TRAITÉ LXXIII
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SOIXANTE-TREIZIÈME TRAITÉ.

ENCORE SUR LA MÊME LEÇON.

CONDITIONS ET EFFETS DE LA PRIÈRE.

 

Si l'on a la foi, on obtient tôt ou tard ce qu'on demande, parce qu'on le demande pour une bonne fin et au nom de Jésus-Christ.

 

1. Le Seigneur promit de grandes choses à ceux des siens qui espèrent en lui, lorsqu'il dit : « Parce que je vais vers le l'ère, tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Il est donc allé vers le Père, de manière cependant à ne pas les laisser dans le besoin, mais à exaucer leurs prières. Mais que veut dire, « tout ce que vous demanderez», puisque nous voyons très-souvent les fidèles demander et ne pas obtenir? Ne serait-ce point parce qu'ils demandent mal? C'est en effet le reproche que fait l'apôtre Jacques. a Vous demandez et vous ne recevez pas, « parce que vous demandez mal, ne cherchant qu'à satisfaire vos passions (1) ». C'est par un effet de la miséricorde de Dieu qu'on n'obtient pas, si l'on doit mal user de ce qu'on demande. C'est pourquoi, si nous lui demandons

 

1. Jacques, IV, 3.

 

des choses qui nous seraient nuisibles, nous devons bien plutôt craindre de voir un effet de sa colère dans l'obtention de ce qu'il nous refuserait dans sa miséricorde. Ne savons-nous pas que les Israélites obtinrent pour leur malheur ce qu'ils demandaient sous l'influence d'une passion coupable? ils désirèrent manger de la chair (1). Et pourtant la manne tombait du ciel pour eux, ils étaient dégoûtés de ce qu'ils avaient, et ils demandaient impudemment ce qu'ils n'avaient pas : comme s'il n'eût pas mieux valu peureux demander, non pas que la nourriture qui leur manquait fût accordée à leur désir coupable; mais que, guéris de leur dégoût ils pussent prendre celle qu'ils avaient. En effet, quand le mal nous réjouit et que le bien ne nous plaît pas, nous devons plutôt demander à Dieu qu'il

 

1. Nombres, XI, 32.

 

15

 

nous donne le goût des choses bonnes que de nous en accorder de mauvaises. Sans doute, il n'est pas mauvais de se nourrir de chair, ainsi que l'Apôtre le dit à cette occasion : « Toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces (1). Mais, comme dit le même Apôtre : « Il est mal à un homme de manger avec scandale (2) »; et s'il en est ainsi quand il y a scandale pour l'homme, combien plus en est-il ainsi lorsque Dieu lui-même en est offensé? Et ce n'était pas, de la part des Israélites, une légère offense à l'égard de Dieu, que de repousser ce que leur donnait la sagesse, et de demander ce que désirait leur appétit déréglé ! Cependant ils ne demandaient pas, mais ils murmuraient au sujet de ce qui leur manquait: par là nous devons apprendre que les créatures de Dieu ne sont pas coupables, mais seulement notre désobéissance et nos désirs déréglés; ce n'est pas à cause de la viande de porc, mais à cause d'un fruit, que le premier homme ai trouvé la mort (3). Et Esaü a perdu son droit d'aînesse, non pas pour une poule, mais pour des lentilles (4).

2. Comment donc faut-il entendre ces mots « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », si Dieu refuse aux fidèles, même pour leur bien, les choses qu'ils lui demandent? Devons-nous Croire que cette parole n'a été adressée qu'aux Apôtres? Loin de nous cette pensée. Ce qui, en effet, a amené le Christ à prononcer cette parole, c'est qu'il avait dit plus haut : « Celui qui croit en moi, fera les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes ». Ç'a été le sujet du précédent discours. Pour nous empêcher de nous attribuer ces oeuvres plus grandes, et montrer que c'est encore lui qui les faisait, il ajoute : « Parce que je vais à mon Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Est-ce que les Apôtres sont les seuls qui aient cru en lui? En disant: « Celui qui croit en moi », il s'adressait à tous ceux au nombre desquels, grâce à lui, nous nous trouvons nous-mêmes, et pourtant, nous ne recevons pas tout ce que nous demandons. Mais, à ne considérer que les bienheureux Apôtres , nous voyons que celui; qui a travaillé plus que tous les autres, ou du moins avec qui la

 

1. I Tim. IV, 4. — 2. Rom. XIV, 20. — 3. Gen. III, 6. — 4. Id. XXV, 34.

 

grâce de Dieu a le plus travaillé (1), a trois fois demandé au Seigneur que l'ange de Satan s'éloignât de lui; néanmoins il n'a pas obtenu ce qu'il demandait (2). Que dire, mes très-chers frères? Penserons-nous que cette promesse ainsi exprimée: « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », n'a pas été accomplie même pour les Apôtres? A l'égard de qui tiendra-t-il donc ses promesses, s'il a ainsi trompé ses Apôtres ?

