TRAITÉ XVII
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DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT « APRÈS CELA ARRIVA LA FÊTE DES JUIFS, ET JÉSUS MONTA  À JÉRUSALEM », JUSQU’À CET AUTRE : « LES JUIFS CHERCHAIENT A LE FAIRE MOURIR, NON SEULEMENT PARCE QU’IL AVAIT VIOLÉ LE SABBAT, MAIS ENCORE PARCE QU’IL DISAIT QUE DIEU ÉTAIT SON PÈRE, SE FAISANT ÉGAL A DIEU ». (Chap. V, 4-18.)

GUÉRISON DU PARALYTIQUE.

 

Ce miracle est l’image de la guérison des âmes : de là son importance. La piscine figure le peuple Juif, et les cinq portiques, la loi de Moïse qui ne justifiait aucun de ses sujets. Il fallait que le Christ vint, par sa prédication, jeter le trouble parmi les pécheurs; alors, quiconque croirait humblement en lui dans l’unité de l’Eglise, serait sauvé. Le paralytique, malade depuis trente-huit ans, représente l’âme pécheresse, qui n’observe point les deux préceptes de la charité, et ne peut en conscience observer ni la loi ni l’Evangile, figurés par le nombre quarante. Pour le guérir, le Sauveur lui commande de prendre son lit sur ses épaules, c’est-à-dire d’aimer le prochain qu’il voit, et de marcher, c’est-à-dire d’en venir à aimer Dieu qu’il le voit pas. A sa voix, le malade se lève, marche et finit par reconnaître son céleste médecin dans la solitude du temple. Pour les Juifs, au lieu de voir en lui le Verbe, par qui Dieu fait toutes choses, ils demeurent dans leur aveugle endurcissement.

 

1. Il ne doit point paraître surprenant. que Dieu ait opéré un miracle, mais ce serait chose merveilleuse que l’homme en fît. Nous devons donc nous réjouir, au lieu de nous étonner, de ce que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ s’est fait homme, plutôt que nous réjouir et nous étonner de ce que Dieu doit, parmi les hommes, des oeuvres dignes de lui. Son Incarnation parmi les hommes a contribué à notre salut plus que ses miracles, et c’était de sa part un bienfait plus considérable de guérir les âmes de leurs vices, que de délivrer de leurs maladies des corps destinés à mourir. Mais, d’une part, l’âme humaine ne connaissait point Celui qui devait la guérir; d’autre part, l’homme avait, dans son corps, des yeux pour venir des faits matériels, sans avoir encore, dans son coeur, des yeux assez sains pour apercevoir le Dieu invisible : le Seigneur a ainsi opéré des oeuvres susceptibles d’être vues par l’homme, pour purifier en lui l’organe dont l’infirmité ne lui permettait pas de contempler le Tout-Puissant. Jésus entra donc en un endroit où gisait une grande multitude de malades, d’aveugles , de boiteux , de paralytiques et comme il était le médecin des âmes et des corps, comme il était venu guérir toutes les âmes de ceux qui devaient croire en lui, parmi tous ces infirmes il en choisit un, pour lui rendre la santé. Cet unique élu devait être l’emblème de l’unité de l’Eglise. Si nous considérons ce miracle du Sauveur avec un coeur étroit, avec une intelligence et des idées tout humaines, le prodige ne nous paraîtra pas extraordinaire, eu égard à sa puissance et nous avouerons facilement que, relativement à sa bonté, Jésus a fait là peu de chose. Il y avait, devant lui, tant de malades, et il n’en a guéri qu’un seul, bien qu’il eût pu, [448] d’un seul mot, les remettre tous sur pied ! Comment donc comprendre sa conduite? Le voici, sans aucun doute en pareille circonstance, sa puissance et sa bonté s’exerçaient bien plus à faire ce que les âmes devaient comprendre pour leur salut éternel, qu’à opérer, pour la guérison temporelle des corps, les miracles qu’ils pouvaient réclamer. Nous ne jouirons, en effet, qu’à la fin des siècles. et au moment de la résurrection des morts, de cette inamissible santé que nous attendons de la bonté de Dieu : ce qui vivra alors ne sera plus exposé aux coups du trépas; ce que le Seigneur guérira alors ne courra plus aucun danger de maladie; ce qui sera alors rassasié n’éprouvera jamais plus le tourment de la faim ou de la soif; ce qui sera renouvelé, ne vieillira plus désormais. Mais les aveugles, auxquels notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a, pendant sa vie mortelle, rendu la vue, la mort leur a de nouveau fermé les yeux ; les membres des paralytiques, raffermis par lui, ont fléchi encore sous les atteintes du trépas, et la mort a fait disparaître derechef la santé momentanément rendue à des membres sujets à ses coups destructeurs; mais pour l’âme, vivifiée par la foi, elle est, à ce moment-là, entrée dans le séjour de la vie éternelle. La guérison de ce paralytique a été, de la part de Notre-Seigneur, une figure frappante de l’âme qui devait croire en lui, et dont il était venu effacer les péchés, et guérir les infirmités par l’excès de ses humiliations. Dans la figure et la réalité, j’aperçois un profond mystère : c’est de ce mystère que je veux présentement vous parler, de mon mieux, comme Dieu m’en fera la grâce; aidez-moi à le faire malgré ma faiblesse, en me soutenant par vos prières, en m’encourageant par votre attention. Si je ne puis vous dire tout ce qu’il faudrait, celui avec le secours de qui je ferai mon possible y suppléera en vous.

