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QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES : « IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME, MAIS IL DIRA TOUT CE QU'IL ENTENDRA ». (Chap. XIV, 13.)

 

PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.

 

Jésus-Christ dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il entendra ». Ces paroles ne peuvent s'entendre dans le même sens que celles que le Sauveur prononçait sur lui-même en tant qu'homme, puisque le Saint-Esprit ne s'est uni à aucune nature créée. Quoique l'âme humaine ait des points de, ressemblance avec Dieu,, elle ne peut non plus servir de terme de comparaison pour les opérations intérieures de la divinité. En Dieu:- la science, c'est l'être, et comme le Saint-Esprit procède du Père, ce qu'il apprend, ce qu'il sait, il le tient, non de lui-même, mais du Père. Mais pourquoi Jésus-Christ dit-il que le Saint-Esprit procède du Père, sans dire qu'il procède aussi du Fils ? C'est que le Fils a été engendré par le Père, et que le Père a donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme du Père.

 

1. Que signifie ce que le Seigneur dit du Saint-Esprit, lorsqu'après avoir promis à ses disciples qu'il viendrait à eux et qu'il leur enseignerait toute vérité, ou bien qu'il les conduirait à toute vérité, il ajoute: « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il entendra ? » Cette parole revient à ce que Jésus-Christ avait déjà dit de lui-même: « Je ne puis rien faire de moi-même; comme j'entends, je juge (1) ». Lorsque nous avons expliqué ce passage, nous avons dit qu'il pouvait s'entendre selon l'humanité (2). De la sorte, cette obéissance en vertu de laquelle il a été soumis jusqu'à la mort de la croix (3), le Fils semblait nous annoncer qu'il l'aurait encore dans la circonstance où il jugera les vivants et les morts; car il ne jugera les hommes que parce qu'il est le Fils de l'Homme. C'est pourquoi il a dit. « Le Père ne juge personne; mais il a remis tout jugement au Fils ». Car, dans le jugement, ce qui paraîtra, ce sera non pas la forme de Dieu par laquelle il est égal au Père, et qui ne peut être vue parles impies, mais la forme d'homme, par laquelle il a été abaissé un peu au-dessous des Anges; et, bien qu'alors il doive venir dans la gloire et non dans son humiliation première, il, se fera voir néanmoins et par les bons et par les méchants. Voilà pourquoi il dit encore : « Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est Fils de l'Homme (4) ». Par ces paroles on voit clairement que la forme présentée au juge

 

1. Jean, V, 30. —  2. Traité XIX, XXII. — 3. Philipp. II, 8. — 4. Jean, V,  22, 27,

 

ment ne sera pas celle sous laquelle il n'a pas regardé comme une usurpation de se dire égal à Dieu, mais celle dont il s'est revêtu lorsqu'il s'est anéanti lui-même. Il s'est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur (1) :forme sous laquelle il semble nous avoir annoncé que se manifestera son obéissance pour faire le jugement; car il dit : « Je ne puis rien faire de moi-même: comme j'entends, je juge ». Adam, par la seule désobéissance de qui tant d'hommes ont été faits pécheurs, Adam n'a pas jugé comme il a entendu ; au contraire, le commandement qu'il avait entendu, il l'a violé, et il a fait de lui-même le mal qu'il a fait, parce qu'il a fait non pas la volonté de Dieu, mais la sienne. Mais Celui par l'obéissance duquel seul un grand nombre sont rendus justes (2), a été obéissant jusqu'à la mort de la croix à laquelle il a été condamné par des morts, quoiqu'il eût la vie ; il a même fait plus, il nous a promis de se montrer obéissant jusque sur le tribunal où il jugera les vivants et les morts; il a dit, en effet : « Je ne puis rien faire de moi-même; mais comme j'entends, je juge». Pour ce qui a été dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il entendra », oserons-nous l'entendre selon l'homme, ou selon quelque autre créature qu'il se serait unie? Le Fils est la seule des trois personnes divines qui ait pris la forme d'esclave, et cette forme lui a été adjointe dans l'unité de personne, c'est-à-dire que le Fils de Dieu et le Fils de l'Homme ne

 

1. Philipp. II, 6, 7. — 2. Rom. V, 19.

 

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forment qu'un seul Jésus-Christ; sans cela ce ne serait pas une Trinité, mais une quaternité que nous prêcherions: que Dieu nous en préserve ! Comme il y a en Jésus-Christ une seule personne composée de deux natures, la nature divine et là nature humaine, tantôt il parle en tant qu'il est Dieu, comme quand il dit : « Le Père et moi, nous sommes une même chose (1) » ; tantôt il parle entant qu'il est homme, comme quand il dit: « Parce que le Père est plus grand que moi (2) ». Voilà en quel sens nous avons entendu le passage dont il est question: «Je ne puis rien faire de moi-même; comme j'entends, je juge ». Mais pour la personne du Saint-Esprit, comment entendrons-nous ce qu'il en dit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il entendra ? » Comme, dans cette personne, il n'y a pas deux natures, la nature divine et la nature humaine ou tout autre nature créée, de là naît une grande difficulté.

