LET. LXV-LXVIII
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LETTRE LXV. A ALVISE, ABBÉ D'ANCHIN.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE LXVI. A GEOFFROY, ABBÉ DE SAINT-MÉDARD (a)

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE LXVII. AUX RELIGIEUX DE FLAY (a).

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE LXVIII. AUX MÊMES RELIGIEUX, SUR LE MÊME SUJET.

 

LETTRE LXV. A ALVISE, ABBÉ D'ANCHIN.

 

Vers l'an 1129.

 

Saint Bernard le loue de la douceur toute paternelle dont il a fait preuve le l'égard de Goduin. Il s'excuse et lui demande pardon de l'avoir reçu.

 

A Alvise (a), abbé d'Anchin , Bernard , salut du fond de son coeur.

 

1. Que le Seigneur vous traite avec la même miséricorde que celle dont vous avez fait preuve à l'égard de votre saint fils Goduin. J'apprends qu'à la première nouvelle de sa mort, vous avez comme perdu la mémoire des griefs que vous aviez contre lui pour ne plus vous ressouvenir que de vos premières tendresses à son égard et vous conduire non pas en personne vindicative, mais en consolateur; mettant de côté le rôle de juge, vous avez agi en père comme les circonstances l'exigeaient; vous vous êtes empressé à lui rendre tous les devoirs de charité et de piété qu'un père doit rendre à son fils: il était impossible de mieux agir et de rien faire qui fût plus digne de vous et qui méritât plus de louanges. Mais qui eût pu s'attendre à cela? Il est bien vrai de dire « qu'il n'y a que l'esprit de l'homme qui sache ce qui se passe en lui (I Cor., II, 11). » Où Sont maintenant cette sévérité austère et cette indignation qui éclataient autrefois dans vos paroles, sur votre front et dans vos regards? A peine la nouvelle de sa mort vous est-elle annoncée que vos entrailles de père sont émues; on voit s'évanouir tous ces sentiments que les circonstances vous forçaient de feindre; ils étaient calculés et par conséquent passagers, tandis que ceux qui étaient les vôtres, la charité, la bienveillance et l'amour, ont brillé à nos yeux. Aussi peut-on dire que la miséricorde et la vérité se sont rencontrées dans votre pieuse âme où « la justice et la paix se sont donné un baiser (Psalm. LXXXIV, 11), » parce que la miséricorde s'est trouvée plus grande encore que la justice; car, autant que je puis m'en faire une idée, il me semble voir ce qui se passait dans votre coeur quand la vérité, brûlant de zèle pour la justice, se préparait à punir l'injure que vous croyiez avoir reçue. Le sentiment

 

a Cet Alvise dont il est encore question dans la lettre suivante, fut abbé d'Anchin sur la Scarpe, eu Belgique; en 1131, il devint évêque d'Arras, dont dépendait Anchin; c'est à lui, devenu évêque, qu'est adressée la lettre  trois cent quatre-vingt-quinzième. Voir aux notes, plus développées,

 

de miséricorde, qu'à l'exemple de Joseph vous aviez prudemment commencé par dissimuler, ne pouvant plus se contenir davantage, a éclaté tout à coup au grand jour comme celui de joseph, et, faisant cause commune avec la vérité, il a apaisé la colère et fait taire le ressentiment : la paix et la justice se sont réconciliées.

2. Il me semble qu'alors des sources pures et paisibles de votre coeur ont jailli, comme de limpides ruisseaux, des pensées telles que celles-ci Pourquoi serais-je encore irrité? mieux vaut avoir pitié de lui, se souvenir de ces paroles : « C'est la miséricorde et non le sacrifice que je veux (Os., VI, 6) , » et faire ce qui nous est ordonné par l'Apôtre « Travaillez avec soin à conserver l'union des esprits par le lien de la paix (Eph., IV, 3), » afin de pouvoir compter sur ces promesses dit Seigneur : « Heureux ceux qui sont miséricordieux, ils obtiendront miséricorde (Matth., V, 7). » Après tout, n'était-il pas mon fils? Pourquoi ce courroux A-t-il cessé d'être mon fils en cessant d'habiter avec moi ? en s'éloignant de mes yeux pour un temps, s'est-il donc également éloigné de mon coeur? La mort même a-t-elle pu me le ravir tout entier, et faut-il croire que les âmes qui s'aiment soient assujetties à la loi des corps et des lieux? Mais, j'en suis sûr, il n'est donné ni à la distance qui sépare deux endroits, ni à la mort ou à l'absence, qui s'en prennent aux corps, de séparer ceux qu'un même esprit anime et que l'amour unit ensemble.

