TRAITÉ XXI
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VING-UNIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « CAR LE PÈRE AIME LE FILS ET LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT », JUSQU’À CES AUTRES « CELUI QUI N'HONORE PAS LE FILS, N’HONORE PAS LE PÈRE QUI L’A ENVOYÉ ». (Chap. V, 20-23.)

LES OEUVRES DU CHRIST.

 

«Le  Fils ne fait que ce qu’il a vu faire à son Père, et le Père lui montre tout ce qu’il fait», c’est-à-dire, le Père est l’archétype de toutes les créatures; il les voit en lui-même, et cette vision et la science qui en résulte, ne sont autre chose que son Verbe : de là il suit que, pour le Verbe, voir, apprendre, connaître, c’est être. Quant au Christ considéré comme homme et comme représentant de tous les membres de l’Eglise, Dieu doit lui montrer à opérer des merveilles plus admirables que la guérison d’un paralytique. Comme Dieu, il ressuscitera les morts à la fin du monde. Comme homme, il les jugera, afin que tous l’honorent de la même manière qu’ils honorent le Père.

 

1. Autant que Dieu nous en a fait la grâce, et selon qu’il nous a été possible de le comprendre et de le dire, nous vous avons expliqué, dans l’instruction d’hier, comment il peut se faire que les oeuvres du Père et du Fils soient inséparables: comment les oeuvres du Père, au lieu d’être différentes de celles de Fils, sont exactement les mêmes, en ce sens que le Père les fait par son Fils, comme par son Verbe. N’est-il pas écrit, en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui rien n’a été fait? » Aujourd’hui, nous avons à examiner les passages qui suivent prions le Seigneur de nous accorder sa bénédiction, espérons-la de sa part ; peut-être mous jugera-t-il dignes de comprendre la vérité contenue dans ses paroles; et si nous mous trouvons incapables de la saisir, peut être sa grâce nous empêchera-t-elle de tomber dans l’erreur. Car mieux vaut ignorer que se tromper; mais la science est bien préférable à l’ignorance : aussi devons-nous, avant tout, nous efforcer de savoir. Si nous le pouvons, Dieu en soit loué; mais s’il nous est impossible de parvenir jusqu’à la vérité, ne ions jetons pas dans l’erreur. Qui sommes-nous? Que cherchons-nous à comprendre? ce qu’il nous faut examiner. Nous sommes des hommes revêtus d’un corps, nous sommes des pèlerins ici-bas; la parole de Dieu nous a, sans doute, communiqué le germe d’une nouvelle vie; mais, bien que renouvelés dans le Christ, nous ne sommes pas encore entièrement dépouillés du vieil Adam. En nous, le corps qui se corrompt appesantit l’âme (1); il nous vient d’Adam, c’est chose manifeste, et personne ne saurait en douter. Mais le principe spirituel qui rend notre âme supérieure au monde est un don de ce Dieu miséricordieux qui a envoyé son Fils unique sur la terre, pour partager notre condition mortelle et nous faire entrer en possession de son immortalité. Il est notre maître et doit nous apprendre à ne point pécher : il sera notre défenseur, si, après avoir péché, nous confessons nos fautes et revenons au bien; il sera notre avocat au moment où nous demanderons à Dieu quelque bienfait, et, conjointement avec le Père, il nous accordera l’objet de nos désirs; car le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, Les paroles qui vont nous occuper, il les adressait aux hommes en qualité d’homme; en lui le Dieu se cachait et l’homme se montrait, pour faire des dieux avec de simples hommes; étant Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme, afin de rendre enfants de Dieu les enfants des hommes. Par quelle mystérieuse invention de sa sagesse a-t-il agi ainsi? Ses paroles mêmes nous l’apprennent. Il s’est fait petit pour parler à des petits; mais bien que petit, il n’a pas cessé d’être grand; et nous, si nous sommes petits par nous-mêmes, nous devenons grands par notre union avec lui : il nous parle donc comme une nourrice parle à son bien-aimé nourrisson, qu’elle aide à grandir à force de soins.

2. Il avait dit: « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il voit faire à son

 

1. Sag. IX, 15.

 

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Père (1) ». Nous l’avons compris : le Père ne fait aucune oeuvre séparément du Fils; et le Fils ne le regarde point pour faire, à son tour, quelque chose de pareil à ce qu’il lui aurait vu faire. Voici la raison pour laquelle le Sauveur a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père » ; c’est que le Fils tient du Père tout ce qu’il est: sa substance et sa puissance tout entières lui viennent de Celui qui l’a engendré. Il avait dit qu’il fait, comme le Père, les mêmes oeuvres que le Père; mais il a voulu nous insinuer que le Père et le Fils ne font pas des oeuvres différentes, mais que les opérations du Fils procèdent de la même puissance que celle du Père, puisque le Père les fait par l’intermédiaire de son Fils : aussi a-t-il ajouté ce que nous avons entendu lire aujourd’hui : « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Le Père montre à son Fils tout ce qu’il fait: donc, dira quelqu’un, le Père agit séparément, afin que le Fils soit à même de voir ce qu’il fait. Nous voici donc, encore une fois, revenus à une manière humaine de considérer les choses : nous voici de nouveau en face de nos deux artisans; on dirait qu’il s’agit encore d’un ouvrier qui apprend son métier à son fils, et qui lui montre son propre ouvrage, afin qu’à son tour il puisse en faire autant. « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Par conséquent, lorsque le Père agit, le Fils reste dans l’inaction, uniquement occupé à regarder ce que fait son Père. En est-il vraiment ainsi? Il est sûr que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n’a été fait ». Par là, il nous est facile d’imaginer comment le Père montre au Fils ce qu’il fait, puisque le Père ne tait rien que ce qu’il fait par le Fils. Qu’a fait le Père? Le monde. Mais l’a-t-il créé d’abord, et l’a-t-il ensuite montré au Fils, pour lui fournir le modèle d’un autre monde? Alors, qu’on nous fasse voir ce second univers, sorti des mains du Fils seul. « Mais toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait, et c’est lui qui a fait le monde (2) ». S’il a fait le monde, et si toutes choses ont été faites par lui, le Père ne fait donc rien qu’il ne le fasse par son Fils. Mais où le Père montre-t-il au Fils ce qu’il fait? Dans le Fils même par qui il le fait, et pas ailleurs. En quel autre lieu le

