LET.  XLVIII-LIV
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LET. CDXLII-CDXLIV

LETTRE XLVIII. AU CHANCELIER HAIMERIC, SUR LE MÊME SUJET ET CONTRE LES ENVIEUX.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE XLIX. AU PAPE HONORIUS POUR HENRI, ARCHEVÊQUE DE SENS.

LETTRE L. AU MÊME PAPE, SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE LI. AU CHANCELIER HAIMERIC, SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE LII. AU MÊME.

LETTRE LIII. AU MÊME.

LETTRE LIV. AU MÊME.

 

LETTRE XLVIII. AU CHANCELIER HAIMERIC, SUR LE MÊME SUJET ET CONTRE LES ENVIEUX.

L'an 1130.

 

Saint Bernard se justifie de quelques plaintes qu'on a faites contre lui, et demande qu'on le laisse en paix jouir de la retraite et dit silence.

 

Au très-illustre Haimeric, chancelier du saint Siège, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, saint éternel.

 

1. Le pauvre et l'indigent ne pourront-ils dire la vérité sans .s'exposer à la haine, et leur misère même ne les en garantira-t-elle pas ? Dois-je me plaindre ou me glorifier de m'être fait des ennemi: pour avoir dit la vérité ? que dis-je, pour avoir fait une bonne oeuvre et accompli un devoir? C'est ce que je laisse à décider aux cardinaux, vos frères, qui malgré la défense de la loi, et en dépit de la malédiction du Prophète, disent des injures à un sourd et « nomment bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien (Isa., V, 20). » Je vous demande, mes bons amis (a), ce qui vous a déplu dans ma conduite. Est-ce parce qu'à Châlons on a déposé l'évêque de Verdun, cet homme (b) partout décrié qui avait dissipé les

 

a C'est le mot de tous ou presque tous les manuscrits; il est juste, car les cardinaux étaient autrefois appelés tout simplement frères (voir livre II de la Vie de saint Bernard, n. 42; la Chronique d'Andria, tome IX, et le Spicilège, page 481). L'abbé Pierre est présenté comme ayant visité « non-seulement notre saint père le Pape, mais encore les Frères ainsi que c'était la coutume. » Plusieurs pensent qu'on doit lire un peu plus haut, dans cette lettre vos frères au lieu de nos frères. Dans Guillaume de Tyr, on lit (livre XIII, chapitre XVI) : « Les frères, les cardinaux, évêques, prêtres et diacres, etc. » Voir le livre de la Conversion aux clercs, tome IV.

b Henri, le même que celui auquel sont adressées les soixante-deuxième et soixante-troisième lettres. Laurent de Liège parle de sa déposition dans son histoire de Verdun, t. XII du Spicilège. p. 311, en disant que cette affaire avait été confiée, par le pape Sonorius, aux soins de son légat en France, Matthieu, évêque d'Albano, qui réunit à ce sujet un concile à Châlons-sur-Marne. « Henri consulta d'abord Bernard, abbé de sainte mémoire de Clairvaux, dont les conseils sont de nos jours, dit Laurent, le soutien du royaume et de l'Église de France. Bernard lui fit observer que c'était une chose bien grave que de vouloir retenir sa charge malgré tout le monde, et lui conseilla de ne pas lutter seul contre tous, mais de parer le mal en prévenant par la démission de son titre épiscopal le coup que ne pouvait manquer de porter à son honneur l'accusation qu'on allait diriger contre lui devant une assemblée aussi importante ; il goûta cet avis; rendit la crosse, se démit de l'épiscopat, et se retira treize ans après avoir été placé de la main de César sur le siége de Verdun, » c'est-à-dire en 1129. Voir aux grandes notes.

