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LETTRE CCX. AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CCXI. AU MÊME PONTIFE.

LETTRE CCXII. AU MÊME PONTIFE.

LETTRE CCXIII. AU MÊME, PAPE.

LETTRE CCXIV. AU MÊME PAPE.

LETTRE CCXV. AU MÊME PAPE.

LETTRE CCXVI. AU MÊME PAPE.

LETTRE CCXVII. AU MÊME PAPE.

LETTRE CCXVIII. DERNIÈRE LETTRE DE SAINT BERNARD AU MÊME PAPE, POUR SE JUSTIFIER.

 

LETTRE CCX. AU PAPE INNOCENT.

 

Vers l’an 1139

 

Saint Bernard lui recommande l'archevêque de Reims.

 

Je recommande à Votre Sainteté monseigneur de Reims (Samson), et je le lui recommande d'une manière toute particulière, d'autant plus que je sais qu'il a pour elle un dévouement parfait, un attachement sincère, une soumission entière et le plus profond respect. Je vous prie de le traiter comme un vase d'honneur et de lui faire sentir, autant qu'il se peut, l'estime que vous faites d'un prélat qui honore son ministère et qui contribue par toutes ses vertus sacerdotales à la gloire de Dieu et de son Eglise.

 

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LETTRE CCXI. AU MÊME PONTIFE.

 

Vers l’an 1139

 

Saint Bernard lui recommande la cause de l'archevêque de Cantorbéry et celle de l'évêque de Londres.

 

Monseigneur de Cantorbéry (a), un homme de bien dans la force du mot, que tous les honnêtes gens ont en vénération, est injustement cité à votre tribunal, où des événements plus forts que sa volonté l'empêchent de se rendre. Il allait se mettre en route pour aller terminer son procès devant vous, quand il s'est vu arrêté par la guerre, qui a tout à coup éclaté. Son excuse est d'autant plus acceptable qu'il est fâché de ce contre-temps, parce qu'il a la plus grande confiance en votre justice et qu'il éprouve le plus ardent désir de vous présenter ses respects en personne. Permettez à votre serviteur de prier encore Votre Sainteté de vouloir bien, dans le cas où ce vénérable prêtre e aurait quelque autre supplique à lui adresser, avoir pour lui tous les égards dont il est digne. Je prendrai encore la liberté pendant que je suis en train de solliciter, de vous adresser une seconde prière, c'est en faveur d'un de vos plus anciens amis et de vos fils les plus dévoués, Robert, évêque de Londres. Il se plaint de ce que l'intrus qui occupait avant lui le siège où Dieu l'a appelé, a distrait des biens hypothéqués et des terres appartenant à son église, qu'il refuse de lui rendre. Je n'ai pas la pensée d'apprendre à un pontife d'un tel savoir que vous quel tort est fait ainsi à cette église et les moyens qu'il faut prendre pour le réparer.

 

a En homme qui connaît et qui aime l'antiquité, saint Bernard se sert encore en plusieurs endroits du mot prêtres pour désigner comme on le faisait jadis, les évêques eux-mêmes,

 

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LETTRE CCXII. AU MÊME PONTIFE.

 

Saint Bernard plaide avec éloquence la cause de l'évêque de Salamanque auprès du souverain Pontife, et relève à ses yeux son extrême humilité.

 