 

1. Jean, V, 19. — 2. Id. I, 3, 10.

 

Père pourrait-il montrer au Fils ses propres oeuvres? Est-ce qu’il habite, est-ce qu’il agit comme dans un endroit exposé au regard? Le Fils examine-t-il le Père, comme s’il travaillait extérieurement? Où se trouve l’indivisible Trinité? Où est le Verbe, dont il a été dit qu’il est la puissance et la sagesse de Dieu (1)? Où voir ce qu’est la Sagesse elle-même, an dire de l’Ecriture : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle (2)?» Où contempler ce qu’indique encore cet autre passage: « La  Sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur (3) » Si le Père, dans ses opérations, agit par le Fils, par sa propre sagesse, pal sa propre puissance, ce n’est pas à l’extérieur qu’il lui montre ce qu’il doit voir et faire, c’est en lui-même.

3. Qu’est-ce que voit le Père, ou, plutôt, qu’est-ce que le Fils voit dans le Père, afin de le faire ensuite lui-même? Si je pouvais le dire, y aurait-il quelqu’un pour me comprendre? Si j’étais capable de m’en faire une idée, serais-je à même de l’expliquer convenablement? Mais serais-je seulement apte à me l’imaginer? La distance qui se trouve entre la Divinité et nous est égale à celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortalité de la vicissitude des choses destinées à périr, l’éternité de ce qui est du temps. Qu’il nous inspire et nous fasse la grâce de comprendre. Que de cette source de vie, qui est lui-même, il fasse tomber sur nous quelques gouttes de rosée pour étancher notre soif: ainsi serons-nous préservés des ardeurs brûlantes de ce désert. Nous avons appris à lui donner le nom de Père; crions pour lui dire: Seigneur. Ne craignons pas de le faire, car il nous n autorisés à nous permettre cette hardiesse: seulement, vivons de manière à ce qu’il ne nous dise pas : « Si je suis votre Père, où sont mes honneurs; et si je suis votre maître, où me craint-on (4)? » Disons-lui donc: Notre Père! A qui disons-nous: Notre Père? Au Père du Christ. Et celui qui dit au Père du Christ: Notre Père ! que dit-il au Christ? Notre Frère, et rien autre chose. Il faut néanmoins le remarquer, Dieu n’est pas le Père du Christ au même titre qu’il est le nôtre, car jamais le Christ ne nous a unis à lui, de manière à faire disparaître toute distance entre lui et nous. Il est, en effet, le Fils de Dieu,

 

1. I Cor. I, 24. — 2. Sag. VII, 26.— 3. Id. VIII, I. — 4. Malach. I, 6.

 

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égal à son Père, éternel comme lui, coéternel à lui: pour nous, nous avons été créés par le Fils et adoptés par l’Unique; aussi, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à ses disciples, jamais il n’a dit du Dieu souverain, son Père: Notre Père; niais: Mon Père, ou bien: Votre Père. Il n’a pas dit: Notre Père; cela est si vrai que, dans un certain endroit de l’Evangile, il a proféré ces deux paroles: « Je m’en vais à mon Dieu et à votre Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit: Notre Dieu? « Et à mon Père et à votre Père (1)». Il n’a pas dit: Notre Père. Il parle donc de manière à unir les choses sans les confondre, et à les distinguer les unes des autres sans les séparer; il veut montrer que nous ne faisons qu’un en lui, et que le Père et lui ne font qu’un.

4. Nous aurons beau comprendre et beau voir, même lorsque nous aurons été égalés aux esprits angéliques, jamais nous ne versons comme voit le Fils. Lors même que mous ne voyons pas, nous sommes quelque chose, et, alors, que sommes-nous? Evidemment, des hommes qui ne voient pas. Bien que ne voyant pas, nous existons cependant, et, afin de voir, nous nous tournons vers celui qu’il nous faut voir, et ainsi s’opère en nous la vision qui ne s’y trouvait point auparavant, quoique nous existions. L’homme qui ne voit pas, n’en est pas moins un homme, et quand une fois il est parvenu à voir, on dit toujours de lui qu’il est un homme, mais un honnie qui voit. Car, pour lui, autre chose est de voir, autre chose est d’être un homme; si, en effet, voir et être homme était, pour lui, la même chose, jamais il ne pourrait  exister sans voir. Dès lors qu’il ne voit pas et qu’il cherche à voir ce qu’il ne peut encore contempler, il est donc à même de chercher à voir et de se convertir pour y arriver; et s’il se convertit sincèrement et qu’il parvienne à voir, après avoir été un homme qui ne voyait pas, il devient un homme qui voit. La vue lui est donc accordée ou retirée, selon qu’il se tourne vers Dieu ou qu’il s’en éloigne. En est-il de même du Fils? Non. Y a-t-il jamais eu un temps où le Fils n’ait pas vu, et un autre temps où il ait commencé à voir? Mais voir le Père et être le Fils, c’est, pour lui, une seule et même chose. En nous détournant de Dieu pour nous jeter dans l’iniquité, nous perdons de vue les rayons de la

