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LETTRE CCXXII. A JOSSELIN (a), ÉVÊQUE DE SOISSONS, ET A SUGER, ABBÉ DE SAINT-DENIS.

LETTRE CCXXIII. A JOSSELIN, ÉVÊQUE DE SOISSONS.

LETTRE CCXXIV. A ÉTIENNE (d), ÉVÊQUE DE PALESTRINE.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CCXXII. A JOSSELIN (a), ÉVÊQUE DE SOISSONS, ET A SUGER, ABBÉ DE SAINT-DENIS.

 

Saint Bernard se plaint à ces deux conseillers du roi des injustes projets qu'il nourrit contre Thibaut au mépris des traités et de la paix conclue entre eux.

 

1. J'ai écrit au roi pour lui exposer les désordres qui se commettent dans son royaume et qu'on dit même qu'il autorise; comme vous êtes membres de son conseil, il m'a semblé que j e devais vous communiquer sa réponse. J'ai peine à croire qu'il soit convaincu de ce qu'il avance, et s'il ne l'est pas, comment peut-il espérer me convaincre , moi qui suis , comme vous le savez , parfaitement au courant de tout ce qui s'est fait pour le rétablissement de la paix. Afin de me persuader que, de son côté, le comte a manqué à ses engagements, il me dit en propres termes dans sa lettre, ainsi que vous pourrez le voir: « Mes évêques sont encore suspens et mon royaume est toujours en interdit, » comme si la levée des censures ecclésiastiques était au pouvoir du comte, ou qu'il se fût engagé à la procurer par tous les moyens en son pouvoir! Le roi continue: « On s'est moqué du comte Raoul en renouvelant son excommunication. » En quoi cela regarde-t-il le comte Thibaut? N'a-t-il pas travaillé de bonne foi à faire ce qu'il avait promis et n'a-t-il pas complètement dégagé sa parole? L'autre, il est vrai, a été victime de ses fautes et s'est laissé tomber dans la fosse qu'il s'était creusée; est-ce là une raison suffisante aux yeux du roi pour rompre un arrangement auquel vous avez travaillé? Y avait-il là matière à s'emporter comme il l'a fait contre Dieu et contre l'Eglise, au préjudice de ses propres intérêts et de ceux de son royaume ? Fallait-il qu'il s'oubliât pour si peu de chose jusqu'à se précipiter sur les terres de son vassal, non-seulement sans lui avoir déclaré la guerre, mais encore sans lui signifier les raisons de cette rupture? Fallait-il enfin qu'il envoyât son propre frère s'emparer de la ville de Châlons-sur-Marne, au mépris de la convention qu'il avait faite avec le comte Thibaut au sujet même de cette ville, comme vous ne l'ignorez pas vous-mêmes ?

2. Mais le roi fait encore un grief au comte Thibaut de chercher à s'attacher contre lui, par des mariages, les comtes de Flandre (b) et de

 

a Orderic le surnomme le Roux, page 889. C'est à lui qu'est adressée la lettre trois cent quarante-deuxième, ainsi que les lettres deux cent vingt-troisième, deux cent vingt-quatrième et deux cent vingt-cinquième.

b Saint Bernard leur donne le titre de barons du roi dans la lettre deux cent vingt-quatrième, n. 3. Hérimann de Tournay nous donne la clef de ce passage, en disant, page 394 : « Thierry, comte de Flandre, avait promis sa fille en mariage au fils du comte Thibaut; mais le roi de France faisait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher cette union en disant que le deux futurs époux étaient parents au troisième degrés. » De son côté, le comte Thibaut avait aussi en vue un mariage pour sa propre fille avec le comte de Soissons, Voir plus loin la lettre deus cent vingt-quatrième, n, 4.

 

Soissons ; je veux bien qu'il doute de sa fidélité, mais des soupçons ne sont pas une certitude; or je vous demande si de simples doutes lui donnent le droit de fouler aux pieds des engagements formels. D'ailleurs rien n'autorise à douter de la fidélité d'un homme tel que le comte Thibaut. Au reste. ceux dont il recherche l'alliance, loin d'être les ennemis du roi, ne sont-ils pas ses amis et ses vassaux? Le comte de Flandre est son parent, et,comme il le dit lui-même, un des appuis de sa couronne; en quoi donc la fidélité d'un vassal de Sa Majesté pourra-t-elle être légitimement soupçonnée, s'il cherche à s'allier par des mariages à ses sujets les plus fidèles ? Il est bien certain que quiconque considérerait la conduite du comte Thibaut d'un oeil non prévenu, y verrait plutôt un gage de paix et un accroissement de force et de sécurité pour le royaume.

