TRAITÉ LXXXVI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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QUATRE-VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES : « MAIS VOUS, JE VOUS AI APPELÉS AMIS » , JUSQU'A CES AUTRES. « AFIN  QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM IL VOUS LE DONNE » . (Chap. XV, 15, 16.)

 

L'AMITIÉ DE JÉSUS-CHRIST.

 

En raison de son amitié pour nous, Jésus-Christ nous fera connaître dans le ciel tout ce que son Père lui a dit; mais si nous sommes ses amis, c'est un effet de sa grâce, mais non de notre foi ou de nos bonnes oeuvres antécédentes.

 

1. C'est avec raison qu'on se demande comment il faut entendre ce que dit Notre-Seigneur : « Mais vous, je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j'ai appris « de mon Père, je vous l'ai fait connaître ». Car qui oserait affirmer ou croire qu'il y ait un seul homme capable de savoir tout ce que le Fils unique a appris de son Père? il n'est personne, en effet, qui comprenne seulement comment le Fils peut entendre la parole du Père, puisqu'il est l'unique parole du Père. Que signifie ce qu'il dit un peu plus bas, dans ce même discours adressé par lui à ses disciples, après la cène qui précéda sa passion: « J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant (1) ? » Comment donc comprendre qu'il a fait connaître à ses disciples tout ce qu'il a appris de son Père, puisqu'il se refuse à leur dire beaucoup de choses, par ce motif qu'ils ne peuvent les porter maintenant? Pour cela, il faut comprendre que ce qu'il doit faire, il dit l'avoir déjà fait; car il a fait d'avance ce qui doit se faire plus tard (2). C'est ainsi qu'il dit par le Prophète : « Ils ont percé mes mains et mes pieds (3) » ; il ne dit pas : Ils perceront; il en parle comme d'événements passés, et il les annonce comme devant arriver plus tard. Ainsi, en cet endroit, il dit avoir fait connaître à ses disciples ce qu'il savait devoir leur faire connaître en leur communiquant cette plénitude de la science dont l'Apôtre a dit : « Mais quand nous serons dans l'état parfait, ce qui est imparfait sera aboli ». Au même endroit, il dit encore : « Maintenant je ne sais qu'en  partie, mais alors je connaîtrai comme je

 

1. Jean, XVI, 12. — 2. Isa, XLV, 11. — 3. Ps. XXI, 18.

 

 

suis connu. Nous voyons maintenant par un miroir et en énigme ; mais alors nous verrons face à face (1) ». Ce même apôtre dit que nous avons été sauvés par le baptême de la régénération (2); et cependant ailleurs il dit : « C'est par l'espérance que nous avons été sauvés; or, l'espérance qui voit n'est plus l'espérance. Car, qui espère ce qu'il voit déjà? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec patience (3) ». C'est pourquoi son co-apôtre Pierre nous dit : « Celui en qui vous croyez maintenant, quoique vous ne le voyiez pas, quand vous le verrez, vous tressaillirez d'une joie inénarrable et glorieuse, et vous recevrez pour récompense de votre foi le salut de vos âmes (4) ». Si donc nous sommes maintenant au temps de la foi, et si le salut des âmes est la récompense de la foi, qui doutera qu'il faille achever le jour dans la foi qui opère par la charité (5) pour, à la fin du jour, recevoir comme récompense, non-seulement la rédemption de notre corps, dont parle l'apôtre Paul (6), mais encore le salut de nos âmes dont parle l'apôtre Pierre? Dans le temps et dans cette vie mortelle, ces deux genres de félicités sont possédés en espérance, bien plus qu'en réalité. Mais il y a cette différence, que notre homme extérieur, c'est-à-dire notre corps, se détruit tous les jours, tandis que l'homme intérieur, c'est-à-dire notre âme, se renouvelle de jour en jour (7). Aussi, de même que nous attendons dans l'avenir l'immortalité de la chair et le salut des âmes, bien qu'on dise que nous sommes déjà

 

1. I Cor. XIII, 10, 12. — 2. Tit. III, 5. — 3. Rom. VIII, 24, 25. — 4. I Pierre, I, 8, 9. — 5.  Galat. V, 6. — 6. Rom. VIII, 23. — 7. II Cor. IV, 16.

 

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sauvés, à cause du gage que nous avons reçu, de même en est-il de la connaissance de toutes les choses que le Fils unique a apprises de son Père; nous devons l'espérer pour l'avenir, quoique Jésus-Christ dise ici nous l'avoir déjà donnée.

