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LETTRE CCCXXXIX. AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CCCXL. AU MÊME PAPE INNOCENT.

LETTRE CCCXLI. A MALACHIE ARCHEVÊQUE D'IRLANDE.

LETTRE CCCXLII. A JOSSELIN, ÉVÊQUE DE SOISSONS.

LETTRE CCCXLIII. L'ABBÉ BERNARD D'ITALIE AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CCCXLIV. DU MÊME BERNARD A SAINT-BERNARD.

LETTRE CCCXLV . AUX RELIGIEUX DE SAINT-ANASTASE (a).

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CCCXXXIX. AU PAPE INNOCENT.

 

L’an 1140

 

Saint Bernard prend la défense d'Alvise, évêque d'Arras contre les calomniateurs de son innocence.

 

A son très-cher père et seigneur Innocent, par la grâce de Dieu souverain Pontife, Bernard, abbé de Clairvaux, l'hommage de son néant.

 

Je ne trouve ni surprenant ni nouveau que les hommes puissent être trompés et trompeurs , mais comme c'est un double mal qu'il faut éviter, l'Ange du grand conseil nous en suggère deux moyens quand il nous dit : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes (Matth., X, 15). » La prudence empêchera que vous ne soyez induit en erreur, et la simplicité nous mettra hors d'état d'y induire les autres. Les religieux de Marchiennes (a) ont été se présenter devant vous, conduits par un esprit de mensonge et d'erreur, pour attaquer le Seigneur et son Christ, en accusant injustement, à votre tribunal, l'évêque d'Arras, dont la vie est partout en odeur de sainteté. Qu'est-ce donc que ces hommes à la langue mordante, qui savent donner au mal la couleur du bien et le nom de ténèbres à la lumière? Qu'est-ce que ces gent qui, en dépit de la loi, disent des injures à un muet et placent méchamment une pierre d'achoppement sur le passage de l'aveugle (Levit. XIX, 14)? Pourquoi, monseigneur, vous indigner contre votre fils, et faire la joie de ses ennemis? Auriez-vous donc oublié cette recommandation de l'Apôtre : « Ne vous fiez point à tout esprit, assurez-vous d'abord s'il est de Dieu (I Joan., IV, 1) ? Quant à moi, j'espère bien que Dieu confondra leurs projets et fera tourner leur imposture contre eux-mêmes, en permettant à la vérité de se faire jour et de mettre le mensonge en fuite. J'ai entendu, de mes propres oreilles, raconter le zèle et la constance dont il a fait preuve en présence du roi de France et des grands de sa cour pour la défense de l'Eglise de Rome, Il se propose, dans l'innocence de son âme, d'aller un jour se présenter à vous; mais, en attendant, il vous a député son archidiacre qui s'est chargé de vous remettre cette lettre. Je vous prie d'accueillir avec votre bonté ordinaire cet envoyé, qui est aussi recommandable par son mérite que par le rang qu'il occupe. Je sais d'ailleurs que l'abbé (b) de Saint-Waast est allé vous trouver, c'est un homme qui n'a pas de plus grand ennemi que lui-même, et qui n'est pas moins redoutable à ses religieux qu'à son abbaye; je ne sais de quel front il prend le titre d'abbé, car il est bien plus préoccupé de ses intérêts que de ceux de Jésus-Christ. Quant au religieux G..., qui l'accompagne, on peut dire que c'est un digne fils d'un tel père; il a si peu ménagé son propre honneur et si bien foulé sa conscience aux pieds, qu'il est devenu la fable et la risée de tout son voisinage. Que l'esprit de vérité nous fasse discerner la lumière des ténèbres, favoriser le bien et réprouver le mal,

 

a Abbaye de Bénédictins, située sur la Scarpe, dans le diocèse de Tournai. Elle fut fondée an septième siècle par sainte Rictrude.

 

b C'était Gautier, qui eut pour successeur, en 1147, l'abbé Guérin, dont il est parlé dans la lettre deux cent quatre-vingt-quatrième. La Gallia christiana constate à son honneur que le pape Innocent ne décréta rien contre lui.

 

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LETTRE CCCXL. AU MÊME PAPE INNOCENT.

 

L’an 1140

 

Pour l'évêque d'Angers.

 

A son très-aimé père et seigneur Innocent, parla grâce de Dieu, souverain Pontife, Bernard, abbé de Clairvaux, l'hommage de son néant.

 

Il faudrait avoir perdu toute sensibilité d'âme et dépouillé tout sentiment humain pour voir d'un oeil indifférent l'âge avancé de l'évêque d'Angers (a), les travaux qu'il a entrepris, les périls qu'il a courus. Pour moi, je ne puis penser, sans me sentir ému jusqu'au fond des entrailles, à ce vieillard, à qui on ne peut adresser qu'un seul reproche, que sa vie tout entière et son savoir rendent vénérable à mes yeux. Ignorant ce qui s'est passé entre lui et la maison religieuse avec laquelle il est en procès, je n'ose me permettre de vous rien écrire sur ce sujet. Mais pourtant, s'il est démontré qu'il a rempli ses engagements, je ne vois pas ce qui peut s'opposer à ce qu'il soit rétabli dans la plénitude de vos bonnes grâces et dans l'exercice de ses fonctions.