3. Au reste, je ne suis pas peu surpris d'apprendre que Sa Majesté dit à mon sujet, « qu'elle sait bien que j'étais informé des projets du comte Thibaut d'entraîner le comte Raoul dans son parti. » Si le roi ne m'a pas écrit ces choses, il l'a dit en propres termes à la personne qui lui a remis ma lettre, en ajoutant que j'avais plus d'une fois répété au comte Raoul que je me chargeais de la plus grande partie de ses péchés, s'il consentait à se rallier au comte Thibaut. Je défie qui que ce soit au monde, d'oser soutenir en ma présence que je l'aie chargé de faire de pareilles propositions au comte Raoul, ou de produire une lettre de ma main qui renferme rien de pareil. C'est au roi de voir de qui il tient cette nouvelle; pour moi, je suis très-certain que je suis innocent de ce qu'on m'impute là, et je réponds également de l'innocence du comte Thibaut en ce point, car il désavoue ce bruit de toutes ses forces. Après cela que Dieu prononce, il est notre juge; toujours est-il que le comte Thibaut, sur un simple soupçon, se voit accusé par un prince qui viole ses engagements d'une manière visible en attirant le comte Raoul dans son parti, qui méprise la loi de Dieu, ne tient aucun compte de la sentence du saint Siège et s'associe avec un adultère et un excommunié.

4. Puis le roi ajoute dans sa lettre: « Il s'en est fallu de peu que je n'eusse sur les bras deux ennemis formidables. » A cela le Prophète se charge de répondre pour moi par ces paroles, mais en riant: «Ils ont tremblé quand ils n'avaient aucun sujet de craindre (Psalm. XIII, 5). » « On m'attaque, dit-il, quand je ne menace personne, et on me persécute quand je ne trouble la paix de qui que ce soit. » Or je vous demande quel est ici l'agresseur véritable et le vrai provocateur: est-ce le comte? Mais il supplie humblement le roi de lui accorder ses bonnes grâces, il se montre disposé à le servir et à lui obéir comme à son souverain, lui demande la paix avec instance, et recherche tous les moyens de se réconcilier avec lui. Mais supposons qu'il n'en soit pas réellement ainsi, et que le comte Thibaut nourrisse en effet de mauvais projets contre Sa Majesté; pourquoi n'avoir pas recours à l'expédient dont on était convenu ? Vous savez qu'il était stipulé dans le traité due s'il survenait quelque différend ou quelque difficulté au sujet de l'arrangement fait entre eux ils ne feraient ni l'un ni l'autre aucun acte d'hostilité avant de nous avoir soumis leurs griefs pour que nous les examinions de concert, vous, Monseigneur. d'Auxerre (Hugues) et moi, qui avons été les médiateurs de la paix, et que nous terminions à l'amiable les difficultés qui pourraient naître. Or le comte demande qu'on suive cette marelle, et le roi ne veut point y consentir.

5. Après tout, que le comte ait réellement tous les torts possibles à l'égard de Sa Majesté, pourquoi s'en prendre à l'Église ? Quelle cause de mécontentement ont donné au roi non plus seulement l'Église de Bourges, mais celles de Châlons (a), de Reims et de Paris? Qu'il se fasse justice à l'égard du comte, il est dans son droit; mais prétendra-t-il s'y trouver encore quand il ravage les terres et les biens des églises, quand il empêche les brebis de Notre-Seigneur de se donner des pasteurs, en s'opposant au sacre de ceux qui sont élus, ou bien, ce qui ne s'est jamais vu jusqu'à présent, en ordonnant de retarder l'élection, jusqu'à ce qu'il ait consommé tous les biens des Eglises, dissipé le patrimoine des pauvres et ravagé le diocèse tout entier? Sont-ce là les conseils que vous lui donnez je vous le demande, car il est peu, croyable qu'il agisse en ces circonstances contre votre avis? Et pourtant j'ai bien de la peine à me persuader que vous lui inspiriez de si mauvais desseins. En effet, ce serait évidemment souffler le schisme, déclarer la guerre à Dieu même, asservir l'Église et changer sa liberté en servitude, Tout chrétien zélé, tout enfant de Dieu et de l'Église s'opposera comme un mur pour la défense de la maison de Dieu. Et vous, si vous aimez la paix ainsi qu'il convient à des enfants de paix, comment pouvez-vous, je ne dis pas traiter de telles affaires dans le conseil du roi, mais même assister aux conseils où elles se décident. Sachez qu'on est en droit de faire remonter la responsabilité du mal que fait un roi jeune encore, à ses conseillers, que leur âge rend inexcusables.

