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DIX-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.
Cest à Dieu, qui nous a créés, quil appartient de nous créer encore, en nous donnant de comprendre ses préceptes. Ceux-là craignent qui sont dans le Christ et dans lEglise. Or, ils verront un jour cette Eglise qui est le corps du Christ, et dont ils font partie, mais quils ne voient point dans sa splendeur ici-bas, à cause de la crainte inhérente à notre situation actuelle. Le Prophète appelle sur lui les divines miséricordes et la vie, cest-à-dire la vie heureuse, car celle dici-bas est plutôt une mort. Cette vie sobtient par la méditation des préceptes, méditation qui nous met en communion avec Jésus-Christ par la pureté du coeur, quil nous faut demander instamment.
1. Dans ce psaume, Jésus-Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps qui est lEglise, a demandé, comme pour lui-même, que Dieu lui donnât lintelligence, afin de comprendre ses commandements. Car la vie de son corps, cest-à-dire de son peuple, est cachée avec la sienne en Dieu 1, et lui-même dans ce même corps souffre de lindigence, et demande ce qui est nécessaire à ses membres. « Vos mains », dit-il, « mont fait et mont formé, donnez-moi lintelligence afin que japprenne vos commandements 2 », Puisque vous mavez formé, dit-il, formez-moi de nouveau, afin que dans le corps de Jésus-Christ saccomplisse la parole de saint Paul : « Quil se fasse en vous une transformation dans le renouvellement de votre esprit 3». 2. « Ceux qui vous craignent », dit-il, « me verront et seront dans la grâce»; ou, comme plusieurs ont traduit: « Seront dans lallégresse, parce que jai espéré en votre
1. Coloss. III, 3. 2. Ps. CXVIII, 73. 3. Rom. XII, 2. parole 1 » ; cest-à-dire, dans les serments que vous avez faits, afin de vous former ce peuple de la promesse, cette race dAbraham, en qui seront bénies les nations 2. Or, quels sont les hommes qui craignent Dieu, et quel est celui quils verront, q tu les réjouira, parce quil a espéré en la parole de Dieu ? Si cest le corps de Jésus-Christ ou lEglise qui parle ici par Jésus-Christ, ou si cest le Christ qui parle delle et en elle comme de lui-même; ceux qui craignent Dieu ne sont-ils pas dans le Christ et dans lEglise? Qui donc verront-ils pour être dans la joie ? Est-ce parce que le peuple se voit lui-même et en est dans la joie, quil est dit: « Ceux qui vous craignent vous verront, et seront dans la joie, parce que jai espéré eu vos paroles » ; ou, comme dautres ont traduit plus justement: « Jai surespéré 3» ; comme sil disait : « Ceux qui vous craignent verront» votre Eglise « et ils seront dans la joie, parce que jai surespéré en vos paroles » ; puisquils sont eux-mêmes lEglise , ceux qui
