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VINGT-TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LA VÉRITABLE LUMIÈRE.
On appelle flambeau ce qui ne sallume quà la véritable lumière qui est le Christ. Cette parole qui est un flambeau, cest la parole de lEvangile prédite par les Prophètes, prêchée par les Apôtres. Elle a déterminé le Prophète à garder les décrets de la justice, par celte foi si persécutée, et pour laquelle il demande à Dieu la vie selon sa parole, cest-à-dire la vie de lâme par une pureté toujours croissante. Il veut que cette âme soit entre es mains de Dieu ; il loffre afin quelle échappe aux pièges des pécheurs. Ces témoignages acquis par héritage lui viennent de Dieu notre Père, à qui nous devons rendre témoignage par la charité qui est éternelle.
1. Il faut avec la grâce de Dieu approfondir et vous exposer quelques versets de notre psaume dont le premier est celui-ci : « Votre parole est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mon sentier 1 ». Le mot « flambeau » est répété dans « lumière », et « mes pas» répété « dans mon sentier ». Que signifie cette parole ou ce Verbe ? Est-ce bien ce Verbe qui, dès le commencement, était Dieu et en Dieu, ce Verbe par qui tout a été fait 2 ? Point du tout; car ce Verbe est la lumière, et non un flambeau, et tout flambeau est créature, et non Créateur; il ne sallume quau contact de limmuable lumière. Cest là ce quétait Jean, dont le Verbe de Dieu a dit: « Il était une lampe ardente et brillante 3 ». Toutefois cette lampe était aussi lumière, et néanmoins, en comparaison du Verbe dont il
1. Ps. CXVIII, 105. 2. Jean, I, 1. 3. Id. V, 35.
est dit: «Le Verbe était Dieu», il nétait point la hum ère, mais seulement envoyé pour rendre témoignage à la lumière. La lumière véritable nétait point celle qui reçoit la lumière dailleurs, à limitation des hommes, mais celle qui éclaire tout homme 1. Et cependant, si le flambeau nétait aussi lumière, le Sauveur ne dirait point aux Apôtres: « Vous êtes la lumière du monde 2 ». Mais de peur que cette parole ne leur persuadât quils étaient lumière dans le même sens quil avait dit de lui : « Je suis la lumière du monde 3», voilà quil leur dit deux-mêmes: « Une ville placée sur une montagne ne saurait être cachée, et on nallume point un flambeau pour le placer sous le boisseau, mais sur un candélabre, afin quil éclaire tous ceux qui sont dans la maison; ainsi que votre
1. Jean, I, 1-9. 2. Id. VIII, 12. 3. Matth. V, 14.
lumière brille devant les hommes 1» ; il voulait quils se considérassent comme des flambeaux allumés à cette lumière qui ne change point. Nulle créature, en effet, pas même celle qui est raisonnable et intelligente, ne saurait séclairer par elle-même; elle ne sallume que par la participation à la vérité éternelle, bien que souvent on lappelle jour: ce jour nest point le Seigneur, mais le jour que le Seigneur a fait. Aussi le Prophète lui dit-il : « Approchez de Dieu afin den être éclairés 2 ». Cest à cause de cette participation que le Médiateur est dans son humanité appelé une lampe dans lApocalypse 3. Mais cest là une prérogative particulière, car il nest point dhomme, quelque saint quil soit, dont il soit dit den haut, et dont on puisse dire : « Le Verbe sest fait chair 4 »; cest uniquement du Médiateur de Dieu et des hommes 5. Si donc lon appelle lumière ce Verbe unique égal à celui qui lengendre; si lon appelle lumière cet homme éclairé par le Verbe que lon nomme aussi flambeau, tel que Jean, tels que les Apôtres, bien que nul dentre eux ne soit le Verbe, et que ce Verbe qui les éclaire ne soit point une lampe; quest-ce dès lors que ce Verbe qui est tout à la fois lumière et flambeau (car « votre Verbe, nous dit le Prophète, est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mes sentiers »), si nous nentendons par là ce Verbe, cette parole donnée aux Prophètes, prêchée par les Apôtres, non pas la parole qui est le Christ, mais la parole du Christ, dont il est écrit : « La foi vient de ce quon entend, et on entend la parole du Christ 6? » Saint Pierre, à son tour, comparant à une lampe la parole des Prophètes : « Nous avons », dit-il, « une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien darrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur ». Alors ce que le Prophète nous dit ici: « Votre parole est un flambeau pour mes pieds, une lumière dans mon sentier », sentend de la parole contenue dans les saintes Ecritures. 2. « Jai juré, jai résolu de garder les décrets de votre justice 8 ». Cette parole est dun homme qui suit fidèlement cette lumière divine, et qui marche dans les droits sentiers.
