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TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LE PÉCHÉ DANS LHOMME JUSTE.
Si saint Paul marche dans la voie du Seigneur, quoique le péché habite en lui, il suit de là que le péché stimule en nous les désirs déréglés, mais que le consentement seul nous rend coupables. Ce péché ne cessera dhabiter en nous que quand notre corps sera devenu immortel. Toutefois, ceux-là mêmes qui sont dans les voies du Seigneur, implorent la rémission de leurs dettes, cest-à-dire des fautes de surprise, qui sont fréquentes. Les voies de Dieu se résument dans la foi: donc lincrédulité est le péché de ceux qui ne marchent point dans ces voies. Quils reviennent au Seigneur, et ils trouveront en lui miséricorde et vérité.
1. Cette parole de notre Psaume : « Ceux u qui commettent liniquité, ne marchent « point dans ses commandements 1 », comparée à cette autre de saint Jean, que « le péché cest liniquité », a soulevé une question difficile à résoudre. Comment les saints qui sont en cette vie peuvent-ils, dune part, nêtre point sans péché, puisquil est vrai de dire: « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité nest point en nous 2 » ; et dautre part, marcher néanmoins dans les voies du Seigneur, dans lesquelles ne marchent point ceux qui commettent liniquité? Telle est la question résolue par ce mot de saint Paul: « Ce nest point moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi 3 ». Comment peut être sans péché celui en qui habite le péché ? Saint Paul est néanmoins dans la voie du Seigneur, dans laquelle ne marchent point ceux qui commettent liniquité; car ce nest point lui qui commet le mal, mais le péché qui habite en lui. Toutefois, cette question nest résolue que pour en faire
1. Ps. CXVIII, 3. 2. I Jean, I, 8. 3. Rom. VII, 17, 20.
naître une plus grave. Comment un homme peut-il faire ce quil ne fait pas? Car lApôtre a dit lun et lautre: « Ce nest point ce que je veux, que je fais » ; et : « Ce nest point moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi 2 ». Doù il nous faut comprendre que quand le péché agit en nous, ce nest point nous qui agissons, dès lors que notre volonté ny donne aucun consentement, et retient même les membres de notre corps, de peur quils nobéissent à ses désirs. Que peut faire en nous le péché malgré nous, sinon stimuler seulement des désirs déréglés ? mais si nous ny donnons aucun assentiment, cest une aspiration soulevée en nous, mais qui nobtient aucun effet. Cest là le précepte que nous donne saint Paul : « Que le péché ne règne point en votre corps mortel, jusquà vous faire obéir à ses désirs déréglés, afin que vous nabandonniez plus vos membres au péché comme des instruments diniquités 2». Il est en effet certains désirs du péché auxquels il nous défend dobéir. Ces désirs opèrent donc le péché, et pour nous, y
1. Rom VII, 16. 2. Id. VI, 12, 13.
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obéir, cest commettre le péché ; et toutefois si, conformément à lavis de lApôtre, nous ny cédons point, ce nest point nous qui agissons 1, mais le péché qui habite en nous. Et, si nous néprouvions aucun de ces désirs, il ne se commettrait aucun mal en nous, ni de notre part, ni de la part du péché. Mais quand se soulèvent en nous de ces désirs illicites qui nous laissent inactifs, si nous ny obéissons point, il est dit néanmoins que cest nous qui agissons, parce quils ne sont point leffet dune force étrangère, mais des faiblesses de notre nature, faiblesses dont nous serons entièrement délivrés, quand notre corps sera devenu immortel aussi bien que notre âme. Donc, dune part, dès lors que nous marchons dans les voies du Seigneur, nous nobéissons point aux désirs du péché, et dautre part, comme nous ne sommes point sans péché, nous en avons les désirs. Ce nest donc point nous qui formons ces désirs, puisque nous ny obéissons point, mais ils sont loeuvre du péché qui habite en nous et qui les soulève. « Car ils ne marchent point dans les voies du Seigneur, ceux qui commettent liniquité », cest-à-dire qui se laissent aller aux désirs du péché. 2. Mais, cherchons encore ce que nous demandons à Dieu de nous pardonner, quand nous disons: « Remettez-nous nos dettes 2 » ; sont-ce les fautes que nous commettons en obéissant aux désirs du péché, ou bien voulons-nous quil nous pardonne ces désirs, qui ne viennent point de nous, mais du péché qui habite en nous ? Autant que jen puis juger, tout ce quil y a de coupable dans cette faiblesse qui soulève en nous ces convoitises déréglées, que saint Paul nomme péché, est effacé par le sacrement de baptême, ainsi que toutes les fautes que nous avons commises en y obéissant dans nos actes, dans nos paroles, dans nos pensées, et quoique cette faiblesse demeurât en nous, elle ne nous serait point nuisible, si nous nobéissions jamais à ses désirs, ni en actions, ni en paroles, ni par un secret assentiment, jusquà ce quelle soit parfaitement guérie quand saccomplira cette prière: « Que votre règne arrive » ; ou bien: « Délivrez-nous du mal 3». Mais, comme la vie de lhomme sur la terre est une épreuve 4; bien que nous soyons fort éloignés du crime, nous ne manquons pas
