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VINGT-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.LA VÉRITABLE PRIÈRE.
Cest le coeur qui doit prier: il prie par lapplication de la pensée, et il est entier à la prière quand il exclut toute autre pensée. Ainsi prie le Prophète : Il demande à Dieu de pouvoir chercher ses ordonnances, qui forment lessence de la sagesse. Mais pour trouver la sagesse, il faut la vouloir dune manière pratique, de manière à rendre témoignage à Dieu. Stimulé par son amour, le Prophète ou plutôt lEglise a devancé le temps de la prière, quand par lorgane des Prophètes elle a poussé des cris suffisants, avant lincarnation. Elle implore le secours de Dieu contre la persécution qui approche, et se confie dans les témoignages de Dieu, basés sur Jésus-Christ, et promettant la vie éternelle.
1. Qui pourrait douter que cet appel à Dieu que lon fait dans la prière ne soit un son des plus vains, quand il est simplement le retentissement de la voix, sans que le coeur soit tourné vers Dieu ? Mais, sil vient du coeur, quand même la voix se tairait, il peut être inconnu à lhomme, jamais à Dieu. Soit donc que la voix se fasse entendre quand cela est nécessaire, soit que lon prie Dieu en silence, cest le coeur qui doit parler dans la prière. Or, ce cri du coeur est une forte application de la pensée; et quand cette application se trouve dans la prière, elle marque dans celui qui prie un désir tel quil ne désespère point dobtenir ce quil demande. Mais on crie à Dieu de tout son coeur, quand on na pas dautre pensée. De telles prières sont rares chez beaucoup, fréquentes seulement chez le petit nombre; et je ne sais chez qui elles sont habituelles. Telle est, au dire de notre interlocuteur, la prière quil a faite : « Jai crié de tout mon coeur, exaucez-moi, ô mon Dieu ». Puis il nous marque aussitôt ce que produira son cri: « Je rechercherai vos ordonnances ». Voilà donc ce qui le faisait crier vers Dieu de tout son coeur: rechercher ses ordonnances, telle est la grâce quil demandait à Dieu. Prions dès lors le Seigneur de nous faire chercher ce quil nous ordonne. Mais combien est encore éloigné de la pratique, celui qui ne fait encore que rechercher ! Trouver nest pas toujours la conséquence de chercher, ni pratiquer la conséquence de trouver; mais on ne saurait pratiquer sans avoir trouvé, ni trouver sans avoir cherché. Il y a toutefois une grande espérance dans cette parole du Seigneur Jésus: « Cherchez, et
1. Ps. CXVIII, 142.
vous trouverez 1 ».La sagesse, qui nest autre que lui-même, nous dit cependant: « Les méchants me chercheront sans me trouver ». Ce nest donc pas aux méchants, mais aux bons, quil est dit: « Cherchez, et vous trouverez? » Il la dit à ceux-là mêmes à qui, un peu plus haut,it adresse ces paroles: « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants ce qui est bon 2». Comment dire aux méchants : « Cherchez et vous trouverez » ; quand il dit aussi : « Les méchants me chercheront sans me trouver ?» Le Seigneur voulait-il que lon cherchât autre chose que la sagesse, quand il faisait à ceux qui chercheraient la promesse quils trouveraient? Car la sagesse renferme tout ce que doivent chercher ceux qui aspirent au bonheur. Là donc se trouvent les ordonnances de Dieu. Il nous reste dès lors à conclure que tous les méchants ne trouveraient point la sagesse quand même ils la chercheraient; cest-à-dire ceux qui poussent la malice jusquà la haïr. Car voici cette parole de la sagesse: « Les méchants me chercheront sans me trouver; car ils haïssent la sagesse 3 ». Cest donc leur haine qui les empêche de la trouver. Mais avec cette haine, comment la chercheront-ils, à moins quils ne la cherchent, non pour elle, mais pour quelque avantage précieux aux méchants, et quils espèrent acquérir plus facilement au moyen de la sagesse ? Il en est beaucoup en effet qui recherchent avec soin les paroles de la sagesse, qui la veulent montrer dans leurs discours, mais non dans leur vie; qui ne cherchent point à parvenir à la lumière de Dieu, qui est la véritable sagesse, en réglant leurs moeurs daprès ses maximes,