2. Sans doute, le Saint-Esprit s'est fait voir sous la forme corporelle d'une colombe (3), mais ce ne fut que passagèrement et pour un instant. Nous pouvons en dire autant du  moment où il est descendu sur les disciples: ils virent comme des langues de feu qui se séparèrent et vinrent se reposer sur chacun d'eux (4). Celui donc qui dirait que la colombe fut unie au Saint-Esprit dans l'unité de sa personne, en sorte que la personne du Saint-Esprit se composerait de la colombe et de Dieu (puisque le Saint-Esprit est Dieu), celui-là serait obligé d'en dire autant du feu ; et par là il doit comprendre qu'il ne faut dire ni l'un ni l'autre. Ces formes destinées à manifester comme il le fallait la- substance divine, se présentèrent aux sens corporels des hommes et ne firent que passer; car elles avaient été tirées par Dieu, et pour un moment, de la créature toujours soumise, et non pas de la nature souveraine, laquelle est stable en elle-même, et meut ce qu'elle veut; laquelle est immuable en elle-même, et change ce qu'elle veut. Il en est de même de cette voix qui perça les nues et vint frapper les oreilles corporelles et ce sens du corps qu'on appelle l'ouïe (5); et il ne faut pas croire que c'était le Verbe de Dieu son Fils unique. En effet, s'il est appelé Parole, il ne se termine point avec

 

1. Jean, X, 30. — 2. Id. XIV, 28. — 3. Matth. III,16. — 4. Act. II, 3. — 5. Luc, IX, 35.

 

les syllabes et les sons; car toutes les syllabes ne peuvent résonner en même temps lorsque l'on parle. Les sons naissants succèdent, chacun à son tour, aux sons qui s'évanouissent, et, ainsi ce que nous disons ne se complète que par la dernière syllabe. Dieu nous garde de dire que le Père parle ainsi à son Fils, c'est-à-dire à son Verbe qui est Dieu. Mais ceux-là seuls peuvent le comprendre, autant que l'homme en est capable, qui n'en sont plus au lait, mais qui usent d'une nourriture plus solide. Puis donc que le Saint-Esprit ne s'est pas fait homme en prenant la nature humaine , puisqu'il ne s'est pas fait ange, en prenant la nature angélique, puisqu'il ne s'est pas fait créature en se revêtant de quelque nature créée; comment peut-on entendre ce que le Sauveur dit de lui : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il entendra ? » Question difficile, trop difficile. Que le Saint-Esprit m'assiste lui-même, afin que je puisse vous l'expliquer comme il m'est donné de la concevoir, et qu'elle arrive à votre intelligence en proportion de mes humbles facultés.

3. Et d'abord, il y a une chose certaine que ceux qui le peuvent doivent comprendre et que ceux qui né le pourront pas doivent au moins croire, c'est que la substance de Dieu n'est pas comme les substances corporelles où les sens sont distribués en places différentes; ainsi, dans la chair mortelle de tous les animaux, ailleurs est la vue, ailleurs l'ouïe, ailleurs le goût, ailleurs l'odorat, et par tout le corps le toucher. Dieu nous garde de penser qu'il en est de même dans sa nature incorporelle et immuable. Pour elle, entendre et voir c'est la même chose. Il est même question d'un odorat en Dieu, car l'Apôtre a dit : « Ainsi que Jésus-Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en s'offrant à Dieu comme une victime d'agréable odeur (1)». On peut entendre aussi que c'est par le goût que Dieu hait ceux qui lui causent de l'amertume, et qu'il vomit de sa bouche ceux qui ne sont ni froids ni chauds, mais tièdes (2). Jésus-Christ, qui est Dieu, dit aussi: « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé (3) ». Il existe aussi un toucher divin dont l'épouse dit, en parlant de son époux : « Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite m'embrassera (4) ». Mais ces choses

 

1. Ephés. V, 2. — 2. Apoc. III, 16. — 3. Jean,  IV, 34. — 4. Carnt. II, 6.

 

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ne sont pas en Dieu à divers endroits d'un corps. Car quand on dit de Dieu qu'il sait, on parle de .tout, cela en même temps, c’est-à-dire qu'il voit, qu'il entend, qu'il sent, qu'il goûte et qu'il touche, sans aucun changement de sa substance, sans aucune étendue plus considérable dans une partie et moindre dans une autre. Celui qui aurait de Dieu cette idée, fût-il un vieillard, raisonnerait comme un enfant.