L'illustre prélat (a) qui fut évêque de Salamanque n'a point hésité à se détourner de son chemin, en revenant de Rome, pour rendre visite à votre serviteur, et pour implorer son humble assistance. En l'entendant parler, je me rappelai ces mots du Prophète: « Les montagnes et les collines seront abaissées, les chemins tortueux seront rendus droits et les raboteux seront aplanis (Isa., XL, 4). » Voilà ce que vous faites comme en vous jouant: vous abaissez ce qui s'élève, vous réduisez à de justes mesures ce qui s'enfle et se gonfle. Toutefois, pendant due ce prélat nie faisait en détail l'exposé de sa tragique histoire, si je ne pouvais me défendre de louer le juge et d'approuver la sentence, je ne laissai pas de me sentir touché de compassion pour cet évêque que votre jugement a frappé; il me semblait, en effet, l'entendre conclure son lamentable récit par ces mots du Prophète: « Après avoir été élevé, je me vois humilié et confondu (Psalm. LXXXVII, 16). Vous n'avez même permis mon élévation que pour me briser (Psalm. CI, 110). » Tout en me rappelant l'inflexible rigueur de votre justice, je ne pouvais oublier les richesses de miséricorde dont votre coeur est rempli et dont j'ai eu maintes fois la preuve, aussi me disais-je que peut-être vous vous laisseriez toucher et lui feriez grâce. Je n'ignore pas que si vous pouvez, quand il le faut, vous armer de zèle et terrasser l'orgueil, vous savez aussi pardonner au repentir et ménager celui qui s'humilie; car, à l'exemple de votre maître, vous placez la miséricorde au-dessus du jugement. Ces réflexions m'ont enhardi à vous écrire, Très-Saint Père, quoique je ne sois que cendre et poussière. Et ce qui me donnait bon espoir, excitait ma confiance et redoublait ma compassion, c'est de voir que cet homme au lieu de céder à un mouvement d'indignation et de colère, comme cela

 

a Il se nommait Pierre; il avait occupé le siège de Salamanque pendant un long schisme «avaient occasionné les prétentions opposées de trois candidats au titre d'évêque de cette ville. Fort de l'avantage que lui donnait une possession de longue date, Pierre s'était rendu à Rome, à la demande du pape Innocent; mais il se vit écarté de même que les trois autres; toutefois la visite qu'il fit à son retour à saint Bernard et aux religieux de Cluny aurait peut-être en pour conséquence de le faire remonter sur son siége, si le roi Alphonse n'avait envoyé à Rome les évêques de Tolède, de Zamosa et de Ségovie pour engager le pape à confirmer l'élection de son chancelier Béranger à l'évêché de Salamanque,

 

n'arrive que trop souvent, et de retourner dans sa patrie avec la pensée de faire du scandale et de s'insurger contre l'autorité, fait taire son ressentiment, s'inspire de pensées de douceur et vient à votre cher Cluny se jeter aux pieds de vos humbles enfants et implorer le secours de leurs prières auprès de Dieu. Voilà les armes puissantes auxquelles il recourt contre vous, et les machines de guerre avec lesquelles il veut faire le siège de votre invincible fermeté; car il se flatte que vous vous laisserez toucher par la prière de vos humbles enfants, que vous céderez à leurs voeux, et que, tout inflexible que vous soyez devant la force, vous ne résisterez point à la pitié. C'est dans la même confiance que je me joins à eux, qu'avec eux je tends vers vous des mains suppliantes, je fléchis le genou et confonds mes prières avec les leurs, et que je me permets de vous remontrer hardiment que de même que vous l'avez frappé quand il s'enorgueillissait, de même vous devez lui pardonner maintenant qu'il s'humilie, car il n'est pas juste qu'on ne sache que punir le mal et qu'on n'ait point de récompense pour le bien.

 

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LETTRE CCXIII. AU MÊME, PAPE.

 

L’an 1139

Saint Bernard se plaint au Pape de ce qu'il n'a tenu aucun compte des conditions par lui agréées de la réconciliation de Pierre de Pise, à laquelle il avait travaillé.

 