2. Il m’en souvient j’ai, très-souvent, parlé de cette piscine environnée de cinq portiques, où se trouvaient couchés des malades en grand nombre: j’entreprends donc une tâche, abordée par moi plusieurs fois déjà; aussi, plusieurs d’entre vous auront-ils plutôt à rafraîchir des souvenirs, qu’à apprendre des choses nouvelles. Toutefois, il n’est pas hors de propos de rappeler des choses même précédemment expliquées ; car on peut ainsi instruire ceux qui ne les connaissent pas encore, et confirmer dans leur science ceux qui les connaissent déjà. C’est pourquoi nous pas. serons brièvement sur ce que vous savez, sans nous y arrêter comme s’il était question de vous en parler pour la première fois. Cette piscine et l’eau qu’elle renfermait me semblent avoir préfiguré le peuple juif. Que les peuples se trouvent désignés sous le nom des eaux, c’est chose clairement indiquée dans l’Apocalypse de Jean. Un jour, en effet, il avait aperçu de grandes eaux : il demanda ce que c’était, et on lui répondit: Ce sont les nations (1). Cette eau, environnée de cinq portiques, était donc l’emblème du peuple juif, régi par les cinq livres de Moïse ; mais ces livres montraient les infirmités des Israélites sans les guérir; car la loi établissait la culpabilité des pécheurs, et ne la faisait pas disparaître: la lettre, sans la grâce, faisait donc des coupables ; et quand ils s’avouaient tels, la grâce les délivrait. Voici ce que l’Apôtre dit à ce sujet: « Si la loi qui a été donnée avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi la loi a-t-elle été donnée? Paul continue en ces termes : « Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient (2) ». Y a-t-il rien de plus évident? Ces paroles ne nous ont-elles pas mis sous les yeux les cinq portiques et la multitude des malades qui s’y trouvaient .couchés? Les cinq portiques ne sont autres que la loi. Pourquoi ne guérissaient-ils pas les infirmes qu’ils renfermaient? Parce que, « si la loi, qui a été donnée, avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi contenaient-ils des hommes qu’ils ne guérissaient point? Parce que « l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient ».

3. Comment donc se faisait-il qu’après l’agitation de l’eau, ceux qu’on y plongeait y retrouvaient la santé, au lieu qu’ils restaient malades tout le temps qu’ils demeuraient sous les portiques? Il est bon de le remarquer, l’eau semblait tout à coup s’agiter, et il était impossible de voir qui l’agitait. Sois-

 

1. Apoc. XVII, 15. — 2. Galat. III, 21, 22.

 

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en bien convaincu : un ange venait d’habitude la remuer, et son action n’était pas sans indiquer l’existence d’un grand mystère. Immédiatement après qu’il avait ainsi remué l’eau de la piscine, l’un des malades, celui qui le pouvait, y descendait, et il était seul à obtenir sa guérison : après lui, quiconque s’y plongeait le faisait sans résultat. Qu’est-ce que cela signifie? Que le Christ est venu vers le peuple juif, et qu’en opérant des prodiges, en enseignant une doctrine précieuse, il a pu seul troubler les pécheurs, remuer l’eau par le fait de sa présence, et agiter les Juifs au point qu’ils le firent mourir. Mais quand il agissait ainsi, on ne le connaissait point ; car si les Israélites avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié (1). Descendre dans l’eau, après qu’elle a été agitée, c’est donc croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul malade était guéri dans l’eau de la piscine : c’était l’emblème de l’unité de l’Eglise: quiconque y descendait ensuite, n’obtenait pas sa guérison, car, en dehors de l’unité, il est impossible d’obtenir la rémission de ses fautes.