1. Matth. VII, 7. 2. Id. 11. 3. Prov. I, 28, 29.
mais qui veulent se faire applaudir par les hommes, et telle est la vaine gloire. Ils ne cherchent donc point la sagesse même en la recherchant, puisque ce nest point elle quils cherchent, autrement ils en feraient la règle de leur vie; mais ils veulent être enflés de ses paroles; et plus ils en recherchent lenflure, plus ils sen éloignent. Or, en implorant de Dieu ce que Dieu lui-même nous commande, en lui demandant de faire ce quil ordonne que nous fassions ; car cest Dieu qui dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire !: « Jai crié», dit le Psalmiste, « jai crié de tout mon coeur; exaucez-moi, ô mon Dieu : je chercherai vos ordonnances » ; cest-à-dire pour les accomplir, et non-seulement pour les connaître, afin de ne point ressembler à ce serviteur endurci, qui nobéira point même après avoir compris 2. 2. « Jai crié, sauvez-moi 3 » ; ou, comme on trouve dans quelques exemplaires et grecs et latins. « Je vous ai crié, sauvez-moi». Quest-ce à dire, « je vous ai crié », sinon je vous ai invoqué par mes cris ? Mais après avoir dit: Sauvez-moi, qua-t-il ajouté? « Et je garderai vos témoignages», de peur de vous renier par faiblesse. Car la santé de lâme consiste à remplir le devoir que lon connaît, et à combattre pour la vérité des témoignages divins, jusquà la mort, si la dernière tentation va jusque-là. Si lâme na point cette santé, elle succombe de faiblesse, et abandonne la vérité. 3. Mais ce qui suit renferme une certaine obscurité, quil nous faut expliquer un peu plus longuement. « Jai devancé dans une nuit intempestive, et jai crié 4 ». Dans plusieurs manuscrits on ne trouve pas, « au milieu de la nuit », intempesta nocte, mais immaturitate, une nuit peu avancée. Cest à peine si lon en trouve un seul avec la double préposition, cest-à-dire in immaturitate, dans la nuit peu avancée. Lexpression immaturitas désigne ici le temps de la nuit, qui nest point mûr encore; cest-à-dire une nuit qui ne permet pas encore le travail à lhomme éveillé ce que lon appelle vulgairement lheure indue. Une nuit, intempesta, se dit encore du milieu de la nuit, quand on doit se reposer, et ce nom « dintempestive »,lui vient assurément de ce quelle est peu favorable au travail.Car les anciens appelaient tempestivum ce qui est
1. Philipp. II, 13. 2. Prov. XXIX, 19. 3. Ps. CXVIII, 116. 4. Id. 147.
favorable, et intempestivum ce qui est défavorable, et cette expression a pour racine le temps, et non cette tempête qui désigne ordinairement en latin la perturbation du ciel. Toutefois les historiens emploient volontiers cette expression, et au lieu de eo tempore, ils disent ea tempestate, en ce temps; et dans ce vers dun grand maître:
Unde haec tam clara repente Tempestas 1?