A quel juge en appellerai-je contre Vous? Si j'avais un tribunal auquel je pusse vous déférer, je le dis avec douleur, j'y aurais recours pour vous faire condamner comme vous le méritez. Il y a bien le tribunal de Jésus-Christ, mais que Dieu me préserve de vous y accuser; je voudrais vous y défendre si je le pouvais et que vous eussiez besoin de moi alors. Je suis donc réduit à vous prendre vous-même pour être votre propre juge, puisque vous l'êtes de toute la chrétienté. Eh bien, j'en appelle à votre justice, prononcez entre vous et moi. En quoi, je vous le demande, votre. serviteur a-t-il démérité de votre fraternité au point que vous ayez le droit de le traiter comme un fourbe? Ne m'aviez-vous pas fait l'Honneur de me déléguer en votre nom pour travailler a la réconciliation de Pierre de Pise, si Dieu daignait se servir de moi pour le tirer de l'abîme du schisme ? Si vous le niiez, je trouverais à la cour de Rome autant de témoins de ce due j'avance, qu'il y avait de personnes présentes alors. N'est-ce pas en exécution de vos ordres qu'il a été rétabli dans son rang et dans sa dignité? Je me demande en conséquence aujourd'hui par quel conseil, ou plutôt par quelle séduction vous en êtes venu à révoquer ce que vous aviez accordé et à manquer ainsi à votre parole donnée? Si je parle ainsi, ce n'est pas que je blâme en vous la fermeté apostolique qui vous distingue, non plus que le zèle ardent qui vous anime contre le schisme, et qui d'un souffle brise sur les rochers les vaisseaux de Tharsis ou extermine, comme le bras de Phinées, tous les fornicateurs; je sais qu'il est écrit: « Je me sentais l'ennemi de vos ennemis, ô mon Dieu, et j'éprouvais contre eux une haine implacable (Psalm. CXXXVIII, 21). » Mais faut-il sévir également là où les fautes sont inégales, et frapper de la même peine ceux qui ont quitté leur péché et ceux que leur péché a quittés le premier ? Je vous en conjure donc, au nom de celui qui s'est livré pour sauver les pécheurs, épargnez ma réputation et ménagez la vôtre, qui jusqu'à présent a été pure et sans tache, en rétablissant cet homme dans son poste comme vous avez pris l'engagement de le faire. Je vous ai déjà écrit une fois à ce sujet; comme je n'ai pas reçu de réponse de Vous, je pense que ma première lettre ne vous est pas parvenue.

 

Voir la vie de Saint Bernard, liv. 2 ch.7

 

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LETTRE CCXIV. AU MÊME PAPE.

 

Vers l’an 1140

 

Saint Bernard lui recommande l'évêque de Cambray et l'abbé Godescale.

 

S'il me reste encore une place dans votre esprit, un petit souvenir d'amitié dans votre coeur et une ombre de cette bienveillance dont vous m'honoriez autrefois, je vous prie d'en donner une preuve à l'illustre et vertueux Nicolas (a), évêque de Cambray. Je lui ai de grandes obligations, et je confesse qu'il n'est rien que je ne doive faire pour lui, non-seulement pour reconnaître les services qu'il ne manque jamais de nous rendre, à mes religieux et à moi, toutes les fois que l'occasion s'en présente, mais encore parce qu'il le mérite, à cause de sa droiture, de sa douceur et de sa justice, qualités qui d'ailleurs vous le rendent recommandable par elles-mêmes. Si je ne me trompe, ceux qui le persécutent sont des gens de mauvaise foi qui ne méritent aucune créance. Mais, il est inutile que j'entreprenne de vous prouver ce dont vous pourrez vous convaincre par vous-même. Il est accompagné d'un saint religieux, l'abbé (b) Godescale, que je vous recommanderais tout particulièrement si mes paroles pouvaient ajouter à son mérite; je vous pria instamment d'écouter favorablement sa requête, d'autant plus que je le crois tout à fait incapable de rien demander qui ne soit parfaitement juste.

 

a Le nom de Nicolas fait défaut dans plusieurs manuscrits oit il n'est pas même indiqué par la lettre initiale, comme cela se tait ordinairement. Des quatre manuscrits de la Colbertine, il n'y en a qu'un qui ait le nom de Nicolas, encore ne se trouve-t-il écrit qu'en marge; mais d'ailleurs c'est bien de lui qu'il s'agit dans cette lettre; il fut évêque de 1140 1107.

b Dans quelques éditions, il est appelé abbé de Mont-Saint-Martin ; mais ce titre manque dans tous les manuscrits, dont plusieurs même ne le désignent que par la lettre initiale de son nom. Il s'agit, en effet, ici de l'abbé de Mont-Saint-Martin, près d'Arras, de l'ordre de Prémontré; il est parlé de lui dans la lettre deux cent soixante-troisième, n. 4; il devint dans la suite évêque d'Arras. Voir la lettre deux cent quatre-vingt-quatrième.

 

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LETTRE CCXV. AU MÊME PAPE.

 

Vers l’an 1140

 

Saint Bernard lui écrit pour l'évêque et le doyen d'Auxerre.

