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DIX-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LES BIENS DE LA GRÂCE.
Le Prophète remercie le Seigneur de lui avoir donné lamour qui bannit la crainte. Il demande au surplus la douceur ou lattrait que lon goûte à faire le bien, la discipline ou lintelligence des leçons que Dieu nous donne par laffliction, et la science qui devient utile quand elle est unie à la piété. Les deux premières sacquièrent par lexpérience, mais la science ne sacquiert pas sans lintelligence qui vient de Dieu, ainsi que la force daccomplir ce que nous savons, qui est la foi efficace. Adam devenu pécheur fut humilié, et Dieu lui donna les moyens de redevenir juste : tels sont les moyens que nous devons étudier et pratiquer en dépit des orgueilleux.
1. Les versets de notre psaume, que nous voulons exposer avec le secours de Dieu, commencent par celui-ci : « Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur, selon votre parole, ou plutôt selon votre promesse 1 ». Mais lexpression grecque Chrestoteta, est tantôt traduite par « douceur », tantôt par « bonté ». Toutefois, comme il peut se trouver une douceur dans le mal, quand on met son plaisir dans ce qui est illicite et honteux; comme il peut sen trouver dans les plaisirs charnels dont lusage est permis, nous devons donner à cette «douceur», appelée par les grecs Chrestoteta, le sens dune faveur spirituelle. Cest pour cela que nos interprètes ont traduit « bonté», et dès lors : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », naurait dautre sens, à mon avis, que celui-ci: Vous mavez fait aimer le bien. Car cest une
1. Ps. CXVIII, 65.
grande faveur de Dieu que ce plaisir quon trouve dans le bien. Mais quune bonne oeuvre commandée par la loi ne soit faite que par la crainte du châtiment, et non par lamour de la justice, parce que lon craint Dieu, et non parce quon laime, cest une oeuvre servile et non une oeuvre libre. « Or, lesclave ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement 1 », car la charité parfaite chasse la crainte 2. « Vous avez donc fait, ô mon Dieu, un acte de douceur envers votre serviteur », en faisant un fils de celui qui était esclave : « Selon votre parole », cest-à-dire selon votre promesse , afin que pour tout enfant dAbraham 3 votre promesse soit affermie par la foi. 2. « Enseignez-moi la douceur, la discipline, la science », dit le Prophète, « car jai cru à
1. Jean, VIII, 35. 2. I Jean, IV, 18. 3. Rom. IV, 16.
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vos commandements 1 ». Il demande alors laccroissement et la perfection de ces dons en lui; autrement, après avoir dit: « Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur », comment pourrait-il ajouter: « Enseignez-moi la douceur», sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient: « Seigneur, augmentez en nous la foi 2». Et tant que lon vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. A la douceur le Prophète ajoute « et linstruction», ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, « et la discipline». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Ecritures pour exprimer une science qui sacquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles: « Le Seigneur châtie celui quil aime, il frappe de verges tous ceux quil reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Cette instruction sexprime dans les saintes Ecritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de lEpître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice 4 ». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, cest-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien; et pour mexpliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne lamour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don saccroisse en lui, et lui fasse non-seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. Cest pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non-seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de léteindre, ne fît que lanimer en la frappant, comme le vent anime la flamme; pour elle encore la discipline est désirable. Cétait donc peu de dire: « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur quil pût souffrir avec patience la plus sévère
1. Ps. CXVIII, 66. 2. Luc, XVII, 5. 3. Hébr. XII, 6. 4. Id. 11.
discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin dédifier, elle produit lenflure 1. Cest donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans séteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, cest alors quelle devient utile, cri montrant à lhomme ce quil a mérité, les dons quil a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre quil peut alors ce quil ne croyait point pouvoir et ce quil ne pouvait en effet par lui-même. 3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas: Donnez-moi; mais: « Enseignez-moi?» Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point ? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable; ils en ont la connaissance, mais ny trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si lon ne trouve de la douceur à lapprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger; elle ne sapprend que quand on léprouve; cest-à-dire que ce nest ni lattention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais lexpérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit: « Enseignez-moi », ce nest quen nous instruisant que Dieu nous la donne. Quest-ce en effet quinstruire, sinon donner la science ? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que lune ne saurait exister sans lautre. Nul en effet nest instruit sil napprend, et nul napprend si on ne linstruit. Et dès lors quun disciple nest point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire : Je lui ai enseigné, mais il na rien appris; il peut dire au contraire : Jai dit ce quil fallait dire, mais il na pas appris, parce quil na pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître leût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne dabord lintelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine den haut; cest pour cela que le Prophète va dire à Dieu : « Donnez-moi lintelligence, afin que japprenne vos commandements 2 ». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples; mais il ne saurait faire