 

a On a vu dans les notes de la lettre deux cent seize ce qui concerne l'église de Bourges. Ce qui a rapport aux trois autres se trouve rapporté dans la lettre deux cent vingt-quatrième.

 

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LETTRE CCXXIII. A JOSSELIN, ÉVÊQUE DE SOISSONS.

 

Vers l’an 1143

 

Saint Bernard présente ses humbles excuses à cet évêque qui lui avait écrit une lettre commençant par ces paroles: Salut en Notre-Seigneur sans esprit de calomnie, et l'engage à venger le Christ et son Eglise.

 

1. Je ne me reconnais pas le moins du monde coupable de calomnie; non-seulement je ne crois avoir dit du mal de personne ; mais je sais très-certainement que je n'en ai pas même eu la pensée, surtout en ce qui concerne un prince de l'Église. Cependant, quelle que soit la prétendue offense dont vous me croyiez coupable à votre égard, j'en demande pardon à Votre Grandeur, car je me rappelle ces paroles de l'Apôtre: « On nous calomnie et nous répondons par des prières (I Cor., IV, 13) ; » et je dis avec Job: « Plût à Dieu que j'eusse gardé le silence comme je le ferai désormais (Job., XXXIX, 35) ! » J'espérais vous avoir donné complète satisfaction en écrivant à l'abbé de Saint-Denis au sujet des plaintes que vous faisiez l'un et l'autre entendre contre moi; mais je vois que votre indignation est loin d'être apaisée ; mieux vaudrait peut-être qu'elle se tournât contre les persécuteurs de l'Église que contre moi; en tous cas ce serait plus juste. Je vous répète donc que je n'ai jamais ni dit, ni écrit, ni pensé que vous aimez la division et semez le scandale; j'en suis si sûr que je ne crains pas d'en appeler aux expressions de ma lettre: veuillez la relire, et si vous y trouvez rien de semblable, je veux être coupable de sacrilège et je confesse, comme vous me le reprochez, que j'étais effectivement possédé du démon de la calomnie quand je l'ai écrite.

2. Mais à présent que je vous ai fait humblement mes excuses, ne croyez pas que je renonce au droit de dire ce que je pense. J'ai donc vu, je l'avoue, et je vois encore avec douleur que vous ne preniez pas en main la cause du Christ et ne défendiez point la liberté de l'Église avec cette indépendance dont vous devriez faire preuve. Voilà pourquoi je n'ai pu m'empêcher de vous écrire en termes un peu vifs, il est vrai, mais pourtant non pas tels que vous me le reprochez. Je croyais et je croirais encore si je ne craignais de vous blesser que ce n'est pas assez pour vous de ne point être cause des divisions qui règnent parmi nous, mais que vous devez de plus résister avec autant d'indépendance que de fermeté à ceux qui le sont, quels que soient d'ailleurs leur rang et leur dignité, et témoigner toute l'horreur que leurs projets et leurs cabales vous inspirent. Oui, je le répète, je croirais encore qu'il y va de votre honneur de dire avec le Prophète: «Seigneur, je ne puis souffrir l'assemblée des méchants, jamais je ne consentirai à prendre place dans leurs conseils (Psalm. XXV, 5). » Ce zèle ne convenait-il qu'au prophète, et ne sied-il pas aussi au prêtre du Seigneur de dire avec lui: « Je suis l'ennemi de vos ennemis, et je me sens consumé de zèle contre eux (Psalm. CXXXVIII, 21)? » Plût à Dieu, je le dis en toute déférence pour votre sérénissime personne (a), que vous eussiez montré de semblables dispositions à un roi que sa jeunesse pousse à ne tenir aucun compte de vos conseils ni de ses propres engagements qu'il foule aux pieds plus encore en jeune homme (b) emporté qu'en prince cruel. Il trouble sans motif la paix de son royaume, déclare la guerre au ciel et à la terre, jette le trouble dans les églises de sa domination, profane les sanctuaires, favorise les méchants, persécute les gens de bien et fait mourir les innocents. Oui, voilà, je le répète, les maux dont je voudrais vous voir, gémir, et arrêter le cours autant qu'il est en vous. Mais il ne m'appartient pas d'apprendre à maître Josselin ce qu'il a à faire, encore moins de reprendre un évêque dont le devoir, au contraire, est de corriger les autres quand ils se trompent et de les ramener dans la bonne voie quand ils s'en écartent. Au reste, veuillez remarquer que par égard pour vous j'ai cacheté cette lettre parce gale vous avez trouvé mauvais que je vous eusse envoyé la première décachetée, ce que je n'ai fait que pour me conformer à l'usage de ne point cacheter (c) les lettres destinées à plusieurs personnes. Si je vous ai encore offensé en agissant ainsi, je vous prie de lue le pardonner, comme le reste.