 

1. Jean, XX, 17.

 

lumière d’en haut: aussitôt que nous revenons à lui, l’éclat de cette lumière vient à nouveau frapper nos yeux. Il n’y a aucune similitude entre la lumière qui vient nous éclairer, et nous-mêmes; car cette lumière ne se détourne pas d’elle-même, et ne perd jamais rien de son éclat, parce qu’elle est essentiellement la lumière. Le Père montre donc au Fils ce qu’il fait, en ce sens qu’en son Père le Fils voit toutes choses, et qu’il y est toutes choses. Par le fait qu’il voyait, il est né, et par cela même qu’il est né, il voit. Remarque-le, néanmoins: il n’a jamais été Sans exister, et jamais il n’a commencé à être: il n’a jamais été sans voir, et jamais il n’a commencé à voir. Car, en lui, voir et être ne constituent qu’une seule et même chose: en lui se rencontrent, tout à la fois, l’existence, la permanence, l’immuabilité, la vie éternelle, sans commencement et sans fin. Ne nous nourrissons donc point d’illusions matérielles: le Père n’est point assis, ne travaille pas, et ne montre pas au Fils ce qu’il fait: à son tour, le Fils ne regarde pas l’oeuvre opérée par le Père, pour en faire lui-même une pareille, mais dans un autre endroit et avec des matériaux différents; car « toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait ». Le Fils est la Parole du Père, et Dieu n’a rien dit qu’il ne l’ait dit en son Fils. En disant, en son Fils, ce qu’il devait faire par lui, le Père a engendré ce même Fils par lequel il devait faire toutes choses.

5. « Et il lui montrera de plus grandes oeuvres que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Nouveau sujet d’embarras. Qui pourrait jamais sonder parfaitement un pareil mystère? Mais comme il a daigné nous parler, le Sauveur nous en a mis la clef dans les mains. Il n’aurait certainement pas voulu nous dire ce qu’il ne voudrait pas nous voir croire: puisqu’il a bien voulu nous adresser la parole, il est sûr qu’il a eu l’intention de nous rendre attentifs, et puisque tel a été son dessein, nous abandonnerait-il maintenant à nous-mêmes? Nous vous l’avons dit de notre mieux: La science du Fils n’a rien qui tienne du temps: autre chose n’est pas la science du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même; autre chose n’est pas la vision du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même; mais la vision, la science et la sagesse du Père, c’est le Fils: elles sont éternelles, elles viennent de [486] l’éternel, et sont coéternelles à celui dont elles viennent: là, rien n’est sujet aux vicissitudes du temps; rien n’y vient à la vie de celui n’était pas; rien n’y meurt de ce qui était. Nous l’avons expliqué comme nous avons pu. Maintenant, que fait ici le temps? Le Sauveur ne dit-il pas, en effet: « Et il lui montrera de plus grandes choses? » Il doit lui montrer, c’est-à-dire, il lui fera voir plus tard. Il a montré est bien différent de: il montrera. Il a montré s’entend du passé; il montrera s’entend de l’avenir. Mes frères, que faisons-nous, que disons-nous à présent? Nous avons, tout à l’heure, prétendu que le Fils, coéternel au Père, n’éprouve aucune variation de la part du temps, qu’il ne se meut ni dans l’espace des lieux, ni dans l’espace des moments, qu’il demeure toujours dans la vision avec le Père, qu’il voit le Père, et que cette vision constitue son existence; et voilà qu’il nous rappelle encore une fois à la pensée du temps, puisqu’il nous dit: « Et il lui montrera de plus grandes choses! » Le Père montrera donc au Fils quelque chose qu’il ne connaît pas encore? Que faire? En quel sens comprendre ces paroles? Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait dans les hauteurs de l’éternité; le voilà qui redescend au niveau des choses terrestres. Quand était-il si élevé? Quand il disait: « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Comment est-il descendu? « Il lui montrera de plus grandes choses ». O Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites, qu’est-ce que le Père vous montrera que vous ne sachiez pas encore? Y a-t-il, dans le Père, quelque chose d’inconnu pour vous? Quelles oeuvres plus grandes doit-il vous montrer? Ou bien, quelles oeuvres seront surpassées par celles qu’il vous montrera? Car si Jésus a dit: « plus grandes», il nous faut retourner en arrière pour y trouver celles qui sont moins prodigieuses.

