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LETTRE CCCLXXXII. A LÉONIUS ABBÉ DE SAINT-BERTIN (a).

LETTRE CCCLXXXIII. AU MÊME ABBÉ DE SAINT-BERTIN.

LETTRE CCCLXXXIV. AUX RELIGIEUX DE SAINT-BERTIN.

LETTRE CCCLXXXV. AUX MÊMES.

 

LETTRE CCCLXXXII. A LÉONIUS ABBÉ DE SAINT-BERTIN (a).

 

Vers l’an1150.

 

Saint Bernard le remercie de ses bontés à son égard et à l'égard de ses religieux, et l'engage à ne point empêcher Thomas de Saint-Omer d'entrer à Clairvaux.

 

A son cher et vénérable seigneur Léonius, abbé de Saint-Bertin, et à toute sa communauté, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l'Esprit de vérité que le monde ne saurait recevoir.

 

1. Mes bien-aimés frères, j'ai reçu la lettre où vous me faites part de ce que vous désirez, je dis plus, de ce que vous attendez de moi. Certainement, je n'oublierai de ma vie les services que vous avez rendus sans compter, de bon coeur, et avec grâce, tant à moi qu'aux miens; mais suffit-il de s'en souvenir pour n'être point ingrat? n’est-ce pas, au contraire, la pire ingratitude que de se les rappeler et d'en rester là? Tel n'est pas mon fait, car si je m'en souviens, j'en témoigne aussi toute ma reconnaissance; et si je ne le fais pas autant que je le devrais, eu égard à ce que je tiens de vous, permettez à mon insuffisance de vous dire qu'elle charge le Seigneur lui-même d'acquitter sa dette. Il sait, lui qui sonde les coeurs, l'intérêt que je porte à votre maison qui est la sienne, car il habite parmi vous; il sait, car c'est la vérité, que je paie de retour tous ceux qui ont quelque affection pour moi; mais en cela je, ne fais que ce que ferait un païen. Aussi n'ai-je pas grand mérite à vous rendre affection pour affection, je serais même bien coupable de ne le pas faire. D'ailleurs, puisque je vous aimais avant que vous m'eussiez rendu aucun service, comment pourrais-je ne point vous aimer maintenant que vous avez acquis un droit à mon affection? Ce serait à moi le comble de l'injustice de n'aimer point, après les bienfaits que j'en ai reçus, ceux que je devrais aimer indépendamment de tout bienfait. Je vous aimerai donc toujours en Dieu, mes très-chers frères, et je vous serai affectueusement dévoué en toutes choses, pour l'amour de celui dont vous êtes les serviteurs, ou plutôt, pour être plus exact, j'honorerai constamment en vous Jésus-Christ même dont vous êtes les membres.

2. Toutefois, comme l'honneur qu'on doit à ce Roi des rois doit être

 

a Il a déjà été question de ce monastère dans la lettre cent quarante-neuvième, et de Thomas, dans lacent huitième. Quant à l'abbé Léonius, il est représenté par le moine de Laon, Hermann, livre III des Merveilles de la vierge Marie, chap. IV, comme un II homme très-religieux, non moins versé dans la connaissance des lettres profanes que dans celle des lettres sacrées.  Il fut abbé de 1148 à 1163,

 

