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ONZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LE PROGRÈS DANS LA PIÉTÉ.
Le Prophète qui a déjà couru dans la voie des commandements, supplie le Seigneur de lui poser comme une loi la voie de ces mêmes commandements, ou de laider à y courir jusquà ce quil arrive à la palme promise, Il recherche toujours cette voie, en sefforçant de pratiquer ces préceptes, et comme cette voie est la vérité, il la possédera à jamais. Il ne veut pas connaître la loi selon la lettre seulement, mais encore selon ta pratique ; alors il supplie Dieu de le conduire en inclinant son coeur vers les préceptes, et non vers les convoitises qui firent tomber le vieil Adam.
1. Dans notre psaumes si étendu, voici ce quil nous faut considérer et exposer avec le secours du Seigneur. « Faites-moi, Seigneur, une loi de la voie de vos commandements, et que je la recherche toujours 1 ». LApôtre nous dit: « La loi nest pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les rebelles », et le reste, puis il conclut ainsi : « Et pour tout ce qui est opposé à la saine doctrine, laquelle est selon lEvangile de la gloire du Dieu de béatitude, qui ma été confié 2 ». Or, celui qui nous dit: « Faites-moi, Seigneur, une loi », était-il de ceux pour qui saint Paul a dit que la loi était faite? Loin de là. Sil en était, il naurait pas dit plus haut : « Jai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur». Pourquoi donc demander que Dieu lui impose une loi, puisquil nest point de loi pour le juste? Ou bien ny aurait-il pas de loi pour le juste, dans le même sens quelle est établie pour le peuple rebelle, sur des tables de pierre 3, et non sur des tables de chair, qui sont les coeurs 4; selon lAncien Testament, du mont Sinaï qui engendre pour la servitude 5 et non selon le Testament Nouveau, dont le prophète Jérémie a dit: « Voilà que viennent les jours, dit le Seigneur , et jétablirai une nouvelle alliance avec la maison dIsraël et la maison de Juda: non pas lalliance que jai formée avec leurs pères, dans les jours où je les pris par la main, pour les tirer de la terre dEgypte et parce quils ne sont pas demeurés dans cette alliance, je les ai punis, dit le Seigneur. Voici,en effet, lalliance que jai faite avec la maison dIsraël : après ces jours-
1. Ps. CXVIIII, 33. 2. I Tim. I, 9-11. 3. Exod. XXXI, 18. 4. II Cor. III, 3. 5. Gal. IV, 24.
là, dit le Seigneur, je graverai mes lois jusque dans leurs entrailles, et je les écrirai dans leurs coeurs 1». Cest ainsi quil supplie le Seigneur de lui imposer une loi, non plus comme aux injustes et aux rebelles qui nappartiennent pas au Nouveau Testament, une loi sur des tables de pierre; mais une loi qui convienne à la sainte génération de lépouse libre, ou de la Jérusalem céleste, aux enfants de la promesse, aux fils de lhéritage éternel, dans le coeur desquels Dieu écrit sa loi, de son doigt par le Saint-Esprit; non plus pour quils en conservent la mémoire pendant quils la négligeront dans la pratique; mais afin quils la connaissent pour la comprendre, quils la pratiquent en laimant dun coeur dilaté par la charité, et non resserré par la crainte. Agir, en effet, par la crainte du châtiment, et non par lamour de la justice, cest agir en quelque sorte malgré soi. Mais celui qui agit malgré lui, voudrait, sil était possible, quil ny eût point de commandement; et dès lors il est lennemi, et non point lami de cette loi, quil souhaite quon ne lui ait point imposée; son action, dès lors, ne saurait être pure, quand sa volonté est corrompue. On ne saurait dire alors ce que dit le Prophète dans les versets précédents : « Jai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur»; puisque cette dilatation signifie la charité, qui est, selon lApôtre, la plénitude de la loi 2. 2. Pourquoi donc le Prophète veut-il encore quon lui impose une loi, puisque si cette loi ne lui eût déjà été donnée, il naurait pu, dans la dilatation de son coeur, courir dans la voie des commandements de Dieu?