 

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LETTRE CCCXLI. A MALACHIE ARCHEVÊQUE D'IRLANDE.

 

L’an 1140

 

Saint-Bernard le remercie des moines, de la lettre et du bâton qu'il lui a envoyés; il lui recommande de disposer un lieu convenable pour recevoir des religieux et se recommande à ses prières.

 

A son vénérable seigneur et bienheureux père Malachie, par la grâce de pieu archevêque d'Irlande (b) et légat du saint Siège, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, voeux ardents qu'il se rende agréable au Seigneur.

 

1. Au milieu des inquiétudes sans nombre dont je suis agité, des sains et des tracas dont la multitude m'empêche presque de savoir où

 

a Il se nommait Ulger, c'est le même que celui à qui est adressée la deux centième lettre

 

 

b Usher cite cette lettre parmi les irlandaises et il prouve contre Jean Picard que les évêques d'Armagh reçurent le nom d'archevêque et tirent actes de métropolitains longtemps avant d'avoir reçu le pallium, qui ne leur fut accordé qu'en 1150. Usher a montré un très-grand étonnement qu'on eût donné le titre d'archevêque à Malachie, qui avait déjà depuis plusieurs années, renoncé à son archevêché pour prendre en mains l'administration du diocèse des Dunes (voir sa Vie, chap. XIV). Mais il est aisé de répondre à cela que saint Bernard a pu lui donner le titre d'archevêque parce qu'il en avait eu précédemment la dignité, et ne plus lui donner ensuite dans ses autres lettres que le titre d'évêque.

 

donner de la tête, les religieux que vous m'envoyez de si loin pour que je les forme au service de Dieu, votre lettre et le bâton dont vous me faites présent, ont été pour moi un sujet de consolation. Votre lettre m'est en effet un gage de votre affection; le bâton qui vous me destinez soutiendra le poids de mon corps, que les infirmités ont alourdi; enfin la vue de vos religieux me fera du bien, à cause de leur humilité dans le service de Dieu. J'ai reçu tous vos présents, et tous me sont aussi agréables qu'utiles. Pour ce qui est du désir que je vous envoie deux de vos religieux pour vous aider à faire choix d'un endroit convenable, je n'ai pas cru, après en avoir conféré avec mes frères, devoir vous les envoyer avant les autres, il vaut mieux attendre que Jésus-Christ soit complètement formé en eux, et qu'ils soient eux-mêmes tout à fait aguerris aux combats du Seigneur. Mais quand ils auront été instruits à l'école du Saint-Esprit et revêtus de la force qui vient d'en haut, alors ils iront retrouver leur père, pour chanter les cantiques du Seigneur, non plus dans une terre étrangère, mais dans leur propre patrie.

2. En attendant, faites choix, avec là sagesse que Dieu vous a départie, d'un endroit isolé du monde et pareil à ceux que vous nous avez vus préférer, pour l'établissement de nos maisons ; car le jour approche où avec la grâce de Dieu, je pourrai vous renvoyer des hommes nouveaux à la place de ceux due vous m'aviez confiés encore revêtus du vieil homme. Je ne saurais assez bénir le Seigneur qui a permis que vos enfants devinssent aussi les miens, que mes exhortations fussent comme la rosée répandue au pied des jeunes plantes que vos prédications avaient plantées, et auxquelles le Seigneur a donné ensuite l'accroissement. Je prie Votre Sainteté de s'appliquer à la prédication de la parole de Dieu; et à l'instruction de son peuple, c'est une double nécessité pour vous, parce due vous êtes évêque et légat du saint Siège. Il est dit en général : « Nous tombons tous dans une multitude de fautes (Jacob., III, 2). » Mais moi, répandu comme je le suis au milieu du monde, j'y ramasse une quantité de poussière; aussi me recommandé je particulièrement à vos prières et à celles de vos amis. Demandez pour moi à Celui qui dit. un jour à Pierre: « Si je ne vous lave les pieds, vous n'aurez point de part avec moi (Joan. XIII, 8), » qu'il daigne me laver et me purifier dans les eaux de la miséricorde. Voilà ce que je réclame de vous avec instance ou plutôt ce que j'exige comme le paiement d'une dette à raison des prières due je ne cesse d'adresser pour vous au Seigneur, si toutefois la voix d'un pécheur peut s'élever jusqu'à lui. Adieu en Notre-Seigneur.

 

a Ce fut plus tard l'abbaye de Monaster-Mohr, fondée en 1141, au diocèse d'Armagh ; elle eut pour premier abbé un religieux du nom de Chrétien, dont il est parlé au n. 3 de la lettre trois cent cinquante-septième. On peut consulter sur cette abbaye les Actes de saint Malachie et la Vie de saint Bernard, ainsi que la lettre deux cent cinquante-quatrième du tome IV de Duchesne.

 

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LETTRE CCCXLII. A JOSSELIN, ÉVÊQUE DE SOISSONS.

 

L’an 1140

 

Saint Bernard prie cet évêque d'apaiser le roi qui était irrité contre l'archevêque de Bordeaux.

 

A son très-vénéré seigneur et bien-aimé père Josselin, par la grâce de Dieu évêque de Soissons, Bernard, abbé de Clairvaux, vieux ardents qu'il se rende agréable au Seigneur.