fondé sur la raison, je suis obligé de garder des mesures et de me renfermer clans les limites de la prudence, pour vous servir et vous honorer comme je le dois et de manière à éviter tout reproche (Psalm. XCVIII, 4). Voilà pourquoi je vous dirai, pour répondre à votre lettre, que je n'oserais jamais me permettre, de même que votre charité ne saurait prendre sur elle, d'empêcher de bien faire celui qui en a l'intention: autrement qu'aurions nous à dire à l'Apôtre, qui nous recommande de « ne point éteindre l'esprit ( I Thess., V, 45), » attendu qu'il n'est pas prudent d'éteindre ce qu'on ne saurait rallumer? Que lui répondre encore quand il dit : « Que chacun suive sa vocation (I Cor., VII, 24) ? » Or Thomas a été appelé non par moi, mais par celui qui sait appeler ce qui n'existe pas aussi bien que ce qui existe (Rom., IV, 17). Pourquoi ne voir que moi et ne vous en prendre qu'à moi dans cette circonstance, comme s'il s'agissait du fait d'un homme et non de celui de Dieu? Or dans le cas présent, Dieu seul a agi, les hommes n'y sont pour rien, car il n'y a que Dieu qui puisse incliner la volonté de l'homme dans le sens qui lui plaît, nul autre ne saurait le faire. C'est donc le Seigneur qui a tout fait en cette circonstance, voilà pourquoi nous devons non-seulement admirer, mais encore respecter et maintenir ce qui est arrivé. Qu'est-ce que l'homme, en effet, pour qu'il prétende venir en aide à l'Esprit de Dieu et mettre la main à son oeuvre? Il n'y a que celui qui court après la brebis égarée qui sache non-seulement ce qu'il cherche et où il le cherche, mais encore de quelle manière, en quel lieu il doit chercher sa brebis, et la déposer ensuite pour ne la point perdre de nouveau. Gardez-vous clone de rappeler à vous celui que Dieu appelle à lui, de faire descendre celui qu'il invite à monter et de placer une pierre d'achoppement devant les pas de celui à qui le Seigneur tend la main pour l'aider à s'élever vers lui.

3. Examinons maintenant la valeur de la raison que vous mettez en avant quand vous faites valoir qu'il a été offert à votre maison par ses parents. Je m'en rapporte à votre bon sens, que préférez-vous de la disposition que les parents ont faite de leur enfant à son insu, ou de celle qu'il a faite de lui-même en pleine connaissance de cause? A laquelle  reconnaissez-vous plus de force et de valeur? Et encore quand je dis qu'il a disposé de lui-même, je m'exprime d'une manière inexacte, car je devrais dire que c'est la grâce de Dieu qui a disposé de lui, car c'est elle qui a prévenu sa volonté et lui a fait agréer ce qu'il était loin de goûter d'abord; c'est elle enfin qui l'a soutenu ensuite pour qu'il n'eût pas voulu en vain ce qu'elle lui avait fait vouloir. D'ailleurs je soutiens que le voeu des parents, au lieu d'être annulé, demeure entier et reçoit même son couronnement. En effet, si ce qu'ils ont offert reste offert, et offert au même Dieu, il ne l'est plus seulement par les parents à l'insu fils, mais par le fils lui-même. Après tout, je n'ai point d'ordre à vous donner sur ce point, mais je vous conseille, et Dieu vous conseille avec moi, de ne pas entraver la marche de la grâce, et de ne point étouffer les premiers élans de son bon vouloir, car ils ne sont rien moins que l'impulsion du Saint-Esprit. D'ailleurs avouez franchement que vous avez tort de m'accuser de vouloir vous enlever les religieux que Dieu vous envoie. Au surplus, je vous déclare que si jamais le frère Thomas transgresse les voeux qu'il a faits entre mes mains, je m'élèverai un jour contre lui et me ferai l'accusateur au tribunal de Dieu de quiconque l'aura porté à les transgresser. Mais il vaut mieux, pour lui, pour vous et pour moi, que nous soyons toujours unis dans les liens de la paix. Adieu.

 

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LETTRE CCCLXXXIII. AU MÊME ABBÉ DE SAINT-BERTIN.

 

Vers l’an 1150.

 

Saint Bernard le prie de vouloir bien continuer ses bontés aux religieux de son ordre.

 

A son très-cher ami Léonius, vénérable abbé de Saint-Bertin, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut en Celui qui veut que Jacob soit sauvé.

 

Votre Charité montre assez combien j'ai raison de compter sur vous, puisqu'elle ne laisse passer aucune occasion de se manifester. Je ne saurais vous dire toute ma reconnaissance pour les services que vous rendez à nos frères qui demeurent dans votre voisinage (a), car je regarde comme fait à moi-même tout ce que vous faites pour eux, je vous dirai même que j'en ai plus de reconnaissance que si c'était à moi. Je vous prie de leur continuer cette bienveillance, d'autant plus qu'ils sont trop loin de moi pour que je leur rende tous les services que je devrais ; remplacez-moi auprès d'eux, servez-leur de père et regardez-les comme vos enfants. Si jamais l'occasion se présente de vous témoigner ma reconnaissance, veuillez croire que je tâcherai de vous en donner des preuves convaincantes. Adieu.

