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VINGT-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LINTELLIGENCE DE LA LOI.
Cest la foi agissant par la charité qui nous facilite laccomplissement des préceptes divins, et cette foi vient de la grâce de Dieu qui nous éclaire, qui nous dispose à laccomplissement de la loi or, cette loi qui se résume dans la charité durera éternellement, puisque dans le ciel nous ne cesserons daimer Dieu. Celui qui surpasse en intelligence les docteurs et les anciens, cest le Christ, et tout homme qui se pénètre de lesprit plus que de la lettre de lEvangile. Cet homme se détourne du sentier du mal, ou plutôt résiste à ses convoitises, goûte la parole divine comme un miel exquis; et ce miel est dans lintelligence qui lui est venue par les préceptes, ou plutôt par lobéissance aux préceptes.
1. Nous vous lavons dit souvent, mes frères, par cette voie large, dans laquelle on accomplit sans difficulté la loi de Dieu, il faut entendre la charité. Aussi, dans notre long psaume, après avoir dit: « Votre loi est dune merveilleuse largeur », le Prophète nous donne-t-il ensuite raison de cette largeur : « Combien, Seigneur, jai aimé voire lois 1! » Lamour est donc létendue de la loi. Comment
1. Ps. CXVIII, 96, 97.
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en effet pourrions-nous aimer le Dieu qui ordonne, sans aimer le commandement quil fait? Or, telle est la loi. «Tout le jour», dit le Prophète, « elle est ma méditation ». Voilà que je laime au point de la méditer tout le jour. Le latin dit tota die, le grec totam diem, olen ten emeran, ce qui marque une méditation continuelle ; or, qui dit tout le temps, dit toujours. Cette charité détruit la concupiscence qui nous détourne souvent dobéir à la loi, à cause des révoltes de la chair contre lesprit ; mais lesprit à son tour se révoltant contre la chair 1, doit aimer la loi de Dieu au point de la méditer tout le jour. Or, saint Paul dit: « Où est donc votre glorification? Elle est anéantie. Et par quelle loi? Par la loi des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi 2 ». Telle est la foi qui agit par la charité 2, parce quen cherchant, en demandant, en frappant, elle obtient lEsprit-Saint 3 par lequel la charité est répandue dans nos coeurs 4. Tous ceux qui sont conduits par cet Esprit, sont fils de Dieu 5, admis pour se reposer avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux 6, doù sera banni lesclave qui ne demeure pas éternellement dans la maison 7; cest-à-dire cet Israël 7, selon la chair à qui il est dit: « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous en serez chassés. Ils viendront de lOrient et de lOccident, de lAquilon et du Midi, pour se reposer dans le royaume de Dieu. Et voilà derniers ceux qui « étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers 9». Quant aux Gentils, ainsi que la dit le Vase délection, « ceux qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, cest-à-dire la justice qui vient de la foi ; tandis quIsraël qui recherchait la loi de la justice, nest point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi? Parce quils ne lont point recherchée par la foi, mais par les oeuvres, et quils ont heurté contre la pierre du scandale 10 ». Et de la sorte ils sont devenus les ennemis de Celui qui parle dans notre psaume. 2. Il ajoute: « Plus quà tous mes ennemis vous mavez fait connaître votre loi, parce que je lai embrassée pour jamais 11». Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la
1. Gal. V, 17. 2. Rom. III, 27. 3. Gal, V, 6. 4. Luc, XI, 10, 13. 5. Rom. V, 5. 6. Id. VIII, 14. 7. Matth. VIII, 11. 8. Jean, VIII, 35. 9. Luc, XIII, 28-30. 10. Rom. IX, 30-32. 11. Ps. CXVIII, 98.