1. Ps. CXVIII, 74. 2. Gen. XII, 3; XXVI, 4, 3. Grec, epelpisa.
voient lEglise et en sont ravis? Mais alors pourquoi ne pas dire : Ceux qui vous craignent me voient, et en sont ravis ; tandis que craignent est au présent, et que verront et seront dans la joie sont des paroles au futur? Serait-ce parce que maintenant il y a crainte, tant que « la vie de lhomme est une épreuve sur la terre 1» ; et que cette joie dont il est question ici ne sépanouira que quand les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père 2? De là vient quon lit encore dans un autre psaume : « Combien est grande, ô mon Dieu, la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent 3? » Tandis quils craignent, ils ne voient pas encore; mais ils verront et seront dans la joie ; ce qui a rapport à la parole suivante : « Vous lavez accomplie dans ceux qui espèrent en vous » ; comme il est dit ici : « Parce que jai espéré ou surespéré dans vos paroles». Ici le traducteur a composé son verbe, afin de nous faire mieux comprendre que « Dieu est assez puissant pour faire au-delà de ce que nous pouvons demander ou comprendre 5» ; et que sil dépasse la portée de nos prières et de notre intelligence, ce serait peu despérer, il nous faut un surcroît despérance. 3. Ainsi donc, parce que lEglise ici-bas est encore dans la crainte, et ne se voit point dans ce royaume où elle jouira dune entière sécurité, mais quelle est au milieu des périls et des épreuves de ce monde, où elle entend cette parole : « Que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber 6» ; elle jette les yeux sur la misère de cette vie mortelle où les enfants dAdam sentent le joug pesant qui les accable, depuis le jour quils ont quitté le sein maternel, et qui sétend sur chacun deux jusquau jour où ils retourneront au sein de la terre leur mère commune 7; elle voit que même après la régénération, la convoitise de la chair contre lesprit 8 leur arrache des gémissements contre cette oppression ; et à cette vue elle sécrie : « Jai connu, Seigneur, que la justice est dans vos jugements, et que cest dans votre vérité que vous mavez humiliée. Consolez-moi par le retour de votre miséricorde, et selon la promesse faite à votre serviteur 9 ». La miséricorde et la justice sont
1. Job, VII, 1. 2. Matth. XIII, 48. 3. Ps. XXX, 20. 4. Id. 21. 5. Ephés. III, 20. 6. I Cor. X, 12. 7. Eccli. XL, 1. 8. Gal. V, 17 9. Ps. CXVIII, 75, 76.
tellement liées dans les saintes Ecritures, et particulièrement dans les psaumes, que même en certains passages on lit : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1». Dans celui qui nous occupe, nous trouvons dabord cette vérité qui nous a humiliés jusquà la mort par la sentence de Celui dont les jugements sont justice : vient ensuite la miséricorde qui nous rétablit dans la vie selon la promesse de Celui dont les bienfaits constituent la grâce. Aussi est-il dit : « Selon votre parole à votre serviteur » ; cest-à-dire, selon la promesse faite à votre serviteur. Dès lors, bien que la régénération, ou si lon veut, la foi, lespérance et la charité, trois vertus qui saffermissent en nous, soient un don de la divine miséricorde, elles ne sont néanmoins, dans cette vie dorages et de misères, que le soulagement du malheur, et non le comble de la félicité. Cest pourquoi il est dit: « Que votre miséricorde sétende sur moi pour me consoler ». 4. Mais comme cest après ces misères, et même par ces misères que nous viendra le bonheur à venir, le Prophète poursuit « Que vos miséricordes viennent sur moi, et que je vive 2». Je vivrai en effet quand je naurai plus rien à craindre, pas même la mort. Ce que lon nomme la vie sans rien ajouter, ne peut sentendre que de la vie éternelle et bienheureuse, comme si elle seule pouvait être appelée vie, et quen comparaison delle celle dici-bas méritât plutôt le nom de mort que le nom de vie. Cest ainsi quil est dit dans lEvangile « Si tu veux arriver à la vie,observe les commandements 3». Le Sauveur a-t-il dit vie éternelle ou vie bienheureuse? De même, en parlant de la résurrection de la chair : « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie 4 », il najoute ni heureuse ni éternelle. De même ici le Prophète sécrie : « Que vos miséricordes viennent, afin que je vive », sans parler de vie éternelle ni de vie heureuse comme sil ny avait aucune différence entre vivre, et vivre sans fin ou sans calamité. Mais comment mériter cette vie? « Parce que votre loi est le sujet de mes pensées », dit le Prophète Et si cette méditation nétait pas selon la foi qui agit par la charité 3, nul homme ne pourrait jamais arriver à cette vie. Jai cru 1. Ps. XXIV, 10. 2. Id. CXVIII, 77. 3. Matth. XIX, 17. 4. Jean, V, 29. 5. Gal. V, 6.