 

 

biens de son maître dans l'Église confiée à ses soins ? ou bien est-ce parce qu'à Cambray on a forcé Fulbert, qui conduisait manifestement son monastère à sa perte, de céder sa place à Parvin (a), serviteur prudent et fidèle, au témoignage de tout le monde? ou bien, encore est-ce parce qu'à Laon on a rendu à Dieu son sanctuaire (b), qui avait été transformé en maison de prostitution, en temple de Vénus? Pour laquelle de ces bonnes oeuvres, je ne dis pas, me lapidez-vous, mais me déchirez-vous, pour ne pas emprunter le langage de mon maître? C'est ce que j'aurais raison de vous répondre avec fierté s'il y avait quelque chose qui me revint en tout cela.

Mais maintenant pourquoi me mettre en cause pour ce que d'autres ont fait? ou si c'est pour ce que j'ai fait, pourquoi suis-je accusé comme si j'avais fait le mal, quand il n'y a personne qui soit assez téméraire ou assez imprudent pour révoquer en doute ou pour nier que ce qui s'est fait ait été bien et justement fait ? Choisissez maintenant le parti qu'il vous plaira et dites que je suis ou que je ne suis pas l'auteur de ce qui s'est fait : si j'en suis l'auteur, j'ai droit à des éloges, et c'est à tort que vous déversez le Mine sur moi qui n'ai rien fait qui ne mérite d'être joué; si je n'en suis pas l'auteur, je ne mérite ni louanges, ni reproches. C'est quelque chose de nouveau que ce genre de détraction employé à mon égard, et je me trouve dans une position assez semblable à celle de Balaam qu'on amène et qu'on paie pour maudire le peuple d'Israël, mais qui ne sait que le combler de bénédictions. Est-il rien de plus juste et de plus consolant pour celui qu'on avait le dessein de blâmer, que de voir qu'on fait son éloge sans le vouloir, qu'on relève sa gloire quand on voulait l'abaisser, qu'on fait son panégyrique sans y penser, et qu'on le comble de louanges sans le savoir quand on avait la pensée de le charger d'invectives? Ne peut-on me trouver assez de vrais défauts sans me reprocher une bonne action comme un mal, ou plutôt sans m'imputer ce que je n'ai pas fait ?

2. Pour moi, je ne suis pas plus sensible à d'injustes reproches qu'à des louanges imméritées. Je ne m'inquiète pas de ce que je n'ai pas fait. On peut louer ou blâmer à volonté monseigneur d'Albano, comme étant l'auteur du premier fait, monseigneur de Reims comme l'auteur du second, et ce même archevêque avec l'évêque de Laon, le roi et beaucoup d'autres personnages respectables qui ne disconviennent pas d'y avoir pris une part très-grande, comme étant les auteurs du dernier fait

 

a Parvin était moine de Saint-Vincent de Laon, quand il fut fait abbé du Saint-Sépulcre de Cambray, après qu'on en eut chassé Fulbert. Voir aux notes de la fin du volume.

b Il est question ici du monastère de Saint-Jean-Baptiste, doit on avait fait partir les religieuses qui l'occupaient auparavant, parce girelles étaient fort relâchées, pour les remplacer, en 1128, par des religieux qui eurent: leur tête l'abbé Drogou, moine de Saint. Nicaise de Beims. Voir plus haut les notes de la trente-quatrième lettre et de celle-ci.

 