 

a C'étaient les religieux de Clairmarets, près Saint-Omer. Manrique rapporte l'origine de cette maison à l'année 1138.

 

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LETTRE CCCLXXXIV. AUX RELIGIEUX DE SAINT-BERTIN.

 

Vers l’an 1150.

 

Saint Bernard leur dit toute sa reconnaissance pour la bienveillance qu'ils témoignent aux religieux de son ordre et leur assure que Dieu les en récompensera au centuple.

 

A tous ses bien-aimés frères en Jésus-Christ de l'abbaye de Saint-Bertin, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et encouragement à servir le Seigneur avec joie.

 

Vos bienfaits m'obligent à vous témoigner ma vive et affectueuse reconnaissance. S'il est vrai qu'on doit conserver un éternel souvenir des bienfaits reçus, je ne saurais oublier ceux dont vous m'avez comblé dans la personne des religieux de mon ordre, et ne pas vous en dire toute ma gratitude; car je tiens comme fait à moi-même tout ce que vous faites aux miens, et vous avez des droits sur mon coeur dès que vous vous montrez généreux envers le fruit de mes entrailles. Je sais à qui j'ai affaire, et ma sécurité est entière; je sais, dis-je, que vous nous aimez, non pas seulement en parole, mais effectivement, vous le prouvez par vos oeuvres ; votre affection est d'autant plus pure aux yeux de Dieu et agréable à ceux des hommes, qu'elle est tout à fait désintéressée de votre part, et que nous n'avons rien fait pour la mériter. Voilà pourquoi je rends mille actions de grâces à votre communauté tout entière; il n'est rien dont nous ne vous soyons redevables. Mais que suis-je et que puis-je, ou plutôt que sommes-nous et que pouvons-nous, mes frères et moi, pour nous acquitter à votre égard? Au reste, c'est à Dieu et non-seulement à nous qui ne sommes que des hommes, que vous avez rendu service, car s'il regarde comme fait à lui-même tout ce qu'on fait au moindre des siens (Matth., XXV, 40), à plus forte raison en est-il ainsi de ce qu'on fait à un grand nombre des siens. Hélas! je suis trop pauvre et trop dénué de tout pour vous témoigner ma reconnaissance, mais Dieu acquittera ma dette, car je le prie, lui qui récompense tout le bien qu'on fait, de vous payer au centuple ce que vous avez fait de votre propre mouvement à ses pauvres, les bienfaits dont vous les avez comblés et les exemples de charité que vous leur avez prodigués les premiers. Mais en vous remerciant du passé, je vous prie de continuer vos bontés dans l'avenir: un jour vous recueillerez de cette semence de bonnes oeuvres une moisson de paix et de gloire que je prie le Seigneur de nous faire partager avec vous. Ainsi soit-il.

 

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LETTRE CCCLXXXV. AUX MÊMES.

 

Saint Bernard les félicite de leur plus grande régularité et les engage à tendre tous les jours davantage vers la perfection religieuse et d s'efforcer de faire des progrès continuels dans cette voie.

 

A la très-chère communauté de Saint-Bertin,le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l’assurance de ses prières.