 

Pour un misérable ver de terre comme moi, c'est vous écrire bien souvent; je me trouve forcé de le faire par les prières de mes amis, mais si je vous parais indiscret, je ne veux pas du moins que vous révoquiez en doute ma véracité; car je puis bien assurer à Votre Sainteté que ce n'est pas moi qui consentirais jamais à prêter ma plume au mensonge dans les lettres que je Lui adresse; car si j'ai à cour d'être utile à mes amis, cela ne va pas jusqu'à compromettre mon salut pour eux. Or je sais que «  le mensonge porte un coup mortel à l'âme (Sap., I, 11). » Je ne prétends point n'être pas importun dans rires lettres, mais je proteste que je n'y place jamais un seul mot contre la vérité; si donc vous excusez mon importunité, je n'ai plus rien à craindre d'ailleurs. Monseigneur l'évêque d'Auxerre est un de mes meilleurs amis, tout le monde le sait; mais si l'amitié que je ressens pour lui va jusqu'à me faire partager ses peines, elle ne saurait me porter jusqu'à manquer à la vérité; il n'est donc rien de plus vrai que les raisons que nous vous donnons tous les deux pour justifier son doyen à vos yeux et vous prier de l'absoudre. Nous sommes tous cos enfants, si vous me permettez de vous parler avec ma liberté ordinaire, et nous espérons bien que non-seulement vous ne rejetterez pas notre prière, mais au contraire que vous exaucerez nos voeux et nous comblerez de joie en nous accordant la grâce que nous vous demandons.

 

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LETTRE CCXVI. AU MÊME PAPE.

 

Vers l’an 1142

 

Saint Bernard se plaint au Pape de ce qu'il se trouve à la cour de Rome des hommes capables de soutenir le comte Raoul qui avait répudié sa femme pour en prendre une autre.

 

Il est écrit: « L'homme ne doit point séparer ce que Dieu a uni (Matth., XIX, 7). » Or il s'est trouvé des gens audacieux (a) qui n'ont pas craint de désunir deux époux que Dieu avait unis. Que dis-je ! qui ont ajouté un second crime au premier en unissant ensuite deux personnes qui ne pouvaient point être unies. Voilà comment on met en pièces les saintes lois de l'Église et comme on déchire, û douleur! la robe de Jésus-Christ ! Pour comble de maux, ceux qui agissent ainsi, sont ceux-là même qui sont obligés par état de la conserver entière. O mon Dieu, voilà vos amis qui se déclarent contre vous; les contempteurs de vos lois sont les gens de votre maison! Car ceux qui transgressent vos commandements, ne sont pas des inconnus, des gens étrangers à votre sanctuaire, ce sont au contraire les successeurs de ceux à qui vous avez dit: « Si vous m'aimez, vous observerez mes commandements (Joan., IV, 15). » Le comte Raoul avait été uni avec sa femme par les ministres de l'Église au nom de Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir de former de tels noeuds; je me demande de quel droit la chambre ecclésiastique a délié ceux que l'Église a liés. Il n'y a qu'une circonstance dans la conduite de ceux qui ont agi de la sorte qui me paraisse marquée au coin de la prudence, c'est le secret dont ils se sont environnés pour mener à bonne fin cette oeuvre de ténèbres. Je ne m'en étonne point, car ceux qui font mal redoutent la lumière et se gardent bien d'agir au grand jour de peur d'être surpris dans leur malice. Après tout, par quoi le comte Thibaut s'est-il attiré ce qui lui arrive? duel mal a-t-il fait pour qu'on le traite ainsi? Si c'est un péché

 

a Saint Bernard veut parler des évêques qui ont approuvé le divorce de Raoul, comte de Vermandois. Ce sont Simon, évêque de Tournay, frère de Raoul et Barthélemy, évêque de Laon, et Pierre, évêque die Senlis. Le moine de Tournay Herimann, ou son continuateur, raconte le fait tout au long, comme on peut le voir dans le Spicilége, tome XII, page 480, d'où nous n'extrayons pour abréger que peu de mots : Le comte Raoul, voulant épouser la seur d'Éléonore, reine de France, nommée Pétronille, répudia sa femme légitime, nièce de Thibaut, toute de Champagne, sous prétexte de parenté, ce qui se fit avec l'approbation des évêques cités plus haut. Le comte de Bourgogne, Thibaut, déféra le jugement de cette affaire au Pape, qui anathématisa Raoul, et suspendit, pour un temps, de leur office, les évêques qui t'avaient approuvé. On peut consulter encore sur ce point le supplément à Sigebert et les lettres suivantes.