science. Ne connaissant point en effet la justice de Dieu, et sefforçant détablir leur propre justice , ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1. Mais linterlocuteur, devenu par la loi de Dieu plus sage que ses ennemis, veut être, ainsi que saint Paul, trouvé en Jésus-Christ, nayant point une justice qui lui soit propre, mais une justice qui lui vienne de Dieu par la foi 2. Ce nest point que la loi que lisent ses ennemis ne soit aussi de Dieu, mais ils ne la goûtent point comme la goûte celui qui est plus sage que ses ennemis, qui sattache à cette pierre contre laquelle ils se sont heurtés 3. Car le Christ est la tin de la loi pour justifier ceux qui croiront 4, afin quils soient justifiés gratuitement par sa grâce 5 ; non point comme ceux qui simaginent accomplir la loi par leurs propres forces, cherchant, dans la loi de Dieu, il est vrai, mais leur propre justice : ils veulent ressembler au contraire au fils de la promesse, qui a faim et soif de cette justice 6, qui cherche, qui demande, qui frappe, qui mendie en quelque sorte auprès du Père 7, afin dêtre adopté et dobtenir par le Fils unique. Mais quand eût-il pu goûter ainsi la loi de Dieu, sil neût reçu ces dispositions de Celui à qui il dit: « Vous mavez fait goûter votre loi dune manière bien supérieure à mes ennemis ?» Or, ces ennemis, ces fils dAgar, nés dans lesclavage 8, nont cherché dans cette loi que des récompenses temporelles: de là vient quelle na pu être pour eux une loi éternelle, comme elle lest pour celui-ci. La traduction, « pour léternité », est préférable en effet à celle qui a dit « pour le siècle », comme si une fois le siècle écoulé, il ny ait plus de préceptes de la loi. Il ny en aura plus en effet décrite sur les tables et les livres visibles; mais lamour de Dieu et du prochain demeure éternellement dans le livre du coeur; et ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 9; le législateur lui-même sera la récompense de ceux qui auront gardé ces préceptes; Dieu que nous aimons sera le prix de notre amour quand il sera tout en tous 10. 3. Mais que signifie cette parole suivante: « Jai surpassé en intelligence tous ceux qui minstruisaient 11? » Quel est cet homme plus intelligent que ceux qui linstruisent?
1. Rom. X, 2, 3. 2. Philipp. III, 9. 3. Rom. IX, 32. 4. Id. X, 4. 5. Id. III, 24. 6. Matth. V, 6. 7. Id. VII, 7. 8. Gal. IV, 24. 9. Matth. XXII, 37- 40. 10. I Cor. XV, 28. 11. CXVIII, 99.
Quel est celui qui ose mettre son intelligence au-dessus de celle des Prophètes lesquels, non contents dinstruire par leur parole ceux qui vivaient de leur temps, enseignaient encore par leurs écrits et avec une si sainte autorité, ceux qui sont venus après eux? Salomon, sans doute, reçut de Dieu une sagesse qui le mit bien au-dessus de tous ses prédécesseurs 1; mais il nest pas croyable que ce soit lui que David son père veuille prophétiser ici; surtout quon ne saurait lui appliquer cette parole de notre psaume : « Jai défendu à mes pieds toute voie perverse ». Si donc, comme il est plus probable, David nous parle ici du Christ, quil prophétiserait tantôt comme chef, ou Sauveur, tantôt au nom de son corps mystique ou de lEglise, et néanmoins ne composant quun seul et même tout, à cause du grand sacrement ainsi formulé : « Ils seront deux dans une seule chair 2 »; je reconnais quen effet il a été plus intelligent que tous ceux qui linstruisaient, quand, à douze ans, lenfant Jésus demeura à Jérusalem, alors quaprès trois jours ses parents le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant; tandis que tous ceux qui lentendaient étaient dans ladmiration à cause de sa sagesse et de ses réponses 3. Or, ce nest pas sans raison, puisque longtemps auparavant il avait dit par la bouche du Prophète : « Jai surpassé en intelligence ceux qui minstruisaient ». Il entend par là tous les hommes, et non Dieu le Père, dont le Fils a dit: « Je parle selon que mon Père ma enseigné». Ce quil est difficile dentendre du Verbé, à moins de comprendre comme on le pourra que, pour le Fils, être Instruit par le Père, cest être engendré. Celui, en effet, pour qui être ne diffère point dêtre enseigné, mais qui est instruit par là même quil est, reçoit assurément linstruction de celui qui lui donne lêtre. Si nous envisageons le Christ dans son humanité et sous la forme de lesclave, il est plus facile de comprendre quil a reçu de son Père ce quil a dit : en le voyant en effet sous cette forme desclave, et jeune enfant, les hommes ont pu croire que dautres plus âgés linstruisaient; mais celui que le Père a enseigné a mieux compris que tous ceux qui linstruisaient. « Parce que vos témoignages », dit-il, « sont lobjet de mes méditations ». Il était donc plus