 

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LETTRE CCXXIV. A ÉTIENNE (d), ÉVÊQUE DE PALESTRINE.

 

L’an 1143

 

Saint Bernard lui fait le récit des violences et des injustices du roi contre l'Église et les évêques.

 

1. Jérémie se plaint à Dieu, de ses ennemis en ces termes: «Rappelez-vous, Seigneur, que je me suis présenté à vous pour vous prier en leur

 

a Saint Bernard donne ici te titre de Sérénissime qu'il a employé aussi en s'adressant au roi, lettre cent soixante-dixième, n. 3, et au pape innocent, lettre trois cent trente-septième, n. 1. Il est vrai que Josselin était membre du conseil du roi.

b Saisit Bernard, empruntant le style de l'Écriture sainte, parle de louis le Jeune comme d'un roi encore enfant, bien qu'il fat alors âgé de vingt-deux ans. Il s'est exprimé de même dans la lettre cent soixante-dixième et ailleurs encore.

c Dans sa lettre trois cent quatrième, saint Bernard dit : « Je n'avais pas mon cache sous la main. ». Il s’exprime de même dans la lettre quatre cent deuxième. Ce cachet, comme on le voit, par la lettre deux cent quatre-vingt-quatrième, portait le nom et le portrait de saint Bernard.

d Etienne de Palestrine, à qui est également adressée la lettre deux cent dix-neuvième, était religieux de Cîteaux, quand il fut fait cardinal en 1140; il mourut en 1144. Ernald l'appelle « un homme d'une extrême modestie, » livre II de la Vie de saint Bernard, n. 49. Jean de Salisbury en fait mention dans son Polycratique, livre VI, ch. XXIV, Un passage de cette lettre fait supposer qu'il fut évêque de Châlons-sur-Marne.

 

faveur et pour détourner d'eux votre colère..... Voilà pourquoi je vous demande aujourd'hui de réduire leurs enfants en servitude et de les frapper eux-mêmes du glaive (Jerem., XVIII, 20). » Et il continue sur ce ton. Comme je me trouve aujourd'hui à peu près dans le même cas, je viens tenir le même langage à Votre Révérence. Vous savez avec quelle chaleur j'ai pris auprès du Pape, mon seigneur, les intérêts du roi; car si j'étais éloigné du saint Père alors, mon zèle n'en était pas moins ardent. Je n'ai agi ainsi que sur les belles promesses dont le roi m'a flatté; mais, comme il fait aujourd'hui le contraire de ce qu'il a promis, je me vois obligé de vous tenir à mon tour un langage tout différent. du premier. Je suis confus de m'être leurré de vaines et fausses espérances, et je vous remercie maintenant de n'avoir point autrefois exaucé les prières que j'avais la simplicité de vous faire pour lui. Je croyais agir pour un roi ami de la paix, et je suis forcé de reconnaître aujourd'hui que j'ai eu le malheur de prendre les intérêts du plus grand ennemi de l'Eglise. Hélas! sous nos yeux, les choses saintes sont foulées aux pieds, et l'Eglise réduite à une honteuse servitude: on s'oppose en effet à l'élection des évêques, et si le clergé ose en élire un, on lui interdit les fonctions de l'épiscopat. Ainsi l'Eglise de Paris languit sans pasteur, et personne n'ose parler de lui en donner un.