4. Voyons donc ce que le Christ a voulu mous faire entendre par ce paralytique ; car le Sauveur, comme je l’ai dit en commençant, a respecté, lui aussi, ce que le nombre un a de mystérieux, et, de tous les malades rangés autour de la piscine, il n’a daigné guérir que celui-là. Dans l’âge de cet homme il a trouvé un nombre d’années qui indique une maladie : « Il était malade depuis trente-huit ans ». Comment ce nombre d’années indiquait-il plutôt la maladie que la santé? C’est coque nous allons expliquer avec un soin plus particulier. Je désire que vous me prêtiez toute votre attention : le Seigneur nous aidera, moi, à vous parler convenablement, et vous, à me bien comprendre. Le nombre quarante nous est signalé comme un nombre sacré, parce qu’en un sens, il est parfait. Votre charité, je le suppose, n’en ignore pas; et les divines Ecritures l’attestent en maints endroits. Vous le savez, le jeûne tire sa consécration de ce nombre de jours. En effet, Moïse a jeûné quarante jours (2); Elie a fait de même (3) ; et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a aussi jeûné le même espace de temps (4). Moïse représentait la loi, Elie les Prophètes,

 

1. I Cor, II, 8. — 2. Exod. XXXIV, 28. — 3. III Rois, XIX, 8. — 4. Matth. IV, 2.

 

et Jésus-Christ l’Evangile : c’est pourquoi ils apparurent tous les trois sur la montagne où le Sauveur se manifesta à ses disciples avec un visage et des vêtements tout radieux. Dans cette apparition, Jésus se trouvait entre Moïse et Elie (1), comme si l’Evangile tirait sa force du témoignage de la loi et des Prophètes (2). Qu’il s’agisse donc de la loi, des Prophètes ou de l’Evangile, le nombre quarante nous est signalé comme consacré au jeûne. Considéré dans son sens large, et pris en général, le jeûne consiste à s’abstenir de tout péché et de toutes les iniquités du siècle; oui, voilà le véritable jeûne : « C’est renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, et vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice et avec piété». Quelle est la récompense réservée à cette sorte de jeûne? L’Apôtre nous le dit, car il ajoute ces paroles : « Attendant la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ (3) ». Dans le cours de cette vie, nous observons, en quelque sorte, l’abstinence du carême, lorsque nous nous conduisons bien et que nous nous abstenons du péché et des plaisirs défendus. Mais parce que cette abstinence ne manquera pas d’être récompensée, « nous attendons la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ ». Quand notre espérance aura fait place à la possession de la réalité, nous recevrons le denier qui doit constituer notre récompense. D’après l’Evangile, vous vous en souvenez, je crois, la même rémunération est accordée à tous ceux qui travaillent dans la vigne du père de famille: il est inutile de vous rappeler tout cela, comme si vous étiez des personnes ignorantes et grossières. Le denier donné aux ouvriers tire son nom du nombre dix, lequel, ajouté à quarante, forme celui de cinquante; voilà pourquoi l’observation de la Quadragésime exige de nous, avant Pâques, de pénibles sacrifices ; mais après Pâques, il semble que nous devions recevoir notre récompense, car nous célébrons la Quinquagésime dans les transports de la joie. Au travail salutaire des bonnes oeuvres, qui a trait au nombre quarante, viendra s’ajouter le denier du repos et du bonheur, qui parfera le nombre cinquante.

5. Tout cela, le Seigneur Jésus a voulu

 

1. Matth. XVII, 1-3. — 2. Rom. III, 21. —  3. Tit. II, 12, 13.

 

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nous le faire entendre plus parfaitement encore, quand, après sa résurrection, il a consacré quarante jours à converser sur la terre avec ses disciples (1). Le quarantième jour, il monta au ciel, et dix jours après il leur envoya, comme récompense, le Saint-Esprit (2). Ceci a été préfiguré, et la réalité a été annoncée d’avance par certains emblèmes. La vue de ces emblèmes nous sert comme d’aliment, pour nous fortifier et meus aider à parvenir à la réalité même. Nous sommes, en effet, des ouvriers, et nous travaillons encore à la vigne; le jour fini, l’ouvrage terminé, Dieu nous rémunérera de nos peines. Mais quel est l’ouvrier capable de persévérer dans le travail, jusqu’à l’heure du paiement? Celui-là seul qui prend de la nourriture dans le cours de la journée ; car il est sûr que tu ne te bornes pas à donner à tes ouvriers leur salaire : ne leur donnes-tu pas aussi de quoi réparer leurs forces épuisées par le travail ? Oui, tu nourris ceux que tu dois rémunérer. Les emblèmes contenus dans les Ecritures sont donc l’aliment dont Dieu nous nourrit pendant le pénible cours de notre vie ; car s’il nous enlevait la joie de comprendre toutes ces mystérieuses figures de. l’avenir, nous tomberions, au milieu de notre travail, sous le poids de la fatigue, et nul d’entre nous ne serait capable de voir arriver l’heure de la récompense.

