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LETTRE CCL. A BERNARD (a), PRIEUR DE L'ABBAYE DES PORTES.

LETTRE CCLI. AU PAPE EUGÈNE.

LETTRE CCLII. AU MÊME PAPE, CONTRE L'ARCHEVÊQUE D'YORK.

LETTRE CCLIII. A L'ABBÉ (a) DE PRÉMONTRÉ.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CCL. A BERNARD (a), PRIEUR DE L'ABBAYE DES PORTES.

 

Saint Bernard témoigne aux religieux de cette maison qu'ils ont eu tort de se blesser du refus que le Pape avait fait d'admettre le frère Noël, un des leurs, à l'épiscopal. Il proteste, qu'il n'est pour rien dans la conduite dit Pape, qui a craint que la jeunesse de ce religieux ne donnât lieu à la médisance.

 

A ses très-révérends Pères et bien-aimés seigneurs, Bernard, prieur des Portes et les saints religieux de sa maison, Bernard, abbé de Clairvaux, salut en Notre-Seigneur.

 

1. Je vois, dans une réponse de Votre Béatitude, qu'il m'est échappé dans une de mes lettres quelques expressions qui vous ont fait conjecturer que j'avais un sujet de mécontentement contre vous, et vous appréhendez vivement qu'il n'en soit en effet ainsi. Il n'en est absolument rien, et vous n'avez pas à craindre que votre serviteur, qui vous aime comme de vrais amis et vous considère comme autant de saints, éprouve jamais de pareils sentiments à votre égard, mes très-révérends Pères. Après tout, peut-être n'est-ce pas pour vous, mais pour moi, qu'en véritables pères vous avez craint que je ne fusse indisposé contre vous sans raison ou plus que de raison. A vrai dire, j'ai bien été un peu ému, sinon contre vous, du moins à votre occasion, mais pourtant d'une façon très-modérée, je vous assure ; si ce fut sans raison, je ne demande pas mieux que de le reconnaître, et j'espère que vous voudrez bien me le pardonner. Pour vous dire les sentiments qui m'animent, sachez que le zèle de votre maison me consume, vous ne sauriez m'en vouloir, et que je ne puis supporter tout ce qui est de nature, je ne dis pas à corrompre, mais seulement à ternir l'éclat de votre sainteté. Dans nu très-beau corps, non-seulement une plaie, mais la moindre tache est choquante; or je trouve que c'en est une dans un saint de sentir trop vivement une humiliation, c'en est même une, car c'est s'éloigner de la perfection, que de ne pas se réjouir et se glorifier d'être humilié

 

a C'est le second prieur de ce nom qu'ait eu le monastère des Portes. Evêquc de Bellay, il quitta son siège en 1142 et revint à sa chartreuse des Portes, où il succéda, avant l'année 1147, an premier prieur Bernard qui s'était. démis de sa charge. Voir là note de la lettre cent cinquante-trois. Quant à Noël, dont il est ici question, je n'oserais affirmer qu'il eût été proposé pour succéder à Bernard sur le siège de Bellay; en tout cas ce fut Guillaume qui devint évêque de cette ville après la retraite de Bernard, et il eut lui-même pour successeur Ponce, à qui succéda Antelme ou Nantelme, antre prieur du même monastère. On lui attribue la deux cent trente-quatrième lettre de la collection de Duchesne, adressée à Loues le Jeune au sujet de sa promotion.

 

lorsqu'on fait profession d'aspirer à une vie parfaite. Voilà ce qui m'a déplu dans votre frère Noël; je veux bien que son coeur ait été pur devant Dieu, il n'en devait pas moins faire en sorte qu'il parût en être ainsi même aux yeux des hommes.

2. Vous me direz que ce n'est pas lui, mais vous qui avez ressenti vivement cette humiliation. Cela n'y fait rien, car pour vous dire toute ma pensée, je ne vois pas que vous ayez eu d'autre raison de vous en attrister que la douleur qu'il en a lui-même éprouvée. Mais, je vous le demande, aurait-il dû se montrer si fortement impressionné par cette épreuve, surtout quand on songe combien peu sa conversion date de loin; car il me permettra bien de dire que, s'il a toujours eu des sentiments d'humilité dans lame, il n'en a pas eu la réputation avant son nouveau genre de vie. Je ne serais pas étonné que notre saint Père le Pape se fût conduit d'après cette réflexion quand il a refusé, comme vous dites, de ratifier son élection; pour moi, je crois qu'il s'est opposé à ce qu'il fût promu à l'épiscopat sitôt après qu'il avait embrassé la vie du désert, uniquement pour ne pas donner lieu aux mauvaises langues de dire qu'il n'avait pas eu d'autre ambition que celle-là eu se faisant ermite. En tout cas, quelle qu'ait été la pensée de notre saint Père le Pape, je vous certifie bien que, loin d'avoir agi à mon instigation dans cette circonstance, il a tout fait à mon insu, et que d'ailleurs, pour moi, j'étais disposé non-seulement à ne pas empêcher qu'il fût placé dans un poste où il pût faire valoir le talent de Dieu quand le moment en serait venu, mais encore à contribuer des deux mains, comme on dit, et de toutes mes forces à l'y faire parvenir; car je serais bien heureux si je voyais un jour, je ne dis pas tous les diocèses, mais seulement un certain nombre d'entre eux, si petit qu'il fût, administré par des prélats pieux et instruits. Je veux bien qu'on puisse trouver quelque chose à reprendre dans les années de sa jeunesse, mais ce qui était vieux est passé, tout en lui est renouvelé maintenant; la solitude a été pour lui comme un second baptême (a) en Notre-Seigneur; pourquoi ferai-je revivre à la mémoire des hommes des vices désormais enfouis dans le tombeau?

3. Quant à la lettre dure et désobligeante que l'abbé de Chézy (b) ou

 

a Saint Bernard, dé même que les autres Pères de l'Eglise, regardait la profession religiëuse comme un second baptême. On peut voir le développement de cette pensée dans le livre du Précepte et de la Dispense, chapitre 17.

b L'orthographe de ce mot diffère, dans les trois manuscrits de la Colbertine, de celle que nous donnons ici, Peut-être cet abbé de Chézy est-il le même que l'abbé Simon, à qui est adressée la lettre deux cent soixante-troisième. Il eut pour successeur Tes... dont le nom n'est indiqué que par les premières lettres ; Pierre de Celles, près de Troyes, en parle dans sa lettre quatorzième, livre II. On ne tonnait aucune lettre de lui contre les Chartreux: niais on en a plusieurs qui leur sont favorables.

 

celui de Troyes vous a écrite, j'en ai été très-peiné, et, à la première occasion, je me promets de le leur faire savoir très-nettement, quoiqu'en termes dont la charité ne saurait se blesser et que peut se permettre l'étroite liaison que leur sainteté m'a fait contracter avec eux. Mais je bénis Dieu qui n'a pas permis que vous fussiez vaincus par le mal et qui vous a donné au contraire la force de vaincre le mal par le bien en ne répondant pas à ces abbés sur le même ton qu'ils vous ont écrit, et en ne rendant point injure pour injure. Je vous prie de croire aussi que c'est contre mon gré et à mon insu que la lettre que vous m'avez écrite contre eux leur a été communiquée. Mais c'est assez sur ce sujet.

4. Laissez-moi maintenant vous parler de moi; l'étrangeté de la vie que je mène et les agitations de ma conscience m'obligent à réclamer vos prières. Je suis comme la chimère de mon siècle, ni clerc ni laïque; moine par l'habit et bien moins due religieux par la façon dont je vis. Il est inutile que je vous parle dans cette lettre des occupations qui m'absorbent et me consument, ni des périls auxquels on m'expose dans le monde ou plutôt des précipices oit l'on me pousse; on vous a sans doute appris toutes ces choses, mais si vous les ignorez, je vous prie de vous en informer afin de m'aider de vos conseils et de vos prières en voyant combien j'en ai besoin.

 

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LETTRE CCLI. AU PAPE EUGÈNE.

 

L’an 1147

 

Saint Bernard le prie de pardonner aux religieux de Baume (a) qu'il avait justement punis, et de les réconcilier avec ceux d'Autun.

 

A son bien-aimé Père et seigneur Eugène, Pape par la grâce de Dieu, Bernard, abbé de Clairvaux, l'hommage de son profond respect.

 

Les religieux de Baume ont commis une grande faute, il est vrai, mais ils en ont reçu le châtiment. Toute l'Eglise a loué votre zèle et vous a su gré d'avoir élevé la voix en cette occasion et sévi avec énergie au lieu de laisser passer les choses comme si vous n'en aviez

 

a Deux rescrits du pape Eugène, adressés l'un à Humbert, archevêque de Besançon, l'autre à Guillaume ou Guy, comte de Mâcon, nous apprennent de quelle nature était le crime dont les religieux de Baume, diocèse de Besançon, s'étaient rendus coupables. En effet, nous voyons dans ces rescrits que l'abbaye de Baume était réduite en simple prieuré, à cause du crime horrible, exécrable et inouï dont les religieux de cette maison s'étaient rendus coupables envers la sainte Eglise romaine dans la conduite qu'ils avaient tenue envers maître Osbert, son très-cher fils.. La lettre du comte de Mâcon, qui accepte la décision du Pape, ne laisse pas non plus de doute sur la faute de ces religieux. Les lettres du pape Eugène sont du 23 mai 1147 et datées de Paris; on les conservait dans tes archives de Cluny. Dans la suite le titre d'abbaye fut rendu au monastère de Baume.

 

point été instruit; car vous avez déployé un zèle digne de vous; mais si vous n'avez pas frappé pour guérir, si vous êtes implacable et sans miséricorde, quel espoir de guérison peuvent conserver ceux que vous avez frappés? J'espère donc avec confiance que la justice fera place à la miséricorde et que nous pourrons exalter l'une et l'autre également. Certainement le vicaire (a) de Jésus-Christ ne peut manquer de marcher sur les pas de son maître qui lui crie: « Celui qui me sert doit me suivre (Joan., XII, 26). » Or le Prophète a dit en parlant de lui: « Qui sait si Dieu ne se laissera pas fléchir et ne nous rendra point ses bonnes grâces (Joël,  II, 14)? » Votre dernière lettre nous donne lieu d'espérer qu'il en sera ainsi de vous; d'ailleurs vous ne sauriez confondre l'innocent avec le coupable. Vous ne pouvez donc refuser de faire grâce à ceux qui ont expulsé de leur maison les auteurs de l'attentat. Pourquoi ne le voudriez-vous pas quand ils vous ont obéi et se sont soumis au précepte que le grand Apôtre dont vous tenez la place leur donnait en ces termes : « Chassez le méchant du       milieu de vous ? » Ayez donc pitié d'eux, et que l'iniquité des uns ne cause aucun préjudice à l'innocence des autres. Si je parle ainsi, c'est que les religieux d'Autun ont porté à votre tribunal le jugement d'un différend qui s'est élevé entre eux et les religieux de Baume, et ces derniers ont peur qu'en cette circonstance le crime de quelques-uns des leurs ne nuise à leur bon droit. D'ailleurs je vous prie de travailler à les amener à un accommodement et de les réconcilier ensemble sur les bases d'une paix ,solide; car je leur veux du bien aux uns et aux autres, et je crois qu'une bonne paix est ce qu'ils ont de mieux à faire.

 

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LETTRE CCLII. AU MÊME PAPE, CONTRE L'ARCHEVÊQUE D'YORK.

 

Saint Bernard le presse de faire exécuter la sentence que le pape Innocent avait depuis longtemps portée contre l'archevêque d'York, s'il ne veut pas; en différant de le /aire, devenir responsable des crimes de ce prélat.

 

Trompé dans ses espérances, cet ambitieux exerce mille cruautés, et son désespoir se tourne en fureur. Il ressemble à l'homme de perdition de l'Ecriture, qui court lui-même à sa perte et qui hâte le coup de la sentence prononcée contre lui. On peut juger des excès qui l'ont fait

a Saint Bernard donne donc expressément le titre de vicaire de Jésus-Christ au Pape, que les anciens s'étaient contentés jusqu'alors d'appeler vicaire de saint Pierre, comme nous avons eu occasion d'en taire la remorque ailleurs.

 

condamner par ceux dont il se rend encore coupable tous les jours à la face du monde entier. Cet arbre épineux et maudit provoque la main qui doit le couper et appelle sur lui les coups de la cognée trop lente à le frapper. Hélas! n'aurait-il pas mieux valu le voir abattu plutôt que tous ces saints religieux (a) dont il n'aurait pas causé la perte injuste et cruelle s'il avait été coupé le premier? ils subsisteraient encore s'il n'était lui-même resté debout. Leur chute, il est vrai, relève plus encore ces saints religieux qui ont péri innocents et pour la bonne cause que leur triomphe n'aurait pu le faire, mais il n'en est pas moins vrai qu'on demandera un compte rigoureux de leur sang à ceux qui ont secrètement empêché ce mauvais arbre de tomber. Le sang précieux de tant de saints appelle la vengeance du ciel sur la tête de leurs persécuteurs, pendant que leurs âmes bienheureuses reposent dans le sein de Dieu à l'abri désormais des coups de leurs ennemis. Mais en attendant je sens mes propres entrailles comme déchirées et répandues par terre, mon âme est inconsolable. Peut-être trouverais-je quelque adoucissement à ma douleur si je pouvais l'exhaler librement; mais cette consolation même m'est refusée, car les paroles me manquent, mes lèvres sont muettes de chagrin, et ma voix expire dans les sanglots. Il ne me reste pour toute ressource que de vous supplier d'entendre ou plutôt de lire ce que je ne puis vous dire que sur le papier; je crains pour vous, hélas! que le triomphe de cet homme ne soit votre propre défaite et que tous les mauvais fruits de ce mauvais arbre ne vous soient un jour imputés à vous-même.

 

a Saint Bernard veut parler ici des violences accomplies par les partisans de l'intrus Guillaume, dans le monastère bénédictin de Wells en Angleterre; on les trouve rapportées tout au long dans l'histoire de cette abbaye par le moine Herlon. tome I de l'Histoire monastique d'Angleterre, page 747. Il est dit dans cet endroit que Guillaume ayant été éloigné de l'archevêché d'York par le pape Eugène, ses partisans fondirent sur le monastère de Wells, dont 'abbé fleuri leur était opposé. Ils mirent tout à feu et à sac, maltraitèrent les religieux et leur abbé, et ne leur laissèrent que la vie sauve. Saint Bernard va même jusqu'à donner assez clairement à entendre que plusieurs d'entre eux périrent sous les coups. Serlon ajoute que l'abbé fleuri, ayant été élu pour l'archevêché d'York, vint en toute hâte trouver saint Bernard à Clairvaux, d'où il se rendit à Trèves auprès du pape Eugène, qui le consacra et lui donna le pallium. De retour, il eut toutefois encore quelque difficulté à se faire accepter par ses ouailles pour légitime archevêque.

 

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LETTRE CCLIII. A L'ABBÉ (a) DE PRÉMONTRÉ.

 

Saint Bernard répond avec douceur aux plaintes amères des religieux de Prémontré, et leur rappelle tout le bien qu'il leur a fait. Il réfute ensuite un à un chacun des griefs qu'ils prétendent avoir contre lui, et finit par des protestations de constante amitié.

 

1. Je n'ai pu lire vos reproches sans frémir, votre lettre est d'une bien grande amertume; Dieu veuille que votre mécontentement soit moins fondé que terrible! Mais que me reprochez-vous? Est-ce de vous avoir toujours aimés, d'avoir constamment favorisé et développé votre ordre autant qu'il m'a été possible? Car voilà ce quo j'ai fait, et mes actes en font foi, si mes paroles n'ont pas la force de vous en convaincre. A vrai dire, je me flattais même au fond de l'âme que vous deviez me vouloir quelque bien; mais puisque vos paroles et vos écrits témoignent qu'il n'en est pas ainsi, souffrez que je parle à mon tour et que je le fasse avec toute l'autorité que donnent les faits quand on les a pour soi. Je sais bien qu'il est désagréable d'être obligé d'en venir, pour se justifier, jusqu'au point de paraître reprocher aux autres les services qu'on leur a rendus; je voudrais n'être pas réduit à une pareille extrémité, mais je le ferai pourtant, puisque vous m'y contraignez. Dans quelle circonstance ai-je négligé l'occasion de vous rendre service, à vous ou aux membres de votre ordre? En premier lieu, c'est nous qui vous avons donné Prémontré où vous vous êtes établis b; cet endroit était

 

a C'était Hugues, premier disciple de saint Norbert; il avait été chapelain de l'évêque de Cambrai, et succéda à saint Norbert dans le gouvernement du monastère de Préwontré. Il est parlé de lui en termes des plus flatteurs, non-seulement dans la Vie de saint Norbert, mais encore dans la chronologie de saint-Morien, par son homonyme Hugues d'Auxerre, et dans le livre III des Merveilles de la sainte Vierge, chapitre 6, 8 et 10, du moine Hermann de Laon. Le même auteur parle également de saint Norbert avec de grands éloges en différents endroits, mais particulièrement dans le chapitre 7, où il le place au-dessus de saint Bernard lui-même, tant parce qu’il fut fondateur d'ordre que parce qu'il institua des religieuses de son ordre, dont le nombre, du temps d'Hermann, était déjà de plus de dix mille. II a été assez longuement parlé de saint Norbert dans les notes des lettres trente-cinquième et cinquante-sixième. Il faut remarquer que cette lettre est la deux cent quatre-vingt-dix-septième dans plusieurs manuscrits où la deux cent cinquante-troisième était notre cent vingt-troisième avec la réponse de saint Bernard.

b Plusieurs historiens n'ont su comment expliquer ce que saint Bernard dit ici, attendu qu'on ne saurait douter que ce fut l'évêque de Laon, Barthélemy, qui donna à saint Norbert la première église de Prémontré, dédiée à saint Jean-Baptiste : il l'avait lui-même reçue, d'après Hermann, livre III, chapitre 4 déjà cité plus haut, des moines de Saint-Vincent de Laon, à qui elle appartenait. Mais le même auteur, témoin oculaire de ce qu'il rapporte en cette circonstance, fait mention a d'une autre église plus grande que la première, que l'abbé Hugues fit construire plus tard de l'autre côté de la montagne. L'emplacement où s'élevèrent l'église et le beau monastère y attenant était certainement, du moins en partie, un don de saint Bernard ou des religieux de Cîteaux, qui l'avaient reçu d'un moine nommé Guy. Quant à ce qui venait de Barthélemy, on peut voir à quoi cela se réduit dans sa lettre citée dans l'appendice. Voir également aux notes placées à la fin du volume.

 

à nous; un moine, nommé Guy (a), le premier qui se soit établi dans ce sa, lieu, nous l'avait donné du consentement de son évêque. En second lieu, si les religieux de Beaulieu (b) se sont agrégés à votre ordre, c'est à moi surtout que vous le devez. Baudouin, roi de Jérusalem, nous avait donné, de son vivant, un endroit appelé Saint-Samuel (c) avec mille écus d'or pour y bâtir une maison ; or, argent et fonds de terre, nous vous avons tout cédé. Bien des gens savent tout le mal que je me suis donné pour vous faire avoir l'église de Saint-Paul de Verdun, et vous en recueillez maintenant tous les fruits. Si vous en doutez, je puis vous montrer, en preuve de ce que j'avance, les lettres que j'ai écrites au pape Innocent d'heureuse mémoire; elles sont là comme les témoins vivants et les juges incorruptibles de ce que je dis. Vos frères des Sept-Fontaines (d) tiennent aussi de nous l'endroit qu'ils occupent et qu'on appelait précédemment Francs-Vals.

2. Pour quel motif, après cela, voulez-vous rompre avec nous qui sommes vos amis? Avez-vous donc envie de nous rendre le mal pour le bien et de violer, comme vous nous le faites craindre, la convention (e) qui

 

a Nous retrouvons le nom de ce moine dans l'histoire du monastère de Vicoigne, près de Valenciennes, rapportée au tome XII du Spicilège, page 534. II y est dit que Wuy ou Guy, . Breton d'origine et prêtre par le caractère, vivait à Prémontré à l’époque où saint Norbert y vint; cédant la place à plus digne que lui, il se retira à Vicoigne, où il fonda un monastère qu'il mit sous la conduite de Gautier, abbé de Saint-Martin de Latin.

 

b Beaulieu était un monastère de l'ordre de Prémontré, situé dans le diocèse de Troyes les religieux de Prémontré s'y établirent en 1140 à la place des chanoines réguliers qui l’occupaient auparavant. La lettre quatre cent septième de saint Bernard est adressée à un abbé de ce monastère appelé Eudes.

 

c Geoffroy s'exprime comme il suit en parlant de cet endroit, livre III, n. 22 de la Vie de saint Bernard : « Enfin tel qu'une vigne pleine de sève et de vigueur, son ordre étendit partout ses rameaux, il n'y eut qu'en Judée que saint Bernard ne voulut point envoyer de ses religieux, quoiqu'il y eût reçu du roi de Jérusalem un endroit convenable pour y bâtir un monastère; mais il redoutait pour eux l'influence du climat et les incursions des païens. » On peut voir la lettre cent soixante-quinzième au patriarche de Jérusalem, qui avait offert à saint Bernard l'endroit en question; et la lettre trois cent cinquante-cinquième par laquelle notre Saint recommande les religieux de Prémontré à la reine de Jérusalem. Pour ce qui est du monastère de Saint-Paul, se reporter aux notes de la lettre cent soixante-dix-huitième.

 

d C'était un monastère situé à Mont-Clair, dans le diocèse de Langres.

 

e Par une convention que rapporte Manrique, il fut arrêté en 1142, pour le bien de la paix, qu'on laisserait deux

lieues de distance entre chaque maison de Prémontré et de Cîteaux, et une lieue entre leurs fermes et leurs granges. Voilà pourquoi saint Bernard dit que la maison de l'abbaye de Basse-Font. n'était pas construite dans les limites convenues. Elle était située dans le diocèse de Troyes, et fut fondée eu 1143.

 

nous lie? Pourquoi nous menacer de rompre la paix entre nous, de vous séparer de nous et de n'avoir plus rien de commun avec nous? Mais passons: ce n'est pas pour le bien que je vous ai fait, mais pour le tort que je vous ai causé en recevant dans notre maison un de vos religieux nommé Robert, et en lui donnant l'habit, que je me suis attiré tout votre mécontentement. Je conviens qu'il est maintenant des nôtres : je croyais m'être déjà suffisamment disculpé en vous faisant connaître de vive voix, en plusieurs rencontres, pourquoi, comment et sous l'empire de quelle nécessité je l'ai reçu; mais puisque vous me paraissez si peu satisfaits de mes raisons et que vous vous obstinez à m'opposer les mêmes griefs, je vais vous redire par écrit ce que je vous ai déjà dit de vive voix.

3. Je n'ai jamais engagé le frère Robert à vous quitter ; au contraire, je l'ai détourné de ce projet pendant plusieurs années. D'ailleurs, comment pouvez-vous croire que j'aie eu la pensée de vous enlever ce religieux, quand vous savez que c'est moi qui ai vivement conseillé à maître Othon d'entrer chez vous? Demandez-lui ce qu'il en est, je le s. sais trop véridique pour craindre qu'il dise le contraire de ce que j'avance. Je pourrais en nommer beaucoup d'autres qui sont entrés chez a vous ou qui y sont retournés et que vous ne verriez pas aujourd'hui dans vos rangs si je ne les avais pressés et presque contraints d'y rester; si je ne le fais, ce n'est pas faute de noms que je pourrais citer, mais la liste en serait si longue que vous ne sauriez la lire sans en éprouver de la confusion. Je pourrais nommer certains de vos religieux que mes prédications avaient touchés et convertis qui avaient eu l'intention d'embrasser notre règle, et qui ne le firent pas parce que les vôtres les en détournèrent; mais qui ne furent pas plutôt entrés chez vous pour y faire profession qu'ils se repentirent de l'avoir fait, et, pour calmer les remords de leur conscience, conçurent la pensée de vous quitter; ils l'auraient certainement exécutée si je ne les en avais fortement détournés et si je ne leur avais fait comprendre qu'ils me feraient plaisir en restant chez vous comme je le leur conseillais vivement.

4. Mais enfin puisque vous me forcez à vous le redire encore, écoutez comment je me suis décidé à recevoir le frère Robert. Ce fut sur un ordre du souverain Pontife à qui ce religieux et ses amis avaient demandé cette grâce. Le Pape disait qu'il vous avait priés, vous et votre abbé, d'accorder à ce religieux la permission qu'il sollicitait et que vous l'aviez fait; ainsi vous ne pouvez dire qu'on vous a contraints de céder. Vous prétendez que tout cela est faux, que m'importe? C'est l'affaire du souverain Pontife. Accusez-le de fausseté si bon vous semble, tout saint pape qu'il soit, mais ne m'accusez pas, moi, car je suis seulement coupable d'avoir cru qu'on ne pouvait pas sans pécher ne point ajouter foi à la parole de Sa Sainteté et ne pas se soumettre à un ordre émané de si haut. D'ailleurs le vénérable abbé Godescalc, votre confrère, qui vous fut député par le souverain Pontife pour traiter de cette affaire, n'est pas disconvenu qu'il eût obtenu de vous la cession spontanée de ce religieux et l'entière liberté pour lui de se retirer où il lui plairait.

5. Quant à l'abbé Fromond, pourquoi me blâmer de l'avoir également reçu? je ne l'ai fait qu'après m'être assuré du consentement de son abbé; d'ailleurs vous n'ignorez pas qu'il en est ainsi, puisque dans la lettre pleine de fiel que vous m'avez écrite, vous ne me reprochez que de n'a, voir point attendu pour agir, que j'eusse été autorisé à le faire par le consentement du chapitre, comme si nous avions fait de cet assentiment une clause de notre arrangement et que l'émancipation d'un religieux ne fût pas plutôt du ressort et de la compétence de son abbé.

6. Vous ajoutez ensuite que nous avons fait démolir une de vos maisons de l'abbaye de Basse-Font, quoiqu'elle fût bâtie dans les limites voulues. Avaut de nous accuser, que n'avez-vous commencé par interroger vos confrères? ils vous auraient dit non-seulement qui a démoli cette mal son, mais aussi pourquoi on l'a fait abattre; car j'aime à croire qu'ils ne vous auraient pas déguisé la vérité sur ce point; mais, puisque vous ne l'avez pas fait, je vais moi-même vous l'apprendre, vous pourrez aller ensuite aux renseignements auprès d'eux si vous le- voulez. Ils avaient commencé la construction d'un bâtiment destiné à des religieuses de leur ordre, dans un endroit assez éloigné de leur abbaye, mais situé sur les confins de deux de nos fermes et dans le voisinage d'un pâtis où paissent nos brebis. Les traitant en amis qui nous avaient quelques obligations, nous les priâmes d'abord de ne pas laisser subsister pour ceux qui viendraient après nous une cause de procès et de brouille; mais ils n'en continuèrent pas moins de construire; voilà toute la violence qu'an peut nous reprocher en cette circonstance, et comment nous avons démoli une maison qui leur appartenait. Si c'est faire violence aux gens de les prier, évidemment nous sommes coupables de violence en ce cas.

7. La vérité, personne n'osera dire le contraire, c'est que l'évêque du lieu, indigné de voir qu'on se permettait de construire un oratoire sans sa permission dans son diocèse et d'élever une maison sans son aveu sur les terres de son Eglise et dans son propre fief, fit opposition à la continuation des travaux, qui n'en persistèrent pas moins à se poursuivre comme si de rien n'était. Plus tard, comme je passais par là, l'abbé de Basse-Font vint nie trouver et me dit qu'on avait cessé les bâtisses, non pas tant pour nous, comme j'ai pu le comprendre par ce qu'il me dit, qu'à cause du seigneur qui leur avait donné le terrain et qui leur cherchait une foule de chicanes et d'ennuis. Ils auraient bien pu renoncer à leur projet de construction par un motif de charité; ils n'auraient fait en agissant ainsi que ce due réclamaient d'eux leur profession et la reconnaissance qu'ils nous doivent. Pour moi, je ne puis m'expliquer ce qui a fait renaître cette querelle; cet abbé m'a paru nous aimer et nous affectionner jusqu'à la mort, et son successeur, qui est venu bien souvent et familièrement me voir toutes les fois qu'il a eu besoin de moi, ne m'a jamais fait la moindre plainte à ce sujet. Je suis descendu moi-même dans cette abbaye où. j'ai reçu l'accueil le plus amical, et jamais ni l'abbé ni les religieux ne m'ont parlé de cette affaire. Plus tard, j'eus l'honneur de vous recevoir à Clairvaux avec ce même abbé que dernièrement je revis à Bar, au moment où allait se tenir le chapitre de votre ordre dans lequel fut concertée la lettre de plaintes ou plutôt d'invectives que vous m'avez adressée. Or je ne me souviens pas que ni ici ni ailleurs votre abbé ou quelqu'un des vôtres ait fait devant moi la moindre allusion à cette affaire.

8. Vous vous plaignez encore de ce qu'un frère convers de l'abbaye d'Igny a incendié une petite maison d'un de vos frères de Braine (a). Une petite maison, dites-vous? peut-on appeler de ce nom un abri de branchages destiné au frère qui gardait la moisson et la récolte ? Encore ne l'a-t-i1 pas brûlé par malice, car j'ai su de bonne source qu'il n'a mis le feu à cette misérable cabane que parce qu'elle se trouvait dans un champ qu'on devait labourer et qui appartenait aux religieux d'igny. Après tout, c'est à peine si le. dommage a été estimé à un petit écu, et je crois qu'on a indemnisé l'abbé de Braine de manière à ce qu'il n'eût point à se plaindre et qu'il fût complètement satisfait; s'il ne l'est pas, veuillez me le faire savoir, je suis prêt à vous donner satisfaction pleine et entière. La preuve, c'est qu'à peine ai-je été informé que vous aviez à vous plaindre de l'abbé de Long-Pont (b), qui faisait construire dans un endroit trop rapproché de vous, que je lui ai ordonné de cesser, ce qu'il a fait sur-le-champ, du, moins je le crois; mais s'il n'en est rien, ayez la bonté de m'en donner avis, et il le fera.

9. Mais le plus grand de tous vos griefs, c'est que l'abbé de Villers, mon confrère, a fait interdire votre église de Saint-Foillan; peut-être devriez-vous vous en prendre à l'incroyable entêtement de votre confrère, l'abbé de Saint-Foillan (c), plutôt qu'à la sévérité dont le Pape n'avait

 

a Braine sur l'Aisne, à quatre lieues de Soissons, possédait une superbe abbaye de l'ordre de Prémontré, dédiée à saint Evode; non loin de là était l’abbaye d’Igny de l'ordre de Liteaux, dans le diocèse de Reims. L'abbé Humbert, à qui est adressée la lettre cent quarante et unième, était abbé d'Igny.

 

b Long-Pont, à deux lieues de Soissons et de Villers, en Brabant, diocèse de Namur, dont Faatrède, auteur d'une lettre rapportée dans l'appendice, fut abbé, étaient deux abbayes de l'ordre de Cîteaux.

 

c Saint-Foillan ou Saint-Foy était une abbaye construite près de Raux en Hainaut, à l'endroit où le saint Irlandais de ce nom souffrit le martyre. Elle a toujours appartenu à l'ordre de Prémontré. A cette liste des bienfaits que les religieux de Prémontré ont reçus de saint Bernard, on pourrait ajouter encore la cession d'un terrain situé dans la forêt d'Ourthe, que le roi de France, Louis le Jeune, « leur donna à la prière de dora Bernard de pieuse mémoire, abbé de Clairvaux, » comme le rapporte l'abbé de Saint-Marien d'Auxerre, dans sa lettre qui est la deux cent quatre-vingt-deuxième de la collection de Duchesne.

 

que trop de motifs d'user à votre égard; je sais bien que. la plupart d'entre vous désapprouvent son opiniâtreté, mais ce qui m'étonne beaucoup, c'est que vous ne soyez pas tous de leur avis. Eh bien, je vous engage à tourner votre ressentiment contre lui, car c'est uniquement lui qui est cause par son avarice et son entêtement que votre église ait été interdite. Il serait trop long de vous raconter cette affaire en détail, et les bornes d'une lettre ne sauraient se prêter au récit de tous les faux-fuyants auxquels il a eu recours ; je me contenterai de vous dire quelle fut la cause de cet interdit. Après avoir deux ou trois fois réglé cette affaire et fait publier au nom de vos abbés et des nôtres, selon le voeu de votre chapitre le jugement qui l'avait terminée, on s'adressa à l'évêque de Cambrai, dans le diocèse duquel Saint-Foillan est situé ; mais, voyant l'abbé s'opiniâtrer à ne tenir pas compte de ce qui avait été décidé, ce prélat feignit de vouloir le contraindre à se soumettre par une sentence ecclésiastique. C'est alors que votre abbé, pour gagner du temps, en appela au saint Siège. L'affaire y fut en effet portée; le Pape, convaincu par le témoignage de vos propres abbés et de vos confrères que l'abbé de saint-Foillan violait toutes les conventions et ne tenait aucun compte du jugement prononcé en cette affaire, fit interdire son église jusqu'à ce qu'il se soumit. Vous imites alors votre voix à la sienne pour me prier ainsi que l'abbé de Cîteaux, et vous fîtes tant par vos propres supplications et par les instances de vos amis, que vous nous obligeâtes, quand déjà l'évêque chargé de fulminer l'interdit était présent, à chercher quelque moyen d'arranger l'affaire; on le fit en l'absence de l'abbé de Villers, et on pria l'évêque de suspendre l'exécution des ordres du Pape, dans le cas où l'abbé de Saint-Foillan accepterait ce nouvel arrangement; mais à peine fut-il parti qu'au lieu de tenir compte de ce qui avait été convenu, non-seulement il garda la maison due le premier jugement et toutes les conventions l'obligeaient à démolir, comme il la démolit en effet pour la rebâtir ensuite en dépit de toutes les décisions contraires, mais encore il en fit construire une seconde à côté de la première. Après cela, en présence de cette dernière violation des traités, l'évêque chargé de fulminer l'interdit pouvait-il hésiter un moment à remplir le mandat qu'il tenait du saint Siège? Cependant me flattant toujours que je vaincrais le mal par le bien, j'ai fait différer la sentence jusqu'après l'octave de l'Epiphanie, dans l'espérance qu'il finirait par rentrer en lui-même et se déciderait à observer le jugement tel qu'il était ou à s'en tenir à quelque accommodement. Dieu veuille qu'il en soit ainsi, et qu'il accepte enfin la paix que j'essaie de lui procurer.

10. N'est-il pas permis d'inférer de tout cela que vous avez bien moins sujet de vous plaindre que nous? Mais tout ce que je demande, c'est que vous aimiez ceux qui vous aiment et que vous ayez fortement à coeur de conserver l'union des esprits dans les liens de la paix; je veux parler de ces liens que la concorde et la charité ont établis entre nous et qu'il ne vous importe peut-être pas moins qu'à nous de conserver intacts. Si vous êtes décidés à les rompre, vous agirez non-seulement contre vos intérêts, mais encore contre toute justice; car, en supposant que les griefs que vous avez contre moi soient fondés, il ne serait toujours pas juste que les torts d'un individu pussent nuire à l'intérêt commun. Pour moi, mes frères, vous aurez beau faire, je suis décidé à payer d'amour votre indifférence même. Que celui qui vent rompre avec un ami en cherche les occasions; je sens que)je ne puis et ne pourrai jamais ni donner à mes amis ni rechercher dans leur conduite une cause de rupture; car dans le premier cas ce serait agir en faux ami, et dans le second faire preuve d'une amitié bien froide. Mais, comme j'ai appris d'un prophète « qu'il est bon de vivre unis (Isa., XLI, 7), » je vous déclare que vous pourrez peut-être dénouer ou rompre même les liens qui vous attachent à moi; pour moi, je ne cesserai point de vous être uni, je le serai malgré vous, malgré moi-même, car ces liens de la charité qui m'attachent depuis longtemps à vous ne sont pas ceux d'une amitié feinte qu'il soit possible de rompre, ils sont indissolubles. Aussi plus je vous saurai animés contre moi, plus je vous montrerai un visage pacifique; si vous m'attaquez, je courberai le dos sous votre colère, de peur de le courber sous le joug du démon, et ne répondrai que par de bons procédés à toutes vos invectives. Je vous ferai    du bien malgré vous, .et votre ingratitude n'aura d'autre effet que d'augmenter mon bon vouloir; enfin votre mépris ne pourra réussir qu'à doubler les témoignages de mon respect. Je suis vivement peiné de vous avoir donné quelque sujet de chagrin et ne cesserai de l'être qu'après m'être assuré votre pardon : si vous tardez à me le donner, j'irai le mendier à votre porte, décidé à y rester le jour, la nuit même, jusqu'à ce que, vous forçant à céder à mes importunités sans fin ni trêve, je mérite de le recevoir on vous contraigne de me l'accorder. Déjà l'hiver est à demi passé, et je n'ai point encore reçu de vous la tunique (*) qui doit me mettre à l'abri du froid.

 

* Expression figurée qui désigne la charité.

 

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CCLIII

 

Nous vous avons donné Primontré ...... On n'est pas d'accord sur l'origine du nom de Prémontré. Ce qu'on lit à ce sujet dans François Alut, livre II de l'Histoire de la famille de Coucy, paraît tout à fait fabuleux.

Le père Cordon, de la société de Jésus, dit, à l'année II 16 de sa Chronique, que l'ordre de Saint-Norbert reçut le nom de Prémontré de ce que la règle en fut miraculeusement révélée d’avance à son fondateur.

Mais on voit que le nom de Prémontré était celui de la localité où s'éleva le monastère de ce nom, par un passage du chapitre XVII de la Vie de saint Norbert, où il est dit « qu'il choisit un lieu tout à fait solitaire et désert, que les anciens appelaient Prémontré. » C'est ce qui ressort également du récit d'Hermann, que nous rapporterons plus loin.

Pour ce qui est de la donation de Prémontré, il semble que ce que dit saint Bernard, qui se l'attribue dans cette lettre, est en opposition avec le titre (a) de fondation de l'abbaye de Prémontré, fait au nom de Barthélemy, évêque de Laon. D'après ce titre, Prémontré appartint d'abord aux religieux de Saint-Vincent; un de leurs abbés, nommé Adalbéron, le donna à Barthélemy, évêque de Laon; celui-ci, ayant été confirmé dans la possession de Prémontré par le successeur d'Adalbéron, nommé Sigefroy, en disposa plus tard en faveur de saint Norbert. Ces faits se trouvent confirmés par le passage suivant d'Hermann, chapitre IV du livre III de l'histoire des merveilles de la sainte Vierge: « Etant donc arrivés, dit-il, au lieu dit Prémontré, ils entrèrent, pour prier Dieu, dans une église construite en cet endroit en l'honneur de saint Jean-Baptiste et dépendant du monastère de Saint-Vincent-de-Laon... » C'est ce qui a fait dire à un écrivain moderne, dans ses notes à la Vie de saint Norbert, chapitre III, qu'il ne pouvait s'expliquer comment saint Bernard s'attribuait une donation qu'avaient faite les religieux de Saint-Vincent par l'entremise de leur évêque, nommé Barthélemy. Mais quand même on pourrait alléguer trente-six passages pareils à celui-ci, ce que dit saint Bernard n'en demeurerait pas moins d'une incontestable autorité; d'ailleurs avec un peu d'attention il est bien facile de tout concilier.

On sait en effet que le monastère de Prémontré ne se trouvait plus alors au même endroit où dans le principe saint Norbert l'avait fondé; mais sur le versant opposé de la montagne, où l'avait reporté le successeur même de saint Norbert, l'abbé Hugues, à qui cette lettre est adressée. Hermann, à l'endroit cité plus haut, rapporte que saint Norbert avait prévu la translation de son monastère; il la raconte en ces termes, chapitre X: « L'abbé Hugues, voyant que l'église de Saint-Jean-Baptiste qu'il tenait des religieux de Saint-Vincent, comme il  est dit chapitre IV, était trop petite et ne pouvait plus contenir la foule tous les jours plus considérable des personnes qui se rendaient dans ce monastère et sachant que saint Norbert avait prévu, comme on l'a dit plus haut, qu'on serait obligé d'en construire une plus grande de l'autre côté de la montagne, réunit tous ses religieux pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire, et pria monseigneur Barthélemy de vouloir bien, en qualité de père et de fondateur de la maison, venir poser la première pierre de la nouvelle église, quand on eut préparé tous les matériaux nécessaires pour la construire. »

Ainsi le premier emplacement ou la première église de Prémontré a été donné à saint Norbert et à ses religieux par nos frères de Saint-Vincent, ce qui n'empêche pas que le second emplacement ne soit un don de saint Bernard, qui l'avait reçu de l'ermite Guy.

On peut lire sur ce sujet deux lettres de l'abbé Philippe de Bonne-Espérance, auxquelles il semble que saint Bernard se soit proposé de répondre dans cette lettre (Note de Mabillon).

 

a Le titre de fondation de Prémontré se trouvait dans la bibliothèque de Prémontré, et dans les notes à Guibert.

 

 

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