le mot tempestas ne signifie point un ciel troublé par les vents et les orages, mais un ciel tout à coup brillant et splendide. Ce que le grec a donc exprimé par en aoria, non point en un seul mot, mais en deux, la préposition et le nom, les traducteurs lont rendu par une « nuit intempestive», dautres par immaturitate, non point eu deux mots, mais en un seul, dont le nominatif est immaturitas; dautres encore en deux mots, comme dans le grec: In immaturitate; car aoria, signifie immaturitas, et en aoria, in immaturitate, comme pour donner à intempesta nocte le même sens quavec sa double préposition, in intempesta, en sorte que lune de ces prépositions indique lheure, tandis que lautre fait partie du nom lui-même. Toutefois peu importe, quand on indique le chant du coq pour lheure dune action, que lon dise, galli cantu, ou bien in galli cantu. De même, pour nous dire quil a crié dans la nuit peu avancée, peu importe que le Psalmiste se serve de intempesta nocte, ou de in intempesta nocte. Le grec cependant à dit: Dans une nuit non écoulée, ce qui revient à dire une nuit peu mûre, cest-à-dire, dans le moment où la nuit nest point achevée. Mais cest assez disputer sur une expression obscure ; voyons quel en est le sens. 4. « Jai prévenu, dans le milieu de la nuit, et jai crié : jai mis mon espoir en vos paroles ». Si nous rapportons ces paroles àchaque fidèle, en les prenant à la lettre, il arrive souvent quà ce point de la nuit lamour de Dieu veille, et, dans ce sentiment de ferveur pour la prière, il ne saurait attendre le chant du coq ou lheure de la prière, mais il le prévient. Mais si nous appelons nuit toute la vie dici-bas, cest bien avant quelle soit achevée que nous crions vers Dieu, et nous en prévenons la maturité, ou la fin, alors que
1. Virgil. AEn. IX, 19, 20. Doù vient que tout à coup le ciel est si serein?
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Dieu nous rendra ce quil nous a promis, coin me on lit ailleurs: « Prévenons sa force par un humble aveu 1». Toutefois, si parle temps non écoulé de la nuit nous entendons les siècles écoulés avant la plénitude des temps, cest-à-dire que la maturité serait la manifestation du Christ en sa chair 2, lEglise alors nest point demeurée en silence; mais elle a prévenu cette maturité des temps, elle a crié par les Prophètes, elle a espéré dans les paroles de ce Dieu assez puissant pour accomplir ses promesses, et bénir toutes les nations dans la race dAbraham 3. 5. Cest elle qui dit ce qui suit : « Mes yeux ont devancé le point du jour, afin de méditer vos paroles 4 ». Appelons matin ce moment où la lumière sest levée pour ceux qui étaient assis à lombre de la mort 5 ; les yeux de lEglise nont-ils pas devancé ce matin, dans la personne des saints qui étaient auparavant sur la terre, et qui ont ainsi devancé lavenir en méditant les promesses que Dieu avait faites alors; et qui annonçaient dans la loi et les Prophètes ce qui arriverait aux hommes ? 6. «Exaucez ma voix, Seigneur, selon votre miséricorde; vivifiez-moi selon votre jugement 6 ». Dieu, dans sa miséricorde, commence par abroger la peine due aux pécheurs; puis, quand ils sont devenus justes, il leur donne la vie; car ce nest pas sans raison que le Prophète a suivi cet ordre : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement», bien que le temps de la miséricorde ne soit point séparé du jugement, dont lApôtre a dit: « Que, si nous-nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par Dieu. Mais lorsque nous sommes jugés, cest le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons point condamnés avec le monde 7». Et son collègue dans lapostolat : « Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison ; et sil commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient point lEvangile de Dieu 8?» De même le dernier jugement ne sera point sans miséricorde, « car Dieu vous couronne », dit le Psalmiste, « dans sa miséricorde et sa bonté 9 ». Il est vrai quil y aura un jugement sans miséricorde, mais seulement pour ceux- qui
1. Ps. XCIV, 2. 2. Gal. IV, 4. 3. Gen. XII, 3; XXII, 18. 4. Ps. CXVIII, 148. 5. Isa. IX, 2. 6. Ps. CXVIII, 149. 7. I Cor, XI, 32. 8. I Pierre, IV, 17. 9. Ps. CII, 4.