3. Eveille-toi, ô homme fidèle, et remarque attentivement la condition exigée ici : « En  mon nom » ; il n'est pas dit : « Tout ce que vous demanderez », de quelque manière que ce soit; mais il est dit : « en mon nom ». Et Celui qui nous a promis un si grand bienfait, comment s'appelle-t-il ? Il s'appelle Jésus-Christ: Christ signifie roi, Jésus signifie Sauveur. Il est sûr que celui qui nous sauvera, ce n’est pas un roi quelconque, ce sera le roi Sauveur. Par conséquent, tout ce que nous demandons contre le bien de notre salut, nous ne le demandons pas au nom du Sauveur. Et cependant il est toujours Sauveur, non-seulement quand il fait ce que nous demandons, mais même quand il ne le fait pas. Car dès lors qu'il nous voit demander des choses opposées à notre salut, il se montre vraiment notre Sauveur en ne nous les accordant pas. Dans les demandes des malades, le médecin distingue ce qui est favorable à leur santé, et ce qui peut lui être contraire; c'est pourquoi, lorsque l'infirme demande ce qui peut lui faire du mal, le médecin le lui refuse dans l'intérêt de sa santé. Ainsi en est-il pour nous: si nous voulons que Notre-Seigneur fasse tout ce que nous demanderons, ne demandons pas d'une manière quelconque, mais demandons en son nom, c'est-à-dire au nom du Sauveur, ne demandons rien qui soit contraire à notre salut : car s'il le faisait, il n'agirait plus comme Sauveur ; et pourtant, voilà ce qu'il est pour ses fidèles. Car, pour les pécheurs, il est leur juge, tandis que pour les fidèles il est assez bon pour être leur Sauveur. Quand donc on croit en lui, tout ce qu'on demandera en ce nom qu'il porte comme Sauveur de ceux qui croient en lui, il le fera parce qu'il le fait comme Sauveur. Mais si celui qui croit en lui demande par ignorance quelque chose qui soit contraire à son salut, il ne demande pas au nom du Sauveur. Car Jésus

 

1.  I Cor. XV, 10. — 2. II Cor.XII, 8.

 

ne serait pas son Sauveur, s'il faisait ce qui empêcherait le salut de son serviteur. C'est pourquoi il vaut bien mieux qu'il ne fasse pas la chose pour laquelle on l'invoque, et qu'il fasse celle à cause de laquelle il mérite son nom. Aussi Jésus, qui est non-seulement un Sauveur, mais encore un bon maître, veut pouvoir faire tout ce que nous demanderons, et, pour cela, dans la prière qu'il nous a enseignée, il nous a appris ce que nous devons demander, afin de nous faire comprendre que nous ne demandons pas au nom du maître, quand ce que nous demandons est au-delà de la règle qu'il nous a laissée.

4. Sans doute, il ne fait pas toujours sur l'heure tout ce que nous demandons en son nom, c'est-à-dire en tant qu'il est notre Sauveur et notre maître, mais cependant il le fait. En effet, même quand nous lui demandons que le règne de Dieu arrive, on ne peut pas dire qu'il ne fait pas ce que nous demandons, parce que tout aussitôt nous ne régnons pas avec lui dans l'éternité. Ce que nous demandons est différé, mais n'est pas refusé. Toutefois, quand nous prions, ne nous lassons pas plus que ceux qui sèment : au temps convenable nous moissonnerons (1). Et en même temps que nous demandons comme il faut, demandons-lui qu'il ne fasse pas ce que nous ne demandons pas comme il faut; c'est à cela que se rapporte ce que nous lui disons dans l'oraison dominicale : « Ne nous induisez point en tentation (2) ». Car ce n'est point une petite tentation, que de demander ce qui est contre toi. Mais il ne faut pas manquer de faire attention à ce que Notre-Seigneur ajoute, pour nous empêcher de penser que ce qu'il promet de faire à ceux qui le prieront, il doit le faire sans le Père. Après avoir dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai », il ajoute aussitôt : « Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom, je le fais ». Ce que fait le Fils, il ne le fait donc pas sans le Père, puisqu'il le fait, afin que le Père soit glorifié en lui. Le Père fait donc ces choses dans le Fils, afin que le Fils soit glorifié dans le Père, et le Fils les fait dans le Père, afin que le Père soit glorifié dans le Fils: car le Père et le Fils sont un.

 

1. Galat. VI, 9. — 2. Matth. VI, 9-13.

 

 

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