Enfin, si « les âmes des justes sont entre les mains de Dieu (Sap., III, 1), » il faut bien dire que toits les justes sont unis ensemble dès à présent, soit qu'ils combattent encore dans la chair, sinon selon la chair, soit qu'ils aient déjà déposé le fardeau de la chair pour entrer dans leur repos éternel. Puisque vivant il était à moi, il n'a pas cessé de m'appartenir en mourant, et je le retrouverai clans notre commune patrie. Celui-là seul pourrait me séparer de lui qui serait capable de l'arracher des mains de Dieu.

3. Voilà comment votre coeur vous a fourni des excuses pour votre fils et â effacé ses torts à vos yeux; mais qu'a-t-il dit pour moi, mon père, quelle réparation pourrai-je vous faire agréer pour les torts que vous m'imputez parce que j'ai accueilli votre fils quand il vous a quitté; et que répondrai-je à vos reproches ? dirai-je que je né l'ai pas reçu? Je voudrais pouvoir le faire sans trahir la vérité; mais si je le dis, c'est un mensonge; et si je dis le contraire en ajoutant que j'avais des raisons pour le recevoir, il semblera que je veux me justifier; le plus simple serait d'avouer que j'ai eu tort de t'accueillir. Mais quel tort ai-je eu en le faisant? ce n'est pas que je veuille m'excuser; néanmoins je me demande quel homme aurait été assez dur pour ne pas le recevoir; aurait eu le coeur de laisser sa porte fermée à un saint religieux qui frappait pour se la faire ouvrir, ou de le forcer à repartir après l'avoir fait entrer?

Qui sait si Dieu n'a pas voulu suppléer à notre indigence par un emprunt fait à votre richesse et nous envoyer un de ces saints religieux qui se trouvaient en grand nombre auprès de vous à cette époque, pour consoler notre coeur sans cesser de contribuer à votre réputation ? car vous n'ignorez pas que « la sagesse d'un fils fait la gloire de son père (Prov., X, 1). » Au reste, je n'ai fait aucune démarche auprès de lui, je ne l'ai ni sollicité, ni circonvenu, ni attiré pour qu'il vous quittât et qu'il vint à nous; bien au contraire, Dieu m'en est témoin, je n'ai consenti à l'admettre, quand il me priait de le faire, quand il frappait à ma porte et me pressait de la lui ouvrir, qu'après avoir tout essayé pour vous le renvoyer, et ce n'est qu'en voyant que je ne gagnais rien par mes instances, que je me suis enfin laissé gagner aux siennes. Mais enfin, si j'ai eu tort de recevoir, et surtout de la manière que je l'ai fait, un religieux éloigné de son couvent et dépourvu de tout quand il s'est présenté à moi, vous pouvez bien me pardonner cette faute d'ailleurs unique quelque grande qu'elle soit, vous à qui il est ordonné de pardonner jusqu'à soixante-dix-sept fois sept fois à ceux qui vous offensent.

4. Mais, mon révérend père, je veux, que vous soyez bien convaincu que je ne puis me pardonner de vous avoir déplu un seul jour et de vous avoir causé de la peine. Dieu sait combien de fois en esprit, puisque je ne le puis de corps, je me jette à vos pieds et vous supplie à deus genoux d'oublier mes torts. Je voudrais que l'Esprit-Saint, qui peut-être m'inspire ces sentiments, vous fît sentir à vous-même, avec quelles larmes et quels regrets dignes de pitié je me prosterne en ce moment devant vous, comme si vous étiez là présent. Que de fois, les épaules découvertes, la main armée de verges comme si je n'attendais qu'un mot de vous pour frapper, je vous demande pardon et j'attends ma grâce en tremblant !

J'ai hâte, (b) mon père, d'apprendre de vous, s'il ne vous est pas trop pénible de m'écrire, que vous agréez mes excuses, afin que si vous êtes content de ma satisfaction, je goûte en paix la consolation d'avoir obtenu de vous mon pardon, ou que je m'impose de nouvelles humiliations; car il n'est que trop juste que je tente même l'impossible pour vous donner satisfaction pleine et entière. Adieu.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

 

LETTRE LXV.

 

43. A Alvise, abbé d'Anchin, monastère de Bénédictins sur la Scarpë, à deux milles de Douai. Ce monastère date de 1029, et fut d'abord nommé Saint-Sauveur; il était situé dans une île appelée Anchin et fut fondé par deux illustres personnages du nom de Sicher et de Gautier, sous l'épiscopat de Gérard II, évêque de Cambrai, dans le diocèse duquel ce lieu se trouvait situé alors. Voir Aub. de Mire, dans la Chronique de l'ordre des Bénédictins, chapitre 68. Or les religieux d'Anchin furent agrégés à la congrégation de Cîteaux, dont ils acceptèrent la réforme, en 1140, comme le rapporte Iperius dans sa Chronique de saint Berlin. « L'an de Notre-Seigneur 1110, dit-il, le monastère d'Anchin fut rameur à la régularité religieuse par dom Lambert, notre abbé; il profita pour cela des dissensions des religieux d’Anchin, qui en étaient venus au point de déposer et de renvoyer leur abbé. Voyant où en étaient les choses, Lambert réussit, par le moyen d'agents secrets, à leur persuader de mettre à leur tète, avec le titre d'abbé, un homme vénérables aussi distingué par la pureté de sa vie que par l'éloquence de sa parole, et qui pourrait relever leur monastère. Il leur suggéra la pensée de faire choix de dom Alvise, un de nos religieux qui avaient accepté la réforme; il gouvernait alors le monastère de Saint-Vaast. Devenu abbé d' Anchin, il réforma ce monastère avec l'aide et les conseils de Lambert, et le rendit matériellement et spirituellement si prospère que le nom de cette abbaye devint célèbre dans le monde entier, et que son abbé Alvise fut promu à l'évêché d'Arras. » Tel est le récit d'Iperius. Le nom et la gloire d'Anchin se sont encore accrus par le collège qu'y éleva, dans l'Académie de Douai, Jean Lentailler, très-digne abbé de cet endroit, et que, par un rare mais bien bel exemple de générosité, il donna aux Pères de la société de Jésus. Voyez la dédicace que le jésuite Jacques Baufrère, théologien et interprète distingué de l'Ecriture sainte, a placée en tête du Pentateuque (Note de Horstius).

 

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LETTRE LXVI. A GEOFFROY, ABBÉ DE SAINT-MÉDARD (a)

 

L'an 1129.

 

Saint Bernard le prie de le réconcilier avec l'abbé Alvise; il le console dans ses tribulations.

 

A dom Geoffroy, abbé de Saint Médard, le frère Bernard, supérieur indigne de Clairvaux, salut éternel,

 

Je vous prie d'abord de vouloir bien faire parvenir la lettre ci-incluse à l'abbé du monastère d'Anchin; et, dans l'occasion, né manquez pas de lui parler en faveur d'un ami absent dans le sens qu'elle vous indique; car s'il faut éviter de scandaliser personne, à plus forte raison dois-je le faire, quand il s'agit de ce bon père, sans me mettre en peine sil a ou non sujet de prendre du scandale. Peut-être aurait-il mieux valu que je m'en expliquasse avec lui de vive voix plutôt que par lettre; car, en pareil cas, les paroles sont généralement mieux reçues que les écrits et les lèvres sont plus éloquentes que le papier, parce qu'on peut lire dans nos yeux la sincérité de nos protestations; la plume lie rend jamais nos sentiments aussi bien que la physionomie.

Mais, ne pouvant de loin user de ce moyen, j'ai recours à vous pour donner toutes satisfactions possibles. Je vous prie donc et vous supplie de contribuer, puisque vous êtes en position de le faire avec succès, extirper le scandale du royaume de Dieu qui est en nous, de peur que si son ressentiment dure, ce qu'à. Dieu ne plaise, jusqu'au jour où les anges seront chargés d'arracher eux-mêmes le scandale, nous ne soyons l'un ou l'autre ou tous les deux ensemble perdus sans ressources.

Pour ce qui est des tribulations dont vous vous plaignez dans la lettre que vous m'avez écrite il y a quelque temps, vous savez qu'il est dit ; « Le Seigneur se tient auprès de ceux qui ont le coeur troublé (Psalm. XXXIII, 19). » Comptez sur lui, il a vaincu le monde; il sait au milieu

 

a Tous les exemplaires manuscrits ou imprimés que nous avons vus de cette lettre, à l'exception d'un seul, portent de Saint-Thierry. Nous avons remplacé ce titre par celui de Saint-Médard, que nous ne trouvons que dans le manuscrit de Corbie et dans le Spicilège, tome III. D'ailleurs, Geoffroy fut successivement abbé de Saint-Thierri, près de Reims, et de Saint-Médard de Soissons. C'est pendant qu'il était à la tête de ce dernier monastère que saint Bernard lui écrivit cette lettre, comme on peut le voir par la suite des lettres de notre Saint. En effet, elle est antérieure à l'année 1131, qui fut celle de Geoffroy fut élevé sur le siége épiscopal de Châlons-sur-Marne, après avoir été abbé de Saint-Médard depuis 1119 ; il avait été , auparavant, abbé de Saint-Thierri pendant huit ans. Sous lui eut lieu, à Soissons, le chapitre général des religieux de l'Ordre, dont il est parlé dans la quatre-vingt-onzième lettre de saint Bernard. — Voir aux grandes notes.

 

de quelles gens vous vous trouvez, et nul de ceux qui vous font de la peine n'échappe à ses regards. S'il vous expose à la tourmente de la persécution, c'est afin de vous faire mieux sentir sa protection au plus fort de la tempête. Adieu.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

 

LETTRE LXVI.

 

14. A. Geoffroy, abbé de Saint-Thierri. l'el est le titre de cette lettre dans tous les manuscrits, excepté; dans celui de Corbie, où on lit: Abbé de Saint-Médard de Soissons, avec cette épigraphe : A dom Geoffroy, abbé de Saint-Médard. Bernard, abbé indigne de Clairvaux, salut éternel. Mais cette différence est sans importance, puisque Geoffroy fut successivement abbé de ces deux monastères. Néanmoins il me sembla qu'on doit préférer le dernier titre au .premier, car Geoffroy était prieur de Saint Nicaise de Reims, lorsqu'en 1111 il devint abbé de Saint-Thierri, monastère situé dans les environs de la même ville : il gouverna cette abbaye, où il fit fleurir la régularité religieuse, pendant huit ans, après lesquels, comme on le voit dans la liste des abbés de Saint-Thierri, il fut fait abbé de Saint-Médard de Soissons, par ordre de Sa Sainteté apostolique Uvidon, le pape Calixte, et à la demandé du roi de France Louis VI. Son successeur à Saint-Thierri fut le vénérable Guillaume, un des plus grands amis de notre Saint. Enfin saint Bernard, ayant refusé l'évêché de Châlons-sur-Marne auquel il avait été appelé par le suffrage de tous les électeurs, fit nommer à sa place ce même Geoffroy, qui succéda ainsi, en 1131, à l'évêque Herbert, non pas, comme Albéric le dit dans sa Chronique, après la dédicace de l'église de Saint-Médard, que le pape Innocent fit le 35 octobre de cette même année, mais avant cette cérémonie, d'après la Chronique de Saint-Médard, où nous lisons que, le 1er octobre, avant la dédicace de l'église de Saint-Médard, le susdit pape Innocent, « nonobstant l'opposition de l'évêque de Soissons, bénit, étant encore à Orléans, Eudes en qualité d'abbé de ce monastère. »

Albéric rapporte la mort de Geoffroy au 27 mai dé l'année 1143 (a), d'après le Nécrologe de Saint-Thierri, où il est dit:« Le 27 mai, mort de Geoffroy, notre abbé, devenu évêque de Châlons-sur-Marne. » Dans la liste des anniversaires on voit « qu'il a légué trois prébendes dans le réfectoire, en bonnes oeuvres pour lui et pour Albéron, archevêque de :Reims, qui a rétabli les moines dans ce monastère. » On a dans la bibliothèque de Cluny une lettre de Geoffroy, adressée à Pierre le Vénérable et une réponse de ce dernier qui l'appelle « le premier propagateur, auteur et promoteur de l'ordre de Cluny, ou pour mieux dire de l'ordre divin lui-même dans la France entière. Il chassa, dit-il, l'antique dragon d'une foule de monastères où il avait établi le lieu de son repos; il est un des deux hommes (b) qui montrèrent le plus de zèle à tirer les maisons relu pieuses du profond sommeil et de la longue torpeur où elles étaient tombées; non-seulement il croit, mais il proclame à haute voix à quiconque veut l'entendre, qu'il ne voit pas de plus beaux modèles de vraie charité que ces deux hommes, à proposer à tous ses amis de la Gaule Belgique (c). » Il ne se peut faire un plus bel éloge d'un homme que celui-là; Pierre le Vénérable le termine en disant: « Enfin, je vous,recommande d'une façon toute particulière le frère de dom Garnier, mon sous-prieur et ami; qu'il me revienne comme le premier après avoir appris, à votre école, à être honnête, sage et instruit.» On voit par là que Geoffroy était un homme non moins instruit que sage, et qu'il unissait

 

a Les Actes des évêques de Chalons-sur-Marne la placent en 1142. Mais comme il fut élu au siège de Chalons en 1131 et qu'il l'occupa 12 ans, le récit d'Albéric nous paraît préférable.

b Lui et Saint Bernard qu'il faut même placer avant lui.

c Livre II des lettres de Pierre le Vénérable (Note 42 et 43).

 

l'instruction de la jeunesse aux fonctions du ministère épiscopal. Il assista, en 1140, au concile de Soissons, et il est nommé le troisième dans une lettre synodale adressée au pape Innocent, c'est la cent quatre-vingt-et-unième de la collection des lettres de saint Bernard (Note de Mabillon).

 

 

 

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LETTRE LXVII. AUX RELIGIEUX DE FLAY (a).

 

Vers l'an 1126.

 

Saint Bernard maintient qu'il a eu raison d'accueillir le religieux B..., attendu que le monastère auquel il appartenait lui était jusqu'alors inconnu et qu'il a eu d'excellents motifs pour en sortir.

 

A dom H..., supérieur du couvent de Flay et à ses religieux, les frères de Clairvaux, salut.

 

1. Nous apprenons par votre lettre que Votre Révérence est fort affligée que nous ayons reçu un de vos religieux parmi nous. J'ai bien peur que votre tristesse ne soit pas comme, celle dont l'Apôtre disait : « Elle est selon Dieu (II Corinth., VII, 9). » Vous n'auriez pas été si émus en nous écrivant, et vous n'auriez pas montré tant d'aigreur et de vivacité dans les reproches que vous nous faites, la première fois que vous nous 'écrivez, car nous ne sommes pas moins vos frères et vos amis même, si vous me permettez ce terme, quoique vous ne nous connaissiez pas et que vous ne nous ayez fait jusqu'à présent aucune observation de vive voix ou par écrit.

Vous êtes étonnés, dites-vous, que nous ayons reçu le frère Benoit b parmi nous, et vous nous faites entendre des menaces si nous ne nous hâtons do vous le renvoyer; vous nous rappelez que la règle défend de recevoir un religieux d'un monastère connu. Vous êtes sans doute persuadés que le vôtre est dans ce cas; peut-être s'y trouve-t-il pour le reste du monde; mais il est bien sûr qu'il n'y est pas pour nous. Vous 'nous dites que la réputation de votre communauté est répandue, que vous êtes connus à Rome même; il n'en est pourtant pas moins vrai, je ne sais comment cela se fait, que nous qui ne sommes pas à la même distance de vous que Rome, nous n'avons jamais entendu parler de vous, le moins du monde, ni de votre abbé et de ses religieux, ni même

 

a  Et non pas de Flavigny. Flay est une abbaye fondée par saint Germer dans le diocèse de Beauvais. A l'époque de cette lettre, Hildegaire, qui mourut vers 1125 ou 1126, eu était abbé. - Voir aux notes.

b  Dans les exemplaires imprimés, on trouve l'initiale G, et dans plusieurs manuscrits on voit un B. Celui de Corbie, qui est justement estimé, a le nom entier de Benoît; c'est d'après ce manuscrit que nous avons rétabli l'inscription de cette lettre de même que de plusieurs autres.

 

de votre maison, pas plus que de la sainteté de votre vie; nous ne nous rappelons pas qu'on ait jamais prononcé votre nom en notre présence. Nous ne nous en étonnons pas, car nous sommes séparés de vous par la différence des idiomes, par la diversité des provinces et par la distance des lieux. Non-seulement nous ne sommes pas du même diocèse, mais nous n'appartenons même pas au même archevêché.

Or nous pensons que la règle nous interdit seulement de recevoir les religieux des monastères que nous connaissons et non pas de ceux que d'autres que nous connaissent. Autrement il n'y aurait pas moyen, comme le bienheureux Benoit le permet et l'ordonne même, non-seulement de recevoir un religieux étranger et d'exercer envers lui l'hospitalité tant qu'il lui plaira de demeurer parmi nous, mais encore de l'engager à se fixer chez nous s'il nous paraît capable d'être utile à notre maison.

2. D'ailleurs nous avons tenu une autre conduite à l'égard du frère en question. Quand il s'est présenté en nous priant humblement de le recevoir, nous avons commencé par refuser de le faire, puis nous lui avons donné le conseil de retourner à son couvent. Au lieu de le suivre, il s'est retiré dans un lieu désert, non loin d'ici, et y a passé environ sept mois dans la retraite sans avoir jamais fait parler de lui en mal. Mais ne se croyant pas en sûreté dans cette solitude, il ne se tint pas pour battu par un premier échec, et nous réitéra la prière qu'il nous avait faite; nous lui avons cette fois encore donné le conseil de retourner à son monastère ; et comme nous lui demandions pour quel motif il l'avait quitté, il nous répondit que son abbé ne le regardait pas comme un religieux, mais comme un médecin (a). « Il faisait de moi, dit-il, et il était lui-même, dans ma personne, l'esclave non de Dieu, mais du monde; et pour ne point s'exposer à perdre les bonnes grâces des grands de la terre, il me forçait de donner mes soins à des tyrans, à des hommes violents et excommuniés. Je lui exposai tantôt en particulier, tantôt en public le danger que courait mon salut; mais l'ayant toujours fait en vain, je pris conseil de personnes sages et prudentes, et je quittai ma communauté, non pas pour fuir le couvent, mais pour échapper à ma perte. Je ne voulais qu'éviter la damnation éternelle et nullement me soustraire aux devoirs de ma profession. Ne rebutez pas une âme qui veut se sauver, ouvrez-lui, quand elle frappe à votre porte. »

A la vue de sa persévérance, comme nous ne trouvions rien à reprendre

 

a Autrefois les moines et les clercs exerçaient la médecine. Pour ce qui concerne les clercs, cela ressort des notes que Chrétien Loup a placées au bas de plusieurs lettres des conciles d'Ephèse et de Chalcédoine, pages 100 et suivantes. Quant aux moines, on en cite plusieurs preuves, dont la plus remarquable se lit dans Loup Ferrier, soixante-douzième lettre sur Didon, abbé de Sens. Le droit moderne interdit l'exercice de la médecine aux religieux aussi bien qu'aux ecclésiastiques.

 

en lui, et que nulle charge ne s'élevait contre sa personne, nous lui avons ouvert nos portes, nous l'avons soumis à un temps d'épreuve; puis nous l'avons admis à faire profession parmi nous, et maintenant il est des nôtres. Nous ne l'avons pas contraint d'entrer chez nous, nous ne le forcerons pas à en sortir. D'ailleurs, si nous en venions là, il est bien décidé, lui-même nous l'affirme, non-seulement à ne jamais retourner chez vous, mais à s'enfuir plus loin encore.

Cessez donc, mes frères, cessez de nous accabler de reproches immérités et de nous fatiguer de vos inutiles missives, car tous vos outrages ne sauraient nous amener à vous répondre autrement que les convenances l'exigent; et vos menaces ne nous empêcheront pas de garder chez nous un religieux que nous croyons avoir régulièrement reçu.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE LXVII.

 

46. Aux religieux de Flay, d'après les meilleurs manuscrits, et non pas, de Flavigny, comme le veulent à tort Horstius et plusieurs autres avec lui. Le contexte en fournit trois preuves irrécusables. En effet, saint Bernard dit dans cette lettre aux religieux auxquels il écrit: «Nous n'avons jamais entendu parler de votre maison, pas plus que de la sainteté de votre vie jusqu’à présent; » puis il ajoute. un peu plus loin : « Nous sommes séparés de vous par la différence des idiomes, par la diversité des provinces et par la distance des lieux; » et il termine en disant

« Non-seulement nous ne sommes pas du même diocèse, mais nous n'appartenons pas au même archevêché. » Or il est trop évident, pour entreprendre de le prouver, que ces ex

pressions ne peuvent point se rapporter à l'abbaye de Flavigny. .En effet, Flavigny est une ville de Bourgogne peu éloignée de Fontaines, où naquit saint Bernard, et peu distante de Clairvaux ; on y voyait une abbaye de Bénédictins qui se trouvait dans le diocèse d'Autun, de l'archevêché de Lyon, aussi bien que Clairvaux, et qui possédait les reliques d'une sainte reine ; d'où je conclus qu'il faut lire de Flay, Petit village du diocèse de Beauvais, sur l'Epte, où saint Germer fonda en 650 un monastère fameux de Bénédictins, qu'on appelle quelquefois abbaye de Flay, ou de Germer de Flay, ou simplement de Saint-Germer.

Quant au nom de l'abbé que saint Bernard indique seulement par la première lettre, à Dom H., abbé de Flay, je pense qu'il n'est autre que Hildegaire I, qui fut abbé de Flay depuis, 1106 jusqu'en 1123, comme on le voit dans le catalogue d'Acher faisant suite à Guibert. Pour moi, je pense qu'il était encore abbé en 1126. D'après la suite des lettres de notre Saint. Plusieurs pensent qu'il s'agit ;de l'abbé Hugues; mais c'est à tort, car on ne cite que deux abbés de Flay qui aient porté ce nom, l'un qui mourut en 1100, et l'autre qui succéda à Hildegaire II, et mourut en 1172; ils ne se trouvent par conséquent ni l'un,ni J'autre contemporains de saint Bernard en qualité d'abbés.

On cite parmi les religieux de cette abbaye plusieurs hommes qui se sont fait remarquer par leur piété et leur savoir, entre autres Raoul, qui fit un Commentaire sur le Lévitique en 912, et plusieurs autres encore qui brillèrent à l'époque des deux Hildegaire. L'un d'eux, nommé Guibert, devint abbé de Nogent près de Coucy-le-Château, jeta un très-vif éclat, ce qui permettait aux religieux de Flay de dire dans leur lettre à saint Bernard, comme celui-ci remarque qu'ils l'ont fait, que la réputation de leur maison était allée jusqu'à Rome (Note de Mabillon).

 

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LETTRE LXVIII. AUX MÊMES RELIGIEUX, SUR LE MÊME SUJET.

 

A mes révérends frères de Flay, l'abbé H…  et ses religieux, le frère Bernard, salut.

 

Mes bons frères,

 

Vous auriez dû vous montrer satisfaits de la manière dont nous avons répondu à vos plaintes, et ne pas continuer de vous attaquer à des gens qui ne vous ont rien fait : c'eût été de votre part une preuve de modération. Mais, comme à vos premiers torts vous en ajoutez de plus grands, comme vous essayez de jeter parmi nous de nouveaux germes de discorde qui, je l'espère, ne profiteront pas plus que les premiers, je veux répondre, de peur crue mon silence ne vous paraisse l'aveu d'une faute dont je ne me sens pas coupable; je ne dirai rien qui ne soit l'exacte vérité.

Notre crime, autant que j'en puis juger, et l'injustice énorme dont nous nous sommes rendus coupables à votre égard, c'est d'avoir reçu parmi nous un religieux qui nous est arrivé seul, de loin, dans un état à faire pitié, fuyant d'un endroit où son salut était en péril, cherchant à sauver son âme, frappant à notre porte et nous suppliant de la lui ouvrir; peut-être même le sommes-nous doublement maintenant de ne pas le renvoyer quand il ne nous a donné aucun motif de le faire ; après l'avoir accueilli dans les conditions que je vous ai dites, nous devrions sans doute détruire de nos propres mains ce que nous avons édifié et nous rendre prévaricateurs pour vous complaire. Voilà ce qui nous Valu les noms injurieux de violateurs de la règle, des saints canons et de la loi naturelle! Vous demandez avec indignation pourquoi nous nous sommes permis de recevoir parmi nous un religieux de votre maison et que vous avez même frappé d'excommunication, puisque non, ne souffririons certainement pas cela de personne.

Quant à l'excommunication, je ne puis vous répondre due ce due vous vous dites à vous-mêmes, car vous n'ignorez certainement pas qu'il était des nôtres avant que vous l'eussiez excommunié. S'il a été reçu selon les règles, c'est un religieux soumis à notre juridiction et non pas à la vôtre, que vous avez frappé de vos anathèmes; je vous demande si vous avez agi selon les canons.

2. Il reste maintenant à savoir , et c'est le seul point à éclaircir entré nous, si nous avons eu de bonnes raisons pour le recevoir.

Or, comme vous n'ignorez pas que la règle nous permet de recevoir un religieux qui nous arrive d'un monastère inconnu, vous soutenez que nous connaissions parfaitement le vôtre; nous protestons du contraire. Mais parce que vous ne nous croyez pas sur parole, faut-il que nous l'affirmions par serment? Eh bien, je prends Dieu à témoin que nous ne vous connaissions et ne vous connaissons pas. Pour nous, vous étiez tout à fait inconnus quand vous nous avez écrit, et vous l'êtes encore maintenant que nous répondons à votre lettre. Votre violence, il est vrai, et vos attaques ne sont pas pour nous un mystère ; mais vous n'avez pas cessé pour, cela d'être à nos yeux des inconnus. Mais pour nous convaincre d'une ignorance feinte et artificieuse, vous prétendez prouver invinciblement que nous vous connaissons puisque nous avons mis en tête de notre réponse le nom de votre abbé et de son monastère, comme s'il suffisait (le connaître le nom d'une chose pour connaître cette chose elle-même. Que j'ai donc de bonheur en ce cas de connaître les noms des archanges Michel, Gabriel et Raphaël, puisque c'est connaître en même temps ces esprits bienheureux eux-mêmes que de savoir seulement comment ils s'appellent.

Je n'ai vraiment pas moins de chance d'avoir entendu l'Apôtre prononcer le nom du troisième ciel, puisque sans y avoir été ravi, et rien que parce que j'en connais le nom, j'en possède en même temps les divins secrets, et j'en entends les choses ineffables que la bouche (le l'homme ne saurait répéter. Je suis vraiment bien simple, moi qui connais le nom de mon Dieu, de gémir tous les jours et de soupirer avec le Prophète, en m'écriant: « Je rechercherai votre face, ô mon Dieu (Psalm. XXVI, 8); » et: « Quand sera-ce que je paraîtrai devant vous , Seigneur (Psalm. XLI, 3) ? » «Découvrez-vous à nous; et nous serons sauvés (Psalm. LXXIX,4). »

3. Mais que voulez-vous dire quand vous nous accusez d'avoir agi à votre égard comme nous ne voudrions pas que vous le fissiez envers nous'? Auriez-vous la pensée que nous ne voudrions pas qu'on reçût dans un autre monastère un religieux sorti de chez nous? Ah ! plaise à Dieu que vous puissiez sauver sans notre concours toutes les âmes qui nous ont été confiées! Si jamais quelqu'un d'entre nous va vous trouver dans le désir de mener une vie plus parfaite et de suivre une observance plus sévère, non-seulement nous ne nous plaindrons pas que vous le receviez, mais nous vous prions instamment de le faire; au lieu de nous blesser, si vous le faites, vous nous rendrez un très grand service, je vous assure. Nous avons été induits en erreur, dites-vous, sur votre compte quand on nous a dit que pendant tout le temps que le frère B... est resté chez vous, il n'a donné les soins de son art aux séculiers et exercé la médecine que de votre consentement et même par votre ordre, et vous traitez de menteur celui qui nous l'a dit. Nous ignorons s'il a trahi la vérité; d'ailleurs c'est son affaire; mais ce que nous savons parfaitement, c'est qu'il n'a pu exercer la médecine comme il le faisait, de son propre mouvement, comme vous le dites, ou pour vous obéir, ainsi qu'il le prétend, sans exposer son âme aux plus grands dangers. Or, je vous le demande, n'y aurait-il pas de la cruauté à ne pas le tirer du péril quand on le peut et à ne pas le sauver quand on en connaît les moyens?

D'ailleurs si, comme vous le dites, ce n'est pas l'obéissance, mais l'amour du gain, le besoin de se répandre au dehors qui le poussaient à aller offrir partout, pour de l'argent, les ressources de son art, je me demande pourquoi il vous a quittés. Est-ce parce que ses supérieurs ne croyaient plus pouvoir lui permettre ce qu'on l'avait autorisé à faire jusqu'alors ? Mais en ce cas je vous demande comment il se fait que, lorsqu'il était déjà ici, vous lui promettiez, pour le déterminer à retourner parmi vous, que désormais il ne sortirait plus du couvent ; n'est-ce pas parce que vous vous rappeliez fort bien que tels étaient son désir et ses vœux ? A présent qu'il a trouvé ailleurs ce qu'il avait longtemps cherché en vain chez vous, il ne veut pas quitter le certain pour l'incertain; il s'en tient à ce qu'il a maintenant et ne veut plus d'un bien qu'on a trop tardé à lui offrir.

4. Cessez donc, mes frères, cessez de vouloir ramener parmi vous un religieux dont il est superflu que vous preniez soin; à moins, ce que je ne puis croire, que vous ne soyez plus préoccupés de vos intérêts que de ceux du Christ et que vous ne préfériez l'avantage que vous trouviez dans ce religieux au salut de son âme. Car s'il est vrai, comme vous le dites dans votre lettre, que, lorsqu'il était chez vous, il ne cessait d'être en camp volant, employant à son avantage, au mépris des obligations de son état et de la volonté de ses supérieurs, tous les profits qu'il tirait de l'exercice de son art, vous pouvez vous réjouir maintenant, si vous l’aimez véritablement, car par la grâce de Dieu, depuis qu'il est chez nous, il est devenu un tout autre homme. Nous vous certifions en effet qu'il n'a jamais profité des occasions de sortir qui ont pu se présenter; il reste tranquillement avec nous; il partage avec nous, sans faire entendre la moindre plainte, la vie pauvre que nous menons. Bien loin de regarder comme nuls, ainsi que vous le dites, les premiers engagements qu'il avait pris, mais qu'il n'a point observés chez vous, il les tient pour valides et il les accomplit tous sans exception avec une régularité et une obéissance parfaites, sans lesquelles on se ferait une grande illusion de fonder quelque espérance de salut dans la plus constante stabilité.

Cessez donc, mes frères, je vous en prie, cessez de nous en vouloir et de nous inquiéter; mais si vous nous refusez cette grâce, je vous déclare que dorénavant vous pourrez faire tout ce qu'il vous plaira, écrire et nous persécuter à votre aise, la charité supporte tout et nous sommes bien résolus à ne nous jamais départir à votre égard de la plus pure affection, du respect le plus profond et d'une tendresse toute fraternelle.

 

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