SERMON X
Précédente ] Accueil ] Remonter ] Suivante ]

Accueil
Remonter
SERMON I
SERMON II
SERMON III
SERMON IV
SERMON V
SERMON VI
SERMON VII
SERMON VIII
SERMON IX
SERMON X
SERMON XI
SERMON XII
SERMON XIII
SERMON XIV
SERMON XV
SERMON XVI
SERMON XVII
SERMON XVIII
SERMON XIX
SERMON XX
SERMON XXI
SERMON XXII
SERMON XXIII
SERMON XXIV
SERMON XXV
SERMON XXVI
SERMON XXVII
SERMON XXVIII
SERMON XXIX
SERMON XXX
SERMON XXXI
SERMON XXXII
SERMON XXXIII
SERMON XXXIV
SERMON XXXV
SERMON XXXVI
SERMON XXXVII
SERMON XXXVIII
SERMON XXXIX
SERMON XL
SERMON XLI
SERMON XLII
SERMON XLIII
SERMON XLIV
SERMONS XLV-CXXV

DIXIÈME SERMON. La vie et les cinq sens de l'âme.

 

1. Notre négligence, mes chers frères, est bien grande (a) et bien inexcusable; en effet, nous nous abandonnons aux pensées oiseuses, et nous perdons le temps, quand nous n'aurions ni à nous élever dans les unes, ni à passer les mers pour trouver de bonnes et salutaires pensées. Car, comme dit Moïse, la parole de Dieu est tout près de nous, elle se trouve dans notre bouche et dans notre coeur (Deut. XXX, 14) ; nous pouvons trouver eu nous-mêmes une mine inépuisable, une vraie pépinière de bonnes et utiles pensées. D'ailleurs, si notre âme est si peu instruite et si négligente qu'elle se trouve hors d'état de scruter son intérieur, elle peut du moins porter ses yeux sur les actes extérieurs et visibles, et là, pour peu qu'elle regarde avec attention, elle trouvera la sagesse. En effet., considère, ô mon âme, car il est écrit, « donnez au sage une occasion, et il deviendra plus sage encore (Prov. IX, 9), » considère, dis-je, ô mon âme, tout ce que tu fais pour ton corps, et tu verras que c'est toi qui lui donnes la vie et la force sensitive. Quant à la vie, tu la lui donnes égale dans tout sort être : en effet, l'oeil ne vit pas d'une vie différente de celle du doigt, mais pour la force sensitive,

 

a Ce passage est reproduit parmi les sentences de saint Bernard au livre VII, 2, des Fleurs de ce Père, chapitre X.

 

il n'en est pas de même. Et toi, ô mon âme, fais en sorte que ton âme à toi, que ton âme, dis je, qui n'est autre que lieu, te prodigue les mômes biens. On ne saurait dire que l'âme est vivante quand elle ne connaît pas la vérité, au fond elle est véritablement morte; de même que celle qui n'l plus la charité en soi, est privée de toute force sensitive. Ainsi, la vie de l'âme c'est la vérité, et sa force sensitive, la charité. Il ne faut pas s'étonner s'il arrive parfois que l'âme des impies ait la connaissance de la vérité, bien qu'elle manque de charité, car on voit quelquefois le corps avoir encore la vie, tout en étant privé de la sensibilité, comme les arbres et les autres êtres semblables qui sont doués de la force vitale, mais non point de la force animale, d'une âme, en un mot. Oui, il en est de môme de l'âme des méchants, qui ont la connaissance de la vérité, par leur raison naturelle, et se trouvent parfois aidés de la grâce, mais ne reçoivent point d'elle la vie. Mais dans ceux qui ont reçu de l'âme spirituelle la connaissance de la vérité et la charité, non pas par un moyen extérieur quelconque, mais par leur âme à elles, si je puis parler ainsi, par cette âme avec laquelle elles ne font plus qu'un seul et même esprit, lorsqu'elles adhèrent à elle, dans ceux-là, dis-je, se trouve la connaissance indivise de la vérité, selon ce que j'ai dit de la vie du corps, car elle embrasse à la fois dans sa connaissance les moindres comme les plus grandes choses.