 

1. C'est un malheur pour un royaume et pour les grands qui le gouvernent qu'un roi cède à la fougue de son caractère et ne se possède pas assez pour dérober au public le secret des desseins qu'il n'a pas concertés avec assez de maturité. Aussi ne huis-je trop vous dire combien je suis heureux en voyant toute la confiance que le roi a en vous ; car je sais que votre dévouement au roi et à l'État est inséparable en vous des qualités d'un bon conseiller. L'ordre et la raison veulent, en effet, que le conseiller d'un roi réunisse an même degré le dévouement et la prudence; tout est là pour lui; avec ces deux qualités il ne peut manquer d'ètre d'un bon conseil et de donner une bonne direction aux entreprises d'un prince; mais si le dévouement fait défaut à la prudence, ou la prudence au dévouement, malheur à l'État surtout dont le roi est jeune encore. Que Dieu me préserve d'avoir jamais pour conseillères des personnes dont la prudence n'est pas égale au dévouement, ou dont le dévouement manque de prudence. Dans une pareille occurrence, le malheureux Adam perdit ses droits à l'immortalité, pour avoir cédé aux conseils d'une épouse aussi imprudente que dévouée, et du serpent dont la prudence n'avait pas le dévouement pour règle.

2. Or je vous demande d'où vient que le roi mon maître prend à partie, sans raison, l'archevêque de Bordeaux (a)? Est-ce vous qui le conseillez en cette circonstance ? Que Dieu vous garde de le faire et moi de, le penser! Que reproche-t-on à ce prélat? Lui fait-on un crime d'avoir observé les canons en consacrant un évêque (b), que tout Poitiers a élu d'une voix unanime, sans trouble ni cabale ; ou bien le trouve-t-on en défaut de n'avoir pas voulu ravir aux pauvres et aux églises de Poitiers l'argent qu'un de leurs concitoyens leur avait légué en mourant? Ah ! si c'est un tort de donner un pasteur à des brebis errantes, de ne pas dépouiller la veuve et l'orphelin, de maintenir intacts les

 

a C'était Geoffroy de Lorroux; il n'était pas encore évêque à l'époque où saint Bernard lui écrivit sa lettre cent vingt-cinquième. C'est à tort que dans plusieurs éditions celle-ci a ces mots pour suscription : A Jean.

 

b C'était Grimoard,ex-abbé de Sainte-Marie-des-Allois. Louis VII refusa pendant quelque temps de ratifier sou élection qui date de 1140.

 

privilèges du saint Siège, à la bonne heure, qu'on le condamne, il est sans excuse. Mais quel conseil indigne de ce nom que celui pour lequel la justice est un crime, et l'innocence une faute ! Prenez garde : vous êtes évêques, cette affaire vous touche de près, et l'incendie qui dévore la maison de votre voisin menace aussi la vôtre.

3. Quoi qu'il en soit, je vous déclare, à vous qui approchez du roi de plus près que les autres, et comptez pour beaucoup dans les résolutions auxquelles il s'arrête, que vous devez employer toute votre influence dans l'intérêt de tous les évêques vos frères, à calmer l'emportement du roi; car je vous déclare que vous avez affaire avec un homme résolu, puissant en oeuvres et en paroles, qu'il est bien difficile de faire renoncer à son droit. Il jouit d'une très-grande influence dans son pays et, si on l'inquiète, vous verrez beaucoup de gens se mettre de son parti. Prenez donc garde de jeter de l'huile sur le feu, cherchez plutôt à éteindre l'incendie dès le début. Vous savez qu'il est bien tard de songer au remède quand on a laissé au mal le temps de se développer.

 

LETTRE CCCXLIII. L'ABBÉ BERNARD D'ITALIE AU PAPE INNOCENT.

 

L’an 1140.

 

L'abbé Bernard se plaint ait Pape de ce que les choses ne se pas faites selon sa promesse, dans l'abbaye de Saint-Sauveur.

 

Au très-regretté seigneur et bien-aimé père Innocent, par la grâce de Dieu souverain Pontife, son serviteur Bernard, la prière et les voeux des pauvres.

 

Mon âme est dans la perplexité; d'un côté, le respect lui fait un devoir de garder le silence, et de l'autre, la nécessité lui en fait un de le rompre. Je parlerai donc à mon seigneur, quoique je ne sois que cendre et poussière; mais je parlerai dans toute l'amertume de mon âme, car si c'est à vous, monseigneur, c'est en même temps de vous que je me plains; je le fais dans l'ombre et le secret, mais la cause de mes plaintes n'est que trop manifeste. Sur votre ordre formel et d'après la lettre que vous avez écrite à votre serviteur, notre père (Saint Bernard) , je me suis rendu au monastère de Saint-Sauveur (a); or je vous le demande, que sont devenues les espérances que vous m'aviez données et les promesses que vous aviez faites? J'ai passé par l'eau et par le feu; j'y aurais certainement péri si Dieu ne m'avait point assisté. Quels dangers n'ai-je point courus au milieu des voleurs et sur les fleuves, dans les cités les

 

a Ce monastère subsistait encore du temps de Mabillon, à huit milles de l'abbaye de Farta, dont il dépendait, et servait de maison de campagne aux religieux de Farta qui s'y retiraient pendant les grandes chaleurs de l'été. Voir la lettre cent quatre-vingt-quatrième et ses notes.

