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QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LOBÉISSANCE AUX PRÉCEPTES.
Les Grecs ont dit avec raison « rien de trop », quand il sagit de régler notre vie. Mais quand le Prophète veut que lon garde les préceptes de Dieu « à lexcès», cela signifie: complètement; il implore ensuite la grâce du Seigneur afin dobéir à ses décrets, quil ne lui suffit pas de connaître pour les accomplir, et qui seraient pour lui un sujet de confusion, sil ne les accomplissait point. Les accomplir, ce sera une confession glorieuse, aussi Dieu ne labandonnera-t-il point complètement.
1. Quel est, mes frères, celui qui dit au Seigneur: « Cest vous qui avez ordonné que lon gardât à lexcès vos préceptes ; puissent mes voies se redresser, en sorte que jobéisse à vos décrets; je ne serai point confondu quand jaurai considéré vos commandements 1 ? » Qui donc parle de la sorte, sinon tout membre du Christ, ou plutôt le corps entier du Christ? Mais que signifie cette parole : « Vous avez ordonné que lon gardât vos commandements à lexcès? » Cette expression à lexcès signifie-t-elle, ou que Dieu a ordonné à lexcès, ou quil faut les garder à lexcès? Quel que soit le sens que nous lui donnions, elle paraît contradictoire à cette fameuse et admirable maxime que les Grecs relèvent dans leurs sages avec des éloges auxquels ont applaudi les Latins : « Ne quid nimis,
1. Ps. CXVIII, 4-6. Rien de trop 1». Sil est vrai en effet quil ne faut rien de trop, comment se vérifiera ce qui est dit ici : « Vous avez ordonné que lon gardât vos préceptes à lexcès? » Eh! comment y aurait-il excès ou dans lordre de Dieu, ou dans laccomplissement de ses commandements, si tout excès était blâmable? Nous dirions donc volontiers que les sages de la Grèce nont aucune autorité sur nous, en face de cette parole de lEcriture: « Dieu na-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde 2 »; et ne serions-nous pas disposés à rejeter comme faux cet adage : « Rien de trop », plutôt que cette parole sainte que nous lisons et que nous chantons: « Vous avez ordonné que lon gardât vos commandements à lexcès » ; si nous nen étions détournés plus encore par la droite raison que
1. Térence, Andr. Act. I, sc. 1. 2. I Cor. I, 20.
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par la futilité des Grecs? Cette expression en effet, nimis, trop, exprime tout ce qui dépasse le nécessaire. Le peu et le trop sont deux opposés. Peu est au dessous du nécessaire, et trop est au dessus. Entre ces deux extrêmes, on peut intercaler assez. Or, comme il est très-utile pour régler notre vie et nos moeurs de ne rien faire au-delà du nécessaire, nous devons adopter comme expression de la vérité cet adage : Rien de trop, et non le rejeter comme faux. Mais souvent la langue latine abuse de cette expression, et souvent, dans les saintes Ecritures, trop signifie beaucoup, et dans nos sermons nous lui donnons le même sens. Ici en effet: « Vous avez ordonné que lon gardât vos commandements à lexcès », lexpression à lexcès ou trop, signifie complètement. Nous disons aussi: Je vous aime trop, en parlant à quelquun qui nous est cher, non que nous laimions plus quil ne faut, mais seulement pour exprimer une grande affection. Enfin, dans la maxime grecque, on ne lit point lexpression que nous trouvons ici; cette maxime porte agan qui signifie trop : tandis quil y a ici sphodra, qui signifie beaucoup. Mais, comme nous lavons dit, on trouve lexpression nimis, trop, qui a ici le sens de valde, beaucoup, et nous la répétons en ce sens. De là vient que plusieurs exemplaires latins, au lieu de nimis portent valde: « Vous avez ordonné que lon gardât vos ordonnances parfaitement ». Dieu donc la parfaitement ordonné, et ses préceptes doivent être parfaitement accomplis. 2. Mais voyez ce quajoute lhumble piété ou la pieuse humilité, et la foi qui nest point oublieuse de ses bienfaits « Puissent mes voies se redresser, afin que jobéisse à vos décrets 1 ». Quant à vous, Seigneur, vous avez ordonné, mais puissiez-vous maccorder de faire ce que vous avez ordonné. Cette expression « puissent » doit te désigner un désir, et devant un désir tu dois déposer tout orgueilleuse présomption. Comment exprimer le désir de ce qui serait tellement au pouvoir de notre libre arbitre, que nous pourrions lobtenir sans aucun secours? Si donc lhomme souhaite ce que Dieu ordonne, il doit demander à Dieu quil nous fasse accomplir ses préceptes. De qui pourrions-nous lobtenir, sinon de celui qui est u le Père des lumières, de qûi nous u viennent toute grâce excellente et tout don