4. Il ne faut pas t'étonner que la science ineffable en vertu de laquelle Dieu tonnait toutes choses soit, selon les différentes manières de. parler des hommes; appelée des noms de tous les sens corporels : il en est de même de,notre âme, c'est-à-dire de l'homme intérieur; c'est elle seule qui juge des différentes choses que lui annoncent, comme autant de messagers, les cinq sens du corps. Ainsi, quand elle comprend, choisit et aime l'immuable vérité et qu'elle voit la lumière dont il est dit : « Il était la vraie lumière » ; quand elle entend la Parole dont il est ,dit : « Au commencement était le Verbe (1) »; quand elle perçoit l'odeur dont il est dit : « Nous courrons après l'odeur de vos parfums (2) »; quand elle boit à la fontaine dont il est écrit: « En vous est la source de vie (3) »; quand elle jouit de ce toucher dont il est dit : « Pour moi, il m'est bon de m'attacher à Dieu (4)»; c'est, non pas une chose ou une autre, mais 'l'intelligence seule qui est désignée sous les noms de tous ces sens. Lors donc qu'il est dit du Saint-Esprit : « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il, entendra », il faut alors, plus que jamais, concevoir, ou du moins croire que sa nature est simple, puisqu'elle est simple par essence et qu'elle surpasse de beaucoup en hauteur et en largeur la nature de notre âme. Notre âme, en effet, est sujette au changement, puisqu'en apprenant elle reçoit ce qu'elle ne savait pas, et qu'en oubliant elle perd ce qu'elle savait; elle est trompée par la vraisemblance, au point de prendre le faux pour le vrai, et l'obscurité où la plongent les ténèbres qui l'enveloppent, l'empêche de parvenir au vrai. Cette substance n'est donc pas vraiment simple, puisque, pour elle, être n'est pas la même chose que connaître; elle peut, en effet, être et ne pas connaître. Mais la substance divine ne peut pas être et ne pas

 

1. Jean, I, 9, 1. — 2. Cant. I, 3. — 3. Ps. XXXV, 10. — 4. Id. LXXII, 28.

 

connaître, parce qu'elle est ce qu'elle a. Et elle n'a pas la science. de telle manière qu'en elle autre chose soit la science qui lui donne de connaître, et autre chose l'essence qui la fait exister. L'une et l'autre ne sont qu'une même chose. Il ne faut même pas dire l'une et l'autre, puisqu'il n'y a qu'une seule et indivisible chose. « Comme le Père a la vie en lui-même », et il n'est autre chose lui-même que la vie qui est en lui, « il a aussi donné au « Fils d'avoir la vie en lui-même (1) » , c'est-à-dire, il à engendré le Fils qui lui-même devait être la vie. Ainsi devons-nous entendre ce qui est dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il a entendra ». Nous devons comprendre qu'il n'est pas de lui-même. Le Père seul n'est d'aucun autre; car le Fils est né du Père et le Saint-Esprit procède du Père. Mais le Père n'est né ni ne procède d'aucun autre. Toutefois, que l'esprit humain ne se figure aucune inégalité dans cette Trinité souveraine. Car le Fils est égal à Celui dont il est né, et le Saint-Esprit est égal à Celui dont il procède. Quelle différence y a-t-il entre procéder et naître? Il faudrait un long discours pour chercher à le savoir et pour le discuter ; et après l'avoir discuté, on serait téméraire de vouloir le définir; car il est très-difficile à l'âme humaine de le comprendre, et bien qu'elle puisse y comprendre quelque chose, il est très-difficile à la langue de l'expliquer, quel que soit le docteur qui parle, et quel que soit celui qui écoute. « Il ne parlera donc pas de lui-même », parce qu'il n'est pas de lui-même; « mais il dira tout ce qu'il entendra »; il l'entendra de Celui dont il procède. Pour lui, entendre, c'est savoir, et savoir, c'est être ; je l'ai expliqué tout à l'heure. Donc, comme il est non pas de lui-même, mais de Celui dont il procède, sa science lui vient de Celui dont il tient son essence; c'est donc de celui-là qu'il entend, ce qui n'est pas, pour lui., autre chose que savoir.