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devoir le dire, afin que nul ne simagine quil lui suffit de confier toute la loi à sa mémoire, de sen souvenir souvent, de la chanter, de ne pas taire ce quelle ordonne, sans le faire néanmoins, pour dire à bon droit: « Votre loi est lobjet de mes pensées », et croire ensuite quil obtiendra par là ce qui est marqué dans les versets précédents, et que le Prophète sollicitait en vertu de cette méditation, quand il disait: «Que votre miséricorde sétende sur moi, et que je vive». Cette méditation est la pensée dun coeur qui aime, et qui aime avec tant dardeur, que ce feu de méditation ne se refroidit point, quelque nombreuses que soient les iniquités qui lenvironnent 1. 5. Le Prophète continue: « Confusion aux superbes, parce quils mont injustement maltraité; pour moi, je mexercerai dans vos commandements 2 ». Voilà ce que fait la méditation de la loi de Dieu, ou plutôt qui est la loi. 6. « Quils se tournent vers moi, ceux qui vous craignent, et qui connaissent vos oracles 3 ». Dans certains exemplaires et grecs et latins, on lit: « Quils se tournent à moi », ce qui revient, ce me semble, à se tourner vers moi. Mais qui donc parle ainsi? nul homme noserait tenir ce langage, et losât-il on ne devrait point lécouter. Cest donc celui qui, plus haut, parlait encore en son nom, quand il disait : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent ». Comme il a pris part à notre mortalité pour nous donner part à sa divinité, nous avons aussi part à la vie en lui seul, comme il a eu part à la mort en plusieurs. Cest en effet vers lui que se tournent tous ceux qui craignent Dieu, qui connaissent ces témoignages que les Prophètes lui ont rendus si longtemps davance et quil a vérifiés par sa présence autorisée par tant de miracles. 7. « Que mon cur », dit-il ensuite, « soit
1. Matth. XXIV, 12. 2. Ps. CXVIII, 78. 3. Id. 79.
sans tache dans vos ordonnances, afin que je ne sois pas confondu 1 ». Voici de nouveau la parole du corps mystique, ou du peuple saint, qui demande à Dieu un coeur pur, cest-à-dire le coeur de tous ses membres; et cela par les justifications de Dieu, non par leurs propres forces. Il ne présume point de lui-même, il supplie. Ce quil ajoute: « Afin que je ne sois point confondu », nous lavons déjà vu dans les premiers versets de notre psaume: « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes, alors je ne serai point confondu en méditant vos préceptes». Cet expression u puissent»,qui est un optatif, reparaît plus clairement encore dans la prière que fait le Prophète : « Que mon coeur soit sans tache ». Ni dans lune ni dans lautre de ces pensées, qui sont identiques au fond, nous ne trouvons la présomption du libre arbitre sélevant contre la grâce. Cette expression : « Alors jéchapperai à la confusion », il la répète ici : « Afin que jéchappe à la confusion ». Ainsi donc, pour le corps et pour les membres du Christ, le coeur devient pur, au moyen de la grâce de Dieu, par le chef de ce corps, cest-à-dire par Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans le bain de la régénération, où toutes nos fautes anciennes sont effacées 2; par le secours de lEsprit qui nous donne des désirs contraires à ceux de la chair, de peur que nous ne succombions dans la lutte 3; par leffet de la prière dominicale et où nous disons: « Remettez-nous nos dettes 4 ». Dès lors que notre âme a reçu le don de la régénération, est soutenue dans sa lutte, et répand sa prière, notre coeur devient pur, afin que nous ne soyons point confondus car cest là un des points des ordonnances et des justifications de Dieu, puisque, parmi les préceptes, il nous dit : « Remettez et il vous sera remis, donnez et lon vous donnera 5 ».
1. Ps. CXVIII, 80. 2. Tit. III, 5. 3. Gal. V, 17. 4. Matth. VI, 12. 5. Luc, VI, 37, 38.
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