1. Jérém. XXXI, 31-33. 2. Rom. XIII, 10.
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Mais comme linterlocuteur savance dans la vertu, comme il sait que cet avancement il le doit à la grâce de Dieu; demander quune loi lui soit imposée, quest-ce autre chose que demander dy faire de nouveaux progrès? Car, présentez, par exemple, une coupe toute pleine à lhomme qui a soif, il la boit et lépuise, et en demande encore. Quant aux injustes 1, aux rebelles, qui nont reçu la loi que sur des tables de pierre, cette loi en a fait des prévaricateurs, et non des enfants de la promesse. Mais sen souvenir et ne pas laimer, cest être également coupable; car la mémoire est en quelque sorte une pierre écrite, et qui est plutôt un fardeau quun ornement: cest un poids et non un titre dhonneur. Cette loi, le Prophète lappelle une voie des justifications de Dieu, et elle ne diffère en rien de la voie des préceptes de Dieu, que le Prophète nous dit avoir parcourue dans la dilatation de son coeur. Il a donc couru, il court encore, jusquà ce quil atteigne cette manne céleste, à laquelle Dieu la appelé den haut. Enfin, après avoir dit : « Donnez-moi, Seigneur, pour loi, la voie de vos justifications »; le Prophète ajoute : « Et que je la recherche toujours ». Pourquoi demander ce quil a déjà, sinon parce quil possède cette loi en laccomplissant, et quil en cherche les progrès? 3. Mais que signifie « toujours? » Ny aura-t-il point de fin à ses recherches? En est-il de même que dans ces paroles : « Sa louange e sera toujours en ma bouche 2 », parce quil ny aura point de fin à la louange de Dieu? Car nous ne cesserons las de le louer quand nous serons parvenus au royaume éternel, puisque nous lisons: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 3 ! » Ou bien « toujours » doit-il sentendre du temps de la vie, parce que cest alors que lon avance dans la vertu, et quaprès cette vie, celui qui aura fait des progrès sera parfait ? Cette expression reviendrait à ce que nous dit saint Paul de certaines femmes qu « elles apprennent toujours »; mais cest alors en mauvaise part, puisquil ajoute qu « elles narrivent jamais à la science de la vérité 4 ». Celui au contraire qui va toujours en progressant arrive enfin où il sest efforcé darriver, et où il ny
1. II Tim. I, 9. 2. Ps. XXXIII, 2. 3. Id. LXXXIII, 5. 4. II Tim. III, 7.
a plus de progrès, parce quon demeure éternellement dans cette perfection. Toutefois en disant de ces femmes qu « elles apprennent toujours », saint Paul na point prétendu quaprès leur mort elles continueront à étudier des choses vaines et sans profit, puisquà ces doctrines succéderont, non plus des études, mais les supplices éternels. Rechercher donc la loi de Dieu en cette vie, cest y faire des progrès par sa science et par lamour; dans lautre vie, au contraire, il ny aura plus à chercher cette loi dans sa plénitude, mais à en jouir. Mais voici ce qui est dit encore: « Cherchez toujours sa face ». Où sera-ce « toujours », sinon en cette vie? Car en lautre nous ne chercherons pas la face de Dieu, puisque nous le verrons face à face 2. Si néanmoins on peut dire que lon cherche toujours une chose parce quon laime sans dégoût, et quon le fait pour ne point la perdre, nous rechercherons sans fin la loi de Dieu, cest-à-dire la vérité de Dieu; car il est dit dans ce même psaume : « Et votre loi est la vérité 3 ». On la cherche maintenant pour la posséder; alors on la possédera pour ne point labandonner; selon quil est écrit de 1 Esprit de Dieu, quil pénètre tout, même les profondeurs de Dieu 4 : non point pour apprendre ce quil ne connaît point, mais parce quil ny a rien quil ne connaisse. 4. Cest donc proclamer bien haut la grâce de Dieu, que demander au Seigneur de nous poser une loi, comme le fait le Prophète qui connaissait la loi selon la lettre. Mais parce que la lettre tue, et que lesprit vivifie 5, il demande à faire par lesprit ce quil savait par la lettre, de peur que cette connaissance dun précepte négligé ne le rende coupable dune prévarication nouvelle. Toutefois, connaître une loi comme on doit la connaître, cest-à-dire comprendre ce quelle ordonne, pourquoi elle a été donnée à ceux qui ne devaient point lobserver; quelle en était lutilité en cela même quelle est survenue pour faire abonder le péché 6, cest ce que ne saurait faire un homme, à moins que Dieu ne lui en ait donné lintelligence. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Donnez-moi lintelligence, et je sonderai votre loi, et je la garderai de tout mon coeur 7 ». Lorsquen effet un homme a sondé la loi, quil est arrivé à ces
1. Ps. CIV, 4. 2. I Cor. XIII, 12. 3. Ps. CXVIII, 142. 4. I Cor. II, 10. 5. II Cor. III, 6. 6. Rom. V, 20. 7. Ps. CXVIII, 34.