6. Pourquoi donc le nombre quarante indique-t-il que le travail est arrivé à son terme? Peut-être parce que la loi a été donnée en dix préceptes, et qu’elle devait être annoncée par tout l’univers ; car le monde se divise en quatre parties : l’Orient, l’Occident, le Midi et l’Aquilon. Aussi, dix multiplié Par quatre, donne le nombre quarante. Peut-être est-ce encore parce que la loi se trouve parfaitement accomplie par l’Evangile, qui se compose de quatre livres ; il est dit, un effet, dans l’Evangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir (3) ». Quel que soit le motif en question ; que ce soit celui-ci ou celui-là, ou tout autre, inconnu de nous, mais connu de plus savants, peu importe ; il est certain, néanmoins, que le nombre quarante indique en un sens que les bonnes oeuvres sont arrivées à leur terme:

par bonnes oeuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du

 

1. Act. I, 3. — 2. Id. II, 1- 4. — 2. Matth. V, 17.

 

siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue. Ecoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi (1) ». Comment nous vient la charité ? Par là grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car », dit Paul, « la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2) ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi ». Voyons comment Dieu nous recommande cette vertu. Rappelez-vous ma proposition: je veux vous parler des trente-huit ans du paralytique de l’Evangile; je veux vous expliquer comment il se lait que le nombre trente-huit indique plutôt la maladie que la santé ; je l’ai dit : La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles oeuvres, se rapporte le nombre quarante. Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements. Je vous en prie, réfléchissez bien à ce que je vous dis, et gravez-le profondément dans votre mémoire : tenez du cas de mes paroles ; car, autrement, votre âme ressemblerait à un grand chemin où ne germe point le grain qui y tombe: « Les oiseaux du ciel viendront», dit le Sauveur, « et ils le mangeront (3)». Comprenez ceci, et renfermez-le soigneusement dans votre coeur. Par rapport à la charité, le Seigneur nous a donné deux commandements; les voici: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes (4)». La veuve de l’Evangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces d’argent qui composaient tout son avoir (5)? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin (6) ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité (7)? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne oeuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité: de là

 

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5. — 3. Marc, IV, 4. — 4. Matth. XXII, 37-40. — 5. Luc, XXI, 2-4. — 6. Id. X, 35.— 7. Jean, IV, 40.

 

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il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie?

7. Voyons donc par quelle mystérieuse action du Sauveur ce malade est revenu à la santé. Jésus, maître de la charité, rempli de charité, a paru sur la terre, donnant au « monde » comme il a été prédit de lui, « une parole abrégée (1) », et il n montré que les deux Préceptes de la charité renferment toute la loi et les Prophètes. En eux a donc consisté le mérite du jeûne de quarante jours observé par Moïse, et de celui d’Elie, consacrés, tous deux, par l’autorité et l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur se présente alors devant le paralytique, et lui rend la santé; mais, auparavant, il lui dit : « Veux-tu être guéri? » Celui-ci lui répond qu’il n’a personne pour le descendre dans la piscine. En réalité, pour guérir, il lui fallait un homme, mais l’homme qui est en même temps Dieu : car « il n’y à qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2) ». L’homme indispensable s’approche de lui : pourquoi sa guérison serait-elle différée ? « Lève-toi », lui dit-il, « prends ton lit, et marche». Voilà trois mots sortis de sa bouche: « Lève-toi, prends ton lit,et marche ». « Lève-toi » ; par ce mot, il ne commande pas d’agir, il rend la santé. Une fois guéri, le paralytique reçoit deux commandements: « Prends ton lit, et marche». Je vous le demande : pourquoi ne pas se contenter de dire : « Marche? » Ou bien, n’aurait-il pas suffi de dire « Lève-toi? » Il est sûr, en effet, qu’après avoir repris l’usage de ses membres, il ne serait pas resté en place. Ne se serait-il pas levé pour s’en aller? Voilà donc, pour moi, un nouveau sujet de surprise; car j’entends le Sauveur faire deux commandements à cet homme qu’il a trouvé couché sur son lit, parce qu’il lui manquait deux pour atteindre quarante ; en lui imposant deux préceptes, Jésus suppléait au nombre qui lui faisait défaut.