6. Rappelons-nous la circonstance qui a donné lieu à ce discours. C’est évidemment celle où fut guéri le paralytique de trente-huit ans, et où le Sauveur commanda à cet homme de prendre son lit sur ses épaules, et de s’en retourner dans sa maison. Ce fait suffit à soulever l’indignation des Juifs avec lesquels il s’entretenait: il parlait à leurs oreilles et ne disait rien à leur intelligence. Il laissait, en quelque sorte, entrevoir sa pensée à ceux qui voulaient l’entendre, mais il la cachait à ceux qui se laissaient emporter par la colère: irrités de voir le Seigneur Jésus agir ainsi le jour du sabbat, les Juifs lui donnèrent donc, par leurs mauvais sentiments, l’occasion de prononcer ce discours. Pour bien entendre les paroles qui nous occupent maintenant, nous ne devons donc pas oublier ce qui a été précédemment dit: au contraire, reportons nos regards sur ce paralytique, malade depuis trente-huit ans, et subitement rendu à l’usage de ses membres, en présence des Juifs qui ne pouvaient s’empêcher d’admirer une pareille guérison, et s’en fâchaient pourtant. Témoin de leur aveugle fureur, Jésus leur adressa la parole et leur dit: « Il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci » . « Plus grandes que celles-ci»: celles-ci? Lesquelles? Ce que vous venez de voir, c’est-à-dire: la guérison de cet homme, qu’une paralysie avait tenu, l’espace de trente-huit ans, couché sur son lit, n’est rien en comparaison de ce que le Père montrerai son Fils. Que lui montrera-t-il de plus étonnant? Le voici; car le Sauveur ajoute: « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », Il est sûr que ceci est bien autrement admirable: c’est, en effet, un plus grand prodige de ressusciter les morts, que de rendre un malade à la santé: il n’y a pas le moindre doute à cet égard. Mais quand le Père montrera-t-il à son Fils une pareille oeuvre? car le Fils n’en a-t-il pas déjà la connaissance? Et au moment où il parlait, ne savait-il pas ressusciter les morts? Il avait fait toutes choses: avait-il encore besoin d’apprendre à faire sortir les morts, tout vivants, des entrailles du tombeau? Celui qui nous a donné l’être et la vie, lorsque nous n’existions pas encore, avait-il besoin d’apprendre à nous ressusciter? Que veut-il donc nous dire par là?

7. Il s’est abaissé jusqu’à nous, et lui qui, tout à l’heure, nous parlait comme Dieu, a commencé de nous parler comme homme. Tout Dieu qu’il est, il n’en partage pas moins avec nous la nature humaine; car Dieu s’est fait homme, mais il est devenu ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était, L’humanité s’est donc adjointe à la divinité: ainsi, celui qui était Dieu est devenu un homme, de manière, toutefois, qu’en prenant notre nature, il ne perdît pas sa nature divine.  [487] Nous l’écoutions tout à l’heure comme notre créateur, écoutons-le donc maintenant comme notre frère, Il est notre Créateur, car, au commencement était le Verbe ; il est notre frère, parce qu’il a pris naissance dans le sein de la Vierge Marie ; en qualité de Créateur, il existait avant Abraham, avant Adam, avant la terre, avant le ciel, avant toutes les créatures corporelles et spirituelles ; en qualité de frère des hommes, il est né de la race d’Abraham, de la tribu de Juda, d’une vierge israélite. Si, dans celui qui nous parle, nous reconnaissons un Dieu et un homme, sachons discerner les paroles du Dieu d’avec celles de l’homme ; car parfois il dit des choses qui ont trait à la majesté divine, et, parfois, il en dit qui se rapportent à la faiblesse humaine; n’est-il pas en même temps et souverainement grand, et aussi souverainement petit, puisqu’il s’est anéanti pour nous élever jusqu’à lui ? que dit-il donc? « Le Père » me « montrera des choses plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». C’est donc à nous qu’il les montrera, et non pas à lui et comme c’est à nous que le Père les montrera, le Sauveur a eu bien soin de dire : « Et vous serez dans l’admiration». Il nous a expliqué ce qu’il a voulu nous faire entendre par ces mots: « Le Père » me « montrera». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Le Père vous montrera, au lieu de dire : « Il montrera » au Fils ? Parce que nous sommes les membres de son Fils, et que celui-ci apprend en quelque sorte dans la personne de ses membres, ce que nous apprenons. De quelle manière acquiert-il en nous quelque science? De la même manière qu’il y souffre. Où est la preuve des souffrances qu’il endure en nous? Dans ces paroles venues du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » N’est-ce pas lui qui, à la fin du monde, s’assoira sur un tribunal pour juger tous les hommes? N’est-ce pas lui qui, en plaçant les bons à sa droite, et les méchants à sa gauche, prononcera ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume ; car  j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Les justes lui répondront : « Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim ? » Alors il ajoutera : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à

 

1. Act. IX, 4.

 

moi-même (1)». Il a donc dit: «Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même ». Par conséquent, interrogeons-le maintenant , et disons-lui Seigneur, quand apprendrez-vous quelque chose, puisque c’est vous qui enseignez toutes choses? Et aussitôt, par l’organe de notre foi, il nous répondra : Lorsque l’un des moindres de mes frères s’instruit, c’est moi qui m’instruis.

8. Félicitons-nous donc, et rendons grâces à Dieu de ce que nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ lui-même. Comprenez-vous, mes frères, appréciez-vous dignement la grâce que Dieu nous fait en devenant notre chef ? Soyez dans l’admiration, réjouissez-vous, nous sommes devenus le Christ ! Car s’il est notre chef, nous sommes ses membres; nous composons, lui et nous, son humanité tout entière. Voilà bien ce que dit l’apôtre Paul : « Afin que nous ne soyons plus flottants comme des enfants, et que nous ne nous laissions pas emporter à tout vent de doctrine ». Mais auparavant, il s’était exprimé en ces termes « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge, de la plénitude du Christ (2) ». Le chef et les membres, voilà ce qui constitue la plénitude du Christ. Qu’est-ce à dire : Le chef et les membres ? Le Christ et l’Eglise. Nous arroger un privilège pareil serait, de notre part , de l’orgueil, mais le Sauveur a daigné nous le promettre lui-même, car il nous a dit par la bouche du même Apôtre: « Or, vous êtes le corps du Christ et ses membres (3) ».

