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DIX-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LES BIENFAITS DE LA GRACE.
Dieu nous a faits de ses mains ou dans sa sagesse et dans sa puissance, mais dans un même esprit. Non-seulement Adam peut parler ainsi, mais tout homme né par la génération, puisque rien nest produit en dehors de la force active de Dieu. Le Prophète demande à Dieu lintelligence, que nous avons en naissant, il est vrai, mais il entend par là cette foi qui purifie nos coeurs, qui nous fait comprendre la loi de Dieu dune manière efficace, et comprendre que cette intelligence même est une faveur de Dieu; quelle nous vienne par un ange ou autrement, cest Dieu qui nous la donne.
1. Quand Dieu forma lhomme de poussière et lanima de son souffle, il nest point marqué quil le forma de ses mains. Je ne vois donc point pourquoi quelques-uns ont cru que Dieu, ayant fait tout le reste de sa parole, fit de ses mains lhomme qui serait alors supérieur; à moins peut-être quen lisant que Dieu forma de poussière le corps humain, on ne simagine que cela nest possible que par les mains. Mais cest là oublier que cette parole de lEvangile, à propos du Verbe de
1. Gen. II, 7.
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Dieu, que « tout a été fait par lui 1», nest plus vraie, si le corps de lhomme na été aussi formé par le Verbe. Mais on sappuie sur les paroles de notre psaume, et on nous dit : Voici lhomme qui sécrie avec la dernière évidence : « Vos mains mont fait et mont donné la forme 2 ». Comme sil nétait pas dit clairement encore : « Je verrai les cieux qui sont louvrage de vos mains 3» ; et non moins clairement : « Et louvrage de vos mains, cest le ciel 4» ; et beaucoup plus clairement : « Et ses mains ont formé la terre 5 ». La main de Dieu, cest donc la puissance de Dieu. Que si le nombre pluriel étonne, sil nest pas dit votre main, mais vos mains, quon entende par les mains de Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, que saint Paul a dit être Jésus-Christ seul 6, lui qui est encore le bras de Dieu dans ce passage de lEcriture : « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 7? » Ou bien, quils entendent par les mains de Dieu le Fils et le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. De là cette parole de lApôtre : « Cest un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses 8». Il dit formellement que cest un seul et un même Esprit, de peur quon nimagine autant desprits que douvrages, et non que le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. Nous pouvons donc entendre comme il nous plaira ces mains de Dieu, pourvu quon ne refuse point au Verbe ce quil fait de ses mains; ou à ses mains ce quil fait par son Verbe; pourvu que ces mains ne fassent point croire à une forme corporelle, ou même à une droite et à une gauche; ni que le Verbe ne fasse croire à un son, ou même à un mouvement transitoire. dans les oeuvres de Dieu. 2. Il sest rencontré des hommes qui ont établi cette distinction entre les verbes faire et former, que lâme serait « faite » par Dieu et le corps « formé », parce que Dieu a dit de lâme: « Cest moi qui ai fait tout souffle 9»; et quon lit à propos du corps: « Et Dieu forma lhomme de la terre 10 »; comme si Dieu faisait tout ce quil forme, sans néanmoins former tout ce quil fait. Alors on dirait de lâme quelle est faite plutôt que formée, parce quelle est un esprit et non pas un
1. Jean, I, 3. 2. Ps. CXVIII, 73. 3. Id. VIII, 4. 4. Id. CI, 26. 5. Id. XCIV, 5. 6. I Cor. I, 24. 7. Isa. LIII, 1. 8. I Cor. XII, 11. 9. Isa, LVII, 16. 10. Gen. II, 7.
corps; comme sil nétait pas dit que Dieu a formé dans lhomme lesprit de lhomme 1. Toutefois, comme ces deux expressions sont employées à propos de lhomme dans un même endroit de lEcriture, et comme on ne saurait nier que chaque substance de lhomme, cest-à-dire lâme et le corps, ne soient louvrage de Dieu, il nest point sans élégance dattribuer à chacune de ces substances une de ces expressions, et de dire que lâme a été faite, que le corps a été pétri, ou formé, ou façonné. Quelques interprètes, en effet, nont pas voulu traduire finxerunt me, mont formé, et ont dit plasmaverunt me, mont façonné, préférant dans la langue latine séloigner du grec, pour ne pas employer le mot finxerunt, qui semploie quelquefois pour la dissimulation. 3. Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors quil fut créé, tout homme ne peut-il pas dire quil a été fait à raison de son origine et de sa génération? Ou bien pouvons-nous dire : « Vos mains mont fait et mont formé », parce que nul, sans loeuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit dune semence quelconque, si Dieu nopère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie: « Je tai connu avant de te former au sein de ta mère 2 ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme , soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise: « Vos mains mont fait et mont formé, donnez-moi lintelligence? » Lintelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela? Et nest-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération : « Renouvelez-vous dans lintérieur de votre âme 3 ». Or, cest dans lâme quest lintelligence. Puis il dit de nouveau : « Quil y ait une transformation dans votre esprit 4 ». Quant à ceux qui nont aucune part à cette régénération : « Je vous avertis », leur dit-il,