8. Dans ces deux préceptes du Christ, comment pouvons-nous trouver trace des deux commandements de la charité? « Prends ton

 

1. Isa. X, 23 ; XXVIII, 22; Rom. IX, 28. — 2. I Tim. II, 5.

 

lit », dit-il, « et marche ». Quels sont, mes frères, ces deux commandements ? Veuillez y réfléchir avec moi. Ils doivent vous être parfaitement connus, et, par conséquent, vous ne devez pas vous borner à y penser quand nous vous en parlons ; jamais ils ne doivent s’effacer de votre mémoire. Rappelez-vous-le donc toujours: il faut aimer Dieu et le prochain. Il faut aimer « Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ». Voilà ce à quoi nous devons toujours penser; ce qu’il nous faut sans cesse méditer, graver dans notre mémoire, mettre en pratique et accomplir. L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements: dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain. Celui qui t’imposerait, en deux préceptes divers, l’obligation d’aimer l’un et l’autre, ne te désignerait pas d’abord le prochain, comme objet de ton affection, pour donner à Dieu le second rang: il te parlerait d’abord de Dieu, et, ensuite, du prochain ; mais comme tu ne vois pas encore Dieu, tu mérites de le voir en aimant ton prochain : l’affection que tu portes à ton frère purifie l’oeil de ton âme, et le rend capable de contempler Dieu ; car Jean dit en termes formels: « Comment celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas (1) ? » On te dit: Aime Dieu. Si tu me dis à ton tour: Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que Jean lui-même nous enseigne: « Jamais « personne n’a vu Dieu (2)? » Mais ne va pas t’imaginer qu’il te soit complètement impossible de voir Dieu. « Dieu », dit le même Apôtre, « Dieu est charité; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu (3) ». Aime donc ton prochain; puis, examine attentivement pour quel motif tu lui donnes ton affection ; et en lui, tu verras Dieu, autant, du moins, que tu peux le voir. Commence donc par aimer le prochain. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois, sous ton toit, celui qui est sans abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise point la chair dont tu es formé ». Quelle sera, pour toi, la conséquence de toutes ces bonnes oeuvres? « Alors, ta lumière brillera comme l’aurore (4)». Ta lumière, c’est ton

 

1. 1 Jean, IV, 20. — 2. Jean, I, 18. — 3. I Jean, IV, 16. — 4. Isa. LVIII, 7, 8.

 

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Dieu. Il sera pour toi la lumière de l’aurore, parce qu’il succédera, pour toi, aux ténèbres de ce monde; et comme il demeure éternellement, il ne se lève, ni ne se couche comme le soleil. Il se lèvera pour toi, lorsque tu reviendras à lui, comme il s’est couché toutes les fois que tu t’en es éloigné. Donc, par ces paroles : « Prends ton lit », Jésus a dit, ce me semble: Aime ton prochain.

9. Mais la chose ne me paraît pas encore bien clairement établie: à mon avis, il nous faut expliquer plus au long comment il est question de la charité fraternelle dans le fait de l’enlèvement d’un lit; car peut-être sommes-nous offusqués de voir qu’un lit, dépourvu de sens et d’esprit, soit l’image du prochain. Que notre frère ne s’irrite point d’être représenté à nos yeux sous la figure d’un objet sans âme ni intelligence. En effet, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a lui-même reçu le nom de pierre angulaire, établie pour relier ensemble les deux murs de l’édifice (1). On lui a aussi donné le nom de ce rocher du sein duquel s’échappe une source: « Et cette pierre était le Christ (2) ». Si le Christ a été appelé Pierre, y a-t-il rien d’étonnant à ce que le prochain soit appelé bois? Il ne s’agit pas ici, néanmoins, d’un bois quelconque, pas plus qu’il ne s’agissait de n’importe quelle pierre ou de n’importe quel rocher. Car il était question du rocher qui fournit de l’eau pour désaltérer les Israélites, et de la pierre angulaire qui réunissait entre eux des murs bâtis en des sens différents. Tout bois n’est pas propre à figurer le prochain : un bois de lit en est seul capable. Je te le demande; qu’y a-t-il à remarquer dans ce bois de lit? Rien, sinon qu’il servait à porter le paralytique pendant qu’il était malade, tandis qu’il était à son tour porté par ce même homme revenu en santé. Qu’a dit l’Apôtre? « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ (3) ». La loi de Jésus-Christ, c’est la charité, et nous ne pouvons accomplir le précepte de la charité, qu’à la condition de porter les fardeaux les uns des autres; et il dit ailleurs: « Vous supportant avec charité les uns les autres, travaillant soigneusement à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix (4) ». Lorsque tu étais malade,

 

1. Ephés. II, 14-20. — 2. I Cor. X, 4. — 3. Galat. VI, 2. — 4. Ephés. IV, 2, 3.

 

ton prochain te portait : tu es revenu à la santé, porte donc, à ton tour, ton prochain. « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ». C’est ainsi, ô homme, que tu parte. ras ce qui te manquait. « Prends donc ton lit » ; mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, « marche ». En aimant ton prochain, en prenant soin de lui, tu fais du chemin. De quel côté diriges-tu tes pas? Vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre coeur, de toute notre âme, de tout notre esprit. Il nous est encore impossible d’arriver jusqu’à lui, mais avec nous se trouve notre prochain. Porte donc ton frère, puisque tu voyages avec lui, et par là tu arriveras jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer toujours. « Prends » donc « ton lit et marche».