1. III Rois, III, 12. 2. Ephés. V, 31-32. 3. Luc, II, 42-47.
intelligent que tous ses maîtres, parce quil méditait les témoignages du Seigneur, et quil connaissait mieux ceux qui le concernaient que ceux à qui il disait: « Vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu témoignage à la vérité; pour moi, je ne reçois point témoignage daucun homme, mais je vous parle ainsi afin de vous sauver. Il était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi jai un témoignage plus grand que celui de Jean ». Tels étaient les témoignages quil méditait, quand il surpassait en intelligence tous ceux qui lenseignaient. 4. Il ne serait point hors de propos dentendre par ces docteurs, ces mêmes anciens dont il nous dit ensuite: « Jai compris mieux que les vieillards ». Et selon moi , le but de cette répétition serait de nous rappeler lâge du Christ mentionné dans lEvangile; enfant par lâge, il siégeait parmi les anciens; jeune, parmi les vieillards, et son intelligence devançant celle de ses maîtres, Dordinaire, en comparant les petits avec les grands, on dit les jeunes et les anciens, quoique souvent ni les uns ni les autres napprochent de la vieillesse. Si néanmoins nous voulons rechercher dans lEvangile ce nom des vieillards au-dessus desquels sélevait son intelligence, nous le trouvons quand les scribes et les pharisiens lui dirent : « Pourquoi vos disciples sont-ils violateurs de la tradition des vieillards? car ils ne lavent point leurs mains avant de manger ». Voilà quon lui oppose une faute contre la tradition des vieillards. Mais écoutons la réponse de Celui qui comprenait mieux que les vieillards : « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, à cause de votre tradition? » Puis un peu plus loin, afin de nous montrer que non-seulement la tête, mais aussi le corps et les membres auraient une intelligence supérieure à celle des vieillards, dont on lui objectait la tradition sur la coutume de laver les mains, il assemble autour de lui la foule, et sécrie: « Ecoutez et comprenez », comme sil disait: Vous aussi, comprenez mieux que ces vieillards, afin quil devienne évident que cest de vous aussi que le Prophète a dit : « Jai compris mieux que les vieillards »; que ce nest pas seulement de la tête, mais de tout le corps, et quainsi elle sapplique au Christ tout entier. « Lhomme
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nest point souillé par ce qui entre dans sa « bouche, mais il est souillé par ce qui sort de sa bouche ». Voilà ce que navaient pas compris les vieillards, qui avaient donné comme importante la prescription de se laver les mains. Les membres mêmes de ce chef divin, comprenant mieux que les vieillards, navaient pas encore compris ce quil avait dit, Aussi Pierre lui dit-il un peu après: « Expliquez-nous cette parabole ». Il prenait encore pour une parabole ce que le Seigneur avait dit sans figure. Mais le Sauveur lui dit: « Vous aussi, êtes-vous sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans les entrailles, et tombe dans un lieu secret? Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et cest là ce qui souille lhomme 1! » Vous aussi, seriez-vous sans intelligence, et ne comprenez-vous pas mieux que ces vieillards? Mais maintenant, après avoir entendu un tel maître qui est notre chef, chacun de nous peut dire: Jai compris mieux que les anciens. Ce qui suit, en effet, convient aussi au corps : « Parce que jai recherché vos préceptes ». « Vos préceptes », et non ceux des hommes; « vos préceptes », et non ceux des anciens qui veulent être docteurs de la loi, bien quils nentendent ni ce quils disent, ni ce quils affirment 2. Cest à bon droit quà propos des préceptes divins que nous devons rechercher afin davoir plus dintelligence que ces vieillards, le Sauveur répondit à ceux qui préféraient lautorité de ces anciens à la vérité: « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte de Dieu, pour établir vos traditions?» 5. Les paroles suivantes paraissent moins convenir au chef quaux membres: « Jai détourné mes pieds de tout sentier du mal, afin de garder vos paroles 3 ». Le Christ, en effet, qui est notre chef et Sauveur de son corps, nest porté dans le sentier du mal par aucune convoitise charnelle, et na pas besoin de linterdire à ses pieds, comme sils y allaient de leur propre mouvement, ainsi que nous le faisons quand nous interdisons la voie du mal à nos désirs dépravés, que le Sauveur na point ressentis. Le moyen, en effet, daccomplir les commandements de Dieu, est de ne point suivre nos concupiscences perverses 4 , de ne leur permettre