1. Ps. CXVIII, 5.
« parfait 1 », comme le dit lEcriture? Mais à lencontre de ceux qui simaginent que le secours divin, pour accomplir toute justice, se borne à nous faire connaître les préceptes du Seigneur, en sorte que ces préceptes une fois connus, saccomplissent, sans aucune grâce de Dieu, mais par les seules forces de notre volonté, le Prophète ne désire le redressement de ses voies pour accomplir les préceptes divins, quaprès avoir appris ces mêmes préceptes, par le divin législateur. Car cest dans ce dessein quil dit tout dabord : « Cest vous qui avez ordonné que lon gardât vos préceptes dune manière parfaite». Or, vos préceptes sont saints, justes et bons; mais à loccasion de ce qui est bon, le péché me cause la mort 2, si je nai le secours de votre grâce: « Puissent dès lors mes voies se redresser, afin que je garde vos décrets ». 3. « Je ne serai point couvert de confusion, tant que je serai attentif à tous vos préceptes 3 ». Quon lise ou quon repasse dans sa mémoire les commandements de Dieu, il faut les regarder comme un miroir, selon cette parole de lapôtre saint Jacques : « Si quelquun écoute la parole, sans laccomplir, il ressemble à un homme qui regarde sa face dans un miroir; il sest regardé et il sen va, oubliant à lheure même ce quil était; mais lhomme qui inédite la loi parfaite, la loi de liberté, e nécoutant pas seulement pour oublier aussitôt, mais faisant ce quil écoute, celui-là sera heureux en ses oeuvres 4 ». Voilà ce que veut être notre interlocuteur, regarder les préceptes de Dieu comme dans un miroir, afin de nêtre point confondu : il ne veut point seulement les entendre, mais encore les accomplir. Cest pour cela quil redresse ses voies, afin de garder les commandements de Dieu, Comment les redresser, sinon par la grâce de Dieu? Autrement il naurait point dans la loi de Dieu un sujet de joie, mais un sujet de confusion, sil étudiait les préceptes sans les pratiquer. 4. «Je vous confesserai, ô mon Dieu,dit le Prophète, dans la droiture de mon coeur, quand jaurai appris les jugements de votre justice 5». Ce nest point là une confession de péché, mais une confession de louange, dans le même sens que parlait celui qui était sans péchés et qui disait: « Je vous confesse, ô mon Père,
1. Jacques, I, 17. 2. Rom. VII, 12, 13. 3. Ps. CXVIII, 6. 4. Jacques, I, 23-25. 5. Ps. CXVIII, 7.
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Seigneur de la terre et du ciel 1» ; et comme il est écrit au livre de lEcclésiastique : « Vous direz dans votre confession : Toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes 2. « Je vous confesserai », dit le Psalmiste, « dans la droiture de mon coeur ». Assurément, si mes voies sont redressées, je vous confesserai, parce que ce sera votre ouvrage, et quà vous en sera due la gloire, et non à moi. Cest alors que « je vous confesserai parce que jaurai appris les jugements de votre justice », si mon coeur est droit, cest-à-dire si mes voies sont redressées pour garder vos ordonnances. De quoi me servirait en effet de les avoir apprises, si mon coeur perverti me fait marcher dans les voies de lerreur? Car elles ne feront point ma joie, mais ma condamnation. 5. Le Prophète ajoute « Je garderai vos préceptes 3». Paroles qui sont amenées par ce qui précède : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes : alors je ne serai point confondu tant que je serai attentif à vos commandements; je vous confesserai dans la droiture de mon coeur, et je garderai vos préceptes ». Mais que veut dire cette autre parole : « Ne mabandonnez pas entièrement » ou « à lexcès », comme dans certains exemplaires qui ont nimis, à lexcès, au lieu de valde, totalement; car la même expression grecque, sphodra se trouve encore ici : le Prophète voudrait-il être abandonné de Dieu, mais pas « totalement ? » Loin de là. Mais comme Dieu avait abandonné te monde à cause du péché, il aurait de même abandonné « totalement »
1. Matth. XI, 25. 2. Eccli. XXXIX, 20, 21. 3. Ps. CXVIII, 8.
linterlocuteur, sil neût profité de ce remède ineffable, cest-à-dire de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Mais maintenant, à cause de cette prière que lui fait le corps entier du Christ, Dieu ne la point abandonné totalement, puisque « Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde ». On peut encore considérer ces paroles comme laveu dun homme qui aurait dit dans son abondance et dans sa confiance en lui-même : « Je ne serai point ébranlé éternellement 2 » et alors, pour lui montrer que sil est établi dans sa beauté et dans sa force, ce nest point par son mérite, mais par un effet de la bonté divine, Dieu a détourné de lui sa face et ta jeté dans la confusion 3. Il se reconnaît, et sans présumer de lui-même, il sécrie : « Ne mabandonnez point totalement». Si vous mabandonnez de manière à laisser voir ma faiblesse, ne mabandonnez pas complètement, de peur que je ne périsse. « Cest donc vous qui avez ordonné que lon gardât vos préceptes parfaitement». Je ne puis me couvrir de mon ignorance. Mais comme je suis infirme : « Puissent mes voies se redresser, afin que je garde vos préceptes. Alors je ne serai point confondu, tant que je serai attentif à vos ordonnances ; et je vous confesserai dans la droiture de mon coeur, quand jaurai appris les jugements de votre justice, et alors je garderai vos ordonnances » ; et si vous mabandonnez, afin que je ne me glorifie plus en moi-même, ne mabandonnez pas entièrement; et alors, justifié par vous, je me glorifierai en votre bonté.
1. II Cor. V, 19; 2. Ps. XXIX, 7. 3. Id. 8.
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