10. Voilà ce que fit le paralytique, et les Juifs en furent scandalisés. Ils voyaient, en

effet, un homme qui portait son lit le jour du sabbat : néanmoins ils ne faisaient point au Sauveur un reproche de ce qu’il l’avait guéri ce jour-là; car il aurait pu leur répondre: « Qui d’entre vous, voyant son âne ou son boeuf tombé dans un puits, ne l’en retirerait aussitôt, et ne le sauverait le jour même du sabbat (1)? » Ils ne reprochaient donc pas à Jésus d’avoir guéri cet homme le jour du sabbat; mais ils faisaient à celui-ci un crime d’avoir porté un lit à pareil jour. De ce qu’il fallait immédiatement guérir ce malheureux, s’ensuivait-il qu’on pût ou dût lui prescrire une oeuvre servile ? « Il ne t’est point permis », lui dirent-ils, « de faire ce que tu fais, de porter ton lit». A cette observation méchante il opposa l’autorité de celui qui

avait opéré sa guérison. Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri, m’a dit : Prends ton lit, et marche ». Celui qui m’a rendu la santé n’avait-il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres? Et ils lui demandèrent: « Quel est celui qui t’a dit : Prends ton lit, et marche? »

11. « Et celui qui avait été guéri ne savait point qui lui avait donné cet ordre». Car, après l’avoir guéri, et lui avoir commandé de prendre son lit et de. marcher, « Jésus s’était éloigné de lui et perdu dans la foule ». Voyez comment ceci s’accomplit aussi par rapport à nous. Nous portons notre prochain

 

1. Luc, XIV, 5

 

et nous marchons vers Dieu ; mais celui vers qui nous dirigeons nos pas, nous ne le voyons pas encore : c’est pourquoi le paralytique ne connaissait pas non plus, à ce moment-là, le Seigneur Jésus. Voici la mystérieuse chose que le Christ a voulu nous apprendre : nous croyons en lui, bien que nous ne le contemplions pas encore, et, pour nous empêcher de l’apercevoir, il se perd dans la foule. Or, il est difficile de découvrir le Christ au milieu de la foule; il faut donc établir notre âme dans une sorte de solitude, et quand par notre intention nous serons ainsi devenus solitaires, nous verrons Dieu. Dans la foule se lait entendre un bruit confus pour contempler le Seigneur, la tranquillité de la solitude est indispensable. « Prends ton lit » ; après avoir été porté par lui, porte ton prochain, « et marche », afin d’arriver jusqu’à Dieu. Ne cherche pas Jésus dans la foule, comme s’il était un de ceux qui la composent; il n’est pas d’avec eux, car il les précède tous. Cet énorme poisson a été le premier à sortir de lamer pour monter au ciel, où il est assis et intercède en notre faveur; comme autrefois le grand prêtre, il a pénétré seul derrière le voile, dans le Saint des saints, tandis que la foule reste au dehors. Pour toi, marche, puisque tu portes ton prochain : auparavant, il te portait; marche, si tu as appris à le porter à ton tour. Enfin, pour le moment, tu ne connais pas encore Jésus, tu ne le vois pas encore. Que lisons-nous ensuite? Parce que le paralytique ne se lasse point de porter son lit et de marcher, « Jésus le trouva plus tard dans le temple ». Ce malade n’avait point vu Jésus dans la foule, il le vit dans le temple. Le Sauveur l’avait aperçu même du milieu de la multitude, et aussi dans le temple; mais lui n’avait point vu le Christ dans la foule; il ne le reconnut qu’au temple. Il parvint donc jusqu’au Seigneur; il le vit dans le temple, dans un édifice consacré à son culte, dans le lieu saint. Et que lui dit alors Jésus? « Voilà que tu es guéri; ne pèche plus désormais, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pis».

12. A peine le paralytique eut-il aperçu le Christ et reconnu l’auteur de sa guérison, qu’il s’empressa de le signaler à l’attention de tous. « Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri ». Il le leur annonçait, et les Juifs perdaient le sens; il leur faisait hautement connaître celui qui l’avait guéri, et les Juifs s’entêtaient à ne point reconnaître leur Sauveur.