 

d'aimer la justice et de détester l'iniquité, on ne peut nier qu'il en soit coupable; si c'est un mal de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, je ne vois pas moyen de l'excuser; enfin si c'est un crime d'avoir reçu l'archevêque de Bourges (a) pour se conformer à vos ordres, il en est certainement coupable au premier chef, et c'est sans doute de cela qu'on le punit aujourd'hui. Il n'est donc en butte aux attaques des méchants que pour avoir été homme de bien jusqu'à l'excès. Voilà pourquoi il y a maintenant tant de voix qui s'élèvent en sa faveur et qui vous pressent de venger un de vos enfants que l'injustice accable, de délivrer l'Eglise de l'oppression qu'elle n'a pas méritée, de réprimer avec cette rigueur apostolique qu'on vous tonnait, l'audace de ceux qui ont machiné ce crime, et de faire retomber sur la tête de leur chef tout le poids de ce qu'il a pu et osé entreprendre contre la justice.

 

a Thibaut s'était, en cette circonstance, attiré bien des difficultés. Voici comment Hermann raconte cette affaire : « Le Pape avait nommé archevêque de Bourges un certain clerc appelé Pierre, parent de son chancelier. Le roi de France n'ayant pas voulu le reconnaître fut excommunié par le Pape. » Cela se passait en 1144, après la mort de l'archevêque Albéric. On trouvera de plus amples détails sur tout cela dans les notes de la lettre deux cent dix-neuvième, où l'on verra que le comte de Champagne fut maltraité par le roi de France pour avoir reçu cet archevêque. On peut encore sur ce point consulter la lettre deux cent dix-neuvième et le livre IV de la Vie de saint Bernard, au paragraphe 12.

 

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LETTRE CCXVII. AU MÊME PAPE.

 

L’an 1142

 

Saint Bernard se plaint au saint Père de tout ce que le comte Thibaut a à souffrir tant pour la justice que pour son attachement au saint Siège et le prie de le relever du serment qu'on avait extorqué de lui.

 

Nous sommes plongés dans un océan d'angoisses et d'afflictions. Tout le royaume est dans le trouble; ce n'est de toutes parts due sang répandu, que pauvres bannis, que riches jetés dans les fers; la religion même est indignement foulée aux pieds, on serait honni si on faisait entendre des paroles de paix; la bonne foi et la probité ne sont même plus en assurance dans ces contrées. Ainsi il lue s'en est pas fallu de beaucoup que l'innocent et pieux comte Thibaut ne fût livré entre les mains de ses plus mortels ennemis et ne succombât sous leurs coups; mais Dieu l'a soutenu. Il se félicite des persécutions qu'il endure pour la justice de même que pour l'obéissance qu'il vous doit en entendant l'Apôtre proclamer : « Bienheureux tous ceux qui souffrent pour la justice (I Petr., III, 14); » et l'Évangile dire : « Heureux ceux qui sont persécutés pour elle (Matth., V, 14): » Hélas! malheureux que nous sommes, nous pressentions tous les maux qui fondent maintenant sur nous et nous n'avons pas pu nous y soustraire! Bref, pour prévenir de plus grands malheurs et les funestes conséquences des divisions qui déchirent le royaume, le champion et le défenseur de la liberté de l'Eglise, votre fils très-dévoué, le comte Thibaut, a fini par s'engager sous la foi du serment à faire lever l'excommunication fulminée par maître Yves, votre légat de bonne mémoire, contre le prince auteur de tous nos maux, contre ses sujets et la femme adultère que ce tyran a épousée; il n'a pris cet engagement qu'à. la prière et sur les instances de personnes aussi sages que dévouées qui lui ont fait entendre que Votre Sainteté ne ferait aucune difficulté de tenir compte de son serment, puisqu'elle pouvait ensuite, sans blesser les intérêts de l'Eglise, remettre incontinent les choses dans leur premier état et confirmer de nouveau la sentence qu'on a portée contre Raoul. Ce serait le vrai moyen d'éluder les artifices des ennemis du comte Thibaut, de rétablir la paix et de priver les méchants des avantages qu'ils se promettaient de leur injuste puissance. J'aurais encore beaucoup d'autres choses à vous dire, mais je crois inutile de vous les transmettre par écrit; celui qui vous porte cette lettre en est pleinement instruit, et il pourra vous les dire toutes en détail de vive voix.