 

1. Du courage, mes chers amis! continuez dans la voie où vous êtes engagés, rien ne fait honneur au maître comme les progrès du disciple; quiconque n'en fait point à l'école de Jésus-Christ est indigne d'un tel maître, surtout quand on considère que dans la vie présente il n'y a rien qui demeure constamment dans le même. état, et qu'on ne peut que descendre dès lors qu'on cesse de monter. Que personne ne dise : Je veux demeurer comme je suis, il me suffit d'être aujourd'hui ce que j'étais hier. Parler ainsi, c'est vouloir rester en chemin et s'arrêter sur l'échelle où tous les anges que le patriarche y voyait, montaient ou descendaient (Gen., XXVIII, 12). Pour moi, je vous dis: « Prenez garde de tomber en ne croyant que vous arrêter (I Cor., X, 12). » La route que nous parcourons est étroite et montante, pas un endroit où se fixer; il n'y a que dans la maison du père de famille que nous pourrons trouver où nous arrêter tous; car celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ doit marcher comme Jésus-Christ a marché (I Joan., II. 6). Or, l'Évangéliste nous dit en parlant de lui: «Il croissait et avançait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes (Luc., II, 52). » Vous le voyez bien, au lieu de s'arrêter « il s'est élancé à pas de géant dans la carrière qu'il avait à parcourir (Psalm. XVIII, 6). » Si nous sommes bien inspirés, nous courrons après lui, nous le suivrons à l'odeur de ses parfums, et nous ne lui laisserons pas prendre une trop grande avance sur nous, de peur que la route ne devienne plus dangereuse et plus pénible à parcourir pour notre âme paresseuse et attardée, quand elle ne pourra presque plus sentir de loin l'odeur de ses parfums et reconnaître la trace de ses pas.

2. Courez donc, mes frères, mais de telle sorte que vous arriviez au but (I Cor., IX, 24). Or vous n'y arriverez qu'en vous persuadant bien que vous n'y êtes point encore, en ne comptant pour rien la route déjà faite, pour ne songer qu'à marcher en avant (Philip., III, 13), et en pratiquant enfin votre règle de manière à apaiser la colère de Dieu et à ne point périr en route. Vous savez ce que dit la Sagesse: « Celui qui me mange ne cessera d'être affamé, et celui qui me boit sera toujours altéré (Eccli., XXIV, 20). » Cela s'adresse au paresseux, qui mériterait d'être lapidé avec de la fiente de bœuf, comme dit le Sage (Eccli., XXII, 2), et qui doit comprendre à ces paroles que s'il n'éprouve plus les aiguillons de la faim, cela ne vient pas de ce qu'il est rassasié, mais uniquement de ce qu'il est engourdi par la paresse.

3. Enfin, puisque toute chose doit profiter aux élus, jetons les yeux sur la conduite des gens du monde et instruisons-nous à leur école. Vit-on jamais parmi eux un ambitieux borner ses voeux et ses désirs aux honneurs auxquels il était parvenu? entendit-on jamais un homme vain et envieux s'écrier: Mes yeux sont las de voir et mes oreilles fatiguées d'entendre? Quelle leçon pour notre tiédeur et notre insouciance que les insatiables désirs des hommes passionnés pour la richesse, les plaisirs ou la gloire ! N'est-ce point, en effet, une honte pour nous de voir que nous avons moins d'ardeur à nous procurer les biens spirituels que les gens du monde n'en ont à s'assurer les biens de la terre? Oui, toute âme qui s'est donnée à Dieu doit se sentir couverte de confusion en voyant qu'elle a moins d'attrait pour le bien qu'elle n'en avait jadis pour le mal. Et pourtant quelle différence entre l'un et l'autre! la mort est le prit du péché, et la vie éternelle la récompense de la vertu (Rom., VI, 23). Nous ne saurions donc jamais éprouver trop de honte en voyant que nous courons à la vie avec bien moins d'ardeur que nous ne volions jadis à la mort, et que nous sommes moins ardents à nous sauver que nous ne l'étions à nous perdre. Nous sommes même d'autant plus inexcusables que plus on s'avance dans les voies de la perfection, plus elles deviennent praticables et faciles, et que le joug du Sauveur est plus léger à mesure qu'on semble l'aggraver davantage. Il en est ainsi des petits oiseaux, les plumes qu'ils portent sont loin d'être un ire fardeau qui leur pèse. Si on les leur arrache, ils tombent de tout leur poids sur la terre. Ainsi en est-il de la discipline du Christ, à peine secouons-nous le fardeau léger de son aimable joug que nous sommes entraînés vers la terre, parce qu'il nous porte bien plus que nous ne le portons. Si le silence, par exemple, est pénible à quelques-uns, le Prophète leur apprend qu'il est au contraire à ses yeux un principe de force plutôt qu'une source d'accablement. « Votre force, dit-il, sera dans le silence et dans l'espérance (Thren., III, 26), » dans le silence, dit-il, et l'espérance, parce qu'il est bon d'attendre le Seigneur dans le silence. En effet, il n'est rien qui énerve l'âme autant que la douceur de la vie présente et qui la fortifie plus que l'attente des biens qui lui sont promis.