que j'ai rapporté. Qu'ils aient bien ou mal agi, que m'importe à moi et que peut-il m'en revenir? Si j'ai quelques torts, c'est d'avoir assisté à ces assemblées, moi qui ne dois vivre que dans la solitude, ne juger que moi, n'être l'accusateur et l'arbitre que de ma conscience, si je veux que ma conduite réponde à ma profession et vivre en moine, c'est-à-dire en solitaire, de fait comme de nom? J'ai assisté à toutes ces affaires, je l'avoue; mais c'est parce que j'y avais été appelé et comme entraîné de force. Si mes amis en ont ressenti du déplaisir, je n'en ai pas éprouvé moins qu'eux. Je voudrais n'y être point allé et ne me trouver jamais à de semblables affaires. Plût à Dieu que je n'y fusse point allé, je n'aurais pas eu la douleur de voir une tyrannie violente prendre les armes contre l'Eglise en s'appuyant sur l'autorité même du saint Siège, comme si elle n'eût pas été déjà assez puissante par elle-même ! Oh! douleur ! pour parler le langage du Prophète, j'ai senti ma langue s'attacher à mon palais quand je vis cette suprême autorité nous accabler de son poids et quand on m'apporta victorieusement ces lettres apostoliques. Hélas ! j'en perdis la voix et je fus confondu ; je ne trouvai plus un mot à dire, et je sentis toute ma douleur se renouveler quand je vis la lettre du Pape couvrir les honnêtes gens de confusion, réjouir les méchants et les faire orgueilleusement triompher de leurs détestables actions. L'indulgence qu'on avait pour l'impie, comme dit le Prophète, ne servait qu'à lui faire oublier la justice. On levait l'interdit dont on avait si justement frappé les terres de celui qui avait accablé d'injustices le patrimoine des saints.

3. Voilà pour quels motifs, quand je n'en aurais pas d'autres, je n'aime pas à me trouver dans ces assemblées, surtout quand rien ne m'oblige à m'y rendre. Je ne l'aime pas, mais je suis contraint d'y aller. Qui mieux que vous, homme excellent, est en position de me soustraire à cette nécessité ? Vous en avez le pouvoir et je sais que vous eu avez le désir. Je suis ravi de ce que vous jugez dans votre sagesse que je ne dois pas me mêler de semblables affaires ; vous avez parfaitement raison et je reconnais là votre amitié pour moi. Puis donc que tel est votre désir ou plutôt puisque vous jugez qu'il est meilleur pour votre ami et plus convenable pour un religieux qu'il en soit ainsi, faites tout votre possible pour que votre volonté et la mienne, qui se trouvent si bien d'accord, s'accomplissent au plus tôt ; que la justice soit satisfaite et le salut de son âme assuré. Défendez, s'il vous plaît, à ces grenouilles importunes et criardes de sortir de leurs trous et de quitter leurs marais ; qu'on ne les entende plus dans les, assemblées, qu'on ne les voie plus dans le palais des grands ; qu'aucune nécessité, aucune autorité ne puissent les contraindre à s'ingérer dans les procès et dans les affaires. De cette manière, votre ami échappera peut-être au reproche de présomption qui lui est fait, Je ne vois pas, eu effet, ce qui pourrait y donner occasion, puisque je suis résolu à né jamais mettre le pied hors de niolo couvent à moins que l'intérêt de notre ordre ne l'exige, ou que j'en aie reçu l'invitation formelle du légat du saint Siége ou de mon propre évêque ; car, vous le savez, ce serait un crime à un simple religieux de se permettre de résister en ce cas, à moins pourtant que ce ne soit pour obéir à une autorité supérieure. Si jamais vous réussissez à faire qu'il en soit ainsi, comme j'espère que vous le pourrez bien certainement, alors je demeurerai en paix et j'y laisserai les autres. Cependant j'aurai beau me renfermer dans la retraite et le silence, l'Eglise entière n'en murmurera pas moins contre la cour de Rome, tant qu'elle continuera à donner tort aux absents, pour complaire à ceux qui l'entourent, Adieu.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE XLVIII.

 