2. Non content de piller les maisons épiscopales, on porte une main sacrilège sur les terres et les vassaux qui en dépendent et on exige une année des revenus d'avance. Votre chère église de Châlons-sur-Marne a procédé à l'élection de son évêque, il s'est passé déjà bien du temps depuis qu'elle est faite, et l'évêque élu a n'a pas encore pu prendre possession de son siège; or vous savez quels inconvénients graves résultent de là pour le bercail du Seigneur. Le roi a chargé son frère Robert d'administrer l'évêché pendant la vacance du siège, et ce prince remplit sa mission avec une rigueur excessive, et dispose en maître absolu des biens et des domaines de cette église. Il ne se passe point de jour qu'il ne fasse retentir le ciel du cri de ses victimes et des gémissements des pauvres; car ses hosties pacifiques, à lui, ce sont les larmes des veuves,

 

a Geoffroy, dont il est parlé lettre soixante-sixième, était mort évêque de Châlons-surMarne, en 1142. A sa place, on avait élu Guy, à qui saint Bernard fait allusion dans cette lettre. Les officiers du roi, après avoir chassé de son siége l’archevêque de Reims, parce qu'il avait embrassé le parti du comte Thibaut, saccagèrent les églises de Sainte-Marie, de Saint-Remi et de Saint-Nicaise, ainsi que le monastère de Saint-Thierry, situé dans les faubourgs de la ville. Saint Bernard ne parle pas ici comme dans la lettre deux cent vingt-deuxième, II. 4, de l'évêché de Paris, où Thibaut avait succédé à Menue après la mort de ce dernier.

 

les pleurs des orphelins, les soupirs des prisonniers et la voix du sang de ceux qu'il met à mort. Puis comme si sa fureur trouvait les limites de cet évêché trop étroites, elle déborde sur celui de Reims; ce pays des . saints plie sous le poids de ses iniquités; il n'épargne ni prêtres, ni moines, ni religieuses, et, le glaive à la main, il a si cruellement ravagé ces contrées fertiles ainsi que les bourgs populeux de Saint-Remi, de SainteMarie, de Saint-Nicaise et de Saint-Thierry, qu'il en a fait presque autant de déserts. On n'entend de toutes parts que ces mots: « Faisons notre héritage du sanctuaire de Dieu (Psalm. LXXXII, 13). » Voilà comment le roi répare le tort qu'il a fait à l'église de Bourges par un serment comparable à celui d'Hérode.

3. De plus, j'avais travaillé de toutes mes forces à la conclusion de la paix entre le roi et le comte Thibaut, et je croyais avoir réussi à leur faire signer un arrangement que je croyais durable ; mais voici que le roi , cherche tous les prétextes possibles pour le rompre. Ainsi il fait un crime au comte, de marier ses enfants avec ceux des barons du royaume; ces alliances qui rapprochent les familles lui sont suspectes, et il craint de perdre de son autorité royale si les maisons princières sont unies. Je laisse à votre prudence à conjecturer, d'après cela, la conduite que tient envers ses sujets un prince qui ne fait consister sa force que dans la division et les inimitiés des seigneurs du royaume : jugez, et dites si c'est être animé de l'esprit de Dieu, qui est la charité même que de faire plus de fonds sur l'hostilité de ses sujets que sur leur bon accord. Certainement il ne serait pas dans ces dispositions s'il goûtait ces paroles de la Sagesse : « L'amour est aussi fort que la mort, et le zèle qu'il inspire est inflexible comme l'enfer (Cant., VIII, 6). » Voilà donc pourquoi il viole ouvertement le traité de paix et en foule les clauses aux pieds, sans respect pour les serments qui le lient. Il rappelle près de sa personne, il fait asseoir dans son conseil un prince adultère et excommunié qu'il s'était engagé à éloigner; et, pour mettre le comble à ses indignes procédés, ce roi qui se donne pour le protecteur de l'église, s'allie avec une foule de gens excommuniés, parjures, incendiaires et homicides, pour faire la guerre, ce n'est que trop certain, à un prince qui, on ne peut en douter, aime et protège véritablement l'église. Aussi peut-on lui appliquer ces paroles du Prophète: «Quand il apercevait un voleur, il courait se joindre à lui; les adultères étaient ses amis (Psalm. XLIX, 18). »