1. Matth. V, 14-16. 2. Ps. XXXIII, 6. 3. Apoc. XXI, 23. 4. Jean, I, 14. 5. I Tim, II, 5. 6. Rom. X, 17. 7. II Pierre, I, 19. 8. Ps. CXVIII, 106.
Le second verbe explique ce quavait commencé le précédent; comme si nous lui demandions ce que signifie « je lai juré », il ajoute «et je lai résolu». Il appelle jurement ce quila confirmé par un serment; car lâme doit être tellement déterminée à garder les jugements de la justice divine, que sa résolution soit un véritable serment. 3. Or, cest par la foi que lon garde les décrets de la justice divine; cette foi vive qui nous persuade que sous un Dieu juste, il ny a nulle bonne oeuvre sans récompense, ni crime sans châtiment; mais comme cette foi a valu au corps du Christ de graves et nombreuses persécutions, le Prophète sécrie : « Jai été humilié à lexcès 1». il ne dit point: Je me suis humilié, en sorte quon doive entendre ces paroles de lhumilité qui est de précepte; mais il dit : « Jai été humilié à lexcès », endurant la plus affligeante persécution; parce quil a juré, résolu de garder les décrets de la justice divine, Et de peur que la foi ne labandonne dans une si grande humiliation, il ajoute : « Seigneur, donnez-moi la vie selon votre parole », cest-à-dire, selon votre promesse. Car cette parole des saintes promesses est un flambeau pour mes pieds, une lumière pour mes sentiers. Cest ainsi que plus haut, dans la persécution quil endurait, il a demandé à Dieu de le vivifier, en disant : « Peu sen est fallu quils ne manéantissent sur la terre; et pour moi je nai point abandonné vos préceptes; vivifiez-moi selon votre miséricorde, et je garderai vos témoignages ou vos martyres ». Ce qui nous fait comprendre que si Dieu ne nous vivifiait en nous dominant la patience, selon cette parole : « Vous posséderez vos âmes dans votre patience 2 » ; et cest encore de lui quil est dit: « Que la patience vient de lui 3», la persécution pourrait bien ne pas tuer le corps, mais lâme mourrait pour navoir point gardé les martyres ou les décrets de la justice divine. 4. « Agréez, Seigneur, les offrandes volontaires de ma bouche 4 »; cest-à-dire, puissent-elles vous plaire, ne les rejetez point, mais approuvez-les. Or, par ces sacrifices de la bouche, peuvent très-bien sentendre les sacrifices de louanges quexhale un cri damour et non la crainte dune servile nécessité. De là cette autre