4. Je vous approuve donc beaucoup, mes très-chers frères, d'avoir enchéri sur le silence que la règle prescrit (a), puisque; d'après le Prophète,

 

a Saint Bernard regardait la pratique du silence comme éminemment favorable à la perfection religieuse, ainsi qu'on peut le voir dans la lettre quatre-vingt-onzième aux abbés assemblés à Soissons, et dans plusieurs autres endroits de ses écrits. Il n'y a pas lieu de s'en étonner beaucoup. Il serait plus surprenant an contraire que la vie religieuse pût subsister sans la pratique rigoureuse du silence. Aussi saint Bernard ne craint-il pas de l'appeler le gardien de la vie religieuse, clans son deuxième sermon pour le jour de l'octave de l'Epiphanie, n. 7. Mais hélas ! que l'amour du silence s'est refroidi depuis ce temps-là parmi la plupart des religieux!

 

le silence fait l'oeuvre de la justice (Isa., XXXII, 17), et de vous éloigner tous les jours davantage des pratiques du siècle, attendu que c'est cet éloignement même qui fait la pureté de la vie religieuse (I Cor., V, 6). Il faut si peu de levain pour que la pâte fermente, et si peu de mouches mortes pour enlever à l'huile son parfum (Eccle., X, 1) ! Ne serait-il pas dommage de ternir les mérites d'une vie remplie de tant d'exercices corporels et spirituels, par le mélange d'une indigne consolation, ou pour mieux dire d'une véritable désolation, et de s'exposer même à perdre ces trésors? On sait quel obstacle mettent aux douceurs des consolations intérieures et aux visites du Saint-Esprit des amusements aussi fugitifs qu'une légère vapeur qui s'évanouit en un moment. Pour nous qui faisons profession de la vie religieuse et qui devons, bon gré mal gré, passer notre existence dans un travail et des efforts continuels, nous sommes incontestablement les plus malheureux des hommes, si nous compromettons pour si peu le fruit de tant de peines. Quelle imprudence, ou, plutôt quelle folie de conserver encore une attache dangereuse pour clos bagatelles, quand on a renoncé à clos choses bien autrement importantes! Si nous avons foulé le monde aux pieds et rompu tous les liens de la chair et du sang, si en renonçant à notre propre volonté, nous sommes venus dans le cloître; comme dans une prison, nous soumettre à la volonté des autres, que ne devons-nous point faire pour ne pas perdre par notre tiédeur ou notre folie les fruits de pareils sacrifices ?

5. Courage donc, mes très-chers frères, apportez tous vos soins à persévérer jusqu'au bout dans la voie où vous êtes entrés ; faites tous les jours de nouveaux progrès et multipliez vos mérites sans trêve ni repos. Rappelez-vous que « celui qui sème peu récoltera peu, tandis que celui qui sème à pleines mains moissonnera de même (I Cor., IX, 6). » Pour peu que vous prodiguiez la semence, la récolte s'accroît au-delà de toute proportion. Pour moi, j'ai été si sensible à la bonne nouvelle de vos progrès, que j'ai cru, dans la joie et l’allégresse de mon âme, devoir écrire à votre charité dans les termes où je viens de le faire, pour vous exciter à la pratique des saintes et salutaires observances que vous avez embrassées; car, vous savez, « Dieu aime ceux qui lui donnent de bon coeur » ce qu'ils lui offrent. Priez pour moi et que Jésus-Christ vous ait en sa sainte garde.

 

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