9. Dès lors donc que le Père montre quelque chose aux membres du Christ, il le montre par là même au Christ. Il se fait à ce moment comme un grand miracle, mais un miracle réel. Ce que le Christ savait déjà se fait voir au Christ, et c’est le Christ lui-même qui le lui fait connaître. Voilà une chose étonnante et merveilleuse, mais l’Ecriture nous l’affirme : Nous mettrons-nous en antagonisme avec la parole de Dieu ? Ne faut-il pas plutôt la comprendre damas son vrai sens, et remercier de cette grâce d’en haut, Celui qui nous l’a accordée? Qu’ai-je dit: C’est le

 

1. Matth. XXV, 31-40 — 2. Ephés. IV, 14, 13. — 3. I Cor. XII, 27.

 

488

 

Christ lui-même qui fait connaître au Christ?. C’est la tête qui montre aux membres. Ce phénomène se passe en toi, Veuille le remarquer. Suppose que tes yeux sont fermés et que tu veux saisir un objet : ta main ne sait où se porter, et, néanmoins, tu ne saurais en douter, ta main est du nombre de tes membres, puisqu’elle n’a pas été précédemment séparée de ton corps. Ouvre les yeux ; alors elle voit de quel côté elle doit se diriger ; la tête a fait apercevoir l’objet, et le membre est allé le saisir. Puisqu’en toi-même nous remarquons ce fait que ton corps montre un objet à ton corps, et que par l’intermédiaire de lui-même, ton corps aperçoit cet objet, il n’y a plus sujet de t’étonner de mes paroles, quand je dis : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ. Le chef montre, afin que les membres aperçoivent ; il enseigne, afin que les membres s’instruisent ; et, cependant, la tête et les membres ne forment tous ensemble qu’un seul homme. Il n’a pas voulu se séparer de nous, mais il a daigné s’unir à nous. Il se trouvait loin de nous, et singulièrement loin ; car, qu’y a-t-il de plus éloigné que la créature à l’égard du Créateur? que Dieu et l’homme? que la justice et le péché? que l’éternité et la condition d’un être mortel ? Ainsi était éloigné de nous « le Verbe qui au commencement était Dieu en Dieu, et par qui toutes choses ont été faites ». Par quel moyen s’est-il donc rapproché de nous, au point de devenir ce que nous sommes et de manière à ce que nous soyons en lui? « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (1) ».

10. Il nous montrera donc cela, comme il l’a montré à ses disciples pendant le cours de sa vie terrestre. Qu’est-ce cela? « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il ceux-ci, et le Fils ceux-là ? Certainement, toutes choses ont été faites par lui. Que disons-nous, mes frères ? Le Christ a ressuscité Lazare ; quel mort le Père avait-il fait sortir vivant du tombeau, afin d’apprendre au Fils, par son exemple, la manière dont il devait ressusciter Lazare ? Ou bien, quand le Sauveur a rendu la vie à Lazare, le Père ne l’a-t-il pas aussi ressuscité ? le Fils a-t-il été seul à opérer ce prodige, et l’a-t-il opéré indépendamment du concours de son Père?

 

1. Jean, I, 14.

 

 

Lisez le récit de cette résurrection, et vous verrez qu’au tombeau de Lazare, le Christ a invoqué son Père et l’a prié de rendre la vie à ce mort (1). En tant qu’homme, il invoque le Père ; en tant que Dieu, il agit de concert avec lui : en conséquence, la résurrection de Lazare s’est effectuée par la coopération simultanée du Père et du Fils avec la grâce et comme don du Saint-Esprit, et ce merveilleux événement est l’oeuvre de la Trinité entière. Ces paroles « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », ne doivent donc pas être entendues en ce sens, que le Père ressuscite et vivifie les uns, tandis que le Fils ressuscite et vivifie les autres; mais nous devons en conclure que le Père et le Fils ressuscitent également et par ensemble les mêmes morts; car, « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait». Aussi, pour montrer que sa puissance, bien que lui venant du Père, était néanmoins égale à celle du Père, le Sauveur a-t-il ajouté : « Ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut » : ces paroles prouvent l’existence de sa propre volonté. Que personne ne dise : Le Père ressuscite les morts par le Fils ; mais c’est comme tout-puissant, c’est parce qu’il possède le pouvoir de le faire. Pour le Fils, il n’agit qu’en vertu d’une puissance étrangère à sa personne, et qu’en qualité de ministre, comme ferait un ange; que personne ne parle ainsi, carie Christa affirmé son pouvoir, en disant : « De même, le Fils vivifie ceux qu’il veut». En effet, le Père ne veut pas autre chose que ce que veut le Fils; mais comme ils ont ensemble une seule et même substance, ainsi n’ont-ils qu’une seule et même volonté.