35... Monseigneur d'Albano comme étant l'auteur dit premier fait. Saint Bernard se justifie de trois choses dans cette lettre : 1° de la déposition de Henri évêque de Verdun, au concile de Châlons-sur-Marne. Ce fut Matthieu d'Albano qui la prononça, comme nous l'avons déjà dit dans les notes de la treizième lettre. 2° De la bénédiction de Parvin, religieux de Saint-Vincent de Laon, selon le témoignage d'Hermann (livre III des Miracles, chapitre XX), comme abbé du Saint-Sépulcre de Cambrai à la place de Fulbert, que Rainauld des Prés, archevêque de Cambrai avait chassé de son abbaye, à cause de sa mauvaise administration, ainsi que saint Bernard le dit dans cette lettre. Or l'abbaye de Bénédictins du Saint-Sépulcre de Cambrai, située autrefois hors des murs de cette ville, fat fondée en 1064 par l'évêque Lietbert, dont la vie se trouve racontée au tome neuvième du Spicilége. (Voir Meyer et Mire.) 3° Saint Bernard se justifie enfin dans cette lettre de la réforme opérée dans le monastère de Saint-Jean de Laon, dont on chassa les religieuses qui l'occupaient, à cause dé leurs mauvaises moeurs, pour les remplacer par des religieux. Voici comment Hermann raconte le fait dans le vingt-deuxième chapitre de son livre. « A l'époque de Monseigneur Barthélemy, évêque de Laon, non-seulement la vie religieuse avait singulièrement perdu de son antique ferveur dans cette maison dont les propriétés d'ailleurs avaient aussi notablement diminué, mais de plus il courait sur les religieuses des bruits très-fâcheux. Affligé de cet état de choses, et voyant que ses avertissements dont elles promettaient toujours de tenir compte sans jamais s'en mettre en peine, ne produisaient rien, l'évêque de Laon, par le conseil et de l'autorité de notre saint Père le pape Innocent, de monseigneur Rainaud, archevêque de Reims, et du roi Louis le Gros à qui, disait-on, cette abbaye appartenait en propre, fit partir toutes les religieuses qui s'y trouvaient; ensuite il prit un religieux nommé Drogon, prieur de Saint-Nicaise et le plaça dans cette maison, en qualité d'abbé, avec un nombre suffisant de religieux tirés de différents endroits. » Tel est le récit d'Hermann. Quant à ce qu'il dit, que cela se fit de l'autorité du pape Innocent, il faut l'entendre de la confirmation de ce qui s'était fait et non pas de la réforme elle-même, dont il avait été question deux ans avant le pontificat d'Innocent et qu'on accomplit dans une assemblée d'évêques qui eut lieu en présence du roi à Arras, le 10 mai 1128, et à laquelle assistèrent, Rainaud archevêque de Reims, Gosselin évêque de Soissons, Barthélemy de Laon, Simon de Noyon, Jean de Saint-Omer, Guérin d'Amiens, Robert d'Arras, Clarembaut de Senlis et Pierre de Beauvais, comme on le voit dans un diplôme royal, dans le décret de Matthieu d'Albano et dans plusieurs autres monuments historiques de cette époque que notre Acher a publiés avec une lettre du pape Innocent, dans ses notes sur Guibert, page 828 et suivantes (Note de Mabillon).

 

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LETTRE XLIX. AU PAPE HONORIUS POUR HENRI, ARCHEVÊQUE DE SENS.

 

L'an 1128.

 

Au souverain pontife Honorius, ses serviteurs et ses enfants, si nous sommes dignes de ce nom, Etienne de Coteaux, Hugues de Pontigny et Bernard de Clairvaux, salut et tous les vieux qu'on peut faire pour un maître que l'on respecte profondément et pour un père rempli de bienveillance.

 