 

plus populeuses et dans les lieux les plus déserts! Que de fatigues ai-je essuyées sur terre et sur mer enfin, sans trouver nulle part une main secourable! Toutes ces épreuves ont fondu surmoi et je n'en vois pas encore la fin. Un mot de votre main a suffi pour m'arracher du sein de ma mère où je goûtais toutes sortes de consolations, et pour me tirer du séjour de bonheur à l'entrée duquel vous avez, seigneur, placé un glaive de feu pour m'en défendre l'entrée. Hélas! que n'est-ce le glaive versatile et changeant de l'ange ! Ma couronne est tombée de ma tête et mes chants d'allégresse ont fait place aux plaintes et aux gémissements. Quels chants, en effet, Seigneur, pourrais-je faire entendre dans une terre étrangère? Combien n'était-il pas plus doux et plus sûr pour moi d'épancher autrefois mon âme avec allégresse dans le sein de ma mère et dans la demeure de celle qui m'a donné le jour ? J'ai donc couru, mais au hasard; j'ai livré des combats, mais en l'air, parce que je m'en suis reposé sur votre promesse, que je croyais aussi pleine de vérité que de grâces. Maintenant donc, puisque l'hiver est passé et le mauvais temps fini, je vous demande, Seigneur, la permission de chercher et de voir où je pourrai enfin fixer mes pas; car jusqu'à ce jour la grêle et la neige, les glaces et les tempêtes m'ont empêché de le faire. Il ne se pourrait voir rien de plus dur et de plus inhumain que de frustrer les voeux et les espérances de celui (a) qui m'a aimé avant de me connaître et qui s'est montré pour moi un père si tendre qu'il se serait arraché les yeux pour me les donner, si c'eût été possible; Mon maître et mon Dieu, dont le royaume n'est pas de ce monde, n'avait point où reposer sa tète; que je serais heureux de me voir rejeté du monde et refoulé six milieu des déserts, au sein des montagnes, dans les antres et les cavernes de la terre!

 

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LETTRE CCCXLIV. DU MÊME BERNARD A SAINT-BERNARD.

 

L'abbé Bernard se plaint à saint Bernard de la prélature qu'on l'a forcé d'accepter.

 

Au vénérable seigneur et bien-aimé P... (b), abbé de Clairvaux, son fils B...., l'onction de la grâce qui enseigne toutes choses (I Joan., 11, 27).

 

1. Je ne puis songer au jour d'affliction et de misère où je me vis sevré du lait de vos consolations sans me sentir plus d'envie de pleurer que

 

a C'était Atenoulphe, abbé de Farfa, dont il sera parlé plus bas.

b C'est-à-dire père, car il est prouvé que cette lettre s'adresse à saint Bernard et qu'elle a été écrite par cet abbé Bernard qui devint plus tard abbé de Saint-Anastase, près de Rome, puis souverain pontife sous le mort d'Eugène III. La lettre précédente est aussi de lui, de même que la quatre cent vingt-huitième. Toutes ces lettres ont paru d’abord sous le nom de notre saint.

 

d'écrire. Si l'éloquence de mes prières égalait l'abondance de mes larmes, il vous serait facile de comprendre toute ma misère et tout mon dénûment. Lorsque j'essaie d'appliquer mon esprit à la méditation ou ma main à tracer quelques lignes, la douleur de mon âme se réveille plus vive que jamais ; pendant que j'écris, j'ai l'esprit assailli par le souvenir plein d'une amertume extrême du triste jour où mon obscurité fut placée sur le flambeau et j'en suis ému jusqu'au plus intime de mon être. Vous savez, mon Père, due je ne blâme ni ce que vous avez fait, ni le mobile qui vous a fait agir ; il me semble qu'il n'y en a pas eu d'autre que l'inspiration de Dieu même, mais laissez-moi pleurer au moins un peu sur mon triste sort. Depuis que je suis éloigné de vous, ma vie entière se consume dans la douleur et mes années s'écoulent dans les gémissements et les larmes. Hélas! que je me trouve à plaindre depuis que j'ai perdu de vue le modèle sur lequel j'essayais de me façonner, le miroir qui ne réfléchissait à mes regards que l'image de ce que je devais être, la lumière qui seule parlait à mes yeux ! Je n'entends plus les doux accents de cette voix que j'aimais, et je ne vois plus apparaître devant moi cette figure imposante qui ne déconcertait que mes écarts, Seigneur mon Dieu, pourquoi m'avez-vous frustré de mon unique espérance, pourquoi me refusez-vous le seul bien que je désire? Il me semble maintenant que ma vie a été tranchée comme le fil d'une trame inachevée. Je sens s'accomplir en moi la parole du Cantique des cantiques et celle que vous prononciez, Seigneur mon Dieu, par la bouche du Prophète quand vous lui faisiez dire (Psalm. XLVIII, 13) : « Et l'homme n'a rien compris quand il s'est senti élevé en honneur! » Car il est bien certain que je lue comprenais pas mon bonheur quand j'étais dans le délicieux séjour de Clairvaux, comme à l'ombre même des arbres du paradis terrestre; et je n'estimais pas assez cette demeure à jamais regrettable. Je vous demande, mon père, ce qui a pli vous donner la pensée de me placer à la tête des autres pour leur servir de guide et de maître, et de faire de moi le premier de vos enfants. Est-ce la vie que j'ai menée dans le monde ? Hélas ! elle fut trop remplie de souillures polir cela ! Est-ce celle dont j'ai vécu dans le cloître? Elle fut bien tiède et bien languissante. Pourquoi donc, puisque je suis si peu de chose à mes yeux, ai-je été choisi pour devenir le chef de la tribu d'Israël? Pourquoi, lorsque je n'avais pas encore assez fait pour me purifier de mes propres iniquités, me charger des infidélités des autres? Que faire ? le souvenir du passé m'accable, la vue du présent m'écrase et la pensée de l'avenir m'épouvante. Au comble de la douleur et de l'affliction, je ne puis vous dire qu'une chose, ô père que je ne regretterai jamais trop, c'est que les coups qui m'ont accablé nie sont venus de la main dont je ne soupçonnais pas que j'eusse rien à craindre. Maintenant ô mon père, pour vous parler de l'endroit où vous m'avez envoyé, je puis vous dire que j'ai couru, mais au hasard; que j'ai livré des combats, mais en l'air; car le souverain Pontife, sur la lettre duquel nous sommes partis, n'a pas encore donné suite à sa promesse de confirmer la donation de ce lieu; ce qui se passe en ce moment en est bien la preuve. Monseigneur l'abbé de Farfa (a) nous a accueillis à notre arrivée avec toutes les démonstrations possibles de satisfaction et a reçu vos enfants de tout coeur; c'est au point, si on peut s'exprimer ainsi, qu'il se serait arraché les yeux de la tète pour nous les donner, s'il l'avait fallu. Le seul reproche que je puisse lui faire et que vous devrez lui adresser, c'est d'aller même beaucoup trop loin et de dépasser de beaucoup non-seulement ses promesses, mais même nos propres désirs. Comme je m'aperçois que ma lettre est un peu trop longue, je vous dirai en deus mots 1jieu courts et bien vrais au sujet de mon intérieur que je perds absolument mes peines.