11. Qui sont ces morts que vivifient le Père et le Fils? Sont-ce ceux dont nous avons parlé, Lazare, le Fils de la veuve de Naïm (2), ou la fille du chef de la synagogue (3)? Car, nous le savons, ces trois morts ont été rappelés à la vie par le Christ. Dans le passage précité, le Sauveur veut nous faire entendre qu’il s’agit d’autre chose, c’est-à-dire de la résurrection des morts que nous attendons tous pour la fin du monde, et non de celle qui a été accordée à quelques-uns pour amener les autres à la foi. Enfin, si Lazare est sorti vivant du tombeau, il devait cependant y rentrer un peu plus tard ; et nous, quand nous

 

1. Jean, XI, 41- 44. — 2. Luc, VII, 14, 15. — 3. Id. VIII, 51, 55.

 

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ressusciterons, ce sera pour ne plus quitter la vie. Est-ce au Père, est-ce au Fils à opérer cette résurrection finale? Mieux que cela C’est au Père dans le Fils. Le Fils et le Père dans le Fils l’opéreront donc. Maintenant, comment prouver qu’il est ici question de la résurrection universelle ? Le voici : Le Sauveur avait dit : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En conséquence de ces paroles, nous aurions pu nous imaginer qu’elles avaient trait, non pas à la résurrection qui doit servir de prélude à la vie éternelle, mais une simple résurrection miraculeuse; pour nous détourner d’une pareille interprétation il ajoute: « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Qu’est-ce à dire ? Il parlait de la résurrection des morts, puisqu’il disait: « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le « Fils vivifie ceux qu’il veut » ; pourquoi ajoute-t-il aussitôt, en manière d’explication, ces paroles relatives au jugement: « Car le Père ne juge personne, mais il adonné tout jugement au Fils? » Il voulait évidemment nous faire comprendre qu’il avait fait allusion à la résurrection des morts, que suivra le jugement général.

12. «Car»,dit-il, «le Père ne juge personne, mais il adonné tout jugement au Fils ». Tout à l’heure, nous supposions que le Père fait ce que ne fait pas le Fils, et nous étions portés à le croire à cause de ces paroles : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il a fait» : comme si le Père agissait, et que le Fils se bornât à le regarder. Une manière tinte charnelle d’interpréter ce passage en dérobait donc le vrai sens à notre esprit, et nous faisait croire, d’une part, que le Père agissait sans le concours du Fils, et, d’autre part, que le Fils regardait le Père lui montrer ce qu’il faisait. Le Père nous semblait donc faire ce que ne faisait pas le Fils ; maintenant le Fils nous apparaît comme faisant ce que le Père ne fait pas. Comme Dieu tourne et retourne nos esprits ! Il les conduit d’ici de là, ne leur permettant de s’arrêter à aucune pensée charnelle en les agitant ainsi, il les exerce, en les exerçant il les purifie, en les purifiant il les dilate, afin de les remplir ensuite. Qu’est-ce que toutes ces paroles du Sauveur font de nous? Que disait-il tout à l’heure? Que dit-il maintenant? Tout à l’heure, il nous disait que le Père montre au Fils tout ce qu’il fait; aussi me semblait-il voir le Père agir, et le Fils le regarder ; maintenant je crois voir le contraire, c’est-à-dire, le Fils dans l’action et le Père dans le repos. « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils». Quand le Fils exercera-t-il le jugement, sans que le Père l’exerce en même temps avec lui? Qu’est-ce que cela vent dire, et comment le comprendre? Vous êtes le Verbe Dieu; moi, je ne suis qu’un homme. Vous dites « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Et moi, je lis, quelque part ailleurs, ces autres paroles tombées de vos lèvres: «Je ne juge personne, il y a quelqu’un pour rechercher et juger (1) ». De qui parlez-vous, quand vous dites: « Il y a quelqu’un pour rechercher et juger ? » Du Père, évidemment. Il recherche les injures qu’on vous fait, et il porte sur elles son jugement. Alors, comment se fait-il que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils? »Interrogeons maintenant l’apôtre Pierre écoutons-le nous dire dans son Epître « Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant un grand exemple, afin que vous suiviez ses traces : lui qui n’a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge n’a pas été trouvé ; quand on le maudissait, il ne répondait point par des injures; quand on le maltraitait, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait au pouvoir de Celui qui juge avec justice (2)». Comment peut-il être vrai que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils? » Nous voilà dans l’embarras, dans un embarras qui nous fera suer, et, en nous faisant suer, nous purifiera. Efforçons-nous, avec l’aide de Dieu, de découvrir le sens profondément mystérieux de ces paroles. En voulant discuter et scruter les paroles de Dieu, nous agissons peut-être avec témérité. Mais pourquoi les a-t-il prononcées? N’est-ce pas afin que nous en sachions la portée? Pourquoi ont-elles retenti à nos oreilles? N’est-ce pas afin que nous les entendions? Pourquoi les avoir écoutées, si ce n’est pour les comprendre? Que Dieu nous fortifie donc, et qu’il nous accorde l’intelligence dans la mesure qui lui semble convenable, et si nous ne pouvons encore puiser à la source, puissions-nous, du moins, nous désaltérer à

 

1. Jean, VIII, 15, 50. — 2. I Pierre, II, 21-23.

 

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un petit ruisseau ! Jean lui-même nous tiendra lieu de ce ruisseau, car il est allé puiser à la source; il a fait descendre le Verbe du haut du ciel jusqu’à nous : il l’a abaissé, et, en quelque sorte, terrassé. Nous n’avons plus, par conséquent, à redouter ses grandeurs; il s’est humilié, approchons-nous donc de lui.