1. Zach. XII, 1. 2. Jérém. I, 5. 3. Ephés. IV, 23. 4. Rom. XII, 2.
« et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui savancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont lesprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par lignorance qui est en eux à cause de laveuglement de leur cur ». Cest donc à cause de ces yeux intérieurs, dont laveuglement consiste à ne pas comprendre, cest afin quils soient ouverts, et quils deviennent sereins de plus en plus, que nos coeurs sont purifiés par la foi 2. Il est vrai que lhomme, sil na aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons quà la condition de les comprendre, dautres que nous ne comprenons quà la condition de tes croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication de la parole du Christ a, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui nentend pas même la langue du prédicateur? Ensuite sil ny avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout dabord, le Prophète ne nous dirait point: « Si vous navez la foi, vous naurez point lintelligence 4 ». Ainsi donc notre intelligence doit saccroître pour comprendre ce quelle croit, et notre foi pour croire les choses quelle doit croire : et lâme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne saccomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme cest par leffet de la chirurgie, et non de la nature, que loeil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors : « Donnez-moi lintelligence, afin que japprenne vos préceptes », ce nest pas être dépourvu de toute intelligence comme lanimal, ni mériter dêtre mis au nombre de ceux « qui savancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont lesprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu 5». Sil en était ainsi, linterlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il nappartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui lon doit demander lintelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les
1. Ephés. IV, 17, 18, 23. 2. Act. XV, 9. 3. Rom. X, 17. 4. Isa. VII, 9, suiv. les Septante. 5. Ephés. IV, 17.
connaître, celui-là demande encore lintelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à lheure quil a gardé les paroles de Dieu. 4. Ce que nos traducteurs ont rendu par : « Donnez-moi lintelligence », est exprimé plus succinctement en grec par sunetison me: car ce seul mot sunetison exprime ce qui en demande plusieurs en latin : comme si lon ne pouvait dire en latin, en un seul mot, guérissez-moi, et que lon eût recours à la circonlocution, donnez-moi la santé; ainsi le Prophète a dit ici: Donnez-moi lintelligence, ou rendez-moi sain, comme on pourrait dire: Rendez-moi intelligent. Un ange aurait pu le faire aussi; car un ange dit à Daniel : « Je suis venu vous donner lintelligence 1 » ; et dans le grec on trouve le même verbe qui est ici, sunetisai se, comme si le latin disait rendre la santé, quand le grec porterait, te guérir. Le traducteur latin naurait point recours à une circonlocution, pour dire, vous donner lintelligence ; si lon pouvait dire, vous « intelligencier », comme on dit, vous guérir. Mais si lange peut accorder cette grâce, pourquoi le Prophète a-t-il recours à Dieu pour obtenir cette faveur? Est-ce que Dieu avait commandé à lange de le faire? Oui, certainement, car on comprend que ce fut le Christ qui fit cette injonction à lange; et les paroles du Prophète en font foi : « Or, lorsque je voyais, moi Daniel, la vision, et que jen cherchais lintelligence, voilà que sarrêta devant moi comme la ressemblance dun homme, et jentendis la voix dun homme dans Ubal, et il appela, et dit : Fais-lui comprendre cette vision 2». Or, le grec a le même verbe que nous trouvons dans notre psaume, cest-à-dire sunetison. Dieu donc, qui est la lumière, illumine par lui-même les saintes âmes 3, afin quelles comprennent les choses divines quon leur annonce ou quon leur montre. Mais sil a recours pour cela au ministère dun ange, lange peut agir sur lesprit de lhomme, de manière quil comprenne la lumière de Dieu, et que cette lumière lui donne lintelligence; mais on dit alors quil donne lintelligence à lhomme, ou quil le rend intelligent, comme on dit dun architecte quil éclaire une maison, ou lui donne de la lumière, quand il y ouvre une fenêtre. Ce nest point sa propre lumière quil
1. Dan. X, 14. 2. Id. VIII 15,16. 3. Jean, I, 4, 9.
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y fait entrer pour léclairer, il ouvre seulement une entrée à la lumière. Le soleil qui, par louverture de la fenêtre, éclaire cette maison, na point créé la maison, non plus que larchitecte qui a ouvert la fenêtre : il na ni commandé de construire cette maison, ni aidé à la construire, il na même rien fait pour pratiquer louverture afin de répandre sa lumière. Dieu, au contraire, a fait à lhomme une âme raisonnable et intelligente, capable de recevoir la lumière qui vient de lui; il a fait lange capable dagir sur lesprit de lhomme, de telle sorte que celui-ci pût recevoir la lumière ; il aide notre esprit et le dispose aux opérations de lange; et par lui-même il éclaire lesprit de manière non-seulement à voir ce que la vérité lui montre, mais à contempler la vérité elle-même. Mais après avoir donné des éclaircissements nécessaires, autant que jen puis juger, quoique peut-être un peu longs, finissons ce discours, et remettons à un autre jour les versets suivants de notre psaume.
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