 

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LETTRE CCCXLV . AUX RELIGIEUX DE SAINT-ANASTASE (a).

 

L’an 1140.

 

Saint Bernard loue ces religieux de leur amour de la règle et de leur zèle à pratiquer les devoirs de la vie religieuse; mais il les blâme de leur empressement à recourir à l'art de la médecine dans leurs maladies.

 

A nos très-chers fils en Jésus-Christ, les religieux de Saint-Anastase, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et constantes prières.

 

1. Dieu m'est témoin du haut du ciel que je vous aime tous du fond des entrailles, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que j'ai un extrême désir de vous voir si la chose était possible, non-seulement pour vous, mais aussi pour moi. Quelle consolation et quelle joie ne serait-ce pas pour moi en effet d'embrasser le fruit de mes entrailles, des enfants qui font toute ma joie et ma couronne! Mais, puisqu'il n'en peut être ainsi, je n'aurai ce bonheur que le jour où, selon toutes nos espérances en la miséricorde de Dieu, nous nous reverrons, le coeur enivré d'une joie que personne ne pourra plus nous ôter, je m'estime heureux du moins des bons rapports que me fait de vous mon très-cher frère et confrère

 

a C'était l'abbé Atenoulphe qui avait demandé des religieux à notre Saint. Voir livre III de la Vie de saint Bernard, chap. VII, n. 23.

b Aux Trois-Fontaines, près de Rome ; l'abbé Bernard dont il est parlé plus haut était à la tête de cette maison quand il devint pape sous le nom d'Eugène III.

 

votre vénérable abbé Bernard. Je vous félicite de tout mon coeur de la satisfaction due lui donnent votre amour de la discipline, votre zèle et votre exactitude à observer la règle de l'ordre, votre obéissance et votre amour de la pauvreté; que Dieu récompensera abondamment un jour dans le ciel. Je vous conjure de toutes mes forces, mes frères bien-aimés, de persévérer dans la voie où vous êtes entrés, et de garder la règle de l'ordre dans toute sa pureté, afin qu'elle vous garde à son tour; de conserver soigneusement l'unité d'un même esprit dans le lien de la paix (Eph. IV, 3), d'avoir les uns pour les autres, mais particulièrement pour vos supérieurs, cette humble charité qui est le noeud de la perfection. Pratiquez l'humilité avec une prédilection marquée, et cultivez par-dessus tout la paix entre vous, si vous voulez que l'Esprit de Dieu soit avec vous, car vous savez qu'il n'habite que dans le calme et la paix.

2. Mais il est une chose que votre vénérable père abbé me mande et que je ne saurais approuver; or je crois, comme l'Apôtre, que j'ai aussi l'esprit de Dieu en ce point. Je sais bien que l'endroit où vous êtes est malsain, et que la santé de plusieurs d'entre vous se trouve altérée; mais veuillez vous rappeler ces paroles de l'Apôtre: « Je me fais gloire de mes infirmités, qui montrent que la force de Jésus-Christ est ma force, car je ne suis jamais plus fort que quand je suis faible (II Cor., XII, 9 et 10). » Certainement je compatis beaucoup à vos souffrances corporelles, mais les maladies de l'âme me semblent être autrement redoutables et mériter bien plus que les autres que nous recourions à tous les moyens possibles de les éviter. Je ne trouve donc ni convenable à l'état que vous avez embrassé ni utile au salut de vos âmes que vous recouriez à l'art du médecins dans les maladies du corps. Il est certainement permis à des religieux qui ont fait voeu de pauvreté de recourir à l'usage de simples de peu de valeur, comme cela se fait ordinairement; mais il ne convient ni à la sainteté de notre profession, ni à la pureté de notre