13. Il y a certainement une manière vraie et solide de comprendre ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » : puissions-nous la bien saisir ! Voici la raison pour laquelle elles ont été prononcées; c’est qu’au jugement le Fils seul apparaîtra aux regards des hommes. Le Père se cachera, et le Fils se montrera. Comment se montrera-t-il? Dans la forme avec laquelle il est monté au ciel. Comme le Père, il se dérobera à la vue dans sa forme de Dieu, mais il se manifestera dans sa forme d’esclave. « Donc, le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils », tout jugement public, cela s’entend . Dans ce jugement public, ce sera le Fils qui jugera, parce qu’il se fera voir à ceux qu’il devra juger. L’Ecriture nous enseigne, de manière à nous enlever jusqu’à l’ombre d’un doute, qu’alors il se manifestera à tous les yeux. Quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel en présence de ses disciples, et un ange vint leur dire : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux? Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel en reviendra de la même manière que vous l’y avez vu monter (1) ». En quel état l’y voyaient-ils aller? Dans ce corps qu’ils avaient touché et palpé, dont ils avaient contrôlé les cicatrices, avec lequel il pénétrait au milieu d’eux et sortait de leur assemblée pendant quarante jours, se montrant à eux en toute vérité, sans supercherie, non pas comme une ombre, un fantôme ou un esprit, mais tel qu’il dit lui-même, d’accord avec la réalité : « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai (2) ». Ce corps est digne d’habiter le ciel, car il n’est plus exposé aux atteintes de la mort, ni aux vicissitudes des différents âges. Pour parvenir à l’état où il se trouvait alors il avait dû traverser la distance qui sépare l’enfance de la jeunesse, mais il ne parcourra pas l’espace qui se trouve entre la jeunesse et

 

1. Act. I , 3,9, 10, 11. — 2. Luc, XXIV, 39.

 

la vieillesse : il restera tel qu’il était au moment de son ascension, et il reviendra tel vers ceux auxquels il a voulu faire prêcher sa parole avant son retour. Il apparaîtra donc dans sa forme humaine : cette forme se montrera même aux regards des impies; ceux qui seront placés à droite, et ceux qui seront placés à gauche le verront également cela est écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé (1)». Puisqu’ils doivent voir celui qu’ils ont percé, ils verront donc ce même corps qu’ils ont frappé avec une lance ; car une lance n’a pu blesser le Verbe : les impies seront donc à même de contempler ce qu’ils ont été capables de blesser. Ils ne verront pas le Dieu qui sera caché sous la forme humaine; niais, après le jugement, il se fera voir à ceux qu’il aura placés à sa droite . Voici donc le sens de ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Le Fils viendra publiquement juger les hommes: alors, il leur apparaîtra sous sa forme humaine et dira à ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume »; et à ceux qui se trouveront à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et  à ses anges (2) ».

14. Le Sauveur se fera donc voir, dans sa forme d’homme, aux fidèles et aux impies, aux justes et aux pécheurs, à ceux qui auront eu la foi et à ceux qui ne l’auront pas eue,à ceux pour lesquels sa présence sera un sujet de joie, et à ceux dont elle fera le désespoir, à ceux qui auront mis en lui leur confiance, et à ceux que le jugement aura couverts de confusion : on le verra donc comme homme. Et quand il se sera ainsi montré sur son tribunal, quand la sentence aura été prononcée et que se sera vérifiée cette parole : « Le Père ne juge personne, ruais il adonné tout jugement au Fils»; car le Fils apparaîtra au jugement dans la forme qu’il a empruntée à notre nature, alors qu’arrivera-t-il? Quand se montrera-t-il dans sa forme de Dieu, que tous les saints brûlent de contempler? Quand verront-ils ce qui était au commencement, c’est-à-dire le Verbe, le Dieu en Dieu, par qui toutes choses ont été faites? Quand apercevront-ils cette forme de Dieu, dont l’Apôtre a dit « Ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler

 

1.  Zach. XII, 10; Jean, XIX, 37. — 2. Matth. XXV, 31-41.

 

 

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à Dieu (1)?» Qu’ elle est admirable, cette forme divine, puisque malgré sa forme humaine le Fils n’a pas cessé d’être égal au Père! Elle est ineffable et incompréhensible, surtout pour les petits. Quand la verra-t-on? Voilà les justes placés à droite, et les pécheurs à gauche; tous aperçoivent le Christ-homme, le Fils de l’homme qui a été percé, crucifié, humilié, et qui est né d’une Vierge; ils contemplent l’Agneau de la tribu de Juda. A quel moment contempleront-ils le Verbe, Dieu en Dieu ? Au jugement, il sera le Fils du Tout-Puissant, mais la forme seule de l’esclave se manifestera en lui. Aux esclaves il montrera sa forme d’esclave, et sa forme divine aux enfants de Dieu. Que les esclaves deviennent donc enfants du Très-Haut; que ceux qui se trouvent à droite, entrent en possession de l’héritage éternel, de cet héritage depuis si longtemps promis, à l’existence duquel les martyrs ont cru avant de le voir, pour l’acquisition duquel ils ont, sans hésiter, versé tout leur sang, parce qu’il était promis à leurs efforts : qu’ils entrent dans cet héritage, ils y contempleront l’objet de leurs désirs. Quand pourront-ils y entrer? Le Sauveur va lui-même nous l’apprendre : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle (2) ».

15. Jésus vient de prononcer le nom de la vie éternelle. Nous a-t-il dit que, au sein de cette vie éternelle, nous verrons et connaîtrons le Père et le Fils? Mais à quoi nous servirait de vivre toujours, si nous ne devions point en même temps les voir?Ecoute: voici un autre passage où le Christ parle de la vie éternelle et nous dit avec précision en quoi elle consiste. Ne crains rien, je ne veux point t’induire en erreur; ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette promesse à ceux qui m’aiment: «Celui qui a mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime. Or, celui qui m’aime sera aimé de mon Père; je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui (3) ». Répondons au Seigneur, et disons-lui : Seigneur notre Dieu, qu’y a-t-il en cela de si grand, de si merveilleux? Vous vous montrerez à nous? Eh quoi? Ne vous êtes-vous pas fait voir même aux Juifs? Ceux qui vous ont crucifié ne vous ont-ils pas aussi contemplé de leurs yeux ? Vous vous manifesterez à nous, quand au jour du jugement vous