Du fond de nos monastères où le besoin d'expier nos péchés nous a conduits, nous ne cessons de prier pour vous et pour l'Eglise de Dieu qui vous est confiée, nous partageons la joie que ressent cette Épouse du Seigneur d'être remise aux soins d'un gardien si fidèle, et nous félicitons l'ami de l'Époux de travailler si utilement pour elle. Nous prenons la liberté de vous informer en toute vérité, très-saint Père, des maux que nous avons la douleur de voir fondre dans ce royaume sur notre Mère à tous. Autant que nous pouvons en juger sur les lieux mêmes, le roi Louis en veut moins encore aux évêques qu'à leur zèle pour la justice, et à leur amour pour la religion et pour la piété. C'est ce dont votre prudence, très-saint Père, ne pourra douter quand elle fera réflexion que ceux que le roi comblait de distinctions, dont il estimait la fidélité et qu'il honorait même de son amitié lorsqu'ils étaient dans le monde, sont précisément ceux qu'ii persécute à présent comme ses ennemis personnels, parce qu'ils soutiennent la dignité' de leur sacerdoce et l'honneur de leur ministère. Voilà d'où viennent ces accusations et ces injures atroces dont on a tâché de flétrir l'innocence de l'évêque de Paris. Mais on n'a pu réussir à l'accabler; car le Seigneur s'est servi de votre main pour le soutenir. Il en est de noème aujourd'hui pour l'archevêque de Sens. Le roi s'efforce d'ébranler sa fermeté et de lasser sa constance, convaincu que s'il vient à bout du métropolitain (je prie Dieu que cela n'arrive jamais), il aura facilement raison de tous ses suffragants. Enfin personne ne cloute qu'il ne veuille anéantir la religion, puisqu'il la regarde ouvertement comme la ruine de son royaume et l'ennemie de couronne ; ce n'est plus Jésus dans sa crèche, qui porte ombrage à ce nouvel Hérode (a), c'est Jésus triomphant dans son Eglise qui lui est odieux à voir. Et nous sommes convaincus que sa haine contre l'archevêque ne vient que d'une seule chose: de ce qu'il a tant de peine à atteindre en lui, comme dans les autres, l'esprit dont il est animé. Si Votre Sainteté appréhende que nous ne la trompions, ou que nous-mêmes nous ne soyons dans l'erreur au sujet de ce que nous lui attestons, nous ne souhaitons rien tant que de vous en faire le juge, car nous sommes bien certains que vous prendrez l'innocence sous votre protection et que vous n'aurez que la justice en vue. Mais si vous ordonnez que l'affaire soit reportée au conseil du roi et remise à sa décision, C'est évidemment livrer le juste aux mains de ses oppresseurs.

 

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LETTRE L. AU MÊME PAPE, SUR LE MÊME SUJET.

 

L'an 1128.

 

Saint Bernard demande qu'il soit permis à l'archevêque d'en appeler au saint Siège.

 

Il aurait fallu, si vous l'aviez trouvé bon, que la cause de monseigneur l'archevêque de Sens fût portée devant vous, afin qu'on ne pût pas croire qu'il était abandonné à ses ennemis, ce qui ne peut pas manquer de paraître ainsi s'il est obligé de se défendre sous la main et en présence d'un roi irrité contre lui. Mais puisque vous l'avez ainsi voulu, et que vos ordres sont sans réplique, espérons du moins qu'il en résultera quelque bien. La seule chose que nous réclamons très-humblement de votre bonté, avec tous nos religieux, c'est que, s'il arrive que ce prélat soit écrasé par le pouvoir souverain, comme cela n'a lieu que trop souvent, il puisse du moins se jeter dans votre sein paternel: jamais jusqu'à présent vous n'avez refusé cette gràce à un opprimé. Autrement qu'il voie, comme un autre Joseph, l'homme juste de l'Evangile, de quelle manière vous pourrez sauver la mère et l'enfant, puisque dans la province de Sens on peut dire qu'on cherche aussi de nos jours à faire périr Jésus-Christ. Car pour dire sans figure ce qu'il en est, on voit clairement que le roi persécute dans l'archevêque de Sens sa piété naissante,

 

a Il ne faut pas prendre cette expression trop à la lettre, car il est certain que Louis le Gros est bien loin d'avoir été un mauvais prince; saint Bernard l'appelle ainsi parce qu'il semblait persécuter dans les évêques leur zèle pour la justice, quand il voulut arrêter, dès les premiers pas, le retour des évêques de Paris et de Sens, vers un nouveau genre de vie. D'ailleurs, on peut voir aux notes de la lettre quarante-cinquième, combien ses derniers moments furent édifiants, malgré les reproches que lui adresse Henri d’Huntebourg , sur son embonpoint, tome VIII du Spicilège.