 

a Cette doctrine nous semble maintenant bien étrange; mais du moins ce passage, rapproché de ce que saint Bernard dit dans son cinquantième sermon sur le Cantique des cantiques devrait empêcher les religieux qui font profession de haïr leur chair, de recourir avec trop d'ardeur à l'art des médecins. Ils devraient se sentir arrêtés dans cette voie par l'exemple des anciens religieux qui ne recouraient aux médecins, quand par hasard cela leur arrivait, que pour apprendre d'eux le moyen de régler leur manière de vivre, comme nous le voyons dans la Vie de saint Pacôme, chap. I, que Palémon le fit un jour. D'ailleurs les Cisterciens permettent aux religieux de leur ordre de faire usage de médicaments, ainsi qu'on le voit par la lettre quatre cent cinquième et par ce que rapporte Herbert, livre III, chap. XV. Saint Bernard lui-même ne défend pas toute espèce de remèdes, mais il veut qu'on se contente de ceux que peuvent procurer les herbes et les plantes du jardin ; il ne blâme dans sa lettre que l'usage des drogues débitées dans les officines des médecins. On peut lire sur ce sujet ce que dit Cassiodore (livre des Instit. divin. chap. XXXI) et les notes de Horstius placées à la fin du volume.

 

état, non plus qu'aux pieuses rigueurs de la règle de notre ordre, que nous achetions des drogues, appelions les médecins et prenions des potions et des remèdes, tout cela n'est bon que pour les gens du monde; mais nous n'ignorons pas que « ceux qui vivent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu (Rom., VIII, 8). » Pour nous donc qui vivons de la vie de l'esprit, ne recherchons que des remèdes spirituels, que nos potions soient des potions d'humilité et ne cessons de nous écrier: « Seigneur; guérissez mon âme, car j'ai péché contre vous (I Cor., II, et Psal. XL) ! » Voilà, mes frères, la santé à laquelle vous devez donner tous vos soins, acquérez-la, conservez-la à tout prix, et ne comptez pour rien celle que les hommes prétendent vous donner.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

 

LETTRE CCCXLV.

 

209. De recourir à l’art du médecin... Ce langage est bien dur et paraît peu en harmonie avec nos mœurs et nos habitudes présentes; car je ne sais s'il est personne au monde de plus empressé qu'un religieux à appeler le médecin en, cas de maladie, et si on pourrait trouver un endroit où les remèdes sont mieux préparés et mieux administrés que dans les maisons religieuses. Dirons-nous que les religieux poussent beaucoup trop loin je soin de leur santé, ou bien accuserons-nous saint Bernard d'un excès de rigueur en ce point? L'un et l'autre parti nous coûtent également à prendre, Quand saint Bernard blâme et repousse l'usage de la médecine, il a pour lui une foule de saints qui ont Pensé comme lui et qui se sont montrés aussi pou empressés à recourir à la science du médecin que peu soucieux des soins à donner à l'entretien de leur santé. Mais, d'un autre côté, ceux qui ont les médecins en honneur à cause des services qu'ils rendent dans le traitement de nos maladies, ne semblent faire autre chose que d'user, quand le besoin s’en fait sentir, des remèdes que la Providence a préparés à nos maux; ils ont pour eux non-seulement la raison, mais encore l'Ecriture sainte et l'autorité même de Dieu.

Quant à l'opinion de saint Bernard, s'il nous était permis de l'appuyer sur des preuves tirées des Histoires édifiantes ou de la Vie et des actes des saints, il ne serait pas difficile de montrer, par de nombreux exemples, le peu de soin qu'une foule de saints personnages ont pris de leur santé ; ils ne connaissaient d'autre médecine, que la sobriété dans les repas, où  même l'abstinence de toute nourriture.

Nous reviendrons ailleurs sur ce sujet, pour le traiter à tous ses points de vue, dans le Paradis du bonheur, que nous nous proposons, si Dieu nous prête vie, de publier un jour sous ce titre. On le trouve ailleurs intitulé : le Paradis de la piété. Je me propose depuis longtemps. de traiter ce sujet sous les deux points de vue sous lesquels ou peut le considérer, à l'aide de questions aussi variées qu'agréables et utiles, et d'une multitude de citations corroborées par une foule do, traits historiques, d'exemples et de documents qui feront un effet tout aussi bon au point de vue de la morale, qu'utile et agréable comme délassement d'esprit.

Mais, en attendant, on peut lire avec fruit, sur ce sujet, saint Basile, in Reg. fut. disp., chap. V; Estius, Corneille et Olivier Bonnart sur le trente-huitième chapitre de l'Eccli., ; Rossignol, livre II, chapitre XII, de la Vie religieuse; Nigron, sur les Rois, commentaire XVII; François Arias, chapitre de la mortification; Blosius, dernière édition, page 654; Molan,           sur les saints médecins, Rodriguez, IIIe partie, traité V, chapitre XVII; Platas, livre III, de Bono statu, chapitre II ; Barrad, sur l'Evangile, tome II, livre V, chapitre XX. Mais, de peur qu'on ne pense que nous n'avons rien à dire en faveur de saint Bernard, quand il est lui-même en cause, nous allons faire ici quelques citations.

Voici comment saint Ambroise s'exprime dans son vingt-deuxième Octon., sur le Psaume CXVIII : « Les prescriptions de la médecine, nuisent an travail de ceux qui aiment à scruter la pensée de Dieu ; elles empêchent de jeûner et détournent l'esprit de toute méditation sérieuse. Pour moi, quiconque se met entre les mains des médecins renonce à se posséder lui-même. » Il exprime la même pensée dans la distinction suivante, chapitre V. Le témoignage d'un si grand prélat nous suffit, surtout quand nous le voyons confirmé par un de ses successeurs qui hérita de son esprit en même temps que de sa place. Je veux parler de Charles Borromée, un des plus saints cardinaux de notre siècle. On lit que ce prélat, malgré le mauvais état continuel de sa santé, endura les plus grandes fatigues pour l'Eglise. L'historien de sa vie nous apprend, dans un récit aussi sérieusement qu'élégamment écrit, ce qu'il accorda à la médecine et aux soins de la santé. Ses amis lui disaient quelquefois qu'il devait, aussi bien pour les siens que pour lui-même, donner quelques soins à sa santé, attendu que de sa conservation dépendait le bien publie, qu'infailliblement tout le bien qu'il avait entrepris ne manquerait pas de s'écrouler s'il lui arrivait quelque chose de fâcheux, et qu'il en rendrait à Dieu un compte sévère. A cela Charles Borromée, répondait: Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à la santé de mon corps et je vous prie de n'en pas avoir un moindre pour celle de mon âme ; mais c'est en Dieu qu'il faut s'en reposer pour toutes les entreprises spirituelles; faire fond pour elles sur les hommes, c'est vouloir les voir bientôt périr, etc. Un peu plus loin, le même historien de sa Vie raconte ce qui lui arriva dans un voyage qu'il lit à Rome. Ses médecins, à cause de la saison où l'on se trouvait alors, avaient entrepris de le purger; il leur demanda leur avis sur le voyage qu'il projetait de faire ; ceux-ci, à la pensée de l'agitation et des fatigues inséparables d'un pareil voyage, surtout dans les conditions de rapidité où il devait s'accomplir, craignirent que le mal ne fit des progrès et se montrèrent opposés au voyage; mais le prélat, sans se mettre en peine du traitement qu'il devait suivre, non plus que des avis des médecins, crut qu'il devait préférer l'intérêt du inonde chrétien à celui de sa santé et se sacrifier tout entier pour l'Eglise de Dieu, qui réclamait ses services. En le voyant résolu à suivre ce parti, les médecins voulurent du moins lui tracer le régime qu'il devait suivre et la manière dont il devait voyager. Ils lui prescrivirent de n'aller qu'en litière, et le firent suivre d'un cheval chargé d'une multitude de petits pots de drogues et de potions. Le hasard voulut que le pauvre animal tombât à la rivière; les petits pots furent brisés par sa chute et les drogues emportées par le courant; à cette nouvelle, le cardinal se mit à rire en disant : Voilà qui est de bon augure, je n'aurai sans doute plus besoin de tout cela.

Le cardinal Borromée se trouva mieux de son voyage, sans toutefois se sentir entièrement guéri, car il continua à éprouver encore des maux de tête et d'estomac. Les médecins de Rome, dans une consultation qu'ils eurent entre eux sur sa santé, furent d'avis de l'envoyer aux eaux de Lucques; ceux de Milan se trouvèrent d'un sentiment différent. Ce fut alors que le cardinal Borromée se fit un autre genre de Vie; après avoir suivi pendant toute une année les conseils et les ordonnances des médecins, le plus exactement possible, et s'être astreint, durant tout ce temps, à ne faire usage que de mets particuliers et à suivre une foule de prescriptions minutieuses, il changea tout à coup sa manière de faire et, suivant le conseil de personnes aussi éclairées que pieuses, il s'affranchit de toute espèce de régime et se mit à suivre un genre de vie beaucoup plus simple et à manger les mets les plus ordinaires d'autant plus volontiers qu'il avait pour lui l'exemple des plus saints personnages. Ce régime lui réussit à merveille, et depuis lors, non-seulement il ne souffrit plus de la fièvre, de la toux ni de l'estomac ; mais il jouit d'une telle santé, qu'il remplit tous les devoirs de sa charge pastorale et en supporta les fatigues de manière à étonner la postérité.» Tel est le récit de Charles de la basilique de Saint-Pierre, de la congrégation des Clercs de Saint-Paul, qui devint plus tard évêque de Novare. Voir la Vie de Charles Borromée, livre II, dernier chapitre.