2. Quant à l'amour, si on y regarde de près, il se peut qu'on en trouve autant de sortes ou de variétés qu'il y a de sens. En effet, il y a l'amour pieux, qui se rapporte à nos parents; l'amour agréable, que nous ressentons pour nos amis; l'amour juste, que nous devons à tous les hommes; l'amour violent, pour nos ennemis, et l'amour saint et dévot pour Dieu. En étudiant chacun de ces amours avec attention, on trouve que s'ils out tous quelque chose de commun, ils ont en même temps des points où ils diffèrent complètement entre eux. Ainsi, si vous avez quelque goût et quelque plaisir à ces sortes de considérations, il vous semblera peut-être qu'on peut trouver un certain rapport entre le premier de, ces amours, je veux parler de notre amour pour nos parents, et le sens du toucher qui ne perçoit que les objets les plus proches de nous, ceux qui touchent à notre corps ; cet amour, en effet, ne se rapporte qu'à ceux qui nous touchent de prés par la chair. Cette comparaison ne perd rien de sa force de ce que le sens du toucher est le seul qui soit répandu par tout le corps, car cet amour est si naturel aussi à toute chair, que tous les êtres vivants, les brutes mêmes, aiment leurs petits et en sont aimés. L'amour de nos amis a une grande analogie avec le goût à cause de sa douceur ; le goût, en effet, est le sens qui importe le plus à la vie de l'homme, aussi ne vois-je point comment on peut dire que c'est vivre que de ne pas aimer, dans cette vie commune, ceux au milieu de qui on la passe. Pour ce qui est de l'amour des hommes eu général, il a quelque rapport avec le sens de l'odorat, en ce que ce sens perçoit les choses placées à une certaine distance, et que, s'il n'est pas sans quelque jouissance corporelle, elle est, pourtant d'autant plus délicate, qu'elle est plus répandue. Quant à l'ouïe, c'est un sens qui perçoit les choses plus éloignées encore que celles qui frappent l'odorat. Or, parmi les hommes, il n'en est pas de plus loin les uns des autres que celui qui n'aime point ne l'est de celui qui l'aime. D'ailleurs, s'il se rencontre quelque jouissance corporelle dans les autres sens, et s'il semble qu'elles se rapportent plus particulièrement à la chair, l'ouïe est presque tout entière étrangère à la chair, et parait n'avoir de rapport qu'avec ce genre de jouissance, qui consiste tout entière dans l'obéissance; or, il est de toute évidence que cette vertu se rapporte à l'ouïe, puisque pour toutes les autres jouissances, nous avons vu quelles ont la chair pour occasion.

3. La vue est celui de nos sens qui a le plus de ressemblance avec l'amour de Dieu, car il l'emporte sur tous les autres et il est d'une nature unique, il est d'une plus grande sensibilité et perçoit les objets de plus loin. L'odorat et l'ouïe semblent aussi percevoir les choses éloignées, mais on croit qu'ils ne les perçoivent qu'en attirant à eux l'air qui les leur rend sensibles ; or, il n'en est pas ainsi de fa vue, elle semble plutôt se faire au dehors et aller elle-même à la rencontre des objets éloignés. Ainsi en est-il dans nos affections. On peut dire, en quelque sorte, que nous attirons à nous le prochain quand nous l'aimons comme nous-mêmes ; nous attirons également ainsi nos ennemis, quand nous les aimons pour qu'ils soient comme nous, c'est-à-dire pour qu'ils deviennent nos amis; mais pour ce qui est de Dieu, si nous l'aimons, comme il le mérite, de toutes nos forces, de toute notre âme et de tout notre coeur, c'est plutôt nous qui allons à lui et qui nous hâtons de toutes nos forces vers ce Dieu qui est placé au-dessus de nous d'une manière ineffable.

4. Il est manifeste que, de nos sens corporels, la vue est celui qui l'emporte sur tous , et que l'ouïe se place avant les trois autres quant à l'odorat, s'il ne vient pas avant le goût et le toucher, au point de vue de l'utilité, au moins leur est-il supérieur en élévation, de même que le goût semble avoir le pas sur le toucher; c'est, d'ailleurs, ce que nous montre la disposition même de nos membres. Ainsi, les yeux sont placés au haut de la tète, les oreilles et le nez sont évidemment plus bas ; il en est de môme du nez par rapport aux oreilles et du palais par rapport au nez; enfin, les mains et le reste du corps, où le tact est répandu, se trouvent placés au dessous du palais, cela est manifeste. Or, c'est de la même manière que nous pourrons, dans les sens de l'âme, remarquer que les uns sont plus dignes que les autres, et, comme cette remarque vous est facile à faire, je passe les détails pour abréger. Je laisse aussi à votre application le soin de vous faire remarquer, que de même que les membres du corps s'affaissent dès que l'âme cesse de les animer, ainsi les affections dont j'ai parlé plus haut, et que j'ai présentées comme les membres de l'âme, ne peuvent que s'affaisser aussi, si l'âme de notre âme, qui est Dieu, cesse de les animer, c'est à dire, ou bien nous n'aimerons pas de tout notre coeur ce que nous devons aimer de la sorte, ou bien nous ne l'aimerons point de la manière et dans la mesure où nous le devons. En effet, il y en a qui aiment leurs parents d'une manière charnelle, et ne louent le Seigneur que lorsqu'il leur fait du bien. Mais un pareil amour ne mérite pas le nom d'amour, ou bien, si c'est encore de l'amour, c'est un amour caduc, un amour qui tombe à terre.

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante