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NEUVIÈME SERMON. Sur ces paroles de l'Apôtre : « Ce qu'il y a d'invisible en Dieu, etc. (Rom. 1, 20), et sur celles-ci du Psalmiste : « J'écouterai le Seigneur, mon Dieu, me dire au dedans de moi, etc. (Psal. LXXXIV, 8). »
1. L'Apôtre nous assure que « ce qu'il y a d'invisible en Dieu est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses créatures nous en donnent (Rom. 1, 20). » Le monde sensible est une sorte de, livre ouvert à tous les yeux, et attaché par une sorte de chaîne, selon l'usage, et tous ceux qui le veulent peuvent y lire la sagesse de Dieu. Mais un jour viendra où le ciel se fermera comme un livre, parce que personne n'aura plus besoin d'y lire, attendu que «Tous les hommes seront alors instruits de Dieu lui-même (Joan. VI, 45), » et alors de même que la créature du ciel, celle de la terre verra Dieu non plus en énigme, et dans un miroir; mais face à face et contemplera sans voile sa sagesse en soi-même. Mais, en attendant, l'âme de l'homme a besoin de la créature comme d'un véhicule qui la porte jusqu'à la connaissance du créateur. Pour les anges, au contraire, qui sont dans un état plus heureux et plus parfait, c'est dans le Créateur qu'ils connaissent les créatures. Il me semble que c'est à cet état excellent que se vit ravie, au moins pendant quelque temps, cette âme bienheureuse (a) qui vit l'univers entier réuni sous un seul rayon de soleil ; c'est à ce miracle que notre saint père le pape Grégoire a fait allusion dans le livre de ses dialogues, en disant : « Quand on voit le Créateur, toute créature semble bien petite (S. Greg. lib. II, dial. cap. 35). » Heureuses donc les âmes qui se rassasient de la fine fleur du froment, et qui n'ont point besoin de sucer le miel qui s'écoule du flanc des rochers, ni de manger l'huile qu'on recueille dans les endroits pierreux (Dent. XXXIII, 13) ; et qui ne recherchent point les choses invisibles de Dieu en les regardant par les choses visibles, comme par des fentes et des crevasses, mais qui les contemplent sans voile telles qu'elles sont en elles-mêmes. Mais comme je vous l'ai déjà dit, c'est l'heureux partage des anges, non point le lot de la fragilité humaine. 2. Cherchons donc, par les choses créées, à comprendre les choses invisibles de Dieu. Si l'âme les comprend par la vue des autres créatures, elle les verra bien mieux et les comprendra bien davantage en considérant la créature qui a été faite à l'image du Créateur, je veux dire, en se considérant elle-même, car de toutes les créatures qui sont
a Il s'agit ici de saint Benoît, que saint Bernard croit avoir eu le bonheur de contempler Dieu face à face, pendant quelques courts instants, sans le secours » du char des créatures, » et par conséquent en lui-même, et dans sa lumière divine, selon l'expression de saint Grégoire. Toutefois, saint Bernard dit dans son sermon trente et unième, sur le Cantique des cantiques, n. 2, que « ni sage, ni saint, ni prophète ne peuvent, ou plutôt n'ont pu le voir tel qu'il est, darse leur corps mortel. »
sous la voûte du ciel, il n'y en a pas de plus rapprochée de Dieu que l'âme de l'homme, et c'est avec raison que le Prophète a dit. « Bien heureux l'homme qui attend de vous, ô mon Dieu, le secours dont il a besoin, et qui médite dans son coeur des moyens de s'élever jusqu'à vous. » Un peu plus loin, il ajoute : « On s'avancera de vertu en vertu, et. on verra le Dieu des dieux dans la céleste Sion (Psal. LXXXIII ; 6). » Aussi vous exhortons-nous sans cesse, mes frères, à vous engager dans les voies de votre coeur, et à posséder votre âme dans vos mains, afin de pouvoir entendre le langage que le Seigneur Dieu vous tient, « car ce sera un langage de paix (Psal. LXXXIV, 9). » Mais à qui parle-t-il de paix ? « c'est évidemment à son peuple et à ses saints. » Or, quel est son peuple, et qui sont ses saints? Ceux qui rentrent dans leur coeur. Aussi le Psalmiste poursuit-il : « il tiendra ce langage aussi à cent. qui rentrent dans leur coeur. » 3. Pour moi, je trouve qu'il est question dans ces paroles de trois sortes d'hommes, les seuls à qui Dieu fasse entendre un langage de paix, de même qu'un autre prophète n'a prévu que tais hommes qui doivent être sauvés, savoir : Noé, Daniel et Job (Ezech. XIV, 14). L'ordre dans lequel ils sont cités D'est point régulier, je le veux bien, mais à eux trois ils expriment les trois ordres qui se rencontrent parmi les hommes, l'ordre des continents, celui des prélats, et celui des gens mariés. Encore faut-il, pour ce qui est des continents, qu'ils se détournent des désirs de la chair vers ceux du coeur, c'est-à-dire vers les désirs de l'Esprit. Voilà ce qui a fait appeler Daniel « un homme de désirs (Dan. X, 11), » par l'ange qui la, adressa la parole; quant aux prélats, il faut qu'ils aient à coeur d'être utiles, bien plutôt que d'être les premiers, attendu que ce qu'il leur faut par-dessus tout c'est la sainteté ; voilà pourquoi le Psalmiste les appelle tout particulièrement « saints (Psal. LXXXIV, 9). » Les gens mariés doivent de leur côté ne point transgresser les commandements de Dieu pour mériter d'être appelés le peuple du Seigneur, les brebis de son bercail. 4. Je vais plus loin, chez nous-mêmes, car c'est nous qui nous touchons de plus près. Ou distingue ordinairement aussi trois ordres; ainsi le peuple, parmi nous, ce sont les frères que leurs emplois appliquent aux soins extérieurs, aux choses qu'on pourrait appeler populaires. Ceux qui rentrent en eux-mêmes, ce sont les religieux claustraux, que nul emploi ne réclame au dehors, et qui, libres de leur temps, et peuvent voir combien le Seigneur est doux : les uns et les autres sont comme les deux pignons de l'édifice sur lequel le Seigneur fait entendre un langage de paix, attendu qu'ils tendent tous deux au même but, bien que par une voie différente. Le psaltérion accompagné de la guitare est fort agréable, et les sons de l'une ne sont pas moins beaux que ceux de l'autre, quoique ceux de la guitare soient graves et ceux du psaltérion aigus. Toutefois , il n'en est pas moins vrai que la part dont Marie a fait choix est la meilleure, bien qu'il puisse arriver que l'humble genre de vie de Marthe ne soit pas d'un moindre mérite que celle de sa soeur aux yeux de Dieu. Marie est louée de son choix afin de nous apprendre que, pour ce qui nous concerne, c'est celui-là que nous devons faire aussi, mais si on nous impose la part de Marthe, il faut l'accepter avec patience. 5. Les paroles suivantes : « il parlera de paix sur les saints, » concernent les prélats qui doivent réunir les deux genres de vie, de Marthe et de Marie. C'est à eux qu'il appartient de veiller et de travailler à réunir entre elles les deux murailles de l'édifice religieux, qui ont chacune leur direction, attendu qu'ils sont établis pour être les vicaires de Jésus-Christ qui est la pierre angulaire. On ne peut nier que leur part soit plus dangereuse que les deux autres. Toutefois s'ils administrent bien ce leur sera un degré de plus vers le bien, et ils recevront une abondance et une mesure de paix plus grande et plus complète, en sorte qu'on pourra dire d'eux, avec raison : « Le Seigneur parle de paix sur les saints ( Isa. LXI, 6). » Y a-t-il un doute dans vos âmes sur ceux que le Prophète veut désigner par ce mot, ses saints? S'il en est ainsi, écoutez encore Isaïe, il vous dira : « c'est vous, ministres de notre Dieu qui serez appelés les saints du Seigneur. » Je m'étais proposé de vous montrer par un exemple comment, par la considération d'elle-même, l'âme de l'homme peut s'élever à l'intelligence des choses de l'esprit, mais je suis contraint de remettre ce développement à un autre jour et à un autre sermon.
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