13. « C’est pourquoi les Juifs poursuivaient Jésus, parce qu’il avait fait ces oeuvres le jour du sabbat ». Quelle réponse Jésus adressa-t-il alors aux Juifs? La voici, écoutons-là. Je vous l’ai déjà dit: quand il s’agissait d’hommes guéris le jour du sabbat, le Christ avait pour habitude de dire à ses ennemis: A pareil jour, vous ne manquez jamais de porter secours à vos animaux domestiques, et de leur donner la nourriture nécessaire. Quant à l’enlèvement de son lit par le paralytique, quelle fut la réponse du Christ? On ne pouvait le nier: une oeuvre servile s’était faite au vu et au su des Juifs; c’était, non pas la guérison corporelle d’un malade, mais l’action qu’on lui avait commandée : il est sûr que cette action n’était pas aussi urgente que la guérison. Que le Sauveur nous fasse donc clairement connaître la mystérieuse signification du sabbat; qu’il nous dise que l’observation d’un jour par semaine avait été, pour un temps, imposée aux Juifs comme un symbole, et qu’il était venu pour nous montrer, dans sa personne, la réalité de ce symbole. « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Il occasionna au milieu d’eux un grand trouble par son avènement, il agita l’eau, mais, tout en la remuant, il demeurait caché; néanmoins, l’agitation de l’eau devait guérir un grand malade, mais un malade unique, tandis que la mort du Sauveur devait guérir le monde entier.

14. Voyons donc ce que répondit la Vérité: « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Elle est donc fausse cette parole de l’Ecriture : « Dieu se reposa de toutes ses oeuvres le septième jour ? » et le Seigneur Jésus lui-même s’inscrit donc en faux contre cette assertion de Moïse, quand il dit aux Juifs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c’est de moi qu’il a écrit (2)? » Voyez donc si, en nous affirmant que « Dieu s’est reposé de toutes ses oeuvres le septième jour », Moïse n’a pas voulu nous faire connaître quelque chose de mystérieux. Dieu ne s’était point fatigué en donnant l’être à ses créatures, et, par conséquent, il ne ressentait pas, comme l’homme après son travail, le besoin de se reposer. Comment aurait pu se

 

1. Gen. II, 2. — 2. Jean, V, 46.

 

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lasser celui qui avait pu, d’un seul mot, créer toutes choses? Néanmoins, rien de plus vrai que ce passage : « Dieu se reposa de toutes ses oeuvres le septième jour » ; rien de plus vrai encore que ces paroles de Jésus : « Mon Père agit toujours ». Mes frères, de quelles expressions me servir pour vous le démontrer? Ne suis-je pas un homme, et n’êtes-vous pas des hommes? Je suis faible, et ne m’adressé-je pas à des faibles? Je suis ignorant, et vous désirez apprendre de moi des choses mystérieuses! Si , par hasard, j’en saisis quelque peu le sens caché, il m’est impossible de le mettre à la portée des personnes semblables à moi, et de le leur faire comprendre: et quand même elles le saisiraient comme moi, quand même il ne serait pas absolument au-dessus de mes forces de leur en donner une explication précise, j’éprouverais toujours une difficulté extrême à le faire. Encore,une fois, mes frères, quelles expressions employer, pour vous faire comprendre comment Dieu agit, même en se reposant, et comment il se repose, même au moment où il agit? Patience, je vous en conjure; attendez, pour le comprendre, que vous soyez plus avancés : car la révélation d’un pareil mystère ne peut se faire que dans le temple d Dieu, dans un lieu saint: portez donc le prochain et marchez : et vous mériterez de le contempler face à face, sans avoir besoin de la parole humaine pour vous en faire une idée.

15. Voici peut-être l’explication la plus plausible qu’il nous soit permis de vous donner. En disant que « Dieu se reposa le septième jour», Moïse a voulu, dans un sens mystérieux bien digne de fixer notre attention, désigner d’avance notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le nième qui disait ces paroles « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». En effet, le Seigneur Jésus est Dieu : nul doute cet égard; car il est le Verbe, et, vous le savez, « au commencement était le Verbe » ce n’était pas .un Verbe quelconque, mais « le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui (1) ». Moïse a peut-être voulu nous dire qu’il se reposerait de toutes ses oeuvres le septième jour. Lisez l’Evangile, el vous verrez effectivement combien d’oeuvres merveilleuses ont été accomplies par Jésus. Afin que fussent réalisés eu lui tous les oracles

 

1. Jean, I, 1, 3.

 