4. Ajoutez enfin à cela que, dans les dispositions où il est, il assemble des conciles qu'il force d'anathématiser ceux qu'ils devraient bénir, et de bénir ceux qu'il faudrait anathématiser. Mais, comme il ne trouve pas assez de personnes qui entrent dans ses vues, il en quête dans le monde entier qui veuillent bien s'engager par un serment parjure à séparer ceux que peut-être Dieu a unis. De quel front, je vous prie, se donne-t-il tant de mal pour opposer à l'union des autres des empêchements de consanguinité, quand il vit, tout ce monde le sait, avec une femme qui est sa parente au troisième degré (a) ? Pour moi, je ne sais s'il y a quelque parenté entre le fils du comte de Thibaut et la fille de celui de Flandre, non plus qu'entre sa fille et le fils du comte de Soissons; ce qui est certain, c'est que je n'ai jamais approuvé les mariages illicites, mais je puis vous dire, et je désire que le Pape en soit informé, que s'il n'y a aucun empêchement canonique à ces deux mariages, ce serait désarmer l'Eglise et considérablement affaiblir son pouvoir que de s'opposer à leur conclusion. D'ailleurs je ne crois pas que l'opposition faite à ces mariages ait d'autre but que d'empêcher ceux qui auront le courage de se déclarer contre le schisme dont nous sommes menacés, de trouver un refuge sur les terres de ces princes.

Là s'arrête ce que peut mon zèle; mais si je suis hors d'état de corriger ce que je blâme, je dénonce le mal à celui qui peut y remédier; c'est au Pape maintenant à faire le reste.  Il m’a semblé que dans les épreuves et les périls même qui menacent l'Eglise je devais en appeler à son autorité, et je n'ai pas pensé que je pouvais le faire avec plus de chances de succès qu'en m'adressant à lui par le canal de ceux qui, comme vous, siègent à ses côtés et dans son conseil. Je vous supplie de lui faire agréer mes excuses si je change de langage comme le roi de dispositions; vous savez que le Prophète a dit : « Vous serez bons avec les bons, et méchants avec les méchants (Psalm. XVII, 26). »

 

a Voici comment Jean Besly établit cette parenté dans son Histoire des comtes de Poitiers, page 145. Aliénor ou Eléonore femme de Louis le Jeune, descendait, par son père, Guillaume, comte d'Aquitaine, d'Adélaide, soeur de la femme de Humbert II, comte de Maurienne, laquelle par conséquent se trouvait étre la grand-tante d'Adèle, mère de Louis le Jeune.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CCXXIV.

 

164. Je croyais agir pour un roi ami de la paix... On voit assez par les lettres qui précèdent, depuis la deux cent seizième jusqu'à la deux cent vingt-deuxième, quel était l'état politique et religieux de la France sous le roi Louis le Jeune; celle-ci nous montre en particulier sous quel triste et déplorable aspect l'Eglise de France se présentait alors à tous les yeux. Othon de Freisingen n'en fait pas un autre portrait que saint Bernard, livre VII de la Chronique, chap. XXI. Voici en quels terme il s'exprime: « À la mort du roi Louis VI la Gros, la France occidentale eut cruellement à souffrir sous son fils, le roi Louis actuellement régnant. La guerre qui éclata entre ce roi et le comte Thibaut de Blois là remplit de pillages et d'incendies, et sans les saints religieux dont les vertus, les prières et les conseils contribuèrent puissamment à l'œuvre de la paix qui vient de se conclure, elle n'eût pas échappé à une ruine entière. » Ainsi, d'après Othon de Freisingen, ce sont les prières et les conseils des religieux qui ont sauvé la France. Il n'est pas possible, selon lui, de douter que si le monde est encore debout, c'est aux mérites des saints qu'on en est redevable; ce qui est plus particulièrement vrai de saint Bernard, qui fut entre tous le conseiller et le pacificateur non-seulement de la France, mais de l'Europe entière et presque de tout l'univers, comme on peut s'en convaincre en lisant ses lettres adressées presque à tous les points du monde.