 

1. Philipp. II, 6. — 2. Matth. XXV, 16. — Jean, XIV, 21.

 

nous placerez à votre droite : ceux mêmes qui se trouveront à votre gauche ne vous apercevront-ils pas? Que signifie cette promesse de vous manifester à nous? Ne vous voyons-nous pas, maintenant que vous nous parlez? Le Sauveur nous répond : Vous voyez aujourd’hui ma forme d’esclave, je me manifesterai plus tard à toi dans ma forme divine. Je ne te tromperai point, ô homme fidèle; crois-le bien , tu me verras. Tu m’aimes sans me voir ; supposes-tu que ton amour pour moi ne te méritera pas le privilège de me contempler? Aime-moi, et persévère dans mon amour; je ne le frustrerai point, moi qui ai purifié ton coeur. Pourquoi l’ai-je purifié, sinon afin qu’il pût contempler Dieu? En effet, « bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (1) ». Mais le serviteur ne s’arrête pas là; il discute en quelque sorte avec le Sauveur et lui réplique Vous n’avez pas dit cela d’une manière expresse, dans ce passage . « Les justes iront à la vie éternelle »; car vous n’avez pas dit : Ils y entreront pour m’y contempler dans la forme de Dieu, et y voir le Père dont je suis l’égal. Remarque ce qu’il a dit en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (2)».

16. Après le jugement dont nous venons de parler, et que le Père a donné au Fils parce qu’il ne juge lui-même personne, qu’arrivera-t-il ? Que lisons-nous ensuite? « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». Les Juifs honoraient le Père, et méprisaient le Fils; car ils considéraient le Fils comme un esclave, et honoraient le Père comme un Dieu. Alors, on verra le Fils égal au Père ; car il se montrera tel, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Pour le moment , nous en sommes encore à le croire. Que le juif ne dise pas : J’honore le Père ; mais qu’y a-t-il de commun entre le Fils et moi? —Le Christ va lui répondre. « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore point le Père ». — Tu dis un affreux mensonge : tu blasphèmes le Fils, et tu fais injure au Père. Car le Père a envoyé son Fils, et tu méprises celui qui l’a envoyé, Comment peux-tu dire que tu respectes l’envoyeur, quand tu blasphèmes son envoyé?

17. Voilà un fait, dira quelqu’un: c’est que

 

1. Matth. V, 5. — 2. Jean, XVII, 3.

 

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le Fils a été envoyé : le Père est donc plus grand que lui, puisqu’il l’a envoyé. — Arrière toute pensée charnelle! Le vieil homme ne songe qu’à des vieilleries : mais toi, sache donc reconnaître la nouveauté dans l’homme nouveau. Cet homme nouveau pour toi, c’est l’Ancien des jours, le Perpétuel, l’Eternel qu’il daigne te ramener à la saine appréciation des choses ! Le Fils serait-il inférieur au Père, par ce fait qu’on le dit envoyé par le Père? Il s’agit de mission, et non point de séparation. — Mais pourtant, continue-t-on, les usages de la vie nous l’apprennent : celui qui envoie est supérieur à l’envoyé. — Les choses humaines obscurcissent l’oeil de notre âme, et les choses divines le rendent plus clairvoyant. Fais abstraction de ce qui se passe en ce monde, où celui qui donne une mission semble plus grand que celui qui la reçoit. D’ailleurs, remarque-le : il est des circonstances de la vie qui plaident contre toi. Ainsi, quand un homme veut demander femme, et qu’il ne peut le faire par lui-même, il charge de cette commission un ami plus influent que lui. Ce n’est pas, à beaucoup près, le seul cas où l’on choisisse unie personne d’un rang supérieur à celle qui l’envoie. Pourquoi alors t’appuyer sur ce faux prétexte que le Père a envoyé le Fils, et que celui-ci n été envoyé par le Père, pour conclure contre le Fils? Le soleil envoie ses rayons, mais il ne s’en sépare pas: la lune envoie sa lumière, mais lui reste unie; une lampe projette son éclat, sans faire scission avec lui : en ces différents cas, je vois bien une émission ; mais, nulle part, je n’aperçois de séparation. Hérétique vaniteux ! Tu veux trouver ici-bas des exemples pour y appuyer ton erreur ; je te l’ai dit tout à l’heure : en maintes circonstances, les choses humaines se déclarent contre toi et te condamnent ; mais enfin, considère la différence qui se trouve entre les choses divines et les choses humaines parmi les. quelles tu voudrais trouver un exemple. L’homme qui envoie demeure à sa place, et celui qui est envoyé s’en va l’envoyeur marche-t-il avec son envoyé? Pour le Père, qui a envoyé le Fils, il ne s’en est jamais séparé. Ecoute le Sauveur: voici ses propres paroles : « L’heure viendra où vous serez dispersés chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul : cependant, je ne suis pas seul, car mon Père est avec moi ». Comment le Père a-t-il envoyé le Fils, puisqu’il est venu avec lui? Comment l’a-t-il envoyé, puisqu’il ne s’en est jamais séparé ? Le Christ a dit ailleurs : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les oeuvres que je fais (2) ». Le Père se trouve donc dans le Fils, et il y agit. L’envoyeur ne s’est point séparé de l’envoyé, parce que tous les deux ne font qu’un.

 

1. Jean, XVI, 32. — 2. Id. XIV, 10.

 

 

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