hauteurs qui en font toute lessence, il doit alors aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme lui-même. Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes 1. Voilà ce quil semble promettre à Dieu, quand il dit: « Et je la garderai de tout mon coeur ». 5. Mais comme il nen saurait venir là par ses propres forces, et sans le secours de celui qui fait ce commandement, voilà que le Prophète supplie le Seigneur de lui faire accomplir ce quil ordonne : « Conduisez-moi dans les sentiers de vos commandements, car cest là que je me plais 2 ». Cest peu de ma volonté, si vous-même ne me conduisez où je veux aller. Or, cest bien là le sentier, la voie des commandements rie Dieu, où il avait couru, disait-il, dans la dilatation de son coeur; et sil lappelle un sentier, cest quelle est étroite, cette voie qui conduit à la vie 3; et comme elle est étroite, on ne saurait y courir, si le coeur nest dilaté. 6. Mais parce quil savance toujours, quil court toujours; et cest ce qui lui fait implorer le secours den haut qui doit le faire aboutir, ce qui nappartient ni à la course ni à la volonté, mais à la divine miséricorde 4; enfin, parce que cest Dieu qui produit en nous le vouloir 6, et que le Seigneur même nous prépare la volonté, le Prophète continue: « Inclinez mon coeur vers vos préceptes, et non vers lavarice 7 ». Quest-ce à dire, avoir le coeur incliné vers un objet, sinon le vouloir? Il a donc voulu déjà, et il demande de vouloir encore. Il a voulu, quand il a dit: « Conduisez-moi dans le sentier de vos commandements, car cest là que je me plais »; il demande de vouloir encore, quand il dit: « Inclinez mon coeur vers vos témoignages, et non vers lavarice ». Ce quil demande alors, cest que sa volonté soit de plus en plus forte. Or, quels sont les témoignages de Dieu, sinon ceux par lesquels il se rend témoignage à lui-même? Cest avec le témoignage que lon fait une preuve, et dès lors, cest par des témoignages que Dieu prouve ses oeuvres de justice et ses préceptes; par ses témoignages quil nous persuade ce quil lui plaît; et cest vers ces témoignages que le Prophète le supplie dincliner son coeur, et non vers lavarice. Cest par ces
1. Matth. XXII, 37-40. 2. Ps. CXVIII, 35. 3. Matth. VII, 14. 4. Rom. IX, 16. 5. Philipp. II, 13, 14. 6. Ps. CXVIII, 36.
témoignages que Dieu nous amène à lui rendre un culte gratuit, ce que ne permettrait point lavarice, qui est la racine de tous les maux. Il y a dans le texte grec un mot qui désigne lavarice en général ou le désir excessif, car pleon signifie en latin plus ou davantage, et exis désigne ce que lon possède, en latin habere. Ainsi donc, avoir plus a fait pleonexia, que plusieurs interprètes latins ont traduit ici par emolumentum, profit, dautres par utilitas, avantage, dautres mieux encore, par avaritia, avarice. LApôtre nous dit donc que u lavarice est la racine de tous les « maux 1». Mais dans le grec, doù ces paroles ont été traduites dans notre langue, lApôtre ne sest point servi de pleonexia, que nous lisons dans notre psaume, il a employé celui de philaguria qui désigne lamour de largent. Il faut voir dans cette expression lespèce pour le genre, et dans lamour de largent, cette convoitise universelle qui est véritablement la racine de tous les maux. Nos premiers parents neussent point été séduits et renversés par le serpent, sils navaient voulu avoir plus quils navaient, être plus quils nétaient. Cest là en effet ce que leur avait promis le serpent : «Vous serez comme des dieux 2 », leur avait-il dit. Telle fut donc la pleonexia qui les fit succomber. Voulant avoir plus quils navaient, ils perdirent ce quils avaient reçu. Le droit civil nous montre une lueur de cette vérité répandue partout, dans cette clause qui déboute celui qui demande plus que son droit; cest-à-dire qui fait perdre même ce que lon doit à celui qui réclame plus quil ne lui est dû. Or, cest retrancher de nous toute avarice, que rendre à Dieu un culte gratuit. Cest de là que cet ennemi tirait une accusation contre Job, dans le rude combat de lépreuve, quand il dit « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur 3? » Le diable croyait en effet que dans le culte quil rendait à Dieu, cet homme juste avait le coeur incliné vers lavarice, quil ne servait Dieu que pour ces grands avantages des biens temporels, dont le Seigneur lavait comblé, comme le mercenaire qui cherche une semblable récompense mais dans cette épreuve il montra quil servait Dieu gratuitement. Si donc notre coeur nest point enclin à lavarice, nous ne servons Dieu que pour Dieu, en sorte quil est
1. I Tim. VI, 10. 2. Gen. III, 5. 3. Job, I, 9.
lui-même la récompense de notre culte. Aimons-le en lui-même, aimons-le en nous, aimons-le dans le prochain que nous aimons comme nous-mêmes, soit quil possède le Seigneur, soit afin quil le possède. Et comme cest par sa grâce que ce bien nous arrive, le Prophète lui dit : « Inclinez mon coeur vers vos témoignages, et non vers lavarice ». Remettons la suite à un autre discours.
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