Au reste, pour le dire en passant, je ne saurais trop m'étonner des louanges que d'après Gordon,à l'année 1180, tous les historiens se sont accordés à prodiguer à Louis Vil le Jeune. Assurément, si on S'en rapporte au témoignage de saint Bernard, dont on ne saurait révoquer la véracité en doute, il est difficile de trouver dignes de louanges le prince dont cette lettre deux cent vingt-quatrième et celles que nous avons citées plus haut nous tracent le portrait: mais voilà les hommes, ils distribuent la louange et le blâme au gré de leurs passions. Sans remonter si haut pour en trouver la preuve, de quels jugements opposés et de quelles appréciations différentes les desseins des princes et des rois, leurs expéditions, leurs traités de paix et d'alliance et toutes leurs autres actions ne sont-ils pas l'objet? N'entendons-nous pas louer par les uns ce que d'autres ne croient avoir jamais assez sévèrement blâmé et réprouvé? Prêtez l'oreille de ce côté: on ne se propose rien moins dans telle ou telle guerre que la ruine de la religion et de l'Eglise; on favorise le schisme et les divisions, on foule les choses saintes aux pieds, on opprime les malheureux, on conduit l'Etat à sa perte on ne songe qu'à affaiblir et à humilier l’Eglise. Mais si vous écoutez ce qui se dit de l'autre côté, ce n'est plus cela: on ne voit de mal nulle part, les choses ont une tout autre apparence, et l'on n'a point assez de louanges à prodiguer à tous ceux qui y coopèrent de leur personne ou de leurs conseils.

165. En nous exprimant ainsi, nous n'avons pourtant point l'intention de ravir an roi Louis le Jeune les louanges qu'il a pu mériter dans la suite; il se peut, en effet, qu'en avançant en âge il ait effacé les fautes de sa jeunesse; car il survécut beaucoup à saint Bernard, puisqu'il ne mourut qu'en  1180. Je n'ignore pas d'ailleurs qu'il donna du vivant de saint Bernard des preuves de son repentir dont notre Saint fut témoin. Voici en effet comment Emile en parle dans son histoire de Louis VII. « Le roi Louis VII, transporté de fureur contre Thibaut, comte de Blois, se mit à, la tête de ses troupes et se jeta sur Vitry qui appartenait an comte de Blois, le prit et le détruisit de fond en comble : il en livra aux flammes tous les édifices tant sacrés que profanes, et fit périr par le feu près de quinze cents personnes de tout âge qui étaient venues dans la principale église du lieu chercher un refuge au pied des autels, dont ils croyaient que la sainteté les sauverait de la mort. Mais le roi ne tarda pas à rentrer en lui-même et il conçut un tel chagrin de ce qu'il avait fait, il en ressentit une douleur si vive et si poignante, que rien ne pouvait le consoler. On mande auprès de lui le saint, le divin Bernard à cause de sa réputation d'homme de Dieu. Déjà sous le roi Louis le Gros, ce disciple des chênes de la forêt, comme on l'appelait alors, et des profondeurs de la solitude où, privé des leçons d’un maître il avait néanmoins acquis une science extraordinaire, avait fait éclater au grand jour de la célébrité un savoir et une sainteté que l'ombre ou la retraite avaient jusqu'alors tenus ensevelis. introduit près du roi qui le reçut avec les marques de la plus grande déférence, il ne put s'empêcher de s'écrier, en voyant les larmes abondantes dont son visage était baigné et en en apprenant la cause: Si la source n'en est bientôt tarie, elles éteindront dans leurs flots le souvenir des flammes de Vitry. Qu'elles soient seulement mêlées de constance et de force! Ne pleurez pas, Sire, comme pleurent les femmes, montrez-vous homme et roi jusque dans vos larmes. »

Pour ce qui a rapport aux élections d'évêques que Louis VII empêchait de faire, on peut revoir les notes de la lettre deux cent dix-neuvième (Note de Horstius).

 

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