SERMON XXXIV
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TRENTE-QUATRIÈME SERMON. Sur les paroles d'Origène.

 

1. Je crains que le passage qu'on vous a lu hier, d'une homélie d'Origène, sur le chapitre de la Loi (Levit X, 3), qui défend à Aaron et à ses fils de boire du vin quand ils doivent monter à l'autel, n'ait produit une mauvaise impression sua plusieurs d'entre vous, s'ils l'entendent simplement et au pied de la lettre. Il disait : « Mon Sauveur pleure encore maintenant mes péchés, et sa douleur durera aussi longtemps que notre erreur. a Il continue ainsi dans un style plus abondant peut-être que prudent,, et -dans un langage plus disert que sobre. Que signifient ce grognement insolite et ce je ne sais quel murmure qui s'élève parmi vous ! Je sais bien que ceux qui sont instruits dans la loi de Dieu, se rient de ces paroles, mais je ne m'en reconnais pas moins le débiteur de ceux qui sont moins instruits. Il n'est pas question de la manière dont Origène entendait ses propres paroles; il a pu s'exprimer ainsi par hyperbole; c'est son affaire non point la nôtre. Toutefois, je ne puis passer sous silence que les saints Pères nous ont donné comme très-certain qu'il a écrit plusieurs choses contre la foi, et qu'ils nous avertissent de ne le lire, par conséquent, qu'avec circonspection. Quant au passage qui nous occupe, il n'est pas question pour moi de rechercher quelle fut sa pensée; je ne me propose seulement de vous prémunir, vous tous qui n'avez que des sentiments parfaitement conformes à la saine doctrine, contre l'impression que pourraient vous faire les paroles citées plus haut.

2. Il faut bien se garder de croire qu'il y ait place au ciel pour la tristesse non plus que pour le péché. On ne saurait y faillir ni y verser des larmes, de même que sur la terre il n'y aurait jamais eu de peine s'il n'y avait eu d'abord une faute. Or, dans le ciel, il n'y a que la justice, et par conséquent on n'y tonnait que la joie; dans l'enfer, il n'y a que le péché et la peine du péché. Entre l'un et l'autre, on trouve le mélange des deux extrêmes ;aussi ne sont-ils point consommés. Nous souffrons en bien des choses parce que «nous péchons tous en bien des points (Jacob. III, 1). » C'est parce qu'il n'y 'a point place dans le ciel pour la souffrance et la douleur, que le Fils unique de Dieu le Père, voulant racheter les hommes par sa passion, non-seulement prit un corps dans lequel il pût souffrir, attendu qu'il ne pouvait souffrir dans sa divinité, mais encore « il se montra sur la terre et vécut parmi les hommes (Baruc. III, 38), » afin de s'humilier lui-même dans le lieu de l'affliction. Il a donc bien voulu se troubler ici-bas, éprouver de la frayeur et de l'abattement, être tenté en toutes choses pour nous ressembler, sauf le péché. Oui, dis-je, sur la terre Jésus a versé des larmes, il s'est vraiment attristé, il a vraiment souffert, il est vraiment mort, et il a été véritablement enseveli; mais, par sa résurrection, toutes les choses anciennes ont passé. Ne cherchez plus maintenant davantage votre bien-aimé dans votre lit; il est ressuscité, il n'est plus là. C'est le mot de l'Epouse : « J'ai cherché dans mon lit celui qu'aime mon âme; je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé (Cant. III, 1). » C'est Marie qui a cherché le Seigneur dans son lit;.elle l'a cherché dans le tombeau et ne l'a point trouvé : mais les gardes l'ont trouvée elle, et lui ont dit : « Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts (Matt. XXVIII, 5) ? » Il a été en effet, parmi les morts, mais il n'y est plus; oui, il fut couché parmi les morts, mais alors même il n'était pas moins libre; car c'est lui-même qui s'est troublé, c'est lui-même qui a déposé son      âme, « s'il a été offert c'est parce qu'il l'a bien voulu (Isa. LIII , 7). » Toute faiblesse en lui fut le résultat de sa propre volonté, non pas de la nécessité ; voilà pourquoi ce qui parait en Dieu une faiblesse est plus fort que, les hommes (I Cor. I, 25) ; C'était alors un grand parmi des petits, un Dieu plein de santé au milieu d'infirmes, un être libre entre les morts.