1. Rom. VII, 17. 2. Matth. VI, 12. 3. Id. 10-12. 4. Job, VII, 1.
doccasions néanmoins dobéir aux désirs du péché, ou en actions, ou en paroles, ou en pensées, lorsque, prenant garde aux grandes fautes, nous sommes surpris par des fautes plus légères ; et toutes ces fautes rassemblées contre nous, pourraient, sinon nous briser chacune par leur poids, du moins toutes ensemble nous accabler par leur masse. De là vient que ceux-là mêmes qui marchent dans la voie du Seigneur, disent aussi: « Remettez-nous nos dettes 1 »; car à ces voies du Seigneur appartiennent aussi la prière et la confession, quoique les péchés ne leur appartiennent pas. 3. Cest pourquoi dans ces voies du Seigneur, toutes renfermées dans la foi, par laquelle on croit en Celui qui justifie limpie 2, et qui dit encore: « Moi je suis la voie 3 », nul ne commet le péché, mais chacun le confesse. Tout pécheur sécarte donc de la voie, et dès lors on ne saurait attribuer à la voie le péché commis par celui qui sen écarte; mais dans le chemin de la foi, on regarde comme ne péchant point ceux à qui Dieu nimpute aucun péché. Cest de ces hommes que saint Paul, en relevant la justice qui vient de la foi. nous montre quil est écrit dans le psaume : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts : bienheureux lhomme à qui le Seigneur nimpute aucun péché 4». Voilà ce que lon rencontre dans la voie du Seigneur; et dès lors, comme « le juste vit de la foi 5 », cette iniquité qui consiste dans linfidélité nous éloigne de la voie du Seigneur. Quiconque dès lors marche dans cette voie, cest-à-dire dans une foi pieuse, ou ne commet aucune faute, ou sil en commet quelquune en ségarant quelque peu, elle ne lui est pas imputée à cause de cette même voie, et il est comme sil nen avait commis aucune. Ainsi donc, dans cet oracle du Prophète: « Ce nest point dans ses voies quils marchent, ceux qui commettent liniquité », on doit entendre par iniquité, ou sécarter de la foi ou ne point sen approcher. Cest en ce sens que le Seigneur a dit des Juifs: « Si je nétais venu, ils nauraient aucun péché 5 ». Et toutefois, ils nétaient pas sans péché avant que le Christ vînt en sa chair, et ils ne sont point demeurés sans péché depuis son avènement,
1. Matth. VI, 12. 2. Rom. IV, 5. 3. Jean, XIV, 6. 4. Rom. IV, 7; Ps. XXXI, 1, 2. 5. Rom. I, 17. 6. Jean, XV, 22.
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mais le Sauveur a voulu caractériser un péché spécial, cest-à-dire linfidélité, parce quils nont pas cru en lui. De même ceux qui commettent liniquité, non point toute iniquité, mais celle qui consiste dans linfidélité, ne marchent point dans ses voies; car « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1 » ; lune et lautre sont dans le Christ, et nulle part en dehors du Christ. « Or», nous dit saint Paul, «je déclare que le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos pères, que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde 2 ». Il y a donc miséricorde en ce quil nous a rachetés; il y a vérité
1. Ps. XXIV, 10. 2. Rom. XV, 8, 9.
en ce quil a accompli ce quil a promis, et quil accomplira ce quil promet encore. « Ceux donc qui commettent liniquité », cest-à-dire qui sont incrédules, « nont pas marché dans ses voies », puisquils nont point cru au Christ. Donc, quils se convertissent et quils croient humblement en Celui qui justifie limpie 1, et dès lors ils retrouveront en lui toutes les voies du Seigneur, cest-à-dire la miséricorde par le pardon de leurs péchés, et la vérité par laccomplissement des promesses divines; car, marchant dans ces voies, ils ne commettront point liniquité, parce quils éviteront toute infidélité pour embrasser la foi qui agit par amour 2, et à laquelle Dieu nimpute aucun crime.
1. Rom. IV, 5. 2. Galat. V, 6.
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