt 2 », il nest point question ici de langage, mais plutôt de sentiments; pourquoi lhumilité ne serait-elle point dans le coeur, comme le sentiment est dans le coeur? Lenflure de lâme ne couvrirait-elle donc, dans notre langage, quune humilité menteuse? Tu lis, ou plutôt tu entends: « Au lieu de tenorgueillir, crains plutôt » ; et tu télèves dans tes sentiments, au point de te croire sans péché; et pour ne point en passer par la crainte, tu nas dautre ressource que lorgueil. 2. Mais, diras-tu, pourquoi donc est-il écrit: « Tous ceux en effet qui commettent liniquité, ne marchent pas dans ses voies? » Eh ! les saints du Seigneur ne marchent-ils pas dans les voies du Seigneur? Sils marchent dans ses voies, ils ne commettent point diniquité; sils ne commettent point diniquité, ils nont aucun péché; car « cest liniquité qui est le péché 3». Ah! levez-vous pour me secourir, Seigneur Jésus, et quà lhérétique orgueilleux je puisse opposer lhumble aveu de lApôtre. Où est donc cet homme qui fait le vide en lui-même pour nêtre plein que de vous? Ecoutons-le, saies frères, interrogeons-le sur cette question, sil vous plaît, ou mieux, parce quil vous plaît. Dites-nous donc, ô bienheureux Paul, si vous marchiez dans les voies du Seigneur, lorsque vous viviez encore en cette chair? Mais, nous répond-il, pourquoi mécriais-je alors « Toutefois, marchons dans la voie où nous
1. Rom. VII, 16. 2. Id. XI, 20. 3. I Jean, III, 4.
sommes arrivés 1? » Pourquoi dire encore : « Tite vous a-t-il donc circonvenus? Navons- nous pas marché dans le même esprit et suivi les mêmes traces 2 ? » Pourquoi dire: « Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur, car nous nallons à lui que par la foi, et nous ne le voyons pas à découvert 3 ? » Quelle voie nous conduit plus sûrement au Seigneur, que la foi dont vit le juste en ce monde 4? Dans quelle autre voie pouvais-je marcher quand je disais: « En tous cas, oubliant ce qui est derrière moi, je mavance vers ce qui est devant moi, je mefforce datteindre le but, pour remporter le prix auquel Dieu ma appelé den haut par Jésus-Christ 5 ? » Enfin, dans quelle voie pouvais-je courir quand je disais : « Jai combattu un bon combat, jai achevé ma carrière 6 ? » Que ces citations nous suffisent pour montrer que lapôtre saint Paul marchait dans la voie du Seigneur; mais interrogeons-le sur un autre point. Dites-nous, ô saint Apôtre, je vous en supplie, quand vous viviez dans la chair, marchant dans les voies du Seigneur, aviez-vous quelque péché, ou viviez-vous sans péché? Voyons sil se séduira lui-même, ou bien sil sera daccord avec le bienheureux Jean, apôtre comme lui; car la vérité était en eux 7. Voici donc sa réponse: Navez-vous point lu cet aveu que jai fait: « Ce que je fais, ce nest point le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas 8 ? » Voilà ce que nous entendons; mais demandons ensuite : Comment donc marchiez-vous dans les voies du Seigneur, si vous faisiez précisément le mal que vous ne vouliez pas; puisque la parole du psaume est formelle : « Ceux qui commettent liniquité ne marchent point dans ses voies? » Ecoutons maintenant sa réponse dans la pensée suivante : « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce nest plus moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi 9 ». Voilà comment ceux qui marchent dans la voie du Seigneur ne commettent point liniquité, bien quils ne soient point sans péché; car sils ne le commettent point eux-mêmes, le péché néanmoins habite en eux. 3. Mais, dira-t-on, comment, dune part,
1. Philipp. III, 16. 2. II Cor, XII, 18. 3. Id. V, 6,7. 4. Rom. I, 17. 5. Philipp. III, 13, 14. 6. II Tim. IV, 7. 7. I Jean, I, 8. 8. Rom. VII, 15. 9. Id. 15-17.
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lApôtre faisait-il le mal quil ne voulait pas, et comment, dautre part, nétait-ce point lui qui le commettait, mais le péché qui habitait en lui? En attendant que nous répondions, une difficulté est déjà résolue, et il devient évident par lautorité de lEcriture sainte, quil est possible que nous marchions dans les voies du Seigneur, sans être exempts de péché, bien que nous ne le commettions point nous-mêmes. « Ceux qui commettent liniquité », cest bien là le péché, puisque le péché est une iniquité, « ceux-là ne marchent point dans les voies du Seigneur ». Maintenant, comme il faut finir ce discours, réservons pour un autre à expliquer comment cest lhomme qui commet le péché à cause de ce corps de mort soumis à la loi du péché, et comment il ne le commet point dès quil marche dans les voies du Seigneur.
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