3. Il semble, à la vérité, qu'au sein même de nos tribulations, nous jouissons aussi d'une certaine liberté, quand, par une charité aussi libre que libérale, nous faisons des oeuvres de pénitence pour les péchés du prochain, nous pleurons, nous jeûnons et nous nous mortifions pour lui, payant ainsi des dettes que nous n'avons point contractées. C'est même ce qui faisait dire à saint Paul : « Quand j'étais libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous (I Cor. IX, 19). » Mais, d'ailleurs, il n'y a là aucun rapport avec la liberté de celui qui n'eut point de péché qui lui fût propre, qui e devait rien à la mort et qui ne mérita aucune tribulation. Pour nous, au contraire, si le prochain n'est pas en droit d'exiger de nous ces pénitences volontaires, Dieu, toutefois, les exige ; et s'il se trouve des hommes qui semblent rendre au prochain plus qu'ils ne lui doivent, jamais ils ne rendent à Dieu tout ce dont ils lui sont redevables. Aussi l'Apôtre dit-il : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par quelque homme que ce soit; je n'ose pas me juger moi-même (I Cor. IV, 3).. » Remarquez bien ce qu'il dit ailleurs : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés (l Cor. XI, 31), » et ailleurs : « L'homme spirituel décide de tout (I Cor. II, 15). » Il ne dit pas simplement « il juge » mais, « il décide » de tout, parce que celui qui décide d'une chose l'approuve; il dit, en effet, ailleurs : « Bienheureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu'il approuve (Rom. XIV, 22). » Il se mettait donc fort peu en peine d'être jugé par ceux envers qui sa conscience ne lui reprochait d'avoir omis aucun devoir, d'avoir commis aucune faute, à qui plutôt il savait qu'il avait rendu tous les services possibles, au point qu'il pouvait dire ingénument et en pleine sûreté de conscience : « Lui est faible parmi vous, sans que je m'affaiblisse avec lui Qui est scandalisé sans que je brûle (II Cor. XI, 29) ? » En effet, pour les Juifs il s'est fait Juif afin de les gagner tous; et pour ceux qui n'avaient point la Loi, il a vécu comme s'il ne l'eût pont eue lui-même; enfin il s'est fait tout à tous pour les sauver tous (I Cor. IX, 22). Aussi a-t-il bien raison de se mettre peu en peine du jugement que pouvaient porter de lui ceux à qui il avait donné si peu d'occasion de scandale et au milieu de qui il avait si bien fait honneur à son ministère. Mais il ne se jugeait pas même dans les choses qu'il approuvait, bien qu'il s'acquittât parfaitement, même envers lui, de ce qu'il se devait, en châtiant son corps, en affligeant son âme et en gardant son propre coeur avec toute sorte de sollicitude, en sorte que sa conscience n'avait rien à  lui reprocher en ce qui concernait les devoirs qu'il se devait à lui-même. «Mais je ne suis pas justifié pour cela, dit-il, c'est le Seigneur qui est mon juge (I Cor. IV, 4) : » Pour celui-là, je ne saurais échapper à son jugement, et quand même je serais juste je ne lèverai point la tête, car toute ma justice à ses yeux est semblable aux linges souillés d'une femme à son époque (Isa. LXIV,6). Non, personne, pas un seul homme ne saurait se dire juste à ses yeux.

4. Car il n'y a personne qui ne doive dire à Dieu : « J'ai péché contre vous (Psal. L, 6), » mais celui-là est bien grand qui peut dire « Je n'ai péché que contre vous. » De même il n'y a de vraiment libre parmi les morts, que celui qui n'a point fait de péché et dont la justice est semblable aux montagnes de Dieu. D'ailleurs, il n'est plus parmi les morts, il s'est élevé du milieu d'eux, changé de corps, changé de coeur, il est entré dans les puissances du Seigneur, exempt de toute faiblesse, après avoir quitté les vêtements souillés dont il apparut d'abord revêtu, dans le Prophète Zacharie, (Zach. III, 3), pour se revêtir d'habits splendides selon ces paroles du Psalmiste : « Vous avez déchiré mon sac et vous m'avez revêtu de joie (Psal. XXIX, 12). » Comme il avait pris véritablement la substance de la chair et de l'âme humaines, ainsi que leur vraie nature, il connut les souffrances du corps et celles de l'âme, mais il a trouvé dans les unes et dans les autres une source de gloire. C'est je crois de la glorification de l'une et de l'autre que le Prophète a voulu parler quand il a dit dans ce petit verset : « Le Seigneur a régné, et il a été revêtu de gloire, le Seigneur a été revêtu de force (Psal. XCII, 1). » Par la gloire de son corps il veut dire l'éclat dont il est revêtu, et par la force, l’état inaltérable de son âme. Enfin si le Seigneur a dit : «Mon âme est triste jusqu'à la mort ( Matt. XXVI, 83); » plus tard, en inclinant la tête, il s'est écrié : « Tout est consommé (Joan. XIX, 30); » afin que désormais on ne soupçonnât pas l'ombre de la faiblesse en lui.