des Prophètes, il a opéré notre salut mur l’arbre de la croix : il a été couronné d’épines et attaché à un gibet; il a dit : « J’ai soif», et, au moyen d’une éponge, on l’a abreuvé de vinaigre, et ainsi s’est vérifiée cette parole : « Ils ont étanché ma soif avec du vinaigre (1) ». Mais la veille du sabbat, quand il eut opéré toutes ses oeuvres, il inclina la tête et rendit l’esprit ; puis ayant été , le jour du sabbat, déposé dans un sépulcre, il se reposa de toutes ses oeuvres (2). Il semblait donc dire aux Juifs : Pourquoi attendre de moi que je n’agisse point le jour du sabbat? L’observation de ce jour-là vous a été prescrite pour me préfigurer. Vous contemplez les oeuvres de Dieu. J’étais là quand elles se faisaient : c’est par moi que toutes choses ont été faites; je le sais : « Mon Père agit toujours ». Mon Père a fait la lumière, mais il a dit : que la lumière fût (3); et, puisqu’il a parlé, il a agi par son Verbe: j’étais et je suis son Verbe. Dans l’oeuvre de la création, le monde a été formé par moi : je le gouverne par mes oeuvres actuelles. Mon Père a agi au moment où il créait l’univers; il agit encore aujourd’hui en le gouvernant : c’est donc par moi qu’il l’a créé au commencement, et qu’il le gouverne actuellement. Voilà ce que le Sauveur disait aux Juifs; mais à quels hommes parlait-il? A des aveugles, à des sourds, à des boiteux, à des malades qui ne reconnaissaient pas leur médecin, et qui, dans les transports d’une sorte de frénésie, voulaient s’en débarrasser en le faisant mourir.

16. Aussi, que dit ensuite l’Evangéliste? « C’est pourquoi les Juifs cherchaient plus activement à le faire mourir, non-seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son propre père ». Il ne le disait pas dans le premier sens venu ; mais comment le disait-il? « Se faisant égal à Dieu ». Nous, nous disons tous à Dieu : « Notre Père, qui êtes aux cieux (4) ». Nous lisons que les Juifs eux-mêmes lui disaient : « Vous êtes notre Père (5)». Ils s’irritaient donc, non pas de ce qu’il appelait Dieu son père, mais de ce qu’il l’appelait de ce nom d’une manière toute différente de celle dont le faisaient les autres hommes. Voilà que les Juifs comprennent ce que ne

 

1. Ps. LXVIII, 22. — 2. Jean, XIX. — 3. Gen. I, 3.— 4. Matth. VI, 9. — 5. Isa. LXIII, 16 ; LXIV, 8.

 

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comprennent pas les Ariens. Ceux-ci, eu effet, disent le Fils inférieur au Père, et telle est la raison pour laquelle ces hérétiques ont été retranchés du sein de l’Eglise. Les aveugles eux-mêmes, les meurtriers du Christ ont donc compris tonte la portée de ces paroles. Ils ne voyaient pas qu’il fût le Christ, le Fils de Dieu mais, de ses paroles ils concluaient qu’il était question d’un Fils de Dieu, égal à Dieu. Qui était-il en réalité ? Ils n’en savaient rien: seulement, ils le reconnaissaient comme un homme, qui «appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu». N’était-il donc pas égal à Dieu? Ce n’était pas lui qui se faisait égal à Dieu ; mais c’était Dieu qui l’avait engendré égal à lui-même. S’il se faisait lui-même égal à Dieu, il se rendrait usurpateur, et se précipiterait dans l’abîme. En effet, celui qui a prétendu se faire égal à Dieu, tandis qu’il ne l’était pas, tomba dans l’enfer (1) ; et d’ange qu’il était, il se transforma en démon ; et l’orgueil, qui l’avait fait déchoir de son rang, il s’efforça de l’inspirer à l’homme ; car cet ange dégradé, jaloux de voir nos premiers parents dans l’état de grâce, ne craignit pas de leur dire : « Goûtez de ce fruit, et vous serez comme des dieux (2) ; c’est-à-dire, devenez

 

1. Isa. XIV, 14,15.— 2. Gen. III, 5.

 

des usurpateurs: prenez ce que Dieu ne vous a pas donné en vous créant; car je l’ai pris moi-même, et je suis tombé. Les termes dont il se servait, étaient plus voilés, mais c’était là le sens de ses conseils. Pour le Christ, il ne s’était pas fait l’égal de Dieu, car il était né tel : il était né de la substance du Père. Voici donc en quels termes l’Apôtre nous parle de Dieu : « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Il n’a pas cru que ce fût une usurpation? » Il n’a pas usurpé l’égalité avec Dieu il la possédait, puisqu’il était né avec elle. Et nous, comment pouvions-nous devenir semblables à cet égal de Dieu? «Il s’est anéanti lui-même « en prenant ta forme d’esclave (1) ». Si donc il s’est anéanti, c’est, non pas en perdant ce qu’il était, mais en prenant ce qu’il n’était pas. Faisant peu de cas de cette forme d’esclave, les Juifs ne pouvaient comprendre que le Seigneur Christ fut égal à son Père ; et, pourtant, ils étaient intimement persuadés qu’il se disait tel : c’est pourquoi ils le persécutaient : et, néanmoins, il les supportait encore, et cherchait à les guérir, malgré leurs mauvaises dispositions à son égard.

 

1. Philipp. II, 6,7.

 

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