2. « Ce n'est pas vous », dit-il, « qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis ». Voilà une grâce ineffable. Car qu'étions-nous au moment où nous n'avions pas encore choisi Jésus-Christ et où, par conséquent, nous ne l'aimions pas encore? Comment celui qui ne l'a pas choisi peut-il l'aimer? Avions-nous alors en nous les sentiments que le Psalmiste manifeste dans ses chants : « J'ai choisi d'être le dernier dans la maison du Seigneur, plutôt que d'habiter dans les tentes des pécheurs (1) ? » Evidemment non. Qu'étions-nous donc, sinon des méchants et des hommes perdus? Nous n'avions pas encore cru en lui, pour qu'il nous choisît; car si nous avions déjà cru, il ne nous aurait choisis qu'après avoir été choisi lui-même par nous. Pourquoi donc dirait-il : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi », si sa miséricorde ne nous avait prévenus (2)? C'est ici que se réduit à rien le raisonnement de ceux qui défendent la prescience de Dieu contre sa grâce, et qui disent que si Dieu nous a choisis avant la création du monde (3), c'est parce qu'il a prévu que nous serions bons, et non pas qu'il nous rendrait bons. Ce n'est point là la parole de Celui qui dit : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi ». Car s'il nous avait choisis, parce qu'il a prévu que nous serions bons il aurait prévu en même temps que nous le choisirions les premiers. Nous ne pouvons être bons autrement, à moins qu'on n'appelle bon celui qui ne choisit pas le bien. Qu'a-t-il donc choisi en des hommes qui n'étaient pas bons? Car ils n'ont pas été choisis parce qu'ils étaient bons, vu qu'ils ne devaient l'être qu'à la condition d'être choisis. Autrement, la grâce n'est plus une grâce, si nous prétendons qu'elle a été précédée par les mérites. C'est, en effet, de ce choix de la grâce que l'Apôtre nous dit : « Ainsi donc, en ce temps-ci, le reste a été sauvé par l'élection de la grâce ». Et aussi il ajoute : « Et si c'est par la grâce, ce n'est donc pas par les oeuvres; autrement, la grâce ne a serait plus la grâce (4) ». Ecoute, ingrat,

 

1. Ps. LXXXIII, 11. — 2. Id. LVIII, 11. — 3. Ephés. I, 4. — 4. Rom. XI, 5, 6.

 

écoute : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis ». Tu ne peux pas dire : J'ai été choisi, parce que je croyais déjà; car si tu croyais en lui, tu l'avais déjà choisi. Mais écoute : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi ». Tu ne peux pas dire non plus : Avant de croire je faisais de bonnes oeuvres, c'est pour cela que j'ai été choisi. Car, quelle bonne oeuvre peut-il y avoir avant la foi, puisque l'Apôtre dit : « Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché (1) ». Après avoir entendu ces paroles : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi », que pouvons-nous dire, sinon que nous étions méchants et que nous avons été choisis pour devenir bons par la grâce de Celui qui nous a choisis? Car il n'y aurait plus grâce si les mérites avaient précédé. Or, il y a grâce; elle ne trouve donc pas les mérites, mais elle les produit.

3. Et voyez, mes bien chers frères, comment il se fait que ceux que Jésus-Christ choisit ne soient pas encore bons, et comment il rend bons ceux qu'il choisit. « C'est moi », dit-il, « qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure ». N'est-ce pas là ce fruit dont il avait déjà dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire (2)? » Il nous a donc choisis et établis, pour que nous allions et que nous portions du fruit. Nous n'avions donc produit aucun fruit en considération duquel il pût nous choisir. « Pour que vous alliez », dit-il, « et que vous portiez du fruit ». Nous allons pour porter du fruit, et il est lui-même la voie par laquelle nous marchons, et dans laquelle il nous a placés pour que nous allions. C'est pourquoi en toutes choses sa miséricorde nous prévient. « Et que votre fruit », dit-il, « demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne ». Que la charité demeure donc ; c'est là notre fruit. Cette charité n'existe que dans nos désirs; elle ne peut encore être rassasiée, et tout ce que, par nos désirs, nous demandons au nom du Fils unique, le Père nous l'accorde. Mais tout ce qu'il n'est pas utile à notre salut de recevoir, n'allons pas nous imaginer que nous le demandons au nom du Sauveur. Ce que nous demandons au nom du Sauveur, c'est ce qui peut aider à notre salut.

 

1. Rom. XIV, 23. — 2. Jean, XV, 5.

 

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