 

puisqu'il le fit avancer par tous les moyens possibles et le renvoya dans son diocèse avec l'assurance de n'être jamais inquiété, tant qu'il vécut dans le siècle et y mena une vie mondaine.

 

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LETTRE LI. AU CHANCELIER HAIMERIC, SUR LE MÊME SUJET.

 

L'an 1128.

 

Au très-illustre Haimeric, chancelier du saint Siège, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et tout ce que peut la prière d'un pécheur.

 

Jusqu'à quand sera-t-il vrai de dire: « Quiconque veut vivre avec piété dans le Christ sera persécuté (II Tim., III, 12) ? » Jusqu'à quand le sceptre des pécheurs s'étendra-t-il sur l'héritage des justes ? Quand doue les justes commenceront-ils à lever la tète contre leurs oppresseurs? Qui peut voir sans douleur le ciel et la terre se contrarier au point que, tandis que les anges sont dans la joie pour un pécheur qui se convertit, les enfants d'Adam en sont consumés de chagrin et d'envie? Jésus, par son sang et ses souffrances, n'a-t-il pas purifié la terre et les cieux, et Dieu ne s'est-il pas réconcilié le monde en la personne de son Fils ? Autrefois on n'avait point assez d'éloges à faire de l'archevêque de Sens, tant qu'il n'eut d'autre règle de conduite que les penchants de son coeur ; pas assez de bénédictions pour lui tant qu'il continua son genre de vie mondaine et ses habitudes du siècle; mais à présent qu'il s'est revêtu des langes du Christ enfant, on l'accuse de simonie, et parmi ses vertus naissantes, on se plait, avec une curiosité maligne, à rechercher jusque dans les cendres du passé des vices depuis longtemps éteints. Vous voyez bien que c'est Jésus même qui est en butte à la contradiction des hommes. Eh bien, c'est en son nom que je vous prie ; c'est pour lui que je demande grâce : il est bien digne de vos respects, sans doute, et de votre pitié. Déclarez-vous pour Lui en prenant aujourd'hui la défense de l'archevêque, et souvenez-vous qu'un jour vous paraîtrez devant Lui pour entendre aussi votre jugement de sa bouche. Adieu.

 

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LETTRE LII. AU MÊME.

 

L'an 1128.

 

Saint Bernard dit que l'évêque de Chartres n'a pas eu le dessein de faire le voyage de la terre sainte; il le prie de le décharger du poids des affaires publiques.

 

Votre ami et le nôtre, monseigneur l'évêque de Chartres, a désiré que nous aussi nous vous donnassions l'assurance qu'il n'a jamais eu l'intention ni le désir de demander la permission d'aller à Jérusalem, comme nous savons qu'on l'a fait croire au Pape.

Mais quand même il aurait eu le plus grand désir de faire ce voyage, il n'aurait pu partir sans scandaliser gravement ici tous les gens de bien qui craignaient que son absence ne fit plus de mal à ses ouailles que sa présence ne ferait de bien là-bas. Voilà ce que j'avais à vous dire de cet évêque.

Quant à moi, pour m'appliquer ces paroles de l'Ecriture : « Aie pitié de ton âme si tu veux plaire à Dieu (Eccli., XXX, 24), » prenez-vous plaisir à m'accabler des affaires d'autrui, et ne me serai-je débarrassé des miennes que pour être absorbé par celles des autres? Si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, veuillez me décharger de tous ces embarras, afin que je puisse prier Dieu pour vos péchés et pour les miens. Il est vrai qu'il n'est pas de voie plus sûre pour moi que de suivre la volonté du Pape; mais s'il veut bien considérer lui-même la mesure de mes forces, comme je le désire, il verra qu'il m'est impossible ou du moins très-difficile de m'occuper de tant d'affaires. Mais en voilà assez sur ce chapitre pour un homme intelligent comme vous.