5. Origène a dit encore : « Si son apôtre pleure sur quelques fidèles qui ont péché auparavant, et n'ont point fait pénitence de leurs fautes, que dirai-je de celui qui est appelé le Fils de la charité ? » Et ailleurs il continue : « Quoi donc, après avoir cherché nos intérêts, il ne nous chercherait plus à présent, et ne songerait plus à ce qui nous touche, il ne serait plus affligé de nos erreurs, et il ne pleurait point sur notre perte et sur notre ruine, lui qui a pleuré sur Jérusalem ? » Ailleurs il dit encore : « Et maintenant puisque le Seigneur est compatissant et miséricordieux, il verse plus de larmes encore que son apôtre avec ceux qui pleurent, et il pleure ceux qui ont péché auparavant; car on ne saurait croire que pendant que Paul gémit et pleure pour les pécheurs, le Seigneur ne verse aucune larme. » Si on entend les choses ainsi, pourquoi ne point chercher encore le bien aimé dans son petit lit? Un mort ne saurait chercher ailleurs que dans le sépulcre, ni un infirme ailleurs que dans son lit, ni un petit enfant ailleurs que dans son berceau, celui qu'aime leur âme. Mais pour lui, comme je l'ai dit plus haut, non moins glorifié de corps que de cœur, que dis-je, d'autant plus glorifié de coeur que l'âme est plus grande et plus capable de gloire que le corps, s'il ne peut négliger les siens, il ne saurait non plus pleurer pour eux. Mais quand sera-t-il donné à la fragilité humaine de comprendre comment il a pitié sans être affecté par la tristesse, comment il aime, et même beaucoup ceux qui souffrent, et sont en danger sans toutefois éprouver lui-même ni trouble ni douleur? Mais cela est bien au dessus de tout ce que nous éprouvons; toutefois il n'y a rien d'impossible à Dieu. Aussi peut-il donner, soit à lui-même, soit à tous les siens qu'il a revêtus de force après qu'ils eurent dépouillé les faiblesses de la chair, et qu'il a introduits dans ses puissances, une charité telle qu'elle puisse se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, sans pleurer avec ceux qui pleurent, et réunir par les liens les plus sûrs et les plus affectueux celle qu'elle aime, sans cesser toutefois de demeurer imperturbable elle-même. On ne saurait même révoquer en. doute que cette charité ne soit bien plus grande que l'autre, de même qu'un médicament, s'il en existait qui guérît nos blessures et ne perdît absolument rien de sa vertu ni de sa substance, serait regardé comme plus précieux que ceux dont la vertu s'épuise et la substance s'altère. Ainsi quoique le Seigneur ait pleuré sur Jérusalem (Luc. XIX, 41), désormais il ne pleurera plus; de même, qu'étant mort et ressuscité, il ne doit plus mourir (Rom. VI, 9), et qu'après avoir reposé sur son lit tumulaire, il ne doit plus y être cherché maintenant qu'il est ressuscité.

6. Et pourtant les saints sont doués d'une sensibilité infiniment plus grande et plus efficace que ceux qui pleurent pour les pécheurs ou qui sacrifient leur vie pour leurs frères, bien que, pour le Seigneur, il ne puisse plus faire ni l'un ni l'autre maintenant que son oeuvre est accomplie. C'est le propre de notre faiblesse de pouvoir pleurer avec ceux qui pleurent, parce que nous sommes encore dans le filet qui nous tire dans la mer et qui renferme des poissons de toute sorte (Matt. III, 48) sans faire aucun discernement entre les uns et les autres. Pour ce qui est du Sauveur, au contraire, non-seulement de lui, mais aussi des apôtres et de tous les autres saints qui sont en lui, ils ont déjà touché au rivage et ils n'ont point placé pèle mêle toute sorte de poissons dans leurs vases; ils n'y ont placé que les poissons de choix, que les bons; quant aux mauvais ils les ont rejetés loin d'eux. Mais en attendant combien de mauvais poissons ne suis-je pas contraint de traîner dans mon filet; combien de poissons douteux, et quine me donnent que de la peine, n'ai-je pas rassemblés dans ce filet le jour où mon âme s'est attachée à vous! je me félicite avec ceux qui font des progrès, mes sentiments sont des sentiments de joie et de bonheur, parce que mon poisson est bon; mais je m'attriste avec ceux qui dépérissent, je pleure avec ceux qui pleurent, je partage les angoisses de ceux qui se trouvent en danger; je suis faible avec les faibles, et je brûle avec ceux qui sont scandalisés. Tous ces sentiments sont pénibles et poignants; mais aussi c'est que ces poissons sont de mauvais poissons; mauvais, entendons-nous, non pas à cause de leur péché, mais à cause de la peine qu'ils me donnent. Fasse le ciel que la multitude de ces mauvais poissons ne nous fasse point périr dans la pusillanimité de notre âtre sous les coups de la tempête, avant que nous soyons arrivés et débarqués au rivage où nous pourrons tirer et séparer les bons des mauvais, en sorte qu'il n'y aura plus ni pleurs, ni cri, ni affliction, ni aucun sentiment de crainte laps le pays de notre séjour (Apoc. XXI, 4), mais seulement des actions de grâce et des chants de joie et de bonheur.

 

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