Nous savons par le même auteur, livre VI, chapitre VI, que sur la fin de sa vie Charles Borromée menait, de concert avec quelques familiers de sa maison, une vie très-austère, au milieu des fatigues excessives et continues de sa charge pastorale et en dépit des remontrances des médecins — « Les mêmes amis qui lui avaient fait autrefois des remontrances agirent à Rome, pour obtenir du souverain Pontife, qu'il l'engageât à ne pas mortifier sa chair au delà des forces de la nature et à observer exactement le régime qu'il devait suivre, d'après les conseils des médecins. Lorsqu'il eut reçu de Rome ces recommandations du Pape, Charles Borromée lui répondit qu'il ne devait pas avoir oublié que tant qu'il avait suivi les prescriptions des médecins il s'en était mal trouvé et en était venu au point qu'il semblait n'avoir plus que quelque temps à vivre, niais que depuis près de douze ans que, sur l'avis d'hommes aussi sages que pieux, il avait tout à fait changé sa manière de vivre et renoncé à toutes les prescriptions de la médecine, il se trouvait à merveille de son nouveau genre de vie, et sa santé, que des soins infinis et une soumission scrupuleuse à toutes les décisions des médecins n'avaient pu remonter, s'était raffermie par sa manière simple et commune de vivre et lui promettait de longues années encore. Si à l'âge de quarante-six ans auquel il était arrivé il voulait se remettre entre les mains des médecins, dont il avait depuis longtemps pris l'habitude de se passer, il était convaincu que ce ne serait qu'au double détriment de ses devoirs épiscopaux et de sa santé et au péril même de sa vie. S'il parlait ainsi, ce n'était pas par mépris de la médecine et des médecins, car il se serait fait scrupule de négliger un iota des prescriptions de ces derniers en cas de maladie; il ne dédaignait pas même au besoin de recourir à leurs conseils, mais il pensait que s'astreindre constamment à les suivre à la lettre, était une chose aussi incompatible avec ses idées sur la sainteté qu'avec les devoirs de la vie d'un évêque, ce que d'ailleurs un médecin qu'il venait de consulter avait jugé comme lui. Les anciens Pères, et saint Ambroise en particulier, pensaient que les prescriptions de la médecine nuisent beaucoup au travail de ceux qui veulent scruter la pensée de Dieu, empêchent do-, jeûner et détournent l'esprit de toute méditation sérieuse, et qu'on ne pouvait se mettre entre les mains des médecins sans renoncer à se posséder soi-même : il n'y a rien qui détourne un homme de l'amour de la règle et de la discipline comme le soin de sa santé. Il avait d'ailleurs pour modèle le Pape lui-même, qui se mettait peu en peine, en ce qui le concernait, des prescriptions de la médecine. Il est vrai que plus tard, tomme on le lui disait, il pourrait peut-être subir les conséquences de son genre de vie; mais fallait-il, dans la crainte d'un mal incertain, négliger dès maintenant le bien qu'il pouvait faire et prévenir le mai de si loin? A ce compte il n'y aurait plus personne qui dû mortifier sa chair et pratiquer les œuvres de pénitence, qui pourtant sont d'une absolue nécessité pour un chrétien.

Voilà en quels termes, ou à peu près, Charles Borromée répondit au Pape; aussi, au nombre des sentences qu'on lui attribue se plaît-on à compter celle-ci. Un évêque ne saurait remplir les devoirs de sa charge s'il se préoccupe trop des soins que peut réclamer sa santé et s'il ne songé qu'à ces mille et une choses qui peuvent ou la compromettre ou la préserver. Voir le livre VII de sa Vie, chapitre V.

Après cette digression à l’appui des paroles de notre saint Docteur, concluons en convenant  qu’en certains endroits il peut paraître un peu trop sévère envers les médecins, pour ne pas dire envers les infirmes et les malades, auxquels il semble interdire tout recours aux médecins et aux remèdes qu'ils prescrivent. En effet, dans le sermon XXX sur le Cantique des cantiques, il s'exprime ainsi à propos de ces paroles de l'Evangile : « Quiconque voudra sauver son âme la perdra (Matth.. XVI) : « Que dites-vous, vous qui observez les diverses qualités des viandes et négligez la pureté des mœurs? tandis qu'Hippocrate et ses disciples vous enseignent le moyen de sauver votre vie en ce inonde, Jésus-Christ et ses disciples vous apprennent à en faire le sacrifice; duquel des deux préférez-vous suivre les leçons? Mais au fait allez voir de quel maître on écoute la voit quand on discute sur, les propriétés des choses que l'on mange en disant : Ceci est contraire aux yeux, cela, à la tête; cette autre chose n'est pas bonne pour la poitrine ou pour l'estomac, » etc. Il est vrai qu'on peut citer quelques auteurs qui ont essayé de donner à ces paroles de notre Saint un sens un peu moins rigoureux. Nous avons indiqué plus haut les auteurs et les passages qu’on peut consulter avec fruit sur ce sujet, nous recommandons surtout l'endroit de saint Basile que nous avons cité (Note de Horstius).

On a encore, sur le sujet qui nous occupe, une lettre de Nicolas Faber où cet auteur dit ce qu'il pense de la lettre de saint Bernard. A son avis notre Saint vent qu'on ne recoure au médecin que rarement et avec discrétion, parce qu'il ne convient pas que des gens qui ont fait voeu de pauvreté et de vie mortifiée, oublient leurs engagements, même quand ils sont malades. Il veut donc qu'on supporte patiemment les indispositions et les maladies qui ne font point obstacle à la pratique des exercices de la vie religieuse, mais il veut aussi qu'en toutes ces choses on tienne un compte égal des exigences de la nature et des devoirs de la vie religieuse (Note de Mabillon).

 

 

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