L'évêque de Chartres me demande quelques-uns de mes écrits pour vous les envoyer; je n'ai rien qui me semble digne de votre attention. J'ai publié depuis peu un petit traité de la Grâce et du libre Arbitre; je nie ferai un plaisir de vous l'envoyer si vous le désirez.

saint Bernard demande être déchargé des affaires d'autrui.

 

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LETTRE LIII. AU MÊME.

 

L’an 1128.

 

Saint Bernard lui adresse deux religieux de ses amis.

 

Jusqu'à présent je vous ai parlé pour beaucoup de gens et par la bouche d'autrui, mais en ce moment je vous parle moi-même en personne dans ces deux religieux que vous voyez devant vous. Figurez-vous que je ne fais qu'un avec eux; ils ne peuvent être nulle part sans moi, car je suis présent dans leur coeur et je m'y trouve plus doucement et plus sûrement que dans le mien. Je n'exagère que pour ceux qui ne sentent pas la force de l'amitié, qui ignorent le pouvoir de la charité et qui ne croient pas que la multitude des fidèles ne formaient jadis qu'un coeur et qu'une âme. Mais pour ceux-ci, quiconque les voit me voit, bien que mon corps soit absent, et s'ils parlent, je m'exprime par leur bouche. Je suis absent de corps, il est vrai, mais le corps est la moindre partie de moi-même; et, s'il est vrai qu'en voyant mon visage on peut dire sans mentir qu'on me voit, quoiqu'on ne voie qu'une partie de moi-même et la partie la moins considérable, ne puis-je pas dire avec plus de vérité que je suis, non pas là où mon corps est présent, mais là où se trouvent ma volonté, mon esprit et mon coeur, tout ce qu'il y a de meilleur et de plus noble en moi. Sachez donc que nous ne faisons qu'un en trois personnes, non pas par la sainteté, car en ce point je leur suis inférieur à tous les deux, mais par la volonté, qui est la même entre nous, et par la parfaite union de nos âmes. Pourquoi, en effet, le lien de la charité serait-il moins fort pour réunir les esprits, que le mariage qui confond deux corps ensemble? Je voudrais que vous fissiez le quatrième avec nous, si vous ne trouvez pas cette unité d'amour trop indigne de vous. Cela vous sera bien facile si vous le voulez, mais, en tout cas, si vous ne le désirez pas, je vous prierai de lie le leur pas faire sentir. Adieu.

 

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LETTRE LIV. AU MÊME.

 

L’an 1136

 

Saint Bernard lui recommande l'abbé Vivien et l'engage à penser sérieusement au salut de son âme.

 

Veuillez, je vous prie, rendre tous les bons offices de l'amitié au porteur de cette lettre, le vénérable abbé Vivien de Haute-Combe (a), pour lequel je ressens une affection toute particulière à cause de sa piété. Je vous le demande au nom de Dieu et en considération de l'amitié que volts me portez. C'est tout ce que j'ai à vous dire pour lui. Parlons de vous maintenant, et dites moi : « Que sert à un homme de gagner l'univers s'il perd son âme, et que donnera-t-il en échange (Matth., XVI, 26)? » Le monde tout entier serait trop peu, car il n'est rien qui égale ce que vaut une âme rachetée au prix du sang de Jésus-Christ, et la perte en est bien grande puisqu'elle n'a pu être réparée que par la croix du Sauveur. Mais si nous mourons dans le péché, quelle ressource nous restera-t-il pour nous relever? Espérons-nous avoir un autre Christ qui nous sauve encore et qui se fasse attacher de nouveau à la croix pour nous racheter une seconde fois? A ce sujet, je voudrais que vous ne perdissiez pas de vue ce conseil du Sage : «Mon fils, songez à vos fins dernières et vous ne pécherez jamais (Eccli., VII, 40). »

 

a Ce monastère fut fondé en 1135, dans les Alpes; son premier abbé fut Vivien, religieux de l'ordre de Cîteaux, qui laissa sa place à Amédée, en 1139.

 

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