SERMON XXXII
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TRENTE-DEUXIÈME SERMON. De trois sortes de jugement, du jugement propre, du jugement des hommes et du jugement de Dieu.

 

1. « Que les hommes nous considèrent comme les ministres de Jésus-Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu (I Cor. IV, 1). » Tout ministre de Jésus-Christ doit se conduire de telle sorte que, par les mceurs de l'homme extérieur qui se voit, on puisse juger de l'homme intérieur qui ne se voit pas, et qu'il ne puisse être jugé ni par un autre, ni par lui-même, et qu'il dise avec le même Apôtre : «Pour moi, je me mets peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit : je ne me juge pas moi-même, c'est le Seigneur qui me juge (Ibid.). » On voit par ces paroles qu'il y a trois sortes de jugement, le jugement que les hommes portent de nous, celui que nous en portons nous-mêmes et le jugement porté de Dieu. Les hommes peuvent juger des choses extérieures qui sont perçues par les sens, mais ils ne sauraient juger des choses intérieures. Voilà pourquoi il est écrit : « Quel homme connaît ce qui est dans un homme, sinon l'esprit de cet homme qui est en lui (I Cor. II, 11). » Ainsi l'esprit qui est dans l'homme peut juger ce qui est en lui; mais Dieu peut le juger bien mieux encore, puisque l'Apôtre nous déclare qu'il ne saurait échapper à son jugement, bien qu'il se fût mis déjà au dessus du sien propre, et de celui des hommes. En effet, il ne faisait point un grand cas du jugement des hommes, celui qui disait : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit, » et il ne redoutait guère son propre jugement quand il ajoutait: « Je ne me juge pas moi-même; car ma conscience ne me reproche rien. » Il n'y a donc que le jugement de Dieu, et c'est de lui qu'il dit : « C'est le Seigneur qui me juge. »

2. Toutefois (a), chacun doit se montrer irréprochable autant que

 

a Tout ce passage se trouve rapporté dans le livre VII des Fleurs de saint Bernard, chap, VI.

 

possible, d'abord aux yeux de Dieu, et ensuite aux yeux des hommes. Voilà ce qui fait dire ailleurs au même Apôtre : « Ayez soin de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (Rom. XII, 17). » Or, nous faisons le bien devant les hommes de trois manières différentes, c'est-à-dire par notre manière d'être, par notre conduite et, par notre langage : par notre manière d'être, en ne nous faisant point remarquer; par notre conduite, en l'ayant irréprochable, et par notre langage, en ne. le rendant point digne de mépris. Nous avons également trois manières de faire le bien devant Dieu, par la pensée, par le sentiment et par l'intention. Quant à la pensée, il faut qu'elle soit sainte, aussi est-il écrit : « La pensée sainte vous sauvera. » Le sentiment doit être pur et l'intention droite. Or, ces trois choses, je veux dire la pensée, le sentiment et l'intention, sont dans l'âme ; mais en même temps, elles semblent y avoir chacune une place distincte; en effet, la pensée est dans la mémoire; le sentiment, dans la volonté, et l'intention dans la raison.

3. Mais, pour en apercevoir plus clairement encore l'usage et la différence, prenons un exemple tiré des choses extérieures. Ainsi dans les corps, si une couleur laide n'affecte que la peau, le corps peut en être rendu moins beau, mais cela ne lui fait rien perdre de sa santé. Mais si la chair est atteinte par quelque pourriture, ou si elle devient le siège d'une humeur de mauvaise apparence, clora ce n'est plus seulement la beauté du corps qui est altérée, mais sa santé même est en péril. S'il arrive que le mal s'accroisse, et pénètre jusque dans la moëlle des os comme il s'est insinué dans sa chair, alors on s'inquiète, non sans raison, de sa vie. Il en est de même pour l'âme, si le péché n'entre dans la mémoire que par la pensée, sans que la volonté l'aime et que la raison réfléchie y consente, j'avoue qu'il en résulte une sorte de laideur qui empêche qu'il ne soit dit à l'âme : « Vous êtes toute belle, mon amie (Cana. IV, 7), » évidemment, c'est une tache, mais ce n'est point une maladie. S'il arrive que la volonté, préoccupée par la pensée du péché, en éprouve une certaine délectation, bien que la raison réfléchie résiste encore, l'âme est malade, mais elle n'est point morte encore, et elle doit s'écrier: « Seigneur, guérissez-moi et je serai guérie (Jer. XVII, 14). » Mais on peut dire qu'elle de meurt, quand la raison elle-même se courbe par l'intention vers le péché. En effet, elle consent alors] et c'est d'elle qu'il est dit : « L'âme qui pèche, mourra (Ezech. XVIII, 4). » Ce sont ces trois degrés que déplore David dans la personne du pécheur, quand il dit au Seigneur au moment où il le chasse du paradis terrestre pour le long exil de ce monde, « Vous avez appesanti votre main sur moi (Psal. XXXVII, 3). » Or, comme les désirs charnels sont la peine du péché, « il n'est rien resté de sain dans ma chair à la vue de votre colère, » et même ma raison a perdu toute sa force, car à la vue de mes péchés il n'y a plus aucune paix dans mes os. Ailleurs, David, clans la personne du juste, parle encore de ces trois degrés dans ses chants; il dit, en effet : « Je me suis souvenu de Dieu, j'y ai trouvé une joie, et je me suis exercé dans la méditation (Psal. LXXVI, 4); » il s'est réjoui par la volonté et exercé par la raison.

4. Si vous ne voulez pas que la foule envahissante de vos pensées, semblable à une vile populace qui se précipite dans une demeure, ne chasse Dieu de votre mémoire, placez à la porte un portier qui s'appelle le souvenir de votre propre profession, et quand votre âme se sentira accablée par ces pensées honteuses, il se gourmandera lui-même et se dira : sont-ce là les pensées que tu dois avoir, toi qui es prêtre, ou clerc, ou moine ? Est-ce que celui qui cultive la justice doit se permettre quoi que ce soit d'injuste ? Convient-il au serviteur du Christ, à l'amant d'un Dieu, d'avoir même un seul instant de pareilles pensées? En parlant ainsi, il repassera le flux des pensées illicites par le souvenir de sa propre profession. De même à la porte de la volonté où ont coutume d'habiter les désirs charnels comme une famille demeure dans sa maison, placez un autre portier qu'on appelle le souvenir de la patrie céleste; car, semblable au coin qui chasse le coin, il peut chasser les mauvais désirs et ouvrir sans retard à celui qui dit : « Me voici à la porte et je frappe (Apoc. III, 2). » Mais auprès du lit de la raison il faut placer un gardien si féroce qu'il n'épargne personne, et écarte tout ennemi quel qu'il soit qui osera tenter1d'y entrer, soit ouvertement, soit en secret; je veux parler du souvenir de l'enfer. Pour les deux premières, c'est-à-dire pour la mémoire et la volonté, il n'est pas aussi intolérable de voir, soit la mémoire accueillir quelquefois une pensée un peu vague, soit la volonté, une affection impure. Mais ce qu'il y a de plus grave et de vraiment dangereux, c'est quand il arrive que la raison perd la droiture d'intention.

 

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