seront à gauche et nauront point fait miséricorde 1. 7. « Ils mont approché, ceux qui me persécutent par linjustice 2», ou « injustement », comme on lit en certains manuscrits. Cest approcher de la part des persécuteurs, que pousser la persécution jusquà déchirer notre chair, lui donner la mort. De là cette parole du psaume vingt-unième, qui est une prophétie de la passion du Christ: « Ne vous éloignez pas, car la persécution est proche 3»; ce qui était dit non sous la menace, mais sous le coup même de la passion. Il dit que laffliction quil souffrait dans sa chair est proche, parce que pour lâme rien nest plus proche que la chair dont elle est revêtue. Donc ces persécuteurs se sont. approchés en affligeant la chair de leurs victimes. Mais écoute la suite: « Ils se sont éloignés de votre loi». Plus ils approchent des justes pour les persécuter, plus ils séloignent de la justice. Mais quel mal ont-ils fait à ceux dont ils sapprochaient ainsi, puisque le Seigneur, qui ne les abandonne jamais, sapprochait deux intérieurement? 8. Aussi voyez la suite. « Mais vous êtes près de moi, Seigneur, et toutes vos voies sont vérité » . Au milieu de leurs souffrances les saints confessent ordinairement la vérité de Dieu, et proclament quils souffrent avec justice. Ainsi en fut-il de la reine Esther, ainsi de Daniel, ainsi des trois enfants dans la fournaise, ainsi de tous leurs émules en sainteté. Mais on peut demander comment il est dit : « Toutes vos voies sont vérité », quand il est dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité». A légard des saints toutes les voies du Seigneur sont miséricorde, comme toutes les voies du Seigneur sont vérité, car il les soutient même en les jugeant, et ainsi la miséricorde ne fait point défaut, et dans sa miséricorde il leur donne ce quil a promis, de peur de manquer à sa vérité. Quant à luniversalité des hommes, à ceux quil délivre, comme à ceux quil condamne, toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité : et dès que sa miséricorde est à bout, il fait voir la vérité de ses vengeances. Il en sauve plusieurs qui ne lont point mérité, il nen condamne point qui ne le méritent. 9. « Dès le commencement » , dit le Prophète,
1. Jacques, II, 13. 2. Ps. CXVIII, 150. 3. Id. XXI, 12.
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« jai connu par vos témoignages que vous les avez fondés pour léternité ». Ce que le grec a exprimé par catarxas, dès le commencement, les nôtres lont traduit par initio, ou bien par ab initio, et même par ab initiis. Mais en traduisant par le pluriel, « dès les commencements », on rend le grec avec plus de fidélité. Toutefois, dans la langue latine, on rencontre plus fréquemment initio, ou ab initio, ce que les Grecs expriment au pluriel, quoique dune manière adverbiale, par catarxas. En latin cependant nous trouvons par exemple : Alias hoc facio, « plus tard, voici ce que je ferai », où nous semblons employer un pluriel féminin, et qui est simplement un adverbe, lequel signifie, dans un autre temps. Que signifie donc cette parole: « Jai a connu dès le commencement », ab initio, ou bien dune manière adverbiale, initio, « Jai connu dès le commencement, à propos de vos témoignages, que vous les avez fondés? » Il dit quil a connu par les témoignages du Seigneur que ces témoignages sont fondés pour léternité; il affirme quil la connu dès le commencement, et quil ne la pas connu par une autre voie que par ces mêmes témoignages. Or, quels sont ces témoignages, sinon la promesse que Dieu a faite de donner à ses enfants un royaume éternel? et comme il avait promis de le donner par son Fils unique, dont il est dit que « son royaume naura point de fin 1», le Prophète nous dit que ces témoignages sont fondés pour léternité, parce que lobjet de la promesse divine est éternel. Car en eux-mêmes les témoignages ne seront plus nécessaires, quand sera vu à découvert ce qui a besoin de témoignage pour obtenir notre adhésion. Aussi le Prophète a-t-il dit avec justesse : « Vous les avez fondés », puisque cest en Jésus-Christ que lon en découvre la vérité. Or, « nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est Jésus-Christ 2 ». Comment donc le Prophète a-t-il compris cela dès le commencement, sinon parce que cest lEglise qui parle ici, et que, dès lorigine du genre humain, lEglise na pas fait défaut au monde, elle qui eut pour prémices de sainteté Abel immolé, lui aussi 3, pour être un témoignage du sang du Médiateur, quun frère impie devait répandre ? Cest au commencement en effet que fut prononcée cette parole: « ils seront deux dans une seule chair 4 » et saint Paul a dit à ce sujet : « Ce sacrement est grand, oui, dans le Christ et dans lEglise 5 ».
1. Luc, I, 33. 2. I Cor. III, 11. 3. Gen. IV, 8. 4. Id. II, 24. 5. Ephés. V, 32.
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