1. Matth. XV, 1-18. 2. I Tim. I, 7. 3. Ps. CXVIII, 101. 4. Eccli. XVIII, 30.
jamais darriver au mal quelles convoitent, mais de les refréner par les désirs de lesprit contre la chair 1, de peur quelles ne nous emportent, nous entraînant dans les sentiers du mal. 6. « Je ne me suis point écarté de vos jugements, parce que vous mavez posé une loi 2 ». Le Prophète nous dit ici le sujet de ses craintes et pourquoi il détournait ses pieds de tout sentier du mal. Que signifie en effet: « Je ne me suis point écarté de vos jugements », sinon ce quil a dit ailleurs: « Jai craint au sujet de vos jugements? » Jy ai cru dune foi persévérante : « Parce que vous mavez posé une loi ». Vous, plus intérieur que tout ce qui est intérieur en moi, cest vous qui avez gravé dans mon coeur une loi par votre esprit comme par votre doigt, non point afin que je la craigne sans laimer comme lesclave, mais afin quune crainte chaste me la fasse aimer, quun amour chaste me la fasse craindre. 7. Aussi, voyez ce qui suit: « Combien votre parole est douce à ma bouche 3 »; ou, comme dans le grec, dune manière plus expressive : « Vos promesses ». Elles surpassent le miel et le rayon de miel. Telle est la douceur que le Seigneur fait descendre, afin que notre terre donne son fruit 4 » ; cest-à-dire, afin que nous fassions le bien dune manière qui soit bonne; en dautres termes, non plus par la crainte dun mal temporel, mais par lattrait du bien spirituel. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point favum, rayon de miel, mais il se trouve en dautres. Le miel serait alors le symbole dune doctrine sage et évidente. Le rayon de miel marquerait celle que lon tire des mystères les plus cachés, comme dautant de cellules de cire, que lon nous expliquerait en les pressant de la dent. Mais cela nest doux quà la bouche du coeur, et non à la bouche charnelle. 8. Mais que signifie cette parole : « Vos préceptes mont donné lintelligence ? » Autre est en effet: Jai compris vos préceptes, et autre: Vos préceptes mont fait comprendre. Il y a donc je ne sais quelle autre chose dont il reconnaît que les préceptes de Dieu lui ont donné lintelligence : autant que jen puis juger, il dit quen pratiquant les préceptes du Seigneur il est arrivé à connaître, à comprendre ce quil désirait savoir. Aussi est-il
1. Gal, V, 17. 2. Ps. CXVIII, 102 3. Id. 103. 4. Id LXXXIV, 13.
écrit: « Si tu désires la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera 1 » ; ce qui, chez lhomme qui na pas encore pratiqué lhumilité de lobéissance, refoule toute prétention à sélever jusquà la hauteur de la sagesse, à laquelle il ne saurait atteindre que par degrés. Quil écoute ce qui est dit ailleurs : « Ne cherche point ce qui est au-dessus de toi, nexamine point curieusement ce qui dépasse tes forces, mais que ta pensée soit toujours occupée des ordres du Seigneur 2 ». Cest ainsi que par lobéissance aux préceptes lhomme arrive à la science des vérités les plus cachées. Après avoir dit : « Que votre pensée soccupe des ordres du Seigneur » , lécrivain sacré
1. Eccli. I, 33. 2. Id. III, 22.
ajoute semper, « toujours », parce quil faut observer lobéissance pour garder la sagesse, et quaprès avoir acquis la sagesse il ne faut pas négliger lobéissance. Ce sont donc les membres spirituels du Christ qui disent : « Jai compris par vos commandements ». Cest en effet le langage que peut tenir le corps du Christ dans ceux qui ont observé les commandements de Dieu et acquis ainsi une sagesse supérieure. « Cest pourquoi jai eu en horreur toute voie diniquité », dit le Prophète ; et en effet, lamour de la justice cest la haine de tout mal ; amour qui saccroît à mesure quil est enflammé par la douceur de la sagesse, et Dieu la donne à quiconque lui obéit et sinstruit par ses commandements.
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