1. Ps. CXVIII, 107. 2. Luc, XXI, 19. 3. Ps. LXI, 6. 4. Id. CXVIII, 108.
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parole: « Je vous offrirai des sacrifices volontaires 1». Mais pourquoi ajouter: « Et enseignez-moi vos jugements? » Le Prophète navait-il pas dit plus haut : « Je ne me suis point écarté de vos jugements? » Comment la-t-il pu, sil ne les connaissait point? Et sil les connaissait, comment dit-il ici: « Enseignez-moi vos jugements ? » En est-il ici comme de ces autres paroles: « Vous avez fait acte de douceur envers votre serviteur », après lesquelles il dit : « Enseignez-moi votre douceur? » paroles que nous avons expliquées comme le cri dune âme qui progresse, et qui demande que lon ajoute encore à ce quelle a déjà reçu. 5. «Mon âme est toujours entre vos mains 2». On lit dans plusieurs exemplaires, « entre mes mains»; mais dans le plus grand nombre, « entre vos mains », et le sens est clair les âmes des justes, en effet, sont entre les mains de Dieu 3; et nous-mêmes sommes entre ces mains ainsi que nos paroles 4. « Et je nai point oublié votre loi », dit le Prophète; comme si ces mains de Dieu entre lesquelles est son âme aidaient sa mémoire à ne point oublier la loi de Dieu. Mais je ne sais en quel sens il faudrait dire: « Mon âme est entre mes mains ». Ce langage nest point celui de linjuste, mais du juste qui retourne à son Père, et non qui sen éloigne. On pourrait dire que le prodigue de lEvangile voulait avoir son âme entre ses mains, quand il disait à son Père : « Donnez-moi la portion de bien qui doit méchoir 5 ». Mais telle fut la cause de sa mort, la cause de sa perdition. Ou bien cette expression: «Mon âme est entre mes mains », signifierait-elle que le Prophète offre son âme à Dieu afin quelle soit vivifiée ? Elle reviendrait alors à cette autre : « Jai levé mon âme vers vous 6 ». Car le Prophète a dit plus haut: « Vivifiez-moi ». 6. « Les pécheurs », poursuit-il, « mont tendu un piége, et je nai point dévié de vos préceptes 7». Doù vient cette fidélité, sinon de ce que son âme est entre les mains de Dieu, ou quil loffre de ses mains à Dieu afin quil la vivifie ? 7. « Jai acquis vos témoignages comme un héritage éternel 8». Quelques-uns, pour
1. Ps. LII, 8. 2. Id. CXVIII, 109. 3. Sag. III, 1 4. Id. VII, 16. 5. Luc, XV, 12, 24. 6. Ps. XXIV, 1. 7. Id. CXVIII, 110. 8. Id. 111.
imiter le grec, et renfermer tout en un mot, ont traduit, haereditavi; mais cette expression, quoique latine, semble désigner plutôt celui qui donne en héritage, que celui qui accepte; en sorte que haereditavi, signifierait jai enrichi. Le sens est donc plus exact dans ces deux expressions : « Jai acquis par héritage », ou « possédé par héritage »; mais « par héritage », et, non un héritage. Et si lon se demande ce quil a acquis par héritage, « ce sont vos témoignages », répond-il. Que veut-il dire, sinon quil a reçu du Père, dont il est héritier, la faveur dêtre son témoin, de confesser ses témoignages, cest-à-dire dêtre le martyr de Dieu, de le confesser comme le font ses martyrs? Beaucoup, en effet, lont voulu et ne lont pu; mais nul ne la pu sil na voulu; car ils neussent rien pu, sil eussent voulu renier à Dieu son témoignage. Encore est-ce le Seigneur qui a ainsi disposé leur volonté 1. Voilà ce quil déclare quil a reçu en héritage, et cela « pour jamais » ; parce quon ne retrouve pas dans ces témoignages cette gloire passagère des hommes qui recherchent la vanité, mais cette gloire éternelle qui échoit à ceux qui souffrent un moment ici-bas, et qui doivent régner sans fin. De là ce quajoute le Prophète : « Parce quils font les délices de mon coeur ». Ils peuvent affliger le corps, mais ils sont la joie du coeur. 8. « Jai incliné mon cur », dit-il ensuite, « afin daccomplir éternellement vos préceptes, en vue de la récom pense 2 ». Celui qui dit ici : « Jai incliné mon cur », avait déjà dit: « Inclinez mon coeur vers vos témoignages », afin de nous faire comprendre que cest là loeuvre de Dieu et de notre volonté tout ensemble. Mais devons-nous accomplir éternellement les préceptes du Seigneur ? Les oeuvres par lesquelles nous soulageons les besoins du prochain ne sauraient être éternelles, non plus que ces besoins; mais si nous ne les faisons par charité, elles ne peuvent nous justifier; si nous agissons par charité, comme la charité est éternelle, une récompense éternelle lui est réservée. Cest en vue de cette récompense éternelle quil a, dit-il, incliné son coeur pour accomplir les préceptes de Dieu, afin quen laimant éternellement, il mérite de posséder éternellement lobjet de son amour.
1. Prov. VIII, 35. 2. Ps. CXVIII, 112.
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