1. I Cor, VIII, I. 2. Ps. CXVIII, 78.
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ce quil fit : lEvangile nous dit en effet: « Alors il leur ouvrit lesprit afin quils comprissent les Ecritures, et il leur dit 1». Nous lisons dans lEvangile ce quil leur dit alors; mais sils comprirent ses paroles, cest quil leur ouvrit lesprit qui comprend. Dieu donc nous apprend la douceur en nous inspirant un charme secret; il nous enseigne la discipline, en nous ménageant laffliction; il nous enseigne la science, en nous donnant la connaissance. Mais il y a des choses que nous apprenons seulement pour les connaître, dautres pour les faire, et quand Dieu nous les enseigne, il le fait de telle sorte que nous sachions ce quil faut savoir, en nous découvrant la vérité, et que nous fassions ce quil faut faire, en nous inspirant la douceur. Car ce nest pas en vain que le Prophète lui dit: « Enseignez-moi, afin que jaccomplisse votre volonté 2». Enseignez-moi de telle sorte que je laccomplisse, non content de la savoir. Car cette volonté saintement accomplie, cest le fruit que nous devons rendre au laboureur qui nous cultive. Mais 1Ecriture nous dit ensuite : « Le Seigneur donnera la douceur, et notre terre donnera son fruit 3 ». Quelle est cette terre, sinon celle dont il est dit à celui qui donne la douceur: « Mon âme est pour vous une terre sans eau ». 4. Après avoir dit: « Enseignez-moi la douceur, la discipline et la science », le Prophète ajoute: « Parce que jai cru à vos commandements » ; et lon pourrait demander avec quelque raison pourquoi il ne dit point: Jai obéi; mais: Jai cru. Autres en effet sont les commandements, et autres les promesses. Nous recevons les commandements pour les accomplir et mériter par là de recevoir les promesses. Aux promesses donc la foi, aux préceptes lobéissance. Que signifie dès lors, « jai cru à vos commandements », sinon jai cru que ces commandements ne viennent point dun homme, mais de vous, bien que vous les ayez annoncés par le ministère des hommes? Donc, parce que jai cru que ces préceptes viennent de vous, que cette foi mobtienne la grâce dobserver ce que vous avez commandé. Quun homme vienne me donner cet ordre à lextérieur, me donnerait-il intérieurement la force de laccomplir? Enseignez-moi donc la douceur en minspirant
1. Luc, XXIV, 45, 46. 2. Ps. CXLII, 10. 3. Id. LXXXIV, 13. 4. Id. CXLII, 6.
la charité; enseignez-moi la discipline en me donnant la patience; enseignez-moi la science en éclairant mon esprit. « Parce que jai cru à vos préceptes ». Jai cru, ô mon Dieu, que vous-même les avez intimés, et que vous donnez à lhomme la force daccomplir ce que vous lui commandez. 5. « Jai péché avant dêtre humilié, cest pourquoi jai gardé votre parole 1», ou dune manière plus expressive : « Jai gardé votre promesse » , afin de nêtre plus humilié. Par cette humiliation il est mieux dentendre celle que dut subir Adam, en qui toute créature humaine fut comme viciée dans sa racine, et soumise à la vanité 2, parce quelle ne voulut pas être soumise à la vérité. Et cette expérience a servi aux vases de miséricorde à rejeter lorgueil, à embrasser lobéissance, à faire disparaître pour jamais nos misères. 6. « Vous êtes doux, ô mon Dieu »; ou, comme on lit dans plusieurs exemplaires « Cest vous qui êtes doux, ô mon Dieu 2 ». Dautres encore: « Vous êtes doux »; dautres: « Vous êtes bon» : dans le sens que nous avons assigné plus haut à cette expression. « Et dans votre douceur, enseignez-moi vos justifications ». Cest avoir une véritable volonté daccomplir les ordonnances du Seigneur, que vouloir les apprendre, dans la douceur, de ce même Dieu à qui il dit: « Cest vous, ô mon Dieu, qui êtes doux ». 7. Enfin il poursuit: « Liniquité des superbes sest multipliée envers mois 4»;cest-à-dire, liniquité de ceux à qui na servi de rien lhumiliation de lhomme après le péché. « Mais moi, je mattacherai, de tout mon coeur, à sonder vos commandements ». Quelque nombreuse que soit liniquité, dit-il, la charité ne se refroidira point en moi 5. Il peut parler de la sorte, celui qui apprend les ordonnances de Dieu dans sa douceur. Plus il y a de douceur dans les préceptes de celui qui nous aide à les accomplir, et plus aussi celui qui les aime les étudie, afin de les pratiquer à mesure quil les connaît, et de les mieux connaître par la pratique ; car les accomplir est le moyen de les mieux connaître. 8. « Leur coeur sest épaissi comme le lait 6 ». De qui, sinon de ces orgueilleux dont il dit que liniquité sest multipliée envers lui? Par
1. Ps. CXVIII, 67. 2. Rom. VIII, 20. 3. Ps. CXVIII, 68. 4. Id. 69. 5. Matth. XXIV, 12. 6. Ps. CXVII, 70.
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