 

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LETTRE CCXVIII. DERNIÈRE LETTRE DE SAINT BERNARD AU MÊME PAPE, POUR SE JUSTIFIER.

 

L’an 1143

 

Saint Bernard ayant remarqué qu'il avait perdu les bonnes grâces du pape Innocent, à  l'occasion du testament du cardinal Yves, lui présente humblement la justification de sa conduite.

 

A son très-révérend père et seigneur le pape Innocent, Bernard, un homme de rien, salut.

 

1. Je me flattais jadis d'être quelque chose, si peu que ce fût, mais je vois bien à présent que je ne suis absolument rien, et je ne m'en étais pas encore aperçu. Comment aurais-je pu croire à tout mon néant quand mon seigneur et mon maître daignait encore abaisser ses regards sur son serviteur et lui prêter une oreille attentive? quand il recevait mes lettres avec empressement, les lisait avec plaisir et répondait avec tant d'obligeance et de bonté à toutes mes demandes? Mais aujourd'hui je suis moins que rien, depuis qu'il ne nie regarde plus. D'où vient ce changement? en quoi vous ai-je offensé ? Je devrais sans doute me faire de violents reproches si j'avais disposé à mon gré des biens laissés par le cardinal Yves d'heureuse mémoire, et contrairement à ses dernières volontés, comme je sais qu'on vous l'a dit; mais j'espère vous éclairer complètement sur ce point et me justifier ainsi auprès de vous. D'ailleurs je ne suis pas assez peu instruit pour ignorer que tous les biens dont il n'a pas disposé appartiennent à l'Eglise.

2. Veuillez, je vous prie, entendre comment les choses se sont véritablement passées; si je déguise la vérité dans mes paroles, je me condamne moi-même par ma propre bouche. Quand le cardinal vint à mourir, non-seulement j'étais absent, mais encore je me trouvais fort éloigné. Je sus de ceux qui l'assistèrent dans ses derniers moments qu'il avait fait un testament et même qu'il avait en soin de faire écrire ses volontés dernières. Après avoir disposé d'une partie de ses biens comme il l'entendait, il chargea deux abbés qui l'assistaient de se concerter avec moi, qui étais absent, pour distribuer le reste, dans la pensée que nous connaissions mieux que personne les besoins des différents monastères. Ces deux abbés vinrent à Clairvaux, et ne m'y trouvant pas, attendu que j'étais alors occupé par votre ordre à négocier la paix, ils disposèrent de l'argent qui restait entre leurs mains, non-seulement sans mon aveu, mais même à mon insu. Telle est la pure vérité ; aussi vous prié je de ne plus m'en vouloir, de cesser de me regarder d'un oeil sévère et indigné; reprenez ce visage doux et serein, et cette figure rayonnante de bonté que vous avez toujours eue avec moi.

3. J'ai su encore que vous vous plaigniez du nombre de lettres que je vous écris : il me sera bien facile de me corriger de ce défaut-là, et je ne crains pas de vous importuner désormais davantage. J'ai trop présumé de moi, je l'avoue, quand je vous écrivais si souvent, sans tenir compte de la distance qui me sépare de Vous; mais aussi vous ne pouvez disconvenir que, d'un côte, vos bontés pour moi m'encourageaient à le faire, et de l'autre, l'envie d'être utile à mes amis m'y portait. Car, si ma mémoire n'est pas en défaut, vous conviendrez que je ne vous ai presque jamais rien demandé pour moi. Mais il faut en toutes choses savoir se contenir dans de justes bornes; c'est ce que je m'efforcerai de faire désormais si je le puis ; je saurai modérer mon zèle et m'imposer silence. Après tout, il me sera moins pénible de mécontenter quelques amis que de déplaire à l'oint du Seigneur par mes prières sans nombre. J'en suis même venu maintenant au point de n'oser vous parler des périls qui menacent l'Eglise en ce moment, du schisme terrible que nous appréhendons de voir éclater, et de beaucoup d'autres choses semblables. J'en informe les évêques qui vous entourent; Votre Sainteté pourra se faire instruire de tout par eux, si elle désire savoir ce que je leur écris.

 

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