5. Et ne soyez point surpris que le verbe soit placé au temps futur. Il n'est pas dit, en effet; « Il dira » tout ce qu'il a entendu, ou tout ce qu'il entend, mais bien « tout ce qu'il  entendra »: Cette action d'entendre est éternelle, comme l'est aussi la science. Or, dans ce qui est éternel, sans commencement et sans fin, à quelque temps que soit le verbe ,

 

1. Jean, V, 26.

 

 

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qu'il soit employé au passé ou au présent, ou au futur, peu importe; il est employé sans mensonge. Bien que l'immutabilité ineffable de cette nature ne permette pas de dire qu'elle a été ou qu'elle sera, mais seulement qu'elle est; en effet, elle est véritablement, parce qu'elle ne peut changer, et à elle seule il convenait de dire : « Je suis Celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d'Israël : Celui qui est m'a envoyé vers vous (1)»; cependant, à cause de la mutabilité du temps dans lequel se trouvent circonscrites notre mortalité et notre changeante nature, nous disons certainement sans mensonge : Il a été, il sera et il est. II a été dans les siècles passés, il est dans le présent, il sera dans les siècles à venir. Il a été, parce qu'il n'a jamais cessé d'être; il sera, parce qu'il ne cessera jamais d'exister; il est, parce qu'il est toujours. En effet, il ne meurt point avec les choses passées, et n'est pas comme s'il n'était déjà plus; il ne passe pas avec les choses présentes, comme il passerait s'il ne demeurait pas toujours le même; il n'apparaîtra pas avec les choses de l'avenir, comme il apparaîtrait s'il n'avait pas toujours existé. Comme la parole humaine change selon les révolutions des temps, on peut se servir de tous les temps en parlant de Celui qui n'a pu, ne peut et ne pourra manquer dans aucun temps. Le Saint-Esprit entend donc toujours, parce qu'il sait toujours. Donc il a su, et il sait, et il saura , et par là même il a entendu, et il entend, et il entendra; car, comme je l'ai déjà dit, pour lui, entendre c'est savoir, et pour lui, savoir c'est être. Donc il a entendu, il entend et il entendra de Celui dont il est, et il est de Celui dont il procède.

6. Ici quelqu'un me demandera peut-être si le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Car le Fils est Fils du Père seul, et le Père est Père du Fils seul. Mais le Saint-Esprit est l'Esprit non pas de l'un des deux, mais de tous les deux. Tu as la parole de Notre-Seigneur pour t'instruire, car il a dit : « Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (2) ». Tu as aussi celle de l'Apôtre ; la voici : « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos coeurs (3) ». Est-ce qu'il y a deux esprits, l'un du Père, et l'autre du Fils? A Dieu ne plaise. « Un seul

 

1. Exod. III, 14. — 2. Matth. X, 20. — 3. Galat. IV, 6.

 

Corps », dit l'Apôtre; pour nous représenter l'Eglise, et il ajoute aussitôt : « Et un seul Esprit ». Et vois comme il complète la Trinité : « Comme vous êtes appelés », dit-il, « en une seule espérance de votre vocation, il n'y a qu'un seul Seigneur ». Ici c'est Jésus-Christ qu'il a voulu désigner; il ne reste plus qu'à nommer le Père. Il continue donc : « Une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est sur tous, parmi tous et dans nous tous (1) ». Comme il n'y a qu'un seul Père, un seul Seigneur, c'est-à-dire un seul Fils, il n'y a non plus qu'un seul Esprit; il est donc l'Esprit des deux. En effet, tandis que Jésus-Christ dit lui-même: « L'Esprit de votre Père qui parle en vous »; l'Apôtre dit aussi : « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos coeurs ». Dans un autre endroit, le même Apôtre dit : « Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts habite en vous ». Assurément il veut dire ici l'Esprit du Père. Et cependant c'est encore de lui qu'il dit ailleurs : « Quiconque n'a pas l'Esprit de Jésus-Christ, n'est pas à lui (2) ». Beaucoup d'autres témoignages montrent ainsi évidemment que Celui qui dans la Trinité est appelé l'Esprit-Saint est en même temps l'Esprit du Père et du Fils.

7. Ce n'est pas, je crois, pour une autre raison qu'on l'appelle proprement l'Esprit ; bien que, si l'on nous demande ce que sont le Père et le Fils, nous ne puissions que répondre

Ils sont l'un et l'autre Esprit, car Dieu est Esprit (3); c'est-à-dire, Dieu n'est pas un corps, mais un Esprit. Ce qui était le nom commun des deux autres devait donc devenir le nom propre de Celui qui n'était ni l'un ni l'autre des deux premiers, mais Celui en qui paraissait l'union commune de tous les deux. Pourquoi alors ne croirions-nous pas que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, puisqu'il est l'Esprit du Fils comme celui du Père ? S'il ne procédait pas du Fils, quand Jésus-Christ se fit voir à ses disciples après sa résurrection, il n'aurait pas soufflé sur eux en disant : « Recevez le Saint-Esprit (4) ». Que signifiait cette insufflation ? Que le Saint-Esprit procède aussi de lui. A cela se rapporte encore ce qu'il dit de la femme qui souffrait d'une perte de sang : « Quelqu'un m'a touché; car j'ai senti une

 

1. Ephés. IV, 4-6. — 2. Rom. VIII, 11, 9. — 3. Jean, IV, 24. — 4. Id. XX, 22.

 

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« vertu sortir de moi (1) ». Or, le Saint-Esprit est aussi désigné sous le nom de vertu, cela ressort clairement de ce passage où Marie ayant dit : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? » l'ange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (2) ». Notre-Seigneur lui-même, promettant le Saint-Esprit à ses disciples, leur dit : « Mais vous, demeurez dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (3) » ; et encore : « Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui surviendra en vous, et vous me servirez de témoins (4) ». Nous devons le croire, c'est de cette vertu que parlait l'Evangéliste lorsqu'il disait : « Une vertu sortait de lui et les guérissait tous (5) ».

8. Si le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi donc le Fils dit-il : « Il procède du Père (6) ? » Pourquoi ? parce qu'il a coutume de rapporter ce qui est de lui-même à celui dont il est lui-même. De là cette parole : « Ma doctrine n'est pas ma doctrine, mais la a doctrine de Celui qui m'a envoyé (7) ». Si donc nous reconnaissons que cette doctrine est bien la sienne, quoiqu'il dise qu'elle n'est pas la sienne, ruais celle du Père; à combien plus forte raison devons-nous reconnaître que le Saint-Esprit « procède de lui-même », puisque, en disant qu'il procède du Père, il ne dit pas qu'il ne procède pas de lui-même ? Or, Celui dont le Fils a reçu la nature divine (car il est Dieu de Dieu), lui a donné encore que le Saint-Esprit procède aussi de lui; et le Saint-Esprit tient aussi du Père de procéder du

 

1. Luc, VIII, 46. — 2. Id. I, 34, 35. — 3. Id. XXIV, 49. — 4. Act. I, 8. — 5. Luc, VI, 19. —  6. Jean, XV, 26. — 7. Id. VII, 16.

 

Fils, comme il procède du Père lui-même.

9. Par là nous pouvons comprendre, autant que des hommes tels que nous en sont capables, pourquoi on ne dit pas que le Saint-Esprit est né, mais qu'il procède. Car s'il était, lui aussi, appelé Fils, il serait appelé le fils de tous les deux, ce qui est le comble de l'absurdité. Car on est le fils, non pas de deux pères, mais seulement d'un père et d'une mère. Or, loin de nous la pensée de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le Père, et Dieu le Fils. Car même un homme ne procède pas en même temps de son père et de sa mère. Lorsqu'il procède du père dans la mère, alors il ne procède pas de la mère; et lorsqu'il procède de la mère pour paraître au jour, alors il ne procède pas du père. Le Saint-Esprit ne procède pas du Père dans le Fils, et du Fils il ne procède pas dans la créature qu'il doit sanctifier ; mais il procède en même temps de l'un et de l'autre : quoique le Père ait donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède du Père. Nous ne pouvons point dire que le Saint-Esprit n'est point la vie, puisque le Père est la vie et que le Fils l'est aussi. Et ainsi, comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui ; de même le Père a donné au Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père. Mais voici les paroles que Notre-Seigneur ajoute : « Et les choses qui doivent venir, il vous les annoncera. Il me glorifiera, car il recevra du mien et vous l'annoncera. Toutes les choses qu'a le Père sont miennes ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra du mien et vous l'annoncera ». Comme ce discours est déjà trop long, il faut renvoyer l'explication